1812 : suite de la campagne de Russie. — 23-24 octobre 1812 : conspiration Malet. — Retraite de Moscou (15 octobre). — 1813 : 7e coalition, campagne d'Allemagne, victoires de Lutzen, Bautzen ; congrès de Prague (5 juillet-10 août) ; victoire de Dresde, défaite de Leipzig (16, 17, 18 octobre). — 1814 : campagne de France (victoires de Brienne, Champaubert, Montmirail, Montereau). — 31 mars entrée des Alliés à Paris. — 11 avril : première abdication de Napoléon à Fontainebleau, départ pour l'île d'Elbe.La Grande Armée, bien diminuée, avait pris la route de Kalouga où Napoléon d'abord pensait hiverner. Sa marche était lente, encombrée par un charroi immense et déjà désorganisée. Kutusof l'attaqua à Malo-Iaroslavetz. Il fut repoussé. L'Empereur donna l'ordre alors de regagner le chemin de Smolensk. La neige tombait. Le froid devenait atroce. A certains jours il atteignit près de 40 degrés. Les corbeaux tombaient, gelés en plein vol. L'armée harcelée par les Cosaques manquait d'habits chauds, de viande et de pain. Déjà ses pas se couvraient de cadavres. Beaucoup de soldats avaient jeté les fusils et les sacs et se traînaient appuyés sur un bâton. La nuit du Nord couvrait pendant dix-huit heures cette immense file de spectres qui n'avaient plus la force de parler, qui mouraient sans un cri. Au bord de la Berezina, un subit dégel emporta les glaces. Les Français furent décimés au passage et, sans l'héroïsme des pontonniers d'Éblé qui jetèrent deux passerelles, l'armée entière aurait péri (29 novembre). Elle arriva enfin devant le Niemen (16 décembre). Elle ne comptait plus que cinquante mille hommes. Le reste était mort ou prisonnier. Depuis dix jours, Napoléon avait quitté ses troupes. A Smorgoni, il avait réuni ses lieutenants et confié le commandement à Murat. Dans un traîneau, accompagné de Caulaincourt, il galopa vers Paris. D'inquiétantes nouvelles l'y rappelaient. Le général Malet, républicain détenu depuis 1808 comme demi-fou dans une maison de santé, s'était échappé la nuit du 22 au 23 octobre et, avec quelques complices de rencontre, avait hasardé un coup d'État. Annonçant la mort de l'Empereur, il avait arrêté le ministre de la police Savary, le préfet de police Pasquier et, fort d'un prétendu vote du Sénat, prétendu installer un gouvernement provisoire. L'énergie d'un simple capitaine déjoua l'imposture. Malet fut mis sous clé et ses acolytes. Cambacérès informé réunit les ministres ; après un moment d'affolement, ils reprirent leur sang-froid. Malet fut traduit devant une commission militaire. Il y montra du courage. Comme le président lui demandait : — Avez-vous des complices ? Il répondit : — La France et vous-même, si j'avais réussi. On devait comprendre avant longtemps ce que ce mot avait de prophétique. L'impression à Paris avait été profonde. Mais nul ne fut plus frappé que Napoléon. Il avait compris que lui disparu, personne ne songeait au roi de Rome, à l'Impératrice-régente, que l'Empire s'écroulerait comme un fastueux théâtre. L'opinion était neutre, le régime n'avait pas de bases. Quel encouragement pour l'Europe que le désastre russe venait de réveiller ! Les nouvelles d'Espagne étaient mauvaises. Soult aux Arapiles avait laissé échapper l'occasion d'écraser Wellington. L'Angleterre, après avoir désespéré, croyait l'heure de l'hallali venue. Ses émissaires à Berlin, à Vienne, multipliaient les avances, les promesses. Quant au Tsar, glorieux de sa victoire, il déclarait qu'il ne poserait pas les armes avant de tenir à sa merci Napoléon. La Prusse hésita quelques semaines. Le pays était encore occupé par l'armée française. Mais l'opinion publique déborda Frédéric-Guillaume. Le philosophe Fichte à l'Université de Berlin, suspendait son cours jusqu'à la paix. Étudiants, ouvriers, bourgeois des villes s'enrôlaient. Le souverain céda au mouvement patriotique et s'allia à la Russie. Le 19 mars, il annonçait à son peuple la guerre contre la France. L'Autriche attendait encore. L'empereur François et Metternich avaient peur d'un retour de fortune qui de nouveau camperait Napoléon en vainqueur, cette fois impitoyable. Ils adoptèrent l'attitude doucereuse de la médiation. Napoléon l'admit d'autant mieux qu'il gardait ses illusions sur la portée politique de son mariage avec Marie-Louise. Il pensait du reste lui aussi qu'il lui suffirait d'une bataille heureuse pour voir de nouveau l'Europe à ses pieds. Il ne perdit pas une heure pour se préparer à la lutte. Il ordonna la levée de la classe de 1813. S'il avait dès lors rappelé ses vieilles troupes d'Espagne, il aurait pu solidement encadrer ces conscrits trop jeunes. Ils avaient l'âme pleine de feu, mais peu de résistance physique et sauraient surtout se faire tuer. En raclant le fond des tiroirs, il mit sur pied 300.000 hommes. Mais il manquait d'artillerie et surtout de chevaux. Les Français, place après place, évacuaient l'Allemagne. Le 11 mars les Russes entraient à Berlin. La jonction des armées prussienne et russe était faite. L'Autriche armait à outrance mais sans encore lever le masque. Murat, rentré à Naples, pensait à la défection. Le temps pressait. Le 15 avril, Napoléon quittait Paris. La campagne commença sur l'Elbe, le 1er mai. En trois semaines, les Russo-Prussiens furent vaincus quatre fois et rejetés sur l'Oder. Lutzen et Bautzen, batailles meurtrières, n'amenèrent pourtant pas de résultat. Les Alliés voulaient attendre des renforts. Napoléon avait besoin de faire venir de la cavalerie d'Espagne. Ils acceptèrent la proposition d'armistice que Metternich leur offrait (7 juin). Un congrès se réunirait à Prague pour discuter de la paix. Metternich alors prit en mains la manœuvre. Il fit offrir à Napoléon la France jusqu'au Rhin et l'Italie. Il était d'ailleurs décidé, si l'Empereur acceptait, à revenir sur ces propositions et, d'exigence en exigence, à demander l'abandon de l'Italie, même des Pays-Bas. Napoléon, après une scène violente où il insulta Metternich, refusa. Le Congrès de Prague qui n'avait été qu'une pièce d'ombres fut clos le 11 août. L'Autriche entra ouvertement dans la coalition. Les Autrichiens sous Schwartzenberg, les Russo-Suédois sous Bernadotte, les Prussiens sous Blücher, marchèrent à la rencontre de Napoléon. La campagne eut deux phases très distinctes. D'abord Napoléon défit les Autrichiens à Dresde (26-27 août) et les rejeta en Bohême. Le général Moreau, revenu d'Amérique pour servir de conseiller militaire à la coalition, mourut dans cette bataille d'un boulet français. Mais Macdonald fut vaincu par Blücher sur la Katzbach, Vandamme capitula à Kulm, Oudinot se vit repousser à Gross-Beeren. L'Empereur avait commis l'erreur d'éparpiller ses forces. Il n'avait plus maintenant que 180.000 hommes à opposer à 350.000 alliés. La situation empirait à chaque heure. La Westphalie était perdue, la Bavière fit défection. Il se retira sur Leipzig. Là, pendant quatre jours, du 16 au 19 octobre, il soutint la ruée de trois armées. C'est la plus grande rencontre de tout l'Empire, ce qu'on a appelé la bataille des Nations. Trahi par les Saxons et les Wurtembergeois, manquant de munitions, malgré des efforts désespérés, il dut ordonner la retraite. Elle coûta plus cher que le combat même. Quand l'armée française atteignit Mayence, elle ne comptait plus que 60.000 hommes. L'Allemagne était perdue. Et l'Espagne. Wellington, disposant d'importants renforts, avait repris Madrid et, après avoir vaincu Jourdan à Vittoria (22 juin), reconduit les Français au delà des Pyrénées. Au moment où Napoléon repassait le Rhin, les Anglais franchissaient la Bidassoa. ***Avant de commencer la suprême campagne, qui devait, pensaient-ils, abattre l'Empire français, les Alliés renouvelèrent la comédie de Prague pour rejeter sur Napoléon, suivant le conseil de Metternich tout l'odieux de la prolongation de la guerre, et pour s'assurer du concours de l'opinion publique avec laquelle maintenant les souverains comptaient. Réunis à Francfort, ils firent offrir à l'Empereur une paix qui laisserait à la France ses limites naturelles : Rhin, Alpes, et Pyrénées, c'est-à-dire qui lui ôterait non seulement toutes les conquêtes de l'Empire mais encore celles de la Révolution. Napoléon hésita. Qu'on songe à l'étendue du sacrifice ! — Il accepta enfin par une note de Caulaincourt du 1er décembre 1813. Avant même que sa réponse pût arriver, Metternich déclarait que le cabinet des Tuileries étant resté muet, les Alliés retiraient leurs propositions. Un manifeste fut publié aux termes duquel les puissances affirmaient qu'elles ne faisaient pas la guerre à la France mais à Napoléon seul. Manœuvre élémentaire. On voulait créer chez les Français un mouvement hostile à l'Empereur qui accélérerait sa chute. Déjà en effet apparaissaient des signes certains de démoralisation, nous dirions aujourd'hui de défaitisme. Le peuple — paysans, ouvriers, — restait fidèle à l'Empire. Mais la bourgeoisie, menacée à son tour par la conscription et l'impôt qui longtemps l'avaient épargnée, voulait la paix à tout prix. Les royalistes s'agitaient dans leurs cénacles, circonvenaient Talleyrand, Caulaincourt, de hauts fonctionnaires. L'administration impériale commençait à flotter. Un parti d'opposition puissant s'était formé au Corps législatif qui recevait ses inspirations de Benjamin Constant, encore en exil, et du député girondin Lainé, incliné déjà vers un profitable royalisme. La session qui s'ouvrit le 19 décembre montra à l'Empereur la gravité du péril intérieur. Le discours du trône, prononcé par Napoléon, avait fait appel à l'énergie et à l'union des Français. Le rapport que présenta Lainé sur les négociations de Francfort fut un véritable réquisitoire contre la politique impériale. Il osait approuver les Alliés de vouloir nous renfermer dans les limites de notre territoire et réprimer une activité ambitieuse si fatale depuis vingt ans à tous les peuples de l'Europe. Il condamnait l'excès des contributions, l'excès plus cruel encore du régime pratiqué pour le recrutement de nos armées. Le Corps législatif vota l'impression de ce rapport qui eût été courageux s'il ne s'était adressé au malheur. Il est extraordinaire que Napoléon n'ait pas fait arrêter Lainé. Il pouvait s'en trouver le droit quand les chevaux des Alliés buvaient dans le Rhin. Il se contenta, en recevant les députés, de les secouer par quelques phrases terribles, justement célèbres : — Est-ce le moment quand l'ennemi est aux frontières d'exiger de moi un changement dans la Constitution ? Vous n'êtes pas les représentants de la nation, mais les députés des départements. Moi seul je suis le représentant du peuple. Le trône lui-même, qu'est-ce ? Quatre morceaux de bois doré recouvert de velours ? Non, le trône c'est un homme et cet homme c'est moi ! Si je voulais vous croire, je céderais à l'ennemi plus qu'il ne demande. Vous aurez la paix dans trois mois ou je périrai ! Il les renvoya effarés. Cependant il passait les nuits pour tirer du pays inerte les hommes, les canons, les fusils, l'argent qui le sauveraient de l'invasion. Il jetait au creuset toute son épargne privée, s'oubliant dans le temps même où autour de lui les plus favorisés du règne ne songeaient qu'à eux. Jamais il ne fut plus alerte, plus laborieux, plus animé d'un dévorant génie. Seul contre un continent en armes, il paraissait encore si formidable que Metternich, à certaines heures, doutait du triomphe de la coalition. Les armées alliées franchirent le Rhin dans les derniers jours de 1813. Bernadotte envahit la Belgique, Blücher l'Alsace ; Schwartzenberg entra en Suisse à Bâle et remonta par la Bourgogne. Les maréchaux qui leur avaient été opposés, avec les restes de l'armée : Marmont, Victor, Mortier, Ney, firent une molle résistance. Plus découragés, plus las que leurs troupes, ils ne surent qu'ordonner retraite après retraite. Ils étaient en Champagne quand Napoléon enfin parut. Pendant deux mois, avec une poignée de soldats, il allait recommencer les prodiges de la première campagne d'Italie, vaincre coup sur coup deux grandes armées et n'être enfin foudroyé que par la trahison. Il subit un premier échec à La Rothière (1er février 1814). Mais il battit Blücher à Champaubert, Montmirail, Vauchamps. Courant à Schwartzenberg, il le battit à Montereau. En huit jours, sept victoires. Les Alliés prirent peur. Un fantôme de Congrès s'était ouvert à Châtillon. Napoléon y avait envoyé Caulaincourt. Les conditions qu'il y reçut : la France réduite aux limites de 1791 et sans voix au rajustement de l'Europe, étaient inacceptables. Napoléon les repoussa. L'Autriche songea un moment à trahir. Mais la haine du Tsar et l'argent de l'Angleterre replâtrèrent la coalition. L'offensive ennemie fut reprise. Napoléon attaqua Blücher, le battit à Craonne. mais n'arriva point à le déloger de Laon. Retournant sur Schwartzenberg, il ne put à Arcis-sur-Aube avec 25.000 hommes en enfoncer 100.000 et recula. Il se porta alors vers Saint-Dizier. Il comptait dans cette pointe vers l'est rallier Marmont, Mortier, Macdonald, les garnisons éparses, pour fondre ensuite sur l'ennemi comme un aigle. Mais, négligeant la menace, le tsar Alexandre fit aussitôt ordonner la marche des coalisés sur Paris (24 mars). Il avait été prévenu par Vitrolles, royaliste fougueux, qu'un parti puissant s'était formé dans la capitale et qu'on n'y attendait qu'une avance des Alliés pour y proclamer les Bourbons. Cette résolution décida de tout. Les Alliés n'avaient devant eux que Marmont et Mortier, avec 22.000 hommes. Ils les bousculèrent à Fère-Champenoise. Le 28 mars ils arrivaient devant Paris. Si la capitale avait pu tenir trois jours, Napoléon la sauvait. Prévenu de son danger, il accourait à marches forcées. Tout sans doute eût changé de face. Mais Paris, où Joseph, lieutenant général de son frère, commandait avec faiblesse, où le gouvernement autour de Marie-Louise éperdue se désorganisait d'heure en heure sous le sourire perfide de Talleyrand, Paris ne se défendit qu'une journée. Joseph fit décider par le Conseil la retraite de l'Impératrice, du roi de Rome et des ministres sur la Loire. Pendant qu'ils fuyaient, les Alliés occupaient les hauteurs dominant la ville au nord-est. Marmont, Mortier et Moncey se battirent bien, mais, laissés à eux-mêmes, perdirent courage. Marmont engagea des pourparlers avec Nesselrode, ministre du Tsar. La capitulation fut signée le 31, à deux heures du matin. Cette même nuit, Napoléon avec 60.000 hommes se trouvait à la Cour de France, près de Juvisy, à deux foulées de la ville. Le général Belliard lui apprit les événements. Il s'emporta, voulut galoper. Trop tard. Il comprit, gagna Fontainebleau. Ce matin même les Alliés entraient dans Paris. Les Anglais seuls étaient disposés à renverser l'Empire et à restaurer les Bourbons. Les Prussiens hésitaient. Les Autrichiens au fond eussent préféré la proclamation de Napoléon II sous la régence de Marie-Louise. Le Tsar était nettement hostile au retour de l'ancien régime, qu'il croyait tombé dans l'oubli et qu'on ne ferait pas aisément accepter par un peuple encore imbu des idées de la Révolution. Talleyrand voulait le pouvoir. Les royalistes le lui promettaient. Il déclara au Tsar qu'il se trompait sur les sentiments de la France et qu'il n'y aurait de paix durable en Europe que si Louis XVIII était rappelé au trône. Alexandre céda. Les souverains alliés annoncèrent qu'ils ne traiteraient plus avec Napoléon ni avec aucun membre de sa famille. Le 1er avril, Talleyrand convoqua le Sénat et fit nommer un gouvernement provisoire qu'il présida. Le 3 avril, ce même Sénat qui pendant tout l'Empire avait vécu aux genoux de Napoléon proclamait sa déchéance. L'Empereur était à Fontainebleau. Point découragé, il songeait à reprendre la campagne. Les maréchaux, Ney surtout, le menacèrent, l'acculèrent à l'abdication. Déjà Marmont était passé à l'ennemi. Napoléon dit à ses anciens compagnons d'armes : — Vous voulez du repos. Ayez-en donc ! Et signa. Quelques jours plus tard, un traité conclu avec les Alliés à Fontainebleau lui accordait la souveraineté de l'île d'Elbe et une pension de deux millions (II avril). Dans la nuit, il tenta de s'empoisonner. Après tant de trahisons, la mort aussi le trahit. Il se résigna à vivre. Le 20 avril, il quittait Fontainebleau après un poignant adieu à sa vieille Garde et prenait la route du sud. |