Les curés primitifs, cures unies aux abbayes, curés non résidents, vicaires perpétuels. — Le salaire du prêtre desservant et la portion congrue, sous Louis XIII. — Comparaison de L'état matériel du curé de campagne en 1840, en 1789 et en 1906. — Logement du curé, les presbytères. — Casuel ; creux de l'église ; allocations payées pour les messes et pour les mariages et enterrements. — Cimetières et tombes. — Recettes et dépenses des églises ; budget des fabriques. — Leur gestion, nomination et pouvoirs des marguilliers. — Célébration du culte ; ornements, objets sacrés, cloches, livres. — Payement des prédicateurs. — Les sermons et la chaire chrétienne en ce temps. — Réparation et entretien des églises. — Rapports du curé avec le pouvoir civil et avec la population. — Registres paroissiaux, administration des sacrements.Ici, pas de bulles de pape comme pour les chapitres et les abbayes, pas de diplômes de rois ni de chartes qui nous reportent à dix siècles en arrière ; la paroisse n'a pas d'histoire : humble elle a vécu, et pauvre comme aujourd'hui, même davantage. Voici pourquoi : parmi les paroisses riches, les unes étaient censées administrées par le chapitre d'églises collégiales ou cathédrales, les autres avaient pour curés nominaux — curés primitifs — des couvents voisins, qui peut-être y avaient à l'origine exercé le ministère. Abbés ou chanoines laissaient depuis longtemps le soin de leurs ouailles à des suppléants — vicaires perpétuels — nommés par eux. Ils confiaient à ceux-ci la besogne pastorale, et se réservaient l'honneur et l'argent, l'autorité et les revenus. Au curé primitif le droit de dire la grand'messe aux fêtes solennelles, de bénir les buis du dimanche des Rameaux ; l'hommage de la cire et du vin ; le produit de la dîme. Au vicaire perpétuel, — que le peuple appelle curé, car de fait il l'est, — les soins du sacerdoce, de l'instruction de la jeunesse, et une indemnité pour ne pas mourir de faim. Le curé bénéficier, c'est-à-dire propriétaire de la cure, lors même qu'il ne dépend ni d'un monastère ni d'un chapitre, ne réside pas non plus ; c'est l'ordinaire en Guyenne et en Languedoc. En basse Bretagne, une paroisse est une circonscription très étendue, elle a à sa tête un recteur, qui n'y habite guère ; il se fait représenter par des curés ou subcurés fermiers des devoirs rectoriaux auxquels il donne un traitement fixe, faible partie des revenus qu'ils perçoivent pour lui ; et dans les hameaux sont des églises succursales — nommées fillettes ou trêves — dont les desservants préfèrent souvent habiter au bourg paroissial, près de l'église mère. L'archevêque de Bordeaux se plaignait que les curés pour se dispenser de la résidence prenaient prétexte de divers procès qu'ils se procuraient eux-mêmes, et se faisaient faire à plaisir sous des noms empruntés. Les évêques plaident contre les chanoines pour les obliger à quitter les cures qu'ils ne peuvent desservir ; longs procès qu'il fallait bien du courage pour entamer, et pour mener à bonne fin. Les curés obtenaient à Rome des bulles qui les dispensaient de résider : l'évêque en appelait de ces bulles au Parlement comme d'abus ; les curés aussi en appelaient comme d'abus, contre les ordres de leur évêque. Toujours les tribunaux donnaient raison aux prélats ; les curés perdaient leurs procès toujours, mais ne résidaient pas davantage ; de façon que le mal paraissait sans remède. Il s'imagine, disait d'un ecclésiastique l'avocat général Talon, qu'il est loisible d'abandonner sa paroisse, pourvu que l'on y commette un vicaire, comme si le devoir qui consiste en la fonction personnelle du sacerdoce pouvait être accompli par le ministère d'un procureur. C'est chose étrange que ceux qui sont établis pour avoir le soin des âmes, fassent consister le seul exercice de leurs charges en la perception des fruits, et non en l'administration des sacrements, qu'ils commettent d'ordinaire à l'industrie d'un prêtre mercenaire... Par cette corruption qui s'autorise insensiblement, les pauvres gens, dans la campagne, se trouvent destitués de tout secours, et vivent dans l'ignorance des choses nécessaires à leur salut. Dans la pratique, les populations s'estimaient encore
heureuses d'obtenir des non-résidents l'entretien d'un de ses vicaires, à portion congrue, que le gros décimateur, les poches
pleines, envoyait faire avec les poches vides un ministère de charité. La
portion congrue avait été fixée sous Charles IX à Bien fréquentes sont les instances judiciaires introduites par les municipalités en vue de forcer le curé titulaire, non résident, de leur envoyer un prêtre en son lieu et place. Une commune de Bourgogne, qui ne peut en entretenir un vu sa pauvreté, demande aux décimateurs de lui en fournir ; procès-verbal est dressé (1645) par un notaire royal, à la requête des habitants de Changé, en Anjou, de l'abandon de tout service régulier dans leur église. En Picardie, plusieurs prêtres doivent dire deux messes parce qu'ils ont plusieurs paroisses à desservir. Cependant tous ces fidèles payent exactement la dîme, et les clercs ne manquent pas : l'injustice à leur égard est donc considérable. Les cahiers de Champagne (1560)
parlaient des prêtres qui, au grand opprobre du
clergé, sont contraints, les uns de travailler en journée, les autres
de mendier leur vie ; quelques-uns labouraient la terre, comme fermiers. Le
cardinal projeta d'assurer aux curés un revenu net de A tous, la portion congrue, de Comparé au desservant de commune rurale en 1906, le curé à
portion congrue du XVIIe siècle était plus à l'aise. Les 200 ou Les desservants étaient, comme de nos jours, logés aux
frais des communes ; les habitants devaient leur fournir un presbytère, et
même le meubler, mais non le réparer ni l'entretenir. Ces soins incombaient
aux prêtres jusqu'au règne de Louis XIV, où ils furent déchargés souvent des
grosses réparations. Tantôt les paroissiens devaient à l'église les ornements
indispensables, et s'imposaient extraordinairement pour en acheter. Tantôt
ces dépenses étaient à la charge des gros décimateurs. Quelques honoraires
payés pour les messes, et pour les baptêmes, mariages et enterrements,
complétaient le budget du curé ; maigre casuel. Ici une messe vaut 3 ou 4
sous ; chaque couple de mariés donne trois sous, parfois une livre de cire,
pour l'entretien des cierges ; là, en Bretagne, la location d'une tombe dans
le chœur varie de quatre à soixante sous, dont un tiers pour le recteur, et
deux tiers pour la fabrique. Les tarifs sont dressés par la municipalité ; le
conseil communal de Bourg se plaint que les vicaires exigent plus qu'il n'est
dû pour les enterrements des pauvres. Même dans les pays les plus pieux, ces
taxes étaient impopulaires : le Code paysan promulgué par les
campagnes bretonnes, dans la révolte de 1675, porte que
les prêtres seront gagés pour le service de leurs ouailles, sans qu'ils
puissent prétendre aucun salaire pour toutes leurs fonctions curiales.
Il est vrai que les mêmes campagnards demandaient qu'il
fût distribué aux messes paroissiales, du tabac avec le pain bénit, pour
la satisfaction des habitants. On enterre un peu partout ; chaque seigneur a sa chapelle, chaque couvent a son cimetière. Ni par hygiène ni par sentiment, on ne croit utile ou agréable d'éloigner les morts. L'église est pavée de tombes ; en vertu de conventions anciennes, chacun a son banc dessus, avant de descendre en dessous. La place vient à manquer souvent, on se l'arrache. Le mélange du temporel et du spirituel, très sensible dans les hautes sphères administratives, s'accentue beaucoup lorsqu'on foule le sol peu fréquenté de la paroisse. Paroisse et commune sont même chose à la campagne ; les limites de l'une sont les limites de l'autre : il n'est pas d'autre mairie que le porche de l'église. Les fabriciens, ou fabriqueurs, sont aussi conseillers municipaux ; par suite le curé est un peu maire, mais le maire est encore bien plus curé. Élus chaque année au suffrage universel par le général des habitants, — les femmes comprises sans doute, — les membres de la fabrique s'occupent aussi de la voirie, des droits de pacage, de la levée des troupes ; ils tiennent lieu d'assemblées communales, quand il n'en existe pas. Quand, au contraire, le bourg possède des consuls ou des échevins, les marguilliers ou gagers d'église se bornent à gouverner le culte extérieur. Ils le font sous la surveillance de leurs concitoyens, qui approuvent ou modifient les comptes notariés que le procureur de fabrique rend publiquement chaque année. En fait de gestion paroissiale, plus qu'en toute autre matière, il n'existe rien d'uniforme, aucun règlement applicable partout. L'usage local, des titres anciens ont force de loi. Ici, interdiction aux maires et échevins de prendre connaissance des deniers des fabriques ; là, obligation d'en compter devant eux ; ici, les marguilliers ont plein pouvoir d'acquérir et d'aliéner ; là, le curé doit assembler tous les habitants pour être autorisé à vendre trois quartiers de terres restés en friche. Les évêques et les archidiacres, dit le Mercure, ont droit
de vérifier, en faisant leurs visites, les rentes et revenus des fabriques.
Mais comme le prélat et les dignitaires diocésains ne s'aventurent
qu'accidentellement dans les profondeurs des champs, la paroisse rurale vit
pauvre et libre en son isolement. Il lui fut ordonné sous Louis XIII de
porter chaque année ses comptes à l'évêché. Elle le fit avec répugnance,
mettant près de soixante ans à obéir. La hiérarchie s'établit cependant ; au XVIIIe
siècle, l'archevêque de Lyon enjoint aux fabriques de ne rien dépenser au delà de Les recettes paroissiales consistent en quêtes, en une foule de rentes foncières dont la plupart n'atteignaient pas même 20 sous, mais qui par leur multiplicité formaient une somme. Les églises, et dans les églises les chapelles, ont leurs bienfaiteurs, leurs donateurs ; tel seigneur, tel bourgeois est fondateur de la chapelle Saint-Nicolas, de l'autel Sainte-Marthe ; c'est quelque chose, on perpétue son nom. La location des bancs, la sonnerie des cloches aux obsèques, partie des amendes de police que la commune abandonne à titre de subvention, telles sont les ressources. Les dépenses varient fort : dans les grandes villes, des
bedeaux à Beaucoup d'églises, au temps des guerres de religion, avaient
été fortifiées et mises en état de résister aux
coups de main. Durant Nous allions oublier les salaires des prédicateurs de
l'Avent et du Carême, le coût de leur nourriture et de leur logement. Grandes
questions que celles-là 1 Qui choisira et surtout qui payera le prédicateur ?
Entre tous les pouvoirs locaux, c'est à qui le choisira, et c'est à qui ne le
payera pas. Il en faut un pourtant ; n'en pas avoir serait pour la paroisse
une profonde humiliation. Des Capucins qui ont prêché à Astaffort (Languedoc) reçoivent pour Au contraire, quand il ne s'agit que de désigner le
missionnaire, les marguilliers, les consuls, à Paris comme en province,
entrent en lutte avec le curé, s'abstiennent de voter la gratification ordinaire pour un ecclésiastique
qu'ils n'ont pas nommé. Impossible d'accorder le conseil communal de Bourg
avec le chapitre, qui s'obstine à appeler un prédicateur jacobin, quand M. le
duc d'Enghien, lieutenant du Roi, ne veut souffrir
qu'un Capucin ou un Jésuite. La pieuse avidité que manifestent en ce
temps pour les sermons les populations urbaines ou rurales, paraît à notre
goût moderne bien méritoire, en raison de l'état de profond abaissement où
était tombée, avant Bossuet, l'éloquence de la chaire. Le pathos et la trivialité
s'en étaient emparés et la défiguraient. Nous n'avions pas à nous appesantir
sur l'illustre abbé Cottin, un bon Phébus,
dit Tallemant, — on sait par cœur les plaisanteries de Boileau, — qui,
prêchant à l'époque où Richelieu avait mis la comédie à la mode, s'exprimait
ainsi : Quand Jésus-Christ acheva sur le théâtre de Un autre, prêchant sur la tentation devant les religieuses de Montmartre, dit qu'il ne fallait pas se mettre en peine lorsqu'on était tenté, qu'il n'y avait qu'à dire non ; que David étant vieux et comme usé, lorsqu'il fit tuer le mari de Bethsabée, ne pouvait pas avoir une grande tentation, qu'il y succomba parce qu'il ne sut pas dire non ; que Joseph, au contraire, qui était jeune, sanguin et vigoureux, en devait avoir une fort grande, qu'il n'y succomba pas pourtant parce qu'il sut dire non, et laisser sa casaque ; mais que si elle avait tenu au bouton, il ne savait pas ce qui serait arrivé ! Ce genre burlesque, ces familiarités de la chaire chrétienne, autorisaient, il est vrai, une audace que l'opinion actuelle ne supporterait plus. Le P. Gonthery, Jésuite, occupait la chaire de Saint-Gervais. Henri IV était au banc d'œuvre ; la marquise de Verneuil, non loin de là, lui faisait des signes pour le faire rire. Le P. Gonthery s'arrête, et se tournant vers le Roi : Sire, lui dit-il, ne vous lasserez-vous jamais de venir avec un sérail entendre la parole de Dieu, et de donner un si grand scandale dans ce lieu saint ? Jusqu'à ces dernières années, les dépenses de
reconstruction des églises étaient obligatoires pour les communes, en cas
d'insuffisance constatée des ressources de la fabrique ; et les ressources de
la fabrique étant presque toujours insuffisantes, le Conseil municipal était
tenu de voter les fonds. Au XVIIe siècle, les réparations étaient, d'office,
mises à la charge du clergé. Il en était de même des travaux neufs, s'il
s'agissait du chœur et de ses dépendances ; s'il s'agissait de la nef et des
chapelles, les habitants devaient y pourvoir à leurs frais, et établissaient
un impôt dans ce but. Souvent même les communes ne doivent que la main-d'œuvre et le charroi, jusqu'à trois lieues
de distance, et le bois de leurs forêts si elles en ont. Tout le reste de la
dépense était supporté par les détenteurs des biens ecclésiastiques. Des uns,
on exigeait le tiers ou le quart des dîmes, des autres le sixième au moins du
revenu foncier. Les évêques ne sont pas exempts de ce prélèvement ; celui
d'Uzès y est contraint pour sa cathédrale. Et si quelque bénéficier a su,
durant sa vie, esquiver cette obligation, cette responsabilité retombe sur sa
famille. Les héritiers de l'évêque de Condom sont condamnés à faire réparer
l'église Saint-Nicolas, suivant le devis, ou à consigner une somme de La province ou le diocèse prennent part aux frais de
constructions des évêchés et des églises métropolitaines : pour celle de
Mende, les États du Gévaudan donnent 3.000 écus ; pour celle de Nîmes, les
habitants s'imposent Il est extrêmement rare,
dit-on au XVIIIe siècle, de trouver un curé qui
n'ait pas plaidé contre son seigneur, ou même un seigneur qui n'ait pas
plaidé contre son curé. Nous n'en avons guère rencontré dans ce cas,
sous le règne de Louis XIII ; s'ils plaident, les curés de campagne, c'est
pour la portion congrue, le pain quotidien ; hors de là, ils demeurent
silencieux comme leurs ouailles, sous l'absolutisme du pouvoir royal. On
n'entendra parler d'eux que plus lard, au jour du serinent du Jeu de paume,
où leur appoint décidera du sort de Par les sacrements qu'il administre, par les obsèques qu'il célèbre, le curé est un rouage actif de la vie communale ; par les livres où il consigne les baptêmes, mariages et inhumations, — registres d'état civil, qu'il tient à ses frais, — il est le gardien de la filiation légitime ou légitimée. Car il est une forme rudimentaire de légitimation religieuse pour les enfants procréés avant le mariage, consistant à les mettre sous le drap pendant la bénédiction nuptiale. En certaines provinces, le clergé avait jadis constaté la reconnaissance même d'un enfant naturel, ou accepté comme une preuve sacrée les serments des mères, dans la recherche de la paternité. En Béarn, au XVe siècle, Guirautine de Casso jure sur l'autel de Saint-Antoine que Bernard son fils a été engendré par le commandeur de Sus ; elle lui met l'enfant entre les bras, et le commandeur l'accepte, en présence de trois ecclésiastiques. Frezade de Prée, femme de Grassiot de Crabites, jure sur le même autel, avec l'autorisation de son mari, que l'enfant qu'elle a eu avant son mariage est fils de Guicharnaud de Bordenave. Ces singularités, plus naïves qu'immorales, avaient disparu ; mais le rôle prépondérant du curé avait subsisté ; précepteur de la doctrine religieuse, il apparaît au sein de ces populations rudes et incultes, dont lui-même est issu, comme le pionnier de la civilisation. |