La liberté de conscience est une nouveauté. — L'intolérance est le droit
commun de l'Europe. — Politique étrangère en matière religieuse. — Chacun
favorise les dissidents des États voisins. — Sentiment religieux très vif :
confréries, observation des préceptes de l'Église. — Abus dans le culte des
images : superstitions, sorcellerie. — Le peuple est intolérant ; le
gouvernement est modéré. — Loi sur les blasphémateurs. — Les athées et les
Juifs.
La monarchie absolue n'était pas, de nature, hostile à la
tolérance religieuse. En Europe, par sa politique extérieure, Richelieu fut
le propagateur intéressé de cette tolérance ; en France, il fût l'un de ses
plus sincères champions. L'effort de la raison qui -fait vivre en paix, dans
une même âme, une ardente conviction personnelle et un profond respect des
convictions d'autrui, n'est guère à la portée de la foule. Les masses sont
plus intolérantes que les despotes ; elles ne se plaisent pas dans cet état
moyen, aussi éloigné de la persécution que de l'indifférence, qui est
l'apanage de quelques esprits élevés ; elles passent sans transition d'un
extrême à l'autre, et n'arrivent à la liberté de conscience que par le
scepticisme, parce qu'elles ne supportent la contradiction que sur les sujets
qui ne les intéressent pas.
Le pays où l'édit de Nantes avait été promulgué et était
honnêtement pratiqué marchait, on peut le dire, à la tête des nations dans la
voie de la liberté religieuse. Le droit commun du monde entier, c'était en
effet l'intolérance. Tout autour de nous, dans les États les plus civilisés,
la foi du plus
grand nombre proscrivait impitoyablement les opinions dissidentes.
Les catholiques demeuraient à Genève par souffrance,
mais n'avaient pas le droit de s'y marier ; l'exercice de la religion romaine
était défendu dans toute l'étendue de la Hollande. En
Allemagne, depuis la paix d'Augsbourg, tout membre séculier de l'Empire
pouvait déclarer unique, sur son territoire, la religion qu'il professait, et
interdire l'exercice du culte à la communion rivale. Il n'y manquait pas ;
les seigneurs catholiques de Bohême contraignaient leurs vassaux à aller à la
messe, et, s'il faut en croire Schiller, des chiens dressés à cet usage les y
faisaient aller de force. Ajoutons que les luthériens, là où ils étaient les
maîtres, opprimaient non seulement les catholiques, mais aussi les
calvinistes. Deux fois, en soixante ans, le Palatinat fut contraint d'embrasser
les doctrines de Luther, et deux fois de les abandonner pour celles de
Calvin, toujours par les moyens les plus violents et les plus injustes.
L'éducation du prince Palatin, âgé de neuf ans, est confiée par son tuteur
calviniste à des ministres de cette secte, avec ordre d'arracher de l'esprit de leur auguste élève les hérétiques doctrines
de Luther, par tous les moyens possibles, sans
en excepter les coups de bâton.
Sous le rapport de la liberté des cultes, l'Angleterre
était plus dure encore que la
Moscovie ou la Turquie. Bannissement
et, en cas de récidive, condamnation à mort des prêtres officiant dans le
royaume ; lourd tribut imposé aux papistes
comme à des esclaves, telle était la législation britannique. Le roi
d'Angleterre déclarait ouvertement qu'il se souciait
peu que l'on dit des messes dans son État, pourvu qu'il demeurât paisible.
Mais le peuple ne l'entendait pas ainsi, et ce ne fut que par un article
secret de son contrat de mariage que la sœur de Louis XIII, en épousant
Charles Ier, obtint la faculté d'avoir une chapelle dans son propre palais.
Les catholiques en Angleterre forment un parti, comme les protestants en
France. Avec le système d'une religion d'État qui poursuivait toutes les
autres, les minorités se comptent, s'unissent, s'arment au besoin pour se
défendre. Le roi de France protège les catholiques anglais ; le roi
d'Angleterre protège les huguenots français, le tout, non par religion, mais
par intérêt temporel. D'un autre côté, ces partis eux-mêmes deviennent plus
politiques que religieux ; le conseil d'Angleterre fait
plus de cas des protestants français que de l'Irlande. Le cabinet de
Paris cherche à gagner les catholiques d'Outre-Manche, en établissant pour
eux des séminaires de Jésuites en Normandie, en Champagne. Toutes les nations
en faisaient autant : les Espagnols, qui se prétendaient bien autrement pieux
que nous, subventionnaient à l'occasion nos huguenots, comme nous
subventionnions les huguenots d'Allemagne.
L'Europe allait faire peau neuve
; elle était en gestation des nationalités qui devaient transformer non
seulement sa carte, mais son esprit. Les intérêts laïques, subordonnés au
moyen âge aux sentiments religieux, entrent désormais en lutte avec eux ; on
voit de singulière contradictions. Tout en demeurant fils acné de l'Église,
le roi de France est allié du Turc ; il est vrai qu'il laisse encore les
chevaliers de Malte, ses sujets, guerroyer contre le successeur de Mahomet
qu'il traite en ami. C'est un mot de novateur que celui de Richelieu, en
1617, disant qu'il n'est nul catholique si aveugle
d'estimer, en matière d'État, un
Espagnol meilleur qu'un Français huguenot. Ce n'était pas là l'opinion
du peuple, du peuple qui, pendant la
Ligue, menaçait de mettre en pièces le premier président du
Parlement de Normandie, parce qu'il avait osé proférer les mots de pardon et
de tolérance. N'avoir qu'une seule religion, comme
on était sous le gouvernement d'un seul maître, était l'idéal
politique de la foule.
Ce n'est pas elle qui eût demandé au Concile, comme le
firent en plein XVIe siècle les Guise, les Montmorency, des évêques et des
cardinaux, que les sacrements fussent administrés en langue vulgaire, que les
psaumes et les prières fussent chantés en français, que la communion sous les
deux espèces fût permise, et même que le mariage des prêtres fût autorisé.
Les concessions que sollicitaient les membres les plus orthodoxes du conseil
privé, que de graves prélats acceptaient, dans l'intérêt de l'Église, eussent
révolté le populaire. Il eût vu d'un aussi mauvais œil la réforme du culte
des images et reliques, celle des confréries. Ces confréries sont l'honneur
de la cité ; le capitaine ou le recteur qui les dirige sont gens
considérables. Animées de l'esprit fier mais exclusif des temps féodaux,
elles ont toutes leurs droits et leurs prétentions irréconciliables. Dans une
seule ville, la confrérie du Saint-Esprit composée des bourgeois, celle du
Saint-Sacrement, de la
Sainte-Vierge, de Saint-Joseph pour les tonneliers,
charpentiers et maçons, des saints Crépin et Crépinien pour les cordonniers
et tanneurs, de Sainte-Élisabeth pour les épiciers, du Saint-Suaire pour les
tisserands, et dix autres, se disputent la prééminence. La dévotion, dans les
masses, était générale quoique peu éclairée ; la
plupart des chrétiens ne le sont que de nom, disait l'évêque d'Orléans à
l'Assemblée du clergé, il faut remettre la foi dans l'âme des peuples ; à
cela serviront les catéchismes.
Mais d'instinct la France était passionnément catholique ; c'est
avec enthousiasme que fut exécuté partout le vœu de Louis XIII (1637) recommandant de dédier à la Vierge la principale
chapelle de toutes les églises. Le baptême d'un mahométan, d'un bohémien,
d'un infidèle, était un événement important, une réjouissance publique. On y
procédait très solennellement ; c'était à qui serait parrain ou marraine.
C'est le bas peuple encore qui se montre intraitable sur la stricte
observation du dimanche et des innombrables fêtes chômées dont l'autorité
ecclésiastique serait disposée à restreindre le nombre. Le paysan qui eût
travaillé ce jour-là, avec l'autorisation de son curé, mais sans celle du
procureur fiscal, eût encouru une peine de police. De même pour
l'abstinence du carême, pendant lequel un boucher spécial était exclusivement
chargé de débiter la viande aux malades et aux infirmes. Richelieu aurait
spéculé volontiers sur la piété nationale, lorsqu'il proposait au Souverain
Pontife d'accorder une indulgence plénière à tous
ceux qui donneraient 20 sous pour le siège de la Rochelle.
Sa Sainteté n'y
voulut point consentir : Le Concile de Trente ayant expressément
retranché ces concessions, qui avaient tant donné d'occasion aux hérétiques
de parler et élevé Luther contre l'Église. C'est la pente naturelle
des petits esprits de chercher les petits côtés dans les grandes choses : la
superstition naissait, non de la piété, mais de l'ignorance.
Les gens de Béarn venaient faire des serments sur l'autel
de saint Antoine de Navarreins, sous prétexte que les récoltes n'étaient pas rentrées
; un cabaretier de la rue Montmartre représentait sur son enseigne, sans
penser à mal, la Tête-Dieu. Le curé de
Saint-Eustache, pour la faire ôter, dut obtenir une condamnation contre ce
paroissien. Les grandes dames envoyaient à la statue de la sainte Vierge, ou
lui laissaient par testament, une de ces belles robes de toile d'argent et
d'or dont elles avaient tout plein dans leurs
armoires. Les singularités étaient parfois un peu fortes, puisque le
Saint-Siège dut sévir afin que les choses exposées
aux yeux des fidèles ne leur donnent point matière de scandales.
Urbain VIII défendit expressément de faire des
images taillées ou peintes de Notre-Seigneur, de la bienheureuse Vierge
Marie, des anges, apôtres et autres saints et saintes, de les peindre ou
vêtir d'une autre sorte et forme d'habit que celui que l'Église a accoutumé.
L'autorité ecclésiastique eut à s'occuper également des reliques dont on
faisait commerce, et que de bonnes âmes dérobaient même sans scrupule ; les
populations y étaient si attachées qu'une émeute violente éclata en Provence
pour empêcher le Parlement de donner au Roi un fragment des reliques de
sainte Madeleine.
Tout cela n'allait point sans quelque superstition, ni
sans une ombrageuse susceptibilité envers tout ce qui sentait l'impiété. Les
procès de sorcellerie étaient bien vus par l'opinion. Gaufridi, à Aix,
Grandier, à Loudun, prouvent qu'il était encore fort possible de faire monter
sur le bûcher un particulier suspect de sortilèges. La protestante Angleterre
n'était pas moins ardente sous ce rapport que notre catholique patrie ; des
deux côtés du détroit, la populace était toujours prête à faire un mauvais
parti à celui qu'elle tenait pour magicien.
En 1660, la municipalité d'un petit bourg du Languedoc décide, après grave
délibération, de faire venir le connaisseur des sorciers, résidant dans une
ville voisine, afin de faire la visite des sorciers
enfermés dans la prison communale. Les tribunaux supérieurs étaient moins
crédules : le parlement de Paris condamne à être pendus des officiers de la
justice de Bragelogne, qui avaient torturé et fait mourir une femme accusée
de sorcellerie. En lisant les pièces du procès le plus célèbre de ce temps,
celui du curé Grandier, qui fut brûlé vif, on voit que le public éclairé
n'est pas trop convaincu, et que les juges le sont encore moins. Richelieu
lui-même en plaisante et la postérité sait que le crime, s'il exista, n'est
pas d'une espèce surnaturelle.
Pour le blasphème, pour le sacrilège, les lois sont moins
sévères que les mœurs ; le pouvoir est plus indulgent que la nation. Le tiers
état insiste, en 1614, pour obtenir le renouvellement de l'ordonnance de
saint Louis contre les blasphémateurs, et l'application du traitement qu'elle
infligeait : percement de la langue, lèvres fendues. Un particulier proposait
d'établir des commissaires spéciaux pour recevoir les plaintes et
dénonciations. Au contraire, le gouvernement se contentait d'une amende de 50 livres pour la
première fois, de 100
livres et huit jours de prison pour la seconde. Deux
écoliers protestants qui ont reçu indiscrètement le
Saint-Sacrement de l'autel, ne sont condamnés qu'à 1.200 livres
d'amende et au bannissement de Paris pendant trois ans. Cent ans avant, ils
auraient payé de leur tête un semblable attentat. Il y avait certes des
peines portées contre les athéistes, ou autres
innovateurs ; seulement on ne les appliquait pas. Les seuls un peu
maltraités étaient les Juifs ; mais quelle distance n'y a-t-il pas entre ces
pauvres créatures de la loi judaïque au moyen âge et les recherches du judaïsme sous Louis XIII ! Celles-ci
n'ont pour but que de tirer des Israélites, sous forme d'impôt, une rançon
légère que l'État n'ose pas inscrire au budget sous son vrai nom, et qu'il
intitule : Somme
offerte par quelques marchands portugais,
habitant à Rouen. Il faut se souvenir qu'en ce temps-là le chiffre de
la population se calculait d'après le nombre des communiants. Les
protestants, à cet égard, étaient aussi intolérants que les catholiques,
partout où ils étaient les plus forts.
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