Composition de l'armée. — Levées de troupes ; commissions, enrôlements ; comment ils sont faits. — Commissions mal ou imparfaitement exécutées. — Départements et lieux de recrutement. — Levées de la cavalerie. — Durée de l'engagement, elle est facultative. — Ce que sont ces soldats ; leur position sociale. — Primes d'engagement, leur valeur. — Régiments étrangers ; traités conclus en vue de leur recrutement. — Incorporation des prisonniers. — Licenciement, sa forme. — La levée en masse. — L'arrière-ban. — Création des milices, ce qu'elles sont sous Louis XIII.C'est de la guerre de Trente Ans qu'est sortie cette armée
moderne, qui dura cent cinquante ans, à qui Louvois devait donner en France
sa forme définitive, mais dont nous voyons, sous Richelieu, la création et
les origines. Cette formation militaire nous parait avoir été singulièrement
facilitée par la nouvelle constitution politique. La conception et le
maintien d'une armée, c'est-à-dire d'une troupe immense de gens, à la fois
redoutables et dociles, que le souverain envoie où il veut, se battre tant
qu'il le veut, et contre qui il lui plaît, est tout à fait conforme à
l'esprit d'un gouvernement absolu et niveleur, comme celui de L'histoire, en général, raconte plutôt la guerre qu'elle ne décrit l'armée ; cependant, l'armée est aussi intéressante que la guerre ; celle-ci est l'œuvre, celle-là est l'outil ; dans l'une comme dans l'autre se révèle l'esprit d'une époque. Mais à regarder le long des siècles, si l'invention de la poudre, puis des armes à longue portée, ont obligé les combattants à s'éloigner de plus en plus les uns des autres, pour se tuer avec moins de péril, là est la seule différence des batailles anciennes ou récentes. Au contraire, les armées, — c'est-à-dire la collection de gens qui se battent, — ont beaucoup changé selon les temps, comme nombre et comme composition. Puisqu'il faut dans la politique faire la part du sang, le
mieux est de la faire la plus petite et la moins cruelle possible. Considérée
sous ce double point de vue, l'armée monarchique, depuis Louis XIII jusqu'à L'armée de la monarchie absolue imposait donc au pays, tout bien compté, une charge moins lourde que l'armée contemporaine ; elle était mieux réglée que l'armée féodale. Près de trois cents ans nous séparent de l'époque que
j'essaie ici de décrire ; l'état moral et matériel de Nous assistons, sous Louis XIII, à cette transformation qui fut profitable à l'armée. A la fin du règne de Henri IV, il n'y a pas en France d'armée permanente ; à moins qu'on ne donne ce nom à cinq ou six régiments d'infanterie, réunis à autant de compagnies de cavalerie, dont les uns ne contiennent que des officiers sans soldats, et dont les autres n'ont que la moitié ou le quart de leur effectif régulier. Sauf le régiment des gardes, les troupes peu nombreuses, qui composent la maison du Roi, et dont il est lui-même le capitaine, et les cavaliers d'escorte des princes et grands seigneurs, il n'y a pas d'hommes en- France dont l'existence se passe, durant la paix, dans des immeubles appartenant à l'État, nourris et payés par lui, pour apprendre le métier militaire, et l'exercer un jour s'il en est besoin. En revanche, épars sur toute la surface de l'Europe, des centaines de milliers de soldats tout faits ne demandaient qu'à louer leur vie, au mois ou à l'année, selon la volonté du preneur. Le soldat est, selon la définition de l'époque, un homme qui, sans être criminel ni philosophe, tue, et s'expose librement à la mort. Lin gouvernement engage des soldats pour livrer quelques batailles, comme un particulier prend des ouvriers pour bâtir une maison. Et comme il ne peut traiter séparément avec chacun d'eux, il passe des marchés avec des entrepreneurs qui s'obligent à fournir un certain nombre d'hommes habillés, équipés, armés. Ce marché se nomme une commission ; celui qui a commission de lever cinquante ou soixante hommes de guerre des plus vaillants et aguerris qu'il pourra trouver, en est le chef, et prend la qualité de capitaine, ce qui veut dire propriétaire d'une compagnie. Et, en effet, cette compagnie est à lui, il peut la vendre, la céder à titre gratuit, la léguer par héritage. S'agit-il de cinq cents, de mille hommes ou davantage, l'entrepreneur s'appelle mestre de camp s'il est Français, colonel s'il est étranger ; et comme il ne pourrait, à lui seul, recruter tant de monde, et que d'ailleurs la constitution de cette troupe, que l'on nomme un régiment, est onéreuse, puisque les armes et bien d'autres objets sont fournis par le chef, le mestre de camp, pour se soulager en la dépense, passe des sous-marchés avec des amis, à qui il donne le droit de commander les compagnies qu'ils auront formées, sous le titre de capitaine. Il n'en garde pour lui qu'une ou deux qui lui appartiennent en propre, avec la prééminence sur les autres. Dans la cavalerie, où les frais sont plus élevés, le capitaine, qui d'ailleurs est souverain, — en ce temps-là il n'y a pas encore de régiments de cavalerie, mais seulement des compagnies indépendantes les unes des autres, — s'applique à rentrer dans son argent, en vendant à d'autres les grades de lieutenants ou de cornettes. Tel est le recrutement de l'armée. Comme tout ce qui touche à l'épée est noble, les entrepreneurs' de soldats sont ordinairement gentilshommes ; la fourniture de guerriers à l'État ne peut jamais rapporter grand'chose, et peut souvent coûter cher. Elle n'a, par conséquent, d'autre but que la gloire, et place, dans l'estime publique, le mestre de camp ou le capitaine au-dessus des autres hommes. L'État, de son côté, tenant à voir aboutir les marchés qu'il passe, s'applique à ne confier de semblables missions qu'à des hommes de choix ; le peuple des soldats ne s'enrôle que sous des patrons qui lui plaisent. Tel lèvera une armée à beaucoup meilleur compte qu'un autre, tel la lèvera pour rien, tel enfin ne saurait assembler, — même à prix d'or, — que des gens sans aveu. En Allemagne, où l'Empereur traite en gros avec ses généralissimes, pour le recrutement, Wallenstein réunit, en moins de trois mois, quarante mille hommes, approvisionnés avec profusion ; le comte de Mansfeld, sans autre fortune que son nom, enrôle vingt mille hommes, qui n'ont, il est vrai, d'autres moyens d'existence que le pillage. Qu'on donne à un habile général quelques districts de pays pour nourrir ses troupes, il saura, en moins de rien, mettre sur pied des régiments formidables. Ainsi pratiqué, le système avait les inconvénients les plus graves ; mais en France, où le pouvoir concédait les commissions en détail à ceux qu'il jugeait capables, il donnait, — quelque bizarre que le fait puisse paraître, — des résultats satisfaisants. Certes, de ces levées autorisées, les unes se faisaient et les autres ne se faisaient pas ; parfois elles arrivaient au lieu du rendez-vous après la conclusion de la paix ; parfois elles ne s'exécutaient que partiellement ; sur mille hommes que porte la commission, on en lève trois cents, desquels encore la moitié se disperse sans servir. Mais le gouvernement s'attendait à ces mécomptes ; quand Sa Majesté lève dix mille hommes de recrues, on ne les tire en ligne que pour six mille. Pour activer le zèle, le ministère évite de remettre la prime d'engagement avant d'avoir constaté la présence des hommes sous le drapeau. Ceux qui, payés d'avance, mettent l'argent dans leur poche sans enrôler personne, ou attendent la fin de la guerre pour engager à bas prix les soldats licenciés des autres régiments, sont d'ailleurs traduits devant les tribunaux et punis sévèrement. Le contraire arrivait aussi ; tel, qui avait exécuté en
conscience sa commission à ses frais, est renvoyé sans indemnité, si le
prince, changeant d'avis, cesse la guerre et n'a plus besoin de ses services.
Un cadet aux gardes s'engage à fournir quarante hommes au duc de Savoie,
pourvu qu'on lui donne la charge de capitaine ; il nomme lieutenant un de ses
amis, qui veut bien accepter cette qualité,
recrute son monde en route et, arrivé à destination, attend des ordres. Comme
on ne lui en donne pas, et que le pays menace de se soulever, si la compagnie
ne s'en va vivre ailleurs, celle-ci se bat pour se maintenir, mais sans
succès ; et, repoussé par L'État, en général, n'était jamais embarrassé du placement de ses commissions. Les capitaines de bonne volonté ne manquaient pas. Cependant, en cas de désastre, ou simplement de panique, comme après Corbie, en 1636, tout le monde mettait la main au recrutement. La ville de Paris, les corps de métiers de la capitale, les gros bourgs des environs, les couvents, le parlement et la chambre des comptes lèvent des troupes à leurs frais, dont ils sont chefs et propriétaires. En pareil cas aussi, on opérait de la façon la plus
sommaire : debout sur les degrés de l'Hôtel de Ville, M. de Jusqu'à lui, chacun recrutait ses hommes à sa guise ; un capitaine s'en vient d'Arras à Paris, pour y faire ses achats de guerriers ; certaines contrées ont la vogue, il y pousse des soldats plus renommés qu'ailleurs ; les bons hommes venant de Gascogne et des Cévennes, il en faudra lever le plus possible en ces quartiers-là. Viennent les longues guerres, la peste et le canon font renchérir la marchandise-soldat ; on ne choisit plus, il faut prendre ce qu'on trouve, et où on le trouve : Arnauld envoie de Philippsbourg, où il tient garnison, un lieutenant et deux sergents qui poussent jusqu'en Bourgogne, restent cinq semaines absents et n'amènent que soixante hommes ; il eût fallu, dit-il, pour faire des recrues, envoyer jusqu'en Bourbonnais et en Rouergue, voyage de plus de trois mois. On ne se contente plus alors d'aller par les villages faire battre le tambour pour allécher les paysans ; le sergent et le capitaine même, — car celui-ci était tenu de faire ses levées en personne, — savaient, par bien des moyens, suggérer le goût de la profession des armes, et l'engagement devenait alors le résultat de l'industrie peu loyale des uns, sur l'ignorance et la crédulité des autres. Ces hommes, venus des quatre points cardinaux, qu'aucun lien n'unissait ni au sol, ni entre eux, formaient vite des troupes excellentes ; aussi le gouvernement hésitait-il à donner au recrutement une base plus régulière, à astreindre, par exemple, certains régiments à se fournir toujours dans les mêmes provinces. Il craignait, selon le mot de Richelieu, que les soldats ne devinssent prébendiers, et ne perdissent le goût de cette vie d'aventure, le fond même de leur métier. Le ministère s'attacha davantage à prévenir les fraudes pratiquées sur une vaste échelle, à établir si bon ordre dans les garnisons, qu'elles fussent effectives dans les places, et non pas seulement dans la bourse des capitaines. Les enrôlements durent être enregistrés par le commissaire à la conduite, en présence de l'intendant, et des habitants de la ville qui voudront y assister et seront les bienvenus. Le commissaire pouvait rebuter les soldats incapables de servir, invalides ou trop jeunes, ou sur lesquels il y aurait quelque reproche notable, sans doute les coquins manifestes. On forçait l'officier et le soldat à dire, l'un, ce qu'il avait donné, l'autre, ce qu'il avait reçu. Peu de chose en général, si l'on parcourt les tarifs du
temps. En les comparant aux chiffres qu'atteignait, il y a quarante ans,
l'achat d'un remplaçant, on verra que de tous les objets commerçables, la vie
humaine est celui qui a le plus augmenté de prix dans notre siècle. Ce qu'on
payait deux mille francs vers 1870, on l'avait en 1630 pour quinze francs de notre
monnaie. C'est, en effet, aux environs d'un écu que l'État achetait ses
soldats ; à ce prix, la municipalité de sa garnison en fournit à Bassompierre
tant qu'il en veut. La prodigalité du duc de Lorraine amena une hausse sur
nos frontières de l'Est ; tandis que nous ne donnions que trois livres dix
sous, il offrait une pistole de sept livres, et le duc d'Orléans achetait des enfants de quinze à seize ans une et deux
pistoles, somme inouïe qu'explique sa situation fausse de prince
révolté. Le prix régulier s'éleva, sur la fin du règne, à douze livres, à
dix-huit même dans les régiments étrangers. Tout compris, levée et armement, la mise sur pied d'un
régiment de six compagnies coûte de A cette époque, le cheval commun valait de 15 à L'alternative de six mois de repos, succédant à six mois de campagne, d'après les mœurs militaires du siècle, donnait lieu au licenciement périodique d'un grand nombre d'hommes. Le ministère payait néanmoins toute l'année, pour des soldats dont il n'exigeait la présence que pendant la belle saison ; mais les capitaines étaient tenus d'employer les deniers revenants bons, comme on disait, à compléter, chaque printemps, l'effectif de leurs troupes. Au fond, cette manière d'opérer, où l'arbitraire avait libre cours, était vicieuse et chère, — les capitaines gagnaient d'autant plus qu'ils avaient moins de soldats. — Elle subsista pourtant assez tard, puisque Vauban, en un temps où Louis XIV entretenait trois cent quarante mille hommes prétend que le Roi gagnerait douze millions à se charger lui-même des recrues. On ne doit pas perdre de vue que l'engagement d'alors n'était pas fait pour une période fixe ; il ne constituait pas, entre le chef et le soldat, un contrat qui les obligeât tous deux ; l'un et l'autre se quittaient à leur guise. Dans une chanson de l'époque, le sergent dit bien au nouvel enrôlé qui, à la première étape, trouve le monde trop grand, et veut rentrer chez lui ; Soldats, que pensez-vous faire ? Avec l'argent reçu Vous irez à la guerre, Ou vous serez pendu.... Les ordonnances spécifiaient aussi que l'engagé devait promettre de servir au moins six mois durant sous son drapeau, au bout desquels on ne pouvait le retenir en temps de paix. Mais, en fait, les pendaisons sans forme de procès aux arbres des grandes routes étaient une peine peu efficace contre la désertion. Celui qui n'avait pas la vocation ne tardait pas à s'esquiver, les autres servaient toute leur vie. Quant aux capitaines qui licenciaient leurs hommes de force, ils n'avaient autre chose à craindre que de les payer plus cher à la campagne suivante. C'est le chef, en effet, qui donnait à ces individus rassemblés de la veille, la cohésion ; le cadre militaire est incarné en lui seul, et c'est justice si le régiment ou la compagnie porte son nom. Qu'il disparaisse, ils se débandent. Le duc de Montmorency, en 1621, amène au Roi six mille hommes ; il tombe malade et aussitôt ses troupes se dissipent et reviennent à rien. Cependant, à ces mestres de camp, à ces capitaines le Roi ne donne pas la moindre garantie. Non seulement on les licencie à la paix, sans aucune indemnité, mais, en pleine guerre, quand un régiment décimé par une campagne pénible se trouvait trop peu nombreux, on renvoyait les officiers en leurs maisons ; quant aux soldats, ils ne pouvaient retourner chez eux, puisqu'ils n'avaient pas de chez eux ; on les versait dans d'autres corps. C'est ce qu'on appelait rafraîchir les troupes. Plus tard, il est vrai, les régiments ainsi détruits pouvaient revivre, la commission qui les avait créés subsistait toujours à l'état de lettre morte ; il ne fallait, pour les rendre à l'activité, qu'un simple avis du Roi au colonel d'avoir, en la plus grande diligence, à remettre sur pied son régiment. Moyennant la promesse de cinq cents livres par an pour les mestres de camp réformés, dont le paiement n'était rien moins que régulier, l'État garde le droit de disposer de ces gentilshommes. A moins pourtant, qu'ennuyés de ne rien faire, ils ne prennent du service à l'étranger, et n'aillent dérouiller leur épée pour le compte d'un souverain ou d'une république quelconque. L'idée de n'admettre dans chaque armée que les nationaux est, on le sait, une idée toute nouvelle en Europe. Au temps de Richelieu, il semblait tout simple de faire faire ses guerres par les meilleurs braves, comme ses tableaux par les meilleurs peintres, sans distinction d'origine. Les généraux de l'Empereur, vers 1625, étaient un Français, le comte de Dampierre, et un Flamand, le comte de Bucquoy. Rohan servit à Venise, L'Aubespine-d'Hauterive en Hollande, le maréchal de CM-linon aussi. Soldats obscurs, chefs distingués, tous, d'où qu'ils viennent,
sont les bienvenus ; on ne peut prendre trop de soin
de contenter ces étrangers qui s'offrent de leur franche volonté au service
du Roi. Il y avait bien le marché de Hongrie et Pologne : cavalerie légère des Cosaques, dont on fit venir quelques milliers, sur le conseil du Père Joseph, malgré les officiers qui traitaient les visions du Capucin de chimériques et dignes des petites-maisons. Là-bas, ni solde, ni vivres, le hasard, le pillage, l'infini... Mais le grand, l'immense marché allemand, gardait sa supériorité du dernier siècle. C'est la place de recrutement du monde. Philippe II d'Espagne avait attaqué les Pays-Bas avec des troupes allemandes, et ils s'étaient défendus avec des troupes allemandes. L'Italie était inondée des lansquenets de l'Empereur. Chez nous, après avoir été jadis prépondérants, ces valets des reîtres ne venaient plus que comme appoint dans nos armées ; les canonniers allemands seuls gardaient leur ancienne renommée. Cette indifférence pour la nationalité des troupes était
générale : Mansfeld, en Hollande, a sous lui treize mille Anglais, mille
Allemands et deux mille Français ; le roi de Suède lève dans Une armée victorieuse ne se renforçait d'ailleurs que trop aisément par les enrôlements volontaires des paysans, dont elle avait brûlé et dévasté les demeures, qui se joignaient à elle pour faire subir à d'autres le même sort, par l'adjonction de compagnies d'aventure, de bohémiens, voleurs de grands chemins pendant la paix, soldats durant la guerre, qui se mettaient à la suite bon gré mal gré. On juge si, dans des conditions pareilles, les généraux se souciaient peu de la moralité ou de la religion de leurs gens. Quelle pouvait être la situation sociale de ces soldats du
règne de Louis XIII ? Dans quelle catégorie humaine peuvent-ils être classés
; d'où sortaient-ils ? Et que devenaient-ils ? En entrant dans la vaste
confrérie militaire, ils oubliaient patrie et famille, comme le novice
entrant au couvent. La plupart quittaient même leur nom pour un surnom, un nom de guerre (l'expression
a survécu). A Nevers, passe un détachement d'infanterie ; qui sont-ils
? c'est le sergent Plusieurs de ces recrues avaient eu sans doute des démêlés avec la justice, d'autres n'avaient pas réussi dans le milieu où ils étaient nés, dans la profession qu'ils avaient embrassée ; beaucoup ne possédaient pas de spécialité définie, comme les laquais, qui s'engageaient en grand nombre et faisaient, parait-il, de bons soldats. Quelques-uns étaient les enfants de la balle, nés dans les camps, où ils avaient servi comme goujats, avant de porter le mousquet, faisant pour de l'argent force travaux périlleux ou pénibles, que les soldats ne voulaient point accepter. Car les soldats de ce temps le portaient très haut. Sana parler des cavaliers, que l'on appelait des maîtres, qu'un ou deux serviteurs accompagnaient, les simples fantassins ne faisaient aucun de ces ouvrages serviles auxquels ceux d'aujourd'hui sont employés, et qu'ils eussent regardés comme dégradants. Il y avait pour toutes ces besognes des valets d'armée, qu'une ligne de démarcation profonde séparait des véritables soldats. Les seules corvées dont ces derniers prenaient leur part étaient les travaux purement militaires : retranchements, fossés, etc. Ceux-là, pour mieux en faire ressortir la noblesse, les mestres de camp défendirent parfois aux goujats d'y mettre la main : — Quoi, dit Arnaud, donnant des coups de canne au valet d'un capitaine qui avait porté la hotte à la tranchée, quoi vous êtes un valet de chambre, et vous êtes assez hardi de faire le métier des soldats ! En ouvrant les hostilités contre l'Espagne, Louis XIII donnait pouvoir à tous ses sujets d'entrer avec force esdit pays, assaillir les villes, prendre les habitants prisonniers, les mettre à rançon, etc. Cette formule terrible, au parfum barbare, restait lettre morte au XVIIe siècle. Dans les moments d'épouvante, on décrétait la levée en masse, ressource suprême de tous les temps. Sa Majesté, jugeant que chacun doit quitter de bon cœur toute occupation pour prendre les armes en une occasion si urgente, enjoint de cesser le travail partout... Cette mesure grandiose et exceptionnelle n'eut d'ailleurs aucune suite, parce qu'elle répugnait aux idées de l'époque. On préférait, — était-ce un tort ? — demander à la population pacifique de l'argent pour entretenir la population belliqueuse, seule capable de rendre des services. Ainsi, on décrétait l'appel général, sous les drapeaux, de tous les huissiers du pays, et quelques jours après, on leur permettait de s'exempter en fournissant un homme à leurs frais, ce qui revenait à établir un impôt sur les huissiers. Les seuls contraints de partir en guerre, à cette époque,
étaient les possesseurs de fiefs. Nous en avons parlé dans un ouvrage
précédent[1] ; nous avons
montré à quel point cette levée féodale était démodée, et combien était vain
le service qu'on en pouvait espérer. Ceux qui n'avaient pas voulu attendre
l'obligation de l'arrière-ban, étaient déjà sur les champs de bataille ; ceux
qui ne s'y étaient pas rendus de plein gré, ne purent y être conduits de vive
force. En Poitou, M. de Parabère avait levé les plus
signalés et les plus riches des gentilshommes. M. du Rivau avait glané
une deuxième troupe. Quand vint l'appel des retardataires, il se présenta si
peu de monde, — à peine soixante-dix hommes en mauvais équipage, — que le
marquis de Royan demandait à la cour s'il fallait
partir avec eux, ou attendre pour voir s'il en viendrait d'autres. La
plupart de ces guerriers sans enthousiasme se débandèrent au premier rendez-vous, comme eussent pu faire de simples
soldats qui n'auraient ni courage ni honneur. Pour les électriser, le
Roi ne les prend pas par les sentiments, mais par les intérêts ; il clôt ses
instructions au duc de Longueville sur l'arrière-ban normand, en lui disant :
Je ne veux pas omettre de vous dire que j'ai fait
donner un arrêt, en mon conseil, pour confirmer la noblesse de Normandie en
son privilège de vendre le vin et le cidre de ses terres sans payer les
droits.... Mais tout effort de persuasion était inutile sur des
roturiers propriétaires de terres nobles, qui se refusaient à voir dans le
service militaire une des servitudes actives de leurs immeubles. On voit
comparaître au bailliage de Bourges et insister pour être exempts, quoique
seigneurs de fiefs, des meuniers, des avocats, des greffiers, des bourgeois,
des marchands, des médecins, des petits fonctionnaires, qui n'admettent pas
l'assimilation établie entre eux et les hommes d'épée. Il existait néanmoins, dans toutes les villes de quelque importance, une sorte de garde bourgeoise, régulièrement constituée, avec des chefs, des armes et des munitions. Presque partout aussi florissaient des compagnies municipales de tir, distribuant des prix en des concours annuels, et dont les membres, estimés de leurs concitoyens, se rendaient expérimentés pour la défense de la ville et du pays. L'usage était, en cas de siège, d'armer tous les habitants valides. Mais nul n'eût osé prétendre faire sortir ces sédentaires de leurs remparts. Les paysans, à l'abri de ces corvées urbaines, avaient des obligations de police rurale, rares battues militaires, qui n'occasionnaient qu'un faible dérangement. Il n'en était pas de même des travaux de terrassement, que l'on imposait, lors des blocus, aux paroisses environnantes, soit pour faciliter l'attaque de la ville, soit pour en raser les murs, après capitulation. Chaque commune, taxée à un chiffre déterminé de manœuvres, devait les payer de ses deniers ; la petite ville de Mézin, en Languedoc, fournit cent cinquante pionniers pour démolir les fortifications de Nérac, vingt-deux pour celles de Valence, huit pour celles de Montauban, soixante pour celles de Lavardac. La bourgade riche faisait un accord avec des maçons qui se chargeaient du travail ; les paroisses pauvres se cotisaient pour payer les deux ou trois manœuvres exigés. L'État s'habitua peu à peu à ces réquisitions sur les municipalités et les trouva douces. Il transforma plus d'une fois ces auxiliaires en soldats véritables, les chargea de ruiner la campagne autour des places, ce qu'on nommait faire le dégât ; puis les arma, toujours bien entendu aux frais des caisses communales. L'épreuve ayant réussi, on fut tenté, sous Richelieu, de
généraliser ce système ; on délivra un peu partout des lettres de capitaine du plat pays à des gentilshommes. Ceux-ci
voulurent forcer les campagnards à s'acheter des armes, soulevèrent de
violentes protestations, et furent aussitôt désavoués. Mais, pressé par le
besoin de troupes, vers Leur création remonte donc au règne de Louis XIII ; seulement cette conscription n'est qu'un subside d'argent fourni par les paroisses à l'État ; ce n'est pas un service imposé à quelques individus. Les miliciens étaient des volontaires recrutés par les communes, au lieu de l'être par le gouvernement ; on s'enrôle dans la milice comme dans l'armée régulière ; mais c'est la municipalité qui paye les primes. Comme toutes les levées, celles-là sont plus ou moins chères, selon les temps et les lieux. Ordre est donné par le Roi aux tribunaux des élections, aux maires ou échevins, de fournir tel ou tel nombre d'hommes de seize à quarante ans, selon le chiffre des paroisses et des habitants. On demande à l'élection de Bourges trois cents miliciens, autant à Roanne et à Saint-Étienne, quatre cents à Montbrison, la sénéchaussée de Quercy envoie cinquante-trois hommes recrutés par ses vingt-neuf communautés ; celle de Rodez en envoie trois cents ; celle d'Agen quatre cents. Conduits par un marguillier au lieu de rendez-vous, les soldats y sont enrégimentés, et leur syndic les remet entre les mains des capitaines qui les mèneront au feu. Armés, équipés, soldés par les communes, ces troupes ne reçoivent que le pain de munition aux dépens du Roi, mais si elles ne coûtent pas cher, elles ne rendent en revanche qu'un faible service ; et le ministère s'empresse de les licencier toutes les fois que la province à laquelle elles appartiennent, consent à donner en échange les fonds nécessaires pour entretenir des régiments plus sérieux. |
[1] Voyez La noblesse française sous Richelieu, p. 40 et 261. (1 vol. in-18°, Librairie Armand Colin.)