Abbayes en commende, abbés commendataires ; ils ont le moins de religieux possible, et leur donnent b peine de quoi vivre. — Abbayes possédées par des laïques, par des enfants, par des protestants. — Pensions sur les bénéfices. — Bénéficiers non résidents, pluralité des bénéfices. — Ecclésiastiques militaires. — Prêtres coupables, scandaleux. — Évêques et cardinaux laïques, ou de mauvaise vie. — Les cardinaux princes. — Vœux monastiques, leurs conséquences ; âge où ils sont autorisés. — Dots exigées des religieuses. — Désordres dans certains couvents ; droits des abbesses et leur indépendance.Une organisation aussi vaste que celle de l'Église n'est aisée ni à diriger, ni surtout à réformer, quand elle se dérange ; si, par son origine et sa fin, elle est immuable et divine, par sa vie matérielle et sa discipline, elle est changeante et corruptible, et, à cet égard, sujette à se déranger sans cesse. Il existait, dans l'Église du XVIe siècle, des désordres imputables, partie à l'Église elle-même, partie aux gouvernements. Ceux qui étaient imputables à l'Église furent réformés par le Concile de Trente et par l'élan religieux qui signale la première moitié du xvii0 siècle ; ceux qui étaient imputables à l'État furent légèrement atténués, mais subsistèrent. Ni la sainteté d'un Vincent de Paul, ni la science d'un Bossuet ne prévalurent contre des abus qui n'ont disparu qu'avec la monarchie ; preuve qu'ils n'étaient pas inhérents à l'Église, mais à l'État. Une des injustices les plus flagrantes et les plus
singulières de la monarchie absolue, c'étaient les abbayes en commende.
Si un Persan ou un Indien venait en France, dit Montesquieu, il faudrait six
mois pour lui faire comprendre ce que c'est qu'un abbé commendataire qui bat
le pavé de Paris. Chef honoraire d'une abbaye où il ne réside pas, mais dont
il perçoit les deux tiers au moins du revenu, le commendataire n'a qu'un but
: celui de tirer le plus possible de cette sinécure ecclésiastique. S'il ne
vend pas, comme on en a des exemples, le plomb ou l'ardoise de son église
pour la recouvrir en tuiles et empocher la différence, il entretient le moins
possible les bâtiments monacaux. Sourdis, obligé de dépenser Ces prieurs claustraux étaient les abbés effectifs. Élus
librement par les religieux, ou nommés par les généraux des Ordres, ils
gouvernaient le monastère et faisaient, pour quelque Au personnel restreint qui habite le couvent, l'abbé, réformateur intéressé du temporel des moines, se
charge de faire observer les vœux de pauvreté et d'abstinence ; c'est en cela
qu'il se souvient d'avoir été institué par Dans le principe, une abbaye ne devait pas être possédée en commende plus de six mois ; celles où ce système vicieux fut introduit y demeurèrent soumises pendant trois siècles. Or, ce système eut el double résultat de dépouiller l'Église et de la déconsidérer. Il y a des choses qui, ramenées à
leur première institution, sont étonnantes et incompréhensibles. Qui peut
concevoir en effet, dit Que l'on regarde comment et à qui les bénéfices sont distribués, que l'on écoute Mme de Pontchâteau, qui prie un de ses voisins de venir la voir pour résoudre avec elle si on fera son second fils d'église ou d'épée, que l'on suive le Roi à la foire Saint-Germain, où il gratifie un inconnu endormi d'un bon prieuré vacant, envié par plusieurs compétiteurs, afin qu'il puisse se vanter que le bien lui est venu en dormant, on s'étonnera du petit nombre des scandales. Abbés en bas âge, abbés en nourrice, ne sont pas rares ; à plus forte raison les chanoines écoliers, à qui l'on donne pension sur la prébende qu'ils doivent desservir un jour. L'évêché de Troyes n'est-il pas donné au petit Vignier, âgé de dix ans, dont la maman administre le temporel du diocèse ? On conteste au fils de la duchesse de Guise, jeune humaniste de dix-sept ans, la paisible possession de l'abbaye de Saint-Denis. Misérable chicane, dit son précepteur : Monseigneur de Saint-Denis jouit, comme vous savez, d'autres bénéfices plus importants ; par conséquent son habileté à posséder celui-ci ne peut être révoquée en doute. Son cousin de Lorraine, qui avait trouvé l'évêché de Verdun dans son berceau, le conservait quoiqu'il vécût en laïque, n'ayant pas seulement voulu prendre le degré de sous-diacre. Les jeunes possesseurs d'abbayes, arrivés à l'âge requis par les conciles, étaient tenus ou d'entrer dans les ordres ou d'abandonner le bénéfice ; ces laïques, d'ailleurs, s'ingéniaient à conserver dans leur âge mûr, ces revenus religieux que la tendresse de leur famille avait obtenus à leur enfance. Beaucoup de gentilshommes ou de gens de cour jouissent du temporel des bénéfices par confidence ; ils les font mettre sous le nom d'un custodi nos ecclésiastique, gratifié par eux d'une pension et qui encaisse pour leur compte, comme un honnête régisseur. La place de custodi nos de M. le comte de Soissons,
détenteur de plus de Richelieu, qui plus tard récompensait le violon Maugars
par le don d'un monastère, et payait d'autres artistes de sa musique de la
même monnaie, ne se montra pas lui-même extrêmement scrupuleux. Peu à peu des
revenus qui continuent de figurer à l'actif de l'Église cessent de lui
appartenir en fait ; dans de grands chapitres, comme Saint-Martin de Tours,
les maires
et les prévôts sont toujours des laïques ; et parmi ces prévôtés il en est
qui rapportent plus de A défaut du titre, on obtient des pensions payables sur
les revenus. Ces pensions, enchevêtrées dans les bénéfices, sont accordées
par le roi à qui il lui plaît. L'archevêque de Tours en a une sur les évêchés
de Navarre ; des chevaliers de Malte, Le résultat direct de cet abus était de rendre la
résidence impossible ; les trois quarts des
bergeries et des troupeaux, disait à la fin du XVIe siècle l'évêque du
Mans, sont dépourvus de vrais et légitimes pasteurs.
On avait vivement discuté à Trente, mais sans rien conclure, ce point de
savoir si la résidence était obligatoire de droit divin, ou seulement de droit ecclésiastique
; on se borna en pratique à exiger la résidence des titulaires de cures et
autres postes ayant charge d'âmes, mais sans
l'obtenir. L'exemple venait de si haut ! Quand un
curé ne réside point, disait en chaire l'évêque de Belley, quand il ne veut point obéir, on a recours à Monseigneur
son évêque ; on écrit à Monseigneur, à Paris, qu'un tel, etc. ; Monseigneur fulmine. Voilà qui est bien, voilà qui est
selon les canons. Mais Monseigneur le prélat qui ne résidez point, que
peut-on dire de vous ? Ces paroles étaient prononcées devant un grand
nombre d'évêques, qui se trouvaient dans ce cas. L'obligation d'un séjour
annuel et non interrompu de trois mois parait trop sévère ; il y a quelque
cruauté à la maintenir. Quant au projet d'une résidence forcée de neuf mois
sur douze, conçu par Richelieu dans la première ferveur du ministère, il n'a jamais
vu le jour. Renvoyer des évêques dans leur diocèse
pour les punir, disait Montchal, c'était
jeter des poissons dans l'eau par dépit. Mais tous les évêques ne
pensaient pas de même ; le cardinal de Richelieu ne pouvait oublier
l'impression pénible qu'avait éprouvée l'évêque de Luçon quand le Roi lui
écrivit, lors de la chute du maréchal d'Ancre : Allez
à Luçon faire les devoirs de votre charge, et exhorter vos diocésains à se
conformer aux commandements de Dieu et aux miens. Le caractère
sacerdotal semblait fort compatible avec une foule de fonctions, que l'esprit
moderne juge avec raison devoir lui demeurer tout à fait étrangères. Tels
étaient les commandements militaires exercés par les cardinaux et les
archevêques ; au blâme infligé par le Pape à ceux qui en étaient investis,
Richelieu répondait que les cardinaux devaient
contribuer au bien public, selon les talents que Dieu leur avait donnés et qu'il était impossible qu'ils ne fussent
pas engagés dans les charges militaires, aussi bien que dans les autres.
Il devait cependant tempérer la fougue de Tout différents sont le désordre et la débauche où vivent
ouvertement des clercs et des prêtres. Là, on touche du doigt le vice du
nouveau système ; il vaut à l'Église bien des ministres dont la réputation
est telle, qu'ils ne pourraient paraître à l'autel sans scandaliser les
fidèles. Tel est ce Bois-Robert, chanoine de Saint-Ouen, accusé d'un vice
ignoble, et ne s'en cachant pas ; tel Costar, curé de Niort ; tel l'abbé de
Laffemas qui fait des chansons obscènes ; des Barreaux, l'amant de Marion de
Lorme, qui prêche ouvertement l'athéisme ; l'abbé d'Armentières, qui vit avec
une actrice de l'hôtel de Bourgogne, etc. La liste serait longue, depuis les
élégants jusqu'aux crapuleux, depuis le jeune Paul de Gondi, abbé de Buzay,
avec Si Richelieu avait retiré leurs bénéfices à tous ceux qui ne vivaient pas selon Dieu, comme il fit à
l'abbé d'Effiat, cadet de Cinq-Mars, après la condamnation de son ainé, le
tiers peut-être des biens d'église eût changé de maîtres ; mais il n'y songe
pas. Lui qui rappelle les moines à l'étroite observance, ne semble pas frappé
de cette anomalie qui maintient nominalement à la tête des couvents de si
étranges chefs. On sévit de temps à autre contre un curé ignorant, un prieur
dissolu ; mais on donne des évêchés à de Broc, connu pour ses mauvaises
mœurs, à Il y avait bien à dire sur le recrutement du Sacré Collège : Je pense, avait dit au concile le saint archevêque de Grenade, que les très illustres cardinaux ont besoin d'une très illustre réforme... Une bonne moitié des princes de l'Église n'étaient pas appelés à la pourpre par extraordinaire mérite qui fût en eux, mais par la faveur de leurs alliances. Ces grands personnages ne prennent les ordres que comme un pis-aller ; s'ils trouvent mieux, ils renvoient leur chapeau à Rome, sans plus de façon que s'il s'agit d'une charge qui cesse de plaire. Le Pape est fréquemment obligé de leur permettre de prendre femme pro bono pacis, pour procurer la tranquillité des États, selon la formule. Le cardinal de Savoie épouse sa nièce et redevient le prince Maurice ; le cardinal Pamphilio se marie, le cardinal Casimir de Pologne aussi (il fut roi de Pologne après son frère) ; M. de Nemours, archevêque de Reims, épouse Mlle de Longueville ; le duc de Verneuil, évêque de Metz à l'âge de sept ans, jouit de ce diocèse pendant plus d'un demi-siècle, puis s'en démet pour épouser la veuve du duc de Sully. Le cardinal de Lorraine épouse sa cousine germaine, se donne à lui-même, comme évêque de Toul, la dispense de publications de bancs ; quant à celle de la parenté, dit que le Pape la lui donnera ; se marie en attendant en présence de quelques personnes de son entourage, et consomme son mariage le jour même. Croisilles, un pauvre diable de prieur, passera dix ans en prison pour s'être marié clandestinement, tandis que des gens bien appuyés, conseillers de Parlement, poètes en vogue, obtiennent, quoique sous-diacres, la bulle d'absolution qui leur permet de convoler en public, et tandis qu'un prince, comme l'archevêque duc de Guise, transporté, dit Richelieu, d'une passion plus convenable à son âge qu'à sa dignité, prend pour femme la comtesse de Romorantin, sans provoquer un blâme bien sévère. Un vertueux prélat parle de cette affaire avec un calme étonnant : On hésita quelque temps à donner son archevêché parce qu'on craignait qu'il revînt et qu'il fallût le lui rendre. D'autres estimaient que le premier ministre faisait maintenir cette union par pure malice, pour déposséder l'époux de ses revenus ecclésiastiques. C'est tout un monde disparu, un état social et politique
au milieu duquel il faut se plonger, pour mettre les objets dans leur optique
ancienne. Quelle singulière chose, par exemple, que la constitution des
couvents de femmes d'alors ! Que doit-on admirer le plus de ces pères et
mères excellents qui cloîtrent pour jamais leurs filles à six ou sept ans, et
les consacrent à Dieu, faute de pouvoir en tirer parti dans le siècle, ou de
ces vierges, qui font si bien de nécessité vertu, ou du public qui tient ces
usages pour très simples et naturels ? Le concile de Trente avait fixé à
seize ans accompli l'âge auquel il était permis de faire profession
religieuse, et avait imposé un an de noviciat ; le tiers état demandait que
l'âge légal des vœux monastiques fût porté à vingt-cinq ans pour les hommes,
et à vingt ans pour les femmes, et la législation française, par ses
variations sur la matière, avait donné satisfaction tantôt au tiers et tantôt
au clergé. Les lois ou les règlements importaient peu d'ailleurs ; on voit
des enfants, voire des enfants de princes, revêtues de l'habit avant d'avoir
atteint leur quatrième année, et élevées dans le couvent d'où elles ne
doivent plus sortir. Puisque les filles pouvaient se marier à douze ans, il
n'y avait rien d'exagéré à ce qu'elles pussent, à seize, se vouer au célibat
; mais, dans le prononcé du vœu de chasteté, autant que dans la réception du
sacrement de mariage, la novice n'était pas plus libre que la fiancée. Il y a
bien quelques arrêts de parlements, ordonnant que telle jeune postulante sera ouïe par le premier des conseillers, à l'effet de
savoir de sa bouche si c'est bien librement qu'elle veut être religieuse ;
qu'il est inhibé à qui que ce soit de la recevoir professe, jusqu'à ce que la
cour en ait décidé autrement. Des jugements de ce genre sont parfois
rendus au profit de collatéraux contre un couvent ; mais, quoique les
conciles aient prononcé l'anathème contre ceux qui
contraignent d'entrer en religion, l'enfant était sans défense contre
la volonté de ses ascendants. Or les vœux, par leur caractère légal, avaient
pour effet immédiat la mort civile de la professe ; on hérite d'elle, de son
vivant, en vertu du testament qu'elle a dû faire, et elle ne pourra plus
hériter de personne. La reconnaissance des vœux par l'État avait ceci
d'avantageux pour les familles, qu'elle ne permettait pas aux religieux ou
religieuses de disposer de tout ou partie de leurs biens. Même avant sa
renonciation au monde, une fille majeure et maîtresse de sa fortune n'avait
pas le droit de la léguer au couvent où elle se proposait d'entrer, tellement
la législation était ombrageuse vis-à-vis de tout ce qui eût ressemblé à une
captation. La dot, consistant en une somme de 2.000 à Dans les monastères de femmes, comme dans les abbayes
d'hommes, le scandale n'entre jamais qu'avec l'abbesse ou l'abbé nommé par le
gouvernement. Heureusement, il n'y a pas d'abbesse commendataire ;
filles de grande maison, princesses même, résident au milieu du groupe de
sœurs qu'elles doivent guider. On n'a pas occasion de voir souvent des
indépendantes, comme Diane de Rambouillet, abbesse d'Yères, qui vivait depuis
trois ans à Paris, en chambre garnie, avec des novices, quand vint le bref de
réforme du Saint-Père ; que l'on ne fit rentrer dans son cloître qu'à force
d'arrêts du Parlement, et qui, une fois réintégrée, laissa presque mourir de
faim les religieuses réformées qu'on lui envoya de Montmartre. Mais il n'est
pas rare d'entendre, contre les supérieures improvisées par un ministre ou un
courtisan, des plaintes en général trop fondées. Le sieur de Fontenilhes,
marié à la nièce de l'abbesse, habite l'enclos du monastère de Sainte-Claire
avec sa femme, ses enfants et leur nourrice ; ils
usent des fruits et revenus comme de leur bien propre. Il faut de
longues procédures pour les faire déloger. Les Dominicaines de Proville
profitent d'une absence de leur prieure, Mme de Ventadour, qui est allée
passer quelque temps dans sa famille, pour conjurer Richelieu de ne pas la
laisser rentrer. Elle ne cherche, dit un
mémoire portant cinquante-deux signatures de religieuses nobles, qu'à se repaître de nos chairs et revêtir de nos laines ;
elle a toujours tenu grosse et grasse table, pendant que nous étions en peine
bien souvent d'avoir même du pain. Quatre fois notre communauté a été
contrainte de demeurer à jeun jusques sur les huit heures du soir, notre four
étant occupé par elle aux pains de munition qu'elle fournissait aux ennemis
du Roi. Elle nous a endettées de 7 à Les couvents féminins d'autrefois avaient la même
autorité, les mêmes prérogatives que ceux du sexe fort. Bien des prieures
nommaient les curés des paroisses de leur juridiction ; elles ont droit de
justice, sauf celle du sang. L'abbesse des
Clarisses de Mont-de-Marsan, suivie de toutes ses religieuses, prête serment
de fidélité au Roi, à |