RÉVOLUTION ET EMPIRE

 

CHAPITRE III. — LA FIN DE LA MONARCHIE.

 

 

ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE DU 1er OCTOBRE 1791 AU 20 SEPTEMBRE 1792. — 20 avril 1702 : déclaration de guerre contre l'Autriche et la Prusse. — 10 août : prise des Tuileries et suspension du roi. — 2, 3, 4, 5 septembre : massacres dans les prisons. — 20 septembre : victoire de Valmy.
CONVENTION NATIONALE : DU 21 SEPTEMBRE 1792 AU 26 OCTOBRE 1796. — 21 septembre : proclamation de la République. — 6 novembre : victoire de Jemmapes. — 21 janvier 1793 : exécution de Louis XVI. — 9 mars : établissement du Tribunal révolutionnaire. — 25 mars : établissement du Comité de Salut public. — 2 juin : arrestation des Girondins.

 

L'Assemblée législative, élue au suffrage universel restreint à deux degrés, était formée d'hommes nouveaux. La Constituante avait commis la faute d'interdire à ses membres d'entrer dans la nouvelle Assemblée. Elle coupait ainsi les ponts avec le passé et, refusant à ce Parlement le secours d'une expérience qu'elle commençait seulement d'acquérir, livrait le pouvoir à la naïveté, à la faconde, à la peur.

Les nouveaux députés, au nombre de 745, étaient presque tous très jeunes. Parmi eux beaucoup d'avocats, d'hommes de lettres, chargés de souvenirs antiques, épris de Rousseau, amis de la phrase sonore et du geste étonnant. A droite ceux -qui veulent sincèrement appliquer la Constitution : les Feuillants. Ils ne sont guère qu'une centaine. Le centre, qu'on appelle aussi les Indépendants a pour lui le nombre, mais il est divisé, hésitant. A gauche les Jacobins, républicains avoués ou discrets, dont les chefs, Vergniaud, Guadet, Gensonné, députés de Bordeaux, font donner au groupe le nom de Girondins.

Les débuts de la Législative sont troubles. En Anjou et en Vendée, les campagnes se soulèvent contre la Constitution civile du clergé. Aux frontières, les émigrés en armes essaient de préparer les voies à l'invasion de la France par les étrangers. La déclaration de Pilnitz, par laquelle l'empereur Léopold et le roi de Prusse déclarent qu'ils vont agir promptement et d'un mutuel accord en faveur de Louis XVI, paraît en France, à tort du reste, une menace sérieuse. De leur côté, le roi et la reine intriguent sottement. Ils inclinent vers la politique du pire, celle qui doit tout désorganiser pour amener par l'excès des maux un retour du bien. C'est ainsi que grâce aux royalistes, le nouveau maire élu de Paris, Pétion, est un républicain.

L'Assemblée, inquiète, songe à se défendre. D'abord contre les émigrés. Elle les somme de rentrer. S'ils refusent, leurs biens seront confisqués. Les princes, Monsieur le comte d'Artois, les Condé, seront déchus de leurs titres et de leurs droits. Ensuite elle s'occupe des prêtres réfractaires. Ceux qui ne prêteront pas serment à la Constitution civile dans les huit jours seront privés de tout traitement et regardés comme suspects. Ces décrets sont soumis à la sanction du roi. Il y oppose son veto. Dès lors, il perd tout crédit sur la majorité de l'Assemblée.

Dans cette confusion. !es Girondins, faisant pour un moment l'union des gauches, forcent le roi à renvoyer son ministère feuillant et s'installent au pouvoir. Roland prend l'Intérieur. Dumouriez les Affaires étrangères. L'opinion du pays est pour eux. Les Girondins sont, en mars et avril 1792, vraiment maîtres. Aussitôt, ils poussent à la guerre. La guerre, d'ailleurs populaire, ils la veulent pour juguler définitivement la royauté, assurer le triomphe de la Révolution et s'il se peut, la répandre en Europe. Ils ne doutent pas, ces orateurs de la victoire. Ils ne connaissent pas l'indiscipline des troupes ni la pénurie des arsenaux. L'Assemblée les suit. Seul Robespierre désapprouve l'aventure. Aux Tuileries. Marie-Antoinette pense que la guerre peut sauver la monarchie par une défaite qui conduira son neveu en quelques semaines à Paris. Elle pèse sur le roi qui se rend à l'Assemblée le 20 avril et propose de déclarer la guerre au roi de Hongrie et de Bohême. Le décret est voté d'enthousiasme. Paris illumine le soir.

Les Girondins croyaient commencer les opérations avec 300.000 hommes. Ils n'en eurent pas 100.000. L'armée réunie à la frontière de Belgique, sous le commandement de Rochambeau, subit d'humiliants échecs à Tournai et à Quiévrain. Le plan de campagne français avait été communiqué par Marie-Antoinette à l'Autriche. La Prusse joignit ses troupes à celles de l'Empereur. La France se sentit à la veille d'un désastre. Les clubs crièrent à la trahison. Robespierre triomphait.

L'Assemblée, étourdie, éperdue, frappa le roi et le clergé. Elle ordonna le licenciement de la garde de Louis XVI, le déportement des prêtres insermentés. Le ministre de la guerre, Servan, fit adopter une mesure grave : la formation d'un camp de 20.000 fédérés à Soissons. Le roi prononça le veto. Et, montrant soudain une énergie inattendue, il renvoya un ministère qui le menaçait dans son propre cabinet.

C'était bien s'il eût eu la force. Mais il ne l'avait pas. Les Jacobins le lui firent voir huit jours plus tard, le 20 juin. D'accord avec Pétion, les meneurs réunirent dans les faubourgs une cohue d'hommes et de femmes qui, coiffés du bonnet rouge et vociférant, coururent au Manège. L'Assemblée subit le long défilé d'une foule avinée qui se porta ensuite sur le château. Les appartements royaux furent envahis. Le roi, réfugié dans une embrasure de fenêtre et défendu par une table, fut insulté pendant deux heures. On lui criait dans le visage : A bas Monsieur Veto !Chasse les prêtres ! Rappelle les patriotes ou tu es mort ! On essaya de le frapper à coups de pique, à coups de sabre. Quelques grenadiers le protégèrent. Il supporta avec calme cette agonie. Il se laissa coiffer du bonnet rouge et but un verre de vin tendu par un homme du peuple à la santé de la nation.

A six heures, Pétion, fourbe et doucereux, parut. Le roi n'avait pas cédé devant l'émeute. Les manifestants étaient las. L'attitude de Capet les avait ébranlés. Pétion les persuada de quitter les Tuileries.

Cet attentat un instant dégoûta la France, la rapprocha du roi. Lafayette quitta son armée, vint s'offrir pour fermer le club des Jacobins. Mais Marie-Antoinette aimait mieux périr que d'être sauvée par Lafayette. Il repartit. Aussi bien la girouette populaire déjà tournait. L'avance des Prussiens sur la frontière lorraine exaspéra les esprits. L'Assemblée législative déclara le 11 juillet la Patrie en danger et ordonna une levée générale de volontaires. Trois semaines plus tard, on connut l'insolent manifeste que le chef des armées allemandes, le duc de Brunswick, avait publié au moment où il entrait en France. C'est un émigré, le marquis de Limon, qui l'avait rédigé. Il vouait Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, si le roi était de nouveau insulté. Les pamphlétaires royalistes y applaudirent imprudemment.

Une profonde, une terrible colère bouillonna dans Paris. Avec la complicité au moins tacite de Pétion que le roi avait voulu révoquer, Robespierre, avide de jouer enfin un rôle de premier plan, et qui dès le 29 juillet réclamait aux Jacobins la suspension du roi et la réunion d'une Convention nationale, Danton, magnifique orateur mais jouisseur sans scrupules, vendu à l'Angleterre et aux Orléans, l'atroce Marat, rongé de haine et de chancres, Camille Desmoulins, âme littéraire et tourmentée, et à leurs trousses une bande de faméliques anxieux de se pousser aux honneurs et à l'argent : Manuel, Merlin, Fournier, Chaumette, Santerre, Anthoine, préparèrent une nouvelle insurrection qui devait renverser la royauté et — défi aux émigrés, aux prêtres rebelles et à l'étranger menaçant — proclamer la République.

Le soir du 9 août, un soir torride, tout Paris était dans les rues. On entendit soudain la cloche des Cordeliers sonner le tocsin. C'était Danton qui faisait donner le signal. Aux Tuileries on comprit que l'attaque était proche, et Roederer, procureur syndic et Mandat, commandant de la garde nationale tentèrent d'organiser la défense. Cependant les sections envoyaient des commissaires à l'Hôtel de Ville qui déclarèrent dissoute la Commune légale et s'installèrent à sa place. Danton les dominait de sa carrure énorme et de sa voix. C'était un véritable gouvernement provisoire. Les fédérés venus des départements parcouraient les rues en chantant le Ça ira, la Carmagnole, ou les couplets brûlants que venait de composer, à Strasbourg, Rouget de l'Isle, jeune officier de l'armée du Rhin.

Danton convoqua Mandat à l'Hôtel de Ville. Il n'osa désobéir. Il vint, fut insulté, puis tué. On lui nomma pour successeur Santerre. L'assaut, dès lors, pouvait commencer. Louis XVI dormait. Marie-Antoinette et sa belle-sœur Elisabeth avaient passé la nuit debout, s'attendant au pire. Pâles et s'appuyant l'une à l'autre, elles virent se lever un beau jour, c'était le dernier de la monarchie.

Déjà les Tuileries étaient cernées par les bandes d'émeutiers. Louis XVI réveillé, les cheveux défrisés et sans poudre, alla passer la revue de la garde nationale rangée dans la cour du Carrousel. Il ne sut pas trouver les quelques mots qui eussent pu empêcher cette milice incertaine de se joindre aux insurgés. Comme il rentrait aux Tuileries, des canonniers coururent sur ses pas, criant : A bas le roi ! Déjà les insurgés étaient aux portes.

Roederer, qui croyait à la vertu des lois, supplia Louis XVI de quitter le palais et de demander asile à l'Assemblée. Marie-Antoinette s'y opposa. Mais nous avons des forces ! Elle avait raison. Avec les deux cents chevaliers de Saint-Louis qui se trouvaient dans les salons et les antichambres, les neuf cents Suisses disciplinés et fidèles, prêts à mourir sur un ordre, on pouvait tenir contre l'assaut incohérent des faubourgs. Roederer insista. Et autour de lui des ministres, des officiers municipaux. La résistance est impossible, disaient-ils. Tout Paris est là.

Louis XVI regarda la reine. Elle détourna les yeux, comme si elle avait honte de sa faiblesse.

— Marchons, dit-il.

Il n'avait d'énergie que dans la soumission. A quoi marchait-il ainsi, derrière Roederer et les ministres qui avaient pris la tête, avec à côté de lui sa femme, sa sœur et ses deux enfants, par la grande allée du jardin des Tuileries, jonchée déjà de feuilles sèches ? Vers l'Assemblée, vers l'appui de la Constitution jurée par lui et par la France ? Nul encore ne pouvait penser, dans ce jour étouffant où la sueur tachait les visages, que c'était vers la prison et la mort.

De son pas pesant, il entra dans la salle du Manège. Le Girondin Vergniaud présidait. Il accueillit la monarchie défaillante par une phrase creuse :

— Sire, vous pouvez compter sur la fermeté de l'Assemblée nationale ; ses membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et les autorités constituées.

On plaça la famille royale dans la loge du sténographe. Elle y fut parquée tout le jour, tressaillant aux coups de feu des Suisses qui défendaient encore le château et qui furent presque tous massacrés. Il y eut au total près de huit cents morts. Dumas raconte que le soir on voyait des jeunes gens jouer avec des têtes.

La nouvelle Commune, ivre de sa victoire, réclamait la déchéance du roi. L'Assemblée se contenta de le suspendre. Elle rappela aux affaires les ministres girondins, Roland, Clavière et Servan, auxquels fut adjoint, avec le portefeuille de la justice, Danton, qui tout de suite exerça une manière de dictature.

Danton était, comme on l'a dit alors, le Mirabeau de la canaille. Il avait les besoins et les vices du grand aristocrate dévoyé, son manque de scrupules, son entourage vénal et taré. Son éloquence était à coup sûr moins châtiée, mais-déployait une plus véhémente ampleur de voix. Démagogue forcené, qu'il y trouvât intérêt, il était prêt à trahir principes, parti, amitiés. Pourtant, on doit lui rendre cette justice : il fut patriote. La seule page noble de sa vie est celle qui le montre redressant la France devant l'invasion et jetant la jeune République, la poitrine nue, devant la vieille Europe armée qui recula.

L'Assemblée législative avait abdiqué elle-même le 10 août. Elle avait voté l'élection immédiate d'une Convention nationale à qui elle laissait le soin de se prononcer sur le futur régime de la France. La main forcée par la Commune, elle laissa interner la famille royale dans la Tour du Temple. Les Girondins, quoiqu'ils eussent le ministère, passèrent au second plan. Dans cet interrègne, le gouvernement fut exercé par la Commune et par Danton.

Brunswick, avec 80.000 Prussiens et Autrichiens, était entré en Lorraine. Une seconde armée, commandée par le duc de Saxe-Teschen, menaçait Lille. Enfin, les émigrés du prince de Condé, flanqués de plusieurs corps autrichiens, s'apprêtaient à conquérir l'Alsace. En France, à Paris surtout, l'angoisse croissait. Les volontaires qui avaient par l'amalgame grossi les rangs de la vieille armée royale étaient à peine aguerris. Mais ils vibraient d'une foi mystique. Bien avant la nation, l'armée était républicaine. Son âme, exaltée aux accents de la Marseillaise, lui promettait la victoire sur l'Europe le jour où elle aurait des armes, des cadres, des chefs. Dumouriez et Kellermann, pour les lui donner, n'épargnèrent pas leur peine. Mais avant que cette aube se levât, il y eut encore un douteux crépuscule. Longwy, mal défendu, capitula le 20 août. Et le 2 septembre Brunswick prit Verdun. De même que les premiers échecs militaires avaient eu pour conséquence directe l'assaut contre les Tuileries, la perte de ces deux places jeta Paris dans une sorte de fièvre obsidionale contre laquelle Assemblée et gouvernement se trouvèrent désemparés. Les meneurs, Commune et Marat en tête, voulaient du sang. Ils croyaient que la République ne pouvait se fonder que dans la terreur. Ils organisèrent la boucherie des prisonniers royalistes et des prêtres à l'Abbaye, aux Carmes, à la Force, au Châtelet, à Bicêtre. Danton ne fit rien pour l'empêcher. Il en fut le complice tacite en ne prenant aucune mesure de protection. L'Assemblée se contenta de blâmer les massacres. Quant à la Commune, elle paya ceux qui s'étaient employés aux exécutions populaires. Douze cents personnes périrent, dont la meilleure amie de la reine, la folle, charmante et courageuse Lamballe. La plupart des cadavres furent profanés.

Les Girondins, dont beaucoup avaient l'âme généreuse, se révoltèrent. Ils se séparèrent des Jacobins et demandèrent le châtiment de Marat. Danton, secouant sa crinière, les défiait.

Pour imiter Paris, Reims, Lyon, Caen, d'autres villes, eurent leurs égorgeurs. La France était courbée sous une vague de folie et de haine. A deux semaines de là un grand coup de vent pur la redressa. Dumouriez et Kellermann avaient vaincu les Prussiens à Valmy (20 septembre).

Cette petite rencontre, où des deux parts il n'y eut pas cinq cents tués, fut une des plus grandes victoires françaises. Par un soir de brume et de pluie, l'infanterie prussienne, la meilleure de l'Europe, tenta d'enlever le plateau de Valmy, occupé par Kellermann. L'artillerie française l'arrêta. Brunswick n'osa pas recommencer l'assaut. Il ordonna la retraite. Le jeune Goethe, volontaire dans son armée, dit à ses camarades :

— De ce lieu et de ce jour, date une nouvelle époque dans l'histoire du monde. Vous pourrez dire : J'y étais.

Si Dumouriez avait poursuivi l'armée prussienne en retraite, il pouvait l'encercler. Il ne l'osa point. Plus diplomate encore que militaire, il espérait détacher la Prusse de l'Autriche et tourner contre celle-ci toutes ses forces pour obtenir une victoire massive. Il obliqua vers les Pays-Bas autrichiens et envahit la Belgique. Le 6 novembre, il battait les habits blancs à Jemmapes. A ce moment, Montesquiou et Anselme étaient maîtres de la Savoie et de Nice qui votaient leur réunion à la France. Custine occupait toute la Rhénanie et entrait à Francfort.

A l'heure où la France de la Révolution pour la première fois faisait ainsi, à marches hardies, reculer l'Europe, la Convention prenait séance. La terrible assemblée allait régner trois ans. Pareille à une lance, dont la pointe est tachée de sang, mais qui cependant domine et resplendit, elle marque un des sommets, les plus tragiques, les plus affreux peut-être, mais aussi les plus grands de l'histoire.

***

Elle avait été élue durant les deux premières semaines de septembre, dans un halètement de rage et d'effroi. Elle comptait 749 membres, en grande majorité jacobins. Comme la Législative s'était portée à gauche de la Constituante, la Convention fut à gauche de la Législative. Forts de 160 voix, les Girondins, maintenant adversaires des Jacobins, composèrent l'aile droite de la nouvelle Assemblée. S'opposèrent à eux Cordeliers et Jacobins, deux cents environ, qui formaient le parti de la Montagne. Le Centre, ou Plaine, flottement de quatre cents hommes médiocres ou craintifs, étendait ses frontières mobiles entre ces deux grands partis. Les chefs girondins de la Législative comme les chefs jacobins étaient tous là, Vergniaud, Brissot, Guadet, Condorcet, Robespierre, Danton, Marat, Saint-Just, Couthon, Carnot, Cambon, Fouché. Tous étaient républicains. Mais les premiers ne voulaient pas de la dictature de Paris et de sa Commune criminelle. Ils étaient des provinciaux et entendaient garder à la France son visage un et pourtant divers. Leurs adversaires les accusaient de fédéralisme. Ils étaient, eux, pour l'unité farouche, la République indivisible ou la mort. Ils ne regardaient que Paris. Pour eux, la légalité, l'humanité, la liberté même n'étaient rien. Le Salut public était leur raison d'Etat, souveraine, aveugle, atroce et splendide. Ils étaient de farouches patriotes. Mais aussi des sectaires et des illuminés.

Dès sa première réunion, le 21 septembre, la Convention, sans proclamer explicitement la République, vota l'abolition de la royauté. Quelques semaines plus tard, après de furieuses discussions entre Girondins et Montagnards, un essai de mise en accusation de Robespierre, de Marat et de Danton, chefs tacites ou avoués des Septembriseurs, qui échoua parce que les Girondins, qui pourtant avaient encore le pouvoir et que suivait la Plaine, n'osèrent exploiter leur avantage, le procès de Louis XVI commença.

Les Montagnards voulaient sa mort. Cette tête du dernier roi de France jetée en défi à l'Europe et aux émigrés, c'était pour eux le geste symbolique qui séparerait sans recours le présent du passé. La Révolution dès lors serait indiscutable, invincible. Robespierre, du premier jour, le déclara : Louis n'est point un accusé ; vous n'êtes point des juges. Vous n'avez pas une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer. C'est la théorie du crime d'État nécessaire. La majorité des Girondins ne l'accepta point. Ils eussent presque tous — sauf Vergniaud et Barbaroux — voulu sauver un monarque faible, malheureux et, dans l'ensemble des faits, innocent. Mais ils se turent quand on eut découvert aux Tuileries, par la trahison du serrurier Gamain, l'armoire de fer où se trouvaient les papiers du roi, les preuves de la collusion de Mirabeau et celles de l'entente des souverains avec les émigrés et l'étranger. En se prononçant avec indulgence, ils craignaient de passer pour suspects. Ils n'avaient encore été que maladroits et versatiles ; ils furent lâches. Cette lâcheté-là, ils ne tarderont pas à la payer du plus terrible prix.

Le procès commença le 11 décembre et finit le 20 janvier. Louis XVI, assisté de Malesherbes, qui avait été son ministre, de Tronchet et de Sèze, se défendit avec une touchante dignité. Louis Capet fut déclaré coupable de conspiration contre la Sûreté générale de l'État et condamné à mort. Vergniaud eut le dernier courage de demander l'appel au peuple. Robespierre et Marat l'emportèrent sur lui par une dialectique acharnée. Le 20 janvier, à trois heures du matin, la Convention, par 380 voix contre 310, décida l'exécution pour le lendemain.

Par un gris et morne dimanche d'hiver, sur la place de la Révolution, aujourd'hui place de la Concorde, la guillotine attendait le petit-fils de Louis XIV, de Henri IV et de saint Louis. Toutes les troupes dont disposaient la Convention et la Commune faisaient la haie sur le passage du carrosse du roi. Dans le peuple s'élevèrent quelques cris de miséricorde. Santerre alors commanda de faire rouler les tambours. Louis XVI monta les degrés de l'échafaud avec un calme courage. Il voulut parler au peuple. On entendit : Je meurs innocent ! Les tambours engloutirent sa voix. Il mourut en roi, en homme et en chrétien. Parmi les spectateurs, même les révolutionnaires, les plus décidés étaient pâles. Les autres pleuraient.

***

Ce crime politique eut de terribles conséquences. L'Europe tout entière se dressa contre la France. L'Angleterre, oubliant sa propre histoire, prit la tête de la coalition et ouvrit sa caisse. A la vérité, la mort de Louis XVI n'était pour elle qu'un prétexte. Plutôt que de nous voir maîtres de la Belgique, elle se jetait âme et corps dans la lutte. Pitt annonça aux Communes que cette guerre serait une guerre d'extermination. Presque aussitôt sur tous les fronts, les Français virent tourner la chance. Dumouriez, battu à Neerwinden, est chassé des Pays-Bas. Mandé à sa barre par la Convention, il livre ses envoyés aux Autrichiens et passe lui-même à l'ennemi après avoir vainement tenté de soulever son armée. Les Prussiens reprennent la Rhénanie et entrent en Alsace. Les Espagnols occupent Perpignan et Bayonne. Les Anglais, appelés par les royalistes, s'emparent de Toulon. Notre frontière partout est largement entamée. La route de Paris de nouveau est ouverte.

La Convention, où de plus en plus la Gironde perd ses forces, où la Montagne avec Robespierre et Marat domine, fait face au péril étranger avec une sombre énergie. Elle ordonne la levée par tirage au sort de 300.000 soldats, décrète la peine de mort contre les émigrés et les prêtres réfractaires. Enfin elle crée les trois organes célèbres qui vont sauver par la Terreur la République menacée : Comité de Salut Public, chargé de la défense extérieure et intérieure de l'État ; Comité de Sûreté générale et Tribunal révolutionnaire pour rechercher, arrêter et condamner les suspects.

Ces mesures, mais surtout la réquisition militaire, exaspérèrent la France de l'Ouest. Le bocage breton et vendéen se souleva. Une immense armée de paysans, mal armés mais forts de leur foi blessée, va se répandre dans le Poitou, l'Anjou, le Maine, sous des chefs sortis de la noblesse ou du peuple terrien : un d'Elbée, un La Rochejaquelein, un Charette, comme un Cathelineau ou un Stofflet. La guerre civile flambera de province à province. Bientôt le Midi prendra feu à son tour. Soixante départements insurgés...

Plus encore que le danger extérieur, cette révolte de la France provinciale contre la dictature parisienne va acculer la Convention au bord de l'abîme. Elle ne justifiera pas, mais excusera en partie le régime de délation et de sang qui va s'instituer.

A Paris, la lutte continuait, acharnée, entre la Commune, inspirée par Marat et Hébert — le rédacteur du Père Duchesne — contre les Girondins que la trahison de Dumouriez, longtemps regardé comme leur homme, avait minés dans l'opinion. Pour arracher leur proscription à la Convention hésitante, la Commune lança à l'assaut de l'Assemblée une véritable armée : 80.000 hommes et 60 canons, sous la conduite d'Hanriot, louche démagogue, général du ruisseau, aux ordres de Robespierre (2 juin). La Convention céda à la peur de la mitraille. Canonniers, à vos pièces ! avait commandé Hanriot. Elle décréta l'exclusion de vingt-neuf des principaux Girondins.

La Montagne, dès lors, avait le champ libre. Elle bâcla une Constitution destinée à remplacer la Constitution monarchique de 1791. Le régime qu'elle instituait était absurde. Le pouvoir central perdait toute autorité. Les votes de l'Assemblée étaient même soumis au referendum du peuple. Inapplicable, elle ne fut pas appliquée. La France continua d'être régie par la dictature de la Convention.