NAPOLÉON a été traité en empereur jusqu'au moment qu'il a quitté le Bellérophon. Sur le Northumberland il est prisonnier d'État. On ne lui montre plus que les égards dus à un général anglais en disponibilité. L'amiral Cockburn, qui sait ce que sont des ordres, les exécute sans faiblesse. Des formes polies, sur un fond de méfiance et de froideur. Napoléon d'abord est frappé du changement, de cette affectation à lui donner de l'Excellence, de la hâte des officiers à se recouvrir devant lui. Puis il en prend son parti : — Qu'ils m'appellent comme ils voudront, dit-il à Las Cases, ils ne m'empêcheront pas d'être moi ! Dès l'arrivée, l'amiral le conduit au salon et lui présente le commandant du navire, Ross, ses principaux officiers, le colonel Bingham[1] et plusieurs gentlemen admis, on ne sait pourquoi, à voir l'embarquement. Napoléon cause longtemps avec deux d'entre eux, membres du Parlement, lord Lowther et M. Littleton. — Vous avez souillé le pavillon et l'honneur anglais en m'emprisonnant comme vous le faites, répète-t-il à Littleton. — On n'a violé aucun engagement avec vous et l'intérêt de la nation demande que vous soyez mis hors d'état de rentrer en France. — Peut-être alors ce que vous faites est-il prudent, mais ce n'est pas généreux. Vous agissez comme une petite puissance aristocratique et non comme un grand État libre ! Je suis venu m'asseoir sur votre sol, je voulais vivre en simple citoyen... Littleton, embarrassé, répond qu'il a gardé beaucoup de partisans en France et que tôt ou tard, s'il demeurait si près, il répondrait à leur appel. — Non, non, réplique Napoléon avec force, ma carrière est finie[2] ! A l'instant d'appareiller, un cutter de garde heurte une barque où se trouvaient une femme et son enfant avec un domestique, venus à grand risque pour apercevoir encore l'Empereur. Elle coule presque aussitôt. Des canots sont mis à la mer. La mère et l'enfant sont sauvés. Mais leur compagnon a disparu. Autour de Napoléon, cet accident frappe les esprits. Cependant on lève l'ancre[3]. Le bruit du cabestan couvre les voix. Les Français prennent leurs quartiers. Ils sont moins bien logés que sur le Bellérophon. Le Northumberland est un grand navire, mais il a été équipé avec tant de hâte, on l'a tant chargé, il y a tant de monde à bord[4] que durant toute la traversée, le capitaine Ross[5] essaiera en vain d'y mettre de l'ordre et de remédier à l'encombrement. On n'a pas eu le temps de le repeindre à Plymouth. On y procédera pendant la marche, ce qui vaudra aux passagers une incommodité de plus. En arrière du mât d'artimon, sur le premier pont, la dunette a été aménagée en plusieurs chambres. D'abord une grande pièce tenant toute la largeur du vaisseau et qui sert de salle à manger. Au fond s'ouvre un salon, plus étroit, entre deux cabines de douze mètres carrés. Celle de bâbord est occupée par l'Empereur, celle de tribord par Cockburn. Napoléon ayant parlé de prendre le salon pour y établir son cabinet de travail, l'amiral prie Bertrand de lui expliquer que cette pièce doit rester commune à tous les officiers, et qu'il n'a de personnel que sa cabine[6]. Au-dessous de la cabine de Cockburn, dans une chambre plus petite encore s'entassent les Bertrand le grand-maréchal, sa femme, une femme de chambre et quatre enfants[7]. Les Montholon ont reçu la cabine de Glover, secrétaire de Cockburn. Un gros canon tient le milieu de la pièce et embarrasse fort. Gourgaud et les deux Las Cases ont des réduits étouffants. Quand il le peut, Gourgaud couche dans le salon ou sur le pont. Aucun d'eux n'ayant prévu pareil voyage, ils manquent de tout, même de linge, car on leur a refusé l'autorisation de s'en procurer à Plymouth, comme ils le demandaient. Un lit suspendu pour éviter le roulis a été dressé dans la chambre de Napoléon. Il ne s'en sert pas, préfère son lit de campagne en fer, avec des rideaux de taffetas vert et des matelas en bourre de soie. Marchand qui couche par terre sur des couvertures, comme faisait jadis Roustan, a disposé sur les cloisons de bois quelques portraits. Habitué au bivouac le manque de confort n'éprouve guère l'Empereur. Il ne lui importe que de sauvegarder sa dignité, son titre. Puisqu'on lui dénie ce titre, proclamé par un pape et qui depuis dix ans s'étale dans les protocoles européens, puisqu'on prétend le traiter en général rebelle, il a résolu d'imposer dans les faits, par la seule attitude, sa qualité de souverain. On espère en vain le réduire au nom de Bonaparte, il sera pour tous, en toute occasion et jusqu'à son dernier souffle, l'empereur Napoléon. Les premiers soirs, il a supporté la lenteur du dîner. Mais le quatrième jour (10 août), il se lève de table avant la fin du repas et va se promener sur le pont, suivi de Bertrand et de Las Cases. L'amiral en est froissé. D'autant qu'il se trouve fort galant de n'avoir parlé et fait parler que français et qu'il s'évertue à offrir à son hôte tous les mets qui peuvent lui plaire. Dans son impatience, il se permet de dire en s'adressant aux convives anglais : — Je suppose que le général n'a pas lu lord Chesterfield[8] ? A quoi Mme Bertrand, rougissant de colère, réplique aussitôt : — N'oubliez pas, monsieur l'amiral, que vous avez affaire à celui qui a été le maître du monde, et que les rois briguaient l'honneur d'être admis à sa table. Cockburn se ressaisit : — Ma foi, cela est vrai, avoue-t-il. Tout prévenu qu'il soit contre Napoléon, il garde l'esprit juste, ce marin anglais. Et s'il a de la roideur, il n'est pas homme à abaisser l'infortune. Dès lors, il abrègera les repas, dont la durée assomme l'Empereur, demandera pour lui le café quand les autres convives seront au rôti. Et quand Napoléon quittera la table, il se lèvera et se tiendra debout jusqu'à ce que son hôte soit sorti[9]. Au début de la traversée, tandis que l'escadre ralliée non sans peine[10] franchit la Manche pour entrer dans l'Atlantique, le temps reste orageux, la mer forte. Napoléon en est incommodé, comme la plupart des Français. Il demeure la matinée dans sa cabine en robe de chambre, reçoit O'Meara, fait appeler l'un de ses officiers, de préférence Las Cases, pour savoir les nouvelles du bord, quel est le point, si l'on aperçoit des navires, puis, s'asseyant sur l'unique fauteuil, il lit. Vers trois heures il s'habille et passe au salon où il joue aux échecs avec Gourgaud, Bertrand ou Montholon jusqu'au moment où l'amiral vient l'avertir que le dîner est servi[11]. Pendant le repas, il dirige la conversation. Quand il adresse la parole à l'un des officiers qui comme Ross ne savent pas le français, Las Cases sert d'interprète. Le plus souvent, c'est avec l'amiral qu'il s'entretient, sur un ton assez bas. De questions navales surtout, bien qu'il lui arrive de parler aussi de ses campagnes. Mais s'intéressant d'abord aux choses du présent, il compare la marine anglaise à la marine de France, montre les efforts qu'il a tentés pour rétablir celle-ci, les travaux entrepris pour la défense des côtes, rappelle son projet de construction d'une grande flotte. Le traité de Paris, déclare-t-il, a détruit son œuvre — S'il est vrai que Louis XVIII ait reconnu qu'il devait sa couronne au Prince-régent, celui-ci peut dire avec autant de vérité : Je dois l'empire de la mer au comte d'Artois qui, à l'instigation de Talleyrand, a signé sans nécessité le sacrifice des plus belles escadres qu'ait jamais eues la France. Parfois, il se borne à poser des questions sur la route que suit le vaisseau, sur les populations de l'Afrique, sur le commerce de la Chine et de l'Inde. Après le dîner, il marche sur le pont jusqu'au crépuscule, en compagnie de Las Cases et du grand-maréchal, si celui-ci n'est point descendu près de sa femme, trop sensible au roulis. Il évoque alors avec liberté les débuts de sa vie, sa famille, ses premiers succès. Il parle aussi de Waterloo : — Ah, si c'était à recommencer ! murmure-t-il... Presque chaque soir, l'amiral vient à sa rencontre et l'Empereur achève sa promenade avec lui. Quelquefois, désireux d'être seul, il va s'asseoir sur un des derniers canons de bâbord[12], près du passavant, et demeure là immobile, regardant l'horizon, dans une rêverie que nul ne se permet d'interrompre. La nuit venue, il rentre au salon et propose une partie de vingt et un[13]. C'est son jeu favori, celui qui prévalait à Malmaison sous le Consulat. Il risque une pièce d'or à chaque coup, laissant s'accumuler les gains jusqu'à ce qu'il perde, curieux d'interroger sa chance. Il perd ainsi régulièrement dix ou douze napoléons. Une fois pourtant il gagne seize cents francs à l'amiral et s'arrête là Cockburn ayant laissé voir qu'il ne tient pas à continuer. La suite de la partie montre que si Napoléon avait continué sa tactique, avec des partenaires capables de tenir de tels enjeux, il aurait gagné soixante mille louis. Comme on se récrie sur la durée de cette passe, un officier anglais fait remarquer qu'on est au 15 août, jour de la fête de l'Empereur. Il a quarante-six ans... Après une telle vie, il n'a que quarante-six ans ! Le matin, il a reçu dans sa cabine, un à un, tous les Français qui lui apportaient leurs vœux. Il a d'abord été surpris. A son dernier anniversaire, il se trouvait à l'île d'Elbe. Le 15 août y avait été célébré encore avec cérémonie. Cette fois il n'a plus que quelques comparses pour s'en souvenir et porter le soir sa santé, quand il s'est levé pour gagner le pont. Les Anglais du reste se sont honnêtement associés à ce toast. La mer à présent s'est calmée. On croise des navires. Mais Cockburn évite de communiquer avec eux. Les passagers se forgent des chimères. Le bruit court que quatre vaisseaux français ont mis à la voile pour délivrer Napoléon. Le Northumberland glisse avec lenteur. Il peine à la houle et, souffleté des vagues, les creuse d'un profond sillon. L'Empereur suit souvent des yeux cette traîne bleue, ces franges d'écume, blessure du flot qui ne se referme que peu à peu, quand le regard ne la distingue plus. Il voit la poupe se lever sur l'horizon, puis descendre avec une ampleur imprévue, un angle qui surprend en lui le géomètre. Bruits aériens du navire, sonore comme un violon, détonations de la brise dans les voiles, sifflements le long des cordages poudrés de sel, cris d'enfants des mouettes, solitude de l'eau et des nues, il trouve sans doute à ces nouveautés un plaisir... Guère d'incidents à bord qu'un tapage causé par Bernard, le domestique du grand-maréchal. Celui-ci le fait mettre aux fers. Des matelots anglais sont passés par les verges. L'Empereur s'en indigne près de Cockburn. Mmes Bertrand et de Montholon, que le mal de mer n'éprouve plus, se montrent davantage. Elles se parent et déjà se jalousent. Mme de Montholon fait la coquette avec l'amiral et même avec l'Empereur, tout en caressant son mari. Les enfants Bertrand s'ébattent sur le pont dans les jambes des marins qui les ont pris en amitié. Deux garçons, Napoléon et Henri, une fille, Hortense, tous trois d'un caractère vif et entier, à qui se joignent un petit mulâtre de quatre ans venu d'Amérique et, quand il peut échapper à sa mère, le jeune Tristan de Montholon. Vrais enfants de soldats, ils jouent à la guerre, font l'exercice, grimpent sur les canons, ébranlent le pont en chargeant au galop, avec de grands cris. Le chien de l'amiral, Tom Pipes, beau terre-neuve, gambade à leur suite. Napoléon souvent les regarde... Un jour que Bertrand cause avec son maître sur le gaillard d'arrière, Hortense court à l'empereur, le tire par la main et lui parle avec volubilité. Son père veut la faire taire. Il n'y parvient pas. Napoléon alors embrasse la petite et écoute sa naïve histoire. Quand il parcourt le pont, l'Empereur questionne des officiers ou des hommes sur les actions où ils se sont trouvés, et il les étonne par sa connaissance des choses navales. Pour interprète il prend quelque midshipman ou bien O'Meara, ou un matelot de jersey ou encore un Italien des îles Ioniennes ou de Malte. Un jour, il cause longuement avec le maître d'équipage qui, sans espoir d'arriver à l'épaulette, est pourtant responsable de la conduite du vaisseau. Le marin, franc et ouvert, lui plaît. En le quittant, Napoléon lui dit : — Venez dîner demain avec moi. Voilà le pauvre homme bien en peine. Il croit d'abord à une méprise. On lui explique que Napoléon honore le mérite, sans se soucier du rang. — Mais, dit le maître d'équipage, l'amiral et le commandant ne voudront pas que je m'asseoie à leur table... — Eh bien répond l'Empereur, s'ils ne le veulent pas, tant pis pour eux, vous dînerez avec moi dans ma cabine. Sir George Cockburn rejoint peu après l'Empereur qui l'informe. L'amiral, peut-être choqué, prend sur soi et répond que quiconque est invité par le général à sa table est soustrait par là même aux règles de la discipline. Il fait appeler le maître d'équipage et lui dit qu'il sera le lendemain le bienvenu à dîner. On le traite en effet des mieux. De ce jour, chez les marins du Northumberland comme chez les soldats du 53e, le prestige de l'Empereur monte au zénith. Cockburn s'en inquiète. Pour empêcher les communications entre Napoléon et l'équipage, et qui sait ? peut-être une révolte en faveur de son passager, il place un factionnaire à sa porte. Les midshipmen, dont beaucoup sont encore presque des enfants, ne parlent que de Napoléon. Se donnant le mot pour empêcher que la manœuvre ne le gêne dans ses promenades ou ses songeries, ils font pour son bien-être la police dans le vaisseau. Leurs yeux brillants le suivent quand il passe. Ils se montrent pleins de prévenances pour les compagnons de l'Empereur. Les petits Bertrand ont pris les plus jeunes pour camarades. Cockburn et Ross en eux-mêmes déplorent tant de laisser-aller ; mais ils n'osent faire trop de réprimandes. Ils se trouvent débordés. Leurs sentiments même vis-à-vis de Napoléon se modifient. Cockburn l'avoue, sans y penser, dans son Journal. L'attitude digne et patiente de l'Empereur, sa grâce de façons, le son même de sa voix ont dissous peu à peu les préventions, vaincu la haine. On cède à son génie, on plaint sa fortune, on s'attache à lui pour ce que le héros montre encore de simple charme humain. Bientôt l'amiral dira à Gourgaud : Le général Bonaparte a bien fait de se rendre à nous, car enfin il est possible qu'un jour une escadre anglaise aille le chercher à Sainte-Hélène pour le ramener en France. Non, Cockburn n'est plus le rogue geôlier qui, les premiers jours, après avoir salué, se dépêchait d'enfoncer son chapeau, pour que Napoléon ne gardât point trop haute idée de son importance. En rejoignant l'Empereur pour la promenade du soir, si ses minces escarpins glissent sur le pont, il lui offre le bras, et son visage rayonne quand Napoléon lui parle comme à un ami. Chaque nuit il note les paroles de son captif. Son beau-frère, le commandant Ross, s'ingénie peut-être plus encore à adoucir le voyage de l'Empereur. Sir George Bingham et les officiers du 53e se montrent en toute occasion obligeants et respectueux[14]. Le 23 août le Northumberland arrive en vue de Madère. Un vent brûlant, venu d'Afrique, couvre tout d'une poudre de sable. La chaleur opprime. L'escadre anglaise met en panne devant Funchal. Pendant le dîner, Napoléon parait pensif. L'approche d'une terre dont l'accès lui est défendu marque mieux sa servitude. Quand il quitte la table, il va sur le pont, et observe File montagneuse et les maisons étagées sous les palmes, comme des pots de fleurs sur des gradins. La nuit est agitée, les bateaux manquent d'être jetés à la côte. Une frégate et un brick sont séparés de la flotte. Le Northumberland louvoie. Deux mâts de hune se brisent. Au matin, le vent souffle encore en tempête. C'est avec peine que le consul anglais à Funchal, Wilch, peut venir à bord. Pendant une accalmie, le navire embarque des bœufs, des moutons, des volailles, des provisions de légumes et de fruits, de l'eau, du vin de Malvoisie. Napoléon, contre son ordinaire, se montre tôt, lit sur le pont, et s'intéresse aux allées et venues des pourvoyeurs. A midi, l'escadre à peu près rassemblée repart pour Sainte-Hélène. Encore une dure journée de chaleur, puis la brise fraîchit. Napoléon, qui a paru oppressé et triste, et a mangé à peine, est en meilleur esprit. Le Northumberland marche à toute toile. A mesure qu'il s'enfonce vers le sud, la nuit vient plus tôt. Les conversations sur le pont, le soir, en sont écourtées. Comme l'Empereur, interrogeant Cockburn, a semblé curieux de bien voir les Canaries, l'amiral fait passer la flotte au milieu de l'archipel, entre les îles de Gomera et de Palma. Mais une brunie opaque couvre la mer. Aucun des passagers ne peut distinguer le pic de Ténériffe que par temps clair on aperçoit de soixante lieues. Un métis de la Guadeloupe, condamné au fouet pour indiscipline, se jette à la mer dans la nuit du 31 août. On le cherche à la lueur des torches, mais en vain. Tout l'équipage s'agite. Dans ce brouhaha un jeune midship arrête Las Cases qu'il voit se diriger vers la cabine de Napoléon : — Ah, monsieur, n'allez pas l'effrayer ! Dites-lui au moins que ce bruit n'est rien, que ce n'est qu'un homme à la mer !... On passe le tropique du Cancer, parmi des essaims de poissons volants. La houle est dure. Napoléon de nouveau est indisposé. Il vient pourtant au dîner, mais se retire tôt, après une partie de whist. Il a renoncé au vingt et un, où les enjeux croissaient trop, On devait s'arrêter aux îles du Cap Vert pour faire de l'eau. Mais le vent demeure fort ; Cockburn décide d'en profiter pour gagner au sud. Par peur de rencontrer des bâtiments français qui pourraient favoriser une évasion — cette crainte depuis que Napoléon est monté sur le Bellérophon domine la pensée des Anglais ; elle leur a inspiré, leur inspirera encore maintes fausses mesures, — l'amiral n'a pas voulu prendre la route habituelle qui, à l'ouest, lui eût fait trouver près du Brésil les vents réguliers qui poussent droit sur Sainte-Hélène. Il descend le long de la côte d'Afrique, glisse jusqu'au milieu du golfe de Guinée. Le temps commence de sembler long aux Français. Même les plus endurants, comme Bertrand, s'aigrissent. Napoléon essaie de se distraire en apprenant l'anglais avec Las Cases. Pendant deux ou trois jours il supporte ses leçons. Puis se rebute, renonce. Las Cases n'en est pas fâché. Il aime bien mieux faire parler l'Empereur et tenir le journal de ces monologues où Napoléon, content de trouver un auditeur qui connaît mal la Révolution, en retrace les étapes à l'ancien émigré. Las Cases écrit à perdre haleine. Napoléon lui demande à voir quelques pages et n'en est pas mécontent. Mais ce journal, estime-t-il, manque de précision. Las Cases rougit d'aise et propose de tenir la plume tandis que l'Empereur entamera le récit des campagnes d'Italie. Napoléon hésite d'abord, puis accepte. Les journées sont si vides !... Le 9 septembre, dans sa cabine, il fait appeler Las Cases et, marchant d'une cloison à l'autre, les mains derrière le dos, il commence sa première dictée, sur le siège de Toulon. Une tempête éclate peu après. L'Océan est blanc, le vent hurle dans les mâtures, des lames immenses se soulèvent pour attaquer le vaisseau. Plusieurs, lancées pardessus bord, couvrent le pont. La pluie tombe à torrents. On vit dans une buée de lessive. L'Empereur reste souvent couché dans sa cabine. L'inaction l'écrase. Quand il remonte dans sa vie, il ne trouve qu'une époque de pareille oisiveté, quand il cinglait à bord de l'Orient vers l'Egypte. Parfois sa pensée rapproche ces deux voyages de mer. L'un avait commencé sa courbe, l'autre l'achevait. Sur l'Orient, pour se distraire, le jeune général avait réuni l'Institut d'Égypte. Sur le navire qui l'emporte vers sa prison, il n'a plus qu'à dicter des souvenirs. Mais il ne peut toujours dicter, ni avec Gourgaud faire d'inutiles mathématiques. Laissant le crayon, il plonge dans le passé, en tire des lambeaux étincelants. Il parle de ses compagnons de guerre, regrette Lannes, rehausse Desaix, le meilleur général qu'il ait connu. — Clauzel, dit-il, et Gérard promettaient beaucoup, Bernadotte n'a pas de tête ; c'est un vrai Gascons il ne restera pas où il est, son tour de s'en aller viendra aussi. Si près de l'Afrique, l'Égypte le hante, dirait-on. Devant l'amiral, il se défend d'avoir fait empoisonner les pestiférés de Jaffa. Au moment d'évacuer la ville, raconte-t-il, il avait demandé aux médecins s'il ne vaudrait pas mieux hâter par l'opium la mort des malades désespérés plutôt que de les livrer aux bourreaux de Djezzar Pacha. Desgenettes refusa. Il demanda au général de garder la ville deux jours de plus. Bonaparte y consentit. Quand il quitta Jaffa, tous les pestiférés avaient succombé. Sautant d'un sujet à l'autre, il parle de Tilsitt, de la reine Louise, sa belle ennemie, de la rose offerte et de Magdebourg refusée, et du tête-à-tête galant qu'il avait ménagé à Alexandre avec la reine, tandis qu'il retenait le roi de Prusse tout le jour chez lui par l'annonce de sa visite officielle. Après cela, comme las d'avoir exploré sa mémoire, il ne rejoint pas les Français, rentre chez lui, où il restera sur son petit lit de campagne, ballotté des vagues, les yeux ouverts. Chaleur, pluie, vents qui soufflent à éventrer les voiles ou qui tombent, les laissant pendre comme des haillons... Le soleil parait sur le bord des eaux, il monte dans le ciel pâle, si ardent que les planches du pont brûlent les pieds, Et puis il redescend, dans une brume rouge, vers l'Amérique où Napoléon, s'il l'avait voulu à temps, serait libre... Une voix tombe des vergues, pauvre matelot d'Irlande ou de Maltes qui, perché à trente mètres, raboutit un agrès en chantant un air de son pays... Des fanaux s'allument. Une cloche sonne pour le dîner. On se réunit au salon. Les darnes comparent leurs toilettes. L'amiral s'incline devant son prisonnier... Quelques nuits pures où la mer phosphorescente n'est plus qu'un champ de feu. L'étrave du Northumberland y ouvre un sillon de pierreries. Les astres montent et s'abîment suivant le mouvement du vaisseau. Napoléon, à demi renversé sur son canon, les regarde, sans les reconnaître. Son étoile à lui n'a pas brillé dans ce ciel- là Chaque jour surgissent de la mer des constellations E nouvelles. Et le poudroiement familier auquel s'attachaient ses yeux d'enfant quitte le dôme de la nuit : les Ourses, la Lyre, le Cygne, Cassiopée. Étoiles qui ont lui sur sa gloire, étoiles de France et d'Europe, les reverra-t-il jamais ?... Il voit resplendir maintenant la Croix du Sud, si bleue... Peut-être préfère-t-il les soirs de nuées, sans étoiles. Languissant dans sa cabine, Mme Bertrand se trompe de potion et boit de l'extrait de Saturne. Elle va mal un moment ; on la saigne deux fois. Napoléon dit à Gourgaud que si elle mourait, ce serait aussi bien. Il lui en veut toujours. Peut-être aussi l'excite-t-on contre elle. Mme de Montholon se rend agréable. Elle n'est pas triste ou du moins ne le parait pas. Elle s'habille et, aux lumières surtout, tire parti d'un reste de beauté. Le 23 septembre, date de l'équinoxe, par un hasard curieux, le Northumberland traverse l'équateur à midi, par zéro de longitude et zéro de déclinaison. Ce jour-là les Français assistent à la traditionnelle saturnale de la Grande Barbe. Deux matelots figurant Neptune et Amphitrite sont juchés sur un cuvier, au pied du grand mât, entouré de musiciens et d'hommes en caleçons, tatoués et peints comme des sauvages. A leurs côtés deux hercules dont l'un tient un rasoir et l'autre un pot de goudron, pour faire la barbe à ceux qui n'ont point encore passé la Ligne. Les malheureux sont ensuite culbutés dans un canot rempli d'eau. Il en est ainsi du moins pour les mousses et pour les soldats du 53e. Ceux qui veulent échapper sont poursuivis par tout le bâtiment, ruisselants des seaux d'eau qu'on leur lance des hunes. Les officiers se rachètent et ne subissent qu'une aspersion. Excepté les dames qui, assises sur une estrade à l'abri, s'amusent fort, les Français sont soumis à la loi commune. Les enfants Bertrand et Montholon font chacun offrande d'une pièce d'or. Quelques marins réclament même le général Bonaparte. Cockburn leur répond en riant qu'il a déjà passé la Ligne. Il demeure en effet dans sa chambre. A Gourgaud qui vient lui dépeindre la mascarade, il veut donner cent napoléons pour l'équipage, Bertrand, économe, y trouve de l'excès. C'est bien l'avis de Cockburn qui craint que la popularité de l'Empereur ne croisse encore sur le bateau. Il ne permet qu'un don de cinq pièces d'or, les officiers les plus élevés en grade n'offrant, dit-il, pour se racheter, qu'une demi-guinée. Piqué sans doute, Napoléon n'envoie rien. Il continue de travailler avec Las Cases. Vers onze heures, il le fait appeler. Las Cases lit le texte qu'il a rédigé la veille. L'Empereur le corrige et dicte la suite, jusqu'à l'heure où il s'habille pour dîner. Las Cases, mal assis, écrit à la volée, les mains gourdes de fatigue, sans sentir son supplice. Quand Napoléon passe à sa toilette, il court dans sa cabine et rétablit, aidé par son fils, les phrases notées par signes. A cette distraction, l'Empereur prend goût de plus en plus. Il accueille avec plaisir son historiographe qu'il brocarde un peu : — Voici le sage Las Cases[15], l'illustre mémorialiste, le Sully de Sainte-Hélène ! Il a bien compris l'immense intérêt de l'homme de lettres à retracer sa carrière : — On ne pourra jamais s'arrêter sur nos grands événements, écrire sur ma personne, sans avoir recours à vous. Le petit chambellan se pourlèche. De la bouche de l'Empereur les mots pressés jaillissent. Les expressions, les lieux, les dates, rien ne l'arrête. Il parle comme par inspiration. Et les feuillets s'entassent, jusqu'à ce que Napoléon s'arrête de marcher dans sa prison de planches et dise : A demain. Cockburn n'a pas trouvé le long de l'Afrique les vents qu'il y cherchait. Descendu à la hauteur du Congo, le Northumberland a été saisi par les calmes. Le navire n'arrive, en profitant des souffles du matin et du soir qu'à virer de bord et tourner sur place, sur une eau morte dépliée à l'infini. Des bouteilles jetées près de lui y demeurent longtemps comme dans une mare. On perd ainsi vingt jours. Pas d'autre plaisir que de voir un poisson qui saute, des marsouins qui jouent près de l'étrave, et parfois un de ces vastes goélands qui voyagent d'un océan à l'autre, à coups d'ailes si rares qu'ils semblent portés par le ciel. Comme les troupes à bord, l'équipage maugrée contre l'amiral. Les Français se plaignent. Seul Napoléon reste impassible. Mais il prend en souci l'ennui de ses compagnons, et pour distraire Gourgaud, grand corps en peine, il entreprend avec lui d'autres dictées. Bertrand et Montholon ne voient là qu'une corvée et l'esquivent[16]. Cockburn envoie le Peruvian chercher des fruits et des volailles sur la côte du Congo. En attendant son retour, l'équipage s'amuse à pêcher des requins qui pullulent dans les bas-fonds. On en prend plusieurs. Averti par Marchand, Napoléon vient sur la dunette assister à l'agonie de l'un d'eux. L'énorme squale en se débattant renverse quatre ou cinq matelots. L'Empereur, à trop s'approcher, manque de se faire briser les jambes, et il doit rentrer pour changer de bas, tant il est éclaboussé de sang. Le monstre dépecé par les marins va corser leur ordinaire, Napoléon voudra y goûter à son dîner, mais il repoussera l'assiette, trouvant cette chair immangeable. Soudain, sans que rien l'ait fait prévoir, une brise s'élève. Le Northumberland et les navires qui l'accompagnent reprennent le bon chemin. Les mâts grincent puissamment. L'alizé tend enfin les voiles, jaunes et dures comme du bois. De nouveau l'Empereur voit fuir le long du vaisseau les vagues d'un cobalt profond. On pique droit maintenant sur Sainte-Hélène. L'impatience des Français n'en est pas diminuée. Ils harcèlent l'amiral et Ross de questions sur la date probable de l'arrivée. Napoléon lui-même attend chaque jour que la vigie placée à la plus haute hune annonce la terre. Il est en bonne santé, mais le manque d'exercice l'a alourdi... Les 9, 10, 11, 12, 13 octobre sont supportés avec peine. Enfin le samedi 14, comme on est à dîner, la vigie crie Land ! On court aussitôt sur le pont. L'Empereur lui-même vient à l'avant. Il croit distinguer une masse grisâtre qui se profile à l'horizon comme un socle. Vers le centre, un sommet... — Le pic de Diane, dit Cockburn. Mais déjà le soir s'abat. A neuf heures le Northumberland met en panne pour la nuit. Le lendemain, Napoléon s'habille très tôt. Quand il arrive sur le passavant, l'île est devant lui. Une immense muraille jaillie de la mer, suite ininterrompue de falaises de trois à six cents mètres de haut, faites de lave brune, striées par endroits de bandes d'argile rougeâtre, sans un arbre, sans une herbe, sur des lieues. Les vagues fusent en aigrettes sur cet effrayant récif que domine un plafond de nuages accrochés aux cimes de l'intérieur. Aucune plage, pas même de rive où poser la largeur du pied. Cette gigantesque scorie volcanique qui s'enfonce à pic dans l'océan semble la plus imprenable des forteresses. Le navire approche. Une faille apparaît, où des maisons à toit rouge, une tour carrée d'église, une sorte de château, quelques touffes de palmes enfin se rangent derrière un petit quai, entre deux montagnes de basalte noir qu'à diverses hauteurs hérissent des canons. Au delà on devine un arrière-pays déchiré et sombre. L'Empereur laisse tomber sa lorgnette. Les Français, à quelques pas, se tiennent stupéfaits. Est-ce là l'île heureuse qu'hier encore on leur promettait ? Ils croient voir une porte de l'Enfer. Sans ouvrir la bouche, Napoléon rentre chez lui. Il fait appeler Las Cases et travaille comme de coutume. Plus tard seulement, comme le navire entre dans la rade et va jeter l'ancre, il dit à Gourgaud : — Ce n'est pas un joli séjour. j'aurais mieux fait de rester en Égypte. Il est midi. L'amiral et sir Georges Bingham gagnent la terre. L'amiral revient peu après, accompagné du gouverneur de Sainte-Hélène pour la Très Honorable et Puissante Compagnie des Indes Orientales, le colonel Mark Wilks[17], qu'il présente à l'Empereur dans le salon. Napoléon le reçoit d'un air majestueux. Avec un empressement qui plaît aux Français, Wilks, bel homme au visage fin couronné de boucles grises, répond à ses questions sur l'île, son climat et les différentes races qui la peuplent. Au dîner, Cockburn pour relever les courages vante l'agrément de la petite capitale, Jamestown, et de ses environs. Toutefois il refuse à Gourgaud la permission d'y descendre. Il veut d'abord avoir fait choix d'une résidence pour ses prisonniers. Le lendemain en effet, parti dès l'aube, il parcourt l'île à cheval en compagnie de Wilks et ne revient qu'au soir. Il a trouvé, dit-il, sur le plateau de Longwood, dans un beau site, une aimable habitation qu'on va rendre encore plus plaisante. En attendant, les Français logeront dans la bourgade. Napoléon demande des détails. L'amiral les donne volontiers. Mais l'appréhension noue les esprits. La soirée est triste, comme aussi la lente journée que vont encore passer les Français sur le vaisseau, qu'ils voient vider peu à peu de soldats et de bagages, et qui tire en gémissant sur ses ancres, devant les terribles rochers. Bertrand seul se rend à terre pour examiner le logement où doit résider l'Empereur. Gourgaud tempête parce qu'il n'est pas autorisé à débarquer son domestique. Il en appelle à l'Empereur qui hausse les épaules : — Par ce tour que vous a joué l'amiral, vous devez à présent croire ce que je vous ai dit des Anglais. Ils n'ont aucun sentiment généreux ; comme disait Paoli : Sono mercanti. Après le dernier dîner, Napoléon descend dans une barque avec Cockburn et Bertrand. Las Cases, Montholon et les femmes les suivent dans une chaloupe[18]. Sur la rive devant eux quelques lumières scintillent. Le ciel est obscur, l'air immobile, et l'on n'entend d'autre bruit que la plongée des avirons dans une eau morte. |
[1] Sir George Ridout Bingham (1776-1833) commandait le 53e d'infanterie qui venait renforcer la garnison de Sainte-Hélène. Dans l'île, il sera chargé du commandement général des troupes... Il avait servi avec distinction dans la guerre d'Espagne. Du premier jour il plut à Napoléon.
[2] Littleton, Quelques notes sur l'arrivée de N. B. à bord du Northumberland, Londres 1836. Nous sommes ici très loin du récit que fait Montholon (I, 123). Une lettre inédite de Cockburn à sa sœur Polly, datée du 9 août 1815, confirme le témoignage de Littleton sur l'attitude de Napoléon : Il se montra d'abord violent au sujet de la façon injuste dont notre gouvernement le traitait, mais voyant que ce genre de conversation était mal reçu de moi, il l'a abandonné. Je me trompe fort si je n'ai mis ce remuant monsieur au vrai diapason pour l'empêcher de me donner ou à quelque autre aucun ennui ultérieur... Je me suis efforcé de le convaincre, ainsi que ses compagnons, que tant qu'il se souviendrait qu'il est mon prisonnier, je n'oublierais pas qu'il est mon hôte, ce qui lui doit assurer tous les égards et la civilité qu'il m'est possible de lui témoigner raisonnablement. (Bibl. Thiers, carton 21.)
[3] Le Northumberland croisa encore le 8 au large de Plymouth en attendant le rassemblement de l'escadre. La mer était mauvaise. Le 9, tous les navires, sauf le Weymouth, ayant rejoint, on fit voile pour sortir de la Manche par assez beau temps et vent de noroît. (Napoléon's last voyage. Diary of sir G. Cockburn, 9.)
[4] 1.080 personnes, dont deux compagnies et l'état-major du 53e régiment d'infanterie qui vont tenir garnison à Sainte-Hélène.
[5] Charles Bayne Hodgson Ross (1778-1849) beau-frère de Cockburn, l'avait aidé à s'emparer de Washington, en 1813.
[6] Diary of sir George Cockburn, 8. L'amiral ajoute que Napoléon reçut cette intimation avec soumission et bonne humeur.
[7]
Les trois enfants Bertrand et l'enfant de la femme de chambre. Cette cabine
était celle de Ross ; il la céda aux Bertrand. Mme Bertrand coucha sur un des
deux lits de camp de l'Empereur qui le lui avait prêté. (Warden, Letters written on board H. M. S.
Northumberland and at Saint-Helena, 30.)
[8] C'était crûment taxer l'Empereur d'impolitesse.
[9] Las Cases, I, 126 : La table était carrée, dit Aly (187) ; au milieu, du côté qui faisait face au salon, étaient l'Empereur et l'amiral. Celui-ci était à la droite de S. M. qui avait à sa gauche Mme Bertrand. Mme de Montholon était à la gauche de l'amiral. Assistaient encore au dîner le commandant Ross, le colonel Bingham, M. Gloser, le Dr O'Meara et le Dr Warden, médecin du Northumberland, le clergyman Rennell et, chaque jour, un officier du 53e, un officier de marine ou un midshipman. — Les vivres, écrit Mme de Montholon, étaient bons et abondants. (Souvenirs, 77.) Le dîner commençait à cinq heures.
[10] Le Northumberland, navire de 74 canons, porte le pavillon amiral. A sa suite, éparpillés souvent par les vents contraires, viennent la frégate Havannah, capitaine Hamilton, les transports Ceylan et Bucéphale, chargés du 53e régiment, les bricks Zenobie, Zephyr, Redpole, Icarus, Ferret et deux store-skips, gabarres à provisions. (Lowe, Papers, 20. 11 4.) Le Peruvian avait été envoyé à Guernesey pour s'y procurer des vins de France. Il devait rejoindre à Madère.
[11] Cockburn, 9. D'après Bingham et Glover, il mangeait de bon appétit, ne touchant guère aux légumes, et se servant souvent de ses mains de préférence à la fourchette. II buvait dans une timbale du vin de Bordeaux coupé d'un peu d'eau.
[12] Ce canon, toujours le même, était poli avec soin par les matelots. Les midshipmen l'appelaient le canon de l'Empereur.
[13] A l'ordinaire (d'après Gourgaud, 1er-15 août), il jouait avec Cockburn, Ross, Bingham, Bertrand, Las Cases et Gourgaud. Il faut y ajouter les deux femmes, dont il ne parle pas, et Glover, secrétaire de l'amiral. Glover fit d'assez grosses pertes. Gourgaud, plus heureux, lui prêtait. Il prêtait aussi à Mme Bertrand et à Montholon. Le dimanche, par égard pour les habitudes anglaises, on ne jouait pas.
[14] Ce revirement fut en effet général. Quoique Napoléon eût été à Plymouth et à Torbay salué de manifestations de sympathie, dans son ensemble l'opinion anglaise lui était encore hostile. Elle voyait en lui une sorte d'ogre et de démon. A bord du Northumberland, de Cockburn au dernier mousse, c'était dans les premiers jours l'idée reçue. La petite bibliothèque du navire contenait quantité de libelles et de pamphlets contre Napoléon. Avant qu'on fût arrivé à Madère, ils avaient disparu.
[15] Allusion à l'atlas que Las Cases avait publié sous le nom de Le Sage.
[16] Nous évitions le travail le plus que nous pouvions, dit naïvement Montholon (I, 144). Nous étions dominés par des intérêts de famille : des femmes et des enfants ont à bord besoin de tant de soins !
[17] Il allait être dessaisi bientôt, l'île ayant passé sous l'administration directe de la Couronne. Le gouverneur de par le Roi sera sir Hudson Lowe. Le colonel Wilks, né en 1760, avait fait dans l'Inde une carrière distinguée. Fort cultivé, il écrivait une Histoire de l'Inde Méridionale.
[18] Gourgaud, I, 69. — Napoléon débarqua le 17 et non le 16 octobre, comme l'écrivent Las Cases (I, 303) et Aly (I, 142). La traversée avait duré 71 jours. Sur le Record Book de 1815, aux Archives du château de Jamestown qui nous ont été ouvertes de la façon la plus obligeante par le gouverneur actuel de Sainte-Hélène, sir Spencer Davis, nous avons trouvé cette mention : 17 octobre. Dimanche 15 est arrivé le navire de S. M. Northumberland venant d'Angleterre, sous le pavillon du contre-amiral sir George Cockburn, et ayant à son bord le général Napoléon Buonaparte et certains individus comme prisonniers d'État (and certain individuals as State prisoners). Inédit.