Rapports du gouvernement français avec la cour de Rome. — Libertés de
l'Église gallicane. — Le patriarcat de Richelieu et la menace d'un schisme. —
Le Sacré Collège et les cardinaux nominés par le Roi. — Immixtion du pouvoir
civil dans la nationalité des supérieurs de couvents et des religieux ;
injonctions aux prédicateurs. — Rôle de l'Université et de la Sorbonne. — Autorité
et empiétements des parlements. — Appels comme d'abus. — Relations du pouvoir
spirituel avec les tribunaux inférieurs. — Monitoires et publications Iniques
en chaire. — Immixtion du clergé dans la politique : confesseurs du Roi ;
côté civil des sacrements. — Les assemblées du clergé, et ce qui lui reste
d'autonomie.
La séparation de l'Église et l'État, qui depuis hier est
dans les lois, est depuis de longues années dans les mœurs. Elle date de la Révolution française.
Le jour où la religion catholique a cessé d'être religion d'État, les
rapports séculaires de l'État et de l'Église cessèrent d'exister, aussi bien
sous la République
que sous l'Empire, ou sous les monarchies qui l'ont suivi. L'exposé seul de
ces anciens rapports, exhumés par l'histoire, choque au même degré les
catholiques et les libres penseurs.
Ne regrettons pas l'ancien ordre de choses : l'État en a
peu profité ; l'Église en a beaucoup souffert ; plus souffert même qu'elle
n'en a joui depuis les derniers siècles. Ne vit-on pas, au milieu du concile
de Trente, Henri II se brouillant avec le pape Jules III à cause de Parme et
des Farnèse, défendre aux évêques français de prendre part au concile ?
L'histoire ecclésiastique n'est pleine que des difficultés que suscita la protection
autant que la persécution
des rois. Quelle affaire que de perdre ou de mériter l'honneur
de leurs bonnes grâces ! Mais quel malheur pour le bien de la religion
que l'importance de ces bonnes grâces laïques
! On a remarqué que l'Église est même traitée avec moins de respect par les
ecclésiastiques, quand ils gouvernent, que par les séculiers ; la vie de
plusieurs cardinaux-ministres nous l'apprend, et prouve que l'indépendance
est plus profitable au corps clérical que l'autorité même de ses membres.
Richelieu disait que la puissance
spirituelle du Saint-Siège aurait d'autant plus de poids que son autorité
temporelle serait plus considérable. Les événements modernes font voir
combien il se trompait. Si, en qualité de pontife, la destruction des protestants et le
triomphe de la maison d'Autriche devaient être son plus cher désir, il avait
à s'applaudir, comme souverain, du succès des armes suédoises, qui mettaient
les généraux de l'Empereur hors d'état de lui nuire. C'était la pensée de
Gustave-Adolphe, quand il disait en riant au maréchal de Brézé : Sans moi, votre pape ne serait que le chapelain des
Espagnols. Le Saint-Siège était en effet bien peu à son aise entre les
rois, ses dévots fils, qui s'appliquaient tous à le dominer. Il pouvait bien
défendre aux catholiques anglais de prêter serment à leurs monarques, par le motif
que la formule officielle contenait cette profession de foi : que le Pape n'a pas le pouvoir de déposer le Roi, ni
d'autoriser un prince étranger à envahir ses royaumes, ni de libérer, ses
sujets de leur obéissance. C'était encore, à cette époque, la doctrine
de la cour romaine que le Pape avait pouvoir de faire tout cela ; mais ce
qu'on affirmait à Londres, on n'eût plus osé l'avouer à Paris : la simple
publication d'un livre du Père Santarel, qui contenait ces théories, souleva
en France une réprobation unanime. Le clergé, quand la question s'était une
première fois posée, dix ans auparavant, avait été d'avis, selon les canons
du concile de Constance, de déclarer abominables et
hérétiques tous ceux qui croiraient permis d'attenter à la personne sacrée
des rois. Il se montrait moins affirmatif en ce qui touchait le droit
du Souverain Pontife de délier les sujets du serment. Mais l'opinion publique
tout entière était avec le tiers (1614),
avec la Sorbonne
qui condamna l'ouvrage de Santarel (1625),
et avec le Parlement qui fit brûler le livre par la main du bourreau. Elle
était avec la Chambre
des Comptes, qui obligeait les évêques à jurer fidélité, sans approbation des clauses contenues dans les bulles qui
seraient contraires aux privilèges et libertés de l'Église gallicane.
Or, ces libertés consistaient à conférer au prince les prérogatives que l'on
enlevait au Pape ; on allégeait le fidèle, mais pour charger le sujet ; il ne
s'agissait pas d'être libre, mais de savoir à qui l'on obéirait. A ce point
de vue, les libertés gallicanes font partie intégrante de la monarchie
absolue. Que l'on compare cet état avec l'état actuel, on en fera toute la
différence.
L'esprit de Richelieu avec la cour de Rome peut se définir
ainsi : Point de libertés gallicanes en théorie ; les libertés gallicanes en
pratique. Le duc de Savoie, disait le cardinal, s'emparerait volontiers d'une
portion des États du Pape, croyant que l'augmentation
de la puissance d'un prince zélé au bien de la religion et de l'Église, comme
lui, serait un assez grand avantage au Saint-Siège, pour qu'il souffrit
volontairement quelque ruai pour un si grand bien. Ce que ce prince
eût fait au temporel, le ministre français tenta de l'exécuter au spirituel. Il est des questions problématiques au sujet de l'autorité
du Pape, écrivait-il à l'archevêque de Rouen, mais on ne peut révoquer en
doute qu'il ne soit le vicaire général de Jésus-Christ sur terre. Devenir
son vicaire particulier en deçà des Alpes, sous un titre quelconque, fut le
but, nous allions dire le rêve de Richelieu. Vice-légat d'Avignon, légat
temporaire du Saint-Siège, patriarche de France, il usa successivement, pour
obtenir un de ces postes, toutes les ressources d'une diplomatie ingénieuse ;
il employa aux négociations des personnages fort divers, sans oublier les
cardinaux à pensions grandes et petites ; il échoua toujours, et en conçut
contre Rome une vive irritation.
Dès lors commença une lutte sourde entre le palais
Cardinal et le Vatican, que tout contribua à alimenter. Dans un livre publié
sous l'inspiration du premier ministre, — le Nonce du pape français, — on parla de l'oppression que le pouvoir des papes faisait subir à la France.
Puis on menaça de
réduire le prix des bulles expédiées de Rome. Les informations de vie
et mœurs faites sur les ecclésiastiques appelés à l'épiscopat furent
une autre pomme de discorde. Le Souverain Pontife tint à ce que le nonce en
fût seul chargé ; le Parlement rendit un arrêt qui en confiait le soin
exclusif aux évêques diocésains. Le Pape se défendit, en refusant
l'institution canonique à ceux dont les informations n'avaient pas été vues à la nonciature. Richelieu usa à, son tour de
l'épouvantail ordinaire : il menaça de réunir un concile
national. Le nonce Scoti répondit à Chavigny, — c'est ce dernier qui
l'affirme, — qu'il s'en moquait ; que, quand on en
viendrait aux extrémités, il Papa
meterebbe il re sotto, et que les évêques de France seraient pour Sa
Sainteté contre le Roi. On prit texte de cette bravade pour interdire
à tout le clergé français de voir le nonce ou de
communiquer avec lui. Aux prélats qui s'étonnent de cet ordre, Louis
XIII répond qu'ils aient à se mêler de gouverner
leurs moines, et non des affaires de son État.
Deux ans après (1641),
le Parlement, soutenu par le ministère, défendait aux évêques, sous peine d'être criminels de lèse-majesté, de
publier une constitution du Pape sur les droits du Saint-Siège, comme entreprenant sur le temporel des rois. Les
rapports demeurèrent aussi tendus jusqu'à la mort de Richelieu, pour lequel
le Souverain Pontife refusa même de faire célébrer, à Rome, le service
d'usage, en disant qu'il était excommunié.
Les puissances chrétiennes ne laissaient guère à la cour
de Rome plus de liberté en fait d'administration qu'en matière de doctrine.
L'usage avait introduit un si grand nombre de cardinaux de droit, ou de
convenance, que le Pape ne disposait que d'un très petit nombre de places
entre Empire, France, Espagne, Venise et Pologne, sans parler de tous les
petits potentats d'Italie, qui faisaient, en principe, leur frère ou leur
neveu cardinal. Il fallait au Pape un extrême courage pour ne pas envoyer le
chapeau à quelques-uns de ceux qu'il plaisait au Roi
nommer au cardinalat, comme
par exemple le président le Coigneux ou le Père Joseph. Je ne presse point S. M. de faire des chevaliers du
Saint-Esprit, disait le Souverain Pontife, elle ne me doit point presser de
faire des cardinaux contre mon gré. Mais le Roi n'admettait nullement
l'assimilation ; il pensait au contraire pouvoir donner les chapeaux rouges
comme les cordons bleus, à la condition de ne pas dépasser la quotité qui lui
était réservée dans le Sacré Collège. Dans les lettres de remerciement que
Richelieu adressa à bien des gens, lors de sa promotion, il ne prononce même
pas le nom du Pape ; il parle seulement de la bonté
du Roi, à qui il doit sa dignité ; et à la façon dont le nouveau
prince de l'Église promet de se servir de cette
dignité pour obéir aux commandements du Roi, on peut croire qu'il
s'agit du titre de duc, ou de l'emploi de premier ministre. Des cardinaux
purement romains recevaient aussi les ordres des divers cabinets catholiques,
dont ils touchaient la solde, attachée aux titres de protecteurs et comprotecteurs.
Ce sont eux qui offrent d'être, au conclave, auteurs
et chefs de toutes les exclusions qu'on voudrait.
Si le pouvoir laïque s'immisçait de telle sorte, à Rome,
dans la conduite générale de l'Église, on pense qu'à l'intérieur du royaume
il pénétrait librement dans le domaine spirituel. L'État est fort attentif,
pour des motifs de politique, ou simplement de nationalité, à enlever des
moines d'un couvent frontière, pour les transporter à l'autre extrémité de la France, à interdire notre
territoire aux généraux ou provinciaux suspects de partialité pour les
ennemis du Roi. On agit ainsi en Provence contre des Minimes, à Corbie, à
Saint-Honorat ; on chassa de Pignerol les Feuillants italiens pour y mettre
des Feuillants français. C'était en somme le droit de la guerre ; des
religieux même venaient parfois en aide à la police du cardinal, et lui
dénonçaient les manœuvres suspectes de leurs frères ou de leurs supérieurs.
Les lois de l'Église étant lois de l'État, l'État se
chargeait de les faire observer, tant par les clercs que par des laïques. Les
magistrats civils entraient ainsi en partage d'attributions avec les pasteurs
spirituels ; depuis le conseil royal jusqu'au plus humble des tribunaux de
petite ville, tout juge était appelé à intervenir dans l'administration
ecclésiastique. Pour assurer la compétence et garantir l'impartialité des
juridictions supérieures, il était juste que le clergé y Mt représenté.
C'était, ou plutôt ce devait être la mission des conseillers-clercs qui
siégeaient de toute ancienneté dans les parlements ; mais comme on négligeait
souvent de les remplacer, ou qu'on les remplaçait par des laïques, certaines
cours n'en avaient plus un seul. Les parlements ne s'en érigeaient pas moins,
à l'occasion, en conciles, pour trancher des matières de doctrine et de foi.
Ils condamneront au besoin, comme hérétiques, des propositions soutenues par
les Pères de l'Église. D'autres compagnies s'élèvent, il est vrai, contre
cette prétention : la
Sorbonne, l'Université ; la dernière, moins hardie ;
l'autre, plus autorisée, mais livrée à des dissensions intérieures entre les
théologiens séculiers et les religieux, docteurs au même titre, qui cherchent
mutuellement à s'exclure. Toujours est-il qu'il existait trois corps, dont
aucun n'avait reçu l'inspiration du Saint-Esprit, qui délibéraient officiellement
sur la doctrine chrétienne, et contre lesquels les évêques devaient souvent
entrer en lutte ouverte.
Ces assemblées mêmes du clergé, le parlement de Paris
prétend les interdire à son gré, pour faire
reconnaître aux ecclésiastiques la subjection qu'ils doivent à la justice
royale. Méprise-t-on ses arrêts en pareille circonstance, cette cour
décrète ajournement personnel contre les nommés de Trapes, archevêque d'Auch, et Miron, évêque
d'Angers, et prononce la saisie de leur temporel, jusqu'à ce qu'ils aient
comparu. Ces compagnies souveraines, qui enregistrent les brefs des papes
comme les édits des rois, qui ne permettent pas à un évêque d'exécuter un
jubilé, si elles ne l'approuvent dans leur ressort, qui protestent au nom des libertés de l'Église gallicane,
lorsqu'on envoie faire juger un livre à Rome, en disant que cela est sans exemple, prennent connaissance de
l'administration des sacrements comme du revenu des fabriques, jugent et
annulent les vœux de religion, s'occupent de la forme, de l'heure et de
l'ordre du service divin, des honoraires des prêtres pour la célébration des
messes, et de la transgression des fêtes chômées. L'Église,
déclarent au Roi les prélats, restera bientôt sans
autorité ni juridiction, si V. M. n'y apporte remède ! C'est un arrêt
du Parlement qui autorise l'archevêque de Paris à destituer le prieur de
Saint-Victor, qui confirme les règlements des abbés pour la visite de leurs
monastères, homologue les statuts des chapitres et règle au besoin la pitance
de ceux qui prennent part aux fruits. La cour
de Grenoble valide l'élection du général de l'ordre de Saint-Antoine ; la
cour de Toulouse autorise le général des Franciscains à remédier aux
divisions qui règnent dans tel couvent.
La même cour ordonne au cardinal de Sourdis de donner
l'absolution à un gentilhomme excommunié par le concile provincial, pour
refus de renvoyer une concubine. Le parlement de Paris prescrit au grand
vicaire de Lyon d'absoudre un prêtre du diocèse d'Angers excommunié par son
évêque, et le grand vicaire, sur le vu de cet arrêt, l'absout. Il va sans
dire qu'on se dispute une cure devant les tribunaux, comme aujourd'hui un
bien laïque quelconque. Tout est, ou doit être de la compétence de MM. les
conseillers ; tout, jusqu'au logement des religieux en voyage, qui sont tenus
de descendre en tels endroits et non ailleurs, jusqu'à la forme des sermons,
à leur style, à leur publicité. On ne s'étonne pas de voir le Parlement
interdire la chaire, pour six mois, à un Père Capucin qui a méconnu son
autorité.
En un temps où il n'y a ni journaux ni tribune, le
prédicateur est le principal, le seul orateur ; orateur populaire par la
variété de sol public, respecté pour son caractère, — on l'avait bien vu sous
la Ligue. Aussi
le pouvoir ne le perd-il pas de vue. Non seulement toute allusion
malveillante lui est défendue —Richelieu, lors de la brouille du Roi avec la Reine mère, menaça de la Bastille tous ceux qui
parleraient du respect que les enfants devaient à leurs parents, —mais
l'éloge du gouvernement est souvent obligatoire. Les
prédicateurs, dit Pontchartrain, lors de
l'assassinat du maréchal d'Ancre, firent
leur devoir à animer le peuple à louer Dieu de ce que le Roi avait repris
l'administration de ses affaires. Une ville refuse-t-elle de recevoir
le prédicateur envoyé par l'évêque ? On plaide devant le parlement le plus
proche, et le parlement se prononce entre ce prélat et ses ouailles.
L'official de Tréguier est-il accusé d'avoir prêché une doctrine peu
orthodoxe ? La cour de Rennes croit devoir en informer, et il faut un arrêt
du Conseil privé pour renvoyer ce prêtre devant l'archevêque de Tours, son
métropolitain.
C'est sous la forme d'appels comme d'abus que les instances
religieuses sont généralement introduites devant la justice laïque. On les
admit en cas de contravention aux ordonnances royales, puis en cas de
contravention aux arrêts mêmes des parlements. Les appels comme d'abus, que
Richelieu condamne dans son Testament politique, ainsi que beaucoup d'autres
choses qu'il a pratiquées, étaient une de ces procédures à toutes fins, que
les souverains employèrent ou désavouèrent, selon les besoins de la
politique. L'État construit une citadelle à Verdun, sur un terrain que
l'évêque, François de Lorraine, dit lui appartenir. Il excommunie les
travailleurs. Le procureur du Roi appelle comme d'abus, de cette peine
spirituelle, et le tribunal de Metz condamne le prélat à 100.000 livres
d'amende, ordonne qu'il sera appréhendé au corps et amené à la Bastille. L'official
de Rouen interdit aux curés de porter l'étole, lorsque le grand archidiacre
fera sa visite ; les curés en appellent au parlement de Rouen, qui casse la
sentence de l'official et rend aux curés le droit de se revêtir de cet
ornement ; l'archidiacre à son tour en appelle du parlement au conseil, qui
finit par s'avouer incompétent et renvoie les parties devant les juges
ecclésiastiques. Mais cela ne se terminait pas toujours ainsi. Il y eut, dans
le diocèse de Rennes, au sujet de la police des cimetières, que l'évêque et
le parlement revendiquent chacun de leur côté, une histoire d'ifs qui dura de
longues années, et qui semble purement plaisante. Les recteurs bretons, entre
le prélat qui leur prescrivait d'abattre les ifs des cimetières, sous peine
d'interdiction, d'excommunication même, et les officiers de justice qui leur
défendaient d'y toucher, sous peine de saisie de leur revenu et de 500 livres d'amende,
étaient dans la position la plus critique. L'évêque l'emporta au conseil ; il
avait du reste fait couper les arbres litigieux par
force et à main armée. De pareils débats n'étaient pas rares.
Les tribunaux inférieurs intervenaient de même. Une
sentence, rendue à la requête de la fabrique, condamne un particulier à rendre le pain bénit ; le juge du bailliage de Maintenon
condamne
un bourgeois à aller à la messe à l'église
Saint-Pierre, sa paroisse, et non à
l'église Saint-Nicolas. Et comme un service en vaut un autre, les
magistrats ont recours aux ministres de l'autel pour obtenir des révélations
au moyen des monitoires
qu'ils publient au prône. Les monitoires sont si commodes qu'on en abuse, et
que le clergé réclame ; d'autant que ce ne sont pas les seuls documents qu'il
lui faille publier à la grand'messe. Les officiers de finance font donner
lecture par le curé du rôle des tailles ; les syndics, notaires et procureurs
lui apportent mille annonces profanes : ventes, marchés, enchères et
contrats.
Si le temporel empiétait de cette façon sur le spirituel,
en revanche plusieurs des sacrements religieux sont des actes légaux
; l'Église à ce titre tient une place officielle dans la vie civile. Du plus petit au
plus grand, tout le monde dépend d'elle et doit compter avec elle. Richelieu
veut-il faire casser, en 1635, le mariage de Monsieur, il ne peut se
dispenser de prendre l'avis des principaux ordres : Capucins, Feuillants,
Jésuites, etc. Au conseil du prince, le clergé est presque toujours
représenté par quelques-uns de ses membres ; lors même qu'il n'y siège pas
ostensiblement, il a l'oreille privée du Roi par son confesseur. Le poste de confesseur du Roi est une sorte de fonction
publique ; on écrit à celui qui l'exerce : Au
Révérend Père X..., confesseur du Roi. Le Père Souffren donne sa
démission en bonne et due forme, de cette
charge dont S. M. a daigné l'honorer depuis quelques années. Le
confesseur qui, on sait, était toujours un Jésuite, jouait dans l'ombre un
rôle assez important pour embarrasser plus d'une fois un ministre aussi
absolu que Richelieu. Le Roi, dit Son
Éminence, avait mis sa conscience entre les mains de
ces bons Pères, à l'exemple de Henri IV, bien que celui-ci eût pris le P.
Coton plutôt pour un gage de leur foi. Le cardinal conçut le projet de
mettre en cette place un bon Chartreux, ou quelque autre religieux dont les chefs d'Ordre résidassent en France ; il n'osa
pas, mais exigea du confesseur que s'il trouvait quelque chose à redire à la conduite qui s'observait en l'État, il en demandât
l'éclaircissement au conseil, et ne parlât point politique au
souverain. Sans doute, il aimait mieux être ainsi confessé lui-même, à la
place du Roi ; il prenait volontiers pour lui, par avance, les observations.
Le P. Caussin, qu'il venait de faire renvoyer de la cour, écrivait peu de
temps avant au Père Général : Pour les courtisans,
le silence est souvent un devoir ; pour le confesseur, il serait un sacrilège.
Cette ingérence était-elle voulue par la Compagnie ?
L'ordonnance rendue sur la matière par le P. Acquaviva (1602) était assez ambiguë : Le confesseur, y est-il dit, ne doit pas paraître à la cour sans y être appelé, à moins qu'une pieuse nécessité...
il ne doit jamais se mêler d'affaires politiques, se
charger d'obtenir quelques faveurs, ni solliciter... à moins que ce ne soit une œuvre de piété jugée nécessaire par le supérieur. Il ne devra recommander aucune
affaire aux ministres, ni de vive voix, ni à plus forte raison par écrit...
Il est du devoir du prince d'écouter volontiers tout
ce que le confesseur se croira obligé en conscience de lui suggérer, non
seulement pour ce qu'il lui fera connaître en qualité de pénitent, mais aussi pour les autres abus dignes de
répression dont il entendrait parler.
Cette tendance du confesseur n'a rien qui doive surprendre
; l'Église ne cessera jamais d'enseigner que le bien de la religion doit être
le but principal des États, comme le salut éternel le but unique des
chrétiens. Si elle cessait de l'enseigner, elle cesserait d'être l'Église.
Richelieu lui-même, quoiqu'il ait pratiqué une politique toute laïque, ne se
révolte pas ouvertement contre l'immixtion de l'autorité ecclésiastique dans
les choses temporelles. On vient de voir qu'il engage le confesseur royal à
s'ouvrir à lui de ses scrupules sur « la conduite de l'État » ; il veut se
réserver le soin de les calmer ; ce qu'il n'admet pas, c'est qu'on lui fasse
de l'opposition. Dans toute manière où l'accroissement de l'autorité
ecclésiastique ne lui porte pas ombrage, il donne volontiers les mains à cet
accroissement. Ainsi il était partisan de la réception en France du Concile
de Trente ; qui organisait pourtant, en plusieurs cas graves, l'introduction
de l'Église dans l'État. Le Parlement, d'ailleurs, et les États généraux,
tout en refusant de souscrire aux décrets du Concile sur la discipline, ne
tenaient pas moins que Richelieu à maintenir l'étroite union de l'État avec
l'Église. Au XVIIe siècle, on ne concevait pas la possibilité d'un autre
système. Seulement, dans cette vie à deux, chaque associé, sans l'avouer,
espérait asservir l'autre.
L'Église finit par avoir le dessous.... Les successeurs de
ces puissants prélats féodaux, Révérends Pères en
Dieu, le plus souvent sortis du peuple, qui faisaient trembler les
barons et les princes, n'osent même plus, sous Louis XIII, s'assembler sans
permission. Si messieurs du clergé contreviennent à ce règlement, le
lieutenant civil a pouvoir de leur faire un procès. Ces réunions, qui avaient
lieu tous les deux ans, ne sont plus autorisées que tous les cinq ans ; le
Roi, par une forme assez ironique, dispense
les ecclésiastiques de les tenir. C'est le gouvernement qui fixe le lieu du
rendez-vous à sa guise, qui le change, s'il lui plan, au cours des
délibérations. Une Assemblée, commencée à Poitiers, est transportée à Niort,
malgré ses plaintes, et se termine à Paris. Richelieu, après s'être livré, en
1641, avec de Noyers, à une statistique conjecturale et avoir pratiqué largement
la candidature officielle pour se procurer
une majorité docile, parmi les trente membres qui devaient composer
l'Assemblée, casse l'élection d'une province et nomme lui-même un autre
député. Le résultat n'ayant pas répondu à son attente, il expulse, dès la
seconde séance, ceux qui étaient hostiles à ses projets ; il les renvoie,
dit-il, faire
pénitence de leurs fautes. Il renouvela cette épuration quelques
jours plus tard, en la personne de deux archevêques et de quatre évêques,
auxquels il fit donner l'ordre de sortir de la ville, par des lettres royales
qui se terminent en ces termes : Je prie Dieu,
Monsieur l'archevêque, qu'il vous donne une meilleure conduite, et
vous ait..., etc.
Un pareil langage, de pareils procédés scandaliseraient
fort nos contemporains. Un prince chrétien n'oserait, sans inconvenance, les
employer, ni un prince impie se les permettre sans passer pour persécuteur.
Ce qui les faisait supporter autrefois, c'était l'affection
mutuelle que l'Église et l'État avaient l'un pour l'autre. On
pardonne beaucoup à ceux qu'on aime et dont on se sait aimé. Le fils aîné de l'Église voulait la dominer, mais non
l'amoindrir ; le maintien, l'honneur de la foi catholique était aussi cher au
gouvernement qu'à la nation. Ce Parlement, si pointilleux dans ses relations
avec l'épiscopat, avec les Ordres monastiques, délibère que, lorsqu'on
portera aux malades le Saint Sacrement, un conseiller de la première chambre
l'accompagnera. Le prêtre se sent en sûreté avec ce magistrat qu'il a vu ce
matin à la messe et à la dernière fête au confessionnal. Le fonctionnaire
sait avec quelle sincérité l'officiant entonne le Te Deum pour les
victoires du Roi, fait prier pour lui quand il est malade et s'afflige de ses
revers. C'est dans ce double sentiment qu'il faut chercher le secret d'une
intimité, parfois orageuse, mais toujours profonde, que l'esprit moderne a
détruite sans retour.
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