Cet impôt est léger. — Charge minime pour la population. — Pèse sur la richesse, non sur le travail. — Quotité de la dîme ; portion de récolte qu'elle représente. — Elle ne porte pas sur tous les objets ; souvent elle n'atteint pas la moitié des terres. — Peut être évaluée au 30e des produits du sol. — Ce que les dîmes rapportent au clergé ; en détail, dîmes inféodées, affermées. — En totalité, ne dépassent pas 25 millions. — Augmentation et diminution des dîmes du XVIe au XVIIe siècle selon le changement des cultures.L'autre portion du revenu ecclésiastique venait de la
dîme. — La dîme était la subvention donnée au culte par le pays ; le prix du
service rendu par le curé. C'est à la fonction pastorale, et non à la qualité
d'ecclésiastique qu'est due la dîme. Les moines de tout Ordre, les
chevaliers de Malte, qui ne rendaient pas de service direct à la population,
devaient, bien qu'ils aient maintes fois cherché à s'en dispenser, payer La dîme ecclésiastique, dit Vauban, ne fait aucun procès ; elle n'excite aucune plainte ; et depuis qu'elle est établie, nous n'apprenons pas qu'il s'y soit fait aucune correction. Nous n'irons peut-être pas aussi loin dans l'éloge que l'illustre maréchal. Ce qui est vrai, c'est que la dîme était un impôt sensément perçu, le meilleur de l'ancien régime. Levé sur les produits du sol, il pesait sur le propriétaire, et non sur le fermier qui louait la terre en conséquence, sur la richesse et non sur le travail. La dîme suit les variations de la récolte ; elle s'adoucit d'elle-même dans les mauvaises années ; et si elle s'élève, c'est en proportion de la prospérité du contribuable. Nous voyons fréquemment des conventions amiables entre le curé et ses paroissiens, touchant la dimension des gerbes de blé ou le nombre des barriques de vin. Il arrive que des habitants sollicitent la réduction en dîmes de la censive qu'ils payent. Le cens, la plus modérée des taxes féodales, était sans doute plus lourd dans sa fixité qu'une annuité proportionnelle au rendement agricole. La dîme n'est nullement le dixième des produits ; elle n'est même pas le vingtième, mais tout au plus le vingt-cinquième, c'est-à-dire 4 p. 100 ; d'une part, elle varie du 11e au 50e sur les objets qu'elle frappe ; d'autre part, elle est loin d'atteindre les récoltes de toute nature indistinctement. Il n'y a d'autre loi, dans chaque paroisse, que les titres particuliers et la tradition locale. Ajoutons qu'aucun impôt n'est plus facilement fraudé, que la campagne ne s'en fait pas scrupule, et que le décimateur se contente le plus souvent de cc qu'on lui donne. Le clergé soutient, aux États de 1614, que de droit divin le 10e de toute chose croissant sur la
terre est entièrement dû à l'église. Mais ce principe n'est appliqué
presque nulle part. Sur les blés, qui sont le plus strictement chinés, le
curé ne perçoit le 11e, le 12e ou le 13e — la dîme au 13e sillon, comme on
dit — qu'en un tout petit nombre de localités. En Bourgogne la dîme est au
15e, dans le bailliage de Sens au 16e. En Dauphiné et en Provence, elle ne se
paye qu'à la 20e gerbe, et dans plusieurs paroisses à la 25e seulement. Il en
est de même en Touraine. En plusieurs doyennés de Champagne, elle ne va pas à
une gerbe sur 30 ; en beaucoup de terres de Poitou, Saintonge et Aunis, une
déclaration royale la fixe au 50e. Pour toutes les dîmes de nouvelle
création, on ne donnait en général que 4 p. 100 de la récolte. Les produits
du sol autres que le blé payent moins encore. La dîme des bois royaux a été
réduite au 20e, par les officiers des Eaux et Forêts. Nous voyons bien un
arrêt du parlement de Bordeaux qui règle la dîme des cochons au dixain ; mais
dans le ressort de ce parlement, plusieurs sénéchaussées qui forment le
département actuel des Landes ne payent les prémices du bétail que de quarante-cinq,
un.
En Normandie, la dîme des veaux ou agneaux était de 6 deniers par tête,
c'est-à-dire moins de 1 p. 100. Sur le vin, elle était dans le Bordelais d'un 5e ; il est
à noter cependant que sa quotité est beaucoup moins forte dans les pays
vignobles que dans ceux où la culture de la vigne est accidentelle. A Orléans,
la dîme du vin est du 18e, à Provins elle est du 200. En pleine Champagne,
bien des vignes sont abonnées à 2 sous par arpent, chiffre purement dérisoire
; d'autres, en Bourgogne, à 10 deniers par arpent, sur
la demande des habitants ; ce qui se conçoit aisément. En 1679, ces
dernières furent portées à 1 sou. Ailleurs les dîmes de même nature sont de
deux pintes par poinçon, soit environ Ici, les habitants ne doivent qu'un droit de terrage et
non la dîme ; là existe un maximum que la perception, bien que
proportionnelle à la récolte, ne peut jamais dépasser, même dans les années
les plus abondantes. En Auvergne, en Normandie, les dîmes, d'après les
coutumes, se prescrivaient par trente ans de non-paiement. Dans l'Angoumois,
tous les laboureurs ont un quart d'arpent franc et
quitte de dîme. Ils avaient en outre un demi-arpent exempt par chaque
couple de bœufs employé au labour. Cette seule mesure réduisait la taxe de
moitié. Les défrichements s'opèrent, des changements se produisent dans la
culture : un village se fonde, et comme les jardins potagers, les enclos de
tout genre sont exempts, ces terrains qu'ils occupent cessent de payer. Un
autre village disparaît, la charrue vient à passer sur lui ; mais comme il
n'avait jamais payé dans son ancien état, le sol ne paye pas davantage dans
le nouveau ; ou bien il paye très peu, une dîme novale dont le curé à
portion congrue traite à l'amiable, à l'insu du gros décimateur. Le fait est
qu'en certaines paroisses on ne dîme ni les prés, ni les vins, ni les bois,
et que, pour un motif ou pour un autre, le curé a perdu ses droits sur une
notable partie de son territoire. Des rachats sont consentis. La ville de
Nîmes éteint
la dîme des olives, moyennant une somme de Combien rapportent les dîmes dans leur ensemble ? Lors même que nous saurions ce que valent toutes les cures de France, il faudrait connaître le chiffre et la valeur des dîmes inféodées, ou laïcisées. Celles-là sont comme les autres une contribution de l'étable, du champ ou du pressoir, mais elles ne vont pas à la grange du curé ; ou mieux la grange appartient à un laïque, noble ou roturier, substitué aux droits ecclésiastiques. L'origine de ces dîmes inféodées est un des points obscurs de notre histoire. Peut-être avaient-elles été données aux seigneurs par les curés, à l'époque des Croisades, d'une façon temporaire, à titre viager tout au plus, et les seigneurs se les étaient-ils appropriées à jamais ? Elles devaient justifier d'une existence antérieure au Concile de Latran de 1179, qui avait prohibé ces inféodations pour l'avenir. Quoi qu'il en fût, les dîmes de ce genre représentent un écart dont on doit tenir compte, entre ce qui est donné par la nation, et ce qui est reçu par l'Église. Négligeons d'abord, pour atteindre la vérité, les chiffres
fantaisistes, comme celui de Vauban qui estime à 134 millions, vers 1693, le
produit des dîmes ecclésiastiques. Le
Secret des Finances, imprimé en 1581, les considère comme rapportant 25 à
30 millions ; d'autre part, en 1789, calculées en moyenne au 18e, elles
passent pour coûter à l'agriculture 133 millions. Ces deux chiffres, quoique
bien différents en apparence, s'accordent en réalité. Selon le poids du
métal, 30 millions de livres de 1580 font 80 millions de 1789 ; mais
l'augmentation du revenu des terres de la fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe,
le nombre des terres défrichées et l'agrandissement de Nous n'ignorons pas qu'aux derniers siècles, les gros décimateurs qui ne résidaient pas avaient pris l'habitude de louer les dîmes, tantôt au curé lui-même, tantôt à la collection des habitants qui font leur offre le jour de l'adjudication, tantôt à un particulier. Le bénéfice du fermier, quel qu'il soit, ses frais de recouvrement, constituent une différence assez notable entre la charge supportée par les cultivateurs et le revenu net du clergé. Les chiffres de 25 et de 133 millions représentent, pour le règne de Louis XIII, quelque 40 millions de livres ; et, cependant, les dîmes sont bien loin de rapporter 40 millions, ou même 30. Elles n'en rapportent sans doute pas plus de 25 à l’Église. Il existe dans les archives nombre de baux sincères, ce
sont des originaux qui ne s'attendaient pas à jamais voir le jour. Trois
sortes de dîmes nous apparaissent, aussi bien en Provence qu'en Picardie, en
Bretagne ou en Bourgogne : les petites, celles des paroisses minuscules de 23
ou 50 habitants ; elles valent une soixantaine de livres, parfois moins ; il
en est de Une centaine de dîmes que nous avions relevées dans quinze
de nos départements actuels, sous le ministère de Richelieu, ressortaient
l'une dans l'autre à Nous ne prétendons pas poser de chiffre pour une autre
époque. Mais les baux de divers siècles, qui nous sont parvenus, suffisent à
montrer par combien de hausses et de baisses ces rentes ont passé, depuis le
moyen âge jusqu'à Pour se rendre un compte exact des variations dans la
valeur des dîmes, il faut ramener uniformément en francs de cinq grammes d'argent
toutes les sommes exprimées en livres, à diverses dates. Nous voyons
ainsi que la dîme de Lavit (Gers) est
immobile à 72 francs de 1701 à 1731, et s'élève à 162 francs en 1767 ; que la
dîme de Coulaines et Saint-Vincent (Sarthe)
de 225 francs en 1679, de 420 en 1689, de 450 en 1694, descend à 360 francs
en 1746, pour remonter en 1768 à 540 francs, en 1777 à 855 francs, en 1787 à
1350. La dîme d'Yanville, dans Ce ne sont là du reste que des exceptions : prises dans leur ensemble, les dîmes ne pouvaient faire autrement que d'augmenter, puisque les produits agricoles croissaient en nombre et s'élevaient en prix. Les 25 millions de livres, ou 47 500.000 francs de Louis XIII, étaient devenus sans doute 110 à 115 millions de francs lors de la réunion de l'Assemblée constituante. Et cependant la quotité de la dîme a dû baisser d'une époque à l'autre. Elle devait être plus près du 30e que du 25e, la totalité du produit brut de la terre française étant très supérieure à deux milliards et demi par an en 1789. Si l'on considère ce que le culte catholique coûtait à la
nation en 1905, avant le vote de la loi de séparation et ce qu'il coûtait en
1640, on remarque que jusqu'à l'an dernier, le clergé recevait de l'État 40
millions de francs et des communes 15 millions (y
compris les frais de réparations d'édifices religieux) ; en tout 55
millions. Mais, comme l'Eglise avait été dépouillée de ses biens, dont j'ai
évalué le revenu en 1790 à 245 millions de francs, il se trouve qu'à
proprement parler l'indemnité qui lui était payée jusqu'à 1905 par l'État et
les communes ne représentait pas le quart de ses anciennes rentes. Cette indemnité constituait un intérêt de 1 p. 100 des terres qui lui
ont été enlevées, d'après la valeur de ces terres au moment de Si d'ailleurs on fait le compte des charges et des revenus, autrefois et aujourd'hui, on trouve que le clergé possédait, sous Louis XIII, 100 millions de livres (75 de ses biens et 25 des dîmes), correspondant à 500 millions de francs de notre monnaie, tandis que le clergé actuel ne recevait des pouvoirs publics que 55 millions en 1905. Les charges de l'Église, sous Louis XIII, étaient à coup sûr plus élevées que celles de l'Église concordataire du XXe siècle : les aumônes légales, l'entretien de bâtiments innombrables, églises, chapelles, monastères, montaient sans doute, avec le don gratuit, à 20 millions de livres ou 100 millions de francs contemporains. Il lui restait ainsi, pour vivre, 400 millions, tandis qu'hier — ces mêmes frais déduits du budget des cultes — il ne lui restait pas plus de 37 millions de francs pour les traitements ecclésiastiques. Du rapprochement de ces deux chiffres ressort cette conclusion que, sous Louis XIII, le clergé avait beaucoup de superflu ou bien qu'hier il n'avait pas le nécessaire. L'une et l'autre de ces opinions sont vraies. En effet le clergé séculier se compose maintenant de 40.000 prêtres. La plupart sont pauvres, les trois quarts n'ont pour vivre que leur traitement ; il en était un peu de même autrefois, où le bas clergé se recrutait dans les classes populaires et où le haut clergé se composait de cadets des familles d'épée ou de robe, qui ne recevaient que la légitime, et souvent y renonçaient dès qu'ils avaient un bénéfice. Quant aux religieux et religieuses, ils étaient, après la prononciation de leurs vœux, morts civilement, et leur succession s'ouvrait immédiatement. Le clergé du xvii' siècle, ayant sept à huit fois plus d'argent que le nôtre et comptant tout au plus le double des membres du clergé actuel, devrait être beaucoup plus à son aise. Comment le tableau assez triste que nous avons tracé de sa misère peut-il donc être ressemblant ? Cela tient à ce que l'État s'était emparé des trois quarts du revenu de l'Église, et en disposait à sa volonté, à cette seule condition de n'en gratifier que des individus revêtus au moins des ordres mineurs. Ceux-ci n'exerçaient aucun ministère et ne rendaient aucun service à la religion. De sorte que si l'on voulait savoir ce que dépensaient annuellement ceux qui desservaient les paroisses et ceux qui priaient ou travaillaient dans les monastères, — moines cloîtrés et curés portionnés, — on ne trouverait sans doute pour eux tous qu'une somme correspondante à ce que recevaient l'an dernier nos prêtres contemporains. |