CAMPAGNES DE L'ARMÉE D'AFRIQUE

1835-1840

 

INTRODUCTION

 

 

LES CAMPAGNES D'AFRIQUE DE 1830 À 1835.

 

En 1835, à l'époque où commencent les récits du duc d'Orléans, la domination française ne comprenait encore qu'une partie peu étendue de l'Algérie, et le drapeau tricolore flottait seulement sur les principales villes du littoral, dont plusieurs brillants faits d'armes nous avaient rendus maîtres. Pour conserver ces quelques villes, ainsi que l'étroit territoire qui les avoisinait et qui en formait comme la banlieue, la petite armée d'occupation avait da déployer une fermeté et une constance peu communes. Sans cesse décimée par les maladies ; accablée par les fatigues inouïes au prix desquelles il lui fallait exécuter les travaux que commandaient les nécessités de la défense et la nature du sol ; toujours entourée, harcelée par un ennemi nombreux, brave, et qu'animait contre nous un ardent fanatisme, elle avait eu à soutenir, au milieu des plus cruelles épreuves, des luttes quotidiennes, sans repos ni trêve : luttes obscures, mais vraiment héroïques, qui formèrent l'armée d'Afrique et qui donnèrent, une fois de plus, la mesure de ce qu'il y a d'indomptable énergie dans le soldat français.

Il est à jamais regrettable que la plume à laquelle nous devons les récits si vivants des campagnes de 1835 à 1840 ne nous ait rien laissé sur cette première période de l'histoire de l'Algérie. Nous ne pouvons songer à combler cette lacune. Pour tenter une pareille œuvre, il faudrait avant tout avoir recueilli, de la bouche même de ceux qui furent alors à la fois acteurs et témoins, leurs souvenirs personnels sur les diverses phases de la lutte, sur tant de nobles et glorieux efforts. Il faudrait, en outre, avoir vu de ses yeux et étudié sur place le théâtre des mouvements de notre armée. Ce double travail préliminaire nous est interdit. D'ailleurs, les combats livrés à cette époque furent tellement nombreux, qu'il serait impossible de les raconter tous sans dépasser de beaucoup les limites d'une simple introduction. Nous nous bornerons donc à rappeler ici, dans un résumé aussi rapide, aussi succinct que possible, les faits les plus importants de ces cinq premières années de nos guerres d'Afrique, en les classant dans l'ordre suivant : la conquête d'Alger, ce grand et mémorable triomphe de nos armes ; les deux expéditions de Médéah ; les principaux engagements qui suivirent la prise de Bône et de Bougie ; enfin, les opérations qui, après l'occupation d'Oran, aboutirent au traité du 26 février 1834.

 

I

ALGER

 

Jusqu'à la guerre qui fit tomber leur pays en notre pouvoir, les Algériens furent toujours d'incorrigibles pirates. Fiers de l'admirable position de leur ville, que l'on considérait comme imprenable, et qu'ils appelaient avec orgueil Alger la victorieuse et la bien gardée, ils semblaient non-seulement jeter un défi à toutes les puissances voisines, mais encore ne compter pour rien les lois du monde civilisé. Cependant, depuis la sévère leçon qu'ils avaient reçue de nous sous le règne de Louis XIV, lors du triple bombardement d'Alger par Duquesne et d'Estrées[1], nous avions acquis une certaine prépondérance dans la Régence, et, au commencement du XIXe siècle, on répétait encore le proverbe qu'une querelle avec la France ne doit pas durer jusqu'à la prière du soir. Cette influence fut entièrement perdue en 1827. Irrité des justes réclamations du gouvernement du roi Charles X contre la violation des privilèges que nous assuraient les traités et contre les actes de piraterie dont notre commerce avait continuellement à souffrir, le dey Hussein, dans une audience solennelle, insulta grossièrement notre consul, et, peu après, les Arabes brûlèrent l'établissement français de la Calle, près de Bône. La guerre était devenue inévitable. Une escadre partit donc de Toulon et commença par bloquer le port d'Alger et tout le littoral. On espérait qu'il suffirait d'un rigoureux blocus pour avoir raison du dey. Mais rien ne put faire céder l'orgueilleux entêtement de Hussein. Il osa même, au mois d'août 1829, violer de nouveau le droit des gens, en faisant canonner par l'artillerie algérienne le vaisseau de ligne la Provence, venu, comme parlementaire, en rade de sa capitale. Une pareille injure ne pouvait rester impunie. Fermement résolus à tirer une vengeance éclatante de l'affront fait à notre pavillon, Charles X et son ministère décidèrent aussitôt que l'on enverrait contre Alger une flotte et une armée de débarquement, non plus seulement pour exiger satisfaction des griefs de la France, mais pour détruire ce nid de pirates.

Nos rapports antérieurs avec cette contrée n'avaient fait connaître encore que bien imparfaitement le terrain sur lequel nos troupes allaient opérer. La Régence s'étendait sur plus de deux cents lieues d'une côte inhospitalière, n'offrant que très-peu de bons mouillages ; ceux de Bougie et de Mers-el-Kébir (près d'Oran) étaient les seuls vraiment sûrs ; les autres ports, sans même en excepter celui d'Alger, ne présentaient que de mauvais abris. Les récits de quelques voyageurs et des cartes mal faites ne donnaient qu'une idée vague de l'intérieur du pays. On savait que deux chaînes de montagnes s'élevaient parallèlement à la mer ; que la première, coupée de plaines, de vallées et de plateaux, bordait pour ainsi dire le rivage, et que la seconde s'en rapprochait vers l'est pour s'en éloigner ensuite vers le sud-ouest. Quant aux rivières ou torrents qui descendaient de ces montagnes, c'est à peine si leurs noms étaient connus. On n'avait également que des notions fort incertaines sur les habitants de cette contrée soumise, depuis trois siècles, à la domination des Turcs. Il est vrai que nos navires de commerce avaient souvent visité les villes de la côte, ce qui nous avait fait entrer en relations avec la population juive et mauresque des villes ; mais on confondait aisément sous le même nom de Bédouins les trois principales races indigènes de l'intérieur[2]. Un seul renseignement d'une réelle importance était acquis. En 1808, le colonel du génie Boutin[3] avait été chargé par Napoléon d'explorer tout le littoral de l'Algérie. C'était un officier fort intelligent et plein de zèle. Après plusieurs reconnaissances exécutées avec un très-grand soin, il avait désigné, comme le point le plus favorable à un débarquement, la presqu'île de Sidi-Ferruch située à l'ouest du promontoire sur lequel s'élève la ville d'Alger. Le gouvernement de Charles X s'inspira de cette pensée. Il fut donc résolu que les troupes débarqueraient non pas, comme il en avait été question un moment, à Mers-el-Kébir, pour s'avancer ensuite vers Alger par la route de terre en longeant la côte, mais dans l'une des deux baies qui forment la presqu'île, et qu'on marcherait de là sur la capitale du dey.

L'entreprise était hardie et digne au plus haut point d'exciter l'intérêt : venger l'honneur de la France, dont la cause était devenue celle de l'Europe elle-même, rétablir la sûreté des mers et humilier les ennemis de la civilisation et du nom chrétien, tel était le noble but de l'expédition. Les préparatifs furent poussés avec une extrême vigueur, et, ainsi qu'il arrive toujours, quand il s'agit d'une de ces guerres qui font appel à tous les instincts élevés, généreux, chevaleresques d'une nation comme la nôtre, l'armée et la marine accueillirent avec enthousiasme l'annonce de la campagne projetée. Rien n'avait été négligé pour en assurer le succès : plus de trente mille hommes et cent seize bouches à feu devaient faire partie du corps expéditionnaire, dont le ministère avait confié le commandement à un de ses membres, le lieutenant général comte de Bourmont[4] ; quatre cent quatre-vingt-quatre bâtiments de commerce avaient été frétés pour les transports ; enfin une escadre de cent deux bâtiments de guerre, sous les ordres du vice-amiral Duperré[5], allait escorter ce grand convoi et lui prêter son appui.

L'armée devait se composer de trois divisions[6] commandées par les lieutenants généraux Berthezène[7], Loverdo[8] et duc d'Escars[9] ; les maréchaux de camp étaient MM. Poret de Morvan[10], Achard[11], Clouet[12], Damrémont, Munck d'Uzer, Colomb d'Arcine[13], Berthier de Sauvigny[14], Hurel[15] et Montlivault[16]. Le lieutenant général Desprez[17] remplissait les fonctions de chef d'état-major ayant le général Tholozé[18] pour sous-chef ; le général de la Hitte[19] commandait l'artillerie, le général Valazé[20] dirigeait le génie, et le baron Denniée[21] était intendant en chef. Enfin, si l'on jette les yeux sur les listes relatives aux grades moins élevés, on y trouvera bien des jeunes officiers qui devaient, dans un prochain avenir, tenir noblement tout ce qu'ils promettaient alors, bien des noms qui sont devenus illustres soit dans le cours des campagnes algériennes, soit sur les divers champs de bataille parcourus depuis cette époque par les armées françaises. Citons entre autres MM. Baraguay-d'Hilliers[22], Vaillant[23], de Chabaud-la-Tour[24], Duvivier, Pélissier[25], Changarnier, de Beaufort[26], de Mac-Mahon[27], de Lamoricière, Magnan[28].

Les troupes étaient pleines d'ardeur : les soldats en congé d'un an avaient répondu à l'appel avec une facilité inattendue ; tous aspiraient à l'honneur de suivre l'expédition. Afin de faire partie des bataillons désignés, un certain nombre de grenadiers et de voltigeurs avaient demandé à passer dans des compagnies du centre ; des sous-officiers ou des caporaux avaient renoncé à leurs galons ; on raconte même que des voltigeurs du 49e laissés au dépôt le quittèrent, et, voyageant à leurs frais, rejoignirent à trente lieues de Poitiers les bataillons de guerre de leur régiment.

Dès le printemps de 1830, les corps qui devaient prendre part à l'expédition furent cantonnés aux environs de Toulon, de Marseille et d'Aix, afin de pouvoir être concentrés et embarqués rapidement. Dans les premiers jours de mai, après de brillantes revues passées par le Dauphin, l'armée reçut ses ordres définitifs, et l'embarquement fut terminé le 17. Mais, les vents contraires ayant retardé le départ, la flotte ne quitta la rade de Toulon que le 25. Elle naviguait sur trois colonnes. Le contre-amiral Rosamel[29] était au centre, sur le Trident. Un capitaine de vaisseau, M. Lemoine[30], commandait la droite, et un officier de même grade, M. le baron Hugon[31], dirigeait la gauche. Le premier montait la frégate la Thétis ; le second, la corvette de guerre la Créole. En tête de l'escadre de bataille marchait la Provence, sur laquelle le vice-amiral Duperré avait arboré son pavillon. Le 30, pour la première fois, soldats et marins purent apercevoir les rivages de l'Algérie ; mais ce n'était encore que de loin, et, avant que l'amiral eût eu le temps de prendre ses dispositions pour se rapprocher de la côte, une violente bourrasque força la flotte à regagner le large. Il fallut aller chercher un abri aux lies Baléares, dans la rade de Palma, où l'on resta plusieurs jours pour rallier le convoi et attendre un temps plus propice. Enfin, le 13 juin, nos escadres arrivèrent de nouveau en vue des côtes d'Afrique. A neuf heures du matin, elles n'étaient plus qu'à deux heures d'Alger. A l'aide des lunettes, on distinguait parfaitement la ville. S'élevant en amphithéâtre sous la forme d'un triangle dont la base touchait à la mer, elle semblait, avec ses maisons blanches qui réfléchissaient les rayons ardents du soleil, comme une vaste carrière de craie ; au sommet était la casbah ou citadelle, et, à une certaine distance au sud, on pouvait apercevoir le fort l'Empereur.

A une lieue environ de la côte, la flotte, sur laquelle on venait d'ordonner le branle-bas de combat, vira de bord et se dirigea vers l'ouest ; elle passa devant le fort des Vingt-Quatre-Heures et devant celui des Anglais, doubla la pointe Pescade et se trouva enfin à deux heures devant la presqu'île de Sidi-Ferruch. Dans l'après-midi du 13, tous les bâtiments étaient au mouillage. Le 14, jour anniversaire des batailles de Marengo et de Friedland, le débarquement commença à trois heures du matin. L'empressement des soldats fut tel, que bon nombre se jetèrent à la mer pour arriver plus vite. Dans leur arrogance. les Turcs avaient dit en parlant des Français : Pour les prendre, il faut bien les laisser débarquer. Aussi aucun préparatif n'avait été fait pour la défense de la presqu'île : un coup de canon tiré par la batterie de Torre-Chica traversa le pavillon du vaisseau k Breslau, ce fut tout ; à peine les troupes furent-elles à terre, qu'elles enlevèrent la batterie.

Dès que la première et la deuxième division furent débarquées, la première — celle que commandait le lieutenant général Berthezène —, reçut l'ordre de s'emparer de l'isthme et de ses abords. Le 1er régiment de marche et le 3e de ligne s'avancèrent, sans perdre de temps, à travers les broussailles qui couvraient le terrain. Les cavaliers bédouins exécutent alors pour la première fois un mouvement hostile : ils arrivent à fond de train sur les tirailleurs ; mais, au lieu de les sabrer, ils répondent à la fusillade par la fusillade, tirent en galopant, tournent bride aussitôt, rechargent en fuyant, font volte - face, reviennent de nouveau, tirent une seconde fois, tirent encore, et donnent ainsi du premier coup la mesure de cette sorte de guerre volante qui leur est particulière. Tout insolite qu'elle est pour nos soldats, cette manœuvre ne les intimide ni ne les déconcerte ; ils avancent toujours, s'aidant de tous les accidents de terrain et visant avec attention. Ils ne sont même pas arrêtés dans leur élan par la perspective d'une guerre sans merci, qui, dès le début de la lutte, se manifeste à eux dans toute sa férocité sauvage. Le lieutenant Astruc, du 4e léger, en fut la première victime. Cet officier ayant été entouré et tué, pendant qu'avec quelques tirailleurs il poursuivait un groupe de cavaliers ennemis, les soldats du dey, suivant leur barbare coutume, lui coupèrent la tête et mutilèrent indignement son cadavre presque sous les yeux de ses camarades. Le bataillon s'élança au cri de Vengeons nos frères ! mais les Arabes étaient déjà loin[32].

Cependant, le débarquement continuait, et l'on prenait les mesures nécessaires pour faire de Sidi-Ferruch une forte base d'opérations. Le général Valazé traçait un vaste camp retranché, et les bataillons qui n'étaient pas de service aux avant-postes étaient employés, sous ses ordres, à établir une ligne continue de fortifications, de mille mètres environ de développement, destinée à fermer complètement l'entrée de la presqu'île, de manière à la mettre à l'abri de toute attaque. Dans la matinée du 16, une tempête effroyable vint interrompre ces travaux et la flotte eut à essuyer un terrible coup de vent du nord-ouest. Des appréhensions sinistres commençaient à s'éveiller dans les esprits, et déjà quelques voix s'écriaient : Voilà l'orage de Charles-Quint ![33] Par bonheur, le vent ayant sauté à l'est, la mer se calma peu à peu, et les alarmes se dissipèrent. Quelques heures de plus de cette tempête, et la flotte aurait été dispersée, et l'armée abandonnée sans vivres, sans chevaux et presque sans artillerie. Grâce au retour du beau temps, les travaux purent être repris dès le lendemain.

De son côté, l'ennemi faisait ses préparatifs de défense. Hussein-Pacha n'avait négligé aucun moyen pour se procurer l'appui des beys dépendants de la Régence et grossir son armée des contingents de toutes les tribus arabes des environs. Il avait confié le commandement de ses forces, évaluées à quarante ou cinquante mille combattants, à son gendre l'aga Ibrahim. Celui-ci, qui était venu placer son camp un peu en arrière de la presqu'île de Sidi-Ferruch, dans la direction d'Alger, occupait la plaine de Staouëli : c'était un plateau sablonneux, d'un assez grand développement, couvert d'une végétation active et élevé de cent cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer. On en descendait par une pente assez rapide, aboutissant à une autre plaine également unie, mais d'une moindre élévation. A l'extrémité de cette plaine, en marchant vers le camp français, on rencontrait une ligne de collines qui faisaient face à celles que garnissaient nos troupes. Postés sur ces pentes opposées, les tirailleurs des deux armées échangeaient leurs balles dans de fréquentes escarmouches ; parfois même ils s'avançaient jusque dans le ravin qui les séparait. Le 18, les Turcs construisirent quelques retranchements sur les hauteurs qu'ils occupaient. De notre côté, on venait aussi d'établir plusieurs petits ouvrages pour protéger le front de la première et de la deuxième division, lorsqu'un nègre transfuge apprit à l'armée qu'elle serait attaquée le lendemain.

A la faveur de la nuit, les ennemis s'approchent sans dire aperçus ; puis, au lever du soleil, un coup de canon leur ayant donné le signal, ils se montrent brusquement et engagent tous ensemble une vive fusillade contre la ligne française qu'entoure bientôt un vaste cercle de feu. En même temps s'agitent au loin des masses confuses de cavaliers qui ne tardent pas à se précipiter avec impétuosité sur nos avant-postes. Le bey de Constantine dirige l'attaque contre notre droite : traversant un ruisseau, il s'efforce d'enlever une batterie ; ses hommes, repoussés par le h8e, qui fond sur eux à la baïonnette, sont refoulés dans le ravin, où le feu des obusiers leur ôte toute possibilité de reprendre l'offensive. Au centre, les tentatives du bey de Tittery échouent également. Mais, sur notre gauche, la lutte est plus longue et le succès plus chèrement acheté. Tandis que le 37e, assailli avec fureur, déploie une valeur héroïque, les Turcs et la milice, conduits par Ibrahim en personne, s'élancent sabre et pistolet au poing sur le 28e, au moment où ce régiment, qui s'était d'abord un peu trop avancé, exécutait un mouvement rétrograde. La compagnie d'arrière-garde fait volte-face ; deux autres la soutiennent, et le bataillon se reforme, mais dans une position tellement désavantageuse, qu'il perd le quart de son effectif et qu'il est obligé de continuer sa retraite. Tout à coup ce mot : Plus de cartouches ! circule dans les rangs et ébranle male les plus intrépides. Les Turcs, voyant notre hésitation, redoublent d'audace ; on combat corps à corps ; on se mêle dans une confusion horrible, et c'est à peine si nos soldats peuvent faire usage de leurs armes, tant ils sont serrés de près. Au drapeau, enfants ! au drapeau ! s'écrie d'une voix vibrante le colonel Mounier[34]. En un instant, avec un admirable sang-froid, il rallie son monde, forme le carré et reçoit à la baïonnette une nouvelle charge de l'ennemi. Le général d'Amine amène alors le 29e au secours du bataillon en péril ; des cartouches sont distribuées. En avant ! crie le colonel, qui vient d'être blessé et de recevoir deux balles dans son hausse-col. Un retour offensif est exécuté, les positions sont reprises et les Turcs refoulés au loin.

Telles furent les trois principales attaques de l'armée du dey ; mais, sur toute l'étendue de notre ligne, les ennemis n'ont point cessé de nous harceler et de nous disputer vaillamment le terrain. Le plus souvent, ils se disséminent en tirailleurs ; quelquefois, ils se réunissent en grand nombre autour d'un drapeau qu'agite au-dessus de sa tête quelque chef de tribu, et l'on voit alors ces groupes, qui se grossissent comme une boule de neige, se précipiter résolument à l'attaque ; accueillis à demi-portée par un feu bien nourri, ils s'éparpillent de nouveau pour recommencer encore. Nos soldats ne combattent pas avec une moindre ardeur : les petits retranchements qui couvraient nos avant-postes deviennent autant de champs de bataille particuliers ; chacun d'eux est pris et repris plusieurs fois ; Turcs, Arabes et Français y mettent un égal acharnement. De là grand nombre de traits héroïques, entre autres celui de ce sergent-major du le qui, frappé d'une balle, continue de combattre au cri de Vive le roi ! Renversé par une seconde balle, il se relève de nouveau et reprend son poste ; un troisième coup de feu le blesse mortellement ; il tombe pour ne plus se relever, mais ses lèvres murmurent encore son cri de guerre.

Dès le commencement de la bataille, notre artillerie avait engagé une sorte de combat singulier avec l'artillerie ennemie, qu'elle cherchait à démonter. N'ayant à sa disposition que cinq ou six obusiers, le général de la Hitte les multiplie par la rapidité avec laquelle il les fait manœuvrer et les porte successivement sur tous les points menacés. Il est soutenu par le capitaine de frégate Du Petit-Thouars[35], dont le brick (le Griffon), embossé dans la rade de Sidi-Ferruch, vient d'ouvrir un feu très-vif contre l'ennemi. Celui-ci se retire alors de tous côtés, et, en le poursuivant, les bataillons français traversent le rideau de collines que les Arabes occupaient les jours précédents. Après quelques heures de combat, l'armée s'arrête un moment ; le général en chef attendait l'arrivée de la troisième division, qui devait servir de réserve aux deux autres ; à peine vit-il poindre les têtes de colonne du duc d'Escars, qu'il donna l'ordre de se porter en avant, pour compléter un succès si brillamment commencé.

La première division s'élance alors. à l'attaque des nouveaux retranchements dans lesquels l'artillerie turque a cherché un refuge, tandis que la deuxième exécute un mouvement tournant contre ces mêmes ouvrages. Les difficultés du terrain qu'il doit parcourir, et la présence de masses considérables de cavalerie ennemie ralentissent d'abord la marche du général Loverdo. Ce retard met un moment la première division dans une position difficile et la laisse exposée au tir des canons turcs. Cependant, malgré les obstacles de la route, notre artillerie ouvre le feu, notre infanterie s'avance l'arme au bras jusqu'au pied de la pente qu'il fallait escalader, les tambours battent la charge et la position est enlevée d'assaut. Quelques boulets achèvent de disperser l'ennemi ; après quoi, la victoire est complète et le camp de Staouëli est occupé par l'armée française, qui s'empare d'une grande quantité de tentes, de nombreux approvisionnements de vivres, de neuf canons et de quelques drapeaux ; elle avait eu cinq cent vingt hommes mis hors de combat. La perte de l'ennemi fut d'environ cinq mille hommes.

On se ferait difficilement une idée de la fureur des Algériens, quand ils apprirent le désastre de leur armée. Ils s'en prenaient surtout à l'aga Ibrahim ; car c'était lui qui leur avait conseillé de laisser les Français débarquer sans obstacle sur la plage de Sidi-Ferruch, afin que pas un d'eux ne retournât dans sa patrie. Lorsqu'il parut devant Hussein, le dey l'accabla des plus sanglants reproches. Ibrahim demeura d'abord les yeux baissés, gardant un morne silence. Enfin, faisant effort sur lui-même : Que vouliez-vous donc que je fisse ? répondit-il. Je me suis rué sur ces infidèles, et ils n'ont pas bougé ! Par Allah ! il faut qu'un puissant génie les protège, ou qu'on les ait ferrés les uns aux autres.

Cependant, l'armée française ne pouvait guère profiter de son succès. La section du convoi sur laquelle se trouvait le matériel de siège n'était pas encore arrivée en rade, et il était inutile de s'approcher d'Alger pour investir la place, avant d'avoir les moyens de la prendre. Ce temps d'arrêt, employé par les troupes à élever des retranchements et à continuer, jusqu'au nouveau camp et même au delà, la route déjà commencée en avant de Sidi-Ferruch, détruisit en partie chez les Arabes l'effet moral de leur défaite de Staouëli : ils reprirent courage, et, le 24, ils assaillirent de nouveau les lignes françaises. Cette attaque, toutefois, fut bien moins vive que celle du 19, et le général de Bourmont, en voyant leurs inutiles efforts pour entamer nos bataillons, résolut de prendre à son tour l'offensive.

La première division tout entière et la brigade Damrémont (de la deuxième division) se mirent alors en marche, soutenues par deux escadrons de chasseurs qui, débarqués depuis deux joins seulement, brûlaient de se mesurer avec la cavalerie arabe. Devant un mouvement aussi prononcé, l'ennemi ne fit pas de résistance sérieuse. Après avoir traversé dans sa fuite toute la partie de la plaine située en avant de Staouëli, il essaya de s'arrêter à trois ou quatre kilomètres de là, sur les hauteurs qui se relient au mont Bouzaréah et aux collines d'Alger. Mais, dans cette nouvelle position, il ne put pas davantage résister à l'élan de nos troupes, qui, en poursuivant les fuyards, s'avancèrent jusqu'à une lieue et demie de la ville et établirent leur bivouac sur le plateau dit de Chapelle-Fontaine. Dans ce combat[36], sur le succès duquel la vigueur et l'habileté du général de Damrémont eurent une grande influence, un officier du plus grand mérite, le jeune Amédée de Bourmont, lieutenant au 49e, fut du petit nombre de ceux des nôtres qu'atteignirent les balles ennemies. Le général de Bourmont, au milieu de son triomphe, ressentit vivement ce cruel malheur ; il l'apprit à la France de la façon la plus noble, et ses paroles sont dignes d'être conservées : Un seul officier, écrivait-il au premier ministre, a été dangereusement blessé ; c'est le second des quatre fils qui m'ont suivi en Afrique : j'ai l'espoir qu'il vivra pour continuer à servir avec dévouement le roi et la patrie[37].

Le même jour, on vit arriver, au mouillage de Sidi-Ferruch, la dernière partie du convoi que l'armée attendait avec une si vive impatience, et qui portait les chevaux d'artillerie, les caissons, les approvisionnements de siège. A peu près au même moment, on terminait les fortifications du camp établi dans la presqu'île. Le général en chef en confia la garde à quatorze cents marins, et la troisième division put rejoindre les deux autres. Ce secours était d'autant plus nécessaire que le service devenait très-fatigant pour les troupes, condamnées à ne quitter leurs travaux que pour soutenir de petits combats sans cesse renouvelés. Après les journées de Staouéli et de Sidi-Khalef, beaucoup d'Arabes avaient abandonné l'armée turque ; mais ils n'en faisaient pas moins la guerre pour leur propre compte, et ne négligeaient aucune occasion de massacrer les hommes isolés ou d'attaquer tout convoi faiblement escorté. Dans ces rencontres, les troupes françaises payèrent souvent cher leur inexpérience de ce genre de guerre : ainsi un bataillon du d' léger, ayant été surpris pendant qu'il lavait ses fusils, eut, en cette seule circonstance, près de quatre-vingts hommes hors de combat. Aux avant-postes, les Turcs disputaient le terrain pied à pied, et les pentes douces de la vallée qui les séparait de nous furent, du 24 au 28 juin, le théâtre d'engagements partiels, mais acharnés, entre les tirailleurs des deux partis[38].

Le 28 au soir, tous les préparatifs étant à peu près terminés, l'armée reçut avec joie l'ordre de reprendre son mouvement offensif. Elle était en marche le lendemain dès la pointe du jour. Le général Loverdo tenait la gauche, le général Berthezène le centre, et le duc d'Escars la droite. Une partie des hauteurs occupées encore la veille par l'ennemi étaient abandonnées ; mais, sur notre droite, la troisième division dut chasser les Algériens de position en en position. Le lieutenant-colonel Baraguey-d'Hilliers, du 2e de marche, qui dirige les tirailleurs, surprend l'ennemi et enlève rapidement la première crête. Les Algériens tiennent ferme derrière un ravin, et, à cet endroit, le combat devient sérieux. Bientôt ce nouvel obstacle est également franchi : le caporal Chaix (du 17e de ligne) s'empare d'un drapeau ; un petit camp turc est occupé ; rien n'arrête nos soldats, ni le feu de l'ennemi, ni les difficultés d'un terrain tout coupé de pentes abruptes et couvert de haies d'aloès presque infranchissables.

Tandis que le duc d'Escars poursuit son mouvement sur la droite, la division Berthezène occupe le point culminant du Bouzaréah, et y trouve un grand nombre de familles juives qui, chassées de la ville et prises entre les deux armées, croyaient leur dernière heure venue. A mesure qu'ils arrivent sur les crêtes, les soldats aperçoivent Alger, ses minarets, ses murailles blanches, son port, ses batteries, et, dans le lointain, notre flotte qui s'avançait vers la rade pour combiner son action avec celle des troupes de terre. Des acclamations se font entendre sur toute la ligne : l'armée salue sa future conquête. Le fort l'Empereur[39] répond à ces cris de joie en tirant le canon d'alarme : l'ennemi lui-même semble indiquer que c'est là que se trouvent les clefs de la ville.

Le général Valazé s'occupe aussitôt de choisir le terrain des attaques qu'il va diriger contre ce fort, dont les feux commandent la route par laquelle nos troupes s'avancent sur Alger. C'était un grand ouvrage assis sur le roc vif, ayant la forme d'un rectangle allongé, avec un bastion à chacun de ses angles, et au milieu duquel s'élevait une grosse tour ronde. Dans leur imprévoyance, les Turcs n'avaient pas défendu les approches de cette citadelle, et l'on pouvait commencer immédiatement l'opération qui, d'habitude, termine les sièges, l'établissement des batteries de brèche. Les soldats, qui, depuis l'affaire de Sidi-Khalef, n'avaient point cessé de combattre, et qui venaient de faire une journée de marche des plus pénibles sous une chaleur accablante, durent néanmoins, dès la nuit du 29 au 30, reprendre la pelle et la pioche ; la tranchée fut ouverte à deux heures du matin, et, à partir de ce moment, les travaux continuèrent sans relâche. Dans la journée du 30, le général Desprez, passant presque sous le canon de la place, poussa une forte reconnaissance jusqu'aux rivages de la baie d'Alger ; mais les événements des jours suivants empêchèrent de donner suite à toute opération de ce côté.

Il avait été décidé que six batteries reliées par une parallèle seraient établies devant le fort l'Empereur, à trois ou quatre cents mètres de cet ouvrage. On s'était mis à l'œuvre avec ardeur, et les travaux avançaient rapidement, malgré les attaques tentées journellement par l'ennemi contre les gardes des tranchées et contre les avant-postes placés aux consulats d'Espagne et de Hollande. Toutefois, le feu du fort, qui continuait avec une grande violence, ne laissait pas d'incommoder beaucoup les travailleurs et leur faisait essuyer des pertes sensibles. Le chef de bataillon du génie Chambaud fut blessé à mort, tandis qu'il dirigeait les travaux ; le commandant Vaillant prit sa place, mais, ayant aussi été blessé, il fut remplacé à son tour par le chef de bataillon Lenoir[40].

La marine, de son côté, n'était pas restée inactive : l'amiral Duperré avait conduit la flotte en rade d'Alger, et, durant les journées du 1er et du 3 juillet, il avait vigoureusement canonné les batteries du port.

Le 4 fut un grand jour pour l'armée expéditionnaire. La veille, les six batteries avaient été terminées : quatre mortiers, six obusiers, dix pièces de vingt-quatre et six de seize étaient en place. Vers quatre heures du matin, une fusée lancée du quartier général donna le signal d'ouvrir le feu, et, à partir de ce moment, l'air fut sillonné de projectiles. Les diverses phases de ce bombardement se succédèrent avec rapidité. Le jour n'était pas encore bien clair, et la fumée qui enveloppait les pièces empêchait de juger les coups. Bientôt elle fut dissipée par la brise de mer, et l'on vit distinctement le fort, dont la face principale, armée de dix-huit canons, répondait de son mieux au feu de notre artillerie. A partir de sept heures, on était si complètement maître du tir, que pas un projectile ne se perdait. Une heure après, les canonniers algériens abandonnaient le premier front et reparaissaient sur celui d'une seconde enceinte formant réduit de la première. A dix heures, le feu du fort étant éteint, l'ordre fut donné aux batteries de commencer à battre en brèche, en dirigeant leur tir sur le pied du mur du côté du front du sud. Le choc de leurs boulets ne tarda pas à déterminer de nombreux éboulements. La garnison, frappée de stupeur, comprit alors que toute résistance était désormais inutile. Bientôt la grande porte s'ouvrit, et l'on vit les janissaires se précipiter hors des murs et se replier en désordre vers la ville, laissant trois drapeaux rouges qui flottaient encore sur les angles du fort. Au milieu des murs éboulés, des affûts brisés et des embrasures détruites, on n'apercevait plus que trois nègres qui, avec un courage admirable, essayaient de remonter et de tirer une pièce démantelée. L'un d'entre eux est coupé en deux par un boulet : un autre a les jambes emportées ; le dernier survivant vient à chaque instant surveiller les progrès du tir en brèche. Soudain, saisissant un des drapeaux, il se dirige en courant vers la tour, dont il referme la porte sur lui. En ce moment, une centaine d'hommes rentrent en toute hâte par la poterne, et en ressortent presque aussitôt avec des blessés chargés sur leurs épaules. Le nègre a reparu ; il s'avance jusqu'au parapet, s'assure que la destruction du mur d'écharpe fait des progrès, enlève le second drapeau et disparait encore, mais cette fois pour ne plus revenir. Quelques minutes s'écoulèrent, pendant lesquelles aucun nouvel incident n'excita l'attention des officiers qui observaient l'effet produit par le feu des batteries françaises. Personne ne se montrait sur les remparts. Un silence de mort planait sur la citadelle. Tout à coup une flamme brille au pied de la grande tour ; une immense colonne de fumée s'élève au-dessus du fort ; une détonation effroyable retentit et domine le bruit du canon ; des débris de toute sorte retombent sur le sol et atteignent jusqu'aux parties avancées de nos tranchées. La grande tour venait de sauter ; le front nord-ouest du fort l'Empereur était presque entièrement renversé. La chute des pierres dans les tranchées ne blessa presque personne.

Quand le nuage de fumée, de poudre et de poussière qui enveloppait la citadelle se fut un peu dissipé, on aperçut l'immense brèche que présentait le front nord-ouest du fort. Le général Hurel, qui commandait la tranchée, lance aussitôt ses hommes vers les ruines encore fumantes, et les soldats Lombard et Dumont, du 17e de ligne, font flotter le drapeau blanc sur le sommet du fort l'Empereur. M. de Bourmont y arriva bientôt après, suivi de son état-major. En même temps, le général de la Hutte y faisait amener quelques pièces de canon, dont le feu bien dirigé réduisit promptement au silence l'artillerie algérienne du fort Bab-Azoun.

Les combats de cette mémorable journée n'étaient cependant pas encore terminés : environ quatre mille Arabes des contingents de Constantine, d'Oran et de Tittery voulurent profiter de ce que le gros de l'armée était occupé aux travaux du siège pour assaillir la ligne extérieure des postes français. Leur attaque n'eut aucun succès. Chargés brusquement par une colonne composée du 34e et d'une partie du 35e, ces auxiliaires du dey se retirèrent en désordre vers les chaînes de l'Atlas, abandonnant Alger à sa destinée.

La chute du fort l'Empereur consterna les habitants de cette ville ; craignant un assaut, ils commencèrent à murmurer ouvertement contre Hussein-Pacha, qui avait attiré tant de malheurs sur leurs têtes. Celui-ci, renfermé avec ses corps d'élite dans la casbah, sentit que sa puissance s'écroulait et il se décida à envoyer un parlementaire au quartier général français. Mais ses propositions de paix furent rejetées comme inacceptables, et M. de Bourmont déclara au parlementaire que, si son maître voulait préserver la ville d'Alger du bombardement et d'une destruction complète, il fallait qu'il se rendit à discrétion. Un autre négociateur turc se présenta ensuite. Il était député par la milice des janissaires qui se flattaient de l'espoir de conserver la Régence, en sacrifiant Hussein, et il venait, en leur nom, offrir, comme une chose toute naturelle, d'apporter le lendemain au général français la tête du dey. Cette offre étrange ayant été repoussée comme elle méritait de l'être, le général en chef envoya à Alger un de ses interprètes[41] porteur d'un ultimatum ; une suspension d'armes donnait à l'ennemi jusqu'au lendemain matin dix heures pour se décider. Malgré les murmures de son divan, Hussein-Pacha consentit à tout. D'après cette convention, la casbah et tous les autres forts devaient être remis aux troupes françaises ; le dey gardait ses richesses personnelles et était libre de se retirer partout où il voudrait ; le général en chef assurait la même protection à tous les membres de la milice ; il s'engageait à laisser libres toutes les classes d'habitants ; leur religion, leurs propriétés, leur commerce ne devaient recevoir aucune atteinte. Ces conditions furent arrêtées dans la matinée du 5 juillet.

l'ers midi, l'armée se mit en marche pour entrer dans Alger : la première division s'établit dans le faubourg Bab-el-Oued, tandis que la troisième pénétrait dans le faubourg Bab-Azoun, et que la deuxième, avec le général en chef, marchait sur la casbah. Le dey venait de quitter sa citadelle et s'était retiré dans une maison particulière qu'il possédait sur le port. Après son départ, ses serviteurs s'étaient livrés à quelques scènes de désordre et de pillage ; mais l'arrivée des autorités françaises y eut bientôt mis fin. Des détachements furent envoyés aux casernes pour désarmer la milice turque : tous les hommes qui n'étaient pas mariés furent embarqués le même jour. Ces mesures s'exécutèrent avec le plus grand ordre.

Tandis que l'on procédait, à la casbah, au désarmement des janissaires, le général de Bourmont reçut la visite de Hussein-Pacha. Le malheur n'avait en rien abattu la fierté du vieux dey : il supportait toutes ses épreuves avec une grande dignité, et son langage était empreint d'une certaine noblesse. Le roi, disait-il, doit être un grand prince : vous avez exécuté ; mais il a commandé. L'entretien roula ensuite sur le gouvernement de la Régence. Achmed, bey de Constantine, remarqua le dey, mérite votre confiance ; s'il se soumet, il vous sera fidèle ; Mustapha, bey de Tittery, est un homme turbulent et peu sûr ; Hassan, bey d'Oran, est un vieillard sans influence. Et, sur tout ce que j'ai dit, l'on peut me croire ; car, moi aussi, j'ai régné, et l'on sait que la parole des rois est sacrée. A sa sortie du palais, Hussein-Pacha fut salué par la garde et par tous les officiers présents ; peu après cette entrevue, il s'embarqua pour Livourne. Avec lui s'en allait le dernier représentant de la puissance turque à Alger.

Ainsi fut terminée cette brillante campagne, qui valut à M. de Bourmont le bâton de maréchal, au vice-amiral Duperré le grade d'amiral et la pairie. Dès le début de son existence, l'armée d'Afrique venait de se montrer digne de prendre place à côté, des plus vaillantes armées dont la France s'honore. Vingt jours avaient suffi pour faire tomber en notre pouvoir Alger, ses mille canons, sa flottille et son trésor (50 millions). Nos prisonniers étaient délivrés ; la Méditerranée était affranchie de la piraterie ; les portes d'une nouvelle France étaient ouvertes ; au moment où il allait cesser pour toujours d'être le drapeau national, le vieux drapeau d'Henri IV avait encore une fois guidé nos soldats à la victoire, et il venait d'acquérir une dernière gloire qui ne le cédait en rien à celle dont il avait brillé dans ses meilleurs jours.

 

II

MÉDÉAH ET LA MÉTIDJA

 

Alger étant pris et les Turcs chassés ; il semblait que l'armée eût rempli sa mission ; elle allait pourtant avoir à en accomplir une nouvelle, moins éclatante sans doute, mais non moins difficile peut-être et, à coup sûr, bien plus pénible que la première. Il fallait, en effet, maintenir la domination de la France sur cette terre d'Algérie devenue sa conquête ; assurer la sécurité générale dans un pays à moitié barbare ; rester sur un qui-vive perpétuel au milieu de ces tribus arabes habituées à des guerres continuelles ; enfin poursuivre sans relâche des ennemis insaisissables qui s'enfuyaient à chaque instant dans le désert, et qui, pour les atteindre, forçaient nos colonnes à s'avancer au loin dans des contrées inconnues, dans des régions qu'aucune armée régulière, depuis le temps des Romains, n'avait encore traversées. Et, lorsque nos troupes, accablées par les privations et par la fatigue de ces longues marches sous un climat tantôt brûlant, tantôt glacial, commenceront un mouvement en arrière, pour se rapprocher de leur base d'opérations, elles devront s'attendre à être tout à coup entourées par une nuée de cavaliers qui les suivront dans leur retraite, les harcelant sans cesse et toujours prêts à s'élancer sur chaque petit corps détaché, sur chaque traînard. Tel est, en effet, le caractère que présentent invariablement les premières expéditions vers l'intérieur. Dans ces circonstances, le soldat français montra, au plus haut degré, toutes ses qualités : il prouva non-seulement qu'il savait bien se battre, se précipiter avec ardeur sur un ennemi supérieur en nombre et conserver, dans les plus extrêmes périls, une fermeté inébranlable, mais aussi qu'il était patient, capable de l'exécution de grands travaux, discipliné et dur à la fatigue.

Dès la fin de juillet, le maréchal de Bourmont avait jugé nécessaire de parcourir la Métidja. Au début, rien ne troubla cette course pacifique, qui avait Blidah pour but ; la colonne campa en dehors de la ville (23 juillet) et les principaux habitants vinrent faire leur soumission au maréchal. La situation changea dès le lendemain. Au moment où les troupes allaient se mettre en route pour revenir à Alger, elles furent subitement environnées par une multitude d'Arabes et assaillies par une fusillade des plus vives. M. de Trélan, aide de camp de M. de Bourmont, tomba l'un des premiers, atteint d'une blessure mortelle ; le maréchal et son état-major durent s'ouvrir un chemin l'épée à la main. Quelques charges de cavalerie refoulèrent au loin l'ennemi, et la marche de la colonne put dès lors s'opérer avec beaucoup d'ordre. Plusieurs fois néanmoins, il fallut l'interrompre pour repousser de nouvelles attaques des Arabes, qui ne s'éloignaient un instant que pour revenir, aussitôt après, plus nombreux encore.

Cette première expédition montrait bien quelle était la situation de l'armée française et les obstacles qu'elle aurait à vaincre : les indigènes se déclaraient ouvertement nos ennemis. Il aurait fallu évidemment, dans l'intérêt de notre domination, frapper leurs imaginations par un acte de vigueur ; les circonstances ne permirent pas au maréchal de Bourmont de l'accomplir. On était alors au commencement d'août : un brick venait d'arriver en rade, apportant les premiers bruits de la révolution de juillet, et tous, officiers et soldats, attendaient avec une extrême anxiété les nouvelles de la patrie. Enfin on reçut la confirmation officielle des événements dont Paris venait d'être le théâtre, et, le 17 au matin, le drapeau tricolore fut arboré sur la casbah ;  l'armée était restée fidèle à la fortune et aux vœux de la France. Quelques jours plus tard, le maréchal de Bourmont s'embarquait sur un navire autrichien.

Les préoccupations politiques amenèrent naturellement un peu d'incertitude et d'hésitation dans les mouvements des troupes. L'ennemi alors reprit courage, et l'on vit bientôt Arabes et Kabyles, dont l'audace croissait de jour en jour, s'avancer jusque sous les murs d'Alger pour faire le coup de feu. Il n'y avait plus de sûreté pour les Français qu'en dedans de leurs retranchements. Quand le général Clauzel r prit le commandement, le 2 septembre, la situation était des plus difficiles. Ce nouveau chef désirait le bien du pays et croyait en l'avenir de l'Algérie ; les difficultés ne l'effrayaient pas, et il était homme à en triompher. Une des plus grandes qu'il eut à surmonter tout d'abord vint de la nécessité de réduire l'armée d'occupation. Quelques-uns des régiments qui avaient pris part à l'expédition rentrèrent en France. Pour les remplacer, le général créa des corps indigènes ; il chargea les commandants Maumet[42] et Duvivier de former les deux premiers bataillons de zouaves, et le chef d'escadron Marey d'organiser le premier escadron de spahis. L'histoire de ces corps est connue : la popularité qu'ils ont acquise dans l'armée française et le renom qu'ils se sont fait dans l'Europe tout entière, nous dispensent d'insister sur les grands services qu'ils rendirent dès le début de leur organisation.

Après avoir pris ces premières mesures, le général Clauzel se prépara à frapper un coup décisif, afin de débloquer ses troupes, et d'étendre au loin dans l'ancienne Régence le respect du nom français. Sauf Cherchell et Coléah, toute la province d'Alger était en proie à la plus complète anarchie. Les populations s'agitaient. La vieille haine des musulmans contre le nom chrétien réunissait, dans une seule alliance, de nombreuses tribus habituellement en guerre les unes contre les autres, mais que la foi religieuse et l'espoir du butin appelaient à faire cause commune contre les Français. D'un autre côté, comme s'il eût pris à tâche de justifier la prédiction du dey d'Alger, Mustapha-bou-Mezrag, bey de Tittery, devenait chaque jour plus insolent. Le général Clauzel le destitua et nomma à sa place Mustapha-ben-Omar. Pour être valable, cette décision devait être sanctionnée par les armes. Une expédition sur Médéah fut donc résolue.

Le général en chef composa sa colonne de toutes les troupes dont il put disposer ; la division d'infanterie commandée par le général Boyer[43] comprenait trois brigades de quatre bataillons[44] chacune — généraux Achard, d'Uzer et Hurel —. Un bataillon du 21e de ligne, les zouaves, les chasseurs à cheval, une batterie d'artillerie de campagne, une d'artillerie de montagne et une compagnie du génie formaient la réserve. Il y avait en tout sept mille combattants.

Cette petite armée quitta Alger, le 17 novembre, et bivaqua le même soir à Bouffarik. Le 18, un corps considérable d'Arabes observa la marche de la colonne, manœuvrant comme s'ils avaient voulu l'empêcher d'entrer à Blidah ; les chasseurs chargèrent l'ennemi, sans pouvoir l'atteindre. En arrivant à Blidah, le général Clauzel trouva la ville déserte ; les habitants s'étaient enfuis dans les montagnes. Le lendemain, quelques-uns d'entre eux rentrèrent dans leurs maisons, et la journée du 19 fut employée à réparer les aqueducs de la ville, dans laquelle on laissa une petite garnison. Le 20, l'armée se remit en marche et bivaqua près de la ferme de Mouzaïa, située au pied du col de même nom, qui devait être, dans la suite, le théâtre de nombreux combats. Il s'agissait de franchir, sous le feu de l'ennemi, la première chaîne de l'Atlas, formée de montagnes abruptes et très-élevées. Le chemin qui, à travers ces montagnes, conduisait à Médéah, était alors un sentier d'un accès périlleux, entrecoupé de ravins et donnant à peine passage à deux hommes de front. Le général Clauzel n'hésita pas à s'y engager ; plus les obstacles à franchir étaient redoutables, plus il espérait obtenir d'ascendant sur l'esprit des Arabes par un succès que la vigueur des troupes rendait certain. Les voitures et l'artillerie de campagne restèrent à Mouzaïa, sous la garde d'un bataillon du 21e de ligne ; seule, l'artillerie de montagne suivit l'armée.

Le 21, les colonnes gravissent aisément les premières pentes et arrivent à un plateau où elles font halte. La brigade Achard, qui forme l'avant-garde, ne rencontre que peu de résistance, tous les Arabes qui voulaient combattre, et leur nombre était fort grand, étant allés rejoindre les bannières du bey de Tittery. Celui-ci, accompagné de ses deux fils et entouré de ses janissaires, attendait l'armée française près du sommet du col ou ténia : il avait réussi à établir à cet endroit deux petits obusiers qui balayaient le sentier étroit par lequel nos soldats devaient arriver, et ses tirailleurs garnissaient toutes les hauteurs environnantes. Vers une heure, le général Clauzel se présenta devant cette position formidable et reconnut qu'il était nécessaire de la tourner. Un ravin profond empêchait d'opérer par la droite ; une compagnie du 37e, détachée de ce côté, subit des pertes considérables ; son capitaine, M. Lafare, fut tué et son sous-lieutenant grièvement blessé. Par la gauche, il n'était pas absolument impossible d'atteindre les crêtes des montagnes, et le colonel Marion[45] fut chargé de conduire de ce côté les bataillons des 14e, 20e, 28e de ligne, tandis que le général Achard devait rester sur la route avec le bataillon du 37e, appuyé par la brigade d'Uzer.

La tâche du colonel Marion était des plus périlleuses. Il fallait escalader des pentes très-escarpées, sans cesser un instant de combattre ; car les tirailleurs arabes profitaient, pour la défense, de chaque aspérité du terrain. Quoique chargés d'un lourd bagage, nos soldats n'en poursuivent pas moins leur marche en avant avec leur entrain habituel. La fusillade meurtrière qui les accueille ne les arrête pas un instant. Pour exciter plus encore le courage et l'élan de ses hommes, le colonel Marion fait battre la charge ; bientôt les tambours du 37e lui répondent : le général Achard croit que la crête est déjà occupée, et il vient de donner le signal de l'assaut. Malgré les obstacles d'un chemin tortueux, malgré le feu incessant de l'ennemi, malgré la grêle de pierres que les Arabes font tomber sur le sentier, le 37e, électrisé par les paroles du chef de bataillon Ducros[46] et par l'exemple des autres officiers qui se précipitent en avant, enlève de front cette position redoutable. Le lieutenant de Mac-Mahon, aide de camp du général Achard, eut l'honneur d'arriver le premier sur le sommet des montagnes de cette terre d'Algérie qu'il devait être un jour appelé à gouverner.

La brusquerie et l'énergie de cette attaque étourdirent tellement le bey, qu'il ne songea pas à continuer le combat au delà du sommet du col. Les Arabes, retirés sur des mamelons, se contentèrent d'inquiéter nos soldats par des coups de fusil isolés ; mais ils leur laissèrent le passage libre. L'armée campa sur le ténia, qu'elle venait d'enlever d'une façon si brillante.

Après un repos d'une nuit, elle se remit en marche le 22. La brigade d'Uzer resta à la garde du col. A partir de cet endroit jusqu'à Médéah, nos soldats ne rencontrèrent ni de bien grandes difficultés de terrain, ni une résistance bien sérieuse. Après que le bois des Oliviers eut été dépassé, un Arabe apporta l'assurance de la soumission de Médéah : le bey était en fuite, et les habitants de la ville avaient tiré sur ses troupes ; le soir même, le général Clauzel y fit son entrée. L'armée bivaqua aux environs, excepté les zouaves et deux bataillons de ligne, qui, sous les ordres du colonel Marion, durent former la garnison de cette place.

La difficulté de se procurer des vivres et le manque de munitions décidèrent le général Clauzel à ne pas prolonger son séjour dans la province de Tittery ; il ramena l'armée à la ferme de Mouzaïa le 26. La descente de l'Atlas s'effectua sans accident ; mais les Arabes de la plaine s'étaient mis en campagne, et, en arrivant à Blidah, la colonne française apprit de tristes nouvelles.

Cinquante canonniers, envoyés de Mouzaïa à Alger pour chercher des munitions, avaient été cernés par des forces supérieures et massacrés jusqu'au dernier. Trois compagnies du 21e avaient eu ordre de les escorter jusqu'à Blidah ; mais le chef qui commandait cette infanterie, voyant sa marche observée par un grand nombre de cavaliers arabes dont l'attitude semblait annoncer des intentions hostiles, avait cru devoir pousser plus loin. Il dut pourtant s'arrêter, et, au moment où il quitta le capitaine Esnault, qui conduisait le détachement d'artillerie, il l'engagea vivement à rebrousser chemin. Cet intrépide officier répondit que la présence même de ces Arabes faisait assez voir combien il était urgent que l'armée reçut de nouvelles munitions, et que rien ne l'empêcherait de remplir son devoir jusqu'au bout. Il partit au trot avec ses cinquante canonniers, et l'on n'entendit plus parler d'eux : trois jours après, non loin du marabout de Sidi-Haït, on retrouva leurs cadavres horriblement mutilés.

Blidah avait été attaqué en même temps ; le colonel Rulhières, avec deux bataillons du 34e et du 35e et deux pièces de canon, avait eu à défendre la ville contre un assaut formidable auquel prirent part plusieurs tribus kabyles conduites par un de leurs plus vaillants chefs, le fameux Ben-Zamoun. Combattant pied à pied, tenant d'abord dans chaque jardin, puis barricadant chaque rue et défendant en dernier lieu chaque maison, la garnison s'était enfin vue acculée sous les voûtes de la porte dite d'Alger. A cet endroit, le combat fut si acharné et la mêlée si complète, que l'on ne put même pas tirer un canon qui venait d'être descendu dans la rue. L'ennemi se précipita sur ce canon et planta hardiment à côté un de ses étendards : Français et Arabes, accrochés aux roues, faisaient tous leurs efforts pour tourner la pièce chacun dans son sens, et, sans un mouvement décisif du lieutenant Maury, du 35e, elle fût peut-être restée aux mains des assaillants. Dans cet instant d'effroyable confusion, le colonel Rulhières sauva sa troupe par sa fermeté et sa présence d'esprit : il fit sortir par la porte d'Alger deux compagnies d'élite, qui, tournant autour de la ville, y rentrèrent par la porte de Médéah et prirent l'ennemi à dos. Surpris et déconcertés par cette manœuvre, les Arabes crurent avoir affaire à l'armée même du général Clauzel revenant de l'Atlas ; du haut du minaret, la voix du muezzin les confirma dans cette erreur ; ils ne songèrent plus dès lors à combattre et s'enfuirent de toutes parts.

A peine l'armée fut-elle rentrée dans ses cantonnements autour d'Alger, qu'il fallut songer à ravitailler le colonel Marion, auquel on n'avait pu laisser en quantité suffisante ni vivres ni munitions. Aussi, dès le 7 décembre, le général Boyer se remit en campagne : les Arabes n'inquiétèrent pas sa marche, et il trouva la garnison de Médéah justement fière des luttes qu'elle avait eu à soutenir. Depuis le départ du général Clauzel, elle avait combattu pour ainsi dire tous les jours ; les 27, 28 et 29 novembre elle avait repoussé les assauts livrés à la plate par les contingents réunis de presque toutes les tribus du voisinage. Ces masses confuses de Bédouins, qui souvent n'avaient pour armes que de gros bâtons ou des espèces de massues, s'étaient élancées avec une fureur aveugle contre les postes du colonel Marion. Nos soldats, placés derrière de petits retranchements élevés à la hâte, avaient sans doute un grand avantage sur de pareils adversaires ; mais ils devaient tirer beaucoup, et l'approvisionnement de cartouches était fort restreint ; aussi plusieurs sorties vigoureuses furent-elles nécessaires. Ce fut là que les zouaves commencèrent à acquérir leur brillante réputation, en défendant, avec quelques compagnies du 28^, la ferme du Bey, contre laquelle étaient dirigées les principales attaques de l'ennemi. A la fin, les Arabes se lassèrent : le mauvais temps et l'annonce de l'approche de la colonne française achevèrent de les disperser. Ils avaient presque tous disparu lors de l'arrivée du général Boyer. Celui-ci renforça la garnison de deux bataillons, en laissa le commandement au général Danlion[47] et revint à Alger.

Peu après, le général Clauzel dut faire rentrer la garnison de Médéah : de graves préoccupations extérieures avaient décidé le gouvernement à ne laisser que quatre régiments de ligne en Algérie. Chacun désirait quitter l'Afrique pour aller combattre sur un plus grand théâtre. Afin de faciliter le retour de la garnison, la brigade Achard vint au-devant d'elle jusqu'à Mouzaïa. Dans ce mouvement, les troupes souffrirent cruellement de la rigueur du froid ; elles rentrèrent à Alger le 4 janvier.

Pendant que ces événements se passaient dans la province de Tittery, le général Clauzel avait assuré d'une manière permanente ses débouchés dans la Métidja par l'établissement des postes de la Ferme modèle et de la Maison carrée. Il venait aussi d'organiser les chasseurs d'Afrique. Toujours à cheval, bivaquant en toute saison, combattant parfois dans la proportion d'un homme contre dix, le 1er de chasseurs ne tarda pas à devenir la terreur des Arabes des environs d'Alger, auxquels il donna souvent de sévères leçons, sans jamais éprouver un échec.

Le général Clauzel ayant été rappelé en France, le général Berthezène fut envoyé à sa place avec le simple titre de commandant de la division d'occupation d'Afrique (février 1831). Cette division se composait alors des 15e, 20e, 21e, 28e et 30e régiments de ligne, de deux escadrons du 12e chasseurs à cheval, de quelques batteries d'artillerie, de plusieurs compagnies du génie, des zouaves, des chasseurs d'Afrique et des volontaires parisiens qui venaient de débarquer. Ces derniers trouvèrent d'abord que la vie était dure aux environs d'Alger ; mais ils firent contre mauvaise fortune bon cœur, et bientôt plusieurs brillantes affaires les dédommagèrent des déceptions de leurs premiers bivouacs ; les uns entrèrent dans les zouaves, les autres formèrent le 67e de ligne.

Des combats perpétuels devaient signaler la période de commandement du général Berthezène. Tout d'abord, les nouvelles de la province de Tittery l'obligèrent à repasser l'Atlas, afin de porter secours au bey que nous y avions établi. Malheureusement, l'autorité de ce dernier était trop ébranlée pour pouvoir être efficacement soutenue, et le seul service que put lui rendre la colonne française fut de le ramener avec elle vers Alger. Marchant de nuit, le général Berthezène arriva au ténia au point du jour. On avait négligé la précaution de garnir les crêtes. Aussi, dès que la colonne se trouva engagée dans le défilé, son arrière-garde fut assaillie par une multitude d'Arabes (douze mille environ), qui commencèrent un feu violent et firent pleuvoir sur les soldats une grêle de projectiles de toute espèce. Le capitaine de la dernière compagnie ayant été tué, sa troupe, serrée de près, éprouva un moment d'inquiétude et de trouble qui se communiqua à tout le bataillon ; les hommes se replièrent rapidement sur le gros de la colonne et la confusion se mit dans les rangs. L'armée était en grand péril, quand le commandant Duvivier la sauva par son sang-froid, son courage et son intelligence de la guerre : aidé par le capitaine de Lamoricière, qui commençait dans les zouaves sa glorieuse carrière, il se jette en dehors du flanc droit de la colonne et place son bataillon en potence entre la route et les hauteurs. L'attitude énergique de ses soldats arrête l'ennemi : zouaves et volontaires parisiens rivalisent de courage, et, tout en combattant, font retentir les gorges de l'Atlas des mâles accents de la Marseillaise. L'honneur qu'ils eurent de protéger la retraite fut d'autant plus grand que l'armée ne leur avait point laissé de soutien. Ils ne trouvèrent sur la route que le chef d'escadron de Camain[48] resté seul auprès d'une pièce qu'il n'avait pas voulu abandonner. Pour venir en aide à son héroïque résolution, Duvivier et ses hommes se multiplient ; l'audace de leur résistance intimide les Arabes, le canon est emmené et l'on arrive enfin à la ferme de Mouzaïa. C'est là que l'armée s'était ralliée ; mais de nouvelles souffrances l'y attendaient : les Arabes ayant détourné le ruisseau qui donne de l'eau à la ferme, les tortures de la soif vinrent se joindre à toutes les autres épreuves que nos soldats avaient eu à subir. Pour éviter la rencontre des tribus qui voulaient lui disputer le passage de la Chin, le général Berthezène alla traverser cette rivière sur la route d'Oran, et l'armée rentra enfin dans ses cantonnements le 5 juillet, après avoir combattu et marché sans interruption durant quatre jours, depuis son départ de Médéah.

Ce fut là, pour un temps, du moins, la dernière expédition dirigée sur la province de Tittery ; les troupes françaises ne devaient plus franchir l'Atlas avant 1836. Ce long intervalle de temps ne fut pas une période de paix pour la division d'Alger ; la pacification de la plaine exigea, en effet, un nombre infini de petites expéditions et de combats sans cesse renouvelés. Il l'allait que les troupes fussent partout à la fois : à peine une tribu avait-elle fait sa soumission qu'une autre se mettait en campagne. Dans ces luttes, nos adversaires les plus acharnés furent les Hadjoutes : cette peuplade turbulente, guerrière, avide de butin et de rapine, fut toujours la première à remuer et à grossir les rangs de nos ennemis. Tous les ans, au retour de la belle saison, elle faisait soulever contre la domination française la plupart des tribus de la plaine, et les échecs répétés que celles-ci essuyèrent ne les empêchaient pas de recommencer l'année suivante. S'il est impossible de suivre tous les détails de cette petite guerre, il faut du moins indiquer quelques-uns des principaux engagements qui signalèrent la première de ces insurrections, la plus formidable qui ait jamais menacé les environs mêmes d'Alger.

Cette insurrection éclata vers le milieu de juillet 1831. C'était, ainsi qu'on l'a vu plus haut, le moment où le général Berthezène venait de ramener sous les murs d'Alger les troupes qu'il avait conduites au delà de l'Atlas, de sorte que nos soldats ne purent jouir que pendant quelques jours à peine du repos qu'ils semblaient avoir si bien mérité-par la pénible retraite de Médéah. Les combats qui avaient marqué la fin de cette dernière expédition avaient ranimé le courage et l'orgueil des Arabes ; car, à leurs yeux, tout mouvement rétrograde équivaut à une défaite. Aussi accoururent-ils en foule sous les drapeaux de deux de leurs chefs les plus renommés, Oulid-bou-Mezrag et Ben-Zamoun. Le premier voyait se grossir tous les jours le camp qu'il avait établi près de Bouffarik ; le second tenait ses hommes réunis sur la rive droite de l'Arrach. Les coureurs de ces deux camps s'avançaient au loin : déjà le capitaine Gaulier, du génie, avait été massacré tout près de la Maison carrée. On s'attendait à une agression prochaine, et, pour se mettre en garde contre toute surprise, on avait élevé de petits retranchements devant les portes de la Ferme modèle. Heureusement, les attaques des deux grands rassemblements ennemis ne furent pas simultanées.

Ben-Zamoun entra le premier en campagne ; passant l'Arrach, il vint, le 17, assaillir la Ferme modèle que défendait le colonel d'Arlanges ; celui-ci dut faire rentrer tous ses postes, sauf celui du blockhaus de l'Oued-Kerma. Les communications avec ce petit ouvrage furent coupées et restèrent interrompues pendant quelques jours. Le lendemain, le combat recommença, mais les troupes d'Alger vinrent au secours de la Ferme. Dès les premiers coups de canon, le général Berthezène s'était mis en marche avec six bataillons, de l'artillerie et de la cavalerie. A son approche, le colonel d'Arlanges fait une vigoureuse sortie, et l'ennemi, pris entre deux feux, se retire dans son camp, où nos obus ne tardent pas à l'atteindre. Les Français prennent alors l'offensive ; toutes les forces disponibles sont dirigées contre la position occupée par les Arabes. Mais ceux-ci n'attendirent pas cette attaque ; à la vue de nos têtes de colonne, qui s'avançaient sur eux au pas de course, ils lâchèrent pied et se dispersèrent dans les montagnes.

Les habitants d'Alger, qui avait d'abord vivement effrayés le soulèvement des tribus de la Métidja, se rassurèrent à la nouvelle de ce succès. Leur confiance s'accrut encore par la présence au milieu d'eux de l'un des fils du roi, le prince de Joinville. Ce jeune prince, âgé seulement de treize ans, était à peine débarqué de la frégate l'Arthémise, que le général Berthezène, pour fêter son arrivée, fit défiler devant lui, au milieu des flots pressés de la population algérienne, les soldats qui venaient de mettre en déroute les bandes de Ben-Zamoun, et dont les figures étaient encore noircies par la poudre. Cependant, on s'était trop hâté de croire l'insurrection terminée. La fusillade grondait toujours autour de la ville, et la brave garnison de la Ferme modèle n'était pas au bout de ses combats.

Le 19, le rassemblement de Bouffarik commença son mouvement, et la Ferme fut de nouveau entourée et attaquée. Mais bientôt, désespérant d'enlever ce poste de vive force, l'ennemi dirige uniquement ses efforts contre le blockhaus de l'Oued-Kerma. Cet ouvrage est vaillamment défendu. Le lieutenant Rouillard[49], qui en commande la garnison, ménage prudemment ses munitions, n'expose ses hommes que le moins possible, et ne les laisse tirer qu'à coup sûr. De ce côté encore, les Arabes sont contraints de se replier après des pertes sensibles. Toutefois, les échecs de cette journée ne les découragèrent pas ; le 20, ils revinrent à l'assaut avec une nouvelle furie, s'efforçant même de couper les planches du blockhaus à l'aide de leurs yatagans. Ils n'eurent heureusement pas l'idée d'y mettre le feu. Dans la soirée, ils tentèrent de s'emparer d'un convoi qui se rendait à la Ferme ; ils furent repoussés par les volontaires parisiens : un de ceux-ci, âgé seulement de seize ans, se trouvant, dans la mêlée, entouré par trois Arabes, eut le courage et l'adresse de les vaincre tous les trois, aux applaudissements de ses camarades. Le 22, les tirailleurs d'Oulid-bou-Mezrag, s'étant avancés jusqu'à Birkadem, à dix kilomètres seulement d'Alger, le général en chef sortit de la ville avec des forces imposantes ; après un combat durant lequel l'artillerie causa dans leurs rangs de grands ravages, les ennemis prirent la fuite et furent poursuivis par la cavalerie jusqu'auprès de Bouffarik.

Cet engagement termina la série des luttes soutenues par nos soldats contre cette première insurrection ; les tribus les plus belliqueuses avaient momentanément renoncé à continuer les hostilités et étaient rentrées chez elles. Le général Berthezène fit venir Sidi-Hadji-Moadin, vieux marabout fort respecté dans la Métidja, et l'investit de la dignité d'aga des Arabes ; celui-ci, parcourant tout le pays, en acheva la pacification. Mais, quoique leurs nombreuses défaites eussent prouvé aux Arabes de la plaine qu'ils n'étaient pas assez forts pour nous combattre ouvertement, beaucoup d'entre eux n'en continuèrent pas moins d'épier et de saisir toutes les occasions de faire la guerre de partisans, et la sécurité ne fut que relative.

L'armée ne profita guère de cette espèce de trêve. A la vérité, elle n'eut plus, pendant quelque temps, à faire de grandes expéditions. Mais elle resta soumise à bien des épreuves, peut-être plus meurtrières, en tout cas bien plus redoutables que les balles ennemies.

D'abord les maladies : les fièvres régnaient avec une telle force à la Ferme modèle et à la Maison carrée, que l'on dut relever les garnisons tous les six jours, et, malgré cette précaution, l'on vit, au bout de ce court espace de temps, des compagnies du 25e et du 28e, fortes de soixante hommes, revenir à Alger chacune avec plus de cinquante malades.

Ce furent ensuite les nombreux travaux qu'il fallut exécuter, tant pour protéger les colons qui commençaient à s'établir dans la Métidja, que pour y faciliter les communications. Le duc de Rovigo[50], qui venait de remplacer le général Berthezène (décembre 1831), fit établir le camp de Douéra et construire à l'entrée de la plaine une ligne de blockhaus reliés entre eux et avec Alger par des routes stratégiques. Ces travaux étaient d'autant plus pénibles pour les troupes que quelques-uns des ouvrages qui furent ainsi construits sous la direction du génie militaire se trouvaient placés au milieu de terrains marécageux dont les exhalaisons malsaines engendraient des fièvres. On dut, par moments, abandonner certains postes, entre autres le camp de Douéra. Plus tard, des remuements de terre, plus considérables et plus dangereux encore, devinrent nécessaires pour l'assainissement de la plaine, et il est difficile de se faire une idée de la constance et de l'énergie morale dont les soldats firent preuve pour mener à bonne fin de pareilles entreprises.

Le duc de Rovigo avait sous ses ordres, aux environs d'Alger, le 10e léger, les 4e et 67e de ligne, les deux bataillons de zouaves réunis en un seul, le er" de chasseurs d'Afrique et la légion étrangère, que l'on venait de former, afin de recevoir les militaires venus du dehors pour servir sous les drapeaux de la France. A ces troupes vinrent se joindre, au commencement de 1832, les deux premiers bataillons d'infanterie légère d'Afrique, qui se firent connaître, depuis cette époque, sous le nom peu officiel, mais très-populaire, de zéphyrs.

La faiblesse numérique de cette division empêcha longtemps le commandant en chef d'exécuter aucune opération considérable ; les révoltes cependant se multipliaient. La situation s'aggrava encore en avril, lorsque, par la sanglante exécution de la tribu des Ouffias, le général de Rovigo parut vouloir inaugurer, à l'égard de ceux des indigènes qui persistaient à se montrer hostiles à notre domination, un véritable système de terreur. C'était provoquer les représailles. Elles ne se firent pas attendre. Dès le mois suivant, les Arabes prirent leur revanche : un bataillon de la légion étrangère ayant poussé une reconnaissance assez loin, un peloton, qui avait été séparé du reste de la colonne, fut enveloppé par l'ennemi, près du marabout de Sidi-Mohammed. Le lieutenant Cham fit user à ses hommes jusqu'à leur dernière cartouche : il périt en héros ; les soldats, privés de leur chef, n'en continuèrent pas moins à combattre avec un admirable courage ; mais enfin, accablés par le nombre, ils furent tous massacrés[51], sauf un fusilier, qui, laissé pour mort derrière un buisson, échappa ainsi au triste sort de ses compagnons d'armes. Comme le bruit public imputait cette agression aux tribus des bords de lisser, une expédition fut envoyée par mer pour les châtier ; mais les vents contraires l'empêchèrent de débarquer. A partir de cette époque, l'orage gronda toujours sourdement, et, dans les derniers jours de septembre, toutes les reconnaissances qui dépassaient soit la Ferme modèle, soit la Maison carrée, étaient régulièrement attaquées. Ce fut dans une de ces rencontres que M. de Signy, lieutenant au 1er de chasseurs d'Afrique, tua de sa main le caïd des Beni-Mouça, l'un des plus braves de nos ennemis.

Au commencement d'octobre, le duc de Rovigo établit son quartier général à Birkadèm et lança, de ce point central, deux expéditions vers les principaux foyers de l'insurrection. La première s'avança sans obstacle jusqu'à Coléah. La seconde eut à soutenir un combat qui lui fit le plus grand honneur. Marchant de nuit (2 octobre), le général Faudoas[52] fut reçu, un peu avant d'arriver à Bouffarik, par une vive fusillade qui, au premier moment, obligea son avant-garde à se replier. Le commandant Duvivier a bientôt rallié ses hommes ; il se met à leur tête et les mène à l'attaque, tandis que le 1er de chasseurs, oubliant, à la voix de ses officiers, les vides qui s'ouvrent dans ses rangs, se précipite, tête baissée, sur un ennemi dont le soleil levant lui permet de distinguer le grand nombre. La cavalerie arabe veut en vain résister. Sabrée par nos chasseurs, écrasée par notre artillerie, elle est bientôt forcée d'abandonner le champ de bataille et se rejette en désordre de l'autre côté du défilé. Elle avait perdu deux drapeaux et laissait quatre cents morts sur le terrain. Lorsque, au milieu de la journée, le général Faudoas, satisfait de la leçon qu'il venait de donner à l'ennemi, commença sa retraite, les Arabes, selon leur habitude, vinrent de nouveau l'assaillir ; mais, accueillis par un feu bien nourri et par quelques charges vigoureuses, ils abandonnèrent définitivement la partie.

Environ six semaines après, une colonne dirigée sur Blidah assura la paix de cette partie du territoire. Le général Trézel, alors chef d'état-major de l'armée, s'avança dans les montagnes jusqu'au beau village de Sidi-el-Kébir. Partout sur son passage, les tribus s'empressèrent de lui faire leur soumission. Il put ainsi constater l'effet produit sur les Arabes par le brillant combat de Bouffarik.

L'hiver de 1832 à 1833 fut assez paisible, et le baron Voirol[53], qui prit le commandement général au mois d'avril, put maintenir la tranquillité jusqu'au milieu de l'été. Quelques petites expéditions continrent l'ennemi pendant l'automne ; mais l'hiver suivant (1833-34) fut plus agité : les Hadjoutes commettaient des vols continuels au détriment des populations arabes des environs d'Alger, qui étaient devenues nos alliées et qu'il fallut plusieurs fois protéger contre leurs brigandages. Lorsque le commandant de Lamoricière s'empara de la ferme d'Haouch-Hadj (janvier 1834), on crut que cet acte de vigueur les rendrait plus circonspects à l'avenir. Il n'en fut rien. Dès le printemps, il fallut de nouveau réprimer leur turbulence et punir leurs dévastations. Le général Bro, chargé de cette mission, se mit en marche avec une forte colonne à laquelle étaient venus se joindre un certain nombre de cavaliers indigènes ; il battit les Hadjoutes dans plusieurs rencontres, exécuta sur leur territoire une razzia complète et les contraignit à demander la paix. Cette expédition, la première dans laquelle des tribus arabes aient combattu comme auxiliaires sous le drapeau français, assura pour quelque temps la sécurité de la plaine ; mais il s'en fallait bien qu'elle eût mis fin à la guerre contre les Hadjoutes. Ces éternels ennemis de la domination française en Algérie levèrent encore plusieurs fois l'étendard de la révolte, et il en sera souvent question dans les récits du duc d'Orléans.

Ainsi, à la fin de 1834, la pacification des environs d'Alger n'était guère plus avancée qu'au moment même de la conquête. L'armée avait dû renoncer aux expéditions lointaines et abandonner Médéah ; elle avait, il est vrai, étendu un peu ses lignes ; mais pour les conserver, il lui fallait livrer des combats continuels. Afin de protéger les colons de la Métidja, de nombreux postes avaient été établis : les soldats avaient construit des ouvrages considérables ; mais les travaux nécessités par la construction de ces ouvrages, qui n'étaient pas encore tous achevés, engendraient des maladies mortelles et diminuaient ainsi l'effectif déjà bien faible de la division. La tâche que les troupes avaient eu à remplir était donc, au plus haut point, pénible et ingrate ; elles l'avaient accomplie sans plaintes, sans murmures, et, par des prodiges de courage et de patience, elles avaient conservé Alger à la France. Là, toutefois, ne se borna point le rôle déjà si glorieux de cette vaillante armée d'Afrique. Durant la même période, elle avait soutenu sur divers points de l'Algérie d'autres luttes non moins héroïques dont il est nécessaire de rappeler ici le souvenir.

 

III

BÔNE ET BOUGIE

 

La prise d'Alger avait eu pour première conséquence de rendre indépendants les principaux beys ou gouverneurs turcs qui, auparavant, étaient les vassaux de Hussein-Pacha. On a déjà vu quels obstacles l'armée eut à vaincre pour détruire la puissance du bey de Tittery et pour faire momentanément reconnaitre l'autorité française aux environs de Médéah. Dans les autres provinces, nos troupes rencontrèrent des difficultés encore plus grandes. La faiblesse numérique de la division d'Afrique obligea souvent les généraux en chef à ne diriger sur les divers points de la côte dont l'occupation avait été décidée, que de fort petits détachements ; quelquefois même on dut se contenter d'envoyer des officiers encourager par leur présence les partisans que la France comptait parmi les populations sédentaires dé certaines villes. Dans ces missions à la fois périlleuses et délicates, comme dans les longs sièges qu'il fallut soutenir, officiers et soldats montrèrent une rare énergie, une patience sans bornes, un courage admirable.

Bône fut la première ville qui, au lendemain de la prise d'Alger, attira l'attention de M. de Bourmont : c'était l'un des ports les plus rapprochés de Constantine, et le point sur lequel il importait de prévenir Achmed-Bey. Celui-ci avait été le plus puissant des auxiliaires de Hussein-Pacha ; après avoir combattu à Staouéli, il avait abandonné Alger lors de l'investissement du fort l'Empereur, et il se regardait comme indépendant dans sa capitale, qui occupait une position presque inexpugnable. Quoique la population de Bône fut très-hostile à l'autorité d'Achmed, il fallut pourtant trois expéditions pour réduire cette place.

La première avait été conduite par le général de Damrémont ; arrivé devant Bône le 2 août 1830, il débarqua aussitôt. Les habitants lui ouvrirent leurs portes, et il entra dans la forteresse sans coup férir. Son premier soin fut de faire réparer les anciennes fortifications et d'en élever de nouvelles. Puis il essaya d'engager des pourparlers avec les tribus du voisinage. Mais, loin d'être disposés à prêter l'oreille à ses propositions de paix, de toutes parts les Kabyles coururent aux armes, et bientôt ils vinrent attaquer nos troupes jusque sous les murs de la ville. Dans la huit du 7 au 8 août et le 11 du même mois, le général eut à soutenir des combats meurtriers et malheureusement inutiles ; car la première nouvelle de la révolution de juillet le rappela à Alger, et Bône fut abandonné.

La deuxième expédition, entreprise avec de bien plus faibles ressources, se termina d'une manière tragique. Dans l'été de 1831, les Bônois ayant demandé la protection de la France, le général Berthezène leur envoya le commandant Huder avec un détachement de cent vingt-cinq zouaves, la plupart musulmans. Ils débarquèrent le 14 septembre. Au début, tout alla bien ; mais, le 27, une révolte éclata parmi les Turcs restés à Bône ; ils avaient débauché à prix d'argent quelques zouaves leurs coreligionnaires ; avec leur aide, ils s'emparèrent de la casbah et repoussèrent à coups de fusil le petit nombre de Français qui essayèrent d'y entrer. Le commandant Huder, qui ne cessa de montrer dans ces circonstances critiques la plus grande fermeté, réussit à se maintenir encore deux jours dans Bône. Mais, le 29, les habitants l'ayant positivement sommé de quitter leur ville, il se vit enfin contraint de céder. Tandis qu'il se dirige vers le port, les révoltés sortent de la casbah et se précipitent sur le petit groupe de marins français qui l'accompagnent. Plusieurs d'entre eux sont massacrés ; les autres, tout en combattant, atteignent leurs embarcations. M. Huder, déjà frappé de deux blessures, se jette à la nage ; il se croyait sauvé, lorsqu'une balle lui fracassa la tête. Presque au même moment, arrivaient en rade deux cent cinquante soldats avec le commandant Duvivier. Ce vaillant officier voulut d'abord, malgré la faiblesse numérique de sa troupe, tenter de reprendre la ville ; mais, ses efforts ayant échoué, il fut forcé de renoncer à ce projet, et, après s'être fait rendre quatorze marins restés prisonniers, il revint à Alger, laissant Bône aux mains d'Ibrahim, le chef des Turcs révoltés.

Sous ce nouveau régime, la situation des Bônois fut si misérable, que, malgré le souvenir de la mort de M. Huder, ils n'hésitèrent pas, au commencement de l'année suivante (1832), à redemander la protection de la France. D'un côté Ibrahim, maître de la casbah, les accablait de contributions ; de l'autre, Ben-Aïssa, le lieutenant d'Achmed-Bey, les tenait étroitement bloqués et les menaçait des horreurs du pillage. Le duc de Rovigo chargea le capitaine d'artillerie d'Armandy et Youssouf, alors capitaine aux chasseurs algériens, d'aller encourager de leur présence les assiégés. Mais, lorsque ces deux officiers arrivèrent au milieu des Bônois, ceux-ci étaient au bout de leur résistance ; dans la nuit du 5 au 6 mars, la ville ouvrit ses portes à Ben-Aïssa. M. d'Armandy et son compagnon durent alors se retirer sur la felouque la Fortune, tandis qu'Ibrahim continuait à se défendre dans la casbah. Il n'y put tenir longtemps, et la division qui se mit parmi ses partisans l'obligea à prendre la fuite. C'était le 26 mars, et, le même jour, la goélette la Béarnaise entrait en rade. L'occasion semblait favorable pour tenter de s'emparer de la casbah : l'entreprise sans doute était hasardeuse ; elle n'en sourit que davantage à trois hommes de cœur qui résolurent d'assurer cette conquête à la France. MM. d'Armandy, Youssouf et de Fréart — ce dernier commandant de la Béarnaise — étaient de ces officiers pleins de ressources et de courage, que le péril et les difficultés grandissent. Ils débarquent de nuit avec une trentaine de marins, évitent la grande porte, dont les troupes du bey de Constantine gardaient les abords, arrivent au pied du mur de la citadelle, et, au moyen d'une corde qui leur est jetée, se hissent les uns après les autres jusque sur le parapet ; au lever du soleil, le drapeau tricolore flottait sur la casbah, et ses vieux canons, mis en mouvement par nos marins, bombardaient les postes de Ben-Aïssa. Celui-ci abandonna la ville ; mais, pour se venger, il la brûla et ne laissa derrière lui qu'un monceau de ruines.

Des mesures furent aussitôt prises pour mettre cette possession importante à l'abri d'un coup de main ou d'une révolte. Un bataillon du 4e de ligne vint d'abord occuper Bône, et, le 15 mai, le général d'Uzer prit le commandement de la place ; il amenait avec lui le 55e de ligne, et il fut bientôt rejoint par un bataillon de la légion étrangère et par trois batteries d'artillerie.

Les Arabes des environs de Bône étaient sans doute moins turbulents que leurs Coreligionnaires de la Métidja ; cependant, ils exercèrent plus d'une fois la valeur de nos troupes, qui, en même temps, avaient aussi à repousser les attaques des cavaliers d'Achmed-Bey. En février 1833, la petite garnison avait été renforcée par la formation du 3e de chasseurs d'Afrique, régiment appelé entre tous à fournir une glorieuse carrière. Dés le mois d'avril, il était déjà en campagne : il avait été désigné pour faire partie d'une expédition que le général d'Uzer dirigeait en personne contre les Ouled-Attia, qui s'étaient rendus coupables de nombreux actes de brigandage. Le lieutenant-colonel de Chabannes la Palice[54], digne héritier d'un beau nom, conduisit alors ses chasseurs pour la première fois au feu, et leur donna l'exemple de la bravoure, en tuant de sa main deux Arabes. Le même jour, le chef d'escadron Youssouf était blessé en chargeant l'ennemi, à la tête de ses soldats, sur ce nouveau champ de bataille que son heureuse témérité venait d'ouvrir aux armes françaises. Peu après, dans un nouvel engagement, le capitaine Morris r commença sa brillante réputation par une lutte corps à corps avec un Arabe d'une taille et d'une force herculéennes, combat resté célèbre dans les annales de la cavalerie française : les deux adversaires s'étant heurtés dans la mêlée, ne purent faire usage de leurs armes ; ils se saisirent mutuellement et tombèrent tous les deux de cheval, sans se lâcher, au milieu des combattants ; aucun de ceux-ci n'osait tirer, de peur de frapper celui des deux qu'il aurait voulu secourir. Le brave Morris, écrasé par la stature colossale de l'Arabe, qui se roulait sur lui avec fureur, allait succomber, lorsque, dans un effort suprême, il parvint à saisir de la main de son trompette un pistolet qu'il déchargea à bout portant sur son redoutable adversaire, aux applaudissements de tout le régiment. La vaillante conduite de ses chefs trouva de nombreux imitateurs dans le 3e de chasseurs.

Les sorties que nos soldats étaient ainsi obligés d'opérer pour dégager les abords de la ville de Bône devinrent heureusement de plus en plus rares, le général d'Uzer, par sa politique à la fois ferme et conciliatrice, étant parvenu peu à peu à maintenir les tribus voisines dans un état de paix relative. Achmed-Bey, de son côté, n'avait pas tardé à comprendre qu'une lutte ouverte avec la France ne pouvait que lui être funeste. Aussi, jusqu'en 1836, époque de la première expédition de Constantine, il ne fit plus aucune tentative hostile, et une sorte de trêve tacite régna entre ses troupes et la garnison de Bône. Il n'en n'était pas de même sur un autre point de la côte dont la possession nous était journellement disputée.

La position favorable du port de Bougie, le meilleur de tout le littoral entre Bône et Alger, avait, depuis longtemps, fait décider l'occupation de cette ville, sur laquelle la France avait d'ailleurs à venger une récente et grave insulte faite à son pavillon. En septembre 1833, une division navale, sous les ordres du capitaine de frégate Parseval[55], appareilla de la rade de Toulon, ayant à son bord deux bataillons du 59e de ligne et six cents hommes tant du génie que de l'artillerie. Le général Trézel commandait cette expédition. Il arriva le 29 au matin devant Bougie, et, en quelques heures, les canons de la frégate la Victoire eurent réduit au silence les forts de la place. A dix heures, toutes les chaloupes chargées de troupes sont remorquées, sous le feu de la mousqueterie ennemie, vers la porte de la marine. Soldats et marins rivalisent de sang-froid : le capitaine Barbare[56] est blessé avant même de débarquer, et le patron de l'un des canots remorqueurs est jeté à l'eau par une balle qui lui traverse la cuisse ; il nage sans lâcher l'amarre et s'avance vers la terre en attirant à lui l'embarcation. Malgré une résistance opiniâtre, le débarquement s'effectue avec ordre et deux colonnes d'attaque sont aussitôt formées. La première chasse vivement l'ennemi devant elle et s'avance vers le fort Abd-el-Kader ; le chef de bataillon Esselin[57] la commande ; bientôt une balle lui fracasse la main droite. L'autre colonne, sous le capitaine Parron[58], traverse toute la ville pour s'emparer de la casbah ; elle est accompagnée par l'officier d'ordonnance Mollière qui, bien qu'ayant reçu un coup de feu à la tête, continue de marcher jusqu'à ce que la perte de son sang le fasse tomber évanoui. Le général Trézel conduit en personne une troisième colonne ; reconnaissant la position dominante du fort Moussa, il se dirige sur ce point ; mais le capitaine de Lamoricière, qui ne laissait échapper aucune occasion de se distinguer, avait déjà mené un détachement à l'assaut de ce fort et s'en était emparé.

Les principales positions se trouvaient donc occupées. Néanmoins, le combat continuait avec acharnement dans les rues encore toutes pleines d'ennemis, dans les habitations, dans les jardins ; la nuit même n'arrêta pas la fusillade, grâce à un magnifique clair de lune qui éclairait les combattants. Au point du jour, les rôles changèrent ; les Kabyles, prenant l'offensive à leur tour, vinrent en grand nombre assaillir les postes d'où nos soldats les avaient débusqués la veille ; mais toutes ces attaques échouèrent, et un détachement de marins, sous le lieutenant Bernaert[59], prit de vive force et une à une toutes les maisons qui servaient encore de refuge à l'ennemi. Le 1er octobre, nouvel assaut, plus terrible que celui du jour précédent. Repoussés de toutes parts, les Kabyles perdirent, dans cette seconde affaire, la position du marabout de Sidi-Touati, situé au bout du ravin qui débouche sur la ville ; elle leur fut enlevée par le capitaine de Lamoricière. Quoiqu'il eût été atteint d'une balle à la jambe, le général Trézel n'en dirigea pas moins les mouvements, tant que dura l'action, et ce ne fut que le surlendemain qu'il fit connaitre sa blessure. Le 2, il détermina la position d'un blockhaus dont les travaux, poussés avec vigueur, furent achevés le 6. Malgré leurs échecs, les Kabyles ne laissaient voir ni découragement ni lassitude. Se sentant soutenus par la population guerrière des montagnes du Djurdjura, qui venait sans cesse grossir leurs rangs, ils étaient toujours prêts à recommencer la lutte avec une ardeur et une ténacité nouvelles. Après douze jours d'une fusillade non interrompue, le général voulut en finir par un coup décisif tenté contre le marabout du Gouraya, position dominante derrière laquelle se trouvait le camp ennemi de Sidi-Mohammed. La garnison de Bougie venait d'être renforcée par l'arrivée d'un bataillon du 4e de ligne, et l'attaque du marabout fut résolue pour le 12 octobre.

Deux colonnes, dirigées par le chef d'escadron Conrad[60] et par le capitaine Eynard[61], marchèrent sur le Gouraya par des chemins différents. Pendant deux heures de nuit, elles gravirent des rochers presque impraticables, et arrivèrent en même temps pour surprendre le marabout dont la possession ne leur fut, du reste, pas longtemps disputée. Tout ce qu'on rencontra durant cette marche fut tué à l'arme blanche, afin de ne pas donner l'éveil aux ennemis. En même temps, une troisième colonne, sous le commandement du lieutenant-colonel Lemercier, s'était portée à gauche pour attaquer les Kabyles postés en arrière du moulin de Demours, tandis que le capitaine de Sparre[62] amenait l'avant-garde en silence tout auprès de la position qu'il s'agissait d'enlever. Le commandant Gentil[63] fait alors battre la charge et s'élance avec presque tout son bataillon ; les Kabyles sont bientôt refoulés jusqu'au village de Damassar. Là, ils se rallient : ceux qui défendaient le Gouraya et ceux qui étaient restés au camp les rejoignent, et ils viennent, au nombre de plus de trois mille, assaillir les colonnes françaises. Ce fut le moment critique de la journée ; mais les troupes ne fléchirent pas, et le bataillon du 4e de ligne donna la mesure de ce qu'on pouvait attendre de sa fermeté et de sa bravoure intrépide sur le champ de bataille. Deux compagnies venaient d'être repoussées de Damassar ; les grenadiers arrivent à leur secours, chargent à la baïonnette et arrêtent l'ennemi. Il est vrai que ce succès nous coûte cher : plus de cinquante hommes et plusieurs officiers ont été en un instant mis hors de combat. Malgré les vides qui se font autour de lui, le capitaine de Lisleferme[64] reste inébranlable au milieu des Arabes. Il a ses habits percés de quatre balles et déchirés à coups de yatagan ; mais le danger ne fait qu'exalter son courage. Il lutte toujours, animant, soutenant de la voix et de son exemple ceux des siens qui sont encore debout. Son héroïque résistance n'a pas été inutile : elle a donné le temps au capitaine Vivien[65] et à ses sapeurs de retrancher les positions les plus vivement disputées. Un renfort arrive, c'est M. Parseval qui, jugeant au bruit de la fusillade que l'affaire est très-chaude, amène au pas de course, jusqu'au moulin de Demours, ses compagnies de débarquement, jalouses de partager les dangers et la gloire de l'armée de terre. Dès ce moment, la victoire fut complète. La troisième colonne qui s'était le plus avancée, exécuta, dans le plus grand ordre, une retraite par échelons, et, durant la nuit, les kabyles abandonnèrent leur camp. Le lendemain, pour la première fois, on n'entendit pas un seul coup de fusil autour de la place.

Cet acte de vigueur termina la série des combats qui accompagnèrent ou suivirent la prise de Bougie ; le plateau vert, l'une des hauteurs qui dominent les environs de la ville, fut définitivement occupé, et nos lignes furent couvertes de ce côté par les blockhaus Rouman, Salem et Khalifa. Le général Trézel ayant été obligé de rentrer à Alger pour faire soigner sa blessure, le chef de bataillon Duvivier reçut le commandement de la garnison de Bougie (novembre 1833). Entouré par de nombreuses tribus à l'humeur guerrière et aux dispositions ouvertement hostiles, non-seulement il devait combattre tous les jours, mais encore lutter contre les difficultés permanentes d'une sorte de blocus : les communications par mer étaient rares et l'on ne pouvait se procurer aucun approvisionnement de l'intérieur. Le commandant Duvivier était à la hauteur d'une pareille mission, et il fut admirablement secondé par toutes les troupes qui se trouvaient sous ses ordres. Sans pouvoir énumérer les combats quotidiens qu'il eut à soutenir, nous devons pourtant rappeler ici le souvenir des plus importants.

Dans la nuit du 17 au 18 janvier, plus de quatre mille Kabyles vinrent prendre position sur les contreforts des collines qui entourent la ville. Au point du jour, ils attaquèrent tous les postes français et continuèrent l'action jusqu'au soir, où ils se retirèrent emportant leurs blessés. Le manque de cavalerie empêcha de les poursuivre. Mais bientôt l'arrivée d'un escadron du 3e de chasseurs d'Afrique permit au commandant Duvivier de faire quelques reconnaissances. Il sortit de la place, dans les premiers jours de mars, et s'avança jusqu'au village de Klaina qu'il trouva désert. Il commençait à peine son mouvement de retraite, lorsque sa petite colonne fut assaillie par une nuée de Kabyles. Tandis que le capitaine Herbin[66] conduit plusieurs fois ses chasseurs à la charge contre un ennemi résolu et qui attend nos cavaliers de pied ferme, le bataillon de la légion étrangère est déployé en tirailleurs, et les braves Polonais qui le composent, fiers de trouver l'occasion de combattre pour leur seconde patrie, résistent avec succès à toutes les charges dirigées contre eux. Cette expédition n'était pas assez décisive pour arrêter les Kabyles : les 18, 19 et 20 avril, ils entourèrent de nouveau la place. Le 23, ils furent surpris, chargés par les chasseurs et repoussés par l'infanterie jusqu'au village de Damassar, qui fut brûlé. Le 5 juin, ils reparaissent en nombre considérable ; pas un Français ne sort de la ville, et, durant toute la journée, le canon suffit pour les tenir à distance ; mais ils profitent de la nuit pour tenter un coup d'audace. Rampant dans les broussailles, ils arrivent jusqu'à un ouvrage élevé au milieu de la plaine et que commandait ce jour-là le capitaine Leperey[67] ; ils franchissent le fossé de cette redoute qui, faute de temps et de matériaux de construction, n'a pas de palissade ; ils sont déjà sur le parapet, lorsque, par une heureuse inspiration, et avec non moins de sang-froid que d'à-propos, les artilleurs (de la h' batterie du 101 se mettent à lancer par-dessus le parapet des obus enflammés, qui roulent jusque dans le fossé et éclatent au milieu des assaillants. L'ennemi terrifié prend la fuite, et la redoute est sauvée.

Quelque nombreux que fussent les jours de combat, ils étaient, pour ainsi dire, des jours de distraction et de fête pour cette malheureuse garnison qui, épuisée par des fatigues incessantes, par des privations de toute espèce, se vit bientôt la proie des maladies. Plus de la moitié des hommes étaient à l'hôpital ; à la fin de juillet, il y avait mille quatre-vingt-huit malades, et ce chiffre augmenta encore. En octobre, le lieutenant-colonel Duvivier ne pouvait pas mettre en ligne plus de six cents combattants, et il dut, avec ce faible effectif, résister à six mille Kabyles, qui tentèrent une attaque générale dans la nuit du 9 au 10. La nuit suivante, leurs efforts se tournèrent contre le blockhaus de Salem. Les trente hommes qui le défendaient firent une résistance admirable. Un incendie éclata tout à coup ; c'étaient les gabions du revêtement de la redoute que les Kabyles venaient d'arracher et qui avaient pris feu. Heureusement, la lueur sinistre qui éclairait cette scène de carnage permit à l'artillerie de la place de venir en aide aux défenseurs du blockhaus et de forcer l'ennemi à la retraite.

La garnison, trop faible pour tenter une sortie, ne gagna que quelques jours de répit par toutes ces luttes où elle avait déployé tant d'héroïsme. Des scènes semblables à celles dont on vient de lire le récit se renouvelaient continuellement pour elle ; la ville demeurait toujours comme bloquée, et, tandis qu'autour de Bône, les Arabes avaient fini par rester à peu prés paisibles, il n'y avait point de repos pour les environs de Bougie. Ainsi, au commencement de 1835, ces deux établissements, assez éloignés l'un de l'autre, étaient les seuls qui eussent été fondés dans la province de Constantine, et, pour les conserver à la France, il ne fallut pas moins que toute l'habileté du général d'Uzer, toute l'énergie du colonel Duvivier et de ses compagnons d'armes.

 

IV

ORAN

 

La prise de possession des ports situés à l'ouest d'Alger ne présenta pas, à beaucoup près, les mêmes difficultés que celle de Bône et de Bougie ; mais, dès qu'Oran fut pourvue d'une garnison française, les événements dont cette province devint le théâtre, prirent une importance prépondérante. Là, en effet, fut le berceau de la puissance d'Abd-el-Kader, comme aussi de cette ligue sainte qui devait un jour réunir presque toutes les tribus arabes contre notre domination en Algérie.

A l'époque de la conquête d'Alger, Oran était gouvernée par Hassan-Bey, vieillard qui ne demandait que le repos. Un premier détachement, envoyé par le maréchal de Bourmont, venait à peine d'y débarquer, lorsqu'il reçut l'ordre de rentrer à Alger. Ce ne fut qu'en décembre de cette même année (1830) sur le général Clauzel, craignant les menées de l'empereur du Maroc, qui avait déjà essayé de s'emparer de Tlemcen, lit partir une nouvelle expédition, sous le commandement du général de Damrémont. Celui-ci, arrivé en rade d'Oran le 13 décembre, débarqua le lendemain à Mers-el-Kébir, et y resta prés d'un mois en attente et en observation. Après quelques pourparlers, les troupes françaises occupèrent la ville, le h janvier. Leur entrée dans ses murs y opéra une sorte de révolution pacifique. Le bey fut conduit à Alger, où le général de Damrémont revint lui-même peu après, laissant à Oran le 21e de ligne, sous les ordres du colonel Lefol.

Il est difficile de se faire une idée de la triste situation de ce régiment et des privations de toute sorte qu'il eut à subir pendant le séjour de près d'un an qu'il fit à Oran. Les malheureux qui restèrent dans cette sorte d'exil, loin de toutes nouvelles de la patrie, n'avaient pas même, pour rompre la pénible monotonie de leur existence, la distraction de quelques combats ; car la garnison était trop faible pour sortir de la place, que, de leur côté, les Arabes n'osaient pas encore attaquer. Désigné depuis longtemps pour rentrer en France, le 21e ne recevait plus rien de son dépôt ; les soldats étaient presque nus ; les officiers portaient des souliers faits d'écorce de palmier et qui ne duraient guère plus de cinq jours. Le colonel Lefol ne put résister à cette tâche ingrate et mourut de nostalgie au milieu du mois d'août. Peu après, le régiment fut relevé par le 20e de ligne.

L'arrivée de ce dernier régiment signifiait qu'Oran devait rester possession française. Le général Boyer vint en prendre le commandement au mois de septembre. Il trouva le pays dans un état équivoque, qui n'était ni la paix ni la guerre. Toute la province était en proie à l'anarchie ; la plupart des tribus voisines paraissaient animées contre nous des sentiments les plus malveillants ; mais elles n'avaient guère l'occasion d'entrer en lutte avec la garnison d'Oran, que sa faiblesse numérique empêchait de faire des expéditions au dehors. Les Arabes étaient d'ailleurs tout occupés à continuer pour leur propre compte l'œuvre d'affranchissement dont la chute d'Alger semblait leur avoir donné le signal, et à secouer entièrement le joug des Turcs. Mascara, où s'étaient d'abord réfugiés quelques débris de la milice du dey, venait de chasser ses anciens maîtres, tandis qu'a Tlemcen l'insurrection n'avait encore qu'a moitié réussi ; en effet, si la ville était occupée par la population soulevée, les Turcs gardaient toujours la citadelle. Le reste de la province nous était également hostile ; mais il n'y avait dans les tribus unité ni de volonté ni de commandement, et par suite nul centre d'action.

Au printemps de l'année suivante (1832), la situation devint moins indécise, et la guerre ne tarda pas à éclater. La garnison d'Oran, renforcée par l'arrivée d'un bataillon de la légion étrangère et par la formation du 2e de chasseurs d'Afrique, étendit son action en dehors des murs de la place, tandis que commençait à se montrer parmi les indigènes le jeune chef qui, en s'aguerrissant peu à peu contre nos troupes, se préparait à ce rôle d'apôtre et de représentant de la nationalité arabe, qu'il devait remplir plus tard avec tant d'éclat.

Les tribus voisines de Mascara, affranchies de la domination turque, avaient voulu se donner pour chef suprême Mahiddin, marabout fort vénéré dans tout le pays. Il refusa, prétextant son grand âge, et proposa à sa place son fils Abd-el-Kader, âgé de vingt-quatre ans, qu'il venait de ramener de la Mecque, et qu'un marabout de la ville sainte avait salué, quelques années auparavant, du titre de sultan des Arabes. La proposition fut agréée, et l'inauguration du jeune chef eut lieu avec une grande solennité. Reconnu peu après comme émir par la ville même de Mascara, Abd-el-Kader acquit, par ce seul fait, un avantage très-marqué sur tous ses rivaux. Il avait une nature intelligente et énergique ; doué d'une grande éloquence et d'une puissance d'attraction à laquelle il était difficile de résister, il n'eut qu'à paraître au milieu des tribus pour dominer les volontés et subjuguer les cœurs.

Dès qu'il entra en scène, il donna à la lutte un caractère nouveau en prêchant contre nous LA GUERRE SAINTE, et son élection fut immédiatement signalée par un grand effort que les Arabes tentèrent pour chasser les Français d'Oran ; mais ils trouvèrent la garnison sur ses gardes et en état de leur répondre (mai 1832). Repoussés, le 3 mai, par l'artillerie du Château-Neuf, ils se précipitèrent le lendemain, au nombre de plus de quinze cents, dans le fossé du fort Saint-Philippe, qu'ils se préparaient à enlever d'assaut. Abd-el-Kader dirigeait l'attaque, donnant aux siens l'exemple de la bravoure et les surpassant tous par son Sang-froid, au milieu de la grêle de nos boulets. Dieu protégés par le parapet, nos soldats tenaient tête aux assaillants sans éprouver de pertes très-considérables. Après avoir renouvelé, avec aussi peu de succès, leurs attaques le 7 et le 8, les Arabes, découragés, abandonnèrent le fl leur entreprise, et laissèrent un peu de repos à la garnison d'Oran.

Six mois après, ce fut le tour de nos soldats d'aller chercher l'ennemi en rase campagne (23 octobre). Les Arabes, exercés par Abd-el-Kader, attendirent de pied ferme la charge de la petite colonne française ; mais ils ne purent tenir devant le brave général de Trobriant[68], qui, oubliant son grade, pour se rappeler seulement qu'il appartenait à une famille bretonne où le courage était héréditaire, combattit toute la journée au premier rang, comme un simple soldat. Le colonel de Létang, à la tête du 2e de chasseurs d'Afrique, acheva la victoire par quelques charges brillantes.

Peu après cet engagement, le général Boyer fut remplacé dans son commandement par le général Desmichels, qui étendit encore le rayon des expéditions et fit, au mois de mai 1833, une grande razzia sur les troupeaux d'une tribu ennemie, celle des Garabas. Le bétail était alors d'autant plus nécessaire à l'approvisionnement de la garnison, que, comme les Arabes ne venaient plus au marché, les troupes manquaient depuis un mois de viande fraiche. Au retour de cette expédition, la colonne française fut vivement poursuivie par une nuée de cavaliers indigènes. Après un combat acharné, elle les mit en pleine déroute, leur tua plus de trois cents hommes, leur fit un grand nombre de prisonniers et rentra à Oran avec tout son butin. Mais cette agression avait profondément irrité les Arabes, et Abd-el-Kader, résolu à en tirer vengeance, vint s'établir, avec environ dix mille hommes, à trois lieues de la ville, dans un endroit appelé le camp du Figuier. Le général Desmichels faisait alors construire un blockhaus au sud-est de la place, en avant du fort Saint-André. Dans la journée du 26, les travailleurs se virent soudainement assaillis par deux colonnes ennemies. Grâce aux renforts qui sortirent d'Oran, les Arabes furent repoussés ; mais ils n'avaient point pour cela renoncé à leur entreprise, et, dés la nuit suivante, ils se glissèrent, à la faveur des ténèbres, jusqu'au pied de l'ouvrage. Là, un d'eux se hasarde à monter sur le blockhaus ; nos soldats ne bougent pas ; il les croit endormis et appelle ses compagnons ; à peine ceux-ci se sont-ils approchés, que quarante coups de feu, bien dirigés, leur font voir que les Français ne dorment pas.

Après deux jours d'une pluie incessante, après une nouvelle attaque également infructueuse contre cet ouvrage, qui venait de recevoir le nom de blockhaus d'Orléans, Abd-el-Kader se décida à donner le signal de la retraite. Les Arabes alors abandonnèrent le camp du Figuier et se dispersèrent. Leur échec et une reconnaissance dirigée, le 11 juin, jusqu'à Bridia, sur la route de Tlemcen, avaient un peu dégagé les environs d'Oran, sans toutefois y établir une sécurité complète. Pour étendre le cercle de ses relations, le général Desmichels résolut d'occuper plusieurs points de la côte.

Arzew, qui comptait déjà depuis longtemps plus de ruines que de maisons habitables, paraissait à cette époque devoir nous échapper. Abd-el-Kader venait de faire enlever le cadi de cette ville et de l'enfermer dans les prisons de Mascara, où ce malheureux ami de la France fut étranglé. Sur ces entrefaites, lé général Desmichels débarqua à la Mersa — c'est le nom du port d'Arzew —, tandis qu'une petite colonne y arrivait par terre. Les Arabes, de leur côté, prirent aussitôt possession de la ville elle-même, située à environ-trois quarts de lieue de la mer ; mais ils en furent chassés (6 juillet) par un bataillon de ligne et par deux escadrons de chasseurs. La ville resta déserte, la Mersa fut fortifiée, et l'on y laissa une garnison de trois cents hommes.

Tandis qu'Abd-el-Kader faisait une conquête bien autrement importante en s'emparant de Tlemcen, le général Desmichels se rendait par mer à Mostaganem, qu'occupaient encore quelques Turcs restés à notre solde depuis 1831. Quatorze cents fantassins et deux obusiers de montagne composaient le corps expéditionnaire ; six bâtiments de commerce, escortés par la frégate la Victoire, débarquèrent les troupes au Port-aux-Poules, près de l'embouchure de Hiabra (juillet 1833). La colonne se mit en marche le soir même et s'arrêta à la fontaine de Sidia pour attendre le jour. Le lendemain, les Turcs ayant ouvert les portes de Mostaganem, la ville, avec les forts qui en dépendent, fut aussitôt mise en état de défense. Abd-el-Kader, toujours infatigable, ne tarda pas à se présenter devant ses murs (2 août), à la tête des nombreux contingents que s'étaient empressées de lui fournir les tribus des environs de Mascara. Il savait le général Desmichels parti avec la frégate la Victoire pour retourner à Oran, et il se croyait sûr d'avoir promptement raison de la résistance de Mostaganem. Il commença par resserrer de très-près la petite garnison ; puis les assauts se succédèrent presque sans interruption depuis le matin du 3 jusqu'au soir du 9 août. Campés près de Tistid, les Arabes dirigèrent d'abord leurs efforts contre un marabout situé au bord de la mer. Ayant échoué de ce côté, ils assaillirent, le 5, le corps même de la place ; sans canons, ils ne pouvaient battre les murs en brèche ; mais, poussés pal cette sorte de fureur aveugle et de sombre enthousiasme qu'inspire le fanatisme, ils descendirent en grand nombre dans le fossé, à un endroit où la courtine n'était pas flanquée, et ils se mirent à saper le mur dans l'espérance de pouvoir tenter l'escalade. Ils trouvèrent la petite garnison aussi intrépide dans la défense qu'ils l'étaient dans l'attaque. Le lieutenant de Géraudon[69] et les grenadiers du 68e, bravant avec le plus calme sang-froid le feu de la mousqueterie, montent à cheval sur le parapet, repoussent les Arabes à coups de fusil, le plus souvent même à l'arme blanche, afin de ménager leurs munitions, et les forcent bientôt à quitter le fossé. Le 6 fut un jour de repos pour les deux partis. Le 7 et le 8, l'ennemi revint à la charge, tantôt contre la place, tantôt contre le poste du marabout. Enfin Abd-el-Kader (lut s'avouer vaincu et se résigner à lever le siège ; car la plupart des tribus quittaient son camp ; la nouvelle des razzias exécutées par le général Desmichels les avait décidées à regagner précipitamment leur territoire.

A peine débarqué à Oran, ce général avait fait partir, dans la soirée (lu 5 août, environ treize cents hommes, tant fantassins que cavaliers, pour surprendre les Douairs et les Smélas, tribus fort belliqueuses, dont la plupart des combattants se trouvaient devant Mostaganem. Au point du jour, la cavalerie qui a pris les devants, laissant l'infanterie et deux obusiers sur une hauteur ; arrive en vue du camp arabe. Le colonel de Létang divise aussitôt ses hommes eu trois corps et fond sur l'ennemi. La surprise fut complète, les Arabes furent culbutés, et les chasseurs enlevèrent un nombre considérable de têtes de bétail qu'ils ramenèrent vers l'infanterie.

Le but de l'expédition était atteint. On se disposa donc à reprendre immédiatement la route d'Oran. La colonne venait de se reformer pour exécuter son mouvement rétrograde, lorsqu'elle fut brusquement assaillie par les cavaliers de plusieurs tribus voisines. Alors commença une retraite des plus pénibles. Il fallait combattre en marchant : la chaleur était très-forte, et les troupes qui, parties la veille d'Oran, n'avaient eu aucun repos, étaient accablées de fatigue. Pour surcroît de malheur, le vent du sud s'éleva, et, dans ce terrain sablonneux sur lequel la végétation n'offre aucun abri, les soldats eurent à supporter le supplice d'une tourmente de simoun. L'infanterie n'avait plus ni vivres ni eau. Pendant que les nôtres luttaient ainsi contre des difficultés et des souffrances de toute sorte, les Arabes, dont le nombre grossissait à vue d'œil, s'enhardissaient peu à peu, et resserraient toujours davantage le cercle dans lequel ils tenaient enfermée la colonne française. Ceux qui se trouvaient en avant imaginèrent de mettre le feu à quelques broussailles, et de se faire de l'incendie un auxiliaire. Les flammes, poussées par le vent, changèrent bientôt la plaine en un vaste brasier. On eût dit comme un mur de feu qui barrait la route. Les broussailles une fois consumées, l'incendie cessa aussi vite qu'il s'était propagé ; mais les soldats devaient traverser un espace couvert de cendres brûlantes ; alors qu'ils étaient déjà suffoqués par l'ardeur de la température. L'excès de la fatigue et l'insolation produisaient chez quelques-uns (l'entre eux une sorte de délire ; sourds aux exhortations de leurs officiers, on en vit jeter leurs armes et refuser d'avancer. Les malheureux savaient pourtant la mort terrible que les Arabes leur réservaient. Ceux auxquels le désir de vivre donnait encore la force de se soutenir pouvaient à peine combattre. Cependant, la colonne arriva jusqu'au Figuier. Là, de nouvelles épreuves l'attendaient. La vue de l'eau transporte les soldats : quoique cette eau fia bien saumâtre et bien malsaine, ils se pressent autour de la fontaine, y retournent encore et y restent, incapables de faire un pas en avant. Les Arabes saisissent ce moment pour se rapprocher, et s'apprêtent à tenter un effort décisif. Dans cette circonstance critique, le 2e de chasseurs d'Afrique montra qu'il était le digne frère du 1er et du 3e. Le colonel de Létang déclare à ses cavaliers qu'il faut sauver l'infanterie ou périr avec elle. Les obusiers sont mis en position, et les chasseurs, formant un grand cercle, reçoivent de pied ferme les charges de l'ennemi. Les Arabes ne s'attendaient pas à une si énergique résistance : bien convaincus toutefois que cette proie ne pourra leur échapper, ils reculent devant le feu des obusiers et suspendent l'attaque pour la recommencer dans un moment plus favorable. Un brave officier, M. Desforges[70], se dévoue alors pour le salut de tous. Il se fait jour au travers des rangs ennemis et parvient à Oran, où il annonce la situation périlleuse (le la colonne. Le général Desmichels ne tarda pas d'un instant à se mettre en marche et amena au Figuier des renforts, des vivres et des moyens de transport. Son- arrivée dispersa les Arabes, le butin de la razzia fut conservé, et, peu après, les Smélas, ayant demandé la paix, vinrent s'établir dans la belle vallée de Misergliin, à trois lieues d'Oran.

Cette expédition, si pénible pour les troupes qui y prirent part, fut la plus importante d'e l'année 1833. Durant l'hiver et au commencement de l'année suivante, il y en eut encore plusieurs autres ; car la guerre continuait toujours. Le 2 décembre, la division, revenant de la plaine de Météla, eut à soutenir l'attaque de toutes les forces réunies d'Abd-el-Kader : pour la première fois, le général Desmichels avait emmené son artillerie de campagne, qui, dans ce combat, lui rendit de grands services. Enfin, le 6 janvier, l'escadron de M. de Thorigny ayant poussé une reconnaissance au delà de la Maison carrée, fut entouré par environ quinze cents Arabes et ne put se dégager qu'en perdant un officier et vingt-trois hommes.

Ces combats continuels indiquaient bien l'hostilité croissante des tribus voisines ; mais ils ne constituaient pas la partie la plus difficile de la tâche du général Desmichels. Abd-el-Kader était parvenu, par ses prédications, par son activité, par sa bravoure, non-seulement à imposer son autorité à toutes les tribus, mais encore à mettre les Français complètement en dehors de toutes relations commerciales avec les Arabes. Oran, Arzew, Mostaganem étaient comme en quarantaine par rapport à l'intérieur ; les vivres n'arrivaient dans aucune de ces villes ; les marchés restaient vides ; la situation était intolérable. La puissance d'Abd-el-Kader, qui se développait toujours, était devenue tellement menaçante et redoutable, qu'il n'y avait plis moyen de l'arrêter qu'en lui faisant une guerre en règle. Le général Desmichels, n'en ayant pas les moyens, voulut essayer de tourner à son profit cette puissance même, en faisant de l'émir un allié de la France. Ce fut dans cette pensée qu'il conclut le traité du 26 février 1834[71] par lequel il reconnaissait Abd-el-Kader comme le prince des croyants ; lui laissait la direction du commerce de la Mersa ; permettait aux Arabes d'acheter des armes, de la poudre, des balles, comme aussi toute espèce d'approvisionnements de guerre ; et s'engageait enfin à ne jamais empêcher de retourner chez eux les musulmans venus pour le trafic. De son côté, l'émir promettait de faire cesser les hostilités de la part des Arabes, de rendre les prisonniers, de laisser les marchés libres et de permettre de voyager dans l'intérieur à tout chrétien porteur d'un sauf-conduit de son consul à Oran.

Telles étaient les clauses principales de ce malheureux traité ; l'histoire si émouvante du désastre de la Macta montrera quels en furent les résultats.

 

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Ainsi, après cinq années de guerre, les possessions françaises en Algérie ne s'étendaient encore que sur le bord de la mer, et, par suite de sa faiblesse numérique, l'armée était partout obligée de se maintenir sur une pénible défensive. Une brillante campagne avait fait tomber les défenses d'Alger et la puissance turque. La Métidja et le Sahel, à peu près pacifiés, commençaient à recevoir des colons ; mais les tentatives pour assurer notre influence sur le revers méridional de l'Atlas avaient dû être abandonnées. Un heureux coup de main nous avait rendus mitres de Bône, et, depuis près de deux ans, une sorte de paix tacite existait entre sa garnison et le bey de Constantine ; Bougie, au contraire, enlevée après de si rudes assauts, demeurait toujours comme bloquée. Oran avait été prise sans coup férir, et le drapeau tricolore flottait également sur la Mersa et sur Mostaganem ; mais les combats livrés dans cette province venaient d'aboutir à un traité qui consacrait la puissance du plus dangereux ennemi de la domination française.

En résumé, malgré d'éclatants succès, la situation était toujours difficile, et il restait évidemment beaucoup à faire pour consolider notre conquête. Toutefois, ces luttes inégales, soutenues par une poignée de braves contre une multitude d'Arabes, avaient maintenu le drapeau français en Algérie. Elles avaient eu encore un autre résultat bien important dans le présent et dans l'avenir : le premier noyau de l'armée d'Afrique était formé. Les soldats commençaient à apprendre un nouveau genre de guerre : los corps indigènes ou spéciaux à l'Algérie, non-seulement étaient organisés, mais ils s'étaient déjà couverts de gloire et avaient ainsi pris rang dans l'armée française. Beaucoup d'officiers s'étaient attachés à cette terre d'Afrique sur laquelle, au milieu de la paix profonde de l'Europe, ils trouvaient tant d'occasions de se distinguer. Habitués par les exigences de cette guerre d'escarmouches, d'embuscades, de surprises continuelles, de combats sans cesse renouvelés, à rester constamment sur le qui-vive, à porter le poids de la responsabilité et à savoir se suffire à eux-mêmes, ils étaient prêts à exercer des commandements plus importants, à entreprendre de plus grandes opérations. Enfin l'expérience allait bientôt démontrer la nécessité d'introduire certains changements dans l'équipement des troupes et dans la tactique, changements qui devaient être adoptés plus tard.

 

Nous n'avons pu jeter, comme nous venons de le faire, ce rapide coup d'œil sur les cinq premières années de la guerre d'Algérie, sans regretter de ne les avoir pas plus dignement racontées, et sans être saisi d'un double sentiment d'envie et de profonde admiration pour cette vaillante armée d'Afrique si disciplinée, si patiente, si dévouée au pays ; pépinière féconde d'où sont sortis tant d'hommes, l'honneur de notre patrie, et dont les noms appartiennent à l'histoire.

 

ROBERT D'ORLÉANS.

 

 

 



[1] En 1682 et 1683, par Duquesne ; en 1688, par d'Estrées.

[2] Ces trois races principales étaient les Kabyles, les Arabes et les Maures. Ces derniers étaient répandus en très-grand nombre dans les villes de l'intérieur, de même que dans celles de la côte.

[3] BOUTIN (Vincent-Yves). — Colonel du génie. — Chargé d'une mission en Égypte et en Syrie (novembre 1810), fut assassiné en juillet ou en août 1815, près du village d'El-Blatta (Syrie).

[4] BOURMONT (Victor, comte DE GAISNE DE). — Maréchal de France en juillet 1830. — A quitté le service à la révolution de juillet. — Mort au château de Bourmont (Anjou), en 1846.

[5] Baron DUPERRÉ (Victor-Guy)., amiral de France. — Embarqué à l'âge de seize ans. — Combats dans l'Inde. — Victoire navale du Grand-Port, à l'Ile de France, en 1810. — Bombardement de Cadix en 1823. — Ministre de la marine en 1834 et plusieurs fois depuis lors. — A quitté la vie publique en 1843. — Mort en 1846.

[6] Les régiments qui prirent part à l'expédition étaient les 3e, 14e, 37e, 20e, 28e, 6e, 40e, 15e, 48e, 21e, 20e, 35e, 17e, 30e, 23e et 31e de ligne ; et les 1er et 2e régiments de marche que l'on avait organisés avec des bataillons appartenant aux 2e et 4e, 1er et 9e légers (en tout, dix-huit régiments formant, comme nous venons de le dire, trois divisions, dont chacune comprenait trois brigades). La cavalerie se composait seulement d'un escadron du 13e de chasseurs et de deux du 17e.

[7] Baron BERTHEZÈNE. — Lieutenant général du 4 août 1813. — En disponibilité jusqu'en 1847.

[8] Comte LOVERDO. — Lieutenant général du 4 juillet 1815. — Disponibilité. — Mort en 1837.

[9] Duc D'ESCARS (Amédée-François-Régis DE PÉRUSSE). — A quitté le service à la révolution de juillet. — Mort en 1866.

[10] Baron PORET DE MORVAN. — Maréchal de camp le 30 novembre 1813. — Commandant supérieur d'Avesnes, Maubeuge, Landrecies et le Quesnoy en 1831. — Commandant le département d'Eure-et-Loir en 1833. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1834.

[11] Baron ACHARD (Jacques-Michel-François). — Lieutenant général le 13 décembre 1830. — Réserve en 1846. — Sénateur. — Mort en 1864.

[12] Baron CLOUET. — Maréchal de camp le 3 octobre 1823. — Démissionnaire en 1830.

[13] D'ANCINE (Colomb). — Maréchal de camp le 3 novembre 1823. — Démissionnaire en 1830.

[14] Vicomte BERTHIER DE SAUVIGNY. — Maréchal de camp le 4 octobre 1815. — Démissionnaire en 1830.

[15] Baron HUREL. — Maréchal de camp le 23 juillet 1823. — Mission en Belgique en 1833. — Mort en 1847.

[16] Comte DE MONTLIVAULT. — Chef de bataillon en 1813. — Colonel en 1816. — Maréchal de camp le 30 juillet 1823. — Mission en Belgique en 1833. — Mort en 1859.

[17] DESPREZ. — Lieutenant général. — Sous-chef d'état-major général. — Mission en Belgique en 1833. — Mort en 1833.

[18] THOLOZÉ. — Maréchal de camp le 22 mai 1825. — Lieutenant général en 1838.

[19] Vicomte DE LA HITTE (Jean-Ernest Ducos). — Sous-lieutenant d'artillerie en 1809. — Colonel après la campagne d'Espagne, en 1833. — Maréchal de camp en 1829. — Lieutenant général en 1840. — Ministre des affaires étrangères en 1849. — Sénateur.

[20] Baron DE VALAZÉ. — Lieutenant général du génie en 1830. — Mort en 1838.

[21] Baron DENNIÉE. — Intendant général. — Armée des Alpes en 1848. — Mort en 1848.

[22] Comte BARAGUEY-D'HILLIERS, maréchal de France et sénateur. — Sous-lieutenant de chasseurs en 1812. — Poignet gauche emporté à Leipsick. — Capitaine en 1814. — Colonel en 1830. — Maréchal de camp en 1836. — Lieutenant général en 1843. — Maréchal de France après la prise de Bomarsund, le 28 août 1854. — Commandant le 1er corps d'armée dans la campagne d'Italie, en 1859. — Commandement militaire à Tours.

[23] VAILLANT, maréchal de France, sénateur et ministre. — Sous-lieutenant du génie le 1er octobre 1809. — La jambe traversée par un biscaïen, à l'attaque du fort l'Empereur, en 1830, et nommé lieutenant-colonel. — Colonel après le siège d'Anvers, le 7 janvier 1833. — Maréchal de camp en 1838. — Lieutenant général en 1845. — Siège de Rome. — Maréchal de France le 14 octobre 1851. — Major général dans la campagne d'Italie. — Ministre de la maison de l'empereur.

[24] Baron DE CHABAUD-LA-TOUR (François-Henri-Ernest). Sous-lieutenant du génie en 1822. — Capitaine en 1828. Expédition et siège d'Alger en 1830. — Campagnes de Belgique et siège d'Anvers, 1832. — Campagnes d'Afrique en 1835, 1839 et 1840, comme officier d'ordonnance du duc d'Orléans. — Chef de bataillon en 1837. — Lieutenant-colonel en 1842. — Colonel en 1845. — Général de brigade en 1853. — Général de division en 1857. — Commandant supérieur du génie en Algérie, de 1852 à 1858. — Commandant en chef du génie à l'armée d'observation à Nancy en 1859. — Président du comité des fortifications. — Réserve 1869.

[25] PÉLISSIER (Aimable-Jean-Jacques), duc de MALAKOFF, maréchal de France et sénateur. — Sous-lieutenant d'artillerie en 1815. — Lieutenant d'état-major à l'organisation clu corps, en 1820. — Capitaine en 1828. — Chef d'escadron en 1830. — Lieutenant-colonel en 1839. — Colonel en 1843. — Maréchal de camp en 1846. — Général de division en 1850. — Gouverneur général par intérim de l'Algérie. — Prend le commandement en chef de l'armée d'Orient, le 16 mai 1855. — Maréchal de France et duc de Malakoff après la prise de Sébastopol. — Commandement de l'armée d'observation à Nancy, en 1859. — Gouverneur de l'Algérie après l'ambassade d'Angleterre. — Mort le 22 mai 1864.

[26] Marquis DE BEAUFORT-D'HAUTPOUL. — Sous-lieutenant d'état-major en 1822. — Campagne d'Alger comme aide de camp du général Valazé. — Aide de camp du duc d'Aumale à la prise de la Smala. — Colonel en 1850. — Général de brigade en 1854. — Général de division et chef d'état-major du 5e corps d'armée en Italie. — Commandant en chef de l'expédition de Syrie, en 1860. — A la réserve en 1869.

[27] MAC-MAHON (Marie-Edme-Patrice-Maurice DE), duc de MAGENTA, maréchal de France et sénateur. — Sous-lieutenant d'état-major en 1827. — Capitaine en 1833. — Commandant du 10e bataillon de chasseurs d'Orléans à la formation, puis en Afrique. — Lieutenant-colonel de la légion étrangère. — Colonel en 4845. — Général de brigade en 1848. — Général de division en 1852. — Commandant d'une division d'infanterie en Crimée. — Enlève, le 8 septembre 1855, les ouvrages de Malakoff. — Gouverneur général de l'Algérie. — A la tête du 2e corps d'armée, il décide la victoire de Magenta. — Maréchal de France et duc de Magenta. — Gouverneur général de l'Algérie.

[28] MAGNAN (Bernard-Pierre), maréchal de France et sénateur. — Soldat au 66e de ligne. — Sous-lieutenant en 1811. — Capitaine en 1813. — Chef do bataillon en 1817. — Lieutenant-colonel en 1823. — Colonel en 1827. — Maréchal de camp au service belge en 1832. — En France, en 1835. — Lieutenant général en 1815. — Commandant de l'armée de Paris. — Maréchal de France en 1852. — Mort le 29 mai 1865.

[29] ROSAMEL (Claude-Charles-Marie DUCAMPE DE), vice-amiral et pair de France. — Aspirant de marine en 1792. — Trois combats sur le vaisseau la Convention (armée navale de l'amiral Villaret-Joyeuse), en mai et juin 1791. — Lieutenant de vaisseau en 1802. — Capitaine de frégate en 1808. Combat de la frégate la Pomone, qu'il commandait, contre deux frégates anglaises, dans l'Adriatique, le 29 novembre 1811 ; blessé à la tête. — Capitaine de vaisseau en 1814. — Contre-amiral en 1823. — Préfet maritime à Toulon en 1830. — Vice-amiral en 1831. — Ministre de la marine en 1836. — Admis à la réserve en 1842. — Mort à Paris en 1848.

[30] LEMOINE. — Capitaine de vaisseau en 1830.

[31] Baron HUGON (Gaudefroi-Amable), vice-amiral et sénateur. — Mousse en 1795. — Lieutenant de vaisseau en 1840. — Capitaine de frégate en 1819. — Capitaine de vaisseau en 1823. — Commandant de l'Armide à Navarin. — Contre-amiral en 1831. — Vice-amiral en 1840. — Cadre de réserve en 1859.

[32] Dans cette première affaire, l'armée eut 310 hommes mis hors de combat.

[33] On sait qu'en 1541, l'armée de ce prince éprouva devant Alger un immense désastre, à la suite d'un effroyable ouragan qui détruisit ou dispersa la flotte espagnole, que commandait alors l'illustre amiral André Doria.

[34] MOUNIER. — Colonel, tué à la tête de son régiment, à Lyon, en 1834.

[35] DU PETIT-THOUARS (Abel AUBERT). — Enseigne de vaisseau le 3 février 1815. — Lieutenant de vaisseau en 1819. — Capitaine de frégate en 1824. — Voyage autour du monde sur la Vénus, de 1836 à 1839. — Contre-amiral en 1841. — Vice-amiral en 1846. — Réserve en 1858.

[36] Connu sous le nom de combat de Sidi-Khalef.

[37] Cet espoir ne se réalisa pas. Le lieutenant Amédée de Bourmont expira au bout de quelques jours.

[38] Dans la seule journée du 27 juin, l'armée perdit vingt-trois tués et eut cent-vingt-huit blessés.

[39] On l'appelait ainsi, parce qu'il avait été bâti à l'endroit même où l'empereur Charles-Quint avait établi son quartier général, lorsqu'il attaqua Alger en 1541.

[40] LENOIR. — Chef de bataillon du génie. — Colonel en 1837. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1855.

[41] M. Braskewitz, qui avait été autrefois interprète de l'armée d'Égypte et avait traité avec Mourad-Bey.

[42] MAUMET. — Officier d'état-major. — Chef de bataillon de zouaves en 1831. — Lieutenant-colonel commandant en second l'École de la Flèche, en 1840.

[43] BOYER (Pierre-François-Xavier). — Chef de brigade (colonel) le 11 juin 1795. — Général de brigade le 28 mars 1801. — Général de division le 16 février 1845. — Mort le 11 juillet 1858.

[44] Les douze bataillons avaient été fournis par les 14e, 37e, 20e, 28e, 6e, 23e, 15e, 29e, 17e, 30e, 34e et 35e régiments de ligne.

[45] MARION. — Colonel du 20e de ligne. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1836.

[46] DUCROS. — Chef de bataillon au 37e de ligne. — Lieutenant-colonel en 1832, au 61e. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1839.

[47] DANLION. — Général commandant la place d'Alger en 1832.

[48] DE CAMAIN. — Chef d'escadron d'artillerie. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1834.

[49] ROUILLARD. — Lieutenant au 30e de ligne. — Capitaine trésorier au 30e en 1838. — Major au 15e en 1850. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1854.

[50] Mort en 1533.

[51] Un monument d'une simplicité toute militaire leur fut élevé près de la Maison carrée.

[52] Marquis DE FAUDOAS. — Maréchal de camp le 12 février 1823. — Lieutenant général le 24 août 1833. — Mort le 13 septembre 1844.

[53] Baron VOIROL. — Maréchal de camp le 30 juillet 1823. — Lieutenant général le 9 janvier 1833. — Mort le 15 septembre 1853.

[54] Comte de CHABANNES-LA-PALICE (Alfred-Jean-Éginhard). — En 1815, garde du corps. — En 1825, capitaine dans la garde royale avec le rang de chef d'escadron. — Volontaire dans la campagne de Belgique, au 20e léger. — Officier d'ordonnance du roi Louis-Philippe. — Lieutenant-colonel commandant le 3e chasseurs d'Afrique. — Colonel du 10e dragons. — Maréchal de camp en 1810. — Aide de camp du roi, qu'il a suivi en exil. — Est resté auprès de la reine Marie-Amélie après la mort du roi. — Mort en 1868.

[55] PARSEVAL-DESCHESNE (Alexandre-Ferdinand). — Capitaine de vaisseau le 16 octobre 1833. — Contre-amiral le 30 avril 1840. — Vice-amiral le 15 juillet 1846. — Commandant l'escadre de la Baltique dans la guerre de Russie. — Amiral le 2 décembre 1854. — Mort le 13 juin 1860.

[56] BARBARE. — Capitaine au 59e de ligne. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1835.

[57] ESSELIN. — Chef de bataillon au 59e de ligne. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1838.

[58] PARRON. — Capitaine au 59e de ligne. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1836.

[59] BERNAERT. — Sous-lieutenant au 59e de ligne. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1834.

[60] CONRAD. — Chef d'escadron. — Commande la légion française en Espagne avec rang de maréchal de camp espagnol. — Tué à la tête de la légion, à Barbastro, en 1837.

[61] EYNARD. — Capitaine adjudant-major au 12e dragons en 1832. — Major au 4e lanciers le 2 décembre 1840. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1846.

[62] DE SPARRE. — Capitaine en 1826. — Chef de bataillon au 65e de ligne le 34 décembre 1836. — Lieutenant-colonel au 69e le 27 février 1841. — Colonel au 42e le 21 avril 1845. — Général de brigade le 3 août 1851.

[63] GENTIL. — Chef de bataillon le 11 avril 1830. — Lieutenant-colonel au 17e de ligne le 31 décembre 1835. — Colonel du 24e le 15 septembre 1839. — Maréchal de camp le 28 avril 1842. — Lieutenant-général le 17 août 1846.

[64] LISLEFERME. — Capitaine au 4e de ligne. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1834.

[65] VIVIEN. — Capitaine du génie du 1er octobre 1827. — Colonel le 20 décembre 1853. — A la retraite le 5 mars 1859.

[66] HERBIN-DESSAUX. — Capitaine du 30 mars 1828. — Chef d'escadron au 3e chasseurs d'Afrique le 1er mars 1833. — Lieutenant-colonel le 4 septembre 1842. — Ne figure plus dans l'Annuaire en 1846.

[67] LEPEREY. — Capitaine. — Ne figure plus dans l'Annuaire quelques années après.

[68] DE TROBRIANT. — Aide de camp de Davoust à Austerlitz. — Capitaine à Eylau. — Commandant un corps de cavalerie légère en Espagne en 1811. — Campagne de Russie. — Colonel du 7e hussards en 1814. — Relevé de la retraite et maréchal de camp en septembre 1830. — Réserve en 1842 ou 1843.

[69] Lieutenant DE GÉRAUDON — Général de division en 1848.

[70] DESFORGES. — Officier d'ordonnance du général Desmichels.

[71] Pour le texte de deux parties de ce traité, voyez (t. I, p. 369) les Annales algériennes de M. Pellissier de Reynaud. En écrivant cette introduction historique, nous avons eu constamment sous les yeux cet intéressant ouvrage.