11 novembre 1799-18 mai 1804 : le Consulat. — 1800 : 2e campagne d'Italie et victoire de Marengo. — 1800 : victoire de Moreau à Hohenlinden. — 1801 : traité de Lunéville avec l'Autriche. — 15 juillet 1801 : le Concordat. — 1803 : Paix d'Amiens avec l'Angleterre. — 2 août : le Consulat à vie.Les quatre années du Consulat — 11 novembre 1799-18 mai 1804 — sont les plus belles peut-être de toute notre histoire. La France régénérée sort du sang et de la boue, devant une Europe que de nouvelles défaites inclinent enfin au respect. Réorganisation politique et administrative, paix religieuse, réveil de l'économie nationale, voilà pour le dedans. Au dehors la force et la gloire. Il faut remonter à la jeunesse de Louis XIV pour trouver pareil renouveau de sève et pareil éclat. La France, que Bonaparte prend dans ses mains le 20 Brumaire, n'a presque plus de souffle. Anarchie partout. Plus de commerce ni d'industrie. Il y a huit fois moins d'ouvriers au travail qu'en 1789. Les paysans arrachent les derniers pavés des routes pour enclore leurs champs. Ponts qui s'effondrent, terres arables qui retournent à la lande et au marais. Le Havre, Marseille, voient les bateaux pourrir dans leurs ports ensablés. Les hôpitaux manquent de linge. L'armée elle-même, après tant de glorieux efforts, se désagrège. Les soldats sans vivres, sans paie, désertent en masse ; quelquefois ils vont grossir les bandes de brigands qui sillonnent les grands chemins du Midi et de l'Ouest. La Vendée et la Bretagne encore une fois levées défient la République de venir soumettre leurs déserts. Le Trésor est vide. Les caisses publiques ne contiennent, ce premier jour du Consulat, que 137.000 francs. L'Etat ne verse ni pensions ni rentes depuis deux ans. Les impôts ne rentrent plus. Découragement, lassitude, indifférence noient les esprits. C'est qu'aussi la crise ouverte en 1789 a été trop dure et trop longue. D'autres pays, moins forts, ne l'eussent pas supportée sans mourir. La France, elle, n'est pas morte. Son étoffe peut être déchirée, les morceaux en sont bons. Rassemblée par Bonaparte elle va se mouler de nouveau en silence dans sa petite et dure main. A son arrivée au pouvoir, il n'est connu que comme un homme de guerre. Dès le lendemain du Coup d'Etat, il va montrer que sa vive et pratique intelligence, son énorme capacité de travail s'appliquent aussi bien aux affaires. Il commence par écarter le projet de constitution de Sieyès. Il impose le sien qui lui donne tous les pouvoirs sous le nom de Premier Consul. Sieyès, déçu, blessé, se retire. Qu'à cela ne tienne. Bonaparte appuyé sur deux seconds consuls, hommes effacés près de lui, mais excellents dans la technique de la justice et des finances, Cambacérès et Lebrun, se sent de taille malgré ses trente ans, à gouverner une nation. Il la gouvernera de façon presque absolue, car le droit de suffrage du peuple est étroitement canalisé, et les quatre organes législatifs : Conseil d'État, Tribunal, Corps législatif, Sénat, parleur complication même, ne sont plus près de lui que des corps dépendants, sans volonté propre. La Constitution de l'An VIII est, en fait, une constitution monarchique. Il n'y a au regard du Premier Consul que des apparences de liberté. Cette constitution est annoncée par une proclamation des Consuls. Bonaparte en était le principal rédacteur : Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée. Elle est finie. Peu après, le gouvernement annonce son programme : Rendre la République chère aux citoyens, respectable aux étrangers, formidable aux ennemis. Ce ne sont point là des mots. La réalisation de cette promesse va suivre. Approuvé par un plébiscite qui lui donne trois millions de voix contre quinze cents, Bonaparte centralise l'administration de façon bien plus forte que sous l'ancien régime. Dans chaque département, il y aura un préfet, un conseil général, dans chaque commune un maire et un conseil municipal. Tout dépend de Paris qui nomme et révoque. La justice est réorganisée de manière analogue : justices de paix, tribunaux de première instance, cours d'appel, ont pour sommet la cour de Cassation. Pour les délits et les crimes, souvenir de la Constituante, est institué le jury. Développant et achevant l'œuvre de la Révolution, dont il se sent, dont il se dit le direct héritier, le Premier Consul charge une commission de juristes renommés : Tronchet, Bigot de Préameneu, Portalis, de fondre en un Code civil toutes les lois relatives à l'état des personnes et à leurs rapports sociaux. Lui-même, avec Cambacérès, participe activement à leurs travaux. D'autres codes : de Procédure civile, d'Instruction criminelle, de Commerce, enfin un Code pénal compléteront ce monument qui en 1810 sera achevé. Il est encore la base de notre droit et la plupart des nations modernes l'ont pris pour patron. Dans l'ordre financier, le nouveau régime conserve les anciens impôts de la Constituante et du Directoire : contribution foncière, contribution personnelle et mobilière, patentes, portes et fenêtres, les douanes, les droits d'enregistrement et de timbre. Pour rétablir le crédit général, il crée la Banque de France qui escomptera les effets de commerce et émettra une monnaie de papier garantie par une encaisse métallique. Enfin, l'instruction centralisée, elle aussi, est remise aux mains de l'Etat. L'Université de France régira souverainement lycées et facultés. Par contre, l'enseignement primaire est laissé de côté. Lacune singulière et qui semble montrer que le gouvernement consulaire ne tenait pas à trop propager l'instruction dans les masses. Le ministère dont s'entoure Bonaparte et où entrent des hommes aussi opposés d'opinion que Carnot et Talleyrand, Lucien et Fouché, Decrès et Gaudin, montre le souci du Premier Consul de réunir en un faisceau national tous les partis. Il ne veut plus de Jacobins, de modérés, de royalistes, seulement des Français. Gouverner pour un parti, dit-il peu après Brumaire, c'est se mettre tôt ou tard sous sa dépendance. On ne m'y prendra pas : je suis national. Cette pacification des esprits, que rend possible sa popularité grandissante, il la couronne en rétablissant avec solennité le culte catholique. Le Concordat, signé en juillet 1801, reproduit dans ses termes essentiels le vieux concordat de François Ier. Le Pape reconnaît la légitimité de la reprise des biens d'Église, devenus biens nationaux. En retour, évêques et curés recevront un traitement de l'État. Les évêques seront nommés après accord entre le gouvernement et le Saint-Siège. Le clergé tout entier est ainsi placé dans la dépendance du pouvoir exécutif. Le Concordat fut mal accueilli par les hommes qui se souvenaient trop encore de la Révolution. Mais leur nombre diminuait. L'ensemble de la population le reçut avec joie. Malgré ses erreurs et ses lacunes, il allait valoir à la France un siècle de paix religieuse. ***La Russie ayant abandonné la coalition, seules demeuraient en guerre l'Angleterre et l'Autriche. Bonaparte leur offrit la paix. La paix, il la voulait, comme toute la France, à condition de ne pas la payer trop cher. La guerre qui depuis huit ans ravage les quatre parties du monde, écrivit-il au roi d'Angleterre, doit-elle être éternelle ? N'est-il donc aucun moyen de s'entendre ? Comment les deux nations les plus éclairées de l'Europe, puissantes et fortes plus que ne l'exigent leur sûreté et leur indépendance, ne sentent-elles pas que la paix est le premier des besoins comme la première des gloires ? Londres répondit en exigeant d'abord le rappel et le rétablissement du frère de Louis XVI. Vienne l'imita. Bonaparte se prépara à combattre. Les Autrichiens nous menaçaient devant Strasbourg et vers Nice. Il donna cent mille hommes de bonnes troupes à Moreau qui, par le sud de l'Alsace, gagna Bâle et franchit le Rhin. En Italie, Masséna reçut mission, avec les restes de l'armée vaincue à Novi, de contenir Mélas. Il s'enferma dans Gênes, gagna du temps, permit ainsi à Bonaparte de rassembler des conscrits et, avec l'armée de réserve ainsi constituée, de franchir les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard. Tombant en Lombardie sur le dos des Autrichiens, il les coupa de leurs bases. Mélas se retournant, il l'attaqua à Marengo. La bataille fut d'abord perdue. Après six heures d'une lutte ardente, Bonaparte allait commander la retraite, quand Desaix apparut avec des troupes fraîches. Comme plus tard à Waterloo l'armée de Blücher, ce secours changea l'issue. Les Autrichiens se découragèrent. Desaix fut tué, mais la victoire demeura aux Français. Mélas signa un armistice. Bonaparte se hâta de revenir à Paris. Il était temps. Déjà ses frères, Fouché, des généraux qui avaient flairé le désastre s'apprêtaient à le culbuter. Le regard de Bonaparte les fit rentrer dans l'obéissance. Mais -il n'oublia jamais que son pouvoir avait dépendu du sort d'une bataille, et dès lors sa pensée constante sera de l'assurer, de lier la France à lui par un nœud que même un revers ne romprait pas. L'Autriche, excitée par l'Angleterre, avait rompu l'armistice. C'est Moreau cette fois qui l'acculera à la paix. Entré en Allemagne, il battit le 3 décembre l'archiduc Jean à Hohenlinden. Son armée et l'armée d'Italie convergeant sur Vienne, l'Autriche épouvantée s'humilia. Le traité de Lunéville reproduisait le traité de Campo-Formio. La France restait maîtresse de l'Italie. Même l'Angleterre semblait près de fléchir. Elle nous avait chassés d'Egypte peu après l'assassinat de Kléber. Elle détenait nos colonies. Mais son trésor était vide. Son peuple écrasé de taxes réclamait la paix. La ligue des neutres créée par le tsar Paul Ier, grand admirateur de Bonaparte, devenait pour elle une sérieuse menace. Enfin le Premier Consul réunit à Boulogne une flotte légère que Nelson tenta vainement de détruire. La peur agit à Londres comme elle avait agi à Vienne. Notre irréconciliable ennemi Pitt dut quitter le pouvoir. Son successeur Addington entama aussitôt des pourparlers. Ils aboutirent à la paix d'Amiens, signée le 25 mars 1802 par Joseph Bonaparte, frère aîné du Premier Consul. Moment capital dans l'histoire de l'Europe. Pour la première fois depuis le début de la Révolution, la paix y était entièrement rétablie. L'Angleterre reconnaissait la République française, nous rendait nos colonies, promettait d'évacuer Malte et l'Egypte. Il n'était question ni de l'Italie ni de la rive gauche du Rhin. Mais par la paix même, nos conquêtes étaient implicitement admises. Le traité fut salué avec enthousiasme dans les deux pays. ***Les royalistes, dans les premiers temps du Consulat, avaient pensé que Bonaparte pourrait se prêter au rétablissement des Bourbons. Louis XVIII réfugié en Prusse lui avait même écrit, par deux fois. Le Premier Consul déclina ses offres. Ayant atteint de haute lutte le pouvoir, il n'était pas homme à l'abandonner pour un titre de connétable et de l'argent. Dès lors les royalistes qui, de dépit, avaient tenté déjà de recommencer la guerre de Vendée, cherchèrent par des complots successifs à se débarrasser de lui. Le mieux monté, par l'explosion de la machine infernale, tua cinquante personnes mais n'atteignit point Bonaparte. Il n'en continua pas moins de permettre aux émigrés de rentrer en France et de leur restituer leurs biens encore sous séquestre. Cette habile générosité ne désarma pas ses ennemis. En janvier 1805 une nouvelle conspiration, dirigée par un ancien chef de Chouans, Georges Cadoudal, où était entré Pichegru et qui avait reçu l'adhésion au moins tacite de Moreau, fut découverte par la police consulaire. Tous trois furent arrêtés. Pendant qu'on instruisait leur procès, Bonaparte apprit que le duc d'Enghien, fils du prince de Condé, se trouvait à Ettenheim dans le grand-duché de Bade, près de Strasbourg. Il crut qu'il avait partie liée avec Cadoudal. S'irritant, malgré Cambacérès, sur le pervers conseil de Talleyrand, il fit enlever le duc par un détachement de cavalerie. Le jeune homme amené à Vincennes comparut devant un conseil de guerre qui le condamna à mort pour avoir porté les armes contre la France. La même nuit, par une hâte singulière qui ne permit pas à Bonaparte d'user d'une clémence attendue et probable, il fut fusillé. C'était un crime ; ce n'était peut-être pas une faute, car le pouvoir du Premier Consul en fut affermi et les royalistes perdirent cœur. Peu après, Pichegru était trouvé mort dans sa prison. Cadoudal monta sur l'échafaud avec douze de ses complices, et Moreau, seul rival militaire de Bonaparte, s'exila en Amérique. ***La paix d'Amiens était déjà rompue. L'Angleterre n'avait pas voulu évacuer Malte. D'autre part, elle reprochait à la France sa mainmise sur le Piémont et la Suisse. La lutte interrompue un an entre les deux puissances allait recommencer, cette fois inexpiable. Nous ne la verrons finir qu'en 1815, après la défaite suprême de Napoléon. Le pays tout entier s'était rangé derrière Bonaparte. Les dangers qu'il avait courus exaltaient la ferveur populaire. Déjà il avait été nommé Consul à vie (1802) ; Talleyrand et Fouché, au lendemain du complot de Cadoudal, poussèrent à la création en sa faveur d'une monarchie héréditaire qui assurerait le régime contre tout retour du passé. Vote du Sénat, adhésion unanime du pays. Dans une sorte de vague de gloire, Napoléon monta au trône. Empereur des Français, roi d'Italie, car il prit à Milan la couronne de fer des anciens princes lombards, médiateur de la Suisse, il était, au printemps de 1804, le maître de l'Occident entier. |