Nombre des soldats dans chaque compagnie ; des compagnies dans chaque régiment. — Infanterie : régiment des gardes ; vieux régiments, régiments entretenus, régiments nouvellement levés. — Hiérarchie des corps et des officiers. — Cavalerie : maison du Roi, gendarmes, chevau-légers, mousquetaires, carabins, dragons. — Cavalerie hongroise. — Indépendance des compagnies ; essais infructueux de formation d'escadrons et de régiments. — Effectif des compagnies de cavalerie. — Rareté des bons chevaux. — Effectifs généraux des armées françaises ; des armées étrangères. — Mortalité plus grande qu'aujourd'hui.Le nombre d'hommes qui composent une compagnie, un régiment, n'a rien de fixe ; il est des compagnies de quinze soldats et des compagnies de deux cents, et beaucoup moins de celles-ci que des premières, ce qui faisait dire à l'ambassadeur vénitien que le tiers de l'armée française se composait réellement d'officiers, puisqu'il y en avait toujours autant, si réduites que fussent les troupes. Le chiffre des compagnies de chaque régiment étant aussi divers que le chiffre des hommes dans chaque compagnie, il s'ensuit que tel mestre de camp, comme celui du régiment des gardes, a sous ses ordres six mille hommes, et que tel autre n'en a que trois cents ; effectif qu'avait jadis un cornette de retires, ou un enseigne de lansquenets. La règle particulière de chaque corps, c'était la commission en vertu de laquelle le chef avait fait sa levée. Il l'excédait parfois, mais, le plus souvent, les chiffres prescrits n'étaient pas atteints. La plupart des régiments nouvellement créés étaient de
vingt compagnies de soixante hommes chacune, soit douze cents soldats ; sur
le papier, bien entendu, et dans les cartons du ministre. Dans les camps,
c'est autre chose : de toutes les revues passées sur le terrain, nous pouvons
conclure qu'il n'y avait peut-être ni deux régiments pareils dans toute
l'armée, ni deux compagnies égales dans chaque régiment. L'armée du maréchal
de On commettrait une grave erreur si l'on essayait d'établir une assimilation quelconque entre les titres de lieutenants, capitaines, mestres de camp (colonels), tels qu'on les voit sous Richelieu et la hiérarchie militaire qui existe de nos jours. Le mestre de camp de tel régiment est à peine l'égal du capitaine ou du lieutenant de tel autre. Le rang de l'officier ne dépend pas de son grade, mais uniquement du corps où il l'occupe. Un capitaine aux Gardes, qui a sous lui deux cent cinquante soldats, tous gens bien faits et bien vêtus, dont quatre-vingts jeunes cadets de bonne maison, en bel équipage, qui, durant la paix, conserve son poste et sa solde, ne peut se comparer au mestre de camp d'un petit régiment dont l'effectif dépasse à peine celui de sa compagnie, et qui, recruté hier, disparaîtra demain. Ce régiment des Gardes est, sous Louis XIII, le premier de France ; trente compagnies de deux cents hommes le composaient ; son mestre de camp, le marquis de Créqui, était donc à la tête d'une petite armée, où la jeune noblesse venait débuter, comme dans la meilleure des académies. Après les Gardes venaient les quatre vieux régiments, qui avaient subsisté depuis un siècle d'une façon permanente : Picardie, Piémont, Champagne et Navarre. Commandés par les plus grands seigneurs, Béthune, Saulx-Tavanne, Schomberg, d'Andelot, etc., ils atteignent un effectif de deux mille hommes chacun. Le Roi conne tous leurs officiers, en sait les qualités et les défauts, tient à pourvoir seul aux vacances. De ses prérogatives souveraines, c'est celle qu'il a le plus à cœur. Au-dessous de ces corps privilégiés étaient clissés les régiments entretenus à conduite , ceux qu'on appela plus tard les petits vieux : Normandie, jadis à Concini, puis à Cadenet, le frère de Luynes, Ile-de-France dit Rambures, Maugeron, Nerestang, Vaubecour, Bellenave, Saint-Luc, Saulx et Chamblay ; possédés alors par les seigneurs de ce nom, ils changèrent dix fois de propriétaires par la suite, sans perdre leur antique prééminence, sans la partager même avec ces régiments de province, dont Turenne était un des colonels. Enfin, au dernier rang, venait la foule des corps de création nouvelle, une centaine en 1640, renaissants et mourants, vendus, réformés, troqués, augmentés et diminués, selon le rang du mestre de camp et selon l'état de ses finances. Dans ceux-là, les mestres de camp sont souverains, nomment leurs capitaines, qui, à leur tour, choisissent les officiers subalternes. Sous les ordres du capitaine et de son lieutenant : l'enseigne, deux sergents et les anspessades dans l'infanterie, le cornette et le maréchal des logis, dans les chevau-légers et les mousquetaires. Dans la cavalerie, les simples soldats étaient supérieurs à ceux qu'on nommait les petits officiers, fourriers et autres, destinés en quelque sorte à exécuter leurs ordres. Un tambour et un fifre complétaient la compagnie de gens de pied, un trompette celle de cavaliers. Le régiment comprenait, sous le mestre de camp, un lieutenant-colonel, un commissaire à la conduite (surveillant civil), un sergent-major (correspondant au capitaine-adjudant-major actuel), un quartier-maître ou maréchal des logis (les troupes, n'ayant jamais de casernes, logeaient chez l'habitant) ; un prévôt et ses archers pour veiller à la police et exécuter les jugements militaires. Le mestre de camp est aussi capitaine d'une des compagnies de son régiment ; un lieutenant la commande en son nom, elle a le pas sur toutes les autres. Autant un homme à cheval l'emporte sur les gens de pied, autant la cavalerie est estimée au-dessus de l'infanterie. Un capitaine de la première est l'égal, en ce temps, d'un mestre de camp de la seconde. Une distance énorme sépare aussi les divers corps de cavalerie les uns des autres. Le carabin n'est rien devant le chevau-léger, qui lui-même est peu de chose devant le gendarme. Le gendarme ou homme d'armes, — on dit Fun et l'autre, — procède directement du moyen âge, il en porte encore le costume superbe : robe ou hoqueton couvert d'orfèvrerie, à la livrée du capitaine, descendant jusqu'à mi-jambes sous sa cuirasse dorée. Au temps de Richelieu, un gendarme représente trois personnes : maitre, écuyer, valet ; les deux derniers, légèrement armés et montés sur des bêtes moins vigoureuses, mais d'un bon secours dans le combat. Le chevau-léger, d'institution récente, sert avec deux chevaux et un homme, le mousquetaire ou le carabin servent seuls. Tous peuvent d'ailleurs entretenir à leurs frais des gentilshommes d'escorte et des serviteurs aussi nombreux que bon leur semble. Dans ces conditions, l'effectif d'une compagnie de deux cents gendarmes comme est celle du Roi, parait considérable. Louis XIII en est lui-même capitaine, il figure en cette qualité sur le contrôle, et reçoit des gages qu'il abandonne au lieutenant ou premier homme d'armes. Vraie sinécure d'ailleurs que la charge de lieutenant, puisque les gendarmes paraissent, en temps de paix, habiter chacun chez eux, aux quatre coins du royaume, l'un en Poitou, l'autre à Nancy, celui-ci à Orange, celui-là à Cahors, le fourrier près de Châteauroux et le trompette à Saint-Amand, en Bourbonnais. Les chevau-légers du Roi ne résident pas davantage. Les princes du sang, les grands seigneurs, les maréchaux, les gouverneurs de province ont également une compagnie de gendarmes entretenus, qui portent leur nom et leurs couleurs et. varie de vingt à cent maîtres. Richelieu avait ainsi, sous divers titres, plus de cinq cents hommes de garde, qui remplissaient ses cours, ses antichambres, et le suivaient jusque chez le Roi. Au-dessous des gendarmes et des chevau-légers venaient,
dans la maison royale, les gardes du corps divisés en quatre compagnies. La vénalité
s'y étant introduite, il n'y entrait plus que des
gens de fort basse condition. Et bien que les capitaines fussent
toujours fort gros personnages, les gardes du corps jouent plus grand rôle à
la cour que dans les armées ; leurs exempts portent les lettres de cachet,
arrêtent les gentilshommes de marque, et quand il s'agit de mener un prince à
Tandis que Louis XIII laissait tomber les gardes du corps et supprimait une autre bande d'élite, celle des cent gentilshommes, si chère pourtant à ses prédécesseurs et si sévèrement tenue que Louis XI en avait un jour renvoyé deux pour être suspectionnés de mauvaise maladie, il avait mis sur pied des cavaliers nouveaux, les mousquetaires, pour l'accompagner dans les camps comme à la chasse. Lui-même en choisissait les soldats ; des ducs et pairs, pour faire leur cour, y enrôlaient leurs fils. A son exemple, le cardinal de Richelieu, le prince de Condé, voulurent en avoir. C'était alors une grande nouveauté de voir montés sur des bidets, des hommes armés de ces lourds mousquets, succédant aux arquebuses, et que les fusils devaient remplacer quarante ans plus tard. On créa pour cette infanterie à cheval un nom nouveau, celui de dragon, et l'on en forma quelques régiments qui, pour combattre, mettaient pied à terre, en jetant la bride de leurs chevaux sur le col de celui de leurs voisins. Une autre innovation, due celle-ci à l'imagination personnelle de Richelieu, fut cette cavalerie hongroise, hongroise de nom seulement, puisqu'elle était levée dans le Périgord et le Rouergue, que le cardinal baptisa ainsi faute de trouver un nom plus idoine. Elle disparut peu après la régence d'Anne d'Autriche et sa suppression fut suivie à la même époque de celle des carabins, cavalerie légère d'éclaireurs et d'escarmoucheurs, dont la vogue avait duré près de cinquante ans. Armés d'un pistolet et d'une longue escopette, à laquelle ils laissèrent leur nom, les carabins tenaient le milieu entre le fantassin et le cavalier. Un capitaine de chevau-légers demandait à lever une compagnie de carabins pour y fourrer tous les valets de sesdits chevau-légers. Un mestre de camp d'infanterie pensait qu'il ne fallait autre chose pour faire des carabins, que camper quelques-uns de ses soldats sur des roussins quelconques. Le vrai défaut de notre cavalerie venait de la faiblesse des chevaux d'alors. Les guerres civiles et étrangères du XVIe siècle avaient épuisé le royaume de grands chevaux ; la race des destriers, de ces chevaux de bataille, qui, revêtus eux-mêmes d'une cotte de mailles, portaient des hommes bardés de fer, était perdue. Si chaque maître n'avait eu plusieurs chevaux à sa disposition il n'aurait pu tenir un mois ; encore la cavalerie étrangère était-elle absolument nécessaire pour faire toutes les fatigues, et permettre à la nôtre, qui n'en était pas capable, de se tenir toujours en état de combattre. Un autre reproche fait à ces brillants cavaliers, était l'anarchie qui régnait parmi eux. Les compagnies n'étaient pas réunies comme dans l'infanterie sous corps de régiment ; elles vivaient isolées, indépendantes les unes des autres, leurs capitaines n'obéissaient qu'au général en chef, Bussy-Rabutin se plaint amèrement des privilèges des gendarmes, et de leurs prétentions plus grandes encore que leurs privilèges ; on en peut dire autant des chevau-légers et des mousquetaires. Qu'il s'agisse des douze vieilles compagnies entretenues, ou de ces compagnies nouvelles de trente, soixante ou cent maîtres, que les Ruvigny, les Bussi-Lameth, Canillac, d'Ayen, Lenoncourt et tant de gentilshommes qualifiés avaient levées durant la guerre, chacun était souverain chez lui. L'autorité du colonel de la cavalerie légère était purement nominale. Tel mestre de camp d'infanterie souhaite, pour être traité différemment du commun, d'avoir aussi deux compagnies de dragons et de carabins ; tel obtient quatre compagnies de chevau-légers en brigade, mais n'est rien de plus que capitaine. On essaya plusieurs fois de donner quelque cohésion à ces effectifs, émiettés sur le champ de bataille ; on forma des régiments de cavalerie qui ne réussirent pas ; on les remplaça par des esquadres de quatre ou cinq compagnies ; aucune de ces tentatives n'aboutit. Nos alliés étrangers nous donnaient pourtant l'exemple ; toute la cavalerie allemande et suédoise de Bernard de Saxe était organisée en régiments et escadrons ; Gassion avait imité cette formation dans un corps de dix-huit cents chevaux ; chez nous, les mots d'escadrons ou bataillons n'étaient encore employés que pour figurer un ordre passager de combat. On n'aurait qu'une idée imparfaite de l'armée française, sous Richelieu, et du développement incroyable qu'elle dut prendre, pour lutter contre la moitié du continent, si, du détail de chaque corps, on ne passait à l'ensemble. Après avoir groupé des hommes à pied ou à cheval, il fallait les lier de manière à en faire des armées. Cette œuvre considérable était déjà bien avancée à la mort de Louis XIII. Le fait dominant de l'histoire militaire de ces trente années c'est la fabrication de l'instrument : armée ; personne en France ne sait trop s'en servir, parce que si les gouvernants font des soldats, il n'est pas en leur pouvoir de créer des généraux ; mais viennent les grands hommes de guerre sous Mazarin, ils en tireront parti. Henri IV, pour l'exécution de ce vaste dessein qui, dans sa pensée, comportait une organisation militaire exceptionnelle, n'estimait pas avoir besoin de plus de trente mille fantassins et quatre mille cavaliers. La régente ne garda que dix mille hommes. Une armée de dix mille hommes de pied et mille cinq cents chevaux était du reste considérée par les bons esprits, comme le maximum de ce qu'exigeait la sûreté de l'État. Même dans les guerres civiles de 1617 à 1620, même devant Montauban, dans la première attaque contre les protestants, l'armée royale ne dépassa jamais douze mille hommes ; ce qui faisait dire dédaigneusement à Richelieu : qu'avant son entrée au ministère, quand le Roi partait de Paris, c'était plutôt en équipage de chasseur que de conquérant. A son arrivée au pouvoir, tout changea ; l'armée monta
subitement à vingt-six, puis à soixante mille hommes. Le cardinal en était
fier : Sans hyperbole, le Roi paye maintenant
soixante mille hommes en son royaume ; et le chancelier disait de son
côté, mais d'un ton épouvanté : Il faudra dorénavant
trouver de quoi entretenir soixante mille hommes de guerre ! C'était
l'année de Mais, au bout de quelques années d'une guerre masquée
contre l'Autriche où Le Roi, il est vrai, dans ses édits, grossissait toujours les chiffres exacts afin que l'exagération du nombre des hommes sous les drapeaux atténuât un peu l'exagération très réelle du chiffre des impôts. De fait, en 1638, le total des troupes, d'après un document précis, monte à cent quarante-six mille hommes répartis entre l'armée active, les garnisons de réserve et l'armée navale. Ces troupes comprenaient cent vingt-trois régiments d'infanterie et quatre cents compagnies de chevau-légers et mousquetaires, En 1648, au moment des victoires de Condé et de Turenne, le nombre des régiments avait doublé. Ce déploiement de forces était nécessaire ; les effectifs ennemis avaient grandi dans la même proportion que les nôtres ; ils les dépassaient souvent. A la mort de Richelieu, ce ne sont plus des poignées de six ou huit mille hommes, tels que les troupes du Pape en Valteline, ou des Anglais à l'île de Ré, que nous trouvons en face de nous, mais des amas de cinquante, cent, cent vingt mille soldats et davantage, qui se précipitent sous la conduite de Mercy et de Jean de Werth. Leurs régiments, moins abondants, étaient plus forts que les régiments français, et la tactique de leurs généraux, qui se plaisaient aux grandes batailles, rendait plus difficile encore aux nôtres la défense d'une frontière ouverte de toutes parts. Si élevé que le nombre des soldats d'alors ait pu paraître aux contemporains, il n'est rien auprès de celui qu'entretiennent aujourd'hui, en pleine paix, les nations d'Europe. Les guerres modernes sont arrivées à ressembler aux incursions barbares où deux peuples se lèvent l'un contre l'autre. Mais proportionnellement au chiffre des hommes en ligne, les expéditions actuelles sont moins meurtrières. On se demandait dans les dernières années de Napoléon Ier, quand la mine de chair humaine semblait près d'être épuisée, combien de temps durait un conscrit, et l'on trouvait qu'en moyenne il ne durait pas plus de trente-six mois. Si les campagnes avaient été aussi longues et aussi remplies au XVIIIe siècle, il aurait certainement fallu renouveler les soldats plus souvent encore. En ce temps, il est telle bataille, comme Lutzen, où meurent de chaque côté plus de dix mille hommes. Les combats livrés par Banner coûtèrent la vie à quatre-vingt mille hommes ; le duc Bernard, battu à Nordlingue par Gallas, laissa douze mille morts sur le terrain. On voit chez nous des régiments, celui de Piémont, par exemple, en 1636, complets au printemps, dont il reste à peine quelques survivants à l'entrée de l'hiver. Les privations, l'absence de service sanitaire, la dureté du vainqueur, l'insouciance du général, même le plus humain, pour la vie de ses soldats, contribuaient à cette mortalité. Gustave-Adolphe avait pour principe qu'il ne faut jamais désespérer d'une bataille, quand elle ne doit coûter que des hommes. |