RÉVOLUTION ET EMPIRE

 

CHAPITRE II. — LA PREMIÈRE RÉVOLUTION.

 

 

ASSEMBLÉE CONSTITUANTE : 5 MAI 1789-30 SEPTEMBRE 1791. — 5 mai 1780 : réunion des États Généraux. — 20 juin : serment du Jeu de Paume. — 14 juillet : prise de la Bastille. — 4 août : abolition des privilèges. — 5 et 6 octobre : retour du Roi à Paris. — 12 juillet 1790 : Constitution civile du clergé. — 20-22 juin 1791 : fuite du roi ; son arrestation à Varennes. — 14 septembre : proclamation de la Constitution. — 30 septembre : séparation de l'Assemblée Constituante.

 

Vers la fin d'avril, les députés arrivent à Versailles. Un long flot : douze cents. La plupart sont gens de province. Les courtisans raillent leur gaucherie. Ils ne se doutent pas que ce qu'il y a de plus redoutable pour la monarchie, c'est justement le provincialisme de l'Assemblée. Ces délégués des petites villes, des campagnes, sont pour la plupart d'honnêtes pères de famille, des cœurs naïfs. Ils croient profondément à la vertu des principes, ils n'ont pas de jointures. Ils ignorent tout de la vie politique, des nécessités d'un gouvernement, quel qu'il soit. Ils manquent de philosophie et de scepticisme. Ils sont trop purs. Le luxe de Versailles rebute ces simples. Et aux regards moqueurs des gens de cour, ils répondent par des regards de colère et de mépris. Avec eux, sinon ouvertement, du moins en secret, sont les curés de village, quelques moines, ceux qu'on appelle : les vilains du clergé.

Cardinaux à manteau et chapeau rouges, évêques en robes violettes, membres de la noblesse en habits de soie et d'or, cravate de dentelle, chapeau à plumes blanches, députés du Tiers en vêtements de drap noir, simple rabat de mousseline, tricorne noir et uni, entrent lentement le 5 mai 1789 dans la salle des Menus Plaisirs où doit se tenir la première séance des Etats, en présence du Roi. Louis XVI lit mal un discours assez rude, où il affirme son autorité. Necker parle ensuite. Le Tiers, qui a trop espéré, est déçu.

Pendant les semaines qui suivent va s'accuser un peu plus chaque jour l'antagonisme entre le gouvernement et le Tiers. Les députés du peuple veulent la réunion, la fusion des trois ordres, et le vote par tête. Le petit clergé, une minorité de nobles les approuvent. Le Roi s'y oppose. Le Tiers alors, sortant de l'obéissance et considérant qu'il représente les quatre-vingt-seize centièmes de la nation, se déclare constitué en Assemblée nationale, sur la proposition de l'abbé Sieyès.

Acte grave, atteinte décisive à la toute-puissance du Roi. Louis XVI pour répondre use d'un pauvre moyen. Il fait fermer la salle des Menus Plaisirs. Les députés courent au jeu de Paume, et sous la présidence de l astronome Bailly, acclament la motion de Meunier : L'Assemblée prête le serment de ne pas se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie[1]. Tous jurent, dans l'extrême ardeur des esprits. Le Roi, quelques jours plus tard, tient aux Menus une séance où, la voix tremblante et irritée, il commande aux trois ordres de se séparer et annule les décisions prises. La Noblesse, le Clergé le suivent quand il part. Le Tiers demeure sur ses bancs au centre de la salle. Le grand-maître des cérémonies, Dreux-Brézé, rappelle l'injonction du Roi.

— Il me semble que la nation assemblée ne peut pas recevoir d'ordres, répond Bailly.

Alors, Mirabeau, un noble que le Tiers a élu député d'Aix, se lève et dressant devant Dreux-Brézé sa tête de lion lapidé, s'écrie :

— Allez dire à votre maître, monsieur, que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes.

Les baïonnettes ? Le roi n'ose.

— Ils ne veulent pas s'en aller? dit-il. Eh bien, qu'ils restent...

Quelques jours après ce défi du Tiers, il autorise la noblesse et le clergé à se joindre à lui :

— Il nous manquait des frères, dit Bailly, en les recevant : la famille est désormais complète.

Cette fois le despotisme a vécu. Le Roi a cédé à la souveraineté nationale. L'Assemblée se saisit aussitôt du pouvoir qui vient de glisser jusqu'à elle et se déclare Assemblée Constituante.

***

Dans ces débuts de la Révolution, deux hommes ont joué un rôle d'une particulière importance : Sieyès et Mirabeau. Ils ont un trait commun : tous deux ont déserté leur ordre pour se faire élire par le Tiers. Pour le reste tout les oppose.

Ancien aumônier de Mesdames, tantes du Roi, l'abbé Sieyès s'est institué le directeur de conscience de l'Assemblée. C'est un homme replet, aux yeux ternes, aux traits mous et taciturnes, mais doué d'un orgueil profond, d'une volonté souterraine, qui entreprend toujours sans s'occuper de l'issue. Son pamphlet l'a rendu célèbre. On l'interroge avec respect. Il répond sur un ton mystérieux, comme s'il rendait des oracles. On s'est demandé depuis s'il n'y avait pas beaucoup de vide sous cette grave façade. Nous ne le croyons pas. Médiocre, Sieyès n'eût pas exercé aux moments critiques de la Révolution sur des esprits dont beaucoup étaient sages, une influence d'un tel poids.

Mais il lui a manqué pour se hausser au premier plan cette sorte d'activité virile, d'ardeur physique que veulent les grands destins politiques. Il a pu dépouiller la robe du prêtre, il en a gardé l'esprit. Ballotté entre les factions, pour les dominer à la fin, il lui faudra le secours d'une épée. Et au moment qu'il croira toucher à son triomphe, il sera culbuté par le soldat.

Honoré Riquetti, comte de Mirabeau, est un transfuge de la noblesse. Violent, sensuel, il a eu la jeunesse la plus grosse d'orages. Son père, le fameux Ami des Hommes, pour le contenir plutôt que pour l'amender, l'a fait enfermer au château d'If, au fort de Joux, puis à Vincennes. Il y parfait son instruction par une lecture énorme. Libre enfin en 1780, il reçoit de Calonne une mission secrète en Prusse. Il rentre en France pour se jeter dans la Révolution. Sa magnifique intelligence, sa parole emphatique et colorée, son audace en font un meneur d'hommes. Ses pairs, les nobles, le méprisent et le repoussent. Il sera député du Tiers. Il fonde le Journal des États Généraux. C'est lui qui soutient le Tiers dans ses premières luttes et qui, le premier, jette le défi à l'autorité royale.

Petit, massif, la tête dans les épaules, son large visage ravagé par la variole, aux yeux injectés de sang, effraie et fascine... On ne connaît pas, dit-il, la toute-puissance de ma laideur. Quand je secoue ma terrible hure, il n'y a personne qui ose m'interrompre. Il n'est pas seulement un admirable orateur. C'est un politique profond. Il dominera la tribune de la Constituante. Mais il ne peut donner toute sa mesure qu'au pouvoir, et le pouvoir lui sera refusé. Il mourra trop tôt, brûlé par sa flamme, épuisé par ses vices. C'est la plus grande force perdue de la Révolution.

***

Le Roi est débordé. Sa prérogative est atteinte. Le nom seul d'Assemblée constituante que les États Généraux se sont donné montre que la Constitution ne sera pas octroyée par le Roi, mais imposée par la nation. Marie-Antoinette et son entourage, plus que Louis XVI, constatent le danger. Si l'Assemblée n'est pas brisée, l'autorité royale est perdue et avec elle le principe même de la monarchie. Il n'est qu'un moyen : un coup de force militaire. Le ministère le prépare. Il appelle à Versailles et à Paris, au Champ de Mars, tous les régiments étrangers disponibles. Etrangers — car il n'est pas assez sûr des Français. Un camp d'artillerie est établi aux Sablons. Les courtisans parlent de l'arrestation imminente des meneurs de l'Assemblée.

Mirabeau fait adresser, le 9 juillet, une requête respectueuse au Roi demandant le renvoi des troupes. Louis XVI répond qu'il est seul juge de leur utilité et offre de transférer l'Assemblée à Soissons ou à Noyon, hors de l'appui de Paris. Le lendemain, il renvoie Necker.

Paris aussitôt fermente. Il a faim ; le pain manque. La peur de la famine s'ajoute aux menaces dirigées contre l'Assemblée ; journaux, pamphlets, discours en plein air échauffent les esprits. Le peuple oblige les théâtres à faire relâche. Quelques boutiques d'armuriers sont pillées. Le dimanche 12 juillet, un jeune libelliste qui depuis quelques jours excite la foule à l'émeute et au pillage, monte sur une table dans le jardin du Palais-Royal et, un pistolet à la main, s'écrie :

— Citoyens ! J'arrive de Versailles, Necker est chassé. C'est le tocsin d'une Saint-Barthélemy de patriotes ! Ce soir même, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ de Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu'une ressource, c'est de courir aux armes !

Dix mille hommes acclament Camille Desmoulins. Un cortège se forme, derrière les bustes de Necker et du duc d'Orléans, dérobés au musée de cire de Curtius. En criant, en chantant, il parcourt les rues, arrive à la place Louis XV — la Concorde actuelle —. Le prince de Lambesc, à la tête de son régiment de dragons, veut le disperser. Il avance lentement, sous une grêle de pierres. Plusieurs cavaliers sont blessés. Un vieillard est renversé. Seule victime, quoi qu'on ait dit, de cette première rencontre. Les gardes françaises ayant tiré sur les dragons, Lambesc recule vers les Champs-Elysées, sous les huées et les cailloux. La nuit qui vient sera une nuit d'alarme et de sourd tumulte. L'émeute est dans l'air étouffant. La cloche de l'Hôtel de Ville sonne le tocsin. Les églises lui répondent. Des hommes sans aveu se répandent dans les rues, allument des feux, défoncent des boutiques, insultent et volent les passants. Le matin du 13, ils vont à la Force et y délivrent les prisonniers de droit commun.

Les bourgeois de Paris, épouvantés, organisent une milice de 12.000 hommes, noyau de la future garde nationale. Mais ils sont sans armes, tandis que la populace, le matin du 14, envahissant le Garde-Meuble, puis les Invalides, s'est emparée de 28.000 fusils et d'une trentaine de canons. Les gardes-françaises, troupe de basse moralité, sont avec elle. A la Bastille !, crie tout à coup on ne sait qui. Et cette tourbe immense, fluant par la rue Saint-Antoine, se porte à la Bastille, où elle espère trouver d'autres armes.

La Bastille, pour le peuple de Paris, c'est le symbole du despotisme. Il la croit pleine de martyrs de l'arbitraire royal. Au vrai, l'ancien château-fort de Charles V, avec ses huit tours grises, couronnées de vieux canons, n'est plus guère qu'une prison de parade, où le roi fait enfermer pour quelques semaines des fils de famille ou des gazetiers. Elle est commandée par un galant homme, Launay, qui n'a sous ses ordres que 40 Suisses et 80 invalides. Invité à retirer ses canons, il les fait ôter des embrasures. La populace qui s'amasse en hurlant au pied de la forteresse brise les chaînes du pont-levis, se jette dans la cour. Launay, après deux sommations, ordonne de tirer. La foule s'enfuit, puis, revient, furieuse. Des gardes-françaises la renforcent, avec deux pièces de canon prises à l'Hôtel de Ville. Leur arrivée démoralise la petite garnison. Elle presse le gouverneur de se rendre. Launay, désespéré, pense d'abord à faire sauter la poudrière. Deux hommes se jettent sur lui, l'arrêtent. Ils arborent le drapeau blanc. Les assaillants se précipitent dans la forteresse. Leurs meneurs ont promis la vie sauve aux défenseurs. Mais il y a trop de lie dans cette foule. Elle massacre Launay, trois autres officiers, des invalides. On délivre les prisonniers. Ils ne sont que sept : quatre faussaires, deux fous, un érotomane.

On porte en triomphe ces victimes de l'absolutisme. Avec eux, dominée par les piques où elle a planté les têtes de Launay et de ses soldats, elle marche sur l'Hôtel de Ville. Le prévôt des marchands, Flesselles, est sommé de sortir. Il sort, est abattu, mis en lambeaux. On égorge aussi l'ancien ministre Foulon et son gendre Bertier, intendant de Paris. Le soir, le peuple danse au Palais-Royal autour des têtes qu'on a plantées dans le jardin. Il a goûté le sang. Dès lors il sera sanguinaire. Sa victoire l'a enivré. Sa raison titube. Les bourgeois de l'Hôtel de Ville le flattent bassement. Une légende se forme. Les vainqueurs de la Bastille, qui sont des bandits, deviennent des héros. L'Assemblée nationale a trop d'intérêt à ne pas adopter ce mensonge. Elle félicite le peuple de Paris de son ordre, de sa sagesse, et se déclare en permanence, craignant un retour offensif de la cour.

La cour n'y pensait guère. Le Roi ne sait rien. Il a chassé, a soupé, s'est couché, a dormi de son épais sommeil d'homme trop nourri. Le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, grand-maître de sa garde-robe, vient dans la nuit l'éveiller pour lui apprendre l'événement. Louis XVI le regarde, étonné, de ses gros yeux bleus.

— C'est une révolte ? demanda-t-il.

— Non, sire, répond le duc, qui du reste est libéral et défend l'Assemblée, c'est une révolution.

Une révolution. Pour la première fois, le mot frappe son oreille. Le roi s'émeut. Il dit à La Rochefoucauld qu'il va faire retirer les troupes et ira sitôt qu'il sera jour à l'Assemblée. Les députés, avertis, éclatent en applaudissements. Mirabeau les retient. Qu'ils ne se réjouissent point à l'avance :

— Le sang de nos frères coule à Paris. Qu'un morne respect soit le premier accueil fait au monarque par les représentants d'un peuple malheureux. Le silence des peuples est la leçon des rois.

Quand Louis XVI paraît, escorté de ses deux frères, et sans gardes, on se tait sur son passage. Il parle avec une bonhomie, même une adresse inattendues :

— Je ne suis qu'un avec la nation, dit-il, et il explique qu'il a ordonné aux troupes appelées à Paris et à Versailles de regagner leurs précédentes garnisons. Il finit par ces mots touchants :

— Eh bien, c'est moi qui me fie à vous.

L'Assemblée entière se lève, le salue de vivats et, en longue file noire, le reconduit au palais. Le lendemain, le roi rappelle Necker et le 17 il vient à Paris. A la barrière, il est reçu par Bailly, l'astronome à face plate, la veille nommé maire, et Lafayette, héros de la guerre américaine, brave et inconstant, que la garde nationale a pris pour chef. Bailly lui offre les clefs de la ville :

— Ce sont les mêmes, sire, qui ont été présentées à Henri IV ; il avait reconquis son peuple ; ici le peuple a reconquis son roi.

Louis XVI, à l'Hôtel de Ville, accepte des mains de Bailly la cocarde tricolore où le blanc des Bourbons est serré entre le bleu et le rouge, couleurs de Paris. Une foule immense crie : Vive le roi !

Pauvre roi, assis dans son fauteuil doré, il approuve de la tête des discours qui, à d'autres, sembleraient insolents. Sa présence sanctionne tout ; révolte des gardes-françaises, pillage des Invalides, prise de la Bastille. Il se réconcilie, croit-il, avec son peuple, et cela vaut un sacrifice. Mais il a montré tant de faiblesse qu'à présent ce peuple va se croire tout permis. Autour de lui, dans sa famille même, on le sent. Marie-Antoinette le désapprouve. Le comte d'Artois, prudent, quitte la France avec ses fils. L'imitent les princes de Condé et de Conti, les Polignac. Ils s'établissent à Turin, y créent un bureau politique, dont Calonne devient le principal agent.

La France non plus ne se trompe pas sur la gravité de cet effondrement inouï du pouvoir. Elle a peur. Peur de l'anarchie où Paris est tombé, peur des brigands qu'on dit courir de ville en ville au pillage des maisons, au saccage des récoltes, peur de la famine, peur de l'inconnu. Bourgeois, paysans s'arment. Une jacquerie spontanée sort de cette épouvante confuse, qui s'aigrit d'attendre. Dans les derniers jours de juillet, des centaines de châteaux sont brûlés. Les titres des seigneurs sont détruits. L'Assemblée, inquiète de ces désordres, qu'aucune autorité ne réprime, cherche le moyen de calmer les provinces. Il lui faut bien agir, puisque le roi ni ses ministres ne gouvernent plus. Le 4 août, le vicomte de Noailles, parfaitement ruiné et qui n'a rien vraiment dont il puisse se dépouiller, propose l'abolition des droits féodaux. L'Assemblée approuve d'enthousiasme. Le duc d'Aiguillon élargit la proposition, l'applique aussi aux servitudes personnelles. On l'acclame. Alors c'est un déchaînement, une cascade de générosité collective et de folie. Chacun s'élance au sacrifice, sans se préoccuper des conséquences. Du reste, on commence par sacrifier les droits du voisin. Le duc du Châtelet propose la suppression des dîmes, l'évêque de Chartres celle du droit de chasse. En quelques heures de nuit, parmi les cris, les étreintes, les pleurs de joie, sont abolis les privilèges financiers, les justices seigneuriales, les banalités, la vénalité des offices de magistrature, le casuel des curés, les pensions sans titres, les jurandes et maîtrises, les monopoles des villes, les immunités des provinces. Au petit matin, tout est par terre. Louis XVI est proclamé restaurateur de la liberté française et l'archevêque de Paris entraîne l'assemblée entière à la chapelle du château pour remercier Dieu par un Te Deum.

Cette nuit, naïve et belle, a fait la table rase. Tous les Français maintenant sont égaux, tous peuvent parvenir aux emplois. Cependant on a porté atteinte à des droits respectables, on a supprimé de véritables propriétés. Sieyès et Mirabeau le déplorent. On ne transforme pas un pays jusqu'au tréfonds en un soir de délire. Le 4 août, explosion admirable, a secoué durement la France et fait des ruines qu'il faudra regretter.

L'Assemblée a nommé un Comité de Constitution qui présente un projet le 20 août. Le premier texte, voté en octobre subira tant de retouches dans les mois suivants qu'une refonte en sera faite en 1791. Pendant ces deux années en somme, la matrice des lois constitutionnelles sera en travail. Mais en guise de préambule, l'Assemblée, à l'exemple des Insurgents américains, a voté une Déclaration des Droits. Non pas des droits du citoyen français. Des Droits de l'Homme. On reconnaît ici l'influence de Rousseau et des Encyclopédistes. Soumise à leur esprit, la déclaration des droits sera moins une base législative qu'un étalon philosophique. Un conglomérat de maximes où s'épanche le goût moraliste des Français, orgueilleux de dicter sa future charte au monde. La Révolution, dès ses premières heures, a eu en vue la justice, plus que l'utilité. Or la justice n'est qu'un mot dans les sociétés des hommes. Mais il est magique, il enchante. Dans la justice, on croit trouver aussi la liberté. Mots sublimes qui vont soulever des âmes candides. Il faudra beaucoup d'années, bien des malheurs, bien du sang pour qu'elles échappent à cette admirable ivresse. Pourtant jusqu'à leur fin, elles en garderont la secrète chaleur.

On n'a parlé que des droits des citoyens, non de leurs devoirs, comme Mirabeau le voulait. La déclaration est trop démocratique pour le temps et les hommes, comme M. Aulard l'a montré ; elle va se trouver en désaccord avec l'esprit même de la Constitution.

L'Assemblée, à discuter interminablement ces articles, est devenue impopulaire. Paris, excité par les agents du duc d'Orléans, rêve d'un coup de main sur Versailles qui ramènerait roi, gouvernement, députés sous son influence, dans sa main.

La Reine, dont l'influence a grandi, est devenue le pivot de la résistance aux mesures révolutionnaires ; elle ne pense qu'à dissoudre l'Assemblée. Elle fait venir à Versailles deux corps fidèles : le régiment de Flandre et un régiment de dragons. Les gardes du corps offrent aux nouveaux venus un banquet dans la salle du théâtre du château. Le roi, la reine et le dauphin y paraissent, vers la fin. Des toasts injurieux pour l'Assemblée leur sont portés. La cocarde tricolore est foulée aux pieds.

Ces imprudences sont commises le 1er octobre. Paris les apprend deux jours après. Il est anxieux, mécontent. Les vivres manquent. On se bat à la porte des boulangers, écrit l'ambassadeur d'Autriche, Mercy-Argenteau, le 4 octobre.

Le 5 au matin, huit ou neuf mille femmes, troupe échevelée, braillante, où quelques honnêtes commères se sont égarées, partent à pied pour Versailles, traînant quelques canons et brandissant des piques, des sabres, des haches, jusqu'à des massues. Elles crient : Nous allons demander du pain au Roi ! Des ouvriers sans travail et aussi des individus douteux, échappés de prison, les suivent. Lafayette est obligé par ses gardes nationaux de prendre un peu plus tard la même route. Les femmes envahissent l'Assemblée, la bafouent, se livrent aux plus indécentes contorsions. Elles tentent ensuite de pénétrer dans le palais, mais se heurtent aux gardes du corps et au régiment de Flandre. Elles passent cette nuit sur la Place d'Armes autour de grands feux. Beaucoup sont ivres. Par moments, elles reprennent leur refrain tragique : Du pain, du pain !

Louis XVI, derrière les vitres du château, en frissonne. Ses ministres sont divisés. Il pense à fuir sur Rouen. A la fin, supplié par Mounier, il consent à donner sa sanction à la Déclaration des droits et aux articles votés de la Constitution. Lafayette, d'abord mal accueilli — on crie : voilà Cromwell ! sur son passage ; à quoi il réplique crânement : — Cromwell ne serait pas entré seul ! — répond de l'ordre au Roi et le persuade de faire remplacer aux grilles les gardes du corps par des gardes nationaux.

A la fin, quelques meneurs — bandits décidés à tout — trouvent une grille ouverte. Ils se ruent dans le palais, tuent deux gardes du corps, les décapitent et, leurs têtes au bout de piques, montent chez la Reine, qui, demi-nue, se sauve chez le Roi : Nous voulons le cœur de la Reine !, hurlent-ils en courant dans les grandes salles dorées et vides, nous fricasserons son foie et nous ferons des cocardes de ses boyaux !

Lafayette qui dormait se réveille, rassemble quelques soldats et vient au secours. Le palais est purgé de cette écume. Mais une foule énorme s'entasse dans la Cour de Marbre, demandant le roi. Louis XVI paraît sur le balcon. Le peuple, touché par son courage, l'acclame. Mais il crie aussi, impérieux : Le roi à Paris, le roi à Paris ! Il incline la tête. On l'applaudit. La Reine se montre à son tour, conduite par Lafayette, qui lui baise la main. Elle aussi, tout à l'heure si haïe, est saluée de vivats.

Mais Lafayette presse le départ. Le roi aux Tuileries, assure-t-il, c'est la réconciliation définitive avec Paris. Il est à demi-sincère, car il sent bien aussi que c'est la mainmise de la ville sur la royauté.

Tristement, à peu près sûrs à présent de ne jamais revenir dans ce palais qui les a vus puissants, jeunes, heureux, Louis XVI et Marie-Antoinette montent dans leur carrosse en compagnie de Madame Elisabeth, sœur du roi, du Dauphin et de la petite Madame Royale. Au pas, dans la boue, la lourde voiture se met en marche, escortée d'une foule triomphante, qui chante, crie, danse, en portant au bout de ses piques les têtes des gardes du corps massacrés. Voilà le boulanger, la boulangère et le petit mitron ! crie-t-elle dans sa joie. Des coups de feu éclatent par instants. L'atroce cortège va si lentement, avec de tels arrêts, dans l'encombrement de la route qu'il lui faut cinq heures pour arriver à l'Hôtel de Ville. Dans la traversée de Paris grouillant, à la lueur des torches, la reine est insultée. Enfin, on arrive aux Tuileries où un souper et un coucher de fortune ont été préparés pour la famille royale et leurs proches serviteurs. La reine, en noir, sans rouge, paraît vieille et exsangue. Le roi a gardé son sourire béat. Il se met à table et d'un superbe appétit de chasseur, ne paraît pas se douter que cette journée a fait de lui un prisonnier et scellé son arrêt à la monarchie.

***

Les premières journées décisives de la Révolution, 14 juillet, 5 et 6 octobre, ont été l'œuvre de la canaille de Paris. Le vrai peuple, les classes moyennes, la bourgeoisie, l'Assemblée les ont couvertes et comme assimilées. Mais une tourbe conduite par une poignée d'obscurs meneurs à la paie sans doute du duc d'Orléans, peut-être même de l'étranger, de plus en plus va peser sur le mouvement révolutionnaire et l'incliner vers la violence. Quand l'Assemblée, dix jours après le roi, vient s'installer à Paris, dans la salle du Manège, tout près des Tuileries, elle aussi tombe au pouvoir de ce syndicat haineux. Son action s'en trouvera dès le début faussée et il lui faudra quelque mérite pour accomplir sa tâche immense dans un reste de sang-froid et un semblant de dignité. Une foule ardente, dont beaucoup d'éléments sortent du ruisseau, emplit les tribunes, les couloirs, les abords de la salle, domine les délibérations, essayant d'imposer par ses apostrophes, ses applaudissements ou ses quolibets leur vote aux députés. Elle règne de même sur les clubs. surtout sur le club des Cordeliers.

Ces clubs son devenus en peu de mois de véritables puissances politiques, qui plus, encore que la presse, dirigent l'opinion. Les Jacobins, fondes par les députés de Bretagne et établis dans l'ancienne chapelle de la rue Saint-Honoré, ont des succursales dans tout le royaume, des agents dans les plus petites villes. A leur tribune défilent les chefs de partis de l'Assemblée, les meneurs populaires. On s'y accuse, on s'y défend, on y prépare les assauts successifs contre la royauté. Les grandes questions y sont débattues d'abord. Ce sont les Jacobins qui font les réputations et prononcent les disgrâces. Quand la Révolution s'enfoncera dans le sang, ce sont eux qui deviendront les pourvoyeurs de l'échafaud.

Les Jacobins, où domine un jeune député d'Arras, Maximilien de Robespierre, demeureront longtemps bourgeois et partisans de la monarchie limitée. Les Cordeliers, d'esprit peuple, appuyés sur les artisans, réclameront très tôt la République. Leur fondateur est un avocat fougueux. Danton. Ils ne comptent qu'à Paris, mais en quelques heures, ils peuvent rassembler des milliers d'ouvriers des faubourgs et les jeter sur l'Assemblée ou les Tuileries.

Les Feuillants sont un club monarchiste, constitutionnel, opposé à la démagogie. Lafayette en est le grand homme. Son influente se perdra bientôt dans les sables.

La presse est née de le Révolution. Royaliste, avec les Actes des Apôtres, populaire avec l'Ami du peuple de Marat, le Père Duchesne d'Hébert, par l'injure, la calomnie, par des attaques atroces, elle exaspère les passions, porte au rouge la furie politique. Paris est devenu une chaudière au-dessus de laquelle tourbillonnent des gaz empoisonnés. L'Assemblée tombée dans sa dépendance a perdu tout prestige. Elle travaille avec conscience pourtant. Mais on la morigène, on se défie de sa modération.

Elle travaille. Elle a l'esprit légiste, spéculatif et arbitraire. Déplaçant la souveraineté passée du roi à la nation, elle a voulu observer dans sa réorganisation de l'État la séparation des trois pouvoirs demandée par Montesquieu. Le roi est le premier serviteur de la Nation, inviolable et sans responsabilité. Ses ministres, eux, sont responsables. Il jouit d'une liste civile de 25 millions. Il peut s'opposer pendant six ans, par le veto, à une loi qui n'a pas son assentiment. Mais il ne peut dissoudre l'Assemblée et n'a même pas le droit de grâce. L'Assemblée qui s'appellera Assemblée législative, nommée pour deux ans par un petit nombre d'électeurs, a seule l'initiative des lois. Elle fixe les dépenses publiques, vote les impôts, décide de la paix et de la guerre. Il y a trop de pouvoir chez elle et point assez dans l'exécutif. Mirabeau le disait :

— La loi constitutionnelle est trop républicaine pour une monarchie, et pour une république il y a un roi de trop.

Le pouvoir judiciaire est devenu électif. Les électeurs qui nomment les députés choisissent pour dix ans les juges civils. Au criminel c'est un jury, tiré au sort, qui se prononcera sur la question de culpabilité. Dans chaque canton, un tribunal de paix, dans chaque district (arrondissement) un tribunal civil. Les appels se portent d'un tribunal à l'autre. A Paris, un tribunal de cassation maintiendra l'unité de la jurisprudence. La justice est désormais gratuite, uniforme et publique. Tout individu arrêté doit être interrogé dans les vingt-quatre heures par un magistrat. C'en est fini des emprisonnements arbitraires, de ce qui pouvait subsister encore de la torture et des confiscations. Les provinces sont supprimées. Plus de Bretons, de Provençaux, de Gascons ni de Lorrains, rien que des Français. Avec les provinces disparaissent les généralités. Le royaume est divisé en 83 départements, subdivisés en districts, les districts en cantons, les cantons en communes. Un conseil général administre le département avec un directoire départemental. Le district reçoit la même organisation. La commune est régie par son maire, assisté d'un conseil communal. Toutes ces autorités sont élues. Mais elles sont indépendantes les unes des autres, elles rivalisent et se contrecarrent. La désorganisation du royaume, dit Mirabeau, ne pouvait être mieux combinée.

La Constituante établit l'égalité par la suppression du droit d'aînesse et le partage égal des successions. Appliqué à la terre, ce régime va la morceler à l'excès. L'état civil est créé. Ce ne sont plus les curés qui en tiendront les registres, mais les municipalités. Les anciens impôts sont remplacés par trois contributions directes : la contribution foncière, perçue sur les immeubles ; la contribution personnelle et mobilière basée sur la cote du loyer du citoyen, les patentes sur les bénéfices du commerce et de l'industrie. La Constituante y ajoute des contributions indirectes : droits d'enregistrement, de timbre, et douanes. Ce sont encore les bases de notre système financier. De même que l'Assemblée votera chaque année le chiffre des impôts, suivant les besoins prévus, elle fixera l'effectif des troupes et les sommes nécessaires à leur entretien. Elle a décidé que désormais tous les grades seraient accessibles à tous les citoyens, sans aucune distinction de religion ou de naissance. Ces grades seront donnés à l'ancienneté. C'est la reconstruction entière d'un pays après la destruction complète de tous les organes de sa vie antérieure. Prodigieux travail. Hâtif, inhabile parfois. Cependant si le système électoral et l'organisation administrative peuvent être tenus pour mauvais, les réformes sociales sont plus heureuses et elles auront longue durée, puisque la vie française après un siècle et demi découle encore d'elles.

La Constituante couronne sa laborieuse improvisation par une décision capitale. Sur la proposition de Talleyrand, évêque d'Autun, soutenu par Mirabeau, malgré Maury et Sieyès, elle nationalise les biens du clergé. Ils sont évalués à trois milliards. Avec eux on éteindra la dette publique, qui s'élève à deux milliards 400 millions. Pour en mobiliser la valeur, on crée les assignats ; ils porteront intérêt à 5 %, et on pourra les échanger contre leur valeur en bons nationaux. Mais bientôt la pénurie du trésor va les multiplier. On leur imposera cours forcé, ils ne s'en déprécieront que plus vite, tandis que l'or et l'argent se cacheront. L'assignat de cent livres dans quelques années vaudra deux sous.

En s'attribuant l'immense fortune du clergé, la nation prend à sa charge les frais du culte et le soulagement des pauvres et des malades. Les prêtres deviennent ainsi des fonctionnaires rétribués par l'État. La Constituante, où persiste le vieil esprit gallican et janséniste, ennemi de Rome, va pousser plus loin et entrer dans le domaine interdit des âmes. Elle vote la Constitution civile du Clergé, qui abroge le Concordat et établit une église nationale, indépendante du Pape. Les évêques, les curés, seront nommés comme les députés. Ils devront prêter serment à la Constitution. La plupart, on le sait, vont s'y refuser. L'Assemblée a commis là sa faute essentielle. Elle a blessé le sentiment catholique, si puissant en France, elle a aliéné à la cause de la Révolution la grande majorité du bas clergé qui lui avait témoigné d'abord une active sympathie. Enfin, elle a profondément découragé le Roi, l'a rejeté au désespoir, aux actes qui vont le perdre avec la monarchie.

Louis XVI, atteint dans ses plus intimes convictions, n'osera pourtant se servir du veto ; il sanctionnera la loi, dans une affreuse angoisse :

— J'aimerais mieux, dira-t-il, en signant le décret, être roi de Metz que de demeurer roi de France dans une position pareille.

Dès ce moment, il songera à s'enfuir de Paris et à faire appel à l'étranger.

Dans cette marche si rapide vers l'extrême, la Révolution a pourtant marqué quelques arrêts. A l'Assemblée, beaucoup pensent qu'un accord sincère avec le roi peut seul sauver la France de l'anarchie. Le vaisseau de l'Etat est battu par la plus violente tempête, écrit Mirabeau, et il n'y a personne à la barre. Cette conciliation, il y travaille en secret. Il se rapproche de la reine, et dans plusieurs entrevues avec elle, s'engage, sans sacrifier rien du nouveau régime, à consolider la royauté. Il a le tort grave de laisser payer ses services d'une forte pension. Il s'est vendu, mais, comme dit Lafayette, dans le sens de ses opinions.

Le 14 juillet 1790, à la fête de la Fédération où toutes les provinces de France ont envoyé leurs délégués pour exprimer leur libre volonté d'union nationale, Louis XVI jure fidélité à la Constitution. En retour, Mirabeau fait donner au roi par l'Assemblée le droit de paix et de guerre. Si l'entente pouvait durer, la monarchie serait sauvée sans doute. Seulement la question religieuse gâte tout. Louis XVI ne peut sincèrement adhérer à un régime qui persécute sa foi. Par Breteuil, il entre en négociations avec son beau-frère, l'empereur Léopold.

Son mobile a été mal compris. Un roi de droit divin en qui s'incarne l'État, ne peut se trouver, vis-à-vis de la patrie, les obligations, les sentiments d'un homme privé. Où il est, là est la France. Si un concours extérieur le rétablit dans son autorité, Louis XVI pensera sincèrement qu'il a agi dans l'intérêt du pays. D'autre part, il croit qu'il existe, entre les souverains de l'Europe, un devoir de solidarité monarchique. Il l'invoque.

Les émigrés gâtent les affaires. Impertinents, imprudents et frivoles, ils vont presser les puissances d'intervenir pour le souverain que leurs intrigues compromettent aux yeux de son peuple. La Russie, la Prusse et l'Autriche, d'ailleurs, si elles doivent intervenir, ne songent qu'à leur intérêt propre. La Grande Catherine veut absorber ce qui reste encore de la Pologne, tandis que le roi de Prusse et l'Empereur se nantiront de compensations en France. Pour Louis XVI, pour Marie-Antoinette, aucune vraie sympathie, aucune pitié.

Mirabeau meurt, à peine à quarante ans, épuisé par sa vie folle, après un dernier mot sonore au compère Talleyrand :

— J'emporte avec moi les lambeaux de la monarchie.

Il a vu clair au moment où ses yeux se fermaient. Vivant, il pouvait sauver la royauté. Lui disparu, elle n'a plus de conseil. Marie-Antoinette agit désormais sans contrepoids sur l'esprit de Louis XVI. Les maladresses vont précipiter la chute.

La plus grave sera la fuite de la famille royale, que Mirabeau avait prévue et qu'il eût voulu empêcher. Mais le roi n'en peut plus ; chaque jour, on le brime, on l'insulte, on attente à sa conscience. Il veut quitter Paris, se réfugier au milieu de l'armée de Metz, commandée par Bouillé qu'il sait fidèle. Redevenu libre, il croit qu'il dominera la situation, que la France, affolée à l'idée de le perdre, se jettera à ses pieds. Revenant à Paris, avec les soldats de Bouillé, il lui pardonnera. Une nouvelle alliance, durable et féconde, unira la nation et son roi.

Rêves... On sait comment finit cette lamentable équipée. La famille royale arrêtée à Varennes est ramenée à Paris sous la garde de trois commissaires de l'Assemblée. Chemin de calvaire qui s'allonge trois jours par une chaleur mortelle, au milieu d'atroces quolibets. La fuite de Louis XVI était défendable si elle avait réussi. Du moment qu'elle échouait, elle entraînait une catastrophe.

Avant Varennes, il n'y avait pas de républicains à l'Assemblée ni dans les clubs. Robespierre, Danton, même Marat, restaient partisans de la monarchie. En fuyant, Louis XVI semble avoir jeté sa couronne. Il est devenu odieux au peuple de Paris. On le juge bas et faux. On le méprise. Pendant son absence, la nation n'a pas cessé de vivre, l'ordre même n'a pas été troublé. Un roi est donc inutile ? On le suspend. L'Assemblée se charge de l'État.

Cependant ces nouveaux républicains veulent aller trop vite. Les clubs, par leurs violences, font réfléchir la partie saine de la nation. La province s'effraie. Une échauffourée au Champ de Mars, où Lafayette mitraille des manifestants ameutés par Danton, rejette l'Assemblée vers des idées plus modérées. D'ailleurs, elle est lasse, à bout de souffle. Elle se sent impopulaire. Elle va disparaître. Auparavant, elle vote une loi d'amnistie, fait accepter la Constitution par le roi et lui rend ses pouvoirs. A ce moment, beaucoup croient la Révolution terminée. Une vague d'optimisme baigne Paris. La première Révolution vient en effet de finir. La Révolution, qu'on peut dire, malgré certains excès, la Révolution raisonnable. La seconde Révolution, la plus destructive, la plus violente, mais, par le dramatique des événements, la plus haute, va commencer.

 

 

 



[1] 20 juin 1789.