CAMPAGNES DE L'ARMÉE D'AFRIQUE

1835-1840

 

CONSTANTINE. — NOVEMBRE 1836

 

 

Le bey de Constantine, Hadji-Achmed, n'était, ni par position, ni par caractère, un ennemi remuant et dangereux pour la France. Il s'était résigné, après le succès du général d'Uzer[1], autour de Bône, à l'établissement des Français dans cette ville, et une longue et mutuelle inaction avait amené une trêve de fait entre le général, qui ne songeait point à la conquête du pays et le dernier prince turc, qui ne demandait à la France qu'à conserver l'usufruit viager de son beylick.

Une durée de deux ans avait déjà donné force de loi à ce pacte muet, lorsqu'il fut rompu par la nomination du chef d'escadron Youssouf à la dignité de bey in partibus de Constantine. Cette promotion, faite par le maréchal Clauzel à Tlemcen, en février 1836, détruisait le système du général d'Uzer et amena son départ.

Instituer bey de Constantine un soldat ambitieux, brave et hardi, c'était annoncer hautement à Achmed lui-même sa déchéance et la conquête prochaine de ses États.

L'entreprise était difficile : Achmed régnait sans opposition sur près de deux millions de sujets faciles à gouverner. Il était soutenu par la Turquie, approvisionné par Tunis. Son pouvoir, déjà ancien et toujours craint et obéi, était exercé par de bons lieutenants et appuyé par des troupes étrangères braves et dévouées.

Dans cette milice turque, cause habituelle de tant de désordres, Achmed ne voyait que des soldats et peu de rivaux, depuis que Ben-Aïssa avait réorganisé les joldachs en décapitant tous les chefs et donnant leurs dépouilles aux subalternes, qu'un intérêt commun de conservation liait déjà presque malgré eux à la cause de leur bey.

Une garde d'infanterie kabyle et de cavalerie arabe, où les otages des premières familles du pays étaient mêlés aux compagnons de fortune de Ben-Aïssa, servait à la fois de contrôle à la fidélité des Turcs, et de garantie à la soumission de la province, dont toutes les têtes étaient ainsi toujours sous les mains du maitre.

Achmed n'avait pas, comme Abd-el-Kader, d'empire à fonder, et, le besoin de jouissance remplaçant chez lui l'inquiète et ambitieuse ardeur de l'émir, il n'avait que des préoccupations défensives, et avait habilement centralisé dans Constantine son gouvernement, dont Ben-Aïssa était l'âme et le bras, ses trésors, son armée et tous les moyens d'action de ses vastes États, qui s'étendaient depuis les limites des provinces d'Alger et de Tunis jusqu'au delà du désert de Biskara.

C'est qu'en effet Constantine, par sa position géographique et topographique, était sa meilleure et sa plus sûre défense.

Cette capitale est un de ces lieux privilégiés de la nature, voués, comme certains hommes ou certaines nations, à une destinée qui s'accomplit d'une manière constante et immuable à travers les siècles, malgré les transformations du sol et les révolutions des peuples.

Le rocher inaccessible sur lequel s'éleva successivement la Cirta des Numides et des Romains, la Constantine du Bas- Empire, des Vandales, des Arabes et des Turcs, fut toujours l'antre inexpugnable des tyrans de l'Afrique. De ce nid d'aigle, planté au milieu du désert, et qui n'avait encore connu de vainqueur que la famine, les maîtres de cette ville prédestinée ont toujours bravé des armées vaincues d'avance, en été, par le manque d'eau, en hiver, par le manque de bois, et, en toute saison, par l'éloignement et les obstacles naturels.

Aussi le maréchal Clauzel, à cause des difficultés d'exécution et du peu d'urgence politique, avait d'abord classé l'expédition contre Constantine comme la dernière opération de son plan de conquête générale de la régence.

Même après la nomination de Youssouf, Achmed espérait encore être oublié par la France, et demeurait dans cet engourdissement inerte qui caractérise les gouvernements turcs.

Il laissa le colonel Duverger[2], à qui le maréchal avait confié le commandement de la division de Bône et le soin de préparer l'expédition de Constantine, installer pompeusement son compétiteur. Il laissa Youssouf lever un régiment de spahis, un bataillon d'infanterie turque, et soumettre, à la tête de cette bande d'aventuriers de toutes les races, à qui le maréchal avait donné quatre obusiers de montagne, les tribus jusqu'à quinze lieues de Bône.

Bientôt, cependant, l'établissement du camp retranché de Dréan, qui eut lieu en avril 1836, à cinq lieues de Bône, à la première étape sur la route de Constantine, ouvrit les yeux à celui-là même qui se refusait à sortir de son indolent et commode aveuglement.

Ce premier pas, sagement fait dans l'esprit d'une marche progressive et méthodique, fut bientôt suivi de la prise de possession de la Calle, ancien chef-lieu des concessions françaises en Afrique, et centre de la pêche du corail. Cinquante Turcs, commandés par un officier français, s'installèrent le 15 juillet sur les ruines du bastion de France, poste important pour l'avenir commercial du pays, mais dont l'excentricité et l'inutilité pour la conquête de Constantine révélèrent de plus en plus le projet d'occuper toute la province.

Après ces opérations, entreprises trop tôt, puisqu'on n'était pas en mesure de les soutenir, il fallut s'arrêter : la division de Bône, qui ne comptait que mille hommes, sans moyens de transport, ne pouvait pousser au delà de Dréan la tête de sape dirigée contre Constantine.

Le doute naquit aussitôt de ce retard, et ébranla les populations que Youssouf avait domptées, moitié par prestige, moitié par violence.

Ben-Aïssa, l'actif et vigilant Kabyle qui veillait pour son maitre, avait prévu ce moment et sut en profiter. Il arracha Achmed à la débauche dans laquelle ce vieillard sanguinaire dépensait sa lâche oisiveté, et le conduisit jusqu'au col de l'Atlas, au Ras-el-Akba, où il dressa ses tentes à la fin d'août. Ben-Aïssa lui-même s'avance au delà ; il prend l'offensive et soulève les tribus, déjà lasses de leur nouveau bey, et qui avaient appris à leurs dépens la fable du roi soliveau et de la grue.

La délimitation tacitement établie et observée depuis deux ans entre la France et Achmed se trouvait ainsi franchie ; la guerre était rallumée. Il fallait, ou se résigner à perdre peu à peu le terrain conquis et à être bloqué dans Bône, ou aller sur-le-champ détrôner Achmed dans Constantine. Acculé à cette alternative fatale, le maréchal Clauzel n'hésita pas, et, dans la situation que lui faisaient ses actes antérieurs, les événements de la guerre contre Abd-el-Kader et ses rapports avec le nouveau ministère du 6 septembre, il fut heureux de voir les circonstances rendre inévitable pour la France une expédition qui était déjà nécessaire au général en chef de l'armée d'Afrique.

Tout dépendait pour lui de cette opération ; mais, par un malheur qui témoignait encore de la grandeur et de la puissance de ses facultés, à mesure que ce projet l'absorba davantage, l'ardeur de son imagination, la force inflexible de sa volonté et le besoin qu'il avait du succès, lui firent prendre pour des réalités, les espérances d'abord, puis les illusions, puis enfin les impossibilités sur lesquelles reposa successivement son plan.

Ce fut seulement dans les premiers jours d'octobre qu'il reçut à la fin le refus du gouvernement de lui donner les renforts qu'il demandait, et l'autorisation d'entreprendre l'expédition avec les moyens dont il disposait déjà Réduit par là à se démentir lui-même ou à tenter une œuvre impossible, le maréchal répondit : Je ferai comme je pourrai, le mieux que je pourrai, mais j'agirai avec ce que j'aurai, et je compte sur ma bonne étoile.

C'était malheureusement la seule garantie de succès qu'il pût donner ; car l'état du pays et l'insuffisance des ressources existantes condamnaient également cette résolution extrême, à laquelle le maréchal s'abandonna sans réserve, comme fasciné par les illusions dont se berçait le brave Youssouf.

La défection des tribus, découragées par la lenteur d'une opération trop ouvertement annoncée pour que son retard ne fût pas un signe de faiblesse, avait fait d'effrayants progrès. La zone hostile s'était journellement rapprochée de Bône sur les pas de Ben-lissa, qui s'avança jusqu'au camp de Dréan. Le 9 octobre, il lance quatre mille cavaliers sur les tribus voisines de cette capitale du bey des Français, voulant ainsi le forcer à assister au malheur des derniers sujets qui lui soient restés fidèles. Laisser faire eût été signer sa déchéance.

Youssouf sort hardiment du camp avec un millier d'hommes de ses spahis et de son infanterie : il se jette le premier tête baissée au milieu de l'ennemi, dont le nombre eût fini par rendre le combat douteux, si un escadron du 3e chasseurs, commandé par le capitaine Marion[3], ne fût tombé à l'improviste sur les derrières des Arabes : ceux-ci lâchent pied, se croyant attaqués par l'avant-garde d'un corps nombreux, car ils ne peuvent croire qu'au milieu d'une province insurgée, on continue encore à faire circuler des détachements comme en pleine paix. Youssouf se met ensuite à la poursuite de l'ennemi, lui prend tout son butin, et lui coupe près de quatre-vingts têtes.

Mais ce succès partiel n'arrête point la marche de l'insurrection, qui gagne la plaine de Bône : les Kabyles de l'Edough viennent tirer jusque sur les portes de la ville, et, quelques jours après (24 et 25 octobre), Achmed en personne tiraille devant Dréan avec une masse de cavalerie si considérable, que le général Trézel, nouveau commandant de la division, doit se borner à observer un ennemi trop fort, contre lequel la faible garnison de Bône ne peut-tenir la campagne.

Ainsi s'évanouissait l'espoir de trouver dans le pays les ressources indispensables sur lesquelles le maréchal avait compté pour suppléer à l'absence du secours qu'il avait espéré d'abord recevoir de France.

Les populations qui devaient fournir des auxiliaires, des vivres et des transports, étaient devenues un obstacle de plus pour l'armée d'Afrique ; celle-ci devait dès lors, elle seule, suffire à tout pour la conquête de Constantine.

En pressurant toutes les divisions pour en extraire le corps expéditionnaire, le maréchal arriva seulement à créer la faiblesse sur tous les points qu'il dépouillait du nécessaire, sans parvenir à concentrer une force suffisante à Bône.

En voyant quels efforts, quelle persévérance il lui fallut pour opérer ce revirement de moyens, qui n'aboutissait qu'à une sorte de diversion en faveur d'Abd-el-Kader, on est obligé de reconnaître un nouvel exemple de cet attrait fatal et irrésistible

qui entraîne souvent les hommes vers leur perte, et leur donne la force de surmonter tous les obstacles qui les en séparent : inutiles avertissements que la Providence sème en vain sous leurs pas.

Les éléments, ces dangereux ennemis auxquels le grand Doria ne connaissait de vainqueurs que mai, juin et juillet, combattirent les opérations préliminaires de la campagne ; malgré l'activité de la marine royale, qui fit remorquer par ses bateaux à vapeur jusqu'à sept bâtiments de transport à la fois, il fallut plusieurs voyages pour réunir à Bône le matériel et le personnel, grappillés sur toute la côte de l'Algérie et dans les dépôts de l'armée. Des naufrages, tristes et prophétiques emblèmes du sort qui attendait les troupes, avaient encore diminué leurs trop faibles ressources avant que les vaisseaux, ballottés par la tempête, fussent arrivés devant le détestable port de Bône, où l'absence des moyens de débarquement ajoutait encore aux embarras d'une armée obligée de tout tirer de la mer.

Ce fut lentement, après de longues et orageuses traversées, que le 17e léger, le 62e de ligue, le 1er bataillon d'Afrique venant d'Oran, la compagnie franche et des sapeurs pris à Bougie, le 63e, le 3e bataillon du 2e léger, l'artillerie, le génie et l'administration, embarqués à Alger, arrivèrent successivement à Bône.

Hommes et chevaux quittèrent le pont des vaisseaux, où quelques-uns avaient été entassés pendant quarante jours au bivouac, mouillés par la pluie, mouillés par les vagues, sans pouvoir ni se chauffer, ni se sécher, ni marcher, ni presque remuer, pour s'amonceler dans la ville de Bône, affreux cloaque encombré de ruines et d'ordures. Pas une chambre, pas une tente, pas un hangar n'était à l'abri des pluies glaciales qui tombèrent sans interruption depuis le 10 octobre.

Une humidité pénétrante et malsaine qui pourrit jusqu'aux munitions de l'artillerie, un brouillard froid qui couvrit, au 1er novembre, de neiges précoces des montagnes situées sous le 35e degré de latitude, ne furent suspendus, pendant quelques jours, que par les rayons ardents d'un soleil caniculaire. Sa chaleur inopportune développa la fermentation dans ce foyer d'infection, et fit éclore tous les germes morbides que l'oisiveté, cette mère de toutes les maladies en Afrique, avait déjà inoculés à des soldats engourdis par la traversée et privés de toute protection contre les intempéries d'une saison si variable.

Sur huit mille hommes, deux mille sont saisis par la fièvre. Couchés sur la paille humide, avec une couverture pour deux, sous la tente ou sous le hangar où ils sont tombés malades, ils cherchent dans l'excès du sulfate de quinine, dont on fait en quelque sorte des distributions régulières, des forces qui trahissent leur moral et leur ardeur. Des ballots entiers de ce poison sont avalés en quelques jours dans les régiments transformés en infirmeries ; car Bône, ce charnier, qui a déjà englouti tant de victimes, n'a pas même un hôpital suffisant ; les soldats, attendant un tour de faveur pour y entrer, voient souvent la tombe s'ouvrir pour eux avant cet hôpital, mesuré à la mesquinerie des fonds votés, et non pas à l'étendue des misères qu'il doit soulager.

En refusant trois fois de suite les fonds demandés pour l'assainissement et la reconstruction de Bône, la philanthropie fastueuse et mensongère qui élève des palais aux criminels, avait condamné à mourir ces soldats envoyés au nom de l'humanité et de la civilisation pour coloniser 'l'Afrique, et qui n'y peuplaient que les cimetières.

Lorsque le maréchal Clauzel arriva à Bône le 31 octobre, peu après le duc de Nemours, qui avait voulu faire cette périlleuse campagne, toutes les bases de l'organisation croulaient à la fois, et les moyens manquaient pour transporter les vivres, déjà insuffisants, d'une armée dont la tâche était hors de proportion avec sa valeur numérique.

Mais le maréchal suppléait par une nouvelle confiance à chaque mécompte nouveau ; c'était un défi de plus jeté à ses talents militaires, et il acceptait avec une énergie désespérée cette lutte inégale, dans laquelle il avait contre lui tout ce qui ne dépendait pas d'un caprice de la fortune, son unique espoir, et qui, elle aussi, le trahit bientôt. En s'absorbant exclusivement dans sa volonté, il finit par croire qu'elle suffirait pour triompher, et il ne chercha de remède à une situation fâcheuse que dans ce qui devait l'aggraver.

Atteint lui-même, malgré sa constitution herculéenne, par le mal qui lui enlevait ses soldats, ce fut encore par un mouvement en avant qu'il crut retrouver la santé et la réalisation des promesses trop facilement escomptées du bey Youssouf. Hors d'état de proportionner les moyens d'attaque aux difficultés de l'entreprise, il renversa les rôles, et ne mesura tes obstacles probables qu'à l'échelle de ses faibles ressources. Placé dans l'impossibilité de vaincre, sans matériel administratif et sans artillerie, une résistance dont la prévision lui était importune, le maréchal compta comme une certitude la reddition volontaire de Constantine. Les prises faciles de Mascara et de Tlemcen paraissaient donner à cette opinion présomptueuse l'autorité des précédents ; n'ayant rien de ce qu'eût exigé le siège de la place, il agit comme s'il en eût tenu déjà les clefs.

Par une déplorable erreur politique, le maréchal croyait Youssouf, bloqué dans Bône, plus maitre de Constantine qu'Achmed soulevant les populations jusqu'à la porte de la caserne de son rival : il en déduisait toutes les conséquences avec cette confiante et irrémédiable logique qui appartient bien plus aux combinaisons de l'aveuglement qu'aux calculs de la raison ; et, comme s'il eût craint d'être éclairé sur une entreprise à laquelle il ne pouvait plus renoncer, il ne fit reconnaître ni Constantine, ni la route par laquelle on devait y arriver ; et pas plus que le condamné, il n'essaya de soulever le bandeau qui lui couvrait les yeux.

Ces illusions, fortes de leur bonne foi, furent contagieuses : il est si doux de trouver un prétexte pour croire ce que l'on désire. On ne parla bientôt plus de la marche sur Constantine que comme d'une partie de plaisir et d'un voyage archéologique, auquel s'associèrent de nombreux amateurs, parmi lesquels on remarquait les ducs de Caraman et de Mortemart, pairs de France, MM. de Chasseloup et Bande, députés.

Mais la plupart des chefs de l'armée étaient loin de partager cette confiance. Les sages représentations des colonels Lemercier et de Tournemine[4], commandant le génie et l'artillerie, et de l'intendant militaire Melcion[5], tous trois gens de cœur, retardaient de jour en jour le départ de la colonne, qui n'était que l'ébauche d'une armée. Le maréchal coupa ce dernier câble qui retenait au port sou vaisseau délabré ; il donna rendez-vous à Guelma, à quinze lieues de Bône, aux diverses fractions du corps expéditionnaire, voulant le faire sortir de ce cercle vicieux dans lequel s'agitait l'impuissant essai d'une organisation confuse.

L'effectif (le cette troupe de fiévreux, qui allait à travers un pays inconnu, sans vivres et sans artillerie, attaquer le Gibraltar du désert, ayant contre soi la saison, la maladie, la distance, la famine, la politique, et toutes les chances militaires, n'était que de 7.270 hommes de toutes armes[6].

Les troupes indigènes, au nombre d'environ 1.500 hommes, et les gens de toute espèce à la suite de l'armée, élevaient à huit mille sept cents le nombre des rationnaires.

La portée de cette colonne, en la considérant comme un projectile lancé par la France, dépendait nécessairement du nombre des jours de vivres qu'elle emportait ; comme son effet, une fois rendue à sa destination, pouvait se mesurer à la puissance de ses moyens de destruction.

N'ayant pas la faculté de pouvoir à la fois aller loin et vite et frapper fort, il fallait opter entre la légèreté de la colonne ou la puissance de l'artillerie. Le corps expéditionnaire n'était constitué ni pour recevoir promptement une soumission, ni pour faire énergiquement une conquête ; il allait à la mort, et il courait au gouffre avec la pierre au cou.

On emmenait une batterie de huit, impuissante à ouvrir une brèche, et gênante dans la marche ; c'était trop pour une' porte ouverte, pas assez pour une porte fermée. On laissait à Bône une batterie de douze qui eût pu être efficace contre des murailles dont tous les voyageurs avaient parlé, et un équipage de pont qui eût accéléré la marche et épargné bien des souffrances. Les chevaux manquaient pour atteler plus d'une batterie.

Avec trois cent vingt-huit animaux décrépits, tous en Afrique depuis la conquête, l'artillerie ne pouvait emporter, pour les six canons de huit et les dix obusiers de montagne, que treize cent quatre-vingt-deux coups en tout, dont sept cent seize seulement pour la batterie de campagne, et six cent soixante-deux pour les petits obusiers.

Le matériel de l'artillerie se composait, en outre, de trente-six fusils de rempart, n'ayant chacun que six coups à tirer, et de deux cents fusées de guerre déjà trop vieilles ; car, la routine bureaucratique ne permettant de tirer ces artifices que par ordre d'ancienneté, leur tour n'arrivait que lorsqu'ils étaient hors d'état de servir.

Il n'y avait pas là de quoi prendre la moindre bicoque, et il y avait un matériel assez lourd pour ralentir une armée pressée ; car on avait à peine assez de vivres pour atteindre Constantine, où l'on courait risque d'arriver avec des caissons vides. Il fallait franchir quarante lieues, des montagnes sans chemins, des torrents sans ponts, des terres détrempées, avec des voitures chargées et de mauvais chevaux ; et l'on avait pris pour base des calculs vingt-cinq lieues faites en plat pays et par le beau temps. L'état du terrain dans la mauvaise saison, en retardant la colonne et en forçant à réduire la charge du convoi, devait à la fois augmenter les jours de marche et diminuer les vivres emportés. En mesurant la charge des bêtes et des hommes, non à ce qu'il eût fallu avoir, mais à ce qu'il était possible d'emporter, l'administration put placer seulement cinq jours de vivres sur les dix voitures attelées de chevaux malingres et sur les trois cent douze mulets arabes mal bâtés, sans organisation, plutôt enlevés de force qu'enrôlés volontairement, qui étaient disponibles pour le service des vivres, dans l'informe convoi de cette armée vaincue avant de partir.

On avait le tort d'emporter cent vingt-huit mille rations d'eau-de-vie, dangereux poison qui devait, lui aussi, faire des victimes. Mais, comme le superflu passe la plupart du temps avant le nécessaire, if n'y avait que cinq jours de biscuit et de riz, un jour de vin, trois jours de sel, et guère plus d'un jour d'orge pour des chevaux auxquels on demandait les plus grands efforts, dans la saison où ils trouvaient le moins à manger.

Les fantassins, auxquels on n'avait distribué qu'une couverture pour deux, s'affaiblissaient sous le poids de soixante cartouches et de sept jours de vivres. Mais cet expédient préparait seulement un embarras ou une déception de plus ; car il était facile de prévoir que des soldats hors d'état physiquement de soutenir cette charge, et bercés de l'espoir d'une course pacifique jusqu'à un Eldorado prochain, chercheraient, en se donnant la satisfaction de manger, à diminuer le fardeau qui les écrasait.

Le mouvement commença le 9 novembre. Youssouf s'ébranla le premier à la tête de sa milice : cette bande eût pu être un instrument politique utile dans une campagne où la pénurie de l'armée donnait tant de prix au concours des indigènes ; elle fut seulement une avant-garde d'éclaireurs commandée par un officier vigoureux. Le chef et les soldats étaient trop étrangers à Constantine pour y exercer aucun des moyens de propagande que des émigrés rapportent avec eux dans le pays qu'ils viennent révolutionner.

Les troupes légères d'Afrique marchèrent ensuite : on remarquait parmi elles le bataillon commandé par l'habile et intrépide défenseur de Bougie, le lieutenant-colonel Duvivier[7], et surtout la compagnie franche du capitaine Blangini[8], dont les soldats, b. peine couverts par quelques lambeaux de capote et de pantalon, avaient reçu de l'armée, à cause de leurs longues barbes et du désordre de leur tenue, le nom de zéphirs à poil.

Le 10, le général de Rigny[9], dont la brigade avait été renforcée du 17e léger, s'établissait sur les ruines de Guelma, l'antique Calame. Cette cité, jadis puissante, victime des invasions qui frappent si souvent les contrées qui valent la peine d'être conquises, s'était plusieurs fois rebâtie avec des ruines antérieures ; mais elle avait péri sans retour sous le fer des musulmans, et elle ne présentait plus aux Français qu'un chaos de débris romains, renfermés dans les restes encore bien marqués d'une enceinte flanquée de tours, et construite avec d'énormes pierres de taille superposées sans mortier.

Le général de Rigny en prit possession sans résistance : Achmed et Ben-Aïssa, voyant que l'épidémie et la saison se chargeaient de leur besogne, s'étaient retirés dans Constantine, mettant entre eux et les Français quarante lieues de pays inconnu, et de bonnes et épaisses murailles défendues par des gens de cœur.

Les tribus, pour qui une marche en avant est toujours un signe de force, se tenaient à l'écart, inactives, connue des esclaves attendant l'issue du combat que leurs maîtres se livrent pour leur possession, et n'attaquèrent point l'avant-garde, pendant qu'elle attendait à Guelma le gros de l'armée.

Le maréchal parvint le 13 seulement à pousser hors de Bône les derniers débris des régiments que lui disputait la maladie, débris destinés à n'échapper momentanément à la mort que pour la subir plus cruelle, après avoir enduré toutes les souffrances. Mais l'homme, lorsqu'il souffre, ne connaît pas de maux pires que ceux qu'il endure : cette armée se relevait avec joie de son grabat pour marcher en avant. L'infaillible séduction de l'inconnu était, cette fois, rehaussée par l'affreuse réalité à laquelle on avait hâte de se soustraire.

Une formation en marchant est, en stratégie comme en tactique, l'opération qui exige les troupes les plus parfaites et la plus grande précision. L'ennemi n'était point là pour stimuler par sa présence le zèle de chacun ; on se négligea, car l'amour de la régularité, l'observation scrupuleuse et le goût de la méthode, qui sont pour les armées allemandes une habitude et un besoin, disparaissent avec le sentiment de la nécessité dans les armées françaises, dont l'esprit est plutôt guerrier que militaire.

Le désordre se mit bientôt dans la colonne, où chacun, croyant faire une promenade paisible, marcha droit devant lui le plus vite qu'il Inn et sans précaution. A la tombée de la nuit, chacun s'arrêta où il se trouvait. Le quartier général et les premières troupes avaient déjà atteint Bou-Heufra, à neuf lieues de Bône, tandis que la réserve avec le convoi, retardés par les terres détrempées, n'avaient pu dépasser Dréan.

L'armée, fatiguée par une journée trop pénible pour un début de campagne, fut surprise la nuit par un orage terrible, accompagné d'une de ces pluies d'équinoxe dont on ne peut se faire une idée lorsqu'on ne les a point vues dans ces climats. Le troupeau. qui eût pu donner quinze jours de viande fraîche, fut effrayé par le tonnerre et se débanda dans l'obscurité. Le lendemain 9ft, les diverses fractions de l'armée, éparpillée sur toute la route de-Bône à Guelma, ne peuvent encore se rejoindre ; le convoi, comme ces navires qui ne se soutiennent plus à flot qu'eu jetant sans cesse des effets à la mer, avance seulement à condition de s'alléger ; et l'on devine ce que c'est qu'alléger un convoi qui n'emporte pas l'indispensable nécessaire. L'orge destinée aux chevaux, les échelles d'assaut et une partie du matériel du génie sont les premières sacrifiées ; ce matériel, que la prévoyance du colonel Lemercier avait fait emporter, était, en effet, un contraste et presque un reproche. Mène au prix de cet abandon, il fallut encore deux jours pour faire franchir aux équipages les collines d'argile qui séparent Dréan de Guelma, devant lequel l'artillerie n'arriva que le 16, avec ses ressources déjà notablement diminuées et ses chevaux exténués.

Il avait fallu souvent tripler les attelages et chaque cheval avait dû ainsi tramer successivement toutes les voitures, surtout dans la gorge de Moualfa, encombrée de rochers roulant dans la glaise.

Le maréchal avait précédé d'un jour le convoi devant Guelma : sa colonne avait déjà souffert de la privation de l'équipage de ponts qu'il avait fallu laisser à Bône : plusieurs chevaux s'étaient noyés en passant le Bou-Heufra et la Seybouse grossie par une pluie incessante.

Mais la brigade de Rigny, malade et affamée, avait encore plus souffert pendant sept jours de temps calamiteux. Guelma avait déjà dévoré sa proie. Deux cent quatre-vingts nouveaux fiévreux gisaient au milieu des ruines dont leurs camarades s'efforçaient de leur faire un abri ; et la désertion des muletiers arabes, qui avaient emmené quatre-vingts mulets pendant la nuit, avait encore appauvri l'armée. Ce dernier fait était à la fois un indice du peu de confiance des indigènes dans le succès de l'entreprise, et un mal irréparable, car il condamnait à de nouveaux sacrifices. On préféra les munitions de bouche aux munitions de guerre, et on laissa deux cent mille cartouches et quelques autres objets appartenant à l'artillerie.

Après ce premier pas, si funeste à l'armée expéditionnaire, désorganisée et épuisée par les efforts qu'avait nécessités sa concentration à Guelma, il était encore possible de s'arrêter là et d'attendre du beau temps et des moyens de toute espèce, en s'établissant fortement sur cette position, quoiqu'elle eût été encore bien défectueuse, par l'éloignement où elle se trouvait de l'eau, et par la difficulté de ses communications avec Bône.

On le disait tout bas dans l'armée. D'une opinion émise hautement, dans de telles circonstances, à l'opposition contre le général en chef, ce dissolvant des armées les plus puissantes, il n'y a qu'un pas. On sut donc se taire, et plusieurs de ces officiers clairvoyants, auxquels la discipline imposait silence, auraient déjà pu dire au maréchal, devant lequel ils défilèrent, en quittant Guelma, pour aller mourir devant Constantine : Morituri, Cæsar, te salutant !

Le maréchal laissa cependant une garnison à Guelma ; la force des choses l'obligeait, malgré lui, à s'échelonner, et à obéir ainsi à ces principes fondamentaux de l'art militaire dont il n'est permis à personne de s'écarter. Il eût fallu appliquer au reste de la route ce système prudent et sûr, et occuper successivement les positions intermédiaires ; mais le temps, limité à la quantité de vivres, allait manquer ; le général en chef résolut de pointer le plus rapidement possible sur Constantine. Les ruines romaines semées tout le long du chemin, les vestiges de forteresses nombreuses et rapprochées et d'établissements thermaux pour les blessés et pour les malades, les débris d'une route toute militaire passant par la crête des montagnes, depuis Hippone jusqu'à Cirta, semblaient avertir le maréchal que, dans la guerre contre la nature, le climat et les barbares, on ne néglige pas impunément la méthode, seule arme qui puisse triompher de tels obstacles. Mais le maréchal se laissait moins influencer par les souvenirs éloignés du peuple roi que par les traditions toutes récentes de l'aventureuse école de l'Empire, qui a mis en honneur la guerre irrégulière et l'exagération d'une offensive téméraire. Cette copie en miniature de l'expédition de Russie apprit du moins aux' jeunes officiers de l'armée française que le génie lui-même n'a pas longtemps raison contre le bon sens.

Les mêmes causes qui avaient retardé la concentration à Guelma s'opposèrent, au delà de ce point, à la marche rapide de l'armée ; le génie eut à travailler jour et nuit pour faire des rampes aux passages des rivières gonflées, et pour adoucir les pentes abruptes qui forment, depuis Medjez-Amar, comme les degrés d'un escalier taillé dans les flancs de l'Atlas. La colonne atteignit, le 18 novembre seulement, le Ras-el-Akba : c'est une montagne âpre, mais moins élevée que les autres passages de la même chaîne. Le versant septentrional que les Français avaient à gravir est fort raide et exigea de grands travaux : tous les obstacles disparurent cependant sous les bras infatigables des soldats, qui ne devaient recueillir, pour prix de leurs peines, que de nouvelles privations au delà de cette montagne où ils venaient de se frayer un chemin. Dès qu'on eut dépassé le sommet, le bois manqua complètement ; il fallut manger les aliments crus, et se coucher sans autre feu de bivouac que la flamme éphémère de quelques rares chardons, insuffisants pour réchauffer le soldat.

Ce plateau glacial, nu et tourmenté, s'étend jusqu'à Constantine. Le despotisme turc n'a laissé ni un arbre, ni une maison dans cette immense Thébaïde, dont rien ne vient rompre la triste uniformité. Nulle part l'étude de la topographie n'est plus importante et plus difficile. Dans ces monotones solitudes, où la convoitise jalouse des beys n'a respecté que la demeure des morts, le marabout de Sidi-Tamtam est le seul point de repère sur lequel l'œil puisse s'arrêter.

C'est sur ce point que le maréchal dirige le corps expéditionnaire ; mais le manque d'une reconnaissance soigneusement dressée se fait souvent sentir : les rivières se ressemblent toutes, et chacune change dix fois de nom. Les distances ne peuvent guère être évaluées, d'après le dire des guides arabes, qui n'ont pas l'idée des nombres, ne comptent point les heures de marche, et pour qui tout est relatif. Aussi les étapes, inexactement calculées, semblent se doubler sous les pieds des soldats, devant lesquels Constantine paraît fuir, et auxquels chaque journée vient enlever une illusion.

Dès le 19, l'avant-garde est accueillie par des coups de fusil ; c'est un nouvel avertissement : le maréchal en profite pour donner à la marche de son armée un caractère et des allures plus militaires ; mais c'est aussi une de ses espérances qui lui échappe. On les perd toutes une à une le long de la route, en même temps que les moyens de vaincre.

Les chevaux, pour lesquels la nourriture commence déjà à manquer, ont chaque jour plus de peine à traîner le convoi ; le 20, les voitures ne peuvent suivre les troupes, qui marchent dix heures sans s'arrêter, soutenues par l'espoir de combattre la cavalerie d'Achmed-Bey, aperçue à l'horizon ; mais cette cavalerie évite de s'engager sérieusement ; elle fuit vers Constantine, comme les feux follets attirent ceux qui les suivent jusque dans les abîmes d'où ils sont sortis. C'est à la nuit close, circonstance si fâcheuse en Afrique, que la colonne bivaque, par un temps affreux, au monument romain de Souma. Là recommence la guerre avec les éléments déchaînés.

La nuit fut horrible. Le soldat, exposé, sans feu, sans abri et presque sans nourriture, à la grêle, à la neige, à une bise violente, roule dans une mare de fange glacée, où l'armée est menacée d'être ensevelie vivante. Le 21, à neuf heures du matin seulement, après treize heures d'une obscurité telle qu'on ne croyait pas avoir les yeux ouverts, le jour pénètre à travers celte atmosphère de Groenland, et laisse voir aux troupes, à leur prise d'armes, les cadavres des hommes gelés qui marquent les lignes des bivouacs, et qui révèlent ainsi l'étendue de ce premier désastre. Tandis que la colonne se forme péniblement, un rayon de soleil perce les nuages et éclaire un amas de maisons blanches, suspendues dans les airs au centre d'un amphithéâtre de montagnes dont les cimes se perdent dans le brouillard : c'est Constantine, sur laquelle le feu du ciel semble descendre ; c'est la terre promise que le maréchal Clauzel ne devait voir que de loin, sans y entrer.

Le soldat, trompé par cette apparition fantastique sur la distance qui le séparait encore du but de ses efforts, quitte le bivouac, auquel il a laissé le nom trop mérité de camp de la boue, et se remet en route toujours poursuivi par la tourmente. Les troupes harassées parviennent, en glissant sur un terrain glaiseux où l'on tombe à chaque pas, jusqu'au bord de l'Oued-Akmimin, torrent de neige fondue qui charrie des quartiers de roc. Les cavaliers qui, les premiers, se dévouent à chercher un gué dans cette avalanche liquide, ont leurs chevaux tués ou blessés ou noyés, et ne se sauvent que par miracle. Enfin on reconnaît un endroit où les fantassins n'auront de l'eau que jusqu'aux aisselles. La compagnie franche s'y jette gaiement la première au chant de la Marseillaise et de la Parisienne. Les autres troupes suivent ; mais le torrent grossit à vue d'œil ; beaucoup d'hommes, saisis par le froid ou renversés par les vagues, ne peuvent atteindre l'autre rive. En vain de braves zéphyrs se groupent au milieu des flots, et essayent d'amortir l'impétuosité du courant furieux qui entraîne leurs camarades ; ils vont périr, victimes de leur humanité. Mais le dévouement des officiers montés et des, chasseurs à cheval croit avec le danger. Ils réussissent à tendre des cordes d'un bord à l'autre, et établissent une sorte de va-et-vient. Ils passent ensuite sur leurs chevaux les malheureux qui se sont réveillés le matin avec des membres gelés, qu'ils ont encore eu la force de traîner jusque-là La confiance d'arriver bientôt à l'étape rend la force d'aller. plus loin aux soldats transis qui ont perdu leurs munitions et leurs vivres. Cette scène de désolation dure plusieurs heures, sans que, fort heureusement, l'ennemi songe à y ajouter.

Mais le maréchal voit l'épuisement de son armée. Il est pressé de mettre un terme, par l'entrée dans Constantine, à des souffrances auxquelles personne peut-être n'eût pu résister, si l'on avait prévu que ce n'était encore que la lugubre préface d'une terrible épopée. Dès que l'on a passé cette nouvelle Bérézina, il part seul en avant avec le duc de Nemours, l'état-major et quelques spahis, et précède tous les éclaireurs, tant il a hâte de connaître quelques instants plus tôt l'événement qui doit couronner sa témérité ou condamner son erreur. Tout, en effet, dépendait de l'accueil des habitants de Constantine, dont il se (lattait encore de trouver les portes ouvertes.

Ce qui était en jeu, ce qui dépendait de la première apparition devant Constantine, ce n'était pas seulement la gloire du général en chef, parvenu au moment d'être proclamé vainqueur audacieux ou ambitieux imprévoyant, c'était la vie et le salut de ces troupes mourant de froid, de fièvre et de faim, et qui allaient trouver ou un asile contre tant de maux, ou la nécessité d'un siège impossible.

La dernière incertitude cesse bientôt. Dès que le maréchal eut atteint le sommet du Mansoura, il découvrit devant lui la ville fantastique.

Aucun être vivant n'y apparaissait ; un silence solennel y régnait ; il est bientôt interrompu par un coup de canon. A ce signal, le drapeau rouge est arboré, et, à l'appel du muezzin, la ville déserte s'anime tout à coup.

Les voix d'hommes, de femmes et d'enfants, répondant à la prière, annoncent que la population est unanime pour combattre les chiens de chrétiens, et qu'elle s'unit à la garnison déjà accourue à son poste sur les remparts et aux batteries.

Ainsi se trouve brisée la dernière illusion : le boulet qui a ricoché aux pieds du maréchal a rompu le charme fatal qui l'avait aveuglé. Tout reprend sa place et sa valeur réelle ; l'homme politique égaré disparaît, le grand capitaine reste seul en présence de la situation ; il voit son armée et Constantine telles qu'elles sont ; il ne se laisse point abattre par l'effroyable déception qui, au lieu d'une entrée triomphale, lui impose une lutte sans chances de succès. Il considère de sang-froid cette ville à laquelle rien ne ressemble dans le monde.

Constantine, suspendue sur un énorme rocher vertical, ne tient à la terre que par un isthme étroit, appelé Coudiat-Aty. La muraille fermant sur cet isthme l'un.des quatre côtés du trapèze dont la ville présente la forme, est épaisse et haute de huit mètres, et se trouve précédée d'un faubourg qui va en montant, sans obstacles naturels jusqu'à environ mille mètres de la place. Le front de Coudiat-Aty, qui a six cents mètres de développement, presque entièrement en ligne droite, est percé de trois portes, les portes Bab-el-Djedid, Bab-el-Oued et Bab-el-Djebia.

Sur les trois autres faces, qui ont chacune neuf cents mètres, Constantine est entièrement isolée sur un promontoire aérien : elle est séparée du Mansoura, où se trouvait le maréchal, par de larges précipices où le Rummel s'est ouvert un chemin à travers d'effrayants bouleversements de rochers, tantôt tombant en cascades verticales de deux cent trente pieds, tantôt bouillonnant dans des gouffres souterrains, recouverts par des arches naturelles d'une hardiesse et d'une élégance qui n'appartiennent qu'à la nature.

Un seul pont, ouvrage grandiose des Romains, jeté à deux cents pieds au-dessus d'abîmes dont l'œil ne pénètre point la profondeur, relie Constantine aux dernières pentes du coteau du 3Iansoura. La porte du pont, Bab-el-Kantara, est la seule entrée de la ville qui ne s'ouvre point vers Coudiat-Aty. Depuis Bab-el-Kantara jusqu'à la Kasba, bâtie sur des rochers de granit à pic plus hauts que les plus hautes falaises de Normandie, la ville va en montant, et se présente inclinée à l'œil du voyageur parvenu sur le Mansoura. La couleur des maisons et les toits recouverts en tuiles donnent à Constantine l'aspect d'une cité espagnole.

En 1836, elle renfermait à peu près vingt-cinq mille habitants, fournissant quinze cents à deux mille fusils pour la défense. La garnison se composait, en outre des canonniers turcs, de cinq cents hommes de la milice et de cinq cents Kabyles ; en tout, trois mille hommes environ, commandés par l'intrépide Ben-Aïssa, qui n'a point partagé le découragement de son maitre. qui s'est jeté dans la ville lorsque le prudent Achmed s'est retiré dans la montagne, et qui ne fléchira ni devant les armes des chrétiens ni devant la terreur des habitants.

Du premier coup d'œil, le maréchal a vu qu'une telle place, défendue par la nature, par de bonnes murailles et de braves soldats, ne peut se prendre que. par un siège ; mais il a vu, en même temps, qu'avec une armée réduite à trois mille combattants, encombrée de malades, sans grosse artillerie, sans vivres et presque sans munitions de guerre, il ne peut ni assiéger Constantine, ni même seulement l'investir : Il faut recourir à la force, s'écrie-t-il avec amertume, et la force me manque déjà !

L'investissement d'une place grande par elle-même, et entourée de gigantesques accidents de terrain, eût exigé un effectif cinq ou six fois plus considérable : le maréchal se trouve ainsi privé de la première arme de l'assiégeant, surtout contre des Arabes, auxquels il faut une retraite assurée pour se bien battre, l'isolement des assiégés et la limitation de la garnison qu'il s'agit de vaincre.

Aussi, n'ayant ni troupes pour bloquer la place, ni artillerie pour lui faire brèche, ni vivres pour pouvoir attendre, et résolu cependant à tenter plus que le possible, il se décide, en désespoir de cause, à essayer un de ces coups de main audacieux qui réussissent quelquefois contrairement aux règles de la guerre. Avant tout, il est pressé d'occuper Coudiat-Aty ; ce point décisif, le véritable et unique point d'attaque, parait faiblement gardé, et la pluie, de plus en plus intense, menace, si l'on ne se hâte, d'en rendre l'accès impraticable. Dès lors, sans attendre ni la réunion de l'armée, échelonnée depuis l'Oued-Akmimin jusque sur les flancs du Mansoura, ni même l'arrivée de l'artillerie et du génie, le maréchal dirige promptement sur Coudiat-Aty le général de Rigny avec les bataillons des 2e et 1' légers, et la brigade d'avant-garde, moins les pièces de campagne, qui n'ont pu suivre.

La colonne traverse en bon ordre, sous le feu des batteries de la place, les gués du Rummel et de l'un de ses affluents, le Bou-Merzoug, où les fantassins ont de l'eau jusqu'à la ceinture, et attaque avec impétuosité le mamelon de Coudiat-Aty et les vastes cimetières de Sidi-Boukséa. C'est encore la compagnie franche, la première au feu comme à l'eau, qui se déploie en tirailleurs, mais elle s'engage, trop loin sans réserve, jusque dans les maisons du faubourg, Elle est entourée et enfoncée par les Turcs et les Kabyles sortis de la place, qui massacrent les blessés et reprennent le faubourg. Les musulmans, à leur tour, expient chèrement cet avantage momentané : les chasseurs à cheval reprennent la charge, et, malgré les obstacles du terrain et le feu à mitraille des canons du rempart, ils cherchent à couper de la ville Turcs et Kabyles, et les sabrent jusqu'au delà des dernières maisons. Le bataillon d'Afrique et le Ir léger appuient ce brillant mouvement : tous les dehors de la place sont emportés par les Français, y compris les écuries du bey, appelées le Bardo, grand bâtiment carré, situé sur la pente qui conduit au Rummel. Les musulmans, refoulés partout, rentrent en ville en brandissant les premières têtes coupées aux chrétiens. Ces sanglants trophées sont accueillis par les cris de joie des femmes, qui, du haut de toutes les maisons, excitent les hommes au combat contre les infidèles.

Sur le Mansoura, le maréchal cherche, avec le peu de moyens qu'il a sous la main, à soutenir l'attaque de Coudiat-Aty. Il met en batterie les quatre obusiers de Youssouf ; mais les coups bien dirigés des canonniers constantinois culbutent les pièces, et font fuir les artilleurs des spahis. Quatre obusiers de montagne, servis par des Français, s'avancent alors, et, malgré l'énorme infériorité du calibre, soutiennent quelque temps l'engagement contre la grosse artillerie de la Kasba. Peu après, le général Trézel arrive et prend position à la droite du pont, avec les 59°'et 63° régiments et l'infanterie de Youssouf.

Ben :hissa profite aussitôt de la dissémination du faible corps français pour porter successivement sur tous les points des forces supérieures ; et, pour montrer que ce n'est pas une défense passive et engourdie que médite la garnison de Constantine, il lance par la porte du pont et par les arcades naturelles de Sidi-Mécid, les Turcs et les Kabyles qui viennent de combattre sur Coudiat-Aty, et les dirige à travers les cactus et les accidents de terrain sur la droite des troupes du général Trézel, qui les repousse néanmoins promptement.

C'est longtemps après ces mouvements préliminaires, vers six heures et demie du soir, que les six pièces de campagne, arrachées de la boue par les efforts admirables du colonel de Tournemine et du capitaine Munster[10], arrivent sur le plateau du Mansoura. C'est le seul moyen d'attaque que possède l'armée contre les remparts de Constantine, et déjà il n'est plus possible de l'employer là où seulement peut-être il eût été efficace. Dans l'état de l'atmosphère et des terres, avec des hommes et des chevaux épuisés, on ne peut songer à conduire les pièces sur Coudiat-Aty et à leur faire entreprendre la descente, le passage et la montée du Rummel.

Ce nouveau contre-temps détermine le maréchal à faire élever sur le Mansoura une batterie dont le feu, dirigé sur la ville, intimidera peut-être les habitants, et démontera les pièces qui battent le plateau. L'artillerie, avec ce zèle patient et modeste qui la caractérise, se met aussitôt à l'œuvre pour construire l'épaulement de la batterie, et continue son travail pendant l'affreuse nuit du 21 au 22 novembre. Tout le monde est à son poste, les malades sont dans le rang, et ceux qui sont morts ont expiré près de leurs pièces.

Le 22, à dix heures du matin, la batterie est achevée et ouvre son feu à environ neuf cents mètres ; mais, à cette distance, des munitions trop comptées se consommaient dans une canonnade sans effet. Le maréchal ne voulut point perdre plus de temps et de poudre à constater notre impuissance, et il prescrivit au colonel de Tournemine de se rapprocher de la place pour chercher à enfoncer la porte du pont qui n'était point couverte, et pour ouvrir ainsi un passage à une colonne d'assaut.

Il était temps d'essayer cette dernière tentative, car l'armée tout entière succombait sous le poids de soixante-douze heures de pluie, de neige, sans feu, sans nourriture et sans sommeil, dans un lac de boue. Le 22 au matin, quatre pouces de neige chassée par un vent glacial couvraient les soldats, dont un grand nombre ne se relevèrent plus ; quelques lambeaux de pantalons et de capotes, paraissant à travers des flots de fange, indiquaient çà et là les tas de cadavres roidis dans toutes les attitudes. La malheureuse armée d'Afrique trouvait sous le 36° degré de latitude les boues de la Pologne, les frimas de la Russie, et la disette du désert. Chassés du camp par le froid et par la faim, les hommes les plus valides vont, jusque sous le feu le plus rapproché de la place, se faire tuer pour ramasser quelques broussailles qu'ils ne peuvent même pas allumer. D'autres tombent morts à la recherche d'un butin imaginaire, qu'ils n'auraient pas eu la force de rapporter s'il eût existé. Le moral lui-même ne soutient plus les soldats, et les plus braves s'éteignent de faiblesse, le fusil à la main, veillant auprès des bivouacs, où il ne reste que les infortunés dont le tronc survit encore aux membres paralysés. Les chevaux, plus malheureux que les hommes, meurent encore plus vite que leurs maîtres.

L'effroyable agonie d'une armée ne peut se raconter. Qui pourrait décrire l'horreur de ces lieux où le feu constant des tirailleurs se mêle aux gémissements des mourants parfois déshabillés avant d'être morts ? Qui pourrait peindre cet horizon où tout est couleur de boue, habits, animaux, figures ; où hommes et chevaux ont l'air de statues de glaise non encore animées par le feu de Prométhée ?

Mais ces cadavres ambulants vivent encore par l'âme ; dans ces corps épuisés et mutilés, le courage est entier ; et, lorsque la cavalerie d'Achmed et l'infanterie de Ben-Aïssa s'avancèrent sur la neige, croyant n'avoir plus qu'à exécuter des condamnés, les Français, grelottant de froid, pouvant à peine tenir leurs armes, et pris entre deux feux, surent encore se faire place, le sabre et la baïonnette à la main.

Ce fut contre la brigade de Rigny que se porta le principal effort de l'ennemi. La rivière, extrêmement grossie, rendait la communication impossible entre le Mansoura et le Coudiat-Aty. Ben-Aïssa, comprenant tout le parti qu'il pouvait tirer de cette circonstance si critique contre les troupes détachées sur Coudiat-Aty, avait pu combiner ses mouvements avec Achmed-Bey ; car les assiégés étaient libres comme l'air, et c'étaient les assiégeants qui étaient bloqués.

Pendant la nuit, les Turcs et les Kabyles, sortis de la place, tournèrent par la gauche la position de Coudiat-Aty, sur laquelle le général de Rigny occupait des lignes assez étendues. Le 22, au point du jour, ils s'avancent avec fureur ; les Turcs, combattant au centre, gravissent la colline et abordent le 17e léger, qui les charge à la baïonnette. Le carabinier Crust arrache au porte-drapeau de la milice l'étendard qu'il était venu planter jusque sur le camp français, et rapporte à son général ce glorieux trophée, le seul qui vint adoucir l'amertume d'une si triste situation. Sur le reste de la ligne, les tirailleurs combattent avec le même acharnement, et la ténacité que l'ennemi montre à Coudiat-Aty indique, non moins que le relief du terrain, que c'est là le véritable point d'attaque.

Dès que le combat de l'infanterie est engagé, Achmed-Bey parait sur les derrières des Français à la tête d'une nombreuse cavalerie, accourue de toute la province au bruit du canon de Constantine.

Le 3e chasseurs à cheval fait aussitôt face en arrière, rougit la neige du sang des Arabes, et met en fuite tout ce qu'il rencontre, montrant ainsi du moins que, de toutes les prévisions du maréchal, une seule n'était pas exagérée, celle qu'il avait fondée sur la vaillance de ses soldats.

Tandis que la brigade de Rigny résistait glorieusement à des forces aussi supérieures, l'artillerie avait exécuté les ordres du maréchal. Les pièces avaient été descendues, par des efforts inouïs, sur une pente de glaise à pic. Les canonniers infatigables, et calmes sous un feu meurtrier auquel ils ne peuvent encore riposter, établissent, en exécutant les manœuvres de force, une batterie de quatre pièces de campagne et de quatre obusiers de montagne à Aïn-Arb, fontaine située à mi-côte du Mansoura : cette batterie est à trois cents mètres de la porte El-Kantara, sur laquelle elle tire d'écharpe. La porte en bois, large de quatre à cinq mètres, est surmontée par un tambour en maçonnerie crénelée. A droite. et à gauche, des maisons bâties en saillie sur le mur d'enceinte et quelques tours crénelées donnent de bons flanquements pour la mousqueterie et beaucoup de commandement sur le pont, large (le six mètres et long de quatre-vingt-dix mètres, en ligne droite, qui joint la contrescarpe naturelle de Mansoura à l'escarpe verticale des rochers que surmonte comme une couronne le rempart de Constantine.

La crête du fossé naturel, au fond duquel coule le Rummel, et qui n'a que quatre-vingts mètres de large sur cent de profondeur, est occupée par les grenadiers du 63e et l'infanterie turque de Youssouf.

L'ennemi ne reste pas oisif en présence de ces préparatifs : toutes les maisons, construites en amphithéâtre, se garnissent d'une nuée de tirailleurs. Les canonniers musulmans parviennent même à hisser une pièce de gros calibre sur un pan de mur voisin de la porte, qu'aucune artillerie ne protégeait, tant on comptait peu sur une attaque par ce point, déjà si bien défendu par la nature.

Mais le feu régulier et excellent des artilleurs français a bientôt démonté la pièce et démoli les pieds droits de la porte, qui tombe renversée obliquement à gauche contre le mur intérieur. Le tambour en maçonnerie vole en éclats ; chaque brèche laisse voir les Turcs accroupis à côté des cadavres de leurs camarades, et continuant à tirer sans relâche, avec les fusils qu'on leur passe tout chargés, jusqu'à ce que la pierre sur laquelle ils demeurent impassibles avec un peu d'eau et une galette à côté d'eux s'écroule aussi sous les boulets des chrétiens.

Chassés de cette position, les Turcs de Ben-Aïssa se coulent dans les rochers et les cactus pour attaquer les Turcs de Youssouf.

Ces Suisses de l'Orient, fidèles et consciencieux, combattent vaillamment, chacun pour leur maitre, animés de part et d'autre par la foi de l'homme en l'homme, et par ce principe de la fatalité, qui fut souvent le mobile des plus grandes choses, et leur tient lieu ici du sentiment de la patrie.

Les tirailleurs des 59e et 63e régiments soutiennent nos Turcs et s'engagent avec l'énergie du désespoir ; car un nouveau malheur, qui vient de frapper l'armée, rend encore plus nécessaire le succès de l'aventureuse attaque à laquelle se rattache la dernière lueur d'espérance.

Le convoi est perdu, les vivres, les voitures, une partie de l'ambulance et du matériel du génie sont au pouvoir de l'ennemi.

Il ne reste plus aux Français que quelques bœufs, une ration de riz, et une demi-ration de biscuit moisi, sans un brin d'herbe ni un grain d'orge ; et ensuite il n'y a plus à manger que dans Constantine ou à Bône.

Après le funeste passage de l'Oued-Akmimin, le convoi n'avait pu gravir les mamelons qui conduisent à Mansoura. Il était resté à deux lieues en arrière sous la garde du 62e régiment, fiché dans la glaise où les roues disparaissaient. La soif du butin et l'instinct des positions faibles réunirent bientôt la cavalerie arabe autour des voitures, contre lesquelles elle commença à tirailler. Pendant cinquante heures de tempêtes et de combats, les soldats durent rester debout, s'enfonçant peu à peu jusqu'au-dessus du genou dans une argile grasse et collante, et obligés de rester plusieurs heures à la même place pour attendre les imperceptibles mouvements des voitures.

Le 22 au matin, les efforts les plus soutenus n'avaient réussi qu'à disséminer les prolonges sur un espace plus long, et par conséquent plus difficile à garder. Une partie des défenseurs avaient péri, gelés debout ; cent vingt-sept hommes étaient morts ; quelques-uns, victimes de l'indiscipline, avaient été foudroyés par l'eau-de-vie, dont ils avaient défoncé les barils, pour oublier dans une dernière ivresse l'approche de la mort. Les soldats qui ont survécu, à peine assez forts pour tirailler contre un ennemi de plus en plus nombreux, et qui avait le sentiment de sa supériorité physique et morale, se retirent devant une nouvelle et plus impétueuse attaque des Arabes.

Au milieu de ce désastre, les troupes du génie déploient leur calme et leur industrie habituelles, et leur énergie contraste avec les scènes sinistres du convoi des vivres. Une partie du matériel est jetée pour soulager les voitures, et, à force de persévérance, les prolonges du génie arrivent à dix heures du soir sur le Mansoura, où un nouveau et plus périlleux devoir attendait les officiers de cette arme d'élite.

H faut, dans la nuit du 22 au 23, aller reconnaître la brèche que l'artillerie a entr'ouverte l'extrémité du pont, et, par un' surcroît de la fatalité qui s'attache à cette malencontreuse expédition, la lune paraît tout à coup, et la pluie cesse au seul moment où elle eût pu être favorable. Mais rien n'arrête les braves ingénieurs ; les capitaines Hackett[11] et Ruy[12], et le fourrier Mourreau, traversent le pont sous une grêle de balles, et se glissent en rampant sous la porte, qu'ils trouvent seulement inclinée en arrière contre un passage voûté conduisant à une autre porte intacte et en bon état.

C'était au génie à faire sauter ce nouvel obstacle, que ne pouvait atteindre l'artillerie, dont les munitions commençaient d'ailleurs à s'épuiser. Mais il fallait pour cela un pétard, et il n'y avait plus de sacs au parc du génie ; et les sapeurs arrivaient seulement à minuit sur le plateau, où ils se couchaient exténués et incapables de nouveaux efforts, après ceux que leur avait coûtés la conservation de leur matériel. Le colonel Lemercier, épuisé, n'est plus lui-même, il est déjà frappé à mort, et vaincu par le mal auquel il succomba peu après, justement estimé et regretté de toute l'armée.

Il faut remettre l'attaque à la nuit suivante ; c'est un jour de plus à passer sans manger ; c'est un jour de plus où l'ennemi va accourir de toutes parts, enhardi par son butin, et exalté par les têtes qu'il a conquises avec le convoi.

Chaque jour, en effet, agrandit le cercle d'où tous les musulmans rayonnent vers Constantine. Le 23, dès le matin, les cavaliers de la province. au nombre de six mille, conduits par leurs agas, paraissaient sur les derrières du camp français. Les douteux se sont prononcés, et les anciens alliés des Français veulent racheter leur erreur par l'ardeur de leur hostilité de fraiche date. Ils se répandent partout pour enlever les chevaux sans maîtres, et les hommes qui errent en tout sens pour chercher de la nourriture ; puis ils attaquent tous ensemble le général de Rigny, qui commence à manquer de cartouches. Le capitaine Saint-Hippolyte[13] parvient à conduire un petit convoi à cette brigade, qui jusqu'alors avait été complètement isolée, en sorte que les efforts communs, déjà trop peu efficaces, avaient encore manqué d'ensemble ; niais le moral est resté ferme, et une brillante charge du 3e chasseurs, conduit par le chef d'escadron de Thorigny[14], disperse la masse des Arabes mollement commandée par le bey Achmed. Cependant, les troupes du Coudiat-Aty, inquiétées par l'artillerie et les sorties de Constantine, ne peuvent que maintenir leur position.

Les rôles de l'assiégé et de l'assiégeant sont intervertis ; c'est l'assiégé qui prend partout l'offensive. La garnison ne se trompe pas sur le silence des batteries françaises ; elle sait que, si l'on riposte peu à la canonnade de la place, c'est que les munitions de guerre deviennent aussi rares que les munitions de bouche. Elle communique avec le dehors, et puise dans la connaissance qu'elle acquiert de la misère de l'armée française une audace et une confiance décelées par tous les actes d'une défense vraiment intelligente. Turcs et Kabyles se multiplient et se portent successivement sur tous les points. A Coudiat-Aty, la milice turque, mêlée aux tirailleurs français, se laisse sabrer de pied ferme par les chasseurs, dont les chevaux épuisés peuvent à peine trotter ; les Kabyles débouchent brusquement sur Sidi-Mabrouk, et enlèvent presque l'ambulance ; il faut les repousser à la baïonnette.

Mais, avec le soleil qui a reparu le 23, tout devient plus facile ; un temps d'arrêt dans cette progression de souffrances semble du bien-être ; un changement de position, même sans adoucissement réel, est déjà un soulagement. Le soleil rend la vie à tous ceux qui ne sont pas complètement morts.

L'ardeur de ces troupes affamées tient lieu de la force physique qui leur manque, et l'armée semble ressusciter pour la dernière et suprême tentative qui, le soir, va décider sans appel de l'issue de la campagne. L'attaque doit avoir lieu simultanément par le pont (El-Kantara) et par Coudiat-Aty.

Les mineurs, portant des sacs à poudre et deux échelles construites par le génie avec des morceaux de voitures, doivent traverser le pont, se couler entre les deux portes, s'y loger, et faire sauter la seconde : la compagnie franche, les carabiniers du 2e léger, qui ont été rappelés de Coudiat-Aty, et les grenadiers des 59e et 63e régiments, sont désignés pour donner l'assaut aux premières maisons, dès qu'une ouverture aura été pratiquée ; le général Trézel a le commandement de cette attaque.

En même temps, le général de Rigny doit essayer de faire sauter la porte Bab-el-Djebia, la moins défendue de l'enceinte. Il n'a pour cette attaque, dont le lieutenant-colonel Duvivier est spécialement chargé, ni échelles, ni cordes, ni même suffisamment de poudre ; on ne peut y employer que deux obusiers -de montagne.

L'ordre du maréchal est porté à Coudiat-Aty par le carabinier Mouramble du 2e léger. Cet intrépide soldat, canonné par la place et tiraillé par les cavaliers arabes, traverse à la nage les deux rivières grossies par les pluies, et, après avoir remis sa dépêche, qu'il porte dans un mouchoir sur sa tête, il se hâte de revenir reprendre, avant l'assaut, son poste de combat dans les rangs de sa compagnie.

La batterie d'Aïn-Arb, ne pouvant plus battre en brèche, essaye du moins d'énerver la défense en intimidant la population : elle jette des obus et des fusées sur tous les quartiers de la ville ; mais le tir des projectiles incendiaires est sans effet sur des maisons qui ne peuvent pas brûler et sur une population fanatisée.

On cherche alors à endormir ceux que l'on n'a pu effrayer, et il n'y avait en effet d'autre chance de succès qu'une surprise. A l'approche de la nuit, la canonnade et la fusillade cessent ; niais, dans le silence universel, on entend jusqu'au camp français la voix du muezzin qui avertit les vrais croyants de se bien garder des chiens d'infidèles ; la lune, cette lune perfide, qui veille pour les Constantinois, laisse voir les sentinelles sur le rempart se joignant aux prières que toute la population adresse au prophète. Au milieu de ce spectacle imposant, les troupes, joyeuses et bien disposées, s'approchent sans bruit du pont, et se blottissent derrière quelques accidents de terrain. A minuit, la section des mineurs, guidée par le capitaine Backett, qui, l'année suivante, devait trouver devant Constantine même une mort glorieuse, s'élance à la course sur le pont ; elle est accueillie par un feu terrible : dix hommes sont tués, vingt-deux autres, dont trois officiers, sont blessés ; les deux sacs à poudre préparés pour faire sauter la seconde porte se perdent parmi les morts et les mourants, sous cette voûte étroite, éclairée seulement par la lumière des fusils, qui se croisent à bout portant. Au bruit de la fusillade, la compagnie franche, entraînée par un courage intempestif et funeste, accourt sur le pont, sur lequel la pleine lune jette une lumière éclatante. Le général Trézel essaye de faire avancer à la tête de la colonne les deux échelles : les hommes qui les portent sont tués ; le général a le cou traversé par une balle, et tombe sans connaissance. Le colonel Hecquet[15] prend le commandement, mais il ne peut que faire relever, sous un feu des plus meurtriers, les blessés entassés sur le pont et sous la voûte ; puis, d'accord avec le chef du génie, il fait retirer les troupes. et se hâte de sauver des hommes dont l'armée va encore avoir besoin, et dont la vigilance et l'adresse des assiégés rendent là désormais les efforts inutiles.

L'attaque était manquée à Coudiat-Aty, en même temps qu'elle échouait sur El-Kantara ; sur l'un et l'autre point, la bravoure avait été impuissante contre des impossibilités matérielles.

Aux premiers coups de fusil d'El-Kantara, le lieutenant-colonel Duvivier se porta sur Bab-el-Djebia avec une section de sapeurs munis de haches et d'un sac à poudre, et avec deux obusiers de montagne pour tout moyen de destruction. Le bataillon d'Afrique formait la colonne d'attaque : les troupes s'avancèrent sur un terrain en contrepente exposé aux feux croisés d'artillerie et de mousqueterie d'une ligne de murailles et de maisons crénelées de six cents mètres de développement.

Le lieutenant-colonel Duvivier échelonne successivement les compagnies derrière les maisons du faubourg, pour y défiler ses réserves de la mitraille et des balles des assiégés, auxquels la lune permet de distinguer ses moindres mouvements ; puis, arrivé au bout du faubourg, il canonne vivement la porte avec les deux obusiers de montagne, que le lieutenant Bertrand[16], déjà blessé, met en batterie à cinquante pas du rempart ; mais les obus d'un si petit calibre ne peuvent ébranler les gonds solides de la porte. Néanmoins, des hommes résolus se précipitent en avant avec les haches et le sac à poudre : tous sont atteints, Richepanse et le capitaine du génie Grand[17], qui les dirige, sont frappés les premiers. Richepanse, ayant déjà les reins cassés et trois autres blessures, se cramponne encore à cette porte défendue par des créneaux latéraux : un ennemi invisible lui donne, d'un cinquième coup de feu à bout portant, la mort qu'il cherchait peut-être, mais que ce guerrier enthousiaste, héros par le cœur et par ses actes, sinon par sa renommée, reçut cependant trop tard pour ne pas connaître l'échec des armes françaises.

Le lieutenant-colonel Duvivier, quoique blessé, vient, lui aussi, heurter du pommeau de son épée cette porte fatale, devant laquelle dix officiers sont blessés, et cinq mortellement. Il constate par lui-même l'impossibilité de réussir : trente-trois tués et soixante-dix-neuf blessés marquent au pied d'un rempart intact les efforts héroïques de ces hommes qui n'ont pas reculé devant l'évidence de l'impossible. Le bataillon d'Afrique s'avance à la course, recueille et emporte tous les blessés, et exécute ensuite, lentement et en bon ordre, la retraite sur ses réserves. L'ennemi n'ose l'inquiéter, et paraît craindre d'ouvrir, même pour une poursuite, cette porte de Bab-el-Djebia, qui, pour les Français, était la porte du paradis, car derrière elle se trouvaient la gloire et la vie.

La ligne des feux, s'éteignant à mesure qu'elle s'éloigne de la place, apprit au maréchal Clauzel la non-réussite de l'attaque.

Tout était ainsi épuisé, et, après ce dernier effort, tenté plus encore pour l'honneur du drapeau que pour un succès impossible, il ne restait plus au maréchal qu'un devoir à remplir, et celui-là devait être le plus difficile de tous : c'était de sauver les débris du corps expéditionnaire.

Mais comment faire faire à une armée manquant de tout, écrasée par le poids d'un revers, énervée par les privations et décimée par la mort, une retraite de quarante lieues, à travers un pays difficile et en présence d'un ennemi nombreux et féroce ? Le génie n'a plus aucun moyen de frayer des chemins dans des passages dont chacun connaît et prévoit la difficulté. Il ne reste à l'artillerie que quinze kilogrammes de poudre et quelques gargousses ; les cartouches sont comptées ; l'administration, dont tous les chevaux, excepté vingt, sont morts, ne peut ni emporter les blessés, ni nourrir les valides. Ses seuls vivres sont quelques petits bœufs chétifs et moribonds, comme tous les êtres vivants associés au triste destin de la colonne française, et ces hôpitaux de Bône, qu'on o. été si heureux de quitter, apparaissent à l'armée comme un lieu de félicité ; ainsi les objets changent de valeur selon le point de vue, tant Dieu a voulu que rien ne fût absolu dans ce monde ! Mais comment arriver à Bône sans le beau temps ? comment compter sur le beau temps dans cette saison ? On ne peut ni s'en passer ni l'espérer.

La solennelle horreur de cette position agit sur tous les esprits et fait chanceler des âmes jusqu'alors fermes. Le passé et l'avenir pèsent également sur cette armée menacée de dissolution ; mais il lui reste, ce qui lui tient lieu de tout dans cette extrémité, un chef plus grand encore que son malheur et que son danger.

La physionomie, l'attitude et le langage du maréchal Clauzel suffisent déjà pour relever le moral de ces troupes, que ses talents et son énergie allaient arracher à une mort certaine. Il semble que l'armée n'ait été si compromise que pour être sauvée avec plus d'éclat et d'habileté.

Aussitôt après l'attaque manquée, le maréchal prend son parti et ordonne la retraite ; il ignorait alors que les principaux habitants de Constantine, effrayés par la vigueur de l'assaut, songeaient à capituler, et que cet étrange dénouement avait été détourné par les sanglantes exécutions ordonnées par Ben-Aïssa, inébranlable entre les ennemis du dehors et ceux du dedans.

Le maréchal a la fermeté, dont plus d'un général eût manqué à sa place, de renoncer aux chances que lui laissaient encore le beau temps et le courage des troupes pour employer uniquement l'un et l'autre au salut de la colonne confiée à son commandement.

Le reste de la nuit doit être consacré à ramener sur Mansoura l'artillerie mise en batterie à Aïn-Arb et les troupes détachées sur Coudiat-Aty, et, au point du jour, le maréchal veut s'éloigner de la ville avec sa petite armée serrée autour de lui.

Mais c'est seulement à neuf heures et demie, le lendemain 24 novembre, que le corps se trouve concentré autour de la redoute tunisienne, antique monument de l'inviolabilité de Constantine. Il a fallu toute la nuit à l'artillerie pour faire remonter aux canons de huit le coteau à pic de Mansoura. Les forces ont plusieurs fois manqué aux chevaux, et aussi aux hommes, qui se sont attelés aux pièces, soutenus par l'exemple des officiers, tous décidés à périr plutôt que d'abandonner leurs canons.

Le mouvement de la brigade de Rigny, commencé fort tard, est encore retardé par les attaques de l'ennemi, auquel il n'a pu être dérobé. Les troupes, portant à bras leurs blessés et leurs malades, ont marché lentement à la descente du Rummel ; elles ont été obligées de s'échelonner et de faire face aux tirailleurs musulmans de plus en plus hardis. Des groupes de traînards, coupés de la colonne par la milice turque, eussent péri malgré une défense opiniâtre, si le commandant Changarnier, du 2e léger, ne fût revenu sur ses pas pour les dégager, préludant par cet acte de dévouement à une journée qui devait être si glorieuse pour lui.

Enfin le corps expéditionnaire, formé en carré, s'ébranle : les spahis sont à l'avant-garde et partent les premiers ; vient ensuite le bataillon d'Afrique, puis ce qui reste de bagages, flanqué à droite par le 17e léger et le 59', à gauche par le 62e et une partie du 63e. Le reste du 63e, les chasseurs à cheval et le bataillon du 2e léger se placent à l'arrière-garde.

A ce mouvement, annonçant aux assiégés la tin de leurs dangers et la délivrance de Constantine, la garnison, la population, les Arabes de la campagne, plus de dix mille combattants, se ruent sur ces troupes engourdies, qui avaient tant de peine à quitter un bivouac devenu pour elles presque un tombeau. Les portes de la ville sont trop étroites pour vomir la foule pressée des vrais croyants. Il n'y a plus de murailles ni de précipice ; les musulmans franchissent tout pour assouvir leur fureur contre le chrétien,- et cette multitude semble sortir de dessous terre, comme ces insectes que le soleil fait éclore tout à coup. Les hommes sans armes, les femmes, les enfants se précipitent derrière les combattants et les poussent devant eux sur le camp des infidèles. Le maréchal, à côté duquel se tient le duc de Nemours calme et résolu, se porte à la ligne des tirailleurs, qui reçoivent avec sang-froid cette sortie plus impétueuse que régulière, plus effrayante que dangereuse.

Le mouvement se continue sans désordre ni murmure : on se retire les yeux fixés sur le chef en qui tous ont placé leurs espérances. Le Ciel le protège et conserve à l'armée un général qui se prodigue pour elle, et qui peut, lui aussi, dire à ses détracteurs, sans crainte d'être pris au mot : Et, s'il en est un plus digne que moi de commander, qu'il s'avance !

Mais, pendant la sortie des Constantinois, les ordres donnés pour la destruction de ce que l'on ne peut emporter faute de chevaux ne sont point complètement exécutés : vingt-cinq voitures de l'artillerie, du génie ou de l'administration, dont les attelages sont morts ; des effets d'ambulance, la lithographie de l'armée, des bâts, des harnais, des fusils, deux des obusiers de Youssouf, et une foule d'objets divers restent sur le plateau après le départ des Français.

Et ce n'était pas là encore le sacrifice le plus douloureux que l'intérêt du salut général eût imposé à l'armée : après avoir chargé de blessés et de malades le petit nombre de voitures encore attelées, les canons, les chevaux des chasseurs, enfin tout ce dont on peut disposer pour sauver ces malheureux, les moyens manquent pour emmener tous les impotents ; quelques-uns des hommes le plus grièvement atteints, de ceux qui n'ont plus la force de supplier ou de maudire, sont abandonnés.

Ce sont les femmes qui viennent les égorger un à un ; elles pénètrent ensuite dans des grottes où des soldats, restés engourdis, ignorant le retour du soleil, n'apprennent le départ de l'armée qu'en recevant une mort lente et cruelle de la main mal exercée de ces furies.

Pendant qu'elles accomplissent joyeusement cette sanglante besogne, les hommes poursuivent avec acharnement l'arrière-garde, qui se trahie de mamelon en mamelon sur les contreforts du Mansoura. Les musulmans concentrent leurs efforts

sur le bataillon du 2e léger, réduit à deux cent cinquante hommes, qui formait la pointe de l'extrême arrière-garde. La ligne de tirailleurs est enfoncée et en partie sabrée par six mille cavaliers entourant cette poignée de braves séparée du reste de l'armée, non loin du marabout de Sidi-Mabrouk. Dans ce moment critique, où les grandes âmes révèlent leur empire, le commandant Changarnier n'a que le temps de faire former le carré, et il attend jusqu'à vingt-cinq pas les Arabes qui le chargent à fond, séduits par l'espoir d'une victoire facile. Allons, mes amis, dit-il à ses soldats, voyons ces gens-là en face, ils ne sont que six mille, et vous êtes deux cent cinquante : vous voyez bien que la partie est égale. Attention à mon commandement ! Vive le roi ! Feu de deux rangs ! Et un feu bien nourri jonche de morts trois des faces du carré.

Ce témoignage d'une énergie encore tout entière après tant de désastres fit reculer le flot des Arabes jusque sous les murs de Constantine : les voltigeurs sortent du carré, tuent à la baïonnette les cavaliers démontés. Le bataillon ramasse et emporte ses blessés et même ses morts, au nombre de trente-quatre ; puis le 2e léger jette un regard d'adieu sur cette ville de Constantine, où il devait, un an après, entrer le premier par la brèche ; et, fier de cet à-compte sur la vengeance réclamée par l'honneur de la France, il rejoint en bon ordre l'armée, que le commandant Changarnier venait de sauver tout entière ; car le massacre de l'arrière-garde au début de la retraite eût été un arrêt de mort pour tous.

Ce beau fait d'armes, qui eût suffi à lui seul pour illustrer le nom de Changarnier, ralentit la poursuite, mais ne l'arrêta cependant point. Le -feu des Arabes, pour lesquels une retraite est toujours une fuite, cesse seulement à la nuit tombante, lorsque la colonne s'arrête dans un douar abandonné. On y trouve un peu d'orge et de blé, et les soldats, privés de tout moyen de faire cuire, le mangent cru avec un sixième de ration de viande saignante.

On avait marché huit heures pour faire deux lieues et demie ; ainsi l'avait voulu le maréchal dans sa prudence : s'il avait pressé cette cohorte de martyrs, les lieus si faibles de la cohésion se fussent rompus, et tout se fût dissous.

Il fallait cependant gagner du terrain, car il y avait encore quarante lieues jusqu'à Bône. et chaque heure diminuait les forces des troupes qui ne mangeaient pas, et pouvait priver du beau temps, sans lequel toute l'armée eût péri. Avec une nouvelle pluie, pas un homme n'eût échappé à la maladie, et pas un malade à la mort. Aussi le maréchal Clauzel, après avoir fait l'épreuve de ses dispositions défensives, habilement commandées et exécutées en bon ordre, se décida à gagner le plus rapidement possible Guelma, où le corps expéditionnaire arriva le 28.

Ces quatre marches furent faites presque sans halte : les troupes furent parfois en route dix-huit heures de suite, allant, de douar en douar, chercher quelque nourriture pour les chevaux et pour les hommes, toujours privés de feu.

Après le combat de Sidi-Mabrouk, la garnison de Constantine était rentrée dans la place, et Achmed-Bey avait seul suivi les Français, avec quatre ou cinq mille chevaux et deux pièces de trois qu'on tirait de dessus le dos d'un cheval : étrange et impuissante artillerie, qui eût été ridicule, s'il y avait eu place pour le ridicule dans une aussi terrible tragédie. Le bruit sauvage de l'infernale musique du bey, qui répondait, dans le lointain, au tambour des tirailleurs battant lentement la retraite sur sa caisse enrhumée, semblait sonner le glas des morts à la colonne morne et défaite, qui avait moins l'aspect d'une armée que celui d'un convoi funèbre.

A mesure que la fatigue augmente et que l'intensité des dangers diminue, le nombre des malades va croissant. La charité se multiplie en proportion. Tout le régiment de chasseurs à cheval marche à pied à côté des chevaux pliant sous le poids des éclopés. Le vénérable duc de Caraman, qui vient d'accomplir sous les murs de Constantine sa soixante-quinzième année, donne aux jeunes gens l'exemple du dévouement. Il relève les traînards, les charge lui-même sur son cheval, et la gaieté spirituelle de ce vrai gentilhomme français encourage et soutient ceux qu'il ne peut autrement soulager.

Mais, malgré les efforts que l'humanité inspire à chacun, çà et là de pauvres soldats, déjà morts avant de tomber, et ayant perdu l'instinct de la conservation, s'affaissent hébétés sur leurs membres gelés, et attendent avec une sombre résignation le yatagan qui va mettre un terme à leurs souffrances et à leur vie. La route de Constantine au Ras-el-Akba en est jalonnée. Ce sont comme les gouttes de sang du lion blessé, se traînant à sa tanière pour y mourir.

Cependant, grâce à la persévérante et stoïque énergie des troupes, les Arabes ne peuvent entamer la cotonne française ; elle se retire, n'évacuant les positions que lorsque d'autres les commandent ou les battent d'écharpe, et les cavaliers du bey perdent un drapeau enlevé par les spahis.

Dans un combat qui dure tout le jour à l'arrière-garde et sur les flancs du convoi, les uns combattent avec les pieds gelés ; d'autres, hors d'état de manier leurs armes, font encore à leurs camarades un rempart de leurs corps contre un ennemi auquel ils ne peuvent répondre ; tous font d'eux-mêmes plus que leur devoir.

Le 27, en approchant du Ras-el-Akba, les Français retrouvent, avec la montagne, le Kabyle, ce compagnon obligé de tous les passages de l'Atlas. Dès que le corps expéditionnaire a abandonné son bivouac, les montagnards se précipitent sur le maigre butin que des troupes misérables ont pu y laisser. Ce qui reste de chasseurs à cheval, conduit par le bouillant capitaine Morris[18], taille en pièces cette horde de pillards aux yeux de toute l'armée, qui commence à s'échelonner sur les premières pentes de l'Atlas. Malgré cette sévère leçon, les Kabyles s'engagent de nouveau, et obligent le maréchal à manœuvrer, pour éviter ces combats opiniâtres et corps à corps que ne comporte pas la faiblesse physique des soldats français. Il se hâte de faire occuper le col par l'infanterie turque. Youssouf, débarrassé par la défaite de son titre de bey, redevient officier français, et emporte bravement les positions où il n'a pu devancer l'ennemi. Les troupes se déploient ensuite sur un front étendu, afin de toujours déborder les Kabyles, et se retirent, tantôt en échelons par des arêtes continues, tantôt en échiquier irrégulier sur les crêtes parallèles.

Le 17e léger et le 62e de ligne, restés les derniers en position, furent seuls vivement pressés le soir en redescendant vers la Seybouse ; niais le colonel Boyer[19], à l'intelligence et à la vigueur duquel le maréchal a confié le commandement de cette arrière-garde, exécute à propos, à la tête du 17e léger, un retour offensif, pendant lequel son cheval lui est tué sous lui ; et les derniers coups de fusil que tire l'armée sont tirés sur un ennemi en fuite.

La guerre finit au Ras-el-Alla, car on ne peut appeler combat quelques coups de fusil échangés avec des Kabyles qui avaient essayé de barrer la Seybouse.

L'armée retrouvait sur le versant septentrional de l'Atlas du bois, des bœufs, des populations inoffensives et un autre climat, dont le contraste soudain fut encore une souffrance ; car la chaleur était extrême lorsqu'on arriva à Guelma.

Ce poste imparfait venait d'être bravement défendu par le 3e bataillon du 62e contre les Kabyles insurgés à la nouvelle de la retraite des Français. Ce malheureux bataillon s'y était traîné en débarquant, après quarante-six jours d'une traversée horrible, où plusieurs hommes avaient été tués par le roulis ou étouffés sous le tas de malades que chaque coup de mer transportait d'un bord à l'autre ; la fièvre et les balles avaient encore éclairci les rangs.

Jusque-là Guelma n'avait été qu'un embarras : le maréchal songea à en faire un établissement permanent qui pût servir de point de départ plus avancé pour la future expédition contre Constantine. Ainsi, du moins, cette malheureuse campagne finissait en facilitant une revanche qu'elle avait rendue nécessaire. Mais c'était vouloir tout faire avec rien. Cependant, un homme seul, sans autres ressources que son caractère et son industrie, grandis et fortifiés par les obstacles et par l'isolement, accomplit cette tâche ingrate, au milieu de l'hiver et malgré la difficulté des communications avec Bône, difficulté telle, à cause du passage de la Seybouse, qu'il fallut plus tard placer un autre camp en deçà de cette rivière torrentueuse. Le lieutenant-colonel Duvivier, avec deux faibles bataillons des 17e léger et 1er d'Afrique, quelques sapeurs et quelques spahis, y créa une base d'opérations solide, avec un hôpital, des fortifications, des casernes, des écuries, des moulins, des silos ; il sut rendre féconds pour la science les loisirs forcés que lui lit souvent une saison hostile ; il fit plus encore, il sut, le lendemain d'un revers, se faire aimer des tribus voisines, où sa justice et sa fermeté lui créèrent des amis, et se faire craindre de l'ennemi, sur lequel, jusqu'au jour si désiré de la revanche, il veilla du fond de son antre de Guelma.

Le 1er décembre, le reste du corps expéditionnaire terminait, en rentrant à Bône, une retraite qui fait honneur aux troupes qui l'ont exécutée et au chef qui l'a conduite. Une belle page militaire couronnait ce drame, où tout fut grand, les illusions, les erreurs, les calamités, les souffrances, le talent et les vertus.

Que ceux qui n'accordent à l'armée française que l'impétueux courage de l'attaque, et s'obstinent encore, malgré sa glorieuse histoire, à lui contester la patience et la fermeté dans les privations, se demandent quelle autre armée eût vécu de si peu, quelle autre armée eût conservé toute sa discipline, tout son ressort, jusqu'au terme de cette lutte héroïquement soutenue contre l'ennemi, la faim, le froid et la maladie ?

L'armée, diminuée de plus de moitié, épuisée par la misère et les privations de toute nature, attaquée depuis le matin jusqu'au soir par un ennemi vainqueur, avait fait en bon ordre une retraite de plus de quarante lieues, et avait mêlé quelque gloire à des scènes de deuil supportées avec une inébranlable constance. Sans vivres, sans bois, sans chemins, elle avait ramené à Bône, à travers un pays difficile et après des combats continuels, ses drapeaux, ses malades, toute son artillerie et deux étendards pris à l'ennemi. Le 2e léger et le bataillon d'Afrique n'avaient point laissé d'hommes vivants au pouvoir de l'ennemi ; mais ces vaillantes troupes étaient au bout de leurs forces : sept cents hommes avaient déjà péri par le feu ou la misère. La détente qui suivit des émotions si vives coûta la vie à bien d'autres. Outre les deux cent quatre-vingt-huit blessés rapportés de Constantine, trois mille hommes sur six mille entrèrent aux hôpitaux ; douze cents moururent ; les autres, couverts d'effets pourris et délabrés. furent poursuivis par le malheur jusque dans les derniers abris qui les protégeaient contre les intempéries de l'air : un magasin à poudre, dont l'explosion fit sauter la kasba de Bône, mutila trois cents hommes du 17e léger et du 1er bataillon d'Afrique, dont cent huit expirèrent sur la place.

La mort aidait ainsi à désencombrer Bône ; sans ce terrible auxiliaire, et malgré le zèle de la marine, cette ville, qui semblait maudite, eût été aussi lente à se vider qu'elle l'avait été à se remplir.

Le 59e régiment fut renvoyé en France. Quelques autres troupes furent transportées à Alger et à Oran, où leur absence avait déjà porté ses fruits.

Dans la province d'Oran, le ravitaillement de la garnison de Tlemcen n'avait pu s'accomplir que par la ruse, qui est l'arme du plus faible. Le général Létang, par la réunion de trois qualités précieuses à la guerre, le secret, la promptitude et la vigueur, avait assuré le succès de cette opération nécessaire et qui, par conséquent, pouvait être prévue par l'ennemi.

Il surprit tout le monde, même ses troupes, en partant brusquement d'Oran le 23 novembre. Sa colonne conduisait six cents chameaux et trois cents mulets ; elle se composait en tout de quatre mille hommes à peine[20], qui arrivèrent le 28 à Tlemcen sans que l'émir eût eu le temps de rassembler les contingents des tribus.

La garnison du Méchouar soutenait gaiement son long emprisonnement : la maigre ration de pain d'orge et de son fut remplacée par une abondance, de courte durée cependant, comme l'apparition de la colonne qui avait apporté ces trois mois de vivres.

Le général Létang revint à Oran, comme il en était parti, en trompant l'ennemi. Une seconde fois, c'était plus difficile ; l'émir, d'ailleurs, était sur ses gardes et avait réuni assez de monde pour que le retour de la division française fût très-périlleux.

Le général annonça qu'il allait se rendre au camp de la Tafna, toujours bloqué de très-près par les Kabyles : il donna tous ses ordres en conséquence ; puis, le 30 novembre au matin, il prit la route directe d'Oran.

Il fut rejoint, le 1er décembre seulement, par Abd-el-Kader, qui était allé l'attendre à la Tafna, et qui, arrivant avec une avant-garde de cavalerie, ne put, ce jour-là retarder la marche de la colonne française. Cependant, le lendemain, 2 décembre, l'émir essaya, avec quatre mille chevaux, d'entamer l'arrière-garde au difficile passage du défilé de la Chair, ainsi nommé depuis le désastre d'une division espagnole de quatre mille hommes, massacrée dans cette gorge étroite, d'où il ne s'échappa pas un seul homme pour en porter la nouvelle à Oran. Mais c'est le colonel Combes qui commande cette arrière-garde. Il déploie les trois bataillons de son régiment, le 47e, et, après avoir laissé les Arabes engager leurs masses, il se retourne vivement sur eux. Le général Létang, avec la cavalerie, passe à travers les intervalles de l'infanterie, charge le premier l'ennemi, et donne encore, en tuant un Arabe de sa main, l'exemple trop fréquent en Afrique de chefs qui se font soldats, séduits par le côté chevaleresque de cette guerre étrange.

La division rentre ensuite à Oran pour y apprendre le revers qui imposait de nouveaux et plus grands devoirs à l'armée d'Afrique, consumée par tant d'efforts et partout numériquement inférieure à sa tâche.

Dans la province d'Alger, où il restait à peine sept mille hommes, les Hadjoutes continuaient leurs déprédations. Le bey de Miliana serrait de plus près les lignes françaises ; il parcourut même la Métidja avec les contingents des tribus et deux mauvaises pièces d'artillerie.

Son avant-garde était conduite par un renégat nommé Moulin, qui avait déserté les spahis pour éviter le châtiment d'une action honteuse. Ce criminel, communiquant sa fureur aux Arabes qu'il commandait, enfonça un escadron de spahis réguliers, dont les trois officiers se firent bravement tuer, et il écrivit, avec la pointe de son yatagan, son nom sur le cadavre décapité de l'un de ceux qui avaient été ses chefs.

L'éclat du désastre des Français devant Constantine aggrava encore, dans toute l'Afrique, une situation déjà mauvaise.

Toute la province de Constantine se resserra autour d'Achmed, qui reconquit l'équivoque fidélité de ses sujets par le prestige qui s'attacha à sa faible victoire.

Le sultan lui conféra le titre de pacha et le décora de l'ordre du Nitcham-Iftihar ; el, tandis que la vanité d'Achmed se pavanait sous des honneurs conquis à bon marché, Ben-Hissa, le véritable, le seul défenseur de Constantine, se tenait modestement à l'écart, prévoyant le retour de ce flot qui n'avait reculé que pour revenir plus puissant et plus irrésistible, et il se préparait en silence à soutenir ce nouveau choc. Redoutant plus encore la pusillanimité que l'aveuglement de son maître, Ben-lissa contribua à l'éblouir sur l'avenir par l'éclat des fêtes qui célébrèrent sa rentrée dans Constantine. Il chercha même à attribuer l'honneur de la défense au bey, qui n'avait pas osé confier sa fortune à cette ville, que son fidèle lieutenant lui rendait sans souillure, pleine de butin et ornée de sept cents têtes et de deux cents paires d'oreilles chrétiennes, qui demeurèrent étalées jusqu'à leur dissolution naturelle sur ces mêmes portes contre lesquelles s'était brisée la valeur française.

Mais Abd-el-Kader, plus encore qu'Achmed, grandissait par le désastre des Français ; car c'était à lui, à l'expression et au chef réel de la nationalité arabe, que profitaient nos malheurs et nos fautes, quels qu'en fussent la nature et le théâtre. La défense de Constantine était une des formes de la résistance arabe, et la résistance arabe incarnée, c'était Abd-el-Kader.

L'émir se crut à la veille d'avoir raison des derniers Français : la désertion de nos troupes indigènes, la fuite des habitants de Tlemcen, lui révélaient la décadence de la puissance française et lui fournissaient de nouveaux moyens de la braver. Il vit la France, le grand pays de France, obligé de demander à un chef de barbares du pain pour ses soldats de Tlemcen, qui ne semblaient plus vivre que par la permission et sous le bon plaisir de leur ennemi ; car la division d'Oran, réduite à trois mille cinq cents combattants, sans viande et sans transports — la campagne de Constantine avait tout englouti —, ne put recommencer avec le général de Brossard le coup de main hardi qui avait une fois réussi au général Létang.

Des juifs se chargèrent de cette négociation, dont le fier émir leur laissa presque tous les profits quant à lui, il ne voulut échanger la nourriture de deux mois donnée à la garnison du Méchouar, comme à des bêtes féroces en cage, que contre du fer, du soufre, et contre les Arabes faits prisonniers à la Sickack, c'est-à-dire contre les moyens de faire la guerre à ceux qui s'humiliaient devant lui.

A Alger, cependant, sou orgueil si exalté eut à souffrir des leçons données à ses partisans, dans plus d'une rencontre, par le lieutenant général Rapatel et le colonel Marey. Ce dernier, à la tête de colonnes mobiles, traque partout les Hadjoutes ; officier actif et vigoureux, il fait reverdir, par quelques brillantes actions, des lauriers momentanément flétris ; chaque jour, il enlève à l'ennemi des hommes et des chevaux ; une fois entre autres, par une manœuvre adroite, il accule les Hadjoutes à la montagne, qu'ils sont obligés de gravir à quatre pattes, abandonnant armes, chevaux et cadavres aux spahis réguliers.

En France, le retentissement du revers de Constantine fut immense : une victoire éclatante eût moins profondément ému le pays. Heureuses les nations qui ressentent leurs malheurs plus vivement encore qu'elles ne jouissent de leurs triomphes ! Le souvenir amer des mauvais jours est souvent un excitant plus puissant pour le moral d'un peuple que l'exaltation produite par les gloires antérieures. Si la vengeance, comme le dit le poète, est un plaisir pour les dieux, elle est un devoir pour les États, et c'est du sentiment de ce dernier que dépend leur grandeur : c'est le souvenir de Rosbach qui animait les Français à Iéna ; c'est Iéna qui a fait les Prussiens de 1813. Que la France, qui a besoin d'un si ferme moral, songe toujours à la fois à Austerlitz et à Waterloo, à 1792 et à 1814. Sentir l'injure, c'est l'avoir presque effacée. Le cri de vengeance unanime qui s'éleva de la France, à la nouvelle de l'échec des armes françaises, présageait déjà le succès de 1837. Mais cette vengeance, réclamée par le pays tout entier, ne fut pas confiée à celui que l'armée de Bône appelait, à si juste titre, son sauveur. Le général en chef, que la mort avait épargné dans cette retraite conduite avec tant- d'habileté, fut privé de l'honneur de prendre une revanche nécessaire à la dignité de la France.

Le maréchal Clauzel, rappelé à Paris, s'éloigna, dans le mois de janvier 1837, de ce pays pour lequel il avait beaucoup fait : il s'était d'avance résigné à toutes les chances de cette audacieuse entreprise, et il emportait avec lui la confiance du soldat et l'estime des hommes de guerre, créées par la victoire, et accrues encore par les revers.

Le lieutenant général comte Denis de Damrémont[21] fut nommé, le 12 février 1837, au commandement en chef de l'armée d'Afrique, que le lieutenant général Rapatel exerçait par intérim.

 

 

 



[1] Général MUNCE D'UZER. — Maréchal de camp en 1823. — Retraité en 1846. — Réserve de 1851 à 1852. — Mort à Paris en 1862.

[2] Colonel DUVERGER (LEROY). — Maréchal de camp en 1838. — Réserve de 1846 à 1847.

[3] Capitaine baron MARION. — Général de brigade en 1853. — Général de division en 1862. — Mort à Bastia en 1866.

[4] Colonel baron DE TOURNEMINE. — Canonnier du 4e d'artillerie de marine en 1804. — Gagna tous ses grades sur les champs de bataille de l'Empire. — Colonel en 1826. — Escorte de Charles X à Cherbourg, en 1830. — Général de division en 1848. — Réserve. — Mort en 1861, à Saint-Germain en Laye.

[5] Intendant MELCION D'ARC (Alexandre-Casimir-Élophe). — Entré au 3e de ligne le 17 novembre 1805. — Adjoint aux commissaires des guerres le 15 juin 1809. — Commissaire des guerres de 2e classe le 18 avril 1813. — Sous-intendant militaire de 1re classe le 22 janvier 1831. — Intendant militaire le 16 juillet 1834. — Retraité le 1er septembre 1849. — A péri dans l'Indre en voulant sauver un noyé, le 2 septembre 1854.

[6] En voici le détail :

Infanterie : 400

Cavalerie : 540

Artillerie : 550

Génie : 500

Administration : 300

AVANT-GARDE, GÉNÉRAL DE RIGNY.

Spahis réguliers, spahis irréguliers, infanterie turque, artillerie du bey, Youssouf-Bey ;

3e régiment do chasseurs à cheval d'Afrique, colonel Corréard ;

1er bataillon d'Afrique, lieutenant-colonel Duvivier ;

6' compagnie franche du 4' bataillon d'Afrique, capitaine Blangini ;

Deux pièces de campagne ;

Deux compagnies du génie.

CORPS DE BATAILLE, GÉNÉRAL TREZEL.

3e bataillon du 4e régiment d'infanterie légère, commandant Changarnier :

17e régiment d'infanterie légère, deux obusiers de montagne, colonel Corbin ;

62e régiment de ligne, deux obusiers de montagne, colonel Lévesque ;

63e régiment de ligne, colonel Becquet.

RÉSERVE, COLONEL PETIT D'HAUTERIVE.

59e régiment de ligne ;

Deux pièces de montagne ;

Trois compagnies du génie ;

Quatre pièces de campagne ;

Quatre obusiers de montagne.

Intendant Melcion, intendant en chef de l'armée ;

Colonel Duverger, chef d'état-major ;

Colonel de Tournemine, commandant l'artillerie ;

Colonel Lemercier, commandant le génie.

[7] Lieutenant-colonel DUVIVIER. — Maréchal de camp en 1839. — Général de division en 1848. — Mort en 1848, des suites de blessures reçues en juin, à Paris, comme commandant de la garde nationale mobile.

[8] Capitaine BLANGINI. — Maréchal de camp en 1847. — Mort à Orléans en 1852.

[9] Général vicomte DE RIGNY. — Sous-lieutenant de 1807. — Lieutenant-colonel en 1814. — Colonel en 1818. — Maréchal de camp le 25 octobre 1830. — Première expédition de Constantine. — Réserve en 1848.

[10] Capitaine MUNSTER. — Capitaine d'artillerie le 25 avril 1835. — Officier d'ordonnance du duc d'Orléans. — Mort à Alger en 1840.

[11] Capitaine HACKETT. — Capitaine du génie le 11 mai 1832. — Tué à Constantine le 13 octobre 1837.

[12] Capitaine RUY. — Lieutenant-colonel du génie le 27 mars 4850. — Mort le 17 février 1851.

[13] Capitaine BLANC (A.-B.), dit SAINT-HIPPOLYTE. — Colonel d'état-major le 27 avril 1846. — Mort le 27 octobre 1849.

[14] Chef d'escadron LEULLION DE THORIGNY (L.-E.) — Lieutenant-colonel de lanciers le 30 janvier 1836. — Mort le 22 mai 1838.

[15] Colonel HECQUET. — Général de division en 1848. — Réserve. — Président de la commission des modèles.

[16] Lieutenant BERTRAND. — Général de brigade le 20 octobre 1864. — En activité.

[17] GRAND (E.-E.-F.). — Capitaine du génie le 5 juin 1834. — Cité le 11 juin 1835. — Mort le 25 novembre 1836.

[18] Capitaine MORRIS (L.-M.). — Maréchal de camp en 1847. — Général de division en 1851. — Commanda une division de cavalerie en Crimée, puis la cavalerie de la garde.  — Campagne d'Italie avec les mêmes fonctions. — Mort le 6 juin 1867.

[19] Colonel BOYER (P.-P.). — Aide de camp du duc de Nemours. — Général de division le 20 avril 1845. — Mort le 26 novembre 1864.

[20] Trois bataillons du 47e régiment ;

Deux bataillons du 2e ;

Demi-bataillon du 23e ;

Trois cents chevaux du 2e chasseurs à cheval ;

Trois cents cavaliers douairs et smélas ;

Deux cents chasseurs démontés ;

Quatre pièces de campagne ;

Six obusiers de montagne ;

Deux compagnies du génie.

[21] Général comte DE DAMRÉMONT (Denis). — Capitaine en Espagne. — Aide de camp du duc de Raguse. — Lieutenant-général le 13 décembre 1830. — Gouverneur général de l'Algérie. — Enlevé par un boulet à Constantine, où il commandait en chef.