Un taureau assailli par un essaim s'agite d'abord lourdement au milieu des mouettes qui le harcèlent, puis il cherche à frapper de ses cornes les subtils ennemis contre lesquels il s'est gauchement défendu, et, après cet effort excessif et inutile, il retombe épuisé, laissant sa masse inerte plus exposée aux piqûres. C'est l'histoire de la guerre des Hadjoutes contre la province d'Alger. De petits groupes de cavaliers rapides comme l'éclair voltigent en tout sens autour des postes français et les fatiguent. Leur marche irrégulière et imprévue, comme celle des comètes, échappe souvent aux patrouilles et aux colonnes qui gravitent régulièrement dans une orbite limitée. Bientôt on s'irrite de l'impuissance de la force contre la faiblesse, de la masse contre l'individualité : les brigands qu'on tue sont remplacés aussitôt par de nouveaux aventuriers qu'attire l'odeur de la chair fraîche ; et le butin, seul mal qu'on puisse faire à ce ramassis de voleurs, ne fait pas toujours pencher la balance en faveur d'une armée obligée parfois de poursuivre avec des charrettes la cavalerie la plus leste du monde. La colère commande alors un grand mouvement, et l'on dépense, pour un résultat petit, une force que l'on regrette plus tard, et dont l'inutile emploi accroît l'audace de l'ennemi. A l'ubiquité, à la mobilité de l'attaque, on oppose trop souvent l'immobilisation de la défense. L'incertitude prolongée des volontés de la France rend impossible l'adoption d'un système général de défense de la province d'Alger. Il faudrait définir le territoire que l'on veut garder. avant de savoir comment on le défendra, et les diverses opinions ne sont d'accord que pour laisser dans le vague une possession qu'elles espèrent plus tard restreindre ou étendre à leur gré. A défaut du seul remède efficace, un obstacle continu de défense protégé en avant par des colonnes aussi mobiles que les Hadjoutes, à défaut de ce moyen impossible à employer sous le coup dit provisoire, on multiplie, à chaque incident nouveau, les blockhaus, véritables sangsues qui épuisent l'armée, et dont le nombre, accru sans harmonie, ne peut suppléer à l'absence d'un plan d'ensemble. Ces lignes imparfaites n'arrêtent point un ennemi qui passe partout et ne se fixe nulle part. Le 1er décembre 1835, à la suite de quelques courses heureuses du colonel Marey, les Hadjoutes se réunissent et paraissent tout à coup au nombre de six cents chevaux commandés par le bey de Miliana, en arrière des postes de Douéra et d'Ouled-Mendil. Cet ouragan de cavaliers, qui dévaste tout sur son passage, est arrêté par l'énergie du capitaine de Signy[1] et du lieutenant Vergé[2]. Ces deux braves officiers montent à cheval en un clin d'œil, et, avec un seul escadron, chargent en tête et en queue les Arabes, qui, après une chaude mêlée, fuient, laissant plus de trente des leurs sabrés sur le terrain où ils avaient attendu le choc des chasseurs. Cette leçon apprit aux Hadjoutes que se réunir, c'était se livrer. Ils se dispersèrent, après ce combat, pour recommencer leurs déprédations isolées, qu'ils exécutaient avec une adresse remarquable. Ces coups d'épingle journaliers lassèrent bientôt le bouillant général Rapatel. Une grosse colonne, où la routine fit emmener du canon, investit le repaire des Hadjoutes, par une marche de nuit rapide et silencieuse, comme les troupes avaient appris à. en faire depuis quelque temps. Le mouvement, dirigé par le général Desmichels, réussit complètement, et, après un engagement assez vif, la colonne ramena une prise considérable. En revenant, quatre 'langueurs furent enlevés, la nuit, dans un marais où la colonne ; qui marchait depuis vingt-quatre heures, resta longtemps embourbée. Contrairement au cruel usage des Arabes, trop souvent imité par les Français, ces prisonniers furent épargnés et échangés contre quelques-uns de ceux que nous avions faits. Il est triste de songer que le premier principe d'humanité introduit dans cette guerre féroce l'ait été par une bande de pillards pour qui l'homme n'était qu'un butin, et qui avait trouvé qu'un vivant vaudrait plus que la tête d'un mort. Cette succession de rapines, d'embuscades et d'escarmouches continuait dans son ennuyeuse monotonie, lorsque le maréchal Clauzel revint d'Oran à Alger, ramenant l'appoint de troupes nécessaires pour compléter, dans chaque province, la colonne destinée à opérer dans l'intérieur. Tout lui faisait une loi de se hâter : quatre régiments étaient déjà désignés par le ministre pour s'embarquer immédiatement, et bientôt les moyens de franchir l'Atlas allaient manquer. Le bey qui, à Médéah, tenait pour la France contre le lieutenant d'Abd-el-Kader, était aux abois, et son influence ne s'étendait guère plus au delà du silo où ce pauvre vieillard vivait caché. Enfin, la diversion du général Perregaux sur le Chélif isolait la province de Tittery de l'action directe d'Abd-el-Kader, et présentait une chance favorable pour y relever le parti de la France. Le 30 mars 4836, une colonne de sept mille hommes environ, commandés par le lieutenant général Rapatel et les généraux Desmichels et Bro, sous la direction supérieure du maréchal en personne, débouchait de Boufarick[3]. La garde des postes sédentaires, qui est à l'ensemble de l'armée d'Afrique ce que le convoi est à chaque colonne, ayant réduit le chiffre de l'infanterie qu'on pouvait mobiliser, des armes avaient été distribuées à quatre cents condamnés aux travaux publics, qui firent partie du corps expéditionnaire. Élever les hommes à leurs propres yeux, c'est les rendre meilleurs, et bientôt ils deviennent réellement tels qu'on semble les croire. Le but de l'opération n'était un secret pour personne, pas même pour les Kabyles de Mouzaïa et de Soumata. Dès que les Français eurent traversé la Chiffa, ces tribus parurent en armes sur le flanc gauche de la colonne, indiquant qu'on ne passerait que par la poudre ces Thermopyles de la Numidie, dont elles étaient, depuis des siècles et sous des noms divers, les immuables gardiennes contre tous les conquérants de l'Afrique. Leurs longues files blanches se forment en bataille au pied de la montagne, sur une pente douce : de profonds ravins, naturelles et invisibles fortifications, bases de la confiance des Kabyles, sont masqués par une nappe de verdure formée d'épaisses broussailles. Le maréchal craint de laisser échapper l'occasion de frapper un coup décisif pour la suite de la campagne : il se hâte de lancer les cribs, mais ils s'arrêtent court au bord d'un ravin ; les spahis réguliers, qui reprennent la charge, heurtent à l'improviste contre le même obstacle, et sont décimés par une fusillade meurtrière. Ils parviennent cependant, à la suite du brillant colonel Marey et du lieutenant-colonel de la Rue[4], déjà blessé, à franchir ce premier ravin : à quelques pas plus loin, ils en trouvent un autre. Le général Rapatel, conduisant en personne cette attaque, est démonté ; le capitaine Bouscaren[5], qui le premier parvient à joindre l'ennemi, tombe grièvement blessé. Les rangs des spahis s'éclaircissent sous le feu assuré des Kabyles, mais ils se maintiennent pourtant jusqu'à l'arrivée de l'infanterie, dont le mouvement met fin à ce combat inégal et inutile. Le soir, l'armée campa sur le ruisseau de Mouzaïa et déposa dans les ruines de la ferme le convoi, deux pièces de campagne et les blessés, sous la garde des condamnés et sous le commandement du chef de bataillon Marengo[6], vieux soldat de l'Empire, à la fois sévère et humain. Quatre cents condamnés, mal protégés par quelques restes d'un mauvais mur en pisé, et dominés à petite portée par un bois d'oliviers, allaient garder ce que l'armée avait de plus précieux, ses blessés, son artillerie, son trésor ! Mais le maréchal avait bien jugé ces hommes, excessifs dans le bien comme dans le mal ; il les savait plus liés par la preuve anticipée d'une estime et d'une confiance dont ils n'étaient pas encore redevenus dignes, que par les fers qu'ils avaient mérités. Le 31 mars au matin, on s'engagea dans les montagnes sur trois colonnes. Les bagages, réduits à douze voitures de l'artillerie et deux prolonges du génie, marchaient avec la colonne du centre où se trouvaient les cinq compagnies de sapeurs. Dès les premiers pas. les horribles anfractuosités du terrain obligèrent les voitures à s'arrêter, jusqu'à ce que le génie leur eût ouvert une route carrossable. Les colonnes de droite et de gauche continuèrent à avancer lentement, débusquant de chaque mamelon les tirailleurs ennemis, qu'on ne pouvait ni joindre ni même voir, et dont les coups bien dirigés causèrent, surtout aux zouaves, des pertes sensibles. Vers le soir cependant, au moment où le bivouac allait s'établir sur le plateau du Déjeuner, Richepanse, avec des détachements de chasseurs à cheval, parvint à les aborder sur une éminence d'où ils venaient de chasser les Aribs, malgré les valeureux efforts du capitaine Gastu[7], affreusement blessé. Ainsi se passa la première journée : pendant la nuit, les blessés sont transportés à bras à la ferme de Mouzaïa, et, le l'r avril, à huit heures du matin, le corps expéditionnaire s'ébranle sur deux colonnes seulement. Le terrain l'exige ainsi : la droite est couverte par des précipices, et à gauche il faut emporter les hauteurs à pic qui dominent la route jusqu'au col de Mouzaïa. Le général Bro est chargé de cette tâche difficile et s'en acquitte avec honneur. Tandis que, dans les batailles européennes, où la fin seulement est décisive, on garde les meilleures troupes en réserve, on doit, au contraire, les mettre en tête de colonne dans les combats où la retraite est impossible, et où il faut réussir du premier coup, ou mourir. Les zouaves marchent les premiers, le 2e léger les suit, puis vient le 3e bataillon d'Afrique. Les chefs, à pied comme la troupe, encouragent de leur exemple le soldat, qui s'aide de ses mains pour avancer, et qui, déjà chargé de son sac, doit encore porter les blessés, car l'ambulance n'a pu suivre, sur ces pentes inaccessibles aux mulets. Bientôt tout devient facile aux troupes animées par le feu des Kabyles qui, au nombre de deux mille, défendent cette formidable position : quatre heures du soir, les sommets de l'amphithéâtre circulaire de Mouzaïa avaient été emportés jusqu'à la hauteur de la tête de la colonne des bagages. L'ennemi se retirait après avoir lutté pied à pied, mais les soldats, épuisés, s'arrêtaient et se couchaient, accablés par la fatigue, sur les rochers qui leur avaient déchiré les pieds. Le maréchal n'était pas homme à s'arrêter au milieu d'un succès. Le jour baissait, et il ne voulait ni remettre au lendemain le reste de l'attaque, ni la tenter de front, comme en 1831, par un de ces coups de main qui ne réussissent qu'une fois. Les sons enivrants de la charge réveillent le soldat et apprennent au maréchal que son ordre, porté à travers mille dangers par le capitaine Villeneuve[8], s'exécute. Les zouaves s'avancent, au bruit des tambours et des clairons, sur ce terrain qui leur rappelle déjà de glorieux souvenirs, et qui doit devenir, pour leur chef et pour eux, le théâtre de nouveaux exploits. Sans s'arrêter, le colonel de Lamoricière leur commande un feu d'ensemble contre la masse des Kabyles groupés autour du bey de Miliana, sur les derniers pitons du col. Ceux-ci y répondent aussitôt par une décharge générale. Avant que la fumée soit dissipée et que les armes aient été rechargées, les zouaves sont au milieu d'eux ; le 2e léger, le bataillon d'Afrique s'emparent des autres positions, tandis que le 13e de ligne éloigne l'ennemi de la colonne de droite. Le col était pris, mais l'artillerie et les bagages étaient encore bien loin : à peine, en deux jours, avaient-ils avancé d'une lieue dans ce chaos dont les difficultés effrayaient l'imagination. Tous les obstacles cédèrent pourtant à la calme persévérance du maréchal, aux efforts infatigables des troupes, et à l'active habileté du colonel Lemercier, si digne de diriger le corps du génie français, le plus pratique en même temps que le plus savant de l'Europe. Les ingénieurs entreprennent le siège de la montagne. On chemine à la sape et à la mine, à travers des rochers pour lesquels la poudre remplace le vinaigre d'Annibal, et dont les éclats, dispersés sur la voie, servent à assurer l'écoulement des eaux pluviales et à garantir, en le consolidant, la durée de cet ouvrage remarquable. Certes, les soldats qui, la pioche d'une main et le fusil de l'autre, ne prenant, malgré la neige et le froid, que trois heures de repos sur vingt-quatre, ont construit, en cinq jours, quinze mille six cents mètres de route carrossable, pour s'élever à la hauteur de neuf cent soixante mètres ; certes, ces soldats laborieux et patients méritent le glorieux nom de Roumis, de ce seul peuple dont l'Afrique ait gardé la mémoire. En 1840, l'armée retrouva ce beau travail respecté par le temps ; elle rendit hommage à la constance des soldats qui l'avaient si promptement et si solidement élevé, et aux prévisions d'un général dont la généreuse habileté avait préparé un avenir qui ne lui appartenait pas. Le /t avril, les voitures étaient arrivées au pied du dernier sentier de chèvres qui montait au rocher du col. Dans la journée, six cents mètres de rampe avaient été taillés dans le roc, et l'artillerie de campagne, amenée pour la première fois au sommet de l'Atlas, se mettait en batterie sur des plateaux où les Français venaient de solder de leur sang le péage de la nouvelle route. Les positions que les troupes avaient dû prendre pour couvrir le col et les travaux du chemin étaient difficiles à défendre. Aucune arête continue ne relie les monticules boisés, isolés les uns des autres, et tous à bonne portée du fusil, qui s'élèvent au sud du ténia de Mouzaïa. La ligne dont la sûreté des troupes avait exigé l'occupation tenait plus d'une demi-lieue, n'avait point de flanquements et était coupée au centre par une gorge profonde, qui la séparait en deux. Les zouaves gardaient seuls la droite ; au centre gauche était placé le 3e bataillon d'Afrique ; le 2e léger était à gauche ; un bataillon du 13e en réserve : en tout, deux mille cinq cents hommes. C'est dans cette situation, la plus défavorable pour livrer un combat défensif sur place, la plus favorable aux Kabyles pour blesser un grand nombre de Français, que les tribus de l'Atlas, au nombre de trois ou quatre mille fantassins, excitées par le revers non encore vengé de 1831, viennent, le 2 avril, se ruer sur les chrétiens, dont l'immobilité leur parait un signe d'impuissance. Toute la ligne est attaquée à la fois, mais l'ennemi concentre particulièrement ses efforts sur la droite qui ne peut s'appuyer à rien, et sur le centre gauche dont on peut s'approcher presque sans être vu. A la droite, les zouaves, après un combat corps à corps, conservent leur position : au centre gauche, l'impétueuse audace des Kabyles crève la ligne française ; le bataillon d'Afrique perd sa position, mais le capitaine de Montredon[9], avec les voltigeurs du 2e léger, la reprend à la baïonnette. L'ennemi, trop fort pour être poursuivi dans un tel terrain, se retire, repoussé mais non découragé. Le lendemain 3, il renouvelle ses attaques avec la même rage ; une sorte d'adhérence semble lier ces adversaires furieux, qui ne peuvent ni se vaincre ni se quitter. Les Kabyles qu'on tue sans pouvoir se dégager, et qui semblent renaître incessamment et se multiplier, suivent les mouvements de la ligne française, comme le flot suit les oscillations d'une digue mobile. Le danger de recevoir toujours de pied ferme ce choc acharné est plus grand que le danger d'étendre encore des positions déjà trop vastes. Le maréchal ordonne l'offensive. Nos soldats, rendus à leurs habitudes et à leurs goûts, se montrent par l'intelligence et la bravoure individuelles, plus Kabyles que les Kabyles eux-mêmes : ils chassent l'ennemi de tous les ravins oit il s'opiniâtre, et campent en avant de leurs lignes sur des rochers rougis du sang de bien des braves. Trois cents Français avaient été mis hors de combat : pendant la nuit, ils furent transportés à bras à Mouzaia par les troupes qui avaient combattu ou travaillé tout le jour. La résistance, une fois aussi énergiquement vaincue, ne se reproduisit plus : les Arabes n'avaient pas encore acquis cette forte organisation qui fait combattre même sans espoir de triompher, et le reste de l'expédition fut pacifique. Le général Desmichels se rendit, le 4 avril, à Médéah, pour y châtier nos adversaires, et donner des armes et des munitions à notre bey, auquel ce secours ne rendit qu'un pouvoir éphémère comme notre apparition. Pour conquérir, il fallait rester ; mais le maréchal, arrêté dans l'exécution de ses plans sages et habiles par la défense formelle d'occuper aucun point nouveau, dut renoncer à s'établir en permanence dans la province de Tittery. Se soumettant malgré lui à des ordres regrettables, il fit tout pour pallier les fautes du présent, aplanir les voies de l'avenir, et pour prolonger dans cette province une lutte d'influence dont l'issue, dans ces conditions, ne pouvait malheureusement être douteuse. Car les populations, déjà rendues méfiantes par nos fluctuations, n'avaient à choisir qu'entre la colère passagère des Français et le pouvoir permanent d'Abd-el-Kader, qui s'incrustait partout au sol que nous effleurions à peine. Le 7, le corps expéditionnaire, flanqué sur les hauteurs par le général Rapatel, redescendit à la ferme de Mouzaia. Les murailles avaient été relevées, des fossés creusés, des plates-formes construites ; des cadavres ennemis gisaient auprès de cette forteresse improvisée. Quatre cents blessés ou malades, entassés dans cette étroite enceinte et manquant d'effets d'ambulance, s'étaient vus soignés et défendus par les condamnés avec un zèle et un courage honorables et pour le chef qui avait su rendre au bien de tels hommes, et pour les condamnés qui avaient si bien employé leur énergie jusqu'alors coupable. Deux fois l'ennemi s'était présenté en forces, deux fois il avait été repoussé par ces malheureux auxquels la nécessité avait fait donner des armes, et que leurs services auraient dû réhabiliter. Cependant, victimes d'un inflexible et inintelligent esclavage des formes administratives, ils furent rendus à leur flétrissure lorsqu'on n'eut plus besoin d'eux. Sur les instances du maréchal, quelques-uns furent graciés et obtinrent de conserver les armes dont ils avaient fait un noble usage : l'un d'eux, décoré pour une action d'éclat, échangea sans transition la livrée de la honte pour la distinction de l'honneur. Mais la plupart furent refaits infantes par cette loi, celte dure loi, non invoquée par eux lorsqu'on la viola pour les armer, et plus tard impitoyablement appliquée pour charger de chaînes les mains qui avaient gardé le trésor, pansé les blessés, et fait courageusement couler le sang de l'ennemi. On eut l'impolitique cruauté de remettre au bagne ces hommes que leur passage sous les drapeaux et le baptême de sang avaient amnistiés. Vraiment soldats par la résignation, comme ils l'avaient été par la bravoure et l'humanité, ils embrassèrent en pleurant les fusils qui pour eux étaient le symbole de l'honneur, et rentrèrent sans murmurer dans leurs ateliers. Les beaux travaux qui leur sont dus perpétueront le souvenir des chamborans du père Marengo, à la valeur et à l'infortune desquels toute l'armée rendit hommage. Le 8 avril, après une affaire d'arrière-garde, où les Hadjoutes eurent leur caïd tué, les troupes étaient de retour dans leurs camps. Elles y rentraient avec le printemps, auxiliaire si précieux et trop souvent négligé des opérations militaires. La belle saison semblait devoir appeler à de nouveaux succès, et à la consolidation d'une œuvre déjà avancée, le général et l'armée qui avaient déjà tant fait pendant un rude et pluvieux hiver. En cinq mois, l'émir, vaincu partout, privé de ses établissements, dépouillé de son prestige, avait vu son vaste empire réduit aux environs du Maroc ; et l'occupation de Tlemcen et la route de l'Atlas restaient comme des menaces permanentes suspendues sur sa tête. Si ce n'était pas tout ce qu'on eût pu obtenir avec des moyens suffisants, du moins était-ce tout ce que les fautes antérieures et les ressources du moment permettaient de réaliser. Mais ces ressources mêmes, à la faiblesse desquelles le génie du maréchal avait suppléé, ces ressources lui échappaient. Le 10e léger était déjà rentré en France ; le 43e de ligne, le 3e bataillon léger, les vétérans, les disciplinaires, venaient d'être arrachés à l'Algérie. Leur départ frappait de paralysie une armée pour laquelle un temps d'arrêt, dans les circonstances du moment, pouvait être un mal longtemps irréparable. La persévérance semblait n'appartenir qu'aux ennemis de notre conquête, et ce n'était plus eu Afrique, c'était à Paris que se trouvaient les plus redoutables. Le siège périodique d'Alger allait recommencer dans la Chambre des députés. Le général en chef se rendit au poste du danger, qui était toujours le sien, et partit pour Paris le lit avril, laissant le commandement par intérim au général Rapatel. |
[1] Capitaine RONDÉ DE SIGNY. — Lieutenant au 1er chasseurs d'Afrique en 1831. — Chef d'escadron le 23 juin 1844. — Retraité le 24 septembre 1847.
[2] Lieutenant VERGÉ (Joseph). — Capitaine le 15 avril 1836. — Chef du bataillon de tirailleurs indigènes d'Alger en 1843. — Mort le 13 juillet 1847.
[3] Les troupes, bien portantes, bien commandées, et joyeuses se quitter leurs cantonnements, se composaient de :
INFANTERIE.
Zouaves ;
3e bataillon d'Afrique ;
3e léger ;
43e de ligne ;
63e de ligne.
CAVALERIE.
Spahis irréguliers (Aribs) ;
Spahis réguliers ;
1er régiment de chasseurs d'Afrique.
ARTILLERIE.
Six pièces de campagne ;
Six obusiers de montagne ;
Deux tubes de fusées de guerre.
GÉNIE.
Cinq compagnies de sapeurs-mineurs.
[4] Lieutenant-colonel comte DE LA RUE (Aristide-Isidore-Jean-Marie). — Lieutenant-colonel du 6 janvier 1836. — Colonel le 24 août 1838. — Général de brigade le 14 avril 1844. — Général de division le 14 juillet 1851. — Réserve. — Sénateur.
[5] Capitaine BOUSCAREN (Henri-Pierre). — Général de brigade le 22 décembre 1851. — Tué à Laghouat, le 19 décembre 1852. — Neuf citations en Afrique.
[6] Commandant MARENGO (CAPPONE, dit). — Colonel le 11 octobre 1840. — Retraité le 26 avril 1848.
[7] Capitaine GASTU. — Général de division en 1857. — Mort commandant de la division de Constantine en 1859.
[8] Capitaine VILLENEUNE (Décius). — Colonel du génie le 23 décembre 1845. — Mort le 4 avril 1855.
[9] Capitaine GABRIAC DE MONTREDON. — Capitaine du 2e léger. — Mort en Afrique entre 1836 et 1838.