Le pouvoir royal prescrit la concorde et protège les réformés. — Charges et emplois auxquels ils sont admis. — Subvention de l'État au culte protestant ; elle égale ce qu'il reçoit de nos jours. — Souscriptions publiques pour les temples. — Dons et legs particuliers. — Traitement des pasteurs. — Consistoires, leur administration ; baptêmes, mariages, cimetières. — Colloques et synodes. — Obligations des ministres vis-à-vis de l'État. — Suppression des villes de sûreté ; l'exercice public du protestantisme. — Tentatives politiques et financières de Richelieu pour la conversion des dissidents.Le même homme qui, à Les catholiques étaient enclins à tout empêcher, les curés
toujours prêts à se plaindre ; le premier ministre, quoique poussé, sollicité
sans cesse contre les protestants, ne céda presque jamais. C'est en vain
qu'on lui demande de supprimer tel prêche, d'interdire dans tel village le libre exercice de Les tribunaux défendent aux orthodoxes d'appeler les protestants hérétiques ou huguenots ; ils interdisent à ces derniers d'appeler les catholiques adversaires de l'Église, et de se qualifier eux-mêmes de religion catholique et apostolique. Ce n'est pas là l'égalité de traitement, ni la pleine liberté ; mais un modus vivendi très supérieur à tout ce qui existait alors sur la surface de la terre : le droit de vivre, laissé par l'État à l'opinion qu'il ne partage pas. Le pouvoir central était du reste plus tolérant que les pouvoirs locaux ; il est plus facile aux réformés de devenir conseillers de parlement que maîtres tailleurs ou contrôleurs des gabelles. Au présidial d'Alençon, sur treize officiers il y en a huit protestants, sans parler de deux conseillers honoraires. Le Roi fait des huguenots maréchaux de France, les assemblées rurales ne veulent pas même en faire des procureurs fiscaux ; les villes où ils sont en minorité ne leur accordent dans le consulat ou l'échevinage qu'une représentation dérisoire, ou la leur refusent tout à fait. C'est le cas en Dauphiné, en Provence. Les réformés, qui trouvent mille difficultés dans les moyens ordinaires, se jettent avec empressement sur les lettres de maîtrises extraordinaires, vendues par le Roi. Singulier contraste ; ici l'absolutisme protège la liberté commerciale. Plus tard, sous Louis XIV, c'est le gouvernement qui prendra l'initiative des mesures restrictives ; il exigera des professions de foi catholique pour sacrer un huissier, ou ordonner un procureur. Sous Richelieu, au contraire, il prête à l'Église dissidente un appui moral et matériel, dans la limite fixée par les lois. Il défend, par exemple, de vendre des ouvrages de théologie protestante, s'ils ne sont approuvés par les délégués des synodes. Non seulement les pasteurs étaient exempts de taille,
comme les autres ecclésiastiques de France, mais l'État contribuait par une
subvention annuelle de Les chambres de l'Édit, tribunaux composés de membres des deux cultes, faisaient respecter les legs et les donations innombrables dont les réformés gratifiaient les anciens de leur consistoire et qui, depuis les plus minimes oboles jusqu'aux opulentes successions, servaient à l'entretien des ministres de la parole de Dieu, des aspirants et proposants au saint ministère, à l'édification d'un temple, à l'achat d'un cimetière pour la sépulture de ceux de la religion. Aux subventions officielles, aux dons et legs
particuliers, s'ajoutaient le produit des collectes faites en Hollande, en
Suisse et en Angleterre, et celui de l'impôt paroissial dont les consistoires
dressaient des rôles, approuvés par les magistrats, et déclarés exécutoires comme pour les deniers royaux. Chaque église, en
choisissant un pasteur, faisait avec lui un traité ; il n'y avait donc rien
de fixe dans le chiffre du traitement, proportionné aux ressources du
consistoire et aux demandes des ministres. Ceux-ci reçoivent de 300 à On sait que cette personnalité civile, si chichement accordée par les gouvernements modernes aux associations, quelles qu'elles soient, était encore de droit commun au XVIIe siècle ; les protestants étaient les premiers à en profiter : leurs consistoires représentaient nos curés, leurs colloques nos évêques, les synodes généraux tenaient la place de Souverain Pontife, ordonnaient des jeûnes nationaux qui devaient être exécutés partout en même temps, et prononçaient des excommunications. Les laïques et les pasteurs administraient de concert. Les anciens, membres laïques du consistoire, étaient promus à cette charge avec une solennité qui ne différait pas beaucoup — y compris l'imposition des mains — de celle que l'on mettait à consacrer les pasteurs. Les pasteurs eux-mêmes n'étaient que les présidents et non les chefs des consistoires ; ils n'avaient, ni au temporel, ni au spirituel, une autorité plus grande que celle de leurs collègues, le calvinisme reposant principalement sur la discussion et l'égalité, comme le catholicisme sur l'autorité et la hiérarchie. Les synodes nationaux siégeaient successivement dans
chaque province. Cette assemblée choisit un modérateur (président), un adjoint, un pasteur et un
scribe. A ses délibérations assiste un commissaire royal, de la religion
réformée ; ce que les auteurs protestants considèrent à tort comme
une mesure vexatoire, puisque le Roi est également représenté par un homme à
lui, dans les réunions d'évêques députés par tout le clergé du royaume.
Richelieu, tolérant en fait de doctrine, demeure despotique et un peu méfiant
en fait d'administration ; il paye les frais du synode de Charenton (1631), ce qui ne s'était jamais fait encore,
mais il indique les députés généraux qu'il désire
voir nommer, au lieu d'en laisser le libre choix à la réunion. Il
défend la communication des synodes entre eux, et interdit les consistoires fortifiés des chefs de famille. Chaque
paroisse — ou comme disent les réformés : chaque église — est administrée par
un consistoire. L'un des membres gère les deniers
des pauvres, l'autre la subvention du
ministère ; un troisième inscrit sur les registres les baptêmes, les
mariages et les décès. Chaque consistoire a son livre des censures, où il
consigne les blâmes infligés à quelques fidèles : ce ménage sera averti de hanter les prédications un peu plus qu'il
ne fait. Un mari et une femme qui se sont séparés seront invités à se remettre ensemble. On députe
deux anciens à une dame, pour tâcher de vaincre son
cœur impénitent, et lui faire sentir ses fautes, la menaçant de la retrancher
du corps de l'église, comme un membre pourri. Un tel est admonesté pour avoir assisté à un ballet, ou pour avoir dansé publiquement. Mlle de Montcamp est priée de se réconcilier avec Mme de Montcamp, sa
belle-mère, ou de ne pas participer à la cène de l'église de Layrac, ni lieux
circonvoisins qui sont prévenus. Les reproches sont plus vifs quand
ils touchent aux matières religieuses : un coreligionnaire a-t-il épousé une papiste dans le temple
des idoles ; a-t-il accompagné un parent à la
sépulture des superstitieux ; a-t-il mis son fils au collège des
Jésuites, il est menacé d'être retranché du corps des fidèles, traité
d'apostat, et tenu de faire réparation publique pour témoigner son repentir. Le culte extérieur des calvinistes français différait beaucoup, dès cette époque, de celui des protestants allemands, hollandais ou anglais. Ceux de France communiaient debout, pendant que l'on chantait des psaumes ; tous gardaient leur chapeau sur la tête durant le sermon et les lectures, ils l'ôtaient seulement pour les prières. La recherche de la simplicité était la préoccupation dominante ; les protestants, dans tous les testaments que nous avons eus sous les yeux, insèrent cette clause : qu'ils veulent être enterrés sans cérémonie, et le plus simplement que faire se pourra. On présentait même rarement les cercueils au temple. La question des cimetières fut cependant des plus difficiles à résoudre ; les huguenots prétendaient inhumer leurs morts dans le cimetière catholique, ce que les édits avaient formellement défendu, — le protestant défunt fût-il seigneur de la paroisse, — et les catholiques mettaient partout beaucoup de mauvaise grâce à fournir aux dissidents, selon la teneur des mêmes édits, un lieu convenable pour leurs inhumations. Les réformés, repoussés par les autorités locales, furent quelquefois forcés d'enterrer leurs parents dans les champs ; la masse des procès et des querelles à ce sujet montre que les défunts furent les derniers à profiter de la tolérance dont les vivants étaient parvenus à jouir. Ce n'est pas, à vrai dire, que l'exercice du culte protestant
se fit partout sans contestation. Avec La jurisprudence est si variable d'une année à l'autre et d'une province à sa voisine, qu'on a sous les yeux le pour et le contre, dans chaque cas particulier ; ce qui ressort d'un examen général, c'est que les petites justices sont plus exclusives que les grandes, les parlements moins impartiaux que le gouvernement, et que dans le gouvernement Richelieu est de tous le plus libéral. Sauf en un cas : vis à-vis des huguenots étrangers. On proscrivit les ministres qui n'étaient pas d'origine française. Les deux pasteurs de Charenton étaient l'un de Genève, l'autre de Sedan ; l'édit de Nantes avait laissé toute liberté là-dessus. Reste à savoir si cette restriction, qui fut la seule, était excusable, au moment où nous cherchions à développer l'esprit national chez nos compatriotes dissidents. En 1623, le Roi avait fait connaître au synode général ses intentions pour l'avenir : les droits acquis seraient respectés, les étrangers reçus ministres resteraient, mais il fut défendu d'en nommer d'autres. L'interdiction fut renouvelée plusieurs fois ; on y joignit la défense aux ministres français de sortir du royaume, aux consistoires de céder, même à titre temporaire, des ministres aux républiques et souverainetés étrangères, sans la permission royale. On a vu précédemment que Richelieu s'attribuait les mêmes droits sur le clergé catholique, que le Roi se jugeait libre de prohiber aussi bien l'importation que l'exportation des religieux ; l'extension de ces procédés aux huguenots était à ses yeux l'exercice de son absolue autorité sur le territoire. Cette autorité même, le cardinal en usa peu avec les
réformés. On trouverait bien quelques faits de pression destinés à procurer
des pensionnaires à l’hôtel des nouvelles
catholiques, dirigé par Mme de Combalet ; des enfants enlevés par
l'ordre du Roi à un père protestant, qui veut les
empêcher d'embrasser notre religion ; mais le plus souvent c'est par
des cadeaux et des promesses qu'il tâche de les ramener. Un père Athanase,
Capucin, convertit un M. le marquis de Il est plus facile de ruiner les
huguenots en gagnant les ministres, que par des armées, écrivait au
cardinal un de ses affidés. Il ne négligea rien de ce côté : on fit un pont
d'or à ceux qui voulurent abjurer. Une taxe annuelle fut établie sur tous les
ecclésiastiques du royaume, pour l'entretien et pension
des ministres convertis. Ces pensions furent, insaisissables, même
pour dettes ; ce qui, dit un auteur protestant, ouvrait
une belle porte à la friponnerie des endettés. C'était le cas dans le
nord et le centre de Quant à ces conférences qui mettaient aux prises pendant huit et quinze jours de suite, sous la présidence de gens considérables — de maréchaux de France parfois, — les champions des deux cultes, elles ne produisaient pas grand'chose, à moins que les résultats n'en fussent négociés au préalable. Le cardinal, comme les grands manieurs d'hommes, croyait tout possible avec l'adresse et l'argent. Il rêva de mettre fin au schisme, en France, au moyen d'un congrès monstre, machiné par ses soins, où des ministres gagnés d'avance se seraient convertis en masse, paraissant se rendre à l'évidence des arguments dont plusieurs docteurs de Sorbonne les pénétreraient. Il travailla au succès de cette combinaison, d'une part
avec Lescot, son confesseur, — Saint-Cyran, qu'il avait voulut embaucher,
répondit que ce n'était point la voie du Saint-Esprit mais plutôt celle de la
chair et du sang, — d'autre part avec La bonne foi de Richelieu est au contraire incontestable ;
il ne se serait pas amusé à une jonglerie. Il tenta même de faire entrer le
pape dans ses vues, et lui demanda des concessions sur certains points comme
les indulgences et l'autorité des conciles. Cette attitude, quoique fort critiquée,
ces espérances, naïves sans doute, n'en sont pas moins honorables pour
l'homme qui avait pris |