La vénalité des charges abaisse le rang social du barreau. — Carrières d'avocats riches et pauvres. — Prix des consultations et plaidoiries. — Bizarrerie de l'éloquence judiciaire. — Les procureurs postulants (avoués). — Leurs comptes de frais. — Les sergents (huissiers). — Situation infime de tous ces officiers ministériels par l'exagération de leur nombre. — Ce nombre est accru sans cesse par l'État. — Médiocre valeur des charges. — Notaires royaux et subalternes.Le ménage Concini, si l'on en croit certains mémoires, se
souvint en arrivant au pouvoir, sous Quoi qu'il en soit de cette origine assez obscure de la fortune politique du cardinal, où le barreau joue un si grand rôle, on ne doit y voir qu'une exception. Les avocats de ce temps sont bien déchus, depuis la vénalité des charges judiciaires, du rang social que tenaient leurs devanciers, au XVIe siècle, lorsque les présidents de cour et les gardes des sceaux se recrutaient exclusivement dans leur corps. Entre ceux qui plaident et ceux qui jugent, la question d'argent établit une ligne de démarcation presque infranchissable. L'étudiant riche, après s'être agrégé comme il doit à l'Université de sa province, et avoir reçu le bonnet de docteur, de dix-huit à vingt et un ans, quelquefois plus jeune encore — Me Jacques Corbin, avocat à treize ans, après avoir passé ses examens de droit à douze, faisait à quatorze ans son premier plaidoyer, — s'occupe de trouver un office judiciaire à sa convenance, dans le sein du présidial ou du Parlement. D'autres portent la robe et le bonnet sans jamais paraître à la barre, si ce n'est pour prêter le serment de garder les ordonnances, et les gardent d'autant mieux qu'ils n'ont pas occasion de les transgresser. Piliers de palais, assidus à leurs piliers où ils apprennent et débitent des nouvelles, avocats de Pilate sans cause, ils vivent des rentes amassées par leur père, ancien marchand, et se contentent d'un titre qui les grandit dans leur milieu. Quant aux besogneux qui n'ont d'autre bien que leur diplôme, ils se résignent, pour en tirer parti, à de louches abonnements avec les procureurs dont ils plaident les causes à prix fixe ; dans les sièges subalternes ils se font procureurs eux-mêmes, et cumulent les deux emplois comme les avoués de quelques-uns de nos tribunaux de première instance. La création d'une charge d'avocat des pauvres, sous Richelieu, leur eût même enlevé, si elle n'était demeurée sur le papier, la faculté de se mettre en évidence, en acceptant pour clients les misérables personnes que leur pauvreté empêchait de trouver des défenseurs, et auxquelles les juges devaient en bailler un d'autorité, en vertu d'une ordonnance de François Ier. Moins brillant que jadis, le métier mène pourtant à quelque richesse. Il y a des consultations de trois livres dix sous à Rodez, mais il y en a de seize et vingt écus à Paris. A mesure que la justice devenait coûteuse, tous ses auxiliaires devenaient rapaces ; ils ne voulaient pas être en reste avec le juge. Il faut au moindre avocat, pour voir vos actes, une pistole en entrant à son cabinet, et l'autre à la sortie ; et plus vous faites le pauvre, plus vous reculez vos expéditions. C'est ainsi que les hommes de loi en renom : Adam, Jobert, Le Fèvre, Rozée, toute une légion de débutants d'éloquence, acquièrent ces élégantes maisons de campagne, dont les belles avenues de noyers bordent les grandes routes de l'Ile-de-France. Singuliers orateurs du reste, que ces sommités du barreau,
dont les harangues, garnies des citations les plus imprévues et bourrées
d'une érudition indigeste. — luculentæ orationes — nous apparaissent à
distance si comiques, après avoir excité l'enthousiasme de nos aïeux, au
point que les rois ne manquaient jamais de faire aux princes étrangers les
honneurs de quelque audience. L'ambassade vénitienne, de passage à Grenoble,
a-t-elle témoigné le désir d'assister à la séance du Parlement, le premier
président fait avertir de bon matin l'avocat qui doit plaider ce jour-là, de dire quelque chose, s'il se peut, en faveur de la
seigneurie de Venise. Rien de plus simple pour cet émule de Démosthène
que de trouver, en requérant l'enregistrement des lettres de grâce d'un
condamné, une transition insidieuse qui lui permette force phrases latines pour honorer dignement les ambassadeurs. Il n'y
avait pas longtemps que le français l'avait définitivement emporté sur le
latin ; le latin se vengeait de sa défaite en jonchant, avant de se retirer à
jamais, nos discours et nos livres de traits et de sentences empruntés à ses
poètes, à ses philosophes, à ses écrivains sacrés. Ovide et Lucrèce, saint
Cyrille et saint Augustin achevaient de décider des testaments, et venaient,
avec les Pandectes, au secours de la veuve et des pupilles. Montauban, dit Tallemant, mettait,
en lisant les auteurs, ce qu'il y trouvait de beau sur de petits morceaux de
papier, qu'il jetait dans un tiroir ; quand il avait une plaidoirie à
composer, il tirait une poignée de ces billets, au hasard, et il fallait que
tout ce qu'il avait ainsi tiré y entrât. Ce n'est là peut-être qu'une
plaisanterie, mais le procédé est entièrement vraisemblable : un avocat au
grand conseil, revendiquant pour le théologal du chapitre de Lyon le revenu disputé
d'une prébende, fait, à propos de la discipline ecclésiastique, intervenir
Aristote, l'âme du monde, et l'harmonie universelle des êtres d'après les
platoniciens, parle de la position diverse des astres, de l'établissement de
la religion dans les Gaules, retourne aux astres, empoigne les comètes et leurs embrasements, passe à la chute du démon et à
ses causes, aux ravages de l'ambition parmi les hommes, aux guerres et aux
querelles particulières, à des considérations sur la médecine, puis sur la
noblesse. Il faut s'arrêter, dit-il, à la contemplation de la nature, qui est la conformation
de toutes les choses en leur premier principe ; il annonce partir de
là pour étudier les prébendes théologales, mais disserte au contraire sur
Marc-Aurèle, le sang versé par cet empereur, la gloire des martyrs ; s'étend
sur Crescentius, disciple de saint Paul, Photius, Photinus, en prend texte
pour décrire les cérémonies de la primitive Église et finalement, après
quarante-cinq pages du même style, conclut en dix lignes à ce que l'on paye
au théologal le revenu qu'il réclame. Si l'on ne lisait pas ces morceaux imprimés tout vifs, on
croirait à une gageure. L'un, parlant contre un homme qui a coupé quelques
chênes, recherche to . ce qui, dans l'antiquité, a pu être dit en faveur des
chênes ; les druides n'y sont pas oubliés. L'autre faisait voir que les
requêtes civiles avaient leur fondement dans l'Écriture sainte. Si une distinction qui s'est maintenue de nos jours, bien que sans raison, réservait à quelques favorisés la fonction d'avocat au Conseil d'État, considérée comme supérieure à celle d'avocat au Parlement, cette dernière laissait bien loin derrière elle la vaste confrérie des procureurs postulants, ou avoués. Le procureur est une triste victime du fonctionnarisme, auquel l'État vend et revend un privilège illusoire en raison de la quantité des places créées ; il se venge des mépris de l'opinion par une absence exagérée de scrupules, et meurt pourtant, neuf fois sur dix, sans être parvenu à sortir d'une demi-misère. C'est lui la bête de somme de la chicane : il ne connaît rien à l'ambitieuse phraséologie de l'avocat, son jargon est le langage de la pratique, à peine français. Il se sert de sa langue pour vider, sans y mettre la main, la bourse de son client, et son oreille, dit-on, perçoit à cinq cents pas le son d'un quart d'écu. C'est dans les comptes dressés pour sa partie que triomphait l'art du procureur ; le simple extrait d'un de ces mémoires nous révélera les arcanes de la profession : Au clerc de Me X., avocat, pour
retirer la sentence et les pièces de l'affaire... Plus médiocre était la situation des sergents (huissiers) qui doivent redouter d'être rossés, blessés
parfois, s'ils instrumentent contre des gentilshommes, ou d'être emprisonnés,
s'ils instrumentent contre des magistrats. Les États de 1614, désespérant
d'empêcher les nobles de battre les sergents, demandaient que les exploits
leur fussent désormais signifiés au greffe de la ville voisine de leur
château, où ils seraient tenus de faire élection de domicile ; les procureurs
de Provence sont obligés de promettre Ces procédures paraissent, il est vrai, plus féroces à
distance qu'elles n'étaient en réalité : on eût fini par ne pas trouver de
candidats si le métier n'avait pas offert quelque attrait ; dans son village,
l'huissier sans doute est quelqu'un. Bafoué en haut, il tyrannise en bas ; un
paysan de Beauce se voit traduit en justice pour
avoir parlé à un sergent son chapeau sur la tête. Puis ces charges, à
acheter ou à louer, ne sont pas chères : elles ne se vendent guère plus de Nul ne savait d'ailleurs le chiffre réel — très divers
selon les provinces — des sergents, des procureurs, des avocats. L'État en
instituait de nouveaux par fournées de 100, de 200, de 500, sans règle ni
mesure d'aucune sorte. Les charges ainsi émises se vendaient bien ou mal,
mais partout il y avait excès : à Paris, dont la population était le
cinquième à peine de ce qu'elle est de nos jours, les membres du barreau
étaient deux fois, les procureurs six fois plus nombreux qu'a l'heure
actuelle. Périgueux, où fonctionnent maintenant 10 avoués, avait 96
procureurs ; Cahors, qui compte 7 avoués, avait 47 procureurs ;
Vitry-le-François, où 5 avoués suffisent, avait 12 procureurs. Surabondance
analogue d'avocats : 36 à Périgueux, 40 à Vitry, 106 à Cahors. Joignez à ces
titulaires les clercs, secrétaires, commis, logés et nourris chez leurs
maîtres, qui composent près chaque tribunal ce royaume de Cette marée montante de noircisseurs de papier n'inonde pas les diverses corporations d'officiers ministériels, sans provoquer des plaintes et des résistances. A Lauraguais, la sénéchaussée déclare plus que suffisants les 18 procureurs qui ont déjà de la peine à vivre. (Le ressort actuel correspondant se contente de 5 avoués.) A Rouen, les praticiens s'opposent par la force à l'installation des nouveaux venus ; on se bat, on tire l'épée. Le conseil de ville de Toulon repousse un surcroît de notaires, estimant en avoir assez de 12. En effet, Toulon avait alors environ 7.000 habitants ; d'après le dernier recensement il en a 70.000, et n'a plus que 8 études de notaires. Les obligations sous seing privé étant encore assez rares, et la loi ne les favorisant aucunement, il est possible que les tabellions du XVIIe siècle eussent proportionnellement plus de matière à contrats ; mais, outre les notaires royaux, qui dans l'échelle sociale tenaient le premier rang après les avocats, il y avait les notaires seigneuriaux ou subalternes, établis par les gentilshommes en nombre si effréné, qu'en un même bourg il s'en trouvait souvent quatre ou cinq, institués par divers seigneurs, chacun sur sa seigneurie, tous, offrant une surface plus mince à mesure qu'ils se recrutaient plus bas, et se recrutant plus mal à mesure que le monopole perdait de sa valeur. |