CARTHAGE ROMAINE

 

LIVRE DEUXIÈME. — TOPOGRAPHIE

CHAPITRE I. — RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX.

 

 

I. — EMPLACEMENT DE LA VILLE.

Il n'y a guère eu de dissentiments parmi les modernes sur la situation de Carthage. Presque tous s'accordent à la circonscrire, au nord-est de Tunis, dans la portion de territoire comprise entre la sebkha de La Soukra ou sebkha er Riana, sebkha er Rouan, au nord-ouest, la mer au nord, à l'est et au sud, la sebkha el Bahira ou lac de Tunis au sud-ouest et la plaine à l'ouest. Cette vaste étendue de terrain formait une presqu'île dans l'antiquité[1] ; les alluvions de la Medjerda (Bagradas), en modifiant peu à peu tout le littoral, ont rattaché la presqu'île d'une façon plus solide à la terre ferme ; elle n'apparaît, à l'heure actuelle, que comme une sorte d'éperon. Mais il est indispensable de ne pas perdre de vue l'ancien état des lieux, si l'on veut comprendre quelque chose à la topographie carthaginoise.

Le concert des savants n'est pourtant point unanime ; deux voix discordantes se font entendre. Au XVIIIe siècle, Lithgow confond Carthage et Tunis[2] : C'est sur l'emplacement de Tunis que s'élevait jadis Carthage... Cette ville est située dans le fond d'une baie, où la mer, ayant entamé un mille du rivage, forme un large et sûr abri pour les vaisseaux et les galères. Le port et la ville sont protégés contre les invasions venant du large par la grande et solide forteresse de Galetto (La Goulette) construite sur un haut promontoire qui domine l'étendue du large et commande l'embouchure de la baie. On ne s'explique guère que cette grave erreur ait pu se produire : la configuration du sol de Tunis ressemble si peu à celle de Carthage ! Qu'est-ce pourtant que cette supposition maladroite auprès de l'hypothèse inouïe de Rabusson et Bezinge ? Ces deux auteurs exposent[3] que, la tourmente arabe ayant fait perdre à l'Europe tout rapport avec l'Afrique, les notions que l'on possédait sur cette contrée furent brouillées. Il ne faut pas s'étonner qu'on se soit mépris sur Carthage quand on s'était ainsi mépris sur le reste ; il ne faut pas s'étonner qu'on l'ait portée à 80 lieues du point on elle a existé. Ils racontent ensuite le plus sérieusement du inonde qu'ils ont puisé dans Hérodote, Polybe, Appien, Salluste, Tite Live, Strabon, Diodore, Orose et Procope. Et de tous ces écrivains ils ont extrait, entre autres merveilleuses découvertes[4], que la fameuse ville de Carthage prise par Scipion n'est autre que la ville actuelle de Bougie de l'Algérie... que la position géographique de Carthage retrouvée change complètement la face de la province romaine, que l'on a jusqu'à présent placée clans la Tunisie, tandis que sa place a été au centre de l'Algérie. Rabusson a sa théorie à cœur ; il la produit à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres[5] ; il la répète dans un autre ouvrage[6] : Carthage a existé à Bougie de l'Algérie, c'est-à-dire à 100 lieues[7] du point où on la plaçait jusqu'ici. Il a été retrouvé, à la bibliothèque de Paris, un plan de la ville de Bougie qui remonte au temps où cette ville était Carthage et reproduit les dispositions nautiques de son port resté si célèbre. La contrée à laquelle on a jusqu'ici attribué Carthage n'est autre que la pentapole libyque... Les ruines attribuées à la ville de Carthage sont celles de Ptolémaïs, Bizerte n'est autre que Bérénice...

Ce serait faire trop d'honneur à ce système que de le combattre ; il suffit de citer de pareilles billevesées pour en faire justice. Si l'auteur eût pris la peine de lire Polybe, il y aurait appris que Carthage se trouve entre Utique et Tunis[8] ; Appien lui aurait montré la ville assise tout au fond d'un vaste golfe[9] ; et le tableau que Strabon nous a laissé de ce golfe et de ses côtes[10] ainsi que les indications de Pline[11] eussent achevé de le convaincre. Bougie ne répond en aucune manière à ces descriptions.

Nous possédons du reste aujourd'hui une série de preuves qui valent mieux que les phrases les plus explicites des anciens ce sont les découvertes de tout genre dues aux explorateurs et surtout au P. Delattre. En présence de ces inscriptions innombrables, de ces tombeaux, de ces restes de monuments, basiliques, maisons, citernes, aqueduc, etc., tout homme de bonne foi doit se rendre. On peut encore puiser dans les historiens et les géographes latins ou grecs un supplément d'informations ; mais leurs ouvrages, qui étaient, il y a peu d'années, l'unique ressource de quiconque voulait étudier Carthage, passent maintenant au second rang ; les plus précieux documents se trouvent sur le terrain, au musée de Saint-Louis et dans le Corpus des inscriptions latines. C'est à Carthage même qu'il faut désormais demander son secret ; je dis à la Carthage tunisienne, non point à l'imaginaire cité dont Bougie recouvrirait les décombres.

Une seconde question se pose. La presqu'île était immense, Strabon lui attribue 360 stades (un peu plus de 15 lieues) de circonférence[12] ; faut-il croire que la ville en couvrait la superficie tout entière ? Sinon, quelle étendue était habitée ; dans quelle région les maisons s'étaient-elles groupées ; de quel côté doit-on chercher les ports et la citadelle ? Il ne s'agit pas ici de discuter sur le développement de l'enceinte punique et d'examiner si elle enserrait tout ce territoire, comme le pensent, après Strabon[13], Barth[14] et Tissot[15], ou si le Djebel Khaoui restait hors des murs, selon les idées de Falbe[16], de Dureau de la Malle[17], de Spruner[18]. Le seul problème à résoudre est celui-ci : la partie vivante de la cité était-elle au nord-ouest de la péninsule, en face d'Utique, ou, au contraire, au sud-est, vis-à-vis de Tunis ? Depuis Falbe, tous les savants se sont rangés à cette dernière opinion, que Humbert et Chateaubriand avaient déjà soutenue. Auparavant, Belidor, Shaw, d'Amine et Estrup, puis Ritter, d'après Estrup[19], admettaient l'hypothèse opposée. Ils se trompaient. Davis, Beulé, M. de Sainte-Marie, le P. Delattre, d'autres encore, ont pratiqué des sondages à Gamart et au Djebel Khaoui ; leurs efforts y sont demeurés presque stériles, tandis qu'ils ont été couronnés de succès entre Sidi Bou Saïd et Le Kram. Ils n'ont rien extrait du Djebel Khaoui, parce qu'il ne renferme rien qu'une nécropole, et que jamais, depuis l'origine jusqu'à la ruine finale de 698 après Jésus-Christ, Carthage ne s'éleva autre part que dans la. partie méridionale de la péninsule.

Cette conclusion se dégage aussi d'une phrase d'Appien : Un isthme, large de 25 stades, séparait la péninsule du continent. De cet isthme, une bande de terre étroite et longue, large de 1 demi-stade environ, se détachait pour courir vers l'occident ; elle séparait le lac (λίμνη) et la mer[20] ; le mot λίμνη est décisif. S'il se fût agi d'un golfe — et Estrup lui-même désigne sous ce nom la portion de nier où. s'étend aujourd'hui la sebkha de Soukra —, l'auteur grec eût préféré, comme il le fait quelques lignes plus haut en parlant du golfe de Carthage, le mot κόλπος ou tel autre du même genre. En écrivant λίμνη, il entendait désigner, ainsi que l'a bien vu Falbe[21], la sebkha el Bahira ou lac de Tunis. Au surplus, la terre, de ce côté, s'effilait en une mince langue de sable qui existe encore ; c'est par contre une supposition toute gratuite que d'imaginer une tænia au nord-ouest de la presqu'île.

Dureau de la Malle invoque encore deux autres raisons contre la théorie d'Estrup[22] : d'abord la distance relevée par Polybe et Tite Live entre Tunis et Carthage[23] ; ensuite, ce fait rapporté par Polybe, Diodore, Tite Live, Justin, que de Carthage on voyait Tunis et que de Tunis on apercevait fort bien Carthage et la mer qui l'environne. Je me borne à rappeler d'un mot ce double argument, sans m'excuser toutefois d'avoir consacré quelques pages à ces éclaircissements préliminaires. Il était indispensable, avant d'entrer clans le détail, de dire où se dressait la ville détruite par Scipion.

 

II. — LA COLONIE ROMAINE SUCCÈDE À LA VILLE PUNIQUE.

Que subsistait-il de Carthage lorsque C. Gracchus y amena ses colons ? Fort peu de chose, si l'on s'en rapporte à Appien et à Orose. Le premier raconte[24] qu'à la fin du siège Scipion, déjà maitre du port et des bas quartiers, voulant livrer à la citadelle le suprême assaut, fit mettre le feu aux maisons des trois rues qui montaient du forum à Byrsa. C'étaient de hauts édifices de six étages. Pour aider à l'action de l'incendie, les soldats les attaquaient par la base ; bientôt tout s'écroulait d'une seule masse avec un épouvantable fracas. A son tour, le temple d'Esculape, qui couronnait l'acropole, s'anima dans les flammes. Appien parsème son récit d'expressions très fortes, qui montrent bien que, pour fui, la ruine fut complète[25]. Ce texte, malgré son énergie, semble encore moins absolu que le passage célèbre d'Orose[26] : La ville brûla pendant dix-sept jours de suite, offrant ainsi aux vainqueurs un spectacle lamentable des vicissitudes humaines. Carthage fut détruite et toutes les pierres de ses murailles réduites en poudre, sept cents ans après sa fondation. Si l'on accepte dans toute leur rigueur et l'ordre intimé à Scipion par les décemvirs et les anathèmes lancés contre la vieille ennemie du nom romain, il faut admettre aussi l'affirmation d'Appien et celle d'Orose, car le sénat défendait d'une manière formelle qu'il restât pierre sur pierre dans la cité par laquelle Rome avait failli périr.

Dureau de la Malle s'insurge contre ces témoignages et déclare que le simple bon sens réfute l'assertion d'Orose[27]. Il taxe de même Cicéron d'hyperbole quand l'orateur dit que les Romains détruisirent de fond en comble Carthage et Corinthe[28]. Il refuse de croire que le delenda Carthago ait produit son plein effet ; et sa conviction est que le fameux etiam periere ruinæ, s'il caractérise exactement l'état actuel du sol, ne saurait le représenter au moment où les premiers colons y débarquèrent. A l'entendre[29] les moyens manquaient à Scipion pour anéantir la rivale de Rome. Obligé de retourner en Italie, impatient d'obtenir le triomphe, contraint par les commissaires sénatoriaux de distraire une partie de ses troupes pour démolir les villes qui avaient soutenu Carthage, le général n'eut ni le temps, ni les bras nécessaires pour accomplir cette tâche immense. Aussi bien la devotio n'inspirait plus à une âme comme la sienne la même terreur religieuse qu'aux Romains d'autrefois ; il ne pouvait pas craindre, en n'accomplissant pas à la lettre l'ordre contenu dans la formule sacrée, de faire retomber sur lui et sur sa patrie les malédictions d'en haut.

Si la Carthage punique avait été bâtie comme nos villes modernes, je serais facilement d'accord avec Dureau de la Malle. Mais l'érudit écrivain se faisait peut-être illusion à ce sujet. Il est certain que les architectes carthaginois se servirent souvent de la pierre ; sans parler des tombeaux, elle était assurément employée dans les temples et, d'une façon générale, dans les monuments publics ; Appien dit même qu'elle entrait, ainsi que le bois, dans la construction des maisons des rues qui mont aient à Byrsa[30]. Toutefois les recherches du P. Delattre dans la nécropole de Douïmès permettent de soupçonner que l'usage des grandes briques crues, séchées au soleil, était aussi répandu. Il a rencontré plusieurs murs formés de ces matériaux peu résistants[31], analogues à ceux que les peuples sédentaires du Sahara utilisent encore aujourd'hui. S'il était démontré que les petites gens s'en contentaient pour leurs demeures, Scipion n'aurait éprouvé aucune difficulté pour détruire une grande partie de la ville, et l'objection de Dureau de la Malle perdrait beaucoup de sa valeur. Même en acceptant son système, et en nous figurant comme lui que Gracchus dut trouver un grand nombre d'édifices subsistants, les uns entiers, les autres endommagés par le feu, n'est-il pas de toute évidence qu'après les vicissitudes sans nombre subies par Carthage romaine pendant huit siècles, aucun monument punique n'a pu rester à la surface du sol ? Quel que soit donc l'intérêt du problème, que Scipion ait fait table rase ou que ce qu'il épargna ait disparu peu à peu, c'est maintenant tout un pour nous.

Et cependant Dureau de la Malle poursuit : Comme nous savons positivement... que Carthage, depuis son rétablissement, resta une ville ouverte, jusqu'à la seconde année de Théodose II, où on lui permit de se fortifier ; comme nous savons que Bélisaire, qui releva ses murs, eut peu de temps et d'argent pour cet ouvrage, on peut regarder comme certain que ces grands débris de murs, ces substructions de tours de 300 pieds de front, de môles, de quais, de murailles tracées sur le plan de M. Falbe, appartiennent exclusivement à la Carthage punique[32]. Dureau de la Malle faisait tout à l'heure appel au bon sens contre Orose, nous serions en droit de lui rendre la pareille. Comment supposer que les murailles demeurèrent à l'état de ruine depuis 146 jusqu'en 425 ? Si les Romains ont détruit quelque chose, n'est-ce pas les murailles de préférence à tout le reste ? De telle sorte que le mot d'Orose, qui l'indignait si fort, pourrait bien n'être que l'exacte expression de la vérité[33].

La colonie de C. Gracchus, installée sans doute à l'endroit même où Scipion avait porté le fer et le feu[34], végéta pendant longtemps jusqu'au jour où Auguste s'employa de tout son pouvoir à la vivifier. J'ai peine à me figurer que, pendant ce premier siècle d'existence précaire, quand il fallait se préoccuper non du superflu, mais du nécessaire, aucune construction de quelque importance ait été élevée. De pauvres cabanes, des demeures bâties à la hâte, tels furent, durant cette période, les abris des habitants ; la légende de Marius en fait foi. On vivait, c'était beaucoup. Plus tard, lorsqu'on fut sûr du lendemain et que la protection impériale eut garanti contre tout accident la cité déjà adulte, les arts s'y épanouirent, l'architecture y produisit de somptueux monuments, dont le sol conserve encore quelques traces ou dont le souvenir est parvenu jusqu'à nous. C'est de ces monuments de toute espèce qu'il me reste à parler.

Pour nous rendre compte de ces transformations matérielles, le mieux serait de suivre l'ordre des temps. Mais la plupart des questions auxquelles je vais toucher sont trop obscures pour qu'on applique cette méthode avec quelques chances de succès. Tout ce qu'il est pratique de tenter à l'heure actuelle, c'est une exacte révision par quartiers de ce que nous connaissons de remarquable. A l'ordre chronologique je substituerai donc l'ordre géographique ; un dernier chapitre contiendra tout ce dont la situation, même approximative, n'est point éclaircie. En prenant cette voie, moins attrayante sans doute, mais plus sûre que l'autre, j'ai conscience de ne soumettre à qui lira ce livre que des faits appuyés sur des documents authentiques.

 

 

 



[1] Polybe, I, 73, 4-5 ; Appien, Puniques, 95 ; Strabon, XVII, 3, 14 ; Falbe, p. 13 sq. ; Dureau, p. 30, 119 ; Tissot, G., I, p. 565 sq. ; Atlas, III, Porto-Farina, El Ahana, La Marsa, Carthage ; Babelon, Carth., plan ; Meltzer, II, p. 151 sq. Sur l'ensemble de la presqu'île, voir ibid., p. 153-167.

[2] Lithgow, p. 356.

[3] Rabusson-Bezinge, p. 7.

[4] Rabusson-Bezinge, p. 12.

[5] Moniteur universel, 13 oct. 1864, p. 2, col. 5 et 6.

[6] Rabusson, p. 1.

[7] On nous disait tout à l'heure 80 : mais à 20 lieues près qu'importe ? Daux (p. 278-280) s'est moqué avec esprit de Rabusson.

[8] I, 13, 5.

[9] Puniques, 95.

[10] XVII, 3, 16.

[11] H. N., V, 4, 23.

[12] XVII, 3, 14.

[13] XVII, 3, 14.

[14] I, p. 83-86.

[15] Géographie, I, p. 576-583 et le plan ; cf. Davis, p. 467.

[16] P. 47 sq. et la carte.

[17] Pl. II.

[18] Spruner-Menke, Atlas antiquus, 3e éd., pl. XIII.

[19] Belidor, p. 37 ; Estrup, p. 18-29 ; Ritter, III, p. 202 sq. ; cf. Dureau, p. 1-4, pl. 1.

[20] Puniques, 95.

[21] P. 16, n. 1 ; cf. Babelon, Carth., p. 120.

[22] Dureau, p. 8-10.

[23] Il ne faudrait pas faire trop de cas de ce double renseignement, car Polybe (I, 67 ; XIV, 10) compte 120 stades (21km,288) entre les deux villes, et Tite Live (XXX, 9) 15 milles (22km,177) ; or la distance entre Tunis et Gamart n'est guère que de 20 kilomètres. Remarquons, du reste, que les deux historiens s'expriment d'une façon peu précise.

[24] Puniques, 128-131.

[25] Puniques, 132, 133.

[26] IV, 23, 5-6.

[27] Dureau. p. 103. Beulé (Fouilles, p. 10 sq., 35) approuve fort Dureau de la Malle ; MM. S. Reinach et Babelon (Rech., p. 40) paraissent aussi lui donner raison lorsqu'ils disent de Carthage punique que le sous-sol n'est pas, comme on l'a prétendu souvent, une couche épaisse de débris réduits en poussière et que des fouilles systématiques et profondes (pourraient) rendre au jour les fondations de ses édifices, de ses citernes, les alignements de ses rues. Mommsen (IV, p. 335) se prononce avec beaucoup de vigueur en sens contraire : Duruy (II, p. 139), Labarre (p. 3 sq.) et MM. Cagnat et Saladin (p. 102) le suivent.

[28] De lege agr., II, 32 : funditus sustulerunt.

[29] P. 103-116.

[30] Puniques, 129.

[31] Delattre, Douïmès, p. 268 sq., 272, 316, 387.

[32] Dureau, p. 32, 68, 110. Sur cette manie de voir partout du punique, Maltzan (I, p. 304 sq.) a écrit une page fort juste ; cf. Estrup, p. 13, 17 ; Daux, p. 175 ; Delattre, Tun., p. 366.

[33] Lucain (Pharsale, IV, v. 585) représente la flotte de Curion stationnant (707/47)

inter semirutas magnæ Carthaginis arces

et Clupeam.

Dureau de la Malle (p. 68, n° 1 ; p. 118) s'appuie sur ce vers pour démontrer que Scipion n'anéantit pas Carthage ; c'est faire trop de cas d'une description purement poétique.

[34] Estrup (p. 11, 17, 31) et Ritter d'après lui (III, p. 200, 293 sq.) soutiennent presque seuls que la colonie s'installa assez loin (Marcus, p. 335 sq., dit à quelque distance) des ruines puniques ; mais, comme ils placent la ville primitive an nord de la presqu'ile, la cité romaine se trouve pour eux au sud, c'est-à-dire justement à la place qu'elle occupa. Procope (Bell. Vand., I, 20) raconte que la flotte de Bélisaire, lorsqu'elle se présenta devant Carthage, était trop nombreuse pour entrer tout entière dans le port. L'amiral la mit à l'abri dans le lac de Tunis. Tὸ δὲ Στάγνον ἐφαίνετο ἐν καλῷ κεῖσθαι, ajoute l'historien, (μέτρῳ γὰρ σταδίων τεσσαράκοντα Καρχηδόνος διέχει) ἐμπόδιόν τε οὐδὲν ἐν αὐτῷ εἶναι καὶ πρὸς τὸν στόλον ἅπαντα ἱκανῶς πεφυκέναι. La description convient au lac, et le mot Στάγνον, traduction du latin staganuia (cf. Babelon, Carth., p. 120), empêche de croire qu'il s'agisse de la sebkha de La Soukra, beaucoup trop éloignée du centre des hostilités. Mais si le Στάγνον est le lac de Tunis, comment Procope a-t-il pu écrire qu'il se trouve il 40 stades de Carthage, quand il y touche presque du côté du Kram ? A cette difficulté il a que trois solutions : ou bien la ville romaine était loin du lac, ce qui est contraire aux résultats des fouilles ; ou bien le stade de Procope diffère de la mesure ordinaire ainsi dénommée, ce qui est peu vraisemblable : ou bien l'historien se trompe, ce que nous serons forcés d'admettre, à moins que la leçon τεσσαράκοντα ne soit fautive.