Modes usités pour
l’élection du pape, compromis, adoration, accessit. - Le conclave. - Comment
on y vote. - Le cardinal de Médicis part de Florence pour Rome, afin de
prendre part à l’élection. - Comme le plus jeune, il recueille les suffrages.
- Il est élu pape, et prend le nom de Léon X. - Ancien mode d’intronisation.
- Couronnement du pape. - Léon X prend possession de Saint-Jean de Latran. -
Description de cette prise de possession. - Joie que Rome fait éclater à la
nomination de Léon X. Le compromis, l’adoration, le scrutin, l’accessit ou l’accès, étaient autrefois les quatre modes usités pour l’élection d’un pape. Les cardinaux, faute de s’entendre, donnaient pouvoir à l’un d’eux d’élire le souverain pontife ; c’est ce qu’on nommait le compromis. Si les deux tiers des membres du sacré collège avaient réuni leurs voix sur l’un d’eux, ils allaient comme par inspiration le reconnaître pour chef de l’Église. Voilà l’adoration ou l’inspiration. Quelquefois il ne manquait au scrutin qu’une ou deux voix pour que l’élection fût valide ; alors les cardinaux allaient à l’accès, c’est-à-dire que, séance tenante, on suppléait ces voix par des billets qui portaient accedo ad idem : c’est l’accessit ou l’accès. Grégoire XV, par une bulle expresse, décida que le scrutin serait désormais le seul mode d’élection. C’est à Rome, dans le palais du Vatican, que les cardinaux se réunissent pour élire le pape : c’est là que s’assemble le conclave. Dix jours après la mort du pontife, le lendemain même de ses obsèques (novendiale esequie), une messe du Saint-Esprit est solennellement chantée dans le chœur des chanoines de Saint-Pierre. La messe finie, un prélat, un évêque ordinairement, monte en chaire, et, dans un discours latin, résume la vie du pontife défunt, et exhorte les cardinaux à lui donner un successeur selon le cœur de Dieu : c’est le moment où les cardinaux entrent processionnellement au conclave. Ce jour-là seulement il leur est permis de dîner à leur palais, pourvu qu’ils rentrent le soir au conclave. A peine le pape est-il mort, que les ouvriers travaillent au Vatican à construire autant de cellules que Rome compte de cardinaux ; chacune de ces cellules est faite en bois de sapin, tendue de serge verte, et assez vaste pour loger deux conclavistes, l’un d’épée, l’autre d’église. Ces conclavistes sont chargés d’aller prendre dans un tour les vivres du cardinal qu’ils servent à table ; ils sont vêtus d’une robe de chambre violette. Près de ce tour, plusieurs prélats veillent incessamment, afin d’empêcher qu’on ne glisse dans les mets destinés au cardinal quelques lettres ou billets, car toute correspondance lui est sévèrement interdite ; autour du conclave, une garde nombreuse est distribuée pour défendre toute communication avec les cardinaux. Pendant les jours d’élection, chaque église de Rome fait alternativement une procession autour du Vatican, chantant le Veni Creator, pour attirer les lumières divines sur les électeurs. A six heures du matin et à dix heures du soir, le maître des cérémonies parcourt l’intérieur du conclave en agitant une sonnette et répétant : Ad capellam Domini. A la chapelle du Seigneur. Deux fois par jour, à ce signal, le matin à sept heures, le soir à trois heures, les cardinaux sortent de leurs cellules, accompagnés de leurs conclavistes, et se rendent à la chapelle Sixtine. Au milieu de cette chapelle est une petite table entourée de trois scrutateurs tirés au sort ; d’un côté est un calice où chaque cardinal doit déposer son bulletin, de l’autre la formule du serment qu’il prête avant de voter : Testor Christum Dominum qui me judicaturus est eligere quem secundum Deum judico eligere debere, et quod idem in accessu præstabo. Au nom du Christ mon Seigneur, qui doit me juger, je promets d’élire celui que je crois selon Dieu devoir être élu, soit au scrutin, soit à l’accessit. C’est le conclaviste qui prépare les billets. On plie une grande feuille de papier, que l’on coupe au pli du milieu ; on prend ensuite un des deux côtés plié de la largeur d’un doigt, et, après avoir roulé le reste du papier jusqu’à l’endroit qui est plié, on le coupe au huitième pli. Ce papier étant ainsi disposé, le cardinal écrit son nom à l’extrémité, par-dessous, et en cette forme : Bartholomeus cardinalis... Cela étant fait, le conclaviste roule encore le bout du papier jusqu’à ce qu’il ait atteint l’autre. On met ensuite sur ce troisième pli un peu de cire d’Espagne sur laquelle on imprime deux cachets différents faits exprès, car le cardinal ne doit pas se servir de ses armes ordinaires. Sur les deux autres plis restés vides par le haut, le cardinal fait écrire par son conclaviste le nom du personnage auquel il donne son suffrage : Ego eligo in summum pontificem reverendissimum et eminentissimum dominum meum cardinatem ***. J’élis pour souverain pontife le révérend et très éminent monseigneur le cardinal ***. Le cardinal n’écrit pas de sa main ce vote, à moins qu’il ne sache déguiser son écriture. On plie le bulletin, et sur la suscription le cardinal fait mettre une devise. A mesure qu’un bulletin est écrit, le conclaviste le dépose dans le calice dont nous avons parlé. Les infirmiers vont recueillir dans les cellules les bulletins des cardinaux malades. De retour à la chapelle, on ouvre en présence des scrutateurs la petite cassette étroitement fermée où le cardinal malade a déposé son vote, et les bulletins sont jetés dans le calice. Alors un des cardinaux chef d’ordre renverse le calice sur la table ; le scrutateur prend le billet, l’ouvre et lit le nom qui y est inscrit. Si le cardinal proposé a réuni les deux tiers des suffrages, il est élu canoniquement ; dans le cas contraire, on brille les bulletins à la cheminée d’un appartement voisin de la chapelle. Le peuple répandu autour du Vatican a les yeux fixés sur cette cheminée. Si, à l’heure où l’élection doit être consommée, il aperçoit de légers flocons de fumée s’échapper dans les airs, il se retire inquiet, silencieux : c’est que le scrutin n’a pas donné de résultat ; mais s’il ne s’élève aucune fumée, c’est que l’élection est terminée. Alors le peuple se répand dans les rues, attendant avec impatience qu’on proclame le nom du pontife nouveau. Le 4 mars 1513, les cardinaux s’étaient réunis dans la chapelle de Saint-André. L’archevêque de Strigonie (Hongrie) célébra la messe du Saint-Esprit. La messe achevée, l’évêque de Castella prononça le discours de eligendo pontfice ; puis, au bruit de l’hymne du Veni Creator, les cardinaux allèrent s’enfermer dans leurs cellules. Ils étaient au nombre de vingt-cinq. Le cardinal de Médicis quitta Florence le 3 du mois de mars ; souffrant d’un abcès, et obligé de voyager en litière, il n’arriva que le 6 à Rome. Il avait choisi pour conclaviste son compagnon d’exil, le jeune homme qui l’avait accompagné en France, en Allemagne, en Italie, et qui ne l’avait presque pas quitté depuis dix ans : il devait à Bibbiena cette marque de reconnaissance. Le scrutin dura sept jours ; c’était Jean de Médicis qui, comme premier cardinal-diacre, recueillait les votes. Le septième jour, son nom sortit du calice ; il avait obtenu le nombre de voix voulu : tous les jeunes cardinaux lui avaient donné leur suffrage. Médicis, quand il eut compté les votes, ne fit paraître aucune émotion. Les cardinaux vinrent alors lui rendre leurs hommages ; il les embrassa tendrement. On lui demanda le nom qu’il choisissait, il répondit : Le nom qu’il vous plaira. Interrogé de nouveau, il dit qu’il avait songé quelquefois que, s’il montait jamais sur le trône pontifical, il prendrait le nom de Léon X, pourvu que le sacré collège le trouvât convenable. Les cardinaux inclinèrent la tête. Tous les papes qui avaient porté le nom de Léon avaient laissé de beaux souvenirs : c’était Léon le Grand, le restaurateur de l’église de Saint-Pierre ; Léon III, mort martyr dans Saint-Sylvestre in Capite ; Léon IV, à qui Rome, envahie par les Sarrasins, dut l’oubli de ses malheurs ; Léon IX, un ange de chasteté. Alors le cardinal Alexandre Farnèse, précédé du maître des cérémonies, brisa l’une des fenêtres du conclave et dit au peuple : Je vous annonce une heureuse nouvelle : nous avons pour pape le révérendissime seigneur Jean de Médicis, cardinal-diacre de Sainte-Marie in Domenica, qui a pris le nom de Léon X. La foule répandue sur la place de Saint-Pierre cria : Vive le saint-père ! Palle ! Palle ! et le pape, accompagné de tous les cardinaux et du clergé de Rome, se rendit à l’église de Saint-Pierre pour être intronisé. Il voulut y aller à pied. Le père Mabillon, dans ses Commentaires des Ordres romains, a cherché quel était le mode d’intronisation en usage dans les premiers siècles de l’Église : il nous montre Etienne III, porté triomphalement de Sainte-Marie in Præsepe, où il fut élu pape, à la basilique de Saint-Jean de Latran, où, d’après Anastase le Bibliothécaire, le pape fut intronisé suivant la coutume. Ainsi donc, dans l’Eglise romaine, la cérémonie a quelquefois la vieillesse du dogme, et remonte jusqu’aux Apôtres. Quand Valentin fut proclamé pape, en 827, le sénat romain vint lui baiser les pieds, c’est-à-dire le saluer, suivant Anastase, juxta morem antiquum. En ce temps-là, dit notre savant bénédictin, la consécration du pape avait lieu à Saint-Pierre, puis on le plaçait sur son trône, dans la même basilique ; ensuite il y célébrait la messe. De là on le conduisait au palais de Latran, où se donnait un grand repas. Le pape faisait des largesses au sénat et au peuple ; c’est ce qu’on appelait les Presbyteria. C’était à peu près le programme usité au seizième siècle. Au douzième siècle, le pape, après avoir admis au baiser les évêques et les cardinaux dans l’église de Latran, était conduit au portique du temple. Là était un siége de marbre sur lequel il devait s’asseoir, pendant que le clergé chantait l’antienne : C’est Dieu qui de la poussière tire les indigents, et du fumier le pauvre : Suscitat de terrâ inopem, et de stercore erigit pauperem. Magnifique image de notre néant à tous, pape, empereur, peuple, et que le protestantisme a voulu souiller en faisant de cette pierre je ne sais quel siège ignoble où il ne craint pas d’asseoir une prétendue papesse qui n’a jamais existé ; il le reconnaît lui-même aujourd’hui. Selon le cérémonial romain, écrit sous le pontificat de Grégoire X, au treizième siècle, si le pape élu n’est pas dans les ordres majeurs, il doit y être promu d’après le rite ordinaire ; s’il n’est que sous-diacre, il est en amict, en aube, ceint d’un cordon et le manipule au bras ; s’il est diacre, il a l’étole transversale, le pluvial rejeté derrière le cou, la tête couverte d’une mitre. Pendant qu’il reçoit la prêtrise, un cardinal le sert et lui ouvre le livre à l’autel durant la messe. Le lendemain de son ordination, le pape est consacré ; si la consécration épiscopale n’a pas lieu ce jour-là, le pape ne peut dire la messe ni en public ni en particulier, jusqu’à ce qu’il ait été promu à l’épiscopat. Le pape, avant d’être sacré, est revêtu de tous ses ornements, à l’exception du pallium ; il s’avance vers l’autel, précédé de la croix pontificale qu’accompagnent sept flambeaux, et entouré de tous les cardinaux, évêques, prêtres, diacres et sous-diacres. L’évêque consécrateur, revêtu des ornements pontificaux, sans bâton pastoral, se dépouille de ses insignes après le sacre épiscopal du pape, et, mettant un surplis et une chape, sert le souverain pontife à l’autel. Léon X n’était que diacre quand il parvint à la papauté. Le 15 mars il reçut la prêtrise, le 17 la consécration épiscopale, et le 19 la couronne. Le couronnement est une cérémonie profane pour les souverains séculiers, et toute religieuse pour le pape. L’origine en est fort ancienne, et remonte à Léon III, qui régnait en 795. Autrefois le couronnement avait toujours lieu le dimanche ou un jour de fête. Citons une coutume observée dans les temps anciens : un coq placé sur une colonne rappelait au pontife combien est fragile la nature humaine, pendant qu’un clerc chantait : Non videbis annos Petri : la misère de notre nature à côté de la brièveté de notre vie, deux éloquentes images. Le 17 mars au matin, on avait élevé dans l’église de Saint-Pierre un vaste échafaud soutenu par des colonnes, orné de corniches et d’un entablement sur lequel était écrite en lettres d’or cette inscription : Leoni X, pont. max., litterarum præsidio ac bonitatis fautori. Le pape, conduit dans la chapelle de Saint-André, fut revêtu des habits sacrés, le pluvial blanc, la mitre lamée d’or, et delà conduit au maître-autel ; il était précédé du maître des cérémonies, qui tenait un roseau d’argent au bout duquel était un flocon d’étoupe à laquelle un clerc mit le feu, pendant que l’officier de Sa Sainteté chantait : Pater sancte, sic transit gloria mundi. Le pape, arrivé au pied de l’autel, se prosterna, fit une courte prière et commença la messe. Le saint sacrifice terminé, le pape fut conduit sur les’ marches de l’église, où le cardinal Farnèse et le cardinal d’Aragon lui posèrent la tiare sur la tête ; puis il bénit le peuple et retourna au palais des saints Apôtres. Saint-Jean de Latran n’est pas seulement la cathédrale de Rome ; c’est encore la patriarcale de toutes les églises du inonde, et, comme dit le vers : ... templum, caput urbis et orbis. Il est d’usage immémorial qu’après son couronnement le pape prenne possession de cette basilique. Cette cérémonie eut lieu le 11 août, fête de Léon le Grand, anniversaire de cette journée où le cardinal de Médicis avait été fait prisonnier par les Français. Léon X voulut monter le cheval blanc qui le portait à la bataille de Ravenne. C’était un vieux serviteur dont le pape prenait un soin particulier. Rome s’attendait à quelque spectacle magnifique : jamais en effet on ne déploya plus de pompe que dans cette prise de possession. J.-J. Penni, médecin de Florence, a décrit cette fête en véritable chroniqueur. Le cortége était arrivé à l’église de Saint-Jean de Latran. Devant le portail de la basilique était cette chaise de marbre dont parle Mabillon, et sur laquelle le pape s’assit pendant que le clergé chantait le verset du psaume : Suscitat de terrâ inopem. Puis Léon alla se prosterner devant le maître autel ; après une longue prière, il fut conduit dans la chapelle de Saint-Sylvestre, où la noblesse romaine vint lui baiser les pieds. Chaque cardinal assistant reçut de la main de Sa Sainteté deux médailles en argent et une médaille en or ; chaque évêque eut une médaille en argent. On avait reconstruit à la hâte le palais de Constantin aux frais de la chambre pontificale, et sous l’inspection du cardinal Farnèse, archiprêtre de la basilique de Latran. C’est là que se rendit le pape, accompagné de tout son cortége, pour prendre possession de ses États comme prince temporel. Il y passa le reste du jour. Le soir il reprit le chemin du Vatican, où nous allons le suivre. |