L'AIGLON PRISONNIER

 

CHAPITRE PREMIER. — LA MORT DE NAPOLÉON.

 

 

Pendant les six années où Napoléon sur son récif a ourdi sa légende et attendu la mort, il a attendu aussi des nouvelles de son fils. Pas une ligne de Marie-Louise, pas un mot de l'écriture de l'enfant. Quelques lettres de sa mère, de Pauline, qui donnent des informations trop indirectes, trop prudentes, passées par le crible des espions. Tout ce qui est précis, tout ce qui peut l'intéresser est supprimé par le cabinet anglais ou par Hudson Lowe. Aussi le captif ne rompt-il plus les cachets qu'avec indifférence. Il sait que rien de tendre, de doux, d'heureux, par là ne peut l'atteindre. Parfois même il déchire les lettres sans les avoir lues. il hausse l'épaule

— A quoi bon !

Quand le baron Stürmer, commissaire autrichien arrive à Sainte-Hélène, Napoléon espère qu'il est chargé d'un message de l'empereur François ou de Marie-Louise, d'un souvenir de son fils. Stürmer n'a été chargé que de se taire.

Seule, peu avant de quitter Schönbrunn, la pauvre Marchand a pensé au prisonnier. Par l'intermédiaire de Boos, directeur des jardins, qu'elle a su attendrir, elle a remis à d'elle, jeune botaniste qui a suivi Stürmer pour étudier la flore de Sainte-Hélène, un morceau de papier plié en quatre et adressé à son fils, le valet de chambre de l'Empereur

Je t'envoie de mes cheveux. Si tu as le moyen de te faire peindre, envoie-moi ton portrait. Ta mère, Marchand.

Ces cheveux inclus dans le papier sont légers, blonds, soyeux. On ne peut s'y tromper. Ce sont des cheveux du petit roi. Marchand les apporte à son maître. Napoléon sait au moins que son fils est vivant. Il voudrait interroger Welle. Mais Hudson Lowe, par un espion apprend que des cheveux ont été remis à Buonaparte. Il suit la piste en policier qu'il est, fait venir Welle, le semonce. On l'expulse par le plus prochain bateau. A son retour à Vienne, il est durement tancé. Et Metternich, qui rend le baron Stürmer responsable de cette grave indiscrétion, peu après le rappelle en Europe.

Napoléon s'est borné à soupirer :

— Il faut être bien barbare pour refuser à un mari, à un père, la consolation de parier à quelqu'un qui a vu sa femme depuis peu et touché son enfant !

A Longwood, dans sa chambre, il a lui-même disposé ses reliques. Sur la cheminée, le petit buste envoyé en 1814 à l'île d'Elbe par Bausset, qu'il a emporté aux Tuileries, à l'Élysée, à Malmaison, et dans ses deux prisons mouvantes, Bellérophon et Northumberland. De chaque côté les miniatures d'Isabey et d'Aimée Thibault : l'enfant dans son berceau, l'enfant aux bras de sa mère, l'enfant assis sur un mouton, l'enfant essayant une pantoufle, l'enfant répétant sa prière.

— C'est mon fils, dit-il, quand vient un visiteur. Voilà tout ce qu'ils m'en ont laissé.

Ce fils, captif comme lui, est le seul lien qui le rattache aux hommes. Il est son tourment, niais aussi son orgueil, son espoir. Il est son nom. Dans ces lentes années qui vont lui ronger le foie, sa pensée domine ses paroles, ses actes ; tous ses songes l'ont pour centre et pour moteur. Il refuse de s'évader, il barre à tout jamais sa destinée pour laisser plus d'accès à celle du petit. Il a voulu mourir là. debout sur le désert des eaux, pour lui créer un droit. Sa terrible agonie doit lui redonner la France.

Mieux vaut pour lui, dit-il, que je sois ici. S'il vit, mon martyre lui rendra sa couronne.

— Si je meurs sur la croix, dit-il encore, il arrivera...

Son martyre, il l'aggrave et l'exalte. Sans cesse il tire sur la chaîne pour qu'elle racle ses os. Tragédien instinctif, il a mis en scène son malheur et l'a haussé à le faire sans exemple. Il le sait bien, que sa gloire première n'est rien près de la Gloire qui, dans ce silence humide, suit maintenant ses pas, enlacée à la Mort, Prisonnier, à la merci d'un misérable que l'anxiété rend toujours plus atroce, n'étant rien qu'un agonisant étendu dans la sueur du rocher, chacun de ses souffles agite encore le monde. La moindre nouvelle de Sainte-Hélène empourprait Louis XVIII, pâlissait le Tsar et, sur sa haute tempe, gonflait la veine de Metternich. Les nations dans leur sommeil étaient visitées par son rêve. Chateaubriand, seul capable de sentir tant de grandeur, Chateaubriand, son ennemi, et qui n'avait cessé de l'envier, de le combattre et de l'adorer, osait écrire dans le Conservateur

Si Napoléon, échappé aux mains de ses geôliers, se retirait aux États-Unis, ses regards attachés sur l'Océan suffiraient pour troubler les peuples de l'Ancien Monde ; sa seule présence sur le rivage américain de l'Atlantique forcerait l'Europe à camper sur le rivage opposé.

Si humain pourtant, il passe hors du plan des hommes. Les scories tombent. La souffrance l'épure. Sur le seuil de sa tombe, comme Prométhée visité des Océanides, il sent monter vers lui la pitié, le regret, l'admiration de la terre. Pas de mort plus haute depuis celle de Jésus. Il l'a voulue ainsi. Rien ne fonde mieux qu'un complet sacrifice. Son fils, nouveau Fils de l'Homme, n'aura qu'à paraitre pour que la France lui ouvre les bras.

C'est dans cette vue lointaine qu'il se campe, et, artiste suprême, ordonne tous ses gestes. Plus rien d'un général, d'un génie parvenu. Le Consul, le chef révolutionnaire sont relégués dans la pénombre. Il n'est plus que le fondateur d'une dynastie, le tenant d'un principe. Il est l'Empereur. Il est vaincu, il est captif, mais il est l'Empereur.

— Que mon fils sache, dit-il, qu'il a eu un père toujours supérieur à ses infortunes, qui n'a jamais, même dans les plus petites choses, oublié quel est son rang.

Ce n'est pas vrai toujours ; l'homme jusqu'à la dernière heure garde ses infirmités et ses faiblesses. Mais Napoléon les cache ; il ne veut pas qu'on les aperçoive. Pour la postérité, de qui dépend son fils, il veut paraitre de marbre : c'est de marbre que sont faits les Dieux.

II pense toujours à lui. Cependant il n'en parle qu'à l'échappée, sous le coup de l'émotion. Il répugne à en parler dans le présent :

— Quelle éducation lui donnera-t-on ? dit-iI pourtant une fois à Las Cases. De quels principes nourrira-t-on son enfance ? Et s'il allait avoir la tête faible ? S'il allait tenir des Légitimes ? Si on allait lui inspirer l'horreur de son père ? Cette idée le fait frissonner.

— Quel pourrait être le contrepoison à tout cela ? Il ne saurait y avoir désormais d'intermédiaire sûr, de tradition fidèle entre lui et moi ; tout au plus un jour mes Mémoires et peut-être aussi votre Journal. Mais encore pour surmonter les plis, les impulsions de l'enfance, pour vaincre les vices de l'entourage, faut-il déjà une certaine capacité, une certaine force de tête, un jugement tranchant, décisif, et tout cela est-il donc si commun ?

Il avait l'air profondément affecté, note Las Cases.

— Mais parlons plutôt d'autre chose, a-t-il prononcé fortement...

Et il n'a parlé de rien.

Parfois il rappelait sa naissance, le palais qu'il lui destinait. Puis le rêve l'emportait, le rêve qui fut toujours derrière l'épaule du plus réaliste des hommes. Si le Roi de Rome était né de Joséphine, au lieu de Marie-Louise, que fût-il arrivé ? Si, comme général de Napoléon II, on lui avait laissé reprendre le commandement des troupes françaises après Waterloo, tout peut-être eût été changé...

Plus tard, beaucoup plus tard, quand il reçut le médecin corse Antommarchi, il l'interrogea sur tous les membres de sa famille avec détail, mais ne prononça pas le nom de son fils. Il pouvait confier bien des choses à un étranger ; il ne pouvait lui dévoiler le secret de son cœur. Il en avait la pudeur et l'ombrage.

Il l'interrogea surtout sur la Signora Letizia qui vivait à Rome, dignement, dans le sombre palais de la place de Venise. Dans ce vaste naufrage, elle s'était fait le radeau des Bonaparte. Elle les soutenait de sa volonté ferme, de sa conscience obstinée, de ses avis, de son argent, leur montrant parfois leur devoir quand le flux de la vie, leurs intérêts, leurs soucis personnels les eussent portés à l'oublier.

Le Pape, ce Pie VII que Napoléon avait si maltraité, mais plein de charité et de candeur, l'un des hommes les plus purs qui aient gouverné l'Église, non seulement la protégeait, mais leçon aux rois, l'entourait de respect.

Parfois, se promenant dans la campagne romaine, son carrosse rencontrait la voiture à livrée verte et or, l'ancienne livrée impériale, de Madame Mère. Avec simplicité il descendait, allait à la portière, saluait Mme Letizia, et faisant avec elle quelques pas sur la route, lui demandait :

— A-t-on reçu des nouvelles de notre bon Empereur ?

A plusieurs reprises, son secrétaire d'État, le cardinal Consalvi, était intervenu auprès du Prince-régent d'Angleterre, et des souverains de la Sainte-Alliance, pour les conjurer d'adoucir la rigueur du sort de Napoléon : Nous devons nous souvenir, écrivait-il, qu'après Dieu, c'est principalement lui qui s'est dévoué au rétablissement de la religion dans le royaume vraiment grand de la France. Il oubliait Savone et Fontainebleau qui n'étaient, disait-il, que des erreurs de l'esprit et des égarements de l'ambition humaine.

Ses requêtes étaient allées dormir dans les cartons des chancelleries...

Quand Napoléon connut mieux Antommarchi, il lui montra ses reliques. Le docteur, se disposant à lui lire Racine, il lui dit :

— Andromaque... C'est la pièce des pères malheureux,

Antommarchi hésitait... Napoléon prit le livre, et le laissa presque aussitôt échapper de ses mains. Il était tombé sur ces vers :

Je passais jusqu'aux lieux où l'on garde mon fils

Puisqu'une fois le jour vous souffrez que je voie

Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Troie

J'allais, seigneur, passer un moment avec lui :

Je ne l'ai pas encore embrassé d'aujourd'hui.

Haletant, il se couvrit la tête :

— Docteur, dit-il, je suis trop affecté... Laissez-moi...

En juin 1817, une imposture lui procure peut-être sa plus grande joie. Un canonnier du cargo Baring, Philippe Radovitch, apporte à Sainte-Hélène, de la part de la maison Biagini de Londres, un nouveau buste en marbre du Roi de Rome. Il a, dit le marin, été exécuté d'après une glaise faite l'année d'avant à Livourne, où le prince se trouvait avec l'Impératrice. Au côté, il porte la plaque de la Légion d'honneur. Sur le piédouche on lit : Napoléon-François-Charles-Joseph. Mensonges, spéculation honteuse d'un mercanti. L'enfant n'a pas quitté Schönbrunn et Vienne. On lui a ôté ses ordres français. Il ne s'appelle plus Napoléon.

Après des difficultés élevées par Hudson Lowe, l'Empereur reçoit le buste. Son bonheur le rend crédule. Il rayonne, admire les jolis traits un peu mous de la sculpture, trouve seulement que l'enfant a le cou trop engagé dans les épaules. Il fait venir les Montholon, O'Meara, les Balcombe. Leur montrant le buste, placé sur la cheminée du salon, il déclare que c'est l'Impératrice qui le lui a envoyé. Kirs. Balcombe dit qu'on peut être fier d'un si bel enfant. Le doux sourire des jours heureux, le sourire de ses victoires, illumine alors la face empâtée de Napoléon.

Regardez-le. Voyez cette figure. Celui qui a voulu la briser est un monstre ; elle toucherait le cœur d'une bête sauvage.

Et, comme le gouverneur a dit que le buste ne vaut pas les cent louis qu'on en demande, l'Empereur, si dénué pourtant, donne aussitôt trois cents guinées.

— Pour moi, dit-il, il vaut un million.

Il a appris, par les gazettes que Hudson Lowe fait monter à Longwood, dès qu'il y trouve un article capable d'inquiéter ou de peiner Napoléon, que son fils a été écarté de la succession de Parme. Il a su qu'à la place l'enfant recevrait des terres en Bohême. Il a su — ses instructions testamentaires le prouvent — qu'on lui avait imposé le nom de duc de Reichstadt. Il n'y attacha guère d'importance. Son fils, il en est sûr, ne demeurera pas prince autrichien.

***

Il était de fer, mais le fer se rouille et s'émiette. Il avait la constitution la plus robuste. Mais ce mortel climat appauvrit le sang, infecte le foie, tue les hommes. Puis l'isolement, le chagrin, l'immobilité pour une nature si active qui, en trois bonds de son cheval courait naguère d'un bout à l'autre de l'Europe... Napoléon s'use enfin, se défait. La mort qu'il avait tant appelée et qui s'est enfuie quand elle pouvait tout sauver encore, se rapproche et sourit. Elle est là, dans la plantation chétive, derrière la porte basse, dans la chambre, dans les plis des rideaux de mousseline qui abritent le lit de camp. Napoléon va mourir, il le sait, il en est heureux. Il a assez de son faix

— Je ne troublerai plus longtemps la digestion des rois... L'Angleterre réclame mon cadavre. Je ne veux pas la faire attendre et mourrai bien sans drogue.

Il souffre durement, inondé de sueurs qui le glacent ; il vomit aliments et remèdes. Mais si son pouls si lent s'affaisse encore, s'il perd sa graisse et sa chair, sa tête garde toute sa lumière. Il n'a jamais eu la mémoire plus prompte et plus minutieuse.

Le 15 avril 1821, il écrivit, d'une main mieux lisible qu'à l'ordinaire, son testament.

Après avoir légué ses cendres à la France, il donnait un dernier souvenir à Marie-Louise.

La savait-il adultère ? Sans doute. Ce polisson de Neipperg, a-t-il dit à plusieurs reprises, en serrant les poings. Mais il ne voulait pas en tenir compte. Passer pour un mari ridicule aux yeux de la postérité ? Non. D'ailleurs, à cette hauteur où nous met la mort, il n'était plus un mari, seulement un chef il ne voulait voir que l'avenir. Il fermait les yeux sur l'indignité de la femme, pour ne s'adresser plus qu'à la mère. La flattant d'un navrant mensonge, il la suppliait pour son fils

J'ai toujours eu à me louer de ma très chère épouse Marie-Louise ; je lui conserve jusqu'au dernier moment les plus tendres sentiments ; je la prie de veiller pour garantir mon fils des embûches qui environnent encore son enfance.

Assis sur son lit de fer, se tenant le côté à deux mains quand la douleur le déchire, on dirait qu'il voit l'enfant à Vienne, courbé sur ses devoirs allemands.

Je recommande à mon fils de ne jamais oublier qu'il est prince français et de ne jamais se prêter à être un instrument entre les mains de triumvirs qui oppriment les peuples. Il ne doit jamais combattre la France, ni lui nuire en aucune manière. Il doit adopter ma devise : Tout pour le peuple français.

Je lègue à mon fils les boites, ordres et autres objets tels qu'argenterie, lits de camp, armes, selles, éperons, vases de ma chapelle, livres, linge qui a servi à mon usage, conformément à l'état annexé. Je désire que ce faible legs lui soit cher comme lui retraçant le souvenir d'un père dont l'univers l'entretiendra.

Tendresse, orgueil, mariés dans un terrible soupir.

Pas d'argent. L'argent, il le distribue à ses compagnons, à ses serviteurs, aux braves qui lui ont tout sacrifié. Son fils n'a besoin que de son nom. On ne laisse pas d'argent à un tel héritier. Mais il tient à l'envelopper de son souvenir, de son aura. Par tous les objets qu'il lui destine, et que sa mémoire exacte va saisir dans les mains qui les ont reçus en dépôt, par ces vêtements, ces armes, ces nécessaires, ces boites, ces livres, ces médailles qu'il a touchés tant de fois, il entend lui communiquer, non son génie peut-être, mais tout l'humain qui demeure en lui, le battement de son cœur faiblissant, le dernier souffle de sa bouche, que l'approche de la terre décolore.

Le 25 avril, rédigeant des instructions pour ses exécuteurs testamentaires, il ajoutait :

Je désire que mes exécuteurs testamentaires fassent une réunion de gravures, tableaux, livres, médailles, qui puissent donner à mon fils des idées justes et détruire les idées fausses que la politique étrangère aurait pu vouloir lui inculquer. En imprimant mes campagnes d'Italie et d'Égypte et ceux de mes manuscrits qu'on imprimera, on les dédiera à mon fils.

Il a donc prévu qu'on essaierait à Vienne de changer l'esprit de l'enfant. Mais il croit que rien ne prévaudra contre la magie de tels souvenirs. Son fils peut être élevé à l'allemande. Qu'importent ses petites années ? Quand il sera un jeune homme, qu'on le veuille ou non, baigné par l'effluve de son père, il retrouvera son âme française. A ce moment suprême, Napoléon le sait, son fils ne le trahira pas.

Il insiste :

On doit trouver chez Denon, d'Albe, Fain, Méneval, Bourrienne, beaucoup de choses d'un grand intérêt pour mon fils. On peut trouver chez Oppiani, peintre à Milan, beaucoup de choses importantes pour mon fils : mon souvenir fera la gloire de sa vie ; lui réunir, lui acquérir ou lui faciliter l'acquisition de tout ce qui peut lui faire un entourage en ce sens.

Il poursuit :

Aussitôt que mon fils sera en âge de raison, ma mère, mes frères, mes sœurs, doivent lui écrire et se lier avec lui, quelque obstacle qu'y mette la maison d'Autriche, alors impuissante, puisque mon fils aura sa propre connaissance.

Engager mon fils à reprendre son nom de Napoléon aussitôt qu'il sera en âge de raison et pourra le faire convenablement.

S'il y avait un retour de fortune et que mon fils remontât sur le trône, il est du devoir de mes exécuteurs testamentaires de lui mettre sous les yeux tout ce que je dois à mes vieux officiers et soldats et à mes fidèles serviteurs.

Toujours mon fils. Mon fils, ces mots chargent chaque ligne, répétés vingt fois. Dans ses dernières heures, comme pendant tout son exil, Napoléon n'a pensé qu'à son fils.

Testament, codicilles scellés, il dit :

— Maintenant que j'ai si bien mis ordre à mes affaires, ce serait vraiment dommage de ne pas mourir.

Qu'il ne craigne pas...

Deux jours après, il appelle Montholon et, dans un moment de calme dicte pour l'enfant prisonnier ses conseils suprêmes. C'est l'effusion d'un esprit que le malheur n'a pu détacher de l'action et qui par delà la mort, décide et règne. L'avenir est à lui, il s'en assure, et plus qu'il ne fut jamais au temps de sa puissance. Ce siècle, après un sommeil, se réveillera et reconnaîtra son maître. Puisqu'il s'en va, lui, converser aux Champs-Élysées avec ses braves et les capitaines du passé, cet avenir des vivants il le remet à son fils. Qu'il ne le gâte pas. Qu'il s'inspire de la sagesse qui ne vient que tard aux pasteurs d'hommes, et que Napoléon mourant aux Tuileries n'eût sans doute jamais possédée. Car Sainte-Hélène l'a tué, mais l'a parfait, l'a hissé jusqu'à un horizon d'esprit, qu'heureux il n'atteignait pas.

Mon fils ne doit pas songer à venger ma mort. Il doit en profiter. Que le souvenir de ce que j'ai fait ne l'abandonne jamais, qu'il reste toujours, comme moi, Français, jusqu'au bout des ongles ! Tous ses efforts doivent tendre à régner par la paix... Refaire mon ouvrage, ce serait supposer que je n'ai rien fait. L'achever, au contraire, ce sera montrer la solidité des bases, expliquer tout le plan de l'édifice qui n'était qu'ébauché. On ne fait pas deux fois la même chose dans un siècle. J'ai été obligé de dompter l'Europe par les armes. Aujourd'hui il faut la convaincre. J'ai sauvé la Révolution qui périssait, je l'ai lavée de ses crimes ; je l'ai montrée au monde resplendissante de gloire. J'ai implanté en France et en Europe de nouvelles idées ; elles ne sauraient rétrograder. Que mon fils fasse éclore tout ce que j'ai semé. Qu'il développe tous les éléments de prospérité que renferme le sol français. A ce prix il peut être encore un grand souverain.

Les Bourbons ne reprendraient pas racine dans la France trop profondément labourée. Leur tige vieillie sécherait. Eux enfouis, c'est vers le Roi de Rome que la nation regarderait. L'Angleterre peut-être l'aiderait, honteuse de s'être faite le bourreau du père. L'Autriche lui ouvrirait-elle la cage ? Sans doute, si elle y trouvait un intérêt. Mais Napoléon II ne devait régner que par soi, et du vœu manifeste du pays.

Les Orléans étaient à craindre ; ils avaient pour eux les mécontents, les libéraux ; ils gardaient certains avantages de la dynastie ancienne, leur usurpation porterait un masque de légitimité. Cependant, à !a pesée, le nom de Napoléon, sa carrière et sa mort pouvaient emporter le plateau...

Le jeune empereur devait rallier autour de soi toute la nation, pardonner aux transfuges, récompenser le mérite et les services à tous les rangs, dédaigner les castes, s'appuyer sur la masse du pays.

Avec mon fis les intérêts opposés peuvent vivre en paix et les idées nouvelles s'étendre, se fortifier sans secousses et sans victimes. Mais si la haine aveugle des rois poursuit mon sang après ma mort, je serais cruellement vengé.

Il achevait ainsi :

Que mon Fils lise et médite souvent l'histoire : c'est la seule véritable philosophie. Qu'il lise et médite les guerres des grands capitaines. C'est le seul moyen d'apprendre la guerre. Mais tout ce que vous lui direz, tout ce qu'il apprendra lui servira peu, s'il n'a pas au fond du cœur ce feu sacré, cet amour du bien qui seul fait faire les grandes choses. Mais je veux espérer qu'il sera digne de sa destinée...

Donc jusqu'à la Fin, jusque dans l'agonie qui le tire, l'arrache, il dispose pour son fils. Quand son délire commence, le 2 mai, il fait encore signe à Marchand de prendre la plume. Encore un souvenir, encore une recommandation... Mais les mots ne sortent plus de sa bouche. Alors, résigné, il regarde les portraits, les bustes de son fils, ne les quitte plus des yeux. C'est la dernière image, la plus chère, qu'il emportera.

Le 5 mai, il meurt au crépuscule, après un atroce débat. Mort, il reste prisonnier. Il a demandé que son corps fût transporté à Paris, ou du moins à la cathédrale d'Ajaccio où dorment ses ancêtres. On l'enterre dans la petite vallée du Géranium.

Pour arriver en Europe, la nouvelle vogue longtemps, au hasard du vent et des vagues. Enfin, aux premiers jours de juillet, elle touche l'Angleterre. Un courrier des Rothschild la porte à Vienne. Les chancelleries s'activent, les gazettes s'entr'ouvrent. Peu de bruit d'abord. De l'étonnement. Lui aussi, l'avait-on cru immortel ? Cette mort qui devrait soulager le monde, laisse un vide qui, creusant d'année en année, fera un abîme assez large pour engloutir pêle-mêle les idées de l'autre siècle, les préjugés, les haines, les vieux drapeaux, les rois.

Metternich rendra-t-il les armes à une fin si cruelle ? Non. Prenant les eaux à Baden, il expédia un courrier à Londres pour demander qu'on retint toutes les pièces relatives à la mort de Napoléon. Il m'a paru, écrivait aux Tuileries, le marquis de Caraman, ambassadeur à Vienne, qu'il craignait surtout la publication d'un testament qui pourrait rappeler d'une manière trop vive l'intérêt qui s'attache aux sentiments de père et d'époux que l'on voudrait pouvoir faire oublier. On évitera ici tout ce qui peut réveiller l'attention sur les relations qui ont existé avec Bonaparte.

Et Metternich, la plume dédaigneuse, écrivait à Londres à Esterhazy :

Cet événement met un. terme à bien des espérances et des trames coupables. Il n'offre au monde nu] autre intérêt.

Marie-Louise supporte ce coup avec résignation. Maîtresse épanouie de Neipperg et grosse de leur second enfant, Napoléon lui était devenu plus étranger que le grand Turc. Elle montra toutefois quand elle apprit sa mort, une pointe d'émotion assez inattendue. Le 19 juillet elle mandait à Mine de Crenneville, intime confidente.

La Gazette de Piémont a annoncé d'une manière si positive, la mort de l'empereur Napoléon, qu'il n'est presque plus possible d'en douter. J'avoue que j'en ai été extrêmement frappée ; quoique je n'aie jamais eu de sentiment vif d'aucun genre pour lui, je ne puis oublier qu'il est le père de mon fils, et que, loin de nie maltraiter comme le monde le croit, il m'a toujours témoigné tous les égards, seule chose que l'on puisse désirer dans un mariage de politique. J'en ai donc été très affligée, et quoiqu'on doive être heureux qu'il ait fini son existence malheureuse d'une manière chrétienne, je lui aurais cependant désiré encore bien des années de bonheur et de vie pourvu que ce fût loin de moi.

En même temps, elle se plaignait de la chaleur et des moustiques, et se proposait de faire avant peu un voyage à cheval dans la montagne pour voir les parties de son duché qui lui étaient encore inconnues.

Quand la nouvelle fut certaine, elle assista à un beau service funèbre dans sa chapelle, commanda mille messes à Vienne, mille messes à Parme et prit le deuil pour trois mois. Dans les prières, le nom de Napoléon ne fut pas prononcé mais remplacé par une ingénieuse périphrase. Quelques jours plus tard (9 août 1821), Marie-Louise accouchait du fils de Neipperg.

Elle refusa le cœur de Napoléon que le testament lui destinait. Elle ne savait pas encore qu'il était, par ordre de Hudson Lowe, demeuré à Sainte-Hélène. Mais elle s'intéressa à la succession. Elle s'opposa à la remise des millions déposés chez Laffitte et qui devaient acquitter les legs de l'Empereur. Ainsi son testament ne fut pas exécuté. Elle ne permit pas à Marchand de lui apporter à Parme les dentelles et le bracelet de cheveux de Napoléon. Il les confia aux soins de l'ambassadeur Apponyi, avec une chaîne de montre pour le duc de Reichstadt, tressée elle aussi avec les cheveux du mort. Il ne semble pas qu'elle ait jamais été remise à l'enfant.

Cependant, on doit le dire, dans le lit de ses couches, rapprochée de l'humain par la souffrance, ayant peut-être peur de la mort, tandis qu'on disposait près d'elle le berceau d'une vie nouvelle, ayant assurément songé à son fils auquel elle donnait un frère honteux, Marie-Louise poussa vers l'Ombre inapaisée un soupir vrai qui lui sera compté, un aveu et en même temps presque une plainte :

On a eu beau me détacher du père de mon enfant, la mort qui efface tout ce qui a pu être mauvais frappe toujours douloureusement, et surtout lorsqu'on pense à l'horrible agonie qu'il a eue depuis quelques années. Je n'aurais donc pas de cœur si je n'en avais pas été extrêmement émue...

Si elle éprouva quelque attendrissement, elle se consola vite. C'était une tête faible et légère. Elle s'étonnera que Madame Mère ait réclamé à l'Angleterre le corps de Napoléon.

Je demande les restes de mon fils, avait-elle écrit à lord Londonberry. Chez les nations les plus barbares la haine ne s'étendait pas au delà du tombeau. J'ai donné Napoléon à la France et au monde. Au nom de Dieu, au nom de toutes les mères, je vous en supplie, mylord, qu'on ne me refuse pas les restes de mon fils !

On ne lui répondit même pas.

***

Depuis deux mois le duc de Reichstadt était revenu à Schönbrunn. Avec ses gouverneurs, il passait chaque hiver à la Hofburg et le printemps le ramenait dans le château de Marie-Thérèse. M. de Bourgoing a retrouvé un petit devoir du 10 mai 1821 où l'écolier décrit son nouveau logis, celui qu'il occupait auparavant avec sa mère ayant été cédé au prince de Salerne et à la princesse — l'archiduchesse Marianne, sœur de Marie-Louise.

Le 8 mai, nous nous sommes installés à Schönbrunn. On m'a attribué un nouvel appartement, qui me plaît beaucoup, au troisième étage. Il comprend beaucoup de chambres, ce qui me plaît le mieux, c'est la vue sur la place. De trois chambres, on aperçoit le Kahlenberg et la longue chaîne de hauteurs qui s'étend jusqu'à Dornbach. A côté de ma chambre à coucher, se trouve mon cabinet de travail, qui a une vue splendide sur le Cardin de ma tante Marianne, mais ce qu'on voit de plus beau de ce côté-là, c'est la ville avec un bout de l'allée qui va en ville. Il y a très peu de soleil dans cet appartement, c'est pourquoi il est froid le matin et le soir. Après mon cabinet de travail viennent les appartements de monsieur de Foresti et du comte Dietrichstein.

 

Cette rédaction enfantine montre de la bonne humeur. Quoique toujours distrait, au dire du gouverneur, il semble alors ne pas avoir donné lieu de se plaindre à ses maîtres. En excellente santé, il avait beaucoup grandi depuis sa rougeole et avec ses pantalons de casimir blanc, rattachés par des sous-pieds, son petit habit à basques et son haut col de lingerie, il paraissait plus âgé de deux ou trois ans.

La nouvelle de Sainte-Hélène ne l'avait pas encore atteint, quoique autour de lui jusqu'aux plus humbles serviteurs, tout le monde la connût. Le comte Maurice retenu à Vienne, l'Empereur chargea Foresti, le 16 juillet, d'annoncer au duc de Reichstadt la mort de son père.

Foresti était seul avec lui. C'était le soir ; les ombres to baient sur le parc. Foresti commença par parler de Sainte-Hélène, dit que c'était une île d'Afrique au beau climat, où l'empereur Napoléon, avec quelques amis choisis, avait passé ses dernières années. L'enfant, habitué à voir écarter le nom de son père, s'était dressé, stupéfait. Depuis longtemps, continuait Foresti, sa santé était chancelante ; il souffrait d'une maladie de l'estomac. Il s'arrêta. L'enfant gardait le silence. Alors Foresti, baissant la tête, dit qu'il était mort, dans les sentiments les plus chrétiens.

L'enfant pleura longuement. Sans doute, évoquant le pâle visage qui se faisait si doux quand il s'approchait du sien, il s'assit près de la fenêtre, les joues, les mains couvertes de larmes, Foresti, ému, cherchait à le consoler. Il ne l'entendait pas.

Mathias Collin, le lendemain, lui parla avec douceur. Il eut une nouvelle crise de sanglots.

Montbel prétend qu'il aurait dit à Foresti :

— Mon père était bien loin de penser en mourant que c'est de vous que je recevrais des soins si affectueux...

Allusion à une scène faite en 1809, après Ratisbonne, par Napoléon à Foresti prisonnier. L'Empereur à cheval, entouré de généraux, avait reproché avec violence à l'Autriche d'avoir profité de la guerre d'Espagne pour lui tomber sur le dos.

Montbel peut être de bonne foi. Mais le récit qu'il tient de Foresti sent par trop l'artifice. Quel enfant de dix ans, secoué par le chagrin, s'exprimerait ainsi ?

Ce que dit Prokesch, dans ses Notes inédites paraît plus vraisemblable :

Le prince pleura un jour entier presque sans interruption. Soudain, il se ressaisit, sécha ses yeux, se leva et marcha de long en large. Aucun mot ne vint sur ses lèvres. Au bout de quelques semaines seulement, il fit allusion à la mort de son père... Il sentait qu'il devait garder sa douleur pour soi.

La cour de Vienne ne prit pas le deuil. Metternich eut soin de rappeler à son maître que Bonaparte était mort depuis qu'il avait été déclaré hors la loi. Il admit que le petit prince pourrait se vêtir de noir. Je ne trouve, écrivait-il, aucun précédent qui s'y oppose. Mais il ne pensait pas que sa maison dût l'imiter. Son maître montra plus de pudeur. Il ordonna que les gouverneurs de son petit-fils et tous ses serviteurs porteraient le deuil, niais ils devraient éviter de se montrer en public.

Le fils de Napoléon ne reçut pas les legs de son père. Ils devaient lui être remis par les divers exécuteurs quand il aurait atteint seize ans. Metternich ne voulut pas que le manteau de Marengo, l'épée du Sacre, celle d'Austerlitz, les colliers de la Légion d'honneur et de la Toison d'or, ni les armes, les cachets, les médailles, présents de la mort, vinssent ranimer devant l'adolescent le terrible fantôme. L'abbé Vignali, Bertrand, Marchand, Montholon, Noverraz, Saint-Denis les gardèrent, attendant l'heure où Astyanax devenu homme pourrait se souvenir d'Hector.

Il ne vit jamais le masque funèbre de Napoléon, moulé par Antommarchi et porté par lui à Marie-Louise. Le docteur Hermann Rollet a rapporté dans quelles conditions ce masque fut sauvé et entra au petit musée de Baden, près de Vienne :

Mon père venait d'être appelé chez l'ex-Impératrice pour donner ses soins à l'un des enfants de son intendant ; en ouvrant la porte, il aperçut les autres enfants en train de jouer avec un objet en plâtre qu'ils avaient attaché au bout d'une ficelle, et qu'ils traînaient sur le parquet en guise de voiture. Mon père vit tout de suite que cet objet était un masque en plâtre, placé sens dessus dessous. A ce moment même entra l'intendant, qui s'empressa d'enlever le moulage à ses enfants et de les gronder pour s'en être emparés. C'était le masque de Sainte-Hélène. L'intendant avait mandat spécial de le conserver et de l'emporter partout avec lui, mais sans le remettre jamais au jeune duc. Mon père qui possédait la collection de crânes formée par le docteur Gall, et un certain nombre de masques de personnages célèbres, demanda aussitôt qu'on voulût bien lui confier le masque impérial, avec promesse d'en avoir soin et de le rendre aussitôt que cela serait jugé nécessaire. C'est ainsi que ce moulage entra dans sa collection et passa plus tard au musée de Baden. Le nez, dont la pointe est légèrement aplatie, témoigne encore du traitement que lui avaient fait subir les enfants de l'indépendant...

***

Le douteux médecin des derniers jours, Antommarchi, revenu en Europe, avait espéré que Marie-Louise le prendrait à son service. Il arriva à Parme le 15 octobre. Marie-Louise se déchargea sur Neipperg de l'embarras de le recevoir. Neipperg interrogea le docteur sur la maladie et la mort de l'Empereur, et parla en homme de cour du chagrin de sa souveraine. Encouragé par son ton affable, Antommarchi, d'ailleurs fort entreprenant, posa quelques questions sur le duc de Reichstadt.

— Il va à merveille, dit Neipperg avec patience.

— Il est fort ?

D'une santé à toute épreuve ?

— D'espérance ?

— Il étincelle de génie ; jamais enfant ne promit tant.

Il est confié à d'habiles mains ?

A deux hommes de la plus haute capacité, deux Italiens (?) qui lui donnent à la fois une éducation brillante et solide. Il est chéri de toute la famille impériale.

Ce disant, Neipperg pousse doucement l'intrus vers la porte.

Le soir Antommarchi alla au théâtre. On jouait la Cenerentola de Rossini. Marie-Louise parut dans sa loge. Elle était maigre et blême. Ses couches l'avaient éprouvée. Elle rit et causa gaiement avec les personnes de sa suite, mais ne demeura qu'un moment.

Le médecin de Napoléon fut ensuite à Rome où il vit Madame Mère et Pauline. Là l'Empereur était pleuré. Les questions sans nombre de la mère et de la sœur s'entrecoupaient de sanglots. Elles essuyaient leurs larmes et sans se lasser faisaient reprendre au docteur le récit des dernières journées et des funérailles. Après deux longues visites, quand Antommarchi prit congé, la mère de Napoléon lui glissa au doigt un diamant.

Dès qu'elle fut en possession d'une copie sûre du testament de l'Empereur et des petits legs qu'il lui avait destinés, Mme Letizia réunit chez elle tous les membres de la famille Bonaparte alors présents à Rome. En habits de deuil, comme eux tous, elle les reçut assise dans son fauteuil, au milieu du salon. Ses traits demeuraient beaux, sans rides, comme figés par la douleur. Elle fermait souvent les paupières sur ses yeux noirs. Il y avait sur son front une poignante lumière. Née rustique, ménagère corse devenue la Mère des Rois, elle avait subi d'un cœur égal la misère et le faste, l'hommage et la solitude. Femme de peu de mots, de peu d'idées peut-être, mais orgueilleuse d'un ventre qui avait porté l'Empereur, on la sentait noble à l'antique et d'un caractère à ne jamais démentir la gloire abattue sur son nom.

Sans parler, elle fit signe à ses enfants d'ouvrir la porte d'une pièce voisine et d'y entrer. Ils y passèrent l'un après l'autre en silence et ressortirent peu après, pâles et les larmes aux yeux.

Le précepteur d'un des jeunes Bonaparte, ancien colonel de l'armée d'Italie, qui avait amené son élève, parut étonné. Madame Mère lui témoignait de l'estime. Elle se leva et prenant le colonel par la main, elle le conduisit dans une chambre vide et obscure. Mais, sur la cheminée, deux flambeaux éclairaient le buste du Roi de Rome, venu de Longwood, et sur qui l'Empereur avait si souvent attaché les yeux. Mme Letizia le contempla un moment sans une parole, puis faisant passer devant elle l'officier, elle ferma la porte et rentra dans le salon.