CARTHAGE ROMAINE

 

LIVRE SEPTIÈME. — LITTÉRATURE

CHAPITRE V. — LES CHRÉTIENS.

 

 

La liste des auteurs païens que nous venons de dresser est singulièrement courte, un seul d'entre eux a conquis une véritable célébrité. Il en va tout différemment des chrétiens ; ils se présentent à nous en phalange serrée et plusieurs sont des hommes de génie. Ce n'est pas qu'ils aient eu la manie d'écrire, ni qu'ils aient composé leurs ouvrages pour satisfaire une fantaisie personnelle ; ils ne les ont publiés, au contraire, le plus souvent, qu'en vue d'un but précis à atteindre, lorsqu'il s'agissait de repousser leurs adversaires, d'instruire les fidèles ou de propager leurs croyances ; si l'on veut donner à ce mot son sens le plus élevé, la littérature chrétienne est utilitaire. Ces livres, nés des circonstances pour la plupart, contiennent nécessairement beaucoup d'allusions locales. Mais on s'entend bien souvent à demi-mot entre gens de la même ville. Pour être compris, Tertullien, saint Cyprien et les autres n'avaient donc pas toujours besoin de souligner ces allusions, ni même de les exprimer d'une manière formelle. Les termes généraux qu'ils pouvaient employer étaient immédiatement appliqués par leurs lecteurs à ce qui se passait autour d'eux. Nous sommes aujourd'hui dans une situation beaucoup moins favorable, plus d'une assertion précise nous semble obscure, plus d'un trait direct nous parait à lointaine portée. Cà et là pourtant subsistent des indications caractéristiques qu'il y aura profit à recueillir ; car, en même temps qu'elles nous permettent d'apprécier l'action des écrivains, elles contribuent à nous éclairer sur les mœurs carthaginoises, et spécialement sur la vie de la communauté chrétienne.

La jeunesse de Tertullien s'était écoulée presque entière à Carthage. Il appartenait par sa famille au monde officiel ; son père, centurion de l'escorte du gouverneur[1], lui rapportait certainement les échos du palais proconsulaire. Lui-même avait beaucoup étudié le droit et les institutions[2]. D'autre part, comme trois siècles à peine le séparent de C. Gracchus, la mémoire de tout ce qui s'était passé dans l'intervalle demeurait encore assez présente. Nous sommes donc fondés à attendre de lui des renseignements sur l'histoire de sa ville natale, etc., cet espoir n'est pas entièrement déçu. Il rappelle les principales étapes de la restauration[3], la tentative de Gracchus entravée par de fâcheux présages, les moqueries sanglantes de Lépide, les trois autels de Pompée, les tergiversations de César, la reconstruction de Statilius Taurus, l'inauguration solennelle de Sentius Saturninus, enfin l'octroi de la toge, signe distinctif des citoyens romains. Il mentionne encore la suppression, sous Tibère, des sacrifices humains en l'honneur de Saturne[4], et il invoque le témoignage des troupes de la garnison où son père comptait des camarades, lui-même sans doute des amis. Puis, arrivant à l'époque contemporaine, il a un mot pour les réjouissances célébrées à propos de la victoire de Lyon ou de quelque anniversaire de Caracalla[5] ; il n'omet pas non plus l'institution des jeux pythiques sous Septime Sévère[6]. L'importance de ces souvenirs, qui donnent parfois la date des traités où ils se rencontrent, fait regretter que l'auteur ne les ait pas multipliés davantage ; mais ce regret n'implique aucune surprise. Après Constantin, lorsque le pouvoir civil marcha d'accord avec l'autorité religieuse, les chrétiens s'intéressèrent aux événements politiques et prirent part aux affaires d'une manière active. Jusque-là, ils évitaient le plus possible de s'y mêler, n'intervenant dans les choses d'ici-bas, en dehors de leurs occupations quotidiennes, que dans la mesure où ils y étaient contraints, songeant avant tout il leur propre sanctification. Pendant les trois premiers siècles, l'Église forme en quelque sorte un monde à part dans la société. Tertullien a soutenu le contraire, dans l'Apologétique, avec plus de passion peut-être que de vérité ; la rareté des allusions politiques dans ses propres ouvrages semble lui donner un démenti.

Pour instruire ses concitoyens, il préfère tirer parti des incidents locaux qui ont frappé les imaginations ; la leçon qui en ressort. a chance de mieux se graver dans les cœurs. Sous le gouverneur Hilarianus, la foule idolâtre a saccagé les cimetières chrétiens ; Dieu l'a punie en donnant une mauvaise récolte. Les pluies torrentielles et les orages de l'année précédente, ces lueurs étranges qui ont brillé, la nuit, sur la ville, une éclipse de soleil visible dans le voisinage, qu'est-ce que tout cela, sinon des marques de la colère divine, dont Scapula devrait tenir compte ? A-t-il donc oublié que son prédécesseur, Vigellius Saturninus, le premier persécuteur en Afrique, fut frappé de cécité[7] ? Des ouvriers, en creusant les fondations de l'Odéon, remettent au jour des tombeaux vieux de plusieurs siècles ; les squelettes bien conservés des premiers Carthaginois reparaissent aux veux effrayés du peuple ; Tertullien y voit un argument en faveur de la résurrection de la chair[8]. Tout lui est prétexte à enseignement, il profite même des menus faits de la vie quotidienne. Pour détourner ses frères d'aller au théâtre, cette maison du diable, il leur cite l'exemple de deux femmes dont l'une en revint possédée, tandis que l'autre eut un songe effrayant et mourut cinq jours après[9]. Une caricature injurieuse pour le Dieu des chrétiens amuse toute la ville[10] ; il montre qu'elle s'applique bien plutôt aux divinités païennes. Un fidèle s'est permis de défendre les spectacles en sa présence ; il expose ses arguments et les rétorque[11]. Un astrologue l'a provoqué ; il fait une digression dans le De idolatria, pour ne pas laisser cette attaque sans riposte[12]. Il a assisté récemment à une discussion entre un chrétien et un juif ; peu satisfait de la manière dont la cause qui lui est chère a été soutenue, il reprend la question afin de l'examiner plus à fond[13] et compose le traité Adversus Judæos. En affirmant contre les psychiques la nécessité des jeûnes rigoureux, il invoque le cas de ce pseudo-martyr, gavé dans la prison, qui se présenta, dit-il, devant le juge, dans un état d'ébriété si complet qu'il lui fut impossible de confesser sa foi[14]. Les pratiques de magie usitées parmi les sorciers de Carthage, apparitions, évocations des âmes, oracles, songes, visions, tables tournantes et parlantes, chèvres prophétiques, ne lui échappent pas non plus[15] ; il emploie les locutions proverbiales dont on se sert autour de lui[16] ; il ne craint même pas de citer les histoires effrayantes que les nourrices content aux petits enfants[17].

Ces allusions directes aux personnes et aux choses de la capitale ne sont pas les seules que renferment les écrits de Tertullien ; il serait facile d'en relever beaucoup d'autres. Quand il critique les mœurs païennes, il songe évidemment à ce qu'il avait chaque jour sous les yeux[18] ; s'il s'attaque à la toilette des femmes, s'il blâme la parure trop luxueuse des jeunes filles, on sent, à la précision des détails[19], qu'il vise directement les chrétiennes de son entourage, celles qu'il rencontrait aux assemblées et coudoyait dans la rue. Ses récits des folies du cirque, du stade, du théâtre et de l'amphithéâtre ne se ressentent-ils pas des scènes qu'il lui avait été donné de contempler maintes fois, durant sa jeunesse[20] ? Insisterait-il aussi avec tant d'ardeur sur la participation à l'idolâtrie des sculpteurs, ciseleurs, coroplastes, orfèvres, qui façonnent les statues des dieux, des architectes et des maçons qui construisent les temples, des peintres et marbriers qui les- décorent, si Carthage n'avait pas renfermé toute une population artistique dont c'était là le gagne-pain[21] ? Quoique le nom de cette ville ne revienne pas fréquemment sous sa plume, il est donc très légitime de croire qu'il pense le plus souvent à elle, qu'il a d'ordinaire en vue son amélioration.

La plupart, de ses œuvres où la foi était exposée, la morale précitée, les erreurs démasquées, les vertus exaltées, ne se lisaient que parmi les chrétiens, catholiques et montanistes, à qui elles s'adressaient ou contre qui elles étaient dirigées. Quelques-unes d'entre elles cependant, parce qu'elles tendaient plus loin, ont dû avoir un retentissement plus considérable. Alors la polémique s'agrandit ; au lieu de discussions importantes, mais partielles, c'est le christianisme tout entier qui se trouve aux prises avec le paganisme. Le traité Ad nationes, l'Apologétique, la lettre Ad Scapulam, rentrent dans cette catégorie. Quand Tertullien rédigea les deux premiers, peu de temps sans doute après sa conversion, l'Eglise d'Occident n'avait guère produit d'écrivains de valeur[22]. Ce fut une surprise générale et une joie pour les fidèles de voir se lever ce jurisconsulte qui parlait aux Romains la langue du droit, qui discutait en connaisseur la situation légale de ses frères, les poursuites intentées contre eux, qui savait au besoin prendre l'offensive, tourner en ridicule les dieux de l'Etat, et rendre coup pour coup à ses adversaires. L'Apologétique ne tarda pas à être traduite en grec[23], preuve évidente du succès qu'elle obtint. Si nombreuse qu'ait été la colonie hellénique de Carthage, j'ai peine à me persuader que cette traduction lui frit destinée à elle seule. Mieux vaut supposer que les communautés orientales voulurent lire dans leur propre langue cet ouvrage fameux. Il ne semble guère contestable cependant, que l'Apologétique, encore qu'envoyée au sénat romain[24] et écrite en faveur dé toute la chrétienté, produisit dans la patrie de l'auteur plus d'effet que partout ailleurs.

Cette hypothèse devient certitude lorsqu'on passe à la lettre Ad Scapulam. Le destinataire est proconsul d'Afrique ; il va ordonner la persécution dans le pays soumis à sa puissance ; tout le peuple est dans l'attente, les païens espèrent de lui la satisfaction de leur ressentiment, les chrétiens se résignent d'avance au supplice. Un homme parait qui prend la défense des accusés, éclaire le magistrat, lui montre l'innocence de ceux qu'il est sur le point de condamner, le menace des châtiments du ciel, invoque l'exemple de plusieurs de ses prédécesseurs et de quelques princes qui furent cléments aux disciples du Christ, et enfin le conjure, dans son propre intérêt, par ce qu'il a de plus cher, d'épargner la province et sa capitale. A diverses reprises, Tertullien sut donc jouer un rôle analogue à celui qu'Apulée avait si brillamment soutenu, peu de temps auparavant. Dans des circonstances bien différentes, et sur des sujets tout nouveaux, il fut, lui aussi, le porte-parole, non plus seulement de la cité, mais de la chrétienté tout entière.

Le rapport que j'indique entre les deux écrivains est particulièrement sensible dans un dernier ouvrage. Un jour, Tertullien s'avisa de quitter la toge que tout le monde portait pour revêtir le manteau grec ou pallium, voulant peut-être laisser entendre, par ce changement d'habit, qu'il adoptait désormais un genre de vie plus austère[25]. Vraie ou feinte, l'indignation fut grande, parait-il, chez ses concitoyens. Ce n'était pas là pour lui un motif de renoncer à sa résolution ; il tint, au contraire, à la justifier et lança dans cette intention le De pallio. Tout se métamorphose dans l'univers, dit-il, pourquoi s'étonner de ce qu'un homme se soit, lui aussi, transformé ? Sur un pareil thème, nous devinons quelles variations eût brodées Apulée, quelles tirades sonores il eût débitées devant son auditoire ébahi. Tertullien, qui n'a que des lecteurs, se livre aux mêmes variations et n'omet pas les tirades emphatiques. Les saisons se succèdent comme les mois et les jours ; la mer, qui est aujourd'hui renfermée dans des limites étroites, a recouvert autrefois le sommet des montagnes ; le désert a remplacé des terres jadis fertiles ; Pompéi et plusieurs autres villes florissantes de Campanie ont disparu sous les cendres du Vésuve ; en un mot, rien ne demeure dans le même état, l'évolution est la loi commune ici-bas. L'énumération se poursuit longtemps, elle ne cesse que pour faire place à une autre. Désireux de montrer son mépris pour la toge, Tertullien passe en revue tous les vices qu'elle a servi à dissimuler. Tout au rebours le pallium est le vêtement des sages ; et voilà une occasion de placer un éloge de la philosophie, qui ne déparerait pas les Florides. Le traité se termine par une prosopopée suivant toutes les règles de la rhétorique.

Peut-être, dans sa jeunesse, Tertullien avait-il assisté aux conférences d'Apulée ; il connaissait du moins ses livres, et l'on serait tenté d'en retrouver l'influence dans le De pallio. Mais il n'avait à se réclamer de personne pour faire œuvre déclamatoire, il lui suffisait de suivre son penchant naturel, développé encore par l'enseignement de ses maîtres en Afrique et à Rome. Imbu des procédés de l'école, il avait toujours gardé, même depuis sa conversion, une tendresse particulière pour les trouvailles de style, les tournures étranges, les formules rares et déconcertantes. Dans les graves discussions sur la doctrine ou la morale, la force de sa conviction triomphe souvent de l'obscurité des termes et la pensée éclate à travers les voiles dont il l'enveloppe comme à plaisir. Ici, où nulle haute question n'est engagée, il redevient le vrai disciple des rhéteurs.

La manière, la recherche, le travail sont poussés au point qu'il est impossible d'y voir autre chose qu'une gageure et qu'un jeu d'esprit[26]. Converti depuis longtemps déjà, a-t-il voulu prouver en composant ce traité[27] tout païen, sauf la phrase finale, que sa foi ne lui avait enlevé aucune de ses facultés littéraires ? Cette opinion de M. Boissier[28] est fort plausible. A nos yeux, sa gloire n'en reçoit aucun accroissement ; mais la société lettrée dut goûter un écrit conçu dans le genre qu'elle affectionnait par-dessus tout, et Tertullien semble avoir eu pour lui cette prédilection qu'un père témoigne inconsciemment à celui de ses enfants qui. est le moins bien venu.

Ce goût de la rhétorique, favorisé par l'enseignement de l'école, n'est pas particulier au prêtre carthaginois, on le constate chez la plupart de ses compatriotes ; saint Cyprien, entre autres, y cède volontiers. En embrassant le christianisme, cet ancien avocat n'avait pas dit adieu à toutes les habitudes du barreau. Il conserva toujours une prolixité d'expression, des périodes pompeuses, une manie d'accumuler les termes équivalents qui sentent l'orateur plus que l'écrivain. Saint Augustin en était déjà choqué[29] ; il critiquait, par exemple, la description trop poétique et superflue des jardins de l'évêque, au début de l'opuscule Ad Donatum[30]. En même temps, la recherche du mot à effet, l'amour de l'antithèse et de la sententia font parfois ressembler cet ouvrage à quelque traité de Sénèque[31], tandis que l'énumération des vices contemporains[32] ; remet en mémoire, çà et là, les hyperboles de Juvénal. Ces défauts, plus ou moins atténués, ressortent dans la plupart des écrits de saint Cyprien. Il arrive même qu'il se serve d'arguments faibles ou singuliers : blâmer les mariages entre chrétiens et païens est sans doute chose aisée[33] ; mais le moyen de les interdire dans une ville attachée encore en majorité à l'ancien culte ? Et le cas d'une jeune enfant incommodée après avoir reçu l'Eucharistie[34] prouve-t-il bien que les pécheurs seront punis s'ils osent participer au sacrement ? Au premier abord, saint Cyprien semble donc avoir abusé des artifices de la rhétorique, comme l'avait fait, surtout dans le De pallio, Tertullien, son modèle et son maître[35]. Cependant, ne nous en tenons pas aux apparences, et ne confondons pas l'homme qui valait surtout par la parole avec l'homme d'action et de gouvernement que devait être et que fut l'évêque de Carthage. 11 n'avait pas le loisir, celui-là, de travailler ses phrases ; son abondance est toute spontanée, et, si sa plume se prête comme d'instinct aux ingénieuses combinaisons du style, sa pensée plane à de plus grandes hauteurs. Seul l'intérêt spirituel du peuple dont il a la charge lui dicte ses libelles, qu'il adapte, avec un sens très net des hommes et des choses, aux nécessités présentes de son église.

Vivant au milieu d'une société où les chrétiens étaient sans cesse calomniés et leur religion travestie, Tertullien devait éclairer les âmes sincères en rétablissant la vérité méconnue ; aussi s'adresse-t-il à plusieurs reprises directement aux païens. La situation s'était modifiée en partie quand saint Cyprien fut promu à l'épiscopat. Grâce à une longue période de paix, le nombre des disciples du Christ avait considérablement augmenté ; les nouvelles recrues appartenaient surtout à la classe aisée et, par elles, des notions plus justes sur la doctrine de l'Evangile pénétraient peu à peu dans les esprits non prévenus ; l'œuvre apologétique devenait donc moins urgente. D'ailleurs les circonstances critiques que traversait la communauté carthaginoise obligeaient son chef à consacrer ses efforts au maintien de la discipline et de la concorde à l'intérieur. Enfin son tempérament personnel, plus pondéré que celui de son fougueux devancier, sa nature de diplomate, à la fois énergique et habile, le portaient moins à l'offensive. Ces diverses raisons expliquent le caractère spécial de ses ouvrages ; l'exception de la riposte Ad Demetrianum, ils sont tous composés pour instruire, diriger, ranimer les fidèles[36]. Un seul nom leur convient, ce sont des lettres pastorales.

Les incidents de la persécution, les démêlés ecclésiastiques, les calamités qui fondent sur le pays lui sont autant d'occasions d'entretenir ses frères bien-aimés. Beaucoup de cœurs faibles ont cédé devant les menaces des païens ; l'évêque invite les défaillants à la pénitence et leur promet en retour un indulgent accueil (De lapsis). La peste désole la contrée ; il réconforte son peuple abattu et l'encourage à supporter vaillamment l'épreuve, à se confier en Dieu qui l'envoie (De mortalitate). Heureux d'être à l'abri du besoin, certains chrétiens jouissent en égoïstes de leur fortune ; il les fait souvenir que l'aumône est un impérieux devoir (De opere et eleemosynis). Quelques membres du clergé portent envie à sa dignité, les schismatiques ternissent sa réputation ; il s'élève avec force contre la jalousie (De zelo et livore). Son autorité est méconnue dans sa propre ville, des dissentiments éclatent entre Rome et l'Afrique ; il célèbre les avantages de la concorde et de la douceur (De catholicæ Ecclesiæ unitate, De bono patientiæ). L'occasion de ces écrits n'est pas toujours aussi évidente pour nous ; mais, soit qu'il démontre la vanité des idoles (Quod idola dii non sint), soit qu'il s'occupe du vêtement des vierges (De habitu virginum), ou qu'il paraphrase l'oraison dominicale (De dominica oratione), nous avons toute raison de croire qu'il traite encore des sujets d'actualité ! Parfois le destinataire n'est plus le peuple entier, mais quelque ami ou disciple de l'évêque. C'est pour Donatus qu'il paraît faire le procès de la société antique (Ad Donatum) ; en rassemblant de nombreux passages des Ecritures, il ne semble fournir qu'au seul Quirinus les moyens de combattre les prétentions judaïques (Ad Quirinum testimonia), et l'on serait tenté d'admettre que ses exhortations à la vaillance durant la persécution ne concernent que Fortunatus (Ad Fortunatum, de exhortatione martyrii). Or il n'écrit à ces particuliers que sollicité par eux[37] ; le ton de ses réponses montre qu'il vise plus loin et, là aussi, cherche à atteindre l'ensemble des fidèles. De même, dans sa petite apologie du christianisme (Ad Demetrianum), qu'on peut regarder comme le modèle et le premier jet de la Cité de Dieu[38], il a l'air de ne s'en prendre qu'à Demetrianus dont les aboiements l'irritent en réalité, il combat si bien contre le paganisme même que plusieurs ont vu, dans celui qu'il interpelle, une pure abstraction, une sorte de païen idéal. Si cette opinion doit être écartée, le fait qu'elle a pu se produire indique assez dans quel sens était dirigée la justification.

Très sensible déjà dans les traités, ce perpétuel souci des intérêts généraux éclate encore mieux dans la correspondance. A propos d'elle surtout, il est exact d'affirmer que, pour saint Cyprien, écrire c'est agir. Les taches qui déparent çà et là les opuscules ont presque entièrement disparu ; plus de développements sans objet, plus d'amplifications oratoires ou poétiques, partout, au contraire, une allure ferme et rapide, une pensée maîtresse d'elle-même, un langage d'administrateur expert tempéré par la mansuétude évangélique. Si nous avons pu constater, d'une manière assez complète, les effets de la persécution de Dèce, les difficultés disciplinaires qui s'ensuivirent au sujet des renégats, enfin l'attitude des partis dans la querelle baptismale et les péripéties de la lutte[39], c'est grâce surtout aux lettres de saint Cyprien. Sans répéter ce qui a été dit phis haut, je constaterai seulement ici que Carthage fait tous les frais de ce commerce épistolaire ; il n'y a en quelque sorte pas un mot qui ne la concerne.- Quand le débat s'élargit, quand on serait tenté de perdre de vue cette chrétienté, il subsiste toujours que ces discussions n'ont pris naissance qu'à cause d'elle ou qu'elle s'y trouve intimement mêlée. Sans cesse présente à l'esprit et au cœur de son évêque, elle n'est jamais absente non plus de ses écrits.

Il n'est donc pas surprenant, qu'en dehors des renseignements historiques qui sont le fond même de son œuvre, nous y lisions des détails très précis relatifs à la topographie de la capitale ou aux mœurs des habitants. On connaît la description de ses jardins, qui ouvre le traité à Donatus ; celle des ravages causés par la peste[40] est aussi trop nette pour que nous doutions qu'il ait dépeint ce qu'il avait sous les yeux. Dans quelle ville encore, plus aisément que dans la sienne, pouvaient se produire les accaparements de blé par les spéculateurs, dont il flétrit, à diverses reprises, la rapacité criminelle[41] ? S'il se moque des crocodiles, des cynocéphales, des pierres et des serpents, objet de tant d'adorations, c'est qu'il voit de près les hommages rendus à Sarapis et au groupe des divinités alexandrines[42]. A un moment de son exil, il adresse au clergé des recommandations spéciales pour la réconciliation des lapsi en danger de mort ; en effet, l'été approche, saison des maladies dangereuses à Carthage, et il importe de faciliter le pardon à ceux qui seraient atteints[43]. Par lui, nous savons que le Capitole était situé sur une hauteur, que les chrétiens furent souvent jugés au forum où était apposé un exemplaire de la loi des XII Tables, que le sang des martyrs coula dans l'amphithéâtre. Il nous conduit encore au cirque et nous étale les pompes des jeux publics[44], ou bien il nous entraîne aux thermes pour en condamner l'indécence. A sa suite, nous pénétrons dans les assemblées des fidèles et nous sommes initiés aux usages liturgiques et disciplinaires de son église.

J'ai étudié assez longuement l'épiscopat de saint Cyprien pour qu'il soit superflu d'insister. Je n'ai pas cru inutile, cependant, de montrer sous un nouveau jour le profond attachement de l'évêque pour son peuple et d'indiquer, par quelques exemples, quelle variété d'informations locales il offre à qui sait le lire.

Tertullien et saint Cyprien sont les deux grandes voix chrétiennes de Carthage, une troisième y résonna souvent, qui eut dans le monde plus de retentissement encore ; c'est celle de l'évêque d'Hippone. Bien qu'il n'ait vécu dans cette ville que par intervalles, il s'est tellement dévoué pour ses intérêts religieux, que l'élection, à défaut de la naissance, l'a en toute vérité rendu carthaginois. Ancien étudiant et professeur de ses écoles, il y comptait de nombreux amis, ses maîtres, ses camarades ou ses disciples. Aussi, lorsque les synodes périodiques l'y rappelaient, se hâtait-il d'accourir. J'imagine même qu'en dehors de ces voyages, on la cause de la foi et l'amitié trouvaient également leur compte, il dut souvent provoquer les occasions d'y revenir. Le plaisir que l'évêque Aurelius prenait à sa présence lui en facilitait les moyens.

On se souvenait encore du temps où, brillant rhéteur, il groupait autour de sa chaire un auditoire empressé. Aurelius savait répondre au désir de tous en le priant de faire entendre la parole divine dans les églises. Le devoir d'annoncer la vérité trouva Augustin toujours prêt ; peut-être éprouvait-il quelque douceur particulière à la proclamer devant ceux qui lui avaient jadis prodigué les applaudissements dans les concours littéraires. Ne nous étonnons donc pas que le nombre des sermons et homélies qu'il leur consacra soit considérable ; on n'en relève pas moins d'une soixantaine[45]. C'est au tombeau de saint Cyprien (mensa Cypriani), dans les basiliques restituta ou major, Novarum, Tricliarum, d'Honorius, de Celerina ou des Scilitains, de saint Pierre, de Faustus et de Gratien, qu'il réunit les fidèles. Il parle le dimanche[46], le jour de l'Ascension[47], en la vigile de la Pentecôte[48] et de la fête de saint Cyprien[49], en la fête de saint Jean-Baptiste[50], de saint Laurent[51], au temps pascal[52], à l'anniversaire de sainte Guddène[53], de saint Vincent[54], des martyrs Volitains[55], lors de la depositio de Cyrus et de Restitutus, évêques de Carthage[56]. Il explique l'Écriture, commente l'Evangile, réfute les hérétiques et célèbre les vertus des saints, surtout de saint Cyprien, pour qui il professe une vive admiration et dont la vie fait le sujet de plusieurs de ses discours[57].

Désireux de frapper l'esprit de l'assistance, il a soin de mêler, autant que possible, à ses enseignements l'histoire locale passée ou présente. Ne serait-ce pas un bonheur, s'écrie-t-il, que cette ville on nous sommes réunis en ce jour ait été détruite, si les pécheurs, quittant les folies qui les possèdent, revenaient à l'Eglise, le cœur contrit, implorant la miséricorde de Dieu sur leurs fautes ? Nous dirions alors : Où est la Carthage d'autrefois ? Elle n'est plus ce qu'elle était, voilà la destruction ; mais elle est devenue ce qu'elle n'était pas, voilà la restauration[58]. Ailleurs, après avoir flagellé les soi-disant chrétiens qui se livrent à des actes superstitieux et conservent un respect sacrilège pour le Génie de la cité, il montre les païens répétant en eux-mêmes : Pourquoi abandonnerions-nous des dieux à qui les chrétiens rendent un culte comme nous ?[59] Il sait encore adapter ses discours aux circonstances ; à la veille de la conférence avec les donatistes, il fait l'éloge de la paix et engage ceux qui l'écoutent à ne pas troubler l'ordre, à recevoir, au contraire, avec bienveillance les étrangers qui vont arriver[60] ; ailleurs, il exhorte ses auditeurs à vivre pieusement, leur rappelant combien la fièvre est pernicieuse à Carthage, avec quelle rapidité elle emporte les plus robustes[61].

Par ces allusions et ces souvenirs, l'évêque retenait l'attention du public ; il ne la captivait pas moins par d'autres habiletés oratoires. Un jour qu'il va exposer la doctrine des Epicuriens et celle des Stoïciens sur le bonheur, il se félicite d'avoir devant lui des hommes cultivés qui sont au courant des questions philosophiques[62]. Une autre fois, avant de traiter de la grâce, sujet difficile à comprendre, il s'excuse de leur imposer une telle tension d'esprit[63], ou bien il leur demande s'il ne les a pas ennuyés et les prie d'être indulgents en raison de la peine qu'il prend pour eux[64]. Le courant sympathique qui existait dés le début entre l'évêque d'Hippone et ce peuple se fortifie de jour en jour[65] ; et l'on voit se renouveler cette attraction irrésistible qui déjà portait les Carthaginois vers Apulée. Augustin se prodigue pour les enseigner, eux ne se lassent pas de l'entendre. Au sortir du sermon, ils regrettent de le voir sitôt fini et ne souhaitent rien tant que d'obtenir encore une allocution de leur prédicateur favori. Il comble souvent leurs vœux et reparaît en chaire à peu de jours d'intervalle. Encouragé par leur constante faveur, sûr qu'on répondra à son appel, il les convoque pour une date prochaine, afin de leur donner la suite d'un développement qu'il n'a pas eu le loisir de mener jusqu'au bout[66]. Souvent, au début de son homélie, il se réfère à quelque allocution précédente dont ses chers Carthaginois, qui ont la meilleure des mémoires, celle du cœur, et qui peut-être ont pris des notes en l'écoutant 8, n'ont pas dû perdre le souvenir[67]. Ses instructions, se reliant ainsi les unes aux autres, forment une sorte de série continue et tiennent sans cesse l'auditoire en haleine.

L'empressement du peuple n'allait pas sans quelques inconvénients. Ces pétulants Africains se bousculaient parfois autour de l'ambon, sans égard pour la sainteté du lieu, et ceux qui se trouvaient mal placés cherchaient à fendre la presse pour approcher de l'orateur, dont l'apparition ne suffisait pas toujours à calmer le tumulte. Il est obligé de réclamer le silence à cause de sa voix fatiguée[68]. Mais ses objurgations amicales nous sont une preuve nouvelle de l'enthousiasme que soulevait sa prédication ; il arriva même que l'auditoire, transporté, interrompit Augustin par des murmures approbateurs[69]. Pourtant on rencontre dans ses discours certains passages qui semblent en désaccord avec cette constatation. Il reproche parfois aux assistants d'être clairsemés dans la basilique, il les invite à stimuler le zèle des absents[70]. L'explication de phrases de ce genre, qui surprennent au premier abord, nous est fournie par saint Augustin lui-même. Si, tel jour où il doit parler, l'église demeure à moitié vide, c'est qu'on célèbre ailleurs des jeux publics, qu'on donne la mer au théâtre ou qu'une chasse aux bêtes fauves est promise[71]. Oui, les habitants avaient un goût très prononcé pour son éloquence, mais les bruyantes représentations du cirque les attiraient encore davantage ; et quand il se produisait une coïncidence de jour et d'heure entre le sermon et une course de chars ou un combat naval, ce n'est pas du côté de la basilique que se dirigeait la foule. Ces cas isolés ne sauraient faire révoquer en doute la durée et le succès éclatant de la prédication de l'évêque d'Hippone. Il la complétait en rétorquant les arguments des hérétiques, manichéens, ariens, pélagiens, dans des discussions que l'élite de la société chrétienne devait suivre avec une impatiente curiosité[72]. Et cet apostolat, joint aux séances absorbantes des réunions synodales, remplissait à ce point son temps qu'il lui enlevait jusqu'au loisir de la correspondance[73].

A vrai dire, ce n'est pas seulement lorsqu'il y réside que les intérêts religieux de Carthage le préoccupent, il ne les perd jamais de vue[74]. Les membres du clergé métropolitain, connaissant bien ses sentiments à leur endroit, lui demandaient souvent des éclaircissements ou des conseils. De ces consultations sortirent quantité de lettres et de traités, visant surtout la chrétienté carthaginoise, qui sont indispensables à lire, si Fon veut se faire une idée juste de sa situation entre 390 et 430. Aurelius fut naturellement le mieux partagé. Augustin l'entretient des désordres qui se produisent près des tombeaux des martyrs[75] ; il le félicite d'avoir accordé à ses prêtres la faculté de prêcher et le prie de lui envoyer quelques-uns de leurs sermons[76] ; il lui parle des difficultés suscitées par certains moines d'Hippone[77] ; il lui dédie le De Trinitate[78], le De gestis Pelagii[79] et le De opere monachorum dont Aurelius se servit contre les oisifs de ses monastères[80]. Le diacre Quodvultdeus, pour son instruction et celle de ses confrères, demande une liste, avec réfutation, des hérésies qui ont désolé l'Église depuis l'origine ; Augustin compose à son intention le De hæresibus[81]. A un autre diacre, Deogratias, il envoie le livre De catechizandis rudibus[82]. Vitalis, qui prétendait que le commencement de la foi est l'œuvre de la volonté humaine, est combattu par lui dans une lettre vigoureuse[83], de même qu'Hilarus, qui s'opposait à l'introduction du chant des psaumes pendant la messe[84]. Grands ou petits événements, rien ne le laisse indifférent dès qu'il s'agit de Carthage : tantôt il flétrit les cruautés du comte Marin et déplore la terreur imposée par lui[85] ; tantôt il se réjouit de savoir que Demetrias, jeune fille de noble famille, vient de prendre le voile[86] ; tantôt il adresse à la vierge Sapida ses plus affectueuses condoléances au sujet de la mort d'un frère tendrement aimé, le diacre Timothée[87].

Ce commerce spirituel datait de loin. Aussitôt qu'il fut prêtre, Augustin avait été amené à l'entreprendre. Il nous a raconté comment, à la suite de controverses dans cette ville, il avait accepté d'écrire deux livres pour des amis[88]. On les goûta, et l'habitude se prit vite de recourir à lui pour obtenir la solution des difficultés doctrinales. C'est aux questions qu'on lui posait que nous devons, outre les lettres et traités que j'ai mentionnés, plusieurs de ses œuvres de polémique[89].

La gloire des trois grands hommes à qui je viens de consacrer quelques pages ne doit pas nous faire perdre de vue des livres moins illustres sans doute, qui ne méritent pas cependant de tomber dans l'oubli. Autour de Tertullien, de saint Cyprien, de saint Augustin, s'est épanouie toute une floraison d'ouvrages, directement inspirés par la pensée religieuse et reflétant, d'une manière parfois très vivante, les préoccupations du moment. Ce sont autant de jalons qui permettent de suivre l'évolution du christianisme carthaginois. Bien que leurs caractères varient suivant les époques, et que leurs auteurs, connus ou anonymes, les aient marqués de leur propre empreinte, il existe entre eux certaines affinités, au moins des analogies extérieures, qui nous invitent à les répartir en trois groupes principaux.

Dans le premier je range les Actes des martyrs, en tête desquels se présentent, par ordre chronologique, les Acta proconsularia des douze Scilitains. Quoique ces témoins du Christ ne soient pas originaires de Carthage, on peut supposer sans invraisemblance, puisqu'ils y confessèrent la foi, que ce résumé de leur interrogatoire fut aussi arrangé sur place. Si l'on voulait soutenir, à cause de la mention du début — Carthagine metropoli — que le morceau dut être composé dans leur pays d'origine, personne ne pourrait Mer cependant qu'il n'ait été connu dans la capitale non moins qu'à Scili et qu'il n'ait servi dans les deux endroits à alimenter la piété des fidèles.

L'intention d'édifier le peuple chrétien apparait plus nettement dans la Passion de sainte Perpétue et des Thuburbitains ; ce morceau, l'un des plus célèbres de la littérature hagiographique, en est aussi l'un des plus touchants. Le collecteur des Actes, dont les idées et le style trahissent en maint endroit la manière de Tertullien, laisse autant que possible la parole aux martyrs ; Perpétue et Saturas nous racontent eux-mêmes leur incarcération et leurs visions[90]. De cet exposé sans fard, presque naïf, se dégage une émotion pénétrante qui nous étreint encore aujourd'hui et que devaient ressentir avec beaucoup plus d'intensité les témoins de l'événement. Puis l'auteur achève la narration en retraçant les souffrances de la vaillante troupe, soit dans les cachots, soit en face des bêtes, dans l'arène de l'amphithéâtre. Spectateur anxieux, il a suivi en personne toutes les péripéties du draine, il les expose avec une fierté mêlée de douleur, et quand la bataille est gagnée par la mort victorieuse des condamnés, il pousse ce cri de triomphe : O fortissimi ac beatissimi Martyres ! O vere vocati et electi in gloriam Domini nostri Jesu Christi ! Il souhaite enfin que leur héroïsme soit proposé en exemple aux générations futures. Son désir fut exaucé[91] : l'habitude se prit, non seulement autour de Carthage, mais jusque dans les contrées lointaines, de lire publiquement les Actes des Thuburbitains. La rédaction grecque contribua sans doute à les répandre en Orient ; et l'on a supposé[92] que l'abrégé latin fut adapté aux besoins des églises transmarines occidentales, désireuses de commémorer plus facilement ces martyrs exotiques le même jour que des saints locaux.

Il est un autre Carthaginois dont le supplice n'eut guère moins de retentissement, je veux parler du grand évêque Cyprien. Après avoir instruit la chrétienté de son vivant, il lui donnait encore, après sa mort, un enseignement salutaire. Outre ses propres écrits, son souvenir durait en effet dans deux opuscules qui tendent l'un et l'autre, par des voies différentes, à sa glorification. C'est d'abord la Vita Cæcilii Cypriani, attribuée avec justesse, semble-t-il, au diacre Pontius, son collaborateur dévoué[93]. Pontius l'avait secondé dans son administration, suivi dans son exil, assisté à son dernier jour ; témoin de ses vertus, il voulut les publier, à la fois pour l'honneur de son maître et l'édification générale. Le panégyrique et la prédication percent partout à travers le récit. Il règne dans tout l'ouvrage un ton oratoire, un souci de la forme littéraire qui détonnent en un pareil sujet. De graves lacunes y sont d'ailleurs sensibles ; on regrette, par exemple, de ne pas voir abordée la question des rapports avec Rome, ni celle des conciles africains. Malgré le très vif intérêt de la Vita, il faut donc avouer qu'elle nous rend un Cyprien incomplet et quelque peu apprêté. Il se montre, au contraire, tel qu'il était dans les Acta proconsularia, composés par quelque chrétien à l'aide des documents officiels de la chancellerie impériale en Afrique[94]. Ici le narrateur se dissimule derrière son héros ; après avoir reproduit le double interrogatoire devant les proconsuls Aspasius Paternus et Galeries Maximus, il se borne à raconter en détail, sans commentaire, les incidents qui ont précédé, accompagné et suivi sa mort. Eclairée ainsi de la seule lumière des faits, la figure de l'évêque se détache dans un singulier relief. En lisant ces pages, les Carthaginois devaient bien y reconnaître celui qu'ils aimaient tant ; peut-être même pouvaient-ils s'imaginer ne l'avoir pas perdu tout entier.

 Au cours de la persécution de Valérien périt encore un groupe de huit chrétiens dont Montanus est le chef ; leur Passion est parvenue jusqu'à nous[95]. Elle a ceci de commun avec celle des Thuburbitains que la moitié environ est l'œuvre des confesseurs eux-mêmes[96], sous forme de lettre à leurs frères de Carthage, ils font le récit des vexations qu'ils ont endurées ; la seconde partie fut écrite par un de leurs concitoyens. Malgré certaines phrases[97] qui s'écartent de la belle simplicité du langage de Perpétue, et quoique les narrateurs prêchent un peu trop, à notre gré[98], la constance dont fit preuve cette nouvelle troupe de héros dut vivement impressionner les fidèles. Leurs Actes, destinés ad memoriam posterorum, ont rempli les vœux du rédacteur. Serait-il trop audacieux de conjecturer que leur parenté avec la célèbre Passion des Thuburbitains ne fut pas sans aider à leur conservation et à leur diffusion ?

Les martyrs d'Abitina, conduits clans la capitale au tribunal proconsulaire, comme ceux de Scili et de Thuburbo, en consommant leur sacrifice dans cette ville, dont plusieurs, du reste, étaient originaires, y acquirent un Véritable droit de cité ; et le détail de leurs souffrances[99] fut recueilli et médité pieusement par la chrétienté à la gloire de laquelle ils venaient d'ajouter un nouveau fleuron.

Avec ces morceaux, d'une valeur toute particulière, on devait lire, dans les assemblées du culte, beaucoup d'autres pièces hagiographiques capables d'intéresser la communauté. Je m'étonnerais, par exemple, qu'on y eût négligé les Actes de ce Maximilien de Theveste, qui se fit enterrer près du corps de saint Cyprien[100], ou de ce Félix, évêque de Thibiuca, dont la confession, sinon le supplice, eut lieu à Carthage, et qui petit-être y fut, lui aussi, transporté après sa mort[101]. Chaque année ramenait en outre la commémoration des vénérables personnages inscrits au calendrier local, soit qu'ils eussent répandu leur sang pour Jésus-Christ, soit qu'ils l'eussent servi par des vertus héroïques, et les mérites de ces nombreuses phalanges ou de ces saints isolés, martyrs, vierges, confesseurs, évêques, étaient exaltés à la collecta et au dominicum. A cette littérature primitive je rattacherai encore plusieurs livres de provenance étrangère, mais qui eurent probablement une grande vogue auprès des chrétiens lettrés d'Afrique et qui exercèrent une action, parfois aisée à constater, sur le développement de l'esprit religieux dans ce pays. Le Pasteur d'Hermas est mentionné à plusieurs reprises par Tertullien[102] ; on a cru découvrir des traces de son influence dans la passion des Thuburbitains et jusque chez saint Cyprien[103]. On considère l'Apocalypse de Pierre comme ayant inspiré la vision de Saturus, compagnon de Perpétue[104], et le Dialogue de Jason et de Papiscus, aujourd'hui perdu, aurait servi à Tertullien pour son traité Adversus Judeos, à saint Cyprien pour ses Testimonia[105]. Ainsi, lorsqu'ils se répandaient hors de leur pays, les ouvrages des Carthaginois ne faisaient parfois que restituer à sa terre d'origine la bonne semence qu'un souffle heureux d'outre-mer leur avait précédemment apportée.

Pendant les trois premiers siècles, de nombreux opuscules célèbrent donc à l'intention des fidèles les incidents glorieux des persécutions. Au commencement du IVe, le paganisme cesse de diriger l'Empire, et, le libre exercice de la religion chrétienne étant reconnu, ce genre d'écrits n'a plus l'occasion de naître. Toutefois le calme ne fut pas de longue durée ; la lutte reprit presque aussitôt à Carthage sous une autre forme. Après avoir résisté aux païens, on eut à se défendre contre les donatistes, qui employèrent, pour propager leur doctrine, le libelle autant que le discours. Saint Optat parle[106] des traités où les catholiques sont bafoués par certains de leurs adversaires.

Cette désignation s'applique peut-être à un contemporain de l'empereur Constant, Vitellius, dont Gennadius signale l'activité intellectuelle[107]. Elle pourrait viser aussi l'évêque Donatus le Grand et son successeur Parmenianus qui, d'après saint Jérôme et saint Optat, avaient composé beaucoup d'ouvrages pour les besoins de leur cause[108]. Il est difficile de croire, dit justement de ce dernier M. l'abbé Duchesne[109], qu'il n'ait pas rencontré de contradicteurs, et que la polémique n'ait produit aucun livre pour réfuter les siens. De toute cette littérature donatiste — j'englobe sous ce nom commode les œuvres des deux partis — il reste peu de chose. Ce qui subsiste a du moins, pour la ville qui nous occupe, une réelle importance.

En première ligne, se place une adaptation des Actes des martyrs d'Abitina[110]. Interrogatoires, sentences du proconsul, supplices, tout ce que le collecteur a tiré des pièces officielles du greffe est calqué presque mot à mot sur le document authentique. Mais le récit proprement dit est précédé d'une courte préface, qui lui donne une allure tendancieuse, et surtout on l'a fait suivre d'un long appendice, véritable- réquisitoire contre les évêques Mensurius et Cæcilianus. La vaillance des témoins du Christ est opposée à la lâcheté de ces deux traditeurs. On déclare coupables de tous les méfaits ces Pharisiens, ces hypocrites, cause réelle de la mort des martyrs.

Il ne faudrait pas croire que l'emploi de ces expressions injurieuses fût un cas isolé. D'autres morceaux hagiographiques, émanés des dissidents, ne le cèdent guère en violence à cette Pseudo-passion des saints d'Abitina. Qu'un orateur de la secte expose les désordres survenus en 317, lors de la mise en vigueur de la dure loi de Constantin[111], ou que Macrobius, évêque donatiste de Rome, exalte par lettre l'indomptable énergie de ses coreligionnaires Isaac et Maximianus, tués à Carthage vers 348[112], c'est toujours, avec plus ou moins d'atténuation, la même note qui retentit. Les catholiques sont les ministres de l'Antéchrist, des loups cachés sous la peau des brebis ; leurs églises, des cavernes de voleurs ; ils ne savent que commettre des abominations de toute espèce[113]. S'ils ont paru faire trêve un moment, c'était pour mieux préparer leurs  nouvelles attaques. Avec la connivence du proconsul, ils épuisent contre les justes les plus cruels tourments et s'acharnent même sur les cadavres de leurs victimes[114]. Ces deux spécimens des pamphlets donatistes, auxquels il convient peut-être de joindre la Passion du prêtre Marculus[115], nous montrent bien l'état d'exaspération où les mesures de Constantin et les rigueurs de Macarius avaient jeté les schismatiques. Tout en suivant l'indignation populaire, les docteurs du parti s'exprimaient, je suppose, avec plus de modération. Pourtant saint Optai, donne à entendre que Parmenianus était fort agressif contre les catholiques[116], et qu'en s'expliquant sur le baptême, l'unité de l'Eglise, les traditeurs et la pénitence, il déchirait à belles dents ses adversaires[117].

Cédait-on moins, dans l'autre camp, à cette fâcheuse acrimonie ? En l'absence de textes orthodoxes, nous ne saurions donner à cette question une réponse formelle. Il se peut qu'entraîné par l'ardeur de la lutte, on ait eu recours, des deux côtés, à de regrettables procédés de discussion. En tout cas, dans l'ouvrage de saint Optat, qui, seul, représente aujourd'hui la tradition catholique avant saint Augustin, la controverse, sans cesser d'être vive, revêt une forme plus courtoise. Deux éditions, qui parurent à quelques années d'intervalle, en attestent la vogue. Optat s'était inspiré d'un Dossier antérieur, pièces justificatives reliées par un récit, dont M. l'abbé Duchesne a mis récemment l'existence en pleine lumière et rétabli, en quelque sorte, le canevas[118].

Vers la même époque que le livre de saint Optat (seconde moitié du IVe siècle), parurent ceux de Tyconius ; le Bellum intestinum, qui faisait le procès et tendait à démontrer la fausseté du donatisme ; le Liber regularum[119], qui renferme une méthode d'interprétation de la Bible[120], précieuse aujourd'hui pour la critique du texte des anciennes versions latines les Expositiones diversarum causarum, enfin le Commentaire de l'Apocalypse[121]. Bien que tombés d'une plume hétérodoxe, ils obtinrent auprès des fidèles un succès incontestable[122], nulle part, sans doute, aussi complet que dans la capitale du pays. Ceci est vrai encore, ce me semble, de saint Optat et de l'auteur anonyme du Dossier. Aucun des trois n'a probablement vécu à Carthage ; mais ils étaient Africains[123], et, d'autre part, cette ville où le schisme avait pris naissance, qui pouvait en quelque façon le considérer comme son propre mal, était plus disposée que toute autre à faire bon accueil à qui lui offrait le remède.

Toutefois ces écrits n'étaient accessibles qu'à la minorité éclairée ; pour atteindre le peuple, il tallait s'y prendre de façon moins savante. Les harangues donatistes, dont j'ai donné une idée, s'adressaient à toutes les intelligences ; l'infériorité des catholiques sur ce point était sensible. Sans avoir à sa disposition les mêmes moyens, saint Augustin trouva cependant un biais pour pénétrer jusqu'aux plus humbles esprits[124]. C'est à eux qu'il dédia son Psaume contre le parti de Donatus. Une longue série de versets, finissant sur une même rime, y retrace l'histoire sommaire du donatisme, avec un aperçu de ses erreurs doctrinales ; elle se termine par une invitation à la paix et à la concorde. Le morceau est divisé en couplets qui, tous, commencent par une lettre de l'alphabet, depuis A jusqu'à V ; entre chacun d'eux revient le refrain :

Omnes qui gaudetis de pace, modo verum judicate.

En adoptant ce genre de composition, familier aux Africains, saint Augustin avait eu une très heureuse inspiration. Le psaume abécédaire ne pouvait manquer de se répandre, et les basiliques de Carthage, comme celles de toute la contrée, durent l'entendre souvent répéter par le chœur des fidèles.

Après la conférence de 411, le donatisme cessa peu à peu d'être une puissance. Il survécut longtemps, mais sans éclat, et les écrivains catholiques purent tourner leurs efforts sur des points désormais plus menacés. Alors, en effet, les entreprises manichéennes, pélagiennes, ariennes, surtout quand ces dernières furent appuyées par les Vandales, mettaient l'orthodoxie en péril. Ses défenseurs furent, le plus souvent, les évêques ou des membres du clergé. Aurelius dirige une encyclique contre les doctrines de Pélage ; son successeur Capreolus s'élève, à diverses reprises, contre Nestorius ; Eugenius compose, pour la conférence de 484, son Liber fidei catholicæ, ainsi que plusieurs ouvrages de controverse et d'apologétique, dont le texte est perdu, mais que Gennadius nous a signalés[125].

Plus tard, c'est le diacre Ferrandus qui combat pour la foi, avec non moins d'ardeur que ces chefs de la communauté[126]. Dans sa correspondance, il s'occupe beaucoup de la Trinité divine, dont les démêlés avec les Ariens faisaient un sujet d'actualité ; il traite encore des deux natures de Jésus-Christ, du baptême. de l'eucharistie ; aux diacres romains qui le consultent sur l'attitude à observer dans l'Affaire des trois chapitres, il donne nettement l'avis des Africains ; à un chef militaire, il indique les moyens de se conduire en véritable fidèle au milieu des camps. Cette lettre est la seule qui touche aux questions morales[127]. Les six autres qui sont arrivées jusqu'à nous, trahissent surtout des préoccupations doctrinales. Sa Breviatio canonum se rattache à un ordre d'idées différent en deux cent trente-deux propositions extraites des canons des principaux conciles, Ferrandus y résume presque toute la discipline ecclésiastique. Beaucoup de ces décisions sont empruntées aux Actes des synodes tenus à Carthage, et le patriotisme local de l'auteur se révèle à la fin quand il spécifie, ut soli Ecclesiæ Carthaginis liceat alienum clericum ordinare ; ut omnes Ecclesiæ ab Ecclesia Carthaginis diem Paschæ audiant tempore concilii[128]. On sent bien que si presque toutes ces règles sont applicables à l'ensemble de l'Eglise, c'est surtout pour la chrétienté à laquelle il appartenait que Ferrandus les a réunies.

Pareil dessein est moins évident assurément dans le Breviarium causæ nestorianorum et eutychianorum de l'archidiacre Liberatus[129]. Ecrit vers 564, d'après des sources orientales, pendant que l'auteur partageait, à Euchaïda, l'exil de son archevêque Reparatus[130], ce livre roule sur l'Affaire des trois chapitres et les interminables discussions qui en résultèrent. La querelle n'était pas bornée à l'Orient ; l'Occident y avait été mêlé, et nous avons vu que l'Afrique se prononça avec la dernière énergie. Quand il traduisait et résumait dans son opuscule divers récits en langue grecque, Liberatus offrait donc à ses frères de langue latine des documents qu'il savait devoir les intéresser. Et comme l'église de Carthage avait pris position dans le conflit et que son clergé avait servi de porte-parole à tout le pays, on peut conjecturer qu'il la visait surtout dans son récit[131]. La mention expresse qu'il fait, au début et à la fin, du sort des délégués africains à Constantinople donne du crédit à cette opinion. Il est à remarquer, en outre, qu'ayant à signaler la convocation de Capreolus au concile d'Ephèse et l'envoi de l'hérésiarque Théodose en Afrique, dans les deux endroits[132] il ajoute au nom de Carthage l'épithète magna, comme s'il voulait lui adresser de loin un souvenir ému.

Sans avoir pour instruire les fidèles de la métropole des raisons aussi pressantes que ses évêques et ses clercs, un certain nombre de personnages qui lui sont étrangers s'y employèrent cependant avec zèle, dans la dernière période de son histoire. Les uns ne firent guère que passer dans ses murs, comme l'évêque de Castellum, Cerealis, qui, provoqué, en 485, par l'arien Maximin, répliqua, dans un discours que nous possédons et qui révèle une profonde connaissance des Ecritures[133] ; ou encore, comme les moines orientaux réfugiés et surtout le fougueux abbé Maxime, qui argumenta contre le patriarche Pyrrhus, exilé de Constantinople, au sujet de la doctrine monothélite et débrouilla pour l'épiscopat africain toutes les obscurités de la dialectique byzantine. Les autres demeurèrent longtemps en cette ville, et plusieurs montrent, en parlant d'elle, qu'ils la connaissent si bien qu'on a pu se demander s'ils n'en étaient pas originaires.

Je pense surtout à l'anonyme du Liber de promissionibus et prædictionibus Dei[134], publié entre 450 et 455[135]. On l'attribuait jadis à saint Prosper ; mais l'auteur, qui est un disciple de saint Augustin, très versé dans les lettres profanes[136], nous donne sur Carthage, tant de renseignements[137], dont j'ai profité, qu'il est difficile de le confondre avec le gaulois Prosper. Son œuvre contient une interprétation méthodique de la Bible. Elle-est pleine, dit-il, de promesses claires ou symboliques faites à l'humanité ; les oracles sibyllins en renferment aussi plus d'une. Déjà nous constatons l'accomplissement de la plupart d'entre elles, c'est un motif de croire que toutes celles qui restent encore à l'état d'espérance se réaliseront à leur tour. Dieu ne sera pas moins fidèle à sa parole, dans l'avenir, qu'il ne l'a été par le passé. Sans nier la piété des Carthaginois, qui aimaient à entendre expliquer l'Ecriture, il est permis de croire que les endroits où l'écrivain narrait, à titre d'exemples, des événements contemporains, risquaient surtout d'être goûtés des lecteurs.

Il en fut ainsi, à plus forte raison, du livre où Victor de Vita raconte la persécution vandale. L'historien, avant d'être évêque de Vita, remplit-il d'assez hautes fonctions ecclésiastiques dans-la capitale ? On l'a affirmé sans paradoxe[138], quoique la preuve formelle n'ait pas encore été fournie. Ce qui demeure hors de conteste, c'est que Victor y séjourna à diverses reprises et qu'il S'attacha fortement à elle. Aussi, quand il se résolut, dans l'exil[139], à redire les malheurs qu'il avait partagés ou que des témoins dignes de foi lui avaient rapportés, le nom de la cité éprouvée entre toutes revenait sans cesse à sa mémoire. Soit qu'il déplore la servitude où elle est réduite et le long silence de désolation qui règne dans son église, soit qu'il vante l'infatigable charité de Deogratias, le courage et les vertus d'Eugenius, soit qu'il raconte la conférence de 484 et les vexations auxquelles se virent en butte les évêques rassemblés, le clergé et les fidèles de cette chrétienté[140], on sent bien qu'il s'arrête à ses maux avec une sorte de prédilection douloureuse, qu'il en souffre comme un fils dont on supplicie la mère[141].

Parmi les étrangers qui prodiguèrent leurs peines et leur talent en faveur de Carthage, le premier rang revient de plein droit à saint Fulgence. Sa famille en était originaire, elle y avait occupé une situation considérable. Expulsée par Genséric, elle dut se retirer au fond de la province. C'est donc par l'effet de circonstances fortuites que le futur évêque de Ruspe naquit à Thelepte de Byzacène[142] et non dans la grande ville du nord. La persécution, qui en avait éloigné ses parents, l'y ramena, au contraire, souvent. Il s'y embarque pour l'exil[143] ; Thrasamund l'y rappelle et l'y retient, curieux de l'entendre discuter des questions théologiques avec les ariens[144] ; il s'y arrête encore lorsque les catholiques bannis rentrent en Afrique[145]. Ces trois séjours, les seuls que mentionne son biographe[146], furent-ils suivis de plusieurs autres ? Il n'y a aucune invraisemblance à le supposer. Mais il n'en avait pas fallu davantage pour qu'une étroite union ait rapproché Fulgence de ce peuple. L'accueil enthousiaste qu'on lui fit à son retour de Sicile[147] est un éloquent témoignage les sentiments qui remplissaient les cœurs. Lui cependant se prodiguait pour répondre à cette confiance ; il instruisait les fidèles et les mettait en état de réfuter les hérétiques[148]. Ce ministère oral, qui produisait des fruits abondants, ne pouvait avoir qu'un temps. Fallait-il donc l'interrompre en s'éloignant ? Fulgence ne le pensa pas, et, nouvel Augustin, il enseigna de loin ceux que sa Voix n'atteignait plus.

Ses voyages l'avaient mis en relations avec mainte église non seulement d'Afrique, mais d'Italie et de Sicile ; l'éclat de ses vertus et sa réputation de sainteté l'avaient fait connaître plus loin encore. De tous côtés lui parvenaient des consultations doctrinales ou morales auxquelles il s'astreignait-à répondre avec soin. Plusieurs de ses ouvrages[149] sont donc adressés à des chrétiens de Rome et même d'Orient. Pourtant, comme il est naturel, Carthage eut la meilleure part. Je n'entends pas parler d'opuscules tels que le Contra Arianos ou l'explication Ad Trasimundum regem Vandalorum, ni de quelques autres qui furent composés pendant que le roi le tenait près de lui[150] et qui n'étaient guère que l'écho de ses discours. Les Carthaginois ont dû les lire, mais sa parole vivante avait alors plus d'attrait pour eux. C'est quand il reprit la route de l'exil, que ses écrits trompèrent leur impatience et leur permirent d'attendre son retour avec plus de calme. Monimus lui avait exprimé des doutes sur la prédestination, et la théorie de saint Augustin relative à cette grave question ne le satisfaisait pas ; il désirait aussi des éclaircissements sur la Trinité divine ; l'évêque lui envoie, en trois livres, la solution des difficultés qui l'arrêtent[151]. Ferrandus, le célèbre diacre, recourt à ses lumières pour être fixé sur la validité d'un baptême conféré dans dés conditions insolites ; il l'interroge, lui aussi, sur le mystère de la Trinité, qui préoccupait alors tous les esprits. Deux longues lettres, deux véritables traités, tout pleins des idées de saint Augustin, viennent dissiper les doutes de Ferrandus[152]. Non content d'élucider pour ses correspondants quelques points du dogme ou de la discipline, Fulgence s'émut des dangers que courait la foi du peuple en général sous une administration arienne. Pour le prémunir contre l'erreur, il lui adressa de son lieu d'exil une lettre, malheureusement perdue, dont son biographe fait le plus grand éloge[153]. N'est-ce point aussi à Carthage qu'il dut prononcer son sermon en l'honneur de saint Cyprien[154] ? La mémoire de l'illustre martyr vivait toujours dans sa ville épiscopale ; et qui pouvait, mieux y parler de lui que l'évêque qui imitait sa sollicitude pour la sauvegarde des âmes ?

Les allusions à saint Cyprien, à saint Augustin, ne sont pas rares dans Fulgence[155], il aime à s'appuyer sur ces docteurs pour expliquer les vérités de l'Evangile. Nous venons de constater qu'il les avait de même pris pour modèles dans sa conduite ; comme eux, il s'employa avec zèle pour le bien de cette église, il y multiplia les œuvres de charité. Ne soyons donc pas étonnés si les habitants, dans leur gratitude, réclamaient et lisaient avidement ses traités[156]. Ferrandus, qui s'en porte garant, appelle l'évêque de Ruspe son père et son maitre[157]. Ce sont bien aussi les deux noms que lui aurait décernés la piété reconnaissante des Carthaginois.

De Tertullien à Fulgence, la liste est longue des auteurs qui ont illustré, parmi eux, les lettres chrétiennes. Leur action ne s'exerça pas toujours avec le même bonheur sur la population, les circonstances et la valeur particulière de chacun creux la rendirent plus ou moins efficace. Mais, s'ils diffèrent par le caractère et, le talent, sous un certain aspect, ils se ressemblent tous. Pour eux, en effet, écrire n'est pas un passe-temps, non plus que parler. Dans leurs livres comme dans leurs discours, ils ne cherchent qu'à exposer la doctrine, à maintenir et à développer la croyance catholique. Se faire comprendre du plus grand nombre de lecteurs, fût-ce aux dépens du style, voilà donc ce qu'ils désirent avant tout, et saint Augustin parait avoir énoncé leur devise lorsqu'il disait : Melius est reprehendant nos grammatici, quanm non intelligant populi[158].

 

 

 



[1] Saint Jérôme, De viris illustr., 53.

[2] Eusèbe, Hist. eccl., II, 2, 4 : Τερτυλλιανὸς τοὺς Ῥωμαίων νόμους ἠκριβωκώς, ἀνὴρ.

[3] De pallio, 1.

[4] Apologétique, 9.

[5] De idol., 15. La première opinion doit être acceptée si l'on attribue, avec Nœldechen, le De idololatria à 197 ; la seconde, si l'on suit M. Monceaux, qui le retarde jusqu'en 211 ou 212 (Tert., p. 89, 92). Sur les allusions historiques de Tertullien en général, voir Monceaux, Tert., p. 78-81.

[6] Scorpiace, 6 ; De pallio, 4.

[7] Ad Scapulam, 3.

[8] De resurrect. carnis, 42.

[9] De spectaculis, 26.

[10] Apologétique, 16 ; Ad nat., I, 14.

[11] Apologétique, 20.

[12] De idol., 9 ; voir aussi, 17.

[13] Adv. Judæos, 1.

[14] De jejunio, 12.

[15] Apologétique, 23 : cf. De anima, 28.

[16] De spect., 25 : De cælo, quod aiunt, in cænum.

[17] Adv. Valentin., 3 : Te in infantia inter somni difficultates a nutricula audisse Lamiæ turres et pectines Solis.

[18] Voir, en particulier, Apologétique, 6 : Video enim et centenarias cœnas... Video et theatra... Video et inter matronas...

[19] Voir, par exemple, De cultu femin., 5-8 ; De vig. vel., 12.

[20] De spectaculis.

[21] De idol., 3-8.

[22] Saint Jérôme (De viris illustr., 53) ne nomme avant lui que l'évêque de Rome, Victor, et le philosophe Apollonius ; on a voulu de nos jours y joindre Minucius Félix ; mais le texte de saint Jérôme est formel.

[23] Harnack, Gesch., I, p. 669.

[24] Apologétique, 1, début, note d'Œhler. On a parfois soutenu, en prenant dans le sens matériel les mots in aperto et edito ipso fere verlice civitatis præsidentibus ad judicandum, qu'il s'agissait des magistrats de Carthage, devant qui les chrétiens comparaissaient à Byrsa, ou même de tout l'Empire, car on sommait les fidèles de sacrifier dans les capitoles ; mais l'expression Romani imperii antistites leur conviendrait-elle ?

[25] Sur les diverses interprétations du De pallio, voir Boissier, Pagan., I, p. 282-287.

[26] Boissier, Pagan., I, p. 295.

[27] Il ne remonte pas au-delà de 208-209 (Monceaux, Tert., p. 84, 91).

[28] Pagan., I, p. 292-303.

[29] De doctrina christiana, IV, 14, 31. En revanche, il le loue souvent ; cf. ibid., IV, 21, 45-49 ; Serm., CCCXII, 2 et 4 ; Contra duas epistolas Pelagianorum, IV, 8, 21.

[30] Cet écrit serait, suivant Tillemont (Mém., IV, p. 52 sq.), l'un des premiers que saint Cyprien ait composés. Voir Couture, Le « cursus » ou rythme prosaïque dans la liturgie et dans la littérature de l'Eglise latine (C. R. du Congrès internat. des catholiques, 1891, V, p. 106 sq.).

[31] Boissier, Pagan., I, p. 299, 381 sq. J'ai en vue des expressions telles que (7) celebritatem offendes omni solitudine tristiorem ; (10) ut reus innocens pereat, fit nocens judex ; (12) auro... possideri magis quam possidere.

[32] Ad Donatum, 7-12.

[33] De lapsis, 6.

[34] De lapsis., 25 ; Havet, p. 44 sq.

[35] Saint Jérôme, De viris illustr., 53 ; Epist., XLII ; Tillemont, Mém., IV, p. 51-53.

[36] Je ne m'occupe ici que des traités authentiques.

[37] Ad Donatum, 1 ; Ad Quirinum, préf. ; Ad Fortunatum, 1.

[38] Boissier, Pagan., II, p. 351.

[39] Voir ci-dessus, L. V, chap. 3.

[40] De mortalitate, 14-16 ; Ad Demetrianum, 10-11 ; cf. Vita Cypriani, 9.

[41] Ad Demetrianum, 10.

[42] Ad Demetrianum, 12.

[43] Epist., XVIII, 1.

[44] De opere et eleem., 21.

[45] Enarr. in psalm., XXXII, enarr. serm. 1 et 2 ; XXXVI, serm. 1-3 : XXXVIII ; XLIV ; L ; LV ; LXXII (?) ; LXXX ; LXXXV ; LXXXVI (?) ; CIII, serm. 14 ; CXLVI (?) ; Serm., IX (?) ; XIII ; XIV ; XV ; XIX : XXIII ; XXIV ; XXVI (?) ; XXIX ; XXXIV ; XLVIII ; XLIX ; LIII ; LXII ; XC ; CXI ; CXII ; CXIV ; CXXXI ; CXXXVIII ; CL ; CLI ; CLII ; CLIII ; CLIV ; CLV ; CLVI ; CLXIII ; CLXV ; CLXIX ; CLXXIV ; CLXXIX ; CCLV (?) ; CCLVI (?) ; CCLVIII ; CCLXI ; CCLXXVII ; CCXCII ; CCXCIV ; CCCV ; CCCXI ; CCCXII ; CCCXIII ; CCCLVII ; CCCLVIII.

[46] Serm., XIV ; XLIX ; CXXXI ; CLXXIV.

[47] Serm., CCLXI.

[48] Serm., XXIX.

[49] Enarr. in psalm., XXXII, enarr. II, serm. 1 (cf. 2, 1) ; LXXII (?) ; LXXXV (?).

[50] Serm., CCXCIII.

[51] Serm., CCCV.

[52] Serm., CCLV (?) ; CCLVI (?) ; CCLVIII.

[53] Serm., CCXCIV.

[54] Serm., CCLXXVII.

[55] Serm., CLVI.

[56] Indiculus Possidii (P. L., XLVI, col. 16) ; ces deux discours sont perdus.

[57] Serm., CCCIX-CCCXIII.

[58] Enarr. in psalm., L, 11.

[59] Serm., LXII, 9-10.

[60] Serm., CCCLVII ; CCCLVIII.

[61] Serm., XIX, 6.

[62] Serm., CL, 3.

[63] Serm., CLVI, 1 ; cf. CLIII, 1.

[64] Enarr. in psalm., XXXVIII, 23 ; Serm., CLI, 1 ; CLIV, 1.

[65] Epist., CLI.

[66] Enarr. in psalm., XXXII, enarr. II, serm. 1, 12 ; 2, 1 et 29 : LXXX, 23 ; Serm., XLVIII, 8 ; XLIX, I ; CXI, CLII, 1 ; CLIV, 1.

[67] Enarr. in psalm., LI, 1 ; mais cette homélie fut-elle prononcée à Carthage ?

[68] Enarr. in psalm., L, 1 ; LXXX, 1 ; Serm., CLIV, 1.

[69] Enarr. in psalm., LXXXV, 21 ; Serm., XXIV, 6 ; CLI, 8.

[70] Enarr. in psalm., XXXII, enarr. II, serm. 2, 29 ; Serm., XIX, 6.

[71] Enarr. in psalm., XXXIX, 10 ; L, 1 ; LXXX, 23 ; CXLVII, 7 ; Serm., LI, 1-2.

[72] Possidius, Vita Aug., 6 et 17.

[73] Epist., CXCIII, 1 : De octo Dulcitii quæstionibus, préf. ; De gestis Pelagii, 22, 16 ; De gratia Christi, I, 1.

[74] Il le dit lui-même expressément (Enarr. in psalm., XXXVI, serm. 2, 1) : cum cordis nostri negotium semper sitis, sicut et nos vestri.

[75] Epist., XXII, 1-6 ; cf. Serm., CCCXI, 5.

[76] Epist., XLI.

[77] Epist., LX.

[78] Epist., CLXXIV ; Retract., II, 15, 1.

[79] De gest. Pel., 1 ; Retract., II, 41.

[80] De opere monach., 1 ; Retract., II, 21.

[81] De hæres., introd. ; Epist., CCXXI-CCXXIV.

[82] De cat. rud., 1 ; Retract., II, 14.

[83] Epist., CCXVII, surtout 2.

[84] Retract., II, 11.

[85] Epist., CLI, surtout 3.

[86] Epist., CL ; CLXXXIII.

[87] Epist., CCLXIII, surtout 2.

[88] Retract., I, 23, 1 ; 26. Ce sont l'Exposilio quarumdum propositionum ex Epistola ad Romanos et le De diversis quæstionibus LXXXIII.

[89] Retract., II, 31, 33, 36. Ce sont les Quæstiones sex contra Paganos expositæ, le De peccatorum meritis et le De gratia Novi Testamenti. L'Indiculus de Possidius mentionne encore six lettres adressées aux fidèles ou au clergé de la capitale (P. L., XLVI, col. 6, 12, 11, 15) ; nous ne les possédons plus.

[90] Passio, 3-13 : Robinson. p. 43 ; Harnack, Gesch., I, p. 681.

[91] Cf. Augustin, Serm., CCLXXXVI, 7.

[92] Robinson, p. 15.

[93] Harnack, Gesch., I, p. 729 sq. ; Krueger, p. 175.

[94] Edit. Hartel, III, p. CX-CXIV ; Harnack, Gesch., I, p. 820 sq. ; Krueger, p. 242.

[95] Harnack, Gesch., I, p. 820 sq. ; Krueger, p. 242.

[96] Passio ss. Montani..., 1-11 (Ruinart, p. 230 sqq.) ; Harnack, Gesch., p. 730. M. Pio Franchi de' Cavalieri a soutenu récemment (Gli atti de' ss. Montano..., p. 23) que la lettre des martyrs était una innocente invenzione dell'agiografo, diretta a rendere piu viva la esposizione e suggeritagli dal suo illustre modello, la Passion de sainte Perpétue. Je ne saurais discuter cette opinion, ne connaissant le livre où elle est exposée que par l'analyse assez détaillée du Nuovo bullettino di archeologia cristiana (IV, 1898, p. 244-245). Mais, qu'il faille attribuer la Passion entière à un seul rédacteur ou que la première partie ait été réellement écrite par le martyr Flavianus au nom de tous ses compagnons, l'influence des Actes des Thuburbitains est sensible d'un bout à l'autre du morceau.

[97] Passio ss. Montani..., 4, 6.

[98] Passio ss. Montani..., 10-11.

[99] Acta sanctorum Saturnini, Dativi et aliorum plurimorum Martyrum in Africa (Ruinart. p. 382-390) ; P. L., VIII, col. 103-115 ; Harnack, Gesch., I, p. 822 ; Krueger, Gesch., p. 243.

[100] Acta sancti Maximiliani martyris (Ruinart, p. 300-302) ; Harnack, Gesch., p. 821 ; Krueger, Gesch., p. 243.

[101] Acta sancti Felicis episcopi et martyris (Ruinart, p. 355-351) ; P. L., VIII, col. 619-688 ; Harnack, Gesch., I, p. 822 ; Krueger, Gesch., p. 243.

[102] De orat., 16 ; De pudic., 10 et 20 ; cf. De bapt., 6.

[103] Harnack, Gesch., I, p. 52 ; Robinson, p. 26-36 ; Krueger, Gesch., p. 26, 240.

[104] Harnack, ibid., p. 37 sq. ; Robinson, p. 37 sq. ; Krueger, ibid., p. 240.

[105] Harnack, ibid., p. 97 sq. ; Krueger, ibid., p. 164 ; Burkitt, p. CXIX sq.

[106] VII, 4.

[107] De script. eccl., 4.

[108] De viris illustr., 93 : Exstant ejus multa ad suam hæresim pertinentia ; Optat, I, 4 : tractatus tuos, quos in manibus et in ore multorum esse voluisti ; 6 : A te... multa tractata sunt ; VII, 1 : video adhuc vestras vel vestrorum provocationes pullulare ; cf. I, 5, 7-10 ; V, 1-3, 9-10 ; éd. Ziwsa, préf., p. VII-IX.

[109] Dossier, p. 590.

[110] P. L., VIII, col. 688-703 ; Harnack, Gesch., I, p. 745, 3.

[111] Harnack, ibid., p. 749, 37.

[112] Gennadius, De script. eccl., 5.

[113] P. L., VIII, col. 752-758.

[114] P. L., VIII, col. 767-774.

[115] P. L., VIII, col. 160-166.

[116] I, 5 : nisi ut Ecclesiam catholicam tuis tractatibus indigne pulsares.

[117] I, 6 : a te unitatis lacerati sunt operarii.

[118] Duchesne, Dossier, p. 594, 649 sq. ; cf. Harnack, Gesch., I, p. 744 sq. Ce recueil aurait été intitulé : Gesta purgationis Cæciliani et Felicis.

[119] P. L., XVIII, col. 15-66 ; Burkitt.

[120] Burkitt, p. VII, CVII.

[121] Gennadius, De script. eccl., 18 ; Burkitt, p. III.

[122] Augustin, Epist., XLI, 2 ; Gennadius, ibid. ; Burkitt, p. XVIII-XX.

[123] Pour Tyconius, voir Burkitt, p. XI.

[124] Retract., I, 20.

[125] De script. eccl., 97.

[126] P. L., LXVII, col. 887-950.

[127] Encore faut-il observer que Ferrandus achevait ici un sujet que la mort avait empêché saint Fulgence de traiter entièrement (P. L., LXV, Epist., XVIII).

[128] Breviatio canonum, 230-231. Rapprocher de cet ouvrage de Ferrandus le Breviarium canonicum de l'évêque africain Cresconius (P. L., LXXXVIII, 829-942).

[129] P. L., LXVIII, col. 959-1052.

[130] Breviarium, 1 ; cf. P. L., ibid., col. 963-965.

[131] Breviarium, 1 et 21.

[132] Breviarium, 5 et 20.

[133] P. L., LVIII, col. '75'7-168 ; Gennadius, De script. eccl., 96 ; Isidore, De viril illustr., 41.

[134] P. L., LI, col. 733-858.

[135] Burkitt, loc. cit.

[136] Il cite sans cesse Virgile dans la IIIe partie de son ouvrage (P. L., LI col. 817-838).

[137] Les indications qu'il nous fournit permettent de constater sa présence en cette ville en 399 et en 434 (ibid., col. 731 sq., 835, 841 sq.).

[138] Ferrère, Vict., p. 33-37 ; voir pourtant Ebert, I, p. 484 sq.

[139] Ferrère, Vict., p. 42, 44.

[140] Victor de Vita, I, 12, 24, 25-27 ; II, 6-8, 40-44, 47-51, 52-55 ; III, 15-20, 31-44, 49-51, 59 sq. Je néglige à dessein la Passio septem monachorum, parce que l'attribution qu'on en fait à Victor de Vita est incertaine.

[141] Je relève, par exemple, cette phrase caractéristique (III, 31) : In ipsa quoque quæ gesta surit Carthagine si nitatur scriptor singillatim astruere, etiam sine ornatu sermonis nec ipsa nomina tormentorum poterit edicere.

[142] Vita Fulg., 4. Ce n'est pas le lieu de discuter l'identité de Fabius Planciades Fulgentius et de l'évêque de Ruspe. Il est certain que l'auteur des Mythologiæ et de la Virgiliana continentia était africain, comme l'évêque, et avait aussi des relations avec Carthage ; ces deux ouvrages sont adressés à Catus, prêtre ou archidiacre de cette ville. Voir sur cette question Ebert, I, p. 506-513 ; Teuffel, p. 1238-1242, § 480 : L. Delisle, Journal des Savants, 1899, p. 127 ; Helm, Der Bischof Fulgentius und der Mythograph (Rhein. Museum, LIV, 1899, p. 111-134) ; id., Fulgentius : De ætatibus mundi (Philologus, 1896, p. 253-289) ; id., préface de Fabii Planciadis Fulgentii v. c. opera, Leipzig, 1898 ; Lejay, Rev. crit., 1899, I, p. 284-287.

[143] Vita Fulg., 40.

[144] Vita Fulg., 45.

[145] Vita Fulg., 55-57.

[146] J'omets un quatrième voyage, le premier en date, parce que Fulgence, voulant s'embarquer secrètement pour l'Egypte, où il comptait pratiquer la vie cénobitique, s'arrangea de manière à passer inaperçu à Carthage (ibid., 23).

[147] Vita Fulg., 40, 45-46, 48, 55-57.

[148] Vita Fulg., 45.

[149] Les écrits de saint Fulgence ont été publiés par Migne, P. L., LXV.

[150] Vita Fulg., 46-48 ; P. L., LXV, col. 114.

[151] P. L., LXV, col. 106 sq., 114, 151-206.

[152] P. L., LXV, col. 378-435.

[153] Vita Fulg., 51.

[154] Serm., VI.

[155] Pour saint Cyprien, Ad Trasimundum, II, 14, 16-17 ; De remissione peccatorum, I, 21 ; Contra Fabianum fragmenta, XI ; pour saint Augustin, Ad Monimum, I, 2, 27-30 ; II, 12-15 ; Epist., XIV, 14, 17, 28, 34, 38 ; XVIII, 7-8 ; De Trinitate, 11 ; De veritate prædestinationis, II, 30 ; III, 28.

[156] Epist., XIII, 3 ; cf. Vita Fulg., 40, 43, 46.

[157] Epist., XIII, 1-3.

[158] Enarr. in psalm., CXXXVIII, 20.