Revue Historique, n° XI, 1879.
A quelle époque et par qui la foi chrétienne fut-elle portée dans l’Afrique romaine ? On ne le sait pas précisément. On n’a nulle raison de faire remonter la prédication de la foi nouvelle à l’âge apostolique proprement dit. Le témoignage de Métaphraste, qui fait venir saint Pierre à Carthage après qu’il eut organisé l’église de Rome, est sans aucune valeur historique[1]. Eusèbe ne sait rien non plus des traditions plus que suspectes qui attribuent à Simon Zélote ou à Simon le Cyrénéen, ou à saint Marc, disciple de Pierre, la fondation de l’église d’Afrique[2]. Le patriotisme, l’orgueil local trouve mal son compte dans les origines anonymes : l’histoire véridique doit s’en accommoder en l’absence de renseignements sérieux et précis. Le christianisme à la première heure compta autant d’apôtres que de fidèles. La prédication se fit toute seule presque partout, par des inconnus, sans mission instituée, sans attribution de mandat par un pouvoir central longtemps ignoré. Les germes de la foi se répandirent parles libres mouvements de bonnes volontés individuelles. Les passages de Tertullien et de Cyprien que l’on cite[3], pour rattacher l’origine de l’église d’Afrique à celle de Rome, n’ont pas du tout le sens qu’on leur prête et ne prouvent en aucune manière que ces deux églises fussent unies l’une à l’autre par un lien de filiation directe. La reconnaissance de l’autorité, de l’ancienneté, de la primauté d’honneur du siège de Rome n’impliquent nullement l’idée de descendance. Tertullien et Cyprien paraissent saluer en l’église de Rome l’église principale, et, dans une certaine mesure, gardienne et régulatrice de la foi et des pures traditions, non au sens littéral le berceau, le centre de diffusion et la mère des églises en général et de l’église d’Afrique en particulier. On sait déjà que pour Tertullien et Cyprien, les expressions de respect officiel n’emportent pas l’abdication de toute liberté de conscience ; qu’elles s’allient au contraire, chez l’un, avec la ferme revendication de l’indépendance de la pensée ; chez l’autre, avec la fière affirmation de l’égalité des évêques chefs des églises et de leur droit de souveraineté, dans le ressort de leur juridiction spirituelle. Les thèses chères à l’école ultramontaine de l’illumination soudaine et comme par voie d’explosion du monde, de l’apostolicité des diverses églises d’Orient et d’Occident, et de leur organisation hiérarchique complète, soit par les apôtres en personne, soit par leurs délégués, est en général sans base historique[4]. Des voyages missionnaires des apôtres, à part ceux de saint Paul, nous ne savons rien. Il est trop clair, quoi qu’on en veuille supposer sur des traditions sans valeur ni autorité, que les apôtres n’ont pas joui du don d’ubiquité, qu’ils n’ont été que successivement là où ils ont porté l’évangile, et qu’ils ne l’ont pas porté partout. Il n’y a pas l’ombre de preuve qu’aucun d’eux ait visité l’Afrique romaine, ou y ait envoyé personne. Le champ est donc ouvert aux hypothèses sur les origines de l’église d’Afrique. On a le droit cependant de répéter pour cette province ce que Sulpice Sévère dit des pays transalpins, que la foi chrétienne y vint tardivement[5]. Petilianus dans sa controverse avec saint Augustin l’écrit précisément : l’Afrique reçut l’évangile après les autres provinces ; aussi nulle part on ne lit dans l’Écriture que l’Afrique a cru. — Ad Africain enim postmodum evangelium venit, et ideo nusquam litterarum scriptum est Africam credidisse. — Et saint Augustin n’y contredit guère, quand il répond que certaines nations barbares ont reçu la foi après l’Afrique, et que par suite il est certain que l’Afrique ne fut pas la dernière à croire. — Nonnullæ etiam barbarie nationes post Africam crediderunt, unde certum fit Africam in ordine credendi non esse novissimam. — Saint Augustin a raison, et de son temps même l’évangile avait encore plus d’un pays à visiter. En fait, l’église d’Afrique n’a pas d’histoire avant Tertullien. Mais au temps du fougueux docteur de Carthage, il faut reconnaître, tout en faisant la part des hyperboles et des exagérations oratoires dont fourmillent ses écrits apologétiques, que la foi chrétienne comptait un si grand nombre d’adhérents que son existence devait dater déjà de longues années, et par conséquent il est assez vraisemblable de rapporter son établissement au commencement du second siècle ou à la fin du premier. D’autre part, les rapports de Rome avec l’Afrique étaient étroits et fréquents. La flotte annonaire allait et venait chaque année de Rome a Carthage et de Carthage à Rome. Les voyages de commerce ou de plaisance étaient continuels entre la côte italienne et le littoral africain. On peut donc supposer que c’est quelque fidèle de Rome, d’Ostie ou de Pouzzoles, qui le premier aura fait entendre le nom du Christ dans l’Afrique romaine. Mais il n’est pas interdit non plus de supposer que ce fut un chrétien venu de Smyrne, d’Ephèse, d’Antioche ou d’Alexandrie. En l’absence de témoignages sérieux et positifs, les deux hypothèses se valent en somme. La raison du voisinage et du plus ou moins de fréquence et de facilité des communications entre l’Italie et l’Afrique est de petite valeur dans cette question, et la raison de la langue ne saurait être alléguée, vu qu’au premier et au second siècle la langue usitée dans l’église de Rome était la langue grecque. La littérature ecclésiastique latine est née en Afrique ; on n’en connaît pas de monuments avant les écrits de Tertullien. Il est permis de croire du reste que parmi les chrétiens de l’Afrique, comme parmi ceux de Rome, on parlait plus d’une langue. Dans beaucoup de familles illustres et riches, et dont les membres s’étaient poussés dans la carrière des honneurs, on entendait à peine le latin. Spartien raconte que la sœur de l’empereur ,Sévère, née et élevée dans la colonie phénicienne de Leptis, étant venue voir son frère à Rome, estropiait le latin au point d’en faire rougir l’empereur qui se hâta de la renvoyer dans son pays[6]. Le beau-fils d’Apulée, Sicinius Pudens, bien qu’il eût reçu une éducation libérale, ne parlait que carthaginois. Il ne voulait ou ne pouvait pas parler latin : à peine devant le tribunal du proconsul, où il était appelé à déposer, sut-il bégayer quelques syllabes[7]. Moins encore sans doute la langue de Rome était en usage dans les bourgades et les métairies peuplées de quantité d’esclaves attachés à la glèbe. II est à croire qu’en Afrique, comme partout ailleurs, c’est dans les masses profondes du petit peuple des villes et des campagnes, de sang punique ou latin, parmi les humbles, les déshérités du monde et les incultes livrés aux superstitions les plus puériles, adorant des troncs d’arbres grossièrement taillés en forme humaine et des pierres arrosées d’huile, que la doctrine du salut commença à se recruter. Ses progrès furent rapides, à ce qu’il semble. Avant la fin du second siècle elle commençait à monter à la surface de la société. Le mélange des races, la confusion et la variété des croyances et des pratiques religieuses lui permettaient de se cacher aisément. L’athéisme et la magie, deux griefs qui pesèrent ailleurs sur les chrétiens, vivaient côte à côte en Afrique, sans que le pouvoir s’en inquiétât. Apulée sans doute n’eût pas eu à répondre à une accusation de maléfice, si des questions d’intérêts n’eussent pas été en jeu, et dans sa réponse il pouvait accuser son accusateur de mépriser tous les dieux, sans que ce grief tirât à conséquence devant le tribunal et attirât à son adversaire aucun ennui. Chose curieuse ! Il semblerait parfois qu’Apulée est un chrétien traduit devant le proconsul : on l’accuse de nombreux et manifestes maléfices, — plurimorum maleficiorum et manifestissimorum. — Il a prononcé des formules bizarres, s’est procuré un poisson pour interroger ses entrailles. — Notons le poisson, symbole sacré des fidèles. — Il a fait fabriquer et a consacré une étrange image de bois, un hideux squelette, dit-on, on ne sait quel démon bizarre. — Il a fait venir un enfant épileptique — dans la secte on disait possédé — et l’a fait tomber devant lui[8]. — Et d’un autre côté, Apulée parait dépeindre en Æmilianus ce qu’on appelait l’athéisme chrétien. Pour cet Æmilianus, c’est un jeu d’esprit que de tourner en dérision les choses saintes. Si j’en crois une bonne partie des habitants d’Œa qui le connaissent, à l’âge où il est, il n’a encore prié aucun Dieu, il n’a mis le pied dans aucun temple. Passe-t-il devant quelque lieu saint, il croirait faire un crime de porter la main à ses lèvres en signe d’adoration[9]. Aux dieux des champs mêmes qui le nourrissent et l’habillent, il n’offre jamais les prémices de ses moissons, de ses vignes, de ses troupeaux : dans sa ferme il n’y a pas une seule chapelle, pas une seule enceinte, un seul bosquet consacré. Et que parlé je bosquet ou chapelle ? De ceux qui sont allés chez lui, nul ne se rappelle y avoir vu même sur les limites une seule pierre arrosée d’huile, un seul rameau couronné[10]. Et le proconsul Claudius Maximus renvoyait dos à dos le prétendu magicien et le prétendu contempteur des dieux, ces deux moitiés de chrétien, selon l’opinion commune. Nous n’entendons pas qu’Apulée ou Æmilianus aient incliné l’un ou l’autre au christianisme. Apulée est philosophe et dévot à sa manière. Il a été revêtu d’un sacerdoce à Carthage[11]. C’est un sectateur fervent du polythéisme et un adorateur d’Isis. Il connaît les chrétiens et a laissé voir par quelques traits la haine fanatique que lui inspire la dépravation de ceux qui rejettent tous les dieux sous prétexte d’en introduire un seul ignoré des antiques traditions[12]. Si son adversaire eût donné dans ces nouveautés sacrilèges à ses yeux et eût pu être accusé d’être affilié û la secte, l’habile avocat n’eût pas fait scrupule de le charger sur ce point et d’en tirer parti pour sa cause. Nous n’avons pu cependant nous empêcher de noter en passant ces analogies. L’affaire d’Apulée nous apprend aussi que l’accusation de magie était alors de la dernière gravité et pouvait entraîner la peine capitale[13]. Frédéric Münter dans ses Primordia Ecclesiæ Africanæ écrit qu’au temps de Tertullien, et plus précisément au moment où le docteur de Carthage publiait son Apologétique, c’est-à-dire à la limite extrême du second et du troisième siècle, les trois provinces de l’Afrique romaine comptaient plus de cent mille chrétiens[14]. Les données sûres et précises font défaut pour établir ou vérifier cette évaluation. Elle n’est présentée et ne peut l’être que comme un à peu prés, et à ce titre est facilement contestable. Elle nous paraît cependant assez vraisemblable, quoique peut-être un peu grossie. S’il fallait prendre à la lettre les textes de Tertullien, elle serait au contraire fort au-dessous du vrai, et on devrait parler non de cent mille ; mais de plusieurs millions. On sait le fameux passage où il marque que les chrétiens remplissent l’empire et que le monde romain deviendrait un désert s’ils se retiraient ; dans un autre il dit que la multitude des chrétiens est bien plus nombreuse que les ennemis de Rome[15]. De l’Afrique en particulier il écrit que les chrétiens dans chaque cité forment presque la majorité de la population[16]. Dans ce cas ils eussent été plus de deux cent mille dans la seule ville de Carthage. Dans la même lettre à Scapula, il oppose aux menaces du proconsul la multitude des chrétiens : Que feras-tu, dit-il, de tant de milliers de chrétiens, hommes et femmes, de toute classe et de tout rang, qui se présenteront devant toi ? Quels feux, quels glaives pourront suffire à les immoler ? Faudra-t-il décimer Carthage ? Chacun découvrira parmi les victimes ses proches, ses amis, ses familiers[17]. S’il serait puéril d’accepter passivement l’arithmétique hyperbolique de Tertullien, il serait absurde d’autre part de ne tenir nul compte de ces témoignages. Il faut croire certainement qu’au moment où Tertullien tenait la plume et écrivait les passages cités plus haut, la foi chrétienne comptait en Afrique un nombre très considérable d’adeptes et de clients dans toutes les classes de la société, les uns chrétiens achevés, les autres chrétiens en travail ; qu’ils étaient plus denses dans les centres populeux de la province proconsulaire que dans la Numidie et dans la Mauritanie, dans les villes que dans les campagnes, qu’à Carthage ils se comptaient par milliers. Étaient-ils dix mille, vingt mille ou trente mille à Carthage ? Nul ne le sait, et l’hypothèse est libre. On rapporte que l’évêque Agrippinus réunit en Numidie un synode où se trouvaient soixante-dix évêques. On dispute sur l’époque où se tint cette assemblée. Morcelli la place en 198, Münter, avec plus de raison ce semble, vers 215. Une réunion de soixante-dix évêques, au moment même où la persécution commençait à sévir, n’est guère vraisemblable. L’autorité l’aurait-elle soufferte ? c’eût été pousser loin la complaisance. L’aurait-elle ignorée ? c’eût été pousser loin l’aveuglement. Le fait est déjà surprenant dans un temps où la persécution violente avait cessé. Admettons-le cependant. Qu’est-ce que ce chiffre de soixante-dix évêques ? Est-il donné comme un nombre rond ? A-t-il une valeur mystique ? S’il doit être pris littéralement, il faudra reconnaître que la Numidie seule, vers 215, comptait soixante-dix églises constituées et organisées avec diacres, prêtres et évêques. On en doutera peut-être, si l’on veut réfléchir qu’au concile de Carthage, tenu en 256 par Cyprien, on ne trouve pour la Numidie que trente-deux sièges épiscopaux, et quatre-vingt4ix pour l’ensemble des trois provinces d’Afrique. D’un autre côté, on se gardera sans doute de rien inférer de ce nombre de soixante-dix évêques, si l’on veut considérer que dans les conciles postérieurs tous les assistants ne sont pas évêques, et que primitivement et à l’origine de l’organisation hiérarchique, — laquelle ne se fit pas tout d’un coup et par décret, mais fut l’œuvre du temps et des besoins nouveaux qu’il amena et auxquels on satisfit successivement, — lorsque l’évêque fut nettement distingué du prêtre avec lequel il se confondait d’abord et obtint, au lieu de cette primauté d’honneur que son âge, ses services, l’ancienneté de sa foi, son expérience et son zèle lui méritaient, un droit effectif de gouvernement et de juridiction, c’est-à-dire devint un chef élu, reconnu et respecté comme l’archiereus de la communauté civile de l’Asie, de la Bithynie ou du Pont, il y eut une période de transition d’une durée indéterminée et variable où le nombre des évêques fut très considérable, correspondit à chaque groupe de fidèles, et qu’il y en eut probablement plusieurs à la fois dans quelques villes importantes. Au temps de saint Augustin, on comptait environ quatre cent quarante-six sièges épiscopaux en Afrique, dont beaucoup, comme ou l’imagine aisément, avaient de fort étroites circonscriptions[18]. Or, ce qui tendrait à prouver qu’à la limite du second et du troisième siècle l’organisation de l’épiscopat était fort récente, c’est l’ignorance absolue où l’on est des noms des évêques d’Afrique pendant les deux premiers siècles. Le premier que l’on connaisse est cet Optatus dont il est fait mention avec une nuance de dédain dans les Actes des saintes Perpétue et Félicité, et qui fut sans doute évêque de Carthage da ris les dernières années du second siècle ; évêque d’autorité contestée, semble-t-il, car dans cette même pièce on nous le montre disputant avec un prêtre du nom d’Aspasius et peu capable de mettre l’union parmi les fidèles dont il avait la garde. En fait, avant Cyprien on ne connaît que quelques noms d’évêques ou de prêtres de l’Afrique romaine. Quoi qu’il en soit de son origine, et bien qu’il comptât probablement moins d’un siècle d’existence, le christianisme dès l’avènement de Sévère était très florissant dans les provinces d’Afrique. Il était muni de tous les organes qui constituent une société organisée. E avait ses magistrats, diacres, prêtres et évêques ; son budget largement alimenté par des dons volontaires et des cotisations mensuelles ; ses lieux de réunion plus ou moins fixes, et ses lieux de sépulture pour les frères défunts ; ses apôtres et ses initiateurs dans chacun des fidèles ; ses docteurs et ses polémistes dans la personne des Minucius Félix, des Tertullien et des autres lettrés convertis ; il avait ce qui n’est pas moins nécessaire peut-être à une doctrine, et ce qui marque sa vitalité, des opposants et des dissidents. Les débats, on peut le croire, étaient vifs sous cet ardent climat. C’est une plume chrétienne qui écrit des fidèles d’Afrique de ce temps, qu’ils avaient toujours l’air de sortir du cirque, tant ils semblaient animés et échauffés les uns contre les autres[19]. Les sectes diverses qui en Orient avaient çà et là poussé autour de l’église et dans son sein s’étaient répandues dans l’Occident. En écrivant contre Praxéas, Marcion, Hermogène, les Valentiniens et les autres Gnostiques, Tertullien assurément ne prétendait pas faire de l’histoire ou de la polémique en l’air. Il visait des opinions qui troublaient l’église de Carthage et combattait un péril présent. Lui-même, bien qu’il travaillât d’ordinaire pour la grande église et se portât le zélé défenseur de la tradition, inclinait à ce parti des austères, des détachés du monde et des illuminés qui, né depuis trente ou quarante ans en Phrygie, s’était étendu partout et avait gagné les âmes les plus sincères et les plus pures. Lentement donc, mais sûrement, grâce à une prédication familière et domestique dont chaque fidèle était l’agent inconscient, grâce aussi à la liberté religieuse et à la tolérance commune en fait d’idées et de croyances, l’église se fonda, grandit et se constitua dans l’Afrique romaine. Le dédain suprême et sommaire en haut, en bas des haines plus vives s’exhalant en insultes et, à l’occasion, en voies de fait, saluèrent sans doute son apparition et suivirent ses progrès. Cependant l’autorité n’intervint pas pour y mettre obstacle au nom des lois. Lorsque l’infernale fantaisie de Néron fit à Rome une hécatombe de chrétiens en 64, il n’y avait probablement pas un seul fidèle en Afrique qui pût craindre d’en subir le contrecoup. Et de même, lorsque le glaive de Domitien s’abattit dans la même ville de Rome sur quelques tètes suspectes de superstitions judaïques, la matière manquait encore en Afrique à qui eût songé à imiter le maître dans ses violences et ses proscriptions. Quand Tertullien écrit que ni Hadrien, ni Antonin le Pieux ; ni Verus (évidemment Marc Aurèle) ne publièrent d’édit contre les chrétiens, qu’aucun prince, à l’exception de Néron et de Domitien, jusqu’à celui qui règne aujourd’hui (évidemment Septime Sévère), n’a persécuté l’église, ce témoignage peut être reçu avec pleine assurance pour ce qui regarde l’Afrique. Il n’y a pas, du moins que nous sachions, un seul document ni un seul fait considérable qui l’infirme. Cependant, dès avant Sévère, la renommée avait dû faire connaître en Afrique que les chrétiens étaient au ban de l’opinion et théoriquement hors la loi, qu’en Bithynie jadis un légat impérial en avait fait exécuter plusieurs, que Trajan avait déclaré illégale la secte chrétienne, que sous Antonin un groupe de fidèles et le chef de l’église d’Asie avaient été suppliciés à Smyrne, que sous Marc Aurèle les chrétiens avaient été maintes fois maltraités ou judiciairement condamnés, soit par la foule qu’on laissait faire, soit par les autorités locales, soit, comme à Lyon, par les ordres du représentant du pouvoir central. On ajoutait peut-être, il est vrai, que la loi au sujet de la répression des chrétiens était ambiguë, hésitante et comme peu sûre d’elle-même ; que le pouvoir, tout en condamnant les chrétiens, ne souhaitait pas qu’on les recherchât, inclinait aux voies de douceur, et penchait à les couvrir et à les défendre contre les entreprises et les violences populaires. Le sentiment public dans toutes les classes de la société païenne était évidemment plus hostile en général aux chrétiens que l’autorité. Il semble que ce soit un paradoxe de parler ici de la mansuétude de la loi romaine, si cruelle et si inhumaine, et qu’on représente toujours acharnée contre les fidèles. Cependant les Antonins depuis un siècle paraissaient travailler à désarmer la loi qui les condamnait. Trajan, qui le premier avait fixé la jurisprudence en cette matière, n’avait-t-il pas interdit de recevoir les dénonciations anonymes et défendu les poursuites d’office ? Hadrien, Antonin, Marc Aurèle n’étaient-ils pas intervenus également ? On ne sait précisément en quels termes, car les pièces qu’on leur attribue ne paraissent guère authentiques, mais dans un esprit d’équité et de douceur, on a toute raison de le supposer ; c’est-à-dire pour défendre à ceux qui avaient le droit du glaive d’obtempérer aux clameurs et aux sommations tumultuaires des foules, pour leur recommander de respecter les formes légales, d’attendre les accusations et de ne pas les accueillir au hasard ni de toutes mains. L’humanité et le souci de la paix publique, en face d’un mal, que dés le temps de Trajan on ne pouvait vaincre par la force vive sans verser des fleuves de sang, décréter et exécuter une sorte de dépopulation de l’empire, avaient produit ces compromis, amené diverses interventions du pouvoir où il semblait que la parole du prince contredît la loi écrite et la réduisît à une lettre morte, défendit l’excès de zèle, recommandât le tact, la prudence et au besoin l’art de savoir fermer les yeux. Les chrétiens croissaient cependant. Les quelques condamnations prononcées çà et là contre eux les servaient grandement, réveillaient le zèle, maintenaient l’union dans la secte, enflammaient la foi. Ils se glissaient partout. L’Afrique était assez voisine de Rome pour qu’on sût à Carthage et autour de Carthage, dans l’église et hors de l’église, qu’auprès du fils de Marc Aurèle la chrétienne Marcia était toute puissante ; que dans la domesticité du prince, parmi les Césariens, devant lesquels se courbaient chevaliers et sénateurs, il y avait nombre de chrétiens ; que l’un d’eux, plus dévoué sans doute au chef de sa secte qu’au chef de l’Etat, avait été envoyé avec une lettre impériale arrachée par Marcia à Commode, pour délivrer les chrétiens condamnés aux mines de Sardaigne. Ces vents d’humanité ou de faveur qui soufflaient à la cour devaient causer quelque embarras aux magistrats éloignés de Rome et faire singulièrement vaciller leur justice. La profession chrétienne était-elle un crime ? La loi et la tradition disaient oui, mais la conduite et les rescrits du prince disaient non. L’opinion populaire paraissait d’accord avec la loi : cependant les chrétiens allaient partout tête levée : on en trouvait dans les antichambres de la demeure impériale. Ils avaient assez de crédit pour faire annuler les arrêts des préfets de Rome. Les proconsuls et les présidents les plus conservateurs et les plus fermes, craignant d’être désavoués, blâmés, ou seulement de déplaire, hésitaient, frappaient mollement, ou se dérobaient et prenaient des biais quand ils étaient mis en demeure d’agir. D’autre part cependant, au sein des masses païennes, parmi les dévots de la Dea Cælestis, les esprits étaient fort échauffés. Au zèle chrétien répondait le fanatisme des superstitions locales. Les passions des plus nombreux poussaient aux violences contre une minorité chaque jour croissante de réfractaires et de transfuges obstinés. On accusait la mollesse et l’apathie du gouvernement qui n’osait user de ses armes contre des factieux qui assiégeaient la ville et les campagnes[20]. On nous raconte que Pertinax, pendant son proconsulat d’Afrique (188-189), eut à subir plus d’une émeute religieuse. Les prêtresses de la déesse Céleste par leurs prédications enflammées remuaient aisément ces âmes ardentes, dociles à leurs excitations, et les précipitaient dans tous les excès[21]. Dans quels excès et de quelle nature ? on l’ignore. On ne sait quel était l’objet de ces vaticinations qui troublaient les esprits au point de compromettre la paix publique. La politique sans doute n’avait rien à y voir. On peut supposer que les consciences populaires, là comme ailleurs et plus vivement qu’ailleurs, étaient émues des brèches que la secte chrétienne faisait chaque jour dans la religion du pays, sans que l’autorité intervînt efficacement pour la protéger. De là des mécontentements, des murmures, des soulèvements, des cris de mort poussés contre les chrétiens dans les grandes réunions populaires, des sommations violentes et tumultueuses adressées aux agents de l’autorité. De là des actes de violence foraine, des coups de main, des scènes de banditisme, des attaques et assauts de maisons chrétiennes avec des pierres et des torches, les assemblées des chrétiens bloquées ou dispersées par la foule ameutée, leurs cimetières violés, profanés, les cadavres indignement tirés des sépultures et mis en pièces, les derniers outrages infligés aux fidèles ou aux morts qu’ils honoraient. Dans ces violences populacières exercées contre les chrétiens, les juifs se liguaient avec les païens[22]. On connaît la caricature du crucifié à tête d’âne dessinée sur les murailles d’une salle basse du Palatin. On la renouvela à Carthage vers la fin du second siècle. Un méchant juif apostat, valet d’amphithéâtre, s’avisa de promener par les rues en guise de parodie, au milieu des rires et des huées de la foule, une grande enluminure burlesque qui représentait un personnage vêtu de la toge, un livre à la main, avec des oreilles d’âne et un pied fourchu, et au-dessous cette légende : C’est le Dieu des chrétiens, il couche avec les ânes[23]. Remarquons la toge : elle manquait au graffito du Palatin. La caricature du juif carthaginois touche à la fois Rome et les chrétiens. L’auteur ne semble-t-il pas dire que le Dieu des chrétiens est devenu romain par la tolérance du pouvoir, qu’il en porte l’habit, qu’il se donne des airs de citoyen ? Quelle dérision ! Quel renversement du sens commun et des vieilles traditions ! A défaut de la voie publique où ils n’étaient pas si libres, et des répliques figurées qu’il eût été imprudent d’essayer, si faciles qu’elles fussent, les hommes d’esprit de la secte nouvelle avaient la langue et la plume. On peut croire qu’ils en usaient. On exhibait comme leur Dieu un monstre à tête d’âne ; ils répondaient qu’ils ne connaissaient pas ce personnage, et que si quelqu’un l’adorait, ils en riaient les premiers, comme ils se permettaient de rire de tant d’autres dieux informes ou difformes, aux têtes de chien, de bouc, d’épervier, de chacal, d’oiseau, aux jambes velues et aux pieds de corne, communément adorés ; que ceux qui leur prêtaient un âne avaient dans leurs sanctuaires toute une ménagerie ; que ce n’était pas le Dieu des chrétiens, mais la déesse Epona qui couchait à l’écurie, dans le parfum du fumier et des bêtes de somme. Il n’y avait là qu’un échange de plaisanteries, de finesse et de justesse contestables, inoffensives en somme. Les railleurs n’ont jamais troublé la foi des vrais croyants : ils ne mordent que sur les esprits que le doute a déjà entamés. Plus meurtrières étaient les rumeurs usées ailleurs, mais qui couraient alors l’Afrique, sur les initiations nocturnes des chrétiens, leurs infanticides, leurs communions sanglantes, et les scènes de promiscuité qui suivaient ces rites de conjurés. Sur cette terre où fleurissaient les arts magiques, au milieu de ces imaginations ardentes, crédules, de curiosité et de mœurs dépravées, ces bruits odieux étaient avidement écoutés et reçus. Peu, dit Tertullien, savaient se défendre d’y croire. Les négations indignées et les mordantes ripostes du polémiste chrétien ne pénétraient pas dans les masses illettrées. On imagine quelles sombres fureurs ces récits allumaient contre les incestueux, les mangeurs d’enfants, cette troisième espèce d’hommes[24] qui, par ses allures, ses mystérieuses croyances et ses infâmes pratiques, se mettaient en dehors, non seulement des gentils et des juifs, mais de l’humanité. Cela ne criait-il pas vengeance ? N’était-ce pas pour la punition de ces ignominies que les dieux irrités frappaient si souvent la terre ? Et si l’on disait que les dieux étaient bien aveugles alors et bien injustes de ne pas distinguer, de punir les innocents pour les fautes de quelques hommes perdus, plusieurs répondaient que les adorateurs des dieux, en laissant vivre les chrétiens au lieu de les exterminer jusqu’au dernier, en se montrant si peu zélés à défendre les dieux contre ceux qui les blasphémaient, se faisaient leurs complices, et méritaient les colères du ciel[25]. Ceci visait l’autorité. En Afrique l’opinion populaire accusait sa tiédeur et presque sa connivence. Les grands mots cependant résonnaient, ceux qui font le plus aisément dresser l’oreille aux agents du pouvoir et réveillent d’ordinaire les plus endormis. On disait communément en Afrique ce qui se disait ailleurs cinquante ans auparavant, que les chrétiens étaient des contempteurs des lois, des hommes dangereux, des ennemis de l’État et de la société. Ces rumeurs, ces accusations usées partout, et produisant alors dans l’Afrique romaine une sorte d’agitation émeutière, laissaient, ce semble, le proconsul Pertinax froid et maître de lui-même. Il avait vieilli dans les grands commandements. Il avait fait tête à des soulèvements plus sérieux. D’un autre côté, il avait vu d’assez prés en divers pays les hommes et les choses de son temps pour savoir à quoi s’en tenir sur les chrétiens. Bien des fois il avait entendu parler déjà de ces prétendus ennemis publics. Il était assurément de ceux qui souriaient de ces sottes et ridicules histoires qui, après avoir fait le tour de l’empire, venaient échouer en Afrique et défrayer les conversations de la plèbe fanatique. On peut croire qu’il trouva sage de ne pas s’engager dans la querelle des dieux et de s’abstenir d’empiéter sur leurs droits, digne de son rang de ne pas déférer aux préjugés et aux clameurs de la foule, humain et politique de ne pas tirer l’épée contre une secte qui, quoi que valussent au fond ses croyances et ses pratiques, et quoi que le vulgaire en pensât, était en somme paisible et docile aux lois et qu’il savait peut-être fortement et efficacement protégée auprès de Commode. On croira aisément que cette politique de neutralité et de sourde oreille en face des injonctions populaires fut aussi celle de Didius Julianus, qui succéda immédiatement à Pertinax en qualité de proconsul d’Afrique, 189-190. L’achat de l’empire romain aux enchères a déshonoré la mémoire de Didius Julianus. Au rapport de Spartien, c’était un honnête homme et qui avait bien porté un nom illustre. Il était plein d’humanité et de douceur. Il dut apprendre en Afrique l’amnistie accordée aux chrétiens condamnés aux mines de Sardaigne, et n’était pas homme à aller contre les vues du prince. On rapporte qu’en 193, lorsqu’il sut que Septime Sévère marchait sur Rome à la tète de son armée, dans le désarroi de ses espérances, il eut recours à des rites étrangers et à des opérations magiques. C’est dire assez que sa foi dans la vertu des cérémonies officielles n’était pas très ferme. Les procès faits aux chrétiens en Afrique commencent cependant à ce moment, sous les deux proconsuls qui succèdent à Didius Julianus, dès avant la mort de Commode, Cincius Severus et Vespronius Candidus (190-192). Tertullien raconte que Cincius Severus, à Thysdrus, fournit lui-même à des chrétiens le moyen de répondre de façon à être renvoyés absous, et que Vespronuus Candidus fit mettre en liberté un chrétien, sous prétexte que l’ordre public aurait plus de risque à courir de sa condamnation[26]. C’est dire précisément que ni l’un ni l’autre des deux proconsuls n’avait pris l’initiative des poursuites, et que tous deux au contraire étaient également embarrassés de l’accusation. Ils ne pouvaient la repousser directement et y opposer une fin de non-recevoir préalable. C’eût été trahir leurs devoirs et refuser de rendre la justice. Evidemment l’accusateur n’était pas un de leurs agents, mais quelque citoyen de Thysdrus ou de Carthage qu’il fallait écouter. Cincius Severus n’aimait guère Commode[27], mais il n’estimait pas prudent de condamner ceux que le prince graciait solennellement : il trouva l’art d’interroger les prévenus, de leur insinuer des réponses qui eussent l’air d’une satisfaction suffisante, et prononça qu’il n’y avait pas lieu de condamner. De même Vespronius Candidus, après avoir entendu l’accusateur, refusa de sévir, sous prétexte que, dans l’espèce, la condamnation serait pire que le mal et plus fâcheuse pour la paix de la cité ; ou que les chrétiens n’étant après tout que des brouillons et des esprits remuants, ils n’avaient qu’à faire amende honorable et à s’entendre avec leurs concitoyens, sans que la loi intervînt dans ces débat[28]. Vespronius Candidus était dur et cruel[29]. S’il ne voulut pas punir les chrétiens déférés à son tribunal, ce fut vraisemblablement moins par scrupule d’humanité que par crainte de blesser la toute puissante favorite de Commode, Marcia leur protectrice. Sous les proconsuls qui suivirent, jusqu’à Saturninus, qui le premier, dit Tertullien, usa de l’épée contre l’église en Afrique[30], la situation des chrétiens fut tolérable. Ils étaient mêlés aux païens dans les villes et dans les campagnes pour toutes les relations de la vie communs. Avec vous nous cultivons la terre, dit l’orateur africain, avec vous nous naviguons, nous portons les armes, nous faisons le commerce[31]. La guerre civile, qui sévit depuis la seconde moitié de l’an 193 jusqu’au commencement de 197, absorbait toutes les préoccupations. Les grands fonctionnaires, qui attendaient la fortune et suivaient non sans anxiété la lutte pour l’empire engagée en Syrie et plus tard en Gaule, n’avaient guère le loisir de s’inquiéter d’obscurs sectaires mal notés et généralement suspects, il est vrai, mais paisibles en somme, et qui savaient ne pas se compromettre dans les brûlantes aventures de la politique. La population honnête était indifférente à leur égard, quoique dédaigneuse. La foule inculte criait de temps en temps contre eux, sans trop savoir pourquoi, les huait et les maltraitait à l’occasion. Les chefs de maison, les riches propriétaires, quand ils découvraient à leur foyer des faits de propagande clandestine exercée par leurs esclaves et s’adressant à leur femme ou à leurs enfants, usaient et abusaient de leurs droits pour les punir cruellement, les enchaînaient et les torturaient dans leurs ergastules, ou s’il s’agissait de jeunes filles esclaves, les faisaient vendre au leno. Cela ne tirait pas à conséquence. L’autorité laissait faire ; les chrétiens ne se plaignaient pas, n’invoquaient pas la protection des lois, courbaient le dos sous l’orage, ou se dérobaient dans l’obscurité. Après la paix conquise par l’épée et les impitoyables représailles exercées par Sévère vainqueur contre les complices avoués ou secrets de ses compétiteurs abattus, la condition des chrétiens changea-t-elle ? En fait et légalement, non, dans la plus grande partie de l’empire. En Italie, en Gaule et dans les provinces asiatiques, à part deux ou trois faits à demi obscurs, on ne peut, croyons-nous, trouver aucune trace sérieuse de persécution. En Afrique cependant, comme en Égypte, il y eut des procès faits aux chrétiens, des condamnations capitales prononcées et exécutées. Mais on ne sait pas bien, et il est malaisé de déterminer exactement quelle fut au juste dans ces affaires la conduite des représentants du pouvoir central. Assurément la persécution ne fut pas continue en Afrique, sous le règne de Sévère ; la politique des proconsuls ne fut pas uniforme ; et on ne saurait dire jusqu’à quel point ils prirent l’initiative des poursuites. Plusieurs traités de Tertullien, composés en Afrique depuis l’an 197 ou 198 jusqu’à la première ou seconde année du règne de Caracalla, attestent évidemment la persécution et ne s’expliquent que par elle. On y sent le feu de la bataille qui les a inspirés. Dans aucun de ces traités pourtant, depuis la courte Lettre aux Martyrs jusqu’à l’Épître à Scapula, qui forment les deux limites extrêmes des écrits apologétiques et polémiques se rapportant à la lutte que nous étudions, on ne trouve un seul témoignage qui incrimine directement Sévère, et d’où l’on puisse inférer qu’aucun édit nouveau eût été promulgué par lui contre les chrétiens. Dans l’Apologétique il n’y a pas un texte d’où l’on puisse induire que Sévère ait ordonné de poursuivre les chrétiens. Bien plus, dans la lettre à Scapula, écrite après la mort de Septime Sévère, Tertullien parle de cet empereur, non comme d’un persécuteur et d’un ennemi des chrétiens, mais comme d’un prince bien disposé à leur égard et qui les protégea personnellement contre les fureurs d’une multitude déchaînée. De même, dans l’écrit sur la Couronne du soldat, qu’avec Nœsselt on peut placer vers 202, il est question de la bonne et douce paix dont jouit, non seulement l’empire, mais encore, l’église. De même encore, dans le jeu d’esprit à la manière des sophistes qu’on appelle le De Pallio et qui fut publié au plus tôt dans la seconde moitié de l’année 208, il est parlé de la paix féconde qui règne partout et de la protection que Dieu accorde au triple pouvoir des Augustes[32]. Dans cette même lettre à Scapula, Tertullien, faisant mention des gouverneurs romains qui avaient montré quelque bienveillance pour les chrétiens, cite Asper et Pudens, évidemment prédécesseurs de Scapula dans le gouvernement de la province d’Afrique. Du premier, Caïus Julius Asper, consul pour la seconde fois avec son fils en 212, et proconsul d’Afrique avec son même fils pour questeur vers 205, Tertullien rapporte qu’il avait commencé à soumettre un chrétien à la question, et que le voyant faiblir dès le début, il ne le força pas à sacrifier, mais le renvoya aussitôt. Auparavant il avait exprimé aux avocats et à ses assesseurs son ennui d’être tombé sur une pareille affaire[33]. De Servilius Pudens, il dit que, parcourant l’acte d’accusation d’un chrétien qu’on avait amené à son tribunal, il feignit de comprendre qu’il s’agissait du trimé de concussion, et comme personne ne se présentait pour soutenir l’accusation, il le renvoya après avoir déchiré le libelle, ajoutant qu’il ne pouvait, selon la loi, entendre l’homme en l’absence d’un accusateur[34]. Dans les deux cas mentionnés, il parait bien que les proconsuls ne poursuivaient pas d’office. Les expressions de Tertullien l’attestent : Julius Asper déplore d’être tombé sur une pareille cause ; c’est donc en premier lieu que ces causes étaient rares, en second lieu que celle-là s’imposait à sa juridiction sans qu’il l’eût ni cherchée ni provoquée. De Pudens, il est dit que le chrétien lui avait été amené avec un acte d’accusation. Ce fait prouve bien aussi l’absence d’initiative du magistrat en cette affaire. Et le fait d’introduire subrepticement un grief nouveau et non spécifié, de déchirer l’acte parce que nul ne se présente pour soutenir l’accusation, marque clairement le désir de se soustraire à une obligation pénible et ingrate. L’allégation qu’il ne peut, selon la loi — secundum mandatum — entamer le débat sans accusateur, se rapporte si bien à l’édit de Trajan qu’il y a quelque raison, sur ce texte, de douter de la promulgation d’une loi nouvelle, à moins d’admettre qu’elle fût la répétition et comme le rappel de l’ancienne loi de Trajan. A n’en pas douter, tous les proconsuls d’Afrique n’éprouvaient pas à juger et à condamner les chrétiens la même répugnance que Julius Asper et Servilius Pudens. La plupart, serviteurs d’une opinion manifestement hostile, n’ayant d’autre religion que la crainte du maître et le respect des lois écrites, appliquaient en cette matière la loi avec impassibilité. D’antres mettaient à poursuivre et à condamner les chrétiens un zèle que son impuissance même tournait en rage, et avaient recours contre eux aux plus effroyables supplices, dépassant, semble-t-il, en cela les limites posées par le législateur. Tertullien proteste auprès de Scapula, qui dans la répression ne gardait aucune mesure. Les chrétiens, dit-il, innocents adorateurs du Dieu vivant, sont brûlés vifs, supplice épargné aux sacrilèges, aux vrais ennemis publics et aux coupables de lèse-majesté[35]. L’orateur africain rappelle que le gouverneur de Numidie et celui de la Mauritanie ne vont pas au delà du glaive, comme il a été ordonné dès le principe[36]. Ces derniers mots, pour le dire en passant, se rapportent aussi à l’édit de Trajan, ou témoignent qu’une loi nouvelle, si elle avait été promulguée, ce que Tertullien ne marque ni n’insinue nulle part, n’était rien de plus que la réédition de cet édit. Au reste, tout était surprenant dans ces procès criminels. Tandis que les accusés ordinaires se montraient humbles et suppliants, les chrétiens pour la plupart étaient devant le tribunal fiers, hautains, arrogants. Ils prétendaient faire la leçon à leurs juges, ils se targuaient du crime sur lequel ils étaient interrogés et le proclamaient à pleine voix. D’ordinaire on usait de la question pour arracher un aveu aux criminels. Ici on employait la torture pour faire nier aux chrétiens leur profession de foi. Les chrétiens étaient persuadés que la guerre qu’on leur faisait était faite à Dieu même[37]. Ne doutant pas qu’après leur mort ils recevraient d’immédiates et délicieuses compensations, ils s’offraient au juge le front haut et l’âme pleine d’allégresse, bravaient leurs bourreaux, répondaient avec hauteur aux proconsuls. Les rôles étaient changés : ceux-ci semblaient sur la sellette. Les chrétiens prenaient en pitié leur ignorance ou leur aveuglement, les menaçaient de représailles prochaines. On écrivait que dès ici-bas Dieu les punirait en attendant l’inévitable et suprême jugement[38]. Les interrogatoires étaient de vrais duels dans lesquels les chrétiens, préparés comme à une palestre nouvelle, ayant par avance fait le sacrifice de leur vie, étaient presque toujours les plus forts. Comment vaincre des hommes qui se sont persuadés que le martyre leur vaudra un bonheur sans fin, qui considèrent les juges et les bourreaux comme des médecins qui font souffrir pour assurer la vie et la santé, et la mort comme la suprême libératrice[39] ? Bien qu’il eût le dernier mot en apparence, puisqu’il avait la force, le proconsul était vaincu par l’indomptable ténacité du chrétien maître de soi et triomphant jusqu’à son dernier souffle. Dans nulle autre cause criminelle on ne voyait le juge user de la sorte de prières et de menaces, conjurer les accusés d’avoir pitié d’eux-mêmes, témoigner plus souvent du désir de faire grâce et de renvoyer libres ces égarés, comme il pensait. Devant ceux qu’on appelle les martyrs Scillitains, le proconsul Saturninus se montre bienveillant. Il leur demande de réfléchir, il se contenterait d’une ombre de soumission. On dirait que ce tiède serviteur de la loi doute de la loi. Il est visiblement embarrassé de la fermeté altière des accusés. Il semble chercher un biais pour se tirer d’un pas difficile. Il offre un délai. Ne voulez-vous donc, dit-il, ni grâce, ni répit ?[40] C’est à la fin seulement, en face de refus répétés et d’une obstination que rien ne peut briser, qu’il prononce la condamnation. D’autres magistrats, dans des cas analogues, étaient sans doute plus durs et moins traitables. Se voyant, eux, les Augustes et les dieux de l’empire, ouvertement outragés ou bravés, ils ne se contentaient pas de la mort simple, comme Saturninus, mais après la question impuissante, condamnaient les coupables endurcis à être brûlés vifs ou à périr dans l’amphithéâtre sous la dent des bêtes féroces. Dans ces causes criminelles la conduite des gouverneurs romains n’était donc pas uniforme. La sentence dépendait du caractère du juge, et aussi sans doute des incidents de l’audience et de l’attitude des prévenus. On peut dire qu’en général les proconsuls ne cherchaient guère ces affaires. Mais il est malaisé de fermer l’oreille aux cris de la foule. L’accusation partait en général de la multitude anonyme[41], plus excitée qu’ailleurs en Afrique, et dont les passions s’échappaient en cris de mort, ou, pendant les exécutions, en cruelles railleries[42]. Aux prédictions menaçantes d’un chrétien qui fait appel au dernier jugement, on répond en criant : Les verges aux chrétiens[43] ! Il fallait aux magistrats romains une rare énergie pour résister à ces courants d’opinion et à ces clameurs hostiles. N’était-ce point risquer leur popularité, se donner la réputation d’être indifférents au bon ordre et plus que tièdes pour le salut du prince et la grandeur de l’État ? D’un autre côté, on se tromperait grandement en imaginant chez tous les membres de la société chrétienne le même appétit de la mort. Un enthousiasme si farouche et qui rompt à tel point avec la nature ne peut être que le fait d’une infime minorité. Le plus grand nombre admirait peut-être moins qu’il ne blâmait ces excès de zèle indiscret et cette exaltation qu’il ne partageait point. L’église, disait la majorité des chrétiens, avait besoin de la paix pour croître et s’affermir. Le Christ, qui est mort pour les hommes, n’exige point qu’on souffre et qu’on meure pour lui. Il ne se plaît point à cette offrande de leur sang que lui font les âmes inquiètes et intempérantes[44]. Partant de ces principes, la plupart des chrétiens, non seulement ne s’offraient point aux persécuteurs, mais s’effaçaient, se dissimulaient[45]. Les jours de solennité, ils ne croyaient pas faiblir, ni faire acte d’apostasie en attachant des rameaux verts, ou en allumant des lampes à la porte de leurs maisons[46]. Beaucoup sans doute étaient mêlés à la foule dans les théâtres et les cirques. Nous ne parlons pas de ceux qui faiblissaient devant les supplices et, pour s’exempter de souffrir, juraient de bouche ce qu’on voulait, brûlaient de l’encens et mangeaient des chairs sacrifiées. Mais beaucoup, quand la persécution sévissait, se cachaient, fuyaient, donnaient de l’argent aux agents subalternes et aux soldats chargés des arrestations[47]. Deux traités de Tertullien écrits entre 202 et 205, le Scorpiaque et le livre de la Fuite dans la persécution, sont dirigés contre ces maximes et ces pratiques, et prouvent en même temps les violences auxquelles la société chrétienne était alors en butte et l’ardeur du plus grand nombre à s’y soustraire, soit par la fuite, soit par une rançon. Il semble même, à lire l’orateur africain, que ce fait de donner de l’argent pour sauver sa vie et sa foi n’étaient pas des actes individuels, mais des actes collectifs, et que certaines églises, par l’intermédiaire de leurs chefs hiérarchiques, négociaient le paiement d’une sorte de contribution amiable, tirée très probablement de la caisse commune ou de sommes exceptionnellement versées, pour s’assurer contre toute poursuite, se mettre à l’abri des arrestations et acheter la sûreté de fait. Sûreté toujours mort précaire, car elle reposait sur la douteuse bonne foi d’agents qui trahissaient leurs devoirs professionnels[48] ; parfois danger nouveau et accru, car l’espérance du gain pouvait susciter d’autres dénonciateurs, et à défaut de ceux dont on avait acheté l’inaction, provoquer de nouvelles et plus âpres recherches. On ne pouvait en effet satisfaire toutes les avidités. Rutilius avait fui d’abord, puis il avait payé rançon. Il ne laissa pas d’être pris. Peut-être était-il à sec et ne pouvait-il plus payer, peut-être rougit-il de ce trafic ? Il fut déféré en justice, tourmenté et brûlé vif[49]. Quoi qu’il en soit, ce moyen de préserver sa foi se pratiquait. Ce marchandage même scandalisait singulièrement les austères et les fougueux de la secte. Ce serait peu de chose, disaient-ils, qu’un ou deux fidèles se fussent rachetés de la sorte. Mais que collectivement les églises fissent de pareils marchés, cela ne se pouvait supporter. Faut-il rougir ou gémir, ajoutaient-ils, de voir des églises inscrites sur les carnets des soldats bénéficiaires et des agents de police parmi ceux qui leur payent secrètement pension pour exercer paisiblement leurs métiers inavouables ou leurs coquineries illicites ![50] On a quelque peine en effet à voir de semblables transactions, et on incline à croire que plus d’un, parmi ceux qui achetaient ainsi la liberté de leur foi, en eût fait bon marché s’il n’avait pas eu d’argent. Cette méthode aussi exposait étrangement ceux qui étaient trop pauvres pour rien donner. C’est un sûr indice cependant que l’église avait monté des derniers rangs de la société jusqu’aux classes aisées et riches. L’argent, qui servait à acheter une sécurité fragile, assurait aussi de précieux soulagements n ceux qui avaient été arrêtés et mis en prison en attendant leur jugement. Nous voyons par la Lettre aux Martyrs de Tertullien, que grâce à une tolérance certainement payée, les fidèles libres visitaient leurs frères prisonniers et leur apportaient des aliments[51]. Des diacres même s’entremettaient auprès des geôliers et à prix d’argent obtenaient pour leurs amis un régime plus tolérable ou de notables adoucissements à la rigueur commune[52]. Une question se pose ici. Pourquoi Vibia Perpétue et Félicité, la première, nous dit-on, jeune femme d’une famille distinguée de Carthage, la seconde esclave, et quelques autres avec elles, sont-elles incarcérées, entassées avec les voleurs et les assassins, tandis que Tertius et Pomponius, tous deux diacres de l’église, sont en liberté, viennent à la prison en visiteurs charitables, négocient librement avec les soldats ou les geôliers, sans qu’on les inquiète et qu’on les emprisonne avec les autres ? Nulle autre réponse à cette question, si ce n’est qu’on ne prenait pas tous les chrétiens et que l’autorité n’agissait que contre ceux qu’une accusation expresse lui désignait. Vibia Perpétue avait peut-être été accusée par son mari, dont il n’est pas fait mention clans les Actes. Nid au contraire ne s’était porté l’accusateur des deux diacres Tertius et Pomponius et de tant d’autres que le pouvoir eût facilement trouvés à Carthage, s’il avait voulu prendre la peine de les chercher, qu’il n’avait pas même besoin de chercher puisqu’ils ne se cachaient pas. Cette même difficulté est infiniment plus embarrassante pour ce qui regarde Tertullien. C’était un chrétien nouveau, né païen et récemment converti. Il avait dû compter naguère parmi les plus chauds adversaires et les plus amers railleurs des croyances chrétiennes[53]. Caractère tout d’une pièce, mal pliant, porté aux extrêmes en toutes choses, allant facilement au bout de ses idées, quand il se donna à la foi nouvelle, il s’y donna tout entier et sans réserve. Il ne fut pas un de ces chrétiens en l’air dont il se moque, chrétiens si l’on veut[54], amis de tout le monde, ayant un pied dans l’église et un dans le siècle, complaisants et composant avec toutes les puissances. Il ne garda du vieil homme que ce fond de nature qu’on ne peut dépouiller, et porta dans le nouveau camp sa fougue intolérante, sa raideur native et son esprit agressif. Dés le lendemain de sa conversion, il se jeta dans la lutte avec sa rhétorique souvent barbare, parfois subtile et raffinée, toujours ardente et batailleuse, sonnant la charge, frappant d’une main les docteurs et les théoriciens chrétiens de l’opportunisme, de l’autre s’escrimant contre le paganisme, ses pompes et ses œuvres, avec une vigueur et une audace extraordinaires. Dans la plupart de ses traités polémiques, si l’on se place au point de vue de la société constituée et de l’ordre établi, il est incontestable que Tertullien est le pire des ennemis de l’État et le plus détestable des révolutionnaires ; il est certain qu’il prête le flanc à l’accusation de diviser les citoyens, de semer entre eux des germes de mépris et de haine irréconciliable, de nourrir les passions les plus subversives, d’outrager la religion de la majorité, de saper les bases mêmes de l’État. Nous n’avons pas besoin de recueillir ici les divers passages de ses écrits où, sans ménagement et sans mesure, il verse l’invective sur les mœurs, les coutumes et les pratiques régnantes. Le plus novice représentant du ministère public dans une cause semblable ne serait embarrassé que du choix. Sans parler de ses attaques passionnées contre la religion[55], il prêche ouvertement aux chrétiens l’abstention des charges et des services publics et comme la sécession à l’intérieur. Il glorifie l’indiscipline militaire[56]. Ne va-t-il pas jusqu’à insinuer quelque part qu’avec quelques torches, en une seule nuit, les chrétiens pourraient se venger de ceux qui les oppriment, s’il leur était permis de rendre le mal pour le mal[57]. Fallait-il beaucoup d’imagination pour voir ici une menace voilée, et le souvenir du terrible incendie de l’an 64 que Néron avait imputé aux chrétiens, ne revenait-il pas à la mémoire en lisant ces mots ? Nous nous demandions plus haut pourquoi, tandis que des femmes faibles et inoffensives sont en prison et tout à l’heure dans l’arène, condamnées aux plus cruels supplices, deux diacres vont et viennent librement jusque dans leur prison, s’entremettent auprès des geôliers et des soldats. Ici la difficulté est plus forte. La persécution frappe les chrétiens en Afrique d’une façon intermittente pendant presque toute la durée du règne de Sévère. Or Tertullien, le coryphée du christianisme militant, l’excitateur le plus passionné des fidèles, l’ennemi le plus irréconciliable du paganisme, non seulement vit librement en pleine lumière à Carthage, mais se porte ouvertement l’avocat des chrétiens, les encourage et les affermit dans leur résistance aux lois, attaque audacieusement toutes les institutions de l’État. Il ne se cache point. Au contraire, il a jeté bas la toge, le costume romain, pour prendre le pallium, c’est-à-dire l’habit sacerdotal des chrétiens, comme pour mieux narguer le pouvoir. Ses écrits, où les païens peuvent voir des pamphlets et des défis à l’autorité, tombent comme grêle pendant la persécution même : ce sont sa Lettre aux martyrs, son traité des Spectacles, son livre de l’Idolâtrie, ses deux livres aux Nations, son Apologétique, ses livres sur la Couronne du soldat et sur la fuite dans la Persécution, son Scorpiaque et son Épître à Scapula. Tous ces traités sont composés entre les années 197 et 211 ou 212. Encore une fois n’est-il pas étrange de voir dans le même temps des hommes obscurs et sans nom recherchés, poursuivis, condamnés et exécutés pour cause de christianisme, et Tertullien, le porte-parole de la secte et le boutefeu des esprits, demeurer à Carthage libre et non inquiété ? Le pouvoir se fit-il scrupule de répondre à des arguments par la force, de briser brutalement une plume qui honorait la cité ? Ou, comme il arrive, la police locale ramassait-elle plus volontiers ses victimes cri bas qu’en haut, parmi la foule anonyme qui suit, que parmi les chefs qui la mènent et l’inspirent ? En fait, le cas de Tertullien épargné à Carthage prouve que la fortune fut, suivant le proverbe, plus clémente pour ceux qui avaient le plus d’audace ; et mieux encore, que le fougueux docteur de Carthage, qui déconseillait la fuite aux autres et écrivait que c’était une joie de mourir pour sa foi, eut la sagesse de ne pas s’offrir aux juges, le bonheur — ou le malheur — de n’être accusé par personne. Ce fait prouve encore indirectement l’absence ou la mollesse des poursuites, et enfin que la persécution parmi les fidèles de Carthage ne frappa que les humbles et les petits. Les noms des martyrs d’Afrique que nous connaissons au temps de Sévère confirment en général ces inductions. On ne sait pas quels sont ces martyrs désignés auxquels Tertullien adressa son exhortation vers 197[58]. Ils étaient en prison, on ignore en quel nombre, hommes et femmes[59], visités et nourris par les frères libres[60] ; ce qui prouve à la fois le zèle charitable de l’église et la facilité des agents du pouvoir. Une absolue concorde ne régnait pas parmi ces prisonniers, car Tertullien leur recommande l’union[61], ni une égale insouciance de la vie terrestre et de ses biens, car dans une suite d’antithèses, qu’on ose trouver froides, artificielles et sentant la rhétorique d’école, il leur prêche le détachement et s’efforce de leur rendre moins amer le pas douloureux qu’ils auront à franchir. Prendre soin de ceux de ses membres appelés à rendre témoignage de leur foi n’était pas seulement de la part de l’église un acte de charité. Son capital intérêt l’y engageait. Les confesseurs en effet étaient les champions de la foi commune. Il importait à la société chrétienne tout entière que ces témoins choisis, forcés ou volontaires, déférés devant les juges, ou s’y précipitant de leur plein gré, ne défaillissent pas dans les tourments, ne trahissent pas sa cause et ne fussent pas vaincus dans la lutte. Leurs victoires étaient les triomphes de l’église, assuraient son honneur, étendaient sa puissance, augmentaient son prestige et sa force en suscitant des prosélytes parmi les païens étonnés. Aussi avait-on grand soin de les préparer au combat[62]. L’église employait pour cet office ses voix les plus persuasives. Chacun s’y dévouait de tout son cœur. On armait les âmes des lutteurs futurs contre l’amour de la vie et la peur des souffrances. On leur versait l’ivresse de la mort, on transportait leurs imaginations en leur ouvrant de capiteuses perspectives sur l’infini, on les exaltait par la peinture des compensations prochaines et des délices du ciel qui les attendait. Mourir de sang-froid pour la vérité scientifiquement démontrée, peu d’hommes parmi les plus fermes en sont capables ; mais échanger une vie d’un jour et généralement misérable pour un bonheur sans mélange et sans fin, donner peu pour gagner tout, souffrir un instant pour jouir toujours, quel marché tentant[63] ! Il suffit, pour consentir et accepter avec enthousiasme l’apparent sacrifice, que l’âme soit persuadée, captivée, possédée. La foi brûlante a fait de tout temps de pareils miracles. Ils étaient communs aux premiers âges de l’église, au temps des persécutions. L’exaltation commune renforçait l’exaltation individuelle. Le martyr combattait pour Dieu, pour l’église et pour lui-même. Il savait qu’il était le tenant de toute la communauté. Il ne doutait pas que le Christ ne dût le soutenir et le réconforter dans la lutte, et, après le triomphe, le recevoir dans son royaume[64]. Dans les visions étranges qui remplissent les Actes des saintes Perpétue et Félicité, on voit l’effet de cette sorte de possession spirituelle que pouvaient produire sur des âmes simples cette idée fixe, cette préparation assidue et l’espèce de retraite mystique à laquelle elles étaient soumises avant le combat. Parallèlement à l’entraînement intérieur et pour l’aider efficacement, l’église astreignait les martyrs à un régime de jeûnes prolongés favorable à la surexcitation nerveuse et à l’exaltation extatique. Elle échauffait l’âme et exténuait le corps afin qu’amaigri, il présentât, si l’on peut dire, moins de surface à la douleur physique et que les ongles de fer et les tenailles des bourreaux y eussent moins de prise[65]. Parfois aussi, — Tertullien s’élève contre cette méthode ou cet usage, — elle faisait festoyer les futurs lutteurs, ne les laissait manquer de rien[66], et au dernier moment leur faisait boire des liqueurs narcotiques et stupéfiantes pour émousser ou paralyser en eux la sensibilité. L’un des vôtres naguère, écrit Tertullien, à l’heure qui précéda sa comparution, fut tellement frappé d’hébétement par le vin préparé que vous lui fîtes boire, qu’il fut incapable de répondre au prœses qui l’interrogeait. Sur le chevalet, à peine touché par les ongles de fer dont il sentait comme un chatouillement, il n’eut que de confus balbutiements d’ivrogne et, la torture continuant, mourut dans une abjuration entrecoupée de hoquets[67]. Il n’y a pas de raison d’affirmer que ces dernières pratiques fussent générales. Tertullien, qui les reproche aux Psychiques, comme il les appelle, c’est-à-dire à ceux de la grande église, marque lui-même qu’elles n’étaient employées qu’avec les confesseurs douteux ou de foi chancelante (martyres incerti, De jejunio, 12) dont on pouvait craindre la défaite ou la chute, au milieu des supplices par lesquels on cherchait à vaincre la fermeté chrétienne. Quel fut le sort du groupe de fidèles auxquels Tertullien adressa les encouragements qu’on lit dans son écrit aux Martyrs ? Furent-ils renvoyés, comme tant d’autres, après une courte détention et un sommaire interrogatoire, ou condamnés et exécutés ? Nous l’ignorons. Si l’on pouvait affirmer que cette affaire fut jugée par le proconsul Servilius Pudens, il serait permis de supposer qu’il ne les condamna pas, mais qu’il sut se soustraire, comme il le fit dans la circonstance rapportée par Tertullien[68], à une obligation légère après tout pour un magistrat tout puissant. Mais la date du proconsulat de Pudens n’est pas précisément fixée. On peut dire seulement avec une grande vraisemblance que Pudens gouverna la province proconsulaire d’Afrique entre P. Cornelius Anullinus, proconsul en 193, et Vigellius Saturninus, proconsul au plus tôt en 198[69]. On ne s’accorde pas, il est vrai, sur l’année du proconsulat de Vigellius Saturninus. Les opinions sur ce point varient entre 198 et 205[70]. Si nous avions la date du consulat de Saturninus, nous aurions un élément précieux pour la solution très approximative de cette question, car le tirage au sort des provinces proconsulaires d’Asie et d’Afrique suivait très généralement le consulat à un intervalle de treize à quinze ans. Ainsi Pertinax et Didius Julianus, consuls tous deux l’an 175, furent proconsuls d’Afrique, l’un en 188-189, l’autre l’année suivante, 189-190. De même Apuleius Rufinus, consul en 189, Valerius Bradua Mauricus en 191, Asper pour la première fois en 192, Scapula Tertullus en 195, gouvernèrent l’Afrique proconsulaire, le premier en 203, le second en 201, le troisième en 205, le quatrième en 211. Mais nous ignorons l’année du consulat de Vigellius Saturninus. Frédéric Münter suppose, sans y insister[71], que le Saturninus mentionné dans les fastes consulaires en 198 pût être proconsul d’Afrique deux ou trois ans après. Mais cela est inadmissible pour deux raisons : d’abord parce que les noms des deux personnages ne conviennent point[72], et ensuite parce qu’un intervalle de deux ou trois ans entre le consulat et l’élection sénatoriale au proconsulat d’Afrique est, que nous sachions, sans exemple certain à cette époque. Si le Saturninus des Actes des martyrs scillitains est, ainsi qu’on en convient très généralement, le proconsul d’Afrique dont nous parlons et que cite Tertullien dans sa lettre à Scapula, comme on trouve dans l’interrogatoire qu’il dirige la mention nominative des empereurs Sévère et Antonin (Caracalla)[73], et que ce dernier n’a été élevé à la dignité d’auguste qu’au commencement de juin 198, il suit que cet interrogatoire est au plus tôt de la seconde moitié de cette même année, et par exemple du 17 juillet 198, ainsi que le marquent les Actes ; et par conséquent que Vigellius Saturninus n’a pu être proconsul de la province d’Afrique avant 198, à moins que, comme il arrivait parfois, ses pouvoirs n’aient été prorogés et que son proconsulat, ayant commencé au printemps de 197, puis fini au printemps suivant, n’ait été continué pour un an. Mais si l’affaire des Scillitains, présidée et jugée par Saturninus, rie peut être antérieure au mois de juin 198, elle peut être postérieure à cette date d’un an ou deux en supposant que Saturninus, entré en charge au printemps de 198, ait par un ou deux renouvellements successifs de son pouvoir gardé un an ou deux ans encore le gouvernement de la province. Cette possibilité, remarquons-le, repose sur une exception, car suivant les règles ordinaires, les proconsuls d’Asie et d’Afrique ne restaient qu’une seule année en fonction. Or, dans l’espèce, cette prorogation parait avoir eu lieu. Les Actes proconsulaires nous apprennent en effet que les martyrs scillitains furent jugés sous le consulat d’un personnage désigné sous le nom de Claudius ou de Claudianus, et l’un des deux consuls de l’année 200 porte précisément le nom de Claudius[74]. De plus, sans craindre d’être accusé de démontrer l’obscur par le plus obscur, comme on dit dans l’école, nous alléguerons la date de l’Apologétique de Tertullien pour confirmer ces données et nous attesterons ces blêmes données, pour confirmer les autres raisons qui nous permettent de rapporter l’Apologétique à l’année 198 ou à la suivante. Nous savons en effet grue les Scillitains ont été exécutés sur la sentence de Saturninus, Sévère et Caracalla étant Augustes, c’est-à-dire qu’ils n’ont pu souffrir avant 198 : nous savons d’autre part que, dans l’Apologétique, il est plusieurs fois question de fidèles frappés du dernier supplice, et, par un autre témoignage exprès et formel, que Saturninus fut le premier en Afrique qui ait prononcé contre les chrétiens des condamnations capitales. Il en résulte clairement que l’Apologétique ne fut pas composée avant la fin de l’année 198. Or les martyrs scillitains périrent l’an 200, Tiberius Claudius Severus étant consul, et avant eux déjà le sang chrétien avait coulé dans la personne de Namphamo et de ses compagnons, dits les martyrs de Madaure. Donc l’Apologétique a été écrite avant l’an 200, et, pour préciser, selon l’opinion de Mosheim et de Nœsselt[75], vers la fin de l’année 198 ou dans le courant de l’année suivante. Nous apporterons en preuve deux textes de l’Apologétique où Tertullien, si avare d’ordinaire de claires allusions aux personnes et aux choses de son temps, note en traits suffisamment précis des faits de la plus brûlante actualité. Dans l’un de ces deux passages l’orateur africain écrit que les représailles si cruellement exercées contre les partis vaincus duraient encore : Les complices et amis secrets de ces factions scélérates sont encore maintenant dénoncés chaque jour. Après la moisson coupée des chefs parricides, on glane encore les restes[76]. On sait quelles impitoyables vengeances, à Rome et ailleurs, suivirent les défaites de Niger et d’Albinus. L’écho s’en prolongea longuement. Cependant la destruction d’Albinus est de février 197. Dès la fin de cette même année, l’actif et infatigable Sévère était déjà en Orient. Au commencement de 198 il avait pris Ctésiphon. A la grande rigueur on peut dire que çà et là, à ce moment, des dénonciations se produisaient encore. Mais ce grapillage après les grandes fauchées, comme parle Tertullien, ne peut guère nous mener au-delà des années 198 et 199. L’autre texte de l’Apologétique est une peinture des réjouissances publiques célébrées à Carthage comme à Rome, et peut-être même d’une façon plus démonstrative, Sévère étant africain, soit pour les fêtes de la cinquième année (quinquennalia), soit pour la victoire sur Albinus[77]. Cette peinture faite, ce semble, d’après nature, nous reporte aussi à l’année 197. Un an ou dix-huit mois après, quand Tertullien tenait la plume pour écrire son Apologétique, le souvenir en était encore vivant dans son esprit[78]. Nous considérons donc très décidément l’Apologétique de Tertullien comme écrite à la fin de l’année 198 ou dans le courant de l’année 199. C’est à notre avis mal raisonner que de la reculer jusqu’en 203, sous prétexte que l’édit de persécution de Sévère est de 202. Nous l’avons montré déjà, la persécution n’attendit pas cet édit pour se produire à Alexandrie et dans la province de l’Afrique romaine, et il n’est fait nulle allusion à cet édit nouveau ni dans les écrits de Tertullien, ni dans les Actes des martyrs qu’on rapporte au règne de Sévère. Des détails chronologiques dans lesquels nous venons d’entrer, nous pouvons induire maintenant que si la lettre aux martyrs de Tertullien est, comme nous l’admettons, antérieure à l’année 198, année où, avec le proconsul Vigellius Saturninus, commença effectivement la persécution violente et les condamnations capitales, les fidèles incarcérés auxquels s’adressait Tertullien n’eurent pas lieu de mettre à profit les conseils de ferme courage que leur prodiguait du dehors l’orateur de Carthage, mais qu’ils furent rendus à la liberté ou frappés seulement de peines légères. C’est un peu plus tard, dans la seconde moitié de 198, que s’ouvre le martyrologe de l’église d’Afrique. Les premiers noms qu’il y faut inscrire sont des noms barbares, des noms puniques. Ceux et celles qui les portaient étaient apparemment de basse naissance et de condition servile. On pouvait puiser au hasard, pensait-on, et frapper sans scrupule dans ce milieu. L’autorité y trouva facile matière d’exemple et d’avertissement pour les autres. Namphamo est cité comme le premier fidèle dont le sang ait coulé. Sa mémoire resta longtemps chère à l’église d’Afrique et fut honorée d’une sorte de culte sous le nom de prince des martyrs, archimartyr. Au commencement du IIIe siècle, le grammairien Maxime de Madaure, resté païen, s’indignait de cette espèce d’adoration rendue par les fidèles à ce barbare inconnu et à ses compagnons aussi barbares que lui, Miggin[79], Lucitas, Samaé et les autres de la même engeance dont les noms sont exécrés des dieux et des hommes. Qui pourrait supporter, disait-il, que l’archimartyr Namphamo prenne le pas sur tous les dieux immortels ?[80] Et saint Augustin répondait qu’il convenait mal à un Africain, écrivant à un Africain, de tourner en ridicule des noms empruntés à la langue punique et bien supérieurs par leur signification à tous ceux de la mythologie. Si nous cherchons en effet ce qu’ils veulent dire, Namphamo signifie homme d’heureux présage, c’est-à-dire qui apporte le bonheur partout où il porte le pied[81]. Ce nom de Namphamo, avec quelques légères variantes d’orthographe, était fort usité en Afrique[82], aussi bien que le nom de Félix ou de Fortunatus, qui en est la traduction latine ; mais nous ne savons rien sur le premier martyr d’Afrique qui l’a porté, non plus que sur ses compagnons, non plus que sur les circonstances de leur condamnation. Dans le martyrologe romain ils forment le groupe des martyrs de Madaure, bien qu’ils paraissent avoir été jugés et condamnés par le proconsul, et par conséquent exécutés à Carthage. L’effet de ce premier sang fut terrible. La populace païenne, déjà fort excitée, s’en grisa. Les accusations, mal reçues jusqu’alors, se croyant encouragées, se multiplièrent. Ce fut une terreur parmi la plupart des chrétiens amis de la paix ; chez d’autres, plus guerroyants ou plus enthousiastes, un redoublement d’exaltation. Sans que les frumentarii se missent en chasse[83], les prisons se remplirent. De cruels supplices furent ordonnés. Jucundus, Saturninus, Artaxius furent brûlés vifs, d’autres encore[84] ; une vierge fut livrée au leno[85] ; Quintus, après un interrogatoire où la torture avait sans doute été employée, mourut en prison[86]. Vainement la communauté prit des précautions, cacha ses mystères. On la surprenait la nuit, on assiégeait, on dispersait ses assemblées, on faisait main basse sur ceux qui se laissaient prendre[87]. Le secret cherché dans les ombres de la nuit avivait les rumeurs, et nulle cachette n’était si sûre que l’œil d’un traître ou d’un curieux mal intentionné n’y pût pénétrer[88]. Il arrivait aussi, ce qui se comprend aisément dans une société dont tous les membres ne sont pas des héros, que beaucoup de chrétiens faiblissaient devant le tribunal et, dés le début de la question à laquelle on les soumettait, juraient par le génie de l’empereur et sacrifiaient : il s’en trouvait parmi ceux-ci qui, devenus libres et rougissant d’eux-mêmes, se voyant montrés du doigt par les païens qui leur reprochaient de n’avoir pas eu le courage de leurs idées, et rejetés des frères, revenaient s’offrir d’eux-mêmes aux juges et rachetaient leur honneur et leur conscience au prix de leur vie. D’autres devant le proconsul usaient de subterfuges et de restrictions mentales, juraient par le génie du seigneur, en sous-entendant en eux-mêmes le seigneur Dieu, seigneur des seigneurs. Coup sur coup, de 198 a 199, Tertullien répondait à la persécution en écrivant son Apologétique, son Traité des spectacles et son Livre de l’idolâtrie, protestant dans le premier de ces trois ouvrages contre les procédures iniques et revendiquant hautement les droits de la conscience, attaquant dans les autres les mœurs, les coutumes et les institutions religieuses des païens, rétorquant et retournant vivement contre ses adversaires tous les griefs et toutes les accusations dont on accablait ses amis. Le proconsul Publius Vigellius Saturninus n’était pas pourtant tin méchant homme. Il gémissait sans doute de se voir enlacé dans ces causes inextricables que les haines publiques et les nécessités de sa charge lui imposaient, et dans lesquelles les accusés se chargeaient eux-mêmes, semblaient prendre plaisir à se perdre et à ôter à leurs juges tout moyen de les sauver. Cet embarras est manifeste dans la seule affaire sur laquelle nous ayons des détails et où il figure en qualité de juge. Nous voulons parler du procès des martyrs scillitains, où douze fidèles, huit hommes et quatre femmes, plusieurs évidemment de sang et de nom punique, étaient impliqués[89]. Saturninus n’entame pas l’interrogatoire d’un ton rogue et menaçant. Ses premières paroles sont pleines de douceur : Vous pouvez être assurés, leur dit-il, de trouver grâce auprès de nos seigneurs Sévère et Antonin si vous revenez à de meilleurs sentiments. Et Spératus, au nom de ses compagnons et au sien, protestant qu’ils n’ont rien fait de anal et obéissent aux lois et adorent seulement Dieu dans la simplicité de leur cœur, le proconsul répond : El nous également nous sommes religieux, et notre religion est pleine de douceur, et nous jurons par le génie de notre seigneur l’empereur et nous prions pour sa conservation, ce que vous devez faire, vous aussi. Et Spératus à propos de, la foi chrétienne ayant prononcé le mot de mystère et proposant de s’en expliquer, si le juge veut l’entendre : Je t’entendrai volontiers là-dessus, dit Saturninus, sans que tu aies rien à craindre, mais jure seulement par le génie du prince. Ne dirait-on pas que le proconsul ouvre ici aux accusés une porte de salut, et que, sans s’inquiéter beaucoup du fond des choses, il leur demande seulement de céder sur une formalité d’étiquette. Mais l’autre répondant toujours qu’ils n’ont fait aucun mal, commis aucun délit, qu’ils paient exactement les impôts, mais ne veulent adorer que leur Dieu, le roi des rois, le proconsul à qui la patience échappe s’écrie : Au surplus, c’en est assez de votre bavardage, approchez et sacrifiez aux dieux. Spératus refuse. Saturninus s’adresse aux autres, les prie de ne pas s’associer à la folie de celui-ci, mais de craindre le prince et de se montrer dociles à ses ordres. Et Cittin avant répondu pour tous : Nous ne savons craindre personne autre que Dieu notre seigneur qui est dans le ciel, le proconsul lève la séance et les fait reconduire en prison. Le lendemain il s’adresse aux femmes, et, les trouvant inflexibles, revient encore aux hommes. Ceux-ci s’animent d’autant plus que le juge est plus conciliant ; ils crient à pleine voix qu’ils sont chrétiens, comme s’ils craignaient sa bienveillance et voulaient par le scandale en empêcher les effets : Vous ne voulez donc, leur dit le juge, ni grâce ni délai ? Et il leur offre de les ajourner à quelques jours[90]. Ils répondent que pour eux tout est vu et décidé, mais que ce temps leur suffirait pour l’arracher au culte honteux des idoles, l’initier à la foi et la lui faire aimer, s’il en était digne. Poussé à bout, le proconsul prononce la sentence capitale. En vérité, on demande de quel côté est la douceur, de quel côté la patience et la longanimité, et de quel côté aussi l’insolence et la bravade ? Cette affaire des martyrs scillitains jugés et exécutés à Carthage est de l’an 200 et, suivant les Actes, du 16 juillet. Après de pareilles exécutions, le pouvoir, comme s’il avait payé sa dette aux clameurs populaires, fermait les yeux ; les haines publiques rassasiées s’apaisaient. Les chrétiens, décimés mais non entamés dans leur foi, rejoignaient leurs rangs dispersés, reprenaient leurs réunions et leurs habitudes. La paix renaissait dans les cités, une sorte de tolérance tacite s’établissait, non sans de sourds grondements parmi les païens les plus fanatiques, rêvant une extermination générale, et parmi les plus fougueux de la secte, brûlés du désir de la vie éternelle que le martyre assurait à leurs yeux. Cette tolérance du reste était à la merci du moindre éclat de zèle. Vers 201 ou 202 un scandale se produisit, également blâmé sans doute par les païens et par la majorité des chrétiens. Voici comme Tertullien le raconte : L’histoire, dit-il, est d’hier. Par ordre des très puissants empereurs, on faisait largesse aux troupes. Les soldats, couronnés de laurier, venaient à tour de rôle recevoir le donativum. L’un d’eux, plus soldat de Dieu et plus ferme que les autres frères qui s’étaient flattés de pouvoir servir deux maîtres, seul, tête nue, son inutile couronne à la main, montrant par son attitude qu’il était chrétien, se faisait remarquer entre tous. Chacun le désigne du doigt : de loin on le raille, on gronde autour de lui. Les murmures arrivent au tribun, et l’homme hors des rangs se présentait. Aussitôt le tribun : Pourquoi es-tu si différent des autres ? Il répondit qu’il ne lui était pas permis de faire comme eux. — Et la raison ? — Je suis chrétien, dit-il. Ô soldat glorieux dans le Seigneur ! on tient conseil. L’affaire est remise à plus ample informé et le soldat traduit devant les préfets. A l’heure même il dépouille son lourd manteau, prêt à recevoir un joug plus léger, dénoue et laisse sa chaussure incommode pour marcher librement enfin sur la terre sainte, rend son épée qui n’avait pas été jugée nécessaire à la défense du Seigneur, laisse tomber la couronne de sa main ; et maintenant, vêtu de la pourpre du martyre qu’il espère, chaussé du brodequin de l’évangile, armé du glaive mieux trempé de la parole de Dieu, ceint tout entier de l’armure de l’apôtre et couronné en espérance de la blanche couronne des martyrs, il attend dans la prison le donativum du Christ. Cependant sur son compte courent divers jugements, — de chrétiens, — je ne sais ; les païens n’en disent pas plus. C’est le fait, dit-on, d’un étourdi, d’un cerveau brûlé, d’un homme avide de mourir. Interrogé sur sa tenue, il compromet la société chrétienne tout entière, comme s’il n’y avait que lui qui eût du cœur et que parmi tant de frères qui servent comme lui il fût seul chrétien... Ils grognent enfin de ce qu’on vient sans raison mettre en péril cette bonne et longue paix. Plusieurs sans doute songent déjà à se mettre à l’abri du martyre, font leurs paquets et s’apprêtent à fuir de ville en ville. Car ils n’ont retenu que ce texte de l’Écriture : Je connais leurs pasteurs, lions en paix et cerfs en guerre[91]. Il n’est guère dans Tertullien de plus curieux morceau. Il est écrit à Carthage, et il est présumable que le fait qu’il relate s’est passé en Afrique. Les largesses n’étaient pas faites seulement aux armées en campagne. Tous les soldats y participaient. Les détails dans lesquels Tertullien est entré semblent viser un fait qui vient de se passer prés de lui et à sa portée, en Numidie peut-être, où campait la troisième légion Augusta, peut-être dans le détachement de service à Carthage. De même le mouvement d’opinions qu’il relève, les dires des chrétiens qu’il recueille, paraissent devoir se rapporter à un fait local. Au reste, dans le récit, nul indice de temps ni de lieu. Il n’y a qu’un embarras : l’expression de longue paix employée par les chrétiens qui blâment l’excès de zèle du soldat convient mal à la courte trêve qui suivit, comme nous l’imaginons, les exécutions ordonnées par Vigellius Saturninus. Mais après une crise, une tranquillité d’un an ou deux peut bien à la rigueur s’appeler une longue paix. L’acte du soldat pris en lui-même était un acte d’indiscipline flagrante et comme un défi. Les chrétiens raisonnables le taxaient eux-mêmes d’absurde témérité. Nous noterons que l’autorité militaire, habituellement sommaire en ses procédures, ne sévit pas sur l’heure. Nous remarquerons aussi que le parti des exagérés et des puritains parmi les chrétiens approuvait le légionnaire. Tertullien, qui récemment dans son traité de l’Idolâtrie n’avait pas craint de déconseiller à ses amis de participer aux travaux et aux charges de la vie civile, ne se cachait nullement pour applaudir ce qui lui semblait l’héroïsme du soldat et de le proposer en exemple à tous les chrétiens. Il déclarait que le service militaire était incompatible avec la vie chrétienne, comme il avait déclaré que les devoirs du citoyen ne convenaient pas à la profession chrétienne. Il n’avait pas, il est vrai, mandat de l’église pour parler de la sorte. Mais il est certain que l’opinion qu’il exprimait spontanément et qu’il défendait avec énergie était l’opinion d’un groupe de chrétiens, de ceux qui prétendaient tenir la tête du mouvement ; et il n’est pas moins certain que cette opinion était subversive de tout ordre social. Par ces enseignements, que les païens pouvaient croire émanés non d’une minorité d’opposition et d’un parti d’intransigeants, mais de toute la secte, en dépit de protestations timides ou non avenues, le christianisme à son tour déclarait la guerre à la société et rompait avec elle : religion, devoirs civils, obligations militaires, il répudiait tout en face et directement. Que devaient penser de pareilles idées, nous ne dirons pas l’autorité civile et militaire, mais les plus sages et les plus tolérants des païens ? N’avaient-ils pas le droit de déclarer à leur tour que les chrétiens, bien qu’ils s’en défendissent devant les tribunaux, étaient en effet des hommes dangereux, des fauteurs de sédition et des ennemis publics ? Les fous, disaient-ils, on peut les plaindre, les prendre en pitié, les éclairer et peut-être les guérir. Mais des forcenés qui prêchent la désobéissance aux lois, l’indiscipline, le mépris de la cité et des devoirs civiques, opposent on ne sait quel drapeau à l’étendard de Rome, il faut en finir avec eux et les étouffer par tous les moyens. La persécution recommença donc avec plus de violence. Minicius Timinianus avait succédé à Vigellius Saturninus en qualité de proconsul, 201-202. Il mourut pendant sa magistrature, et le procurateur Flavianus Elilarianus le remplaça dans ses fonctions. La persécution continua sous ses successeurs Apuleius Rufinus, 203-204, Marcus Valerius Bradua Mauricus, 204-205, et Caïus Julius Asper, 205-206[92]. Le gouvernement d’Hilarianus fut signalé par des émeutes populaires contre les chrétiens. L’église d’Afrique, comme celle de Rome, avait ses quartiers de sépulture qu’elle possédait à titre de société, et dont la loi assurait l’inviolabilité, non comme propriété chrétienne sans doute, mais à titre de lieu de sépulture. La populace de Carthage s’éleva contre ce partage des prérogatives communes. La haine publique demandait que les chrétiens fussent hors la loi, morts ou vivants. On cria : Pas de lieu de sépulture pour les chrétiens : Areæ non sint christianorum ![93] C’eût été merveille que ces furieux appels aux rigueurs légales ne fussent pas accompagnés d’insultes et de violences contre les propriétés et contre les personnes. Tertullien dans son Apologétique parle de tombes chrétiennes indignement violées, et de pierres lancées aux fidèles[94]. On peut croire que la foule n’épargna pas plus les unes que les autres dans la période dont nous parlons. La licence pouvait se donner pleine carrière. Les outragés ne réclamaient pas, crainte de pis, et l’autorité ne songeait pas à les couvrir. Elle ne garda pas même la neutralité. Un édit de Sévère, promulgué en Palestine, venait d’intervenir, qui interdisait la propagande chrétienne. Si équivoque que fût cette ordonnance prise à la lettre, elle était une indication des sentiments du prince. Il ne voulait pas que la semence chrétienne s’étendit et fructifiât. Le meilleur moyen de couper court aux progrès inquiétants du christianisme et à l’extension de la secte, n’était-ce pas de supprimer les convertisseurs, et pour que l’arbre n’eût pas de rejetons et de pousses nouvelles, de brûler ou d’amputer ses racines ? Il voulait que le christianisme s’éteignit. On servait donc son intention et son dessein final en frappant les chrétiens[95]. La police fut lancée et dut aider les dénonciateurs volontaires et, les accusateurs officieux. Nous n’avons, il est vrai, ni dans les Actes qui se rapportent aux martyrs de ce temps, ni dans aucune dos œuvres de Tertullien, la moindre mention de l’édit de Sévère, mais le traité de la fuite dans la persécution et le Scorpiaque, écrits l’un et l’autre entre 202 et 205, nous paraissent attester et manifester une aggravation dans la situation légale des chrétiens. Ils étaient suspects, ils sont proscrits : on attendait des accusateurs pour les punir ; on les recherche, et on les poursuit. En dépit de mauvaises rumeurs et parfois d’avanies, ils allaient et venaient mêlés à la population et se réunissaient entre eux avec une suffisante liberté : maintenant ils se cachent, se voient et s’assemblent de nuit, ou suspendent leurs réunions et s’enfuient. Tertullien, qui s’enfonçait chaque jour davantage dans les exagérations montanistes, reproche aux chrétiens de n’avoir gardé mémoire que du passage de l’évangile qui semble autoriser la fuite[96]. C’est alors aussi que s’établit la pratique dont nous avons parlé déjà : le rachat de l’arrestation. On se sauve à prix d’argent. Les chrétiens riches payent pour eux et pour leurs amis : des groupes se cotisent, les évêques mêmes s’entremettent auprès des soldats ou des agents de la police romaine. Ce ne sont pas encore les libellatici[97]. Ces affaires se traitent clandestinement. Les agents supérieurs les ignorent ou ferment les yeux sur un trafic qui leur allège une odieuse besogne. Ce sont les frumentaires, ou les soldats, ou les dénonciateurs officieux, les limiers de la haute et basse police, dont on soudoie la bonne volonté et dont on achète le silence par des sommes données de la main à la main et sans doute renouvelées et constituant une sorte de loyer convenu. En ce temps cependant (202-206), plusieurs chrétiens furent livrés aux tribunaux, soit par suite de la mauvaise foi d’agents deux fois traîtres, soit par l’impossibilité où ils étaient de satisfaire la rapacité des persécuteurs, soit par l’effet d’inimitiés privées que l’argent ne pouvait étouffer, soit encore et plutôt parce qu’ils se refusaient à de pareils marchés et aimaient mieux payer de leur sang. On peut signaler, avec Rutilius que nous avons, mentionné déjà et que Tertullien appelle très saint martyr[98], Castus et Æmilius, qui, après avoir renié leur foi, rentrés en eux-mêmes, s’offrirent de nouveau aux juges et l’attestèrent dans les supplices[99] ; Celerina, Laurentius et Ignatius, la première aïeule, les deux autres oncles d’un Celerinus ordonné prêtre et lecteur par saint Cyprien, au milieu du troisième siècle[100]. C’est par simple conjecture que nous plaçons ces trois derniers martyres dans la période qui s’étend de 202 à 205 ou 206. Saint Cyprien en parle comme d’anciens martyres[101] ; et puisqu’en remontant dans le passé à partir du temps de saint Cyprien, nous ne trouvons en Afrique de persécution notable que sous Septime Sévère, qu’il n’y en a point eu dans ce pays avant son règne, et que, d’autre part, la persécution de Maximin est trop insignifiante et surtout trop voisine du temps de Cyprien pour que les termes dont il se sert puissent s’y rapporter, il suit que les personnages qu’il mentionne ont souffert sous Sévère. Mais à quelle date précise ? nous ne le savons pas certainement. Nous supposons qu’ils ont été exécutés entre 202 et 206, parce que à partir de 202 la persécution fut plus violente, et prit si l’on peut dire alors un caractère officiel. Mais il est possible que ces martyres appartiennent à la fin du règne et aient eu lieu sous le proconsulat de Scapula Tertullus. Les deux faits les plus mémorables de la période qui nous occupe sont le martyre du groupe de fidèles dont Félicité et Perpétue faisaient partie, lequel eut lieu en 202 sous le gouvernement intérimaire du procurateur Flavianus Hilarianus, et l’exécution d’une vierge chrétienne nommée Guddene, l’année suivante 203, sous le proconsulat d’Apuleius Rufinus. De ce dernier événement nous savons peu de chose. Les Actes de sainte Guddene ont péri, s’ils furent écrits. Son nom parait révéler une origine punique et fait penser à cette Namgedde dont M. Léon Renier a si heureusement expliqué l’inscription[102], pieuse et tendre mère qui avait suivi jusque sur les côtes de l’Armorique son fils Caïus Flavius Januarius, officier de la flotte de Bretagne, et y mourut si loin de son beau ciel d’Afrique[103]. Cette Guddene était vraisemblablement de condition servile. Il est difficile en effet de supposer que le proconsul eût agi avec un pareil sans-gêne de barbarie envers une personne de naissance et de condition libre. Ou nous dit en effet qu’elle fut à quatre reprises étendue et tirée sur le chevalet, et horriblement déchirée par les ongles de fer avant d’être décapitée[104]. Nous avons plus de détails sur le martyre de Félicité, de Perpétue et de leurs compagnons. On trouve ces détails dans un très antique récit que Perpétue et Sature, deux des plus illustres victimes, auraient écrit eux-mêmes. L’exécution eut lieu à Carthage pendant les jeux célébrés pour fêter l’anniversaire de la nomination de Geta, second fils de Sévère, à la dignité de César[105]. On avait arrêté plusieurs catéchumènes, Révocatus esclave, Saturninus et Secundulus, Felicitas, jeune esclave alors grosse de huit mois, et avec eux une jeune femme de naissance libre et de bonne famille, Vibia Perpetua, libéralement mariée et avant un enfant qu’elle nourrissait encore. Ils avaient été saisis ensemble d’un seul coup de filet. Saturus, autre néophyte, absent lors de l’arrestation, voulut s’associer à leur sort et se livra lui-même, lorsqu’il apprit que ses amis étaient dans les mains de la justice. La capture de Vibia Perpétue, trouvée dans ce milieu de petites gens, cache-t-elle un drame de famille ? On peut le supposer. Dans les Actes il n’est pas soufflé mot de son mari, ce qui permet de croire qu’il était païen. Le père de Perpetua l’était évidemment. Pour sa mère et ses frères, la chose est incertaine[106]. Or la foi chrétienne clandestinement entrée au foyer domestique, quand le père ou le mari ne la partageait pas, était une source de querelles, de divisions et de déchirements qu’on devine aisément. La femme chrétienne unie à un mari demeuré païen avait quantité de secrets qui devaient exciter les soupçons et la colère de son mari. Nous ne parlons pas seulement des secrets du for intérieur, mais des pratiques personnelles. Elle se levait la nuit pendant le sommeil de son mari, elle avait des sorties avant le jour, dont il lui fallait cacher les vraies et innocentes raisons ; elle avait des accointances qu’il lui fallait dissimuler avec des inconnus, et, selon son mari, avec des gens sans aveu, avec ceux mêmes, s’il savait quelque chose, qui lui avaient ravi le cœur de sa femme et continuaient à égarer sa raison, à troubler son esprit, à l’écarter de ses devoirs quotidiens d’épouse, de mère et de maîtresse de maison. On comprend les jalousies et les défiances chez ceux qui ne savaient rien ; les mouvements de rage chez ceux qui soupçonnaient la vérité, l’enfer domestique qui devait résulter d’un pareil ménage, où l’âme de l’épouse faisait tant de réserves et était si souvent loin du foyer[107]. Vibia Perpétue était hors du domicile conjugal, en conversation avec ses amis secrets, lorsqu’elle fut prise avec eux. S’il répugne de croire que son mari l’eût dénoncée, peut-être avait-il dénoncé ceux qu’elle fréquentait. Peut-être voulait-il la sauver de leur contagion funeste ? Par hasard, quand on les arrêta au lieu indiqué, elle se trouvait avec eux et fut emmenée. Ce qui est plus certain, c’est que Vibia Perpétue et ses amis appartenaient au parti des chrétiens exaltés et inhabiles aux transactions, qui faisaient peu de cas de toutes les attaches terrestres, et, dès ici-bas, professaient qu’il faut apprendre à les briser ; qui considéraient la fuite comme une apostasie, et toutes les précautions comme des lâchetés, et loin de craindre de mourir pour leurs croyances, le désiraient ardemment. Si c’est une preuve de montanisme de blâmer ceux qui se cachent ou s’enfuient pendant la persécution, que dire de Saturus qui se dénonce et se livre lui-même[108] ? Enfin l’atmosphère de visions où Perpétue se meut, sa naïve prétention de converser familièrement avec Dieu, et la croyance où l’on est dans son entourage qu’elle communique directement avec lui[109], l’état extatique qui est à tel point son état naturel et, celui de Félicité, qu’il dure jusque dans l’arène[110], tout cela permet d’affirmer que le groupe de catéchumènes dont nous parlons avait embrassé pleinement les idées des montanisants. Les Actes de Perpétue et de Félicité sont plus intéressants peut-être pour le psychologue que pour l’historien. Celui-ci cependant peut y relever plus d’un trait digne d’être relevé et retenu, d’un caractère général ou local. Nous noterons l’entassement des chrétiens arrêtés dans une prison sans air ni lumière[111], l’intervention spontanée et sans risque des diacres, obtenant à prix d’argent des gardiens, pour leurs frères captifs, la permission de respirer quelques heures par jour dans une enceinte plus vaste et plus saine, dans l’intérieur de la prison[112]. Nous noterons encore, à titre de détail anecdotique et typique à la fois, les diverses entrevues du père païen et de la fille chrétienne. Des opinions religieuses du père, il n’y a pas trace. L’auteur des Actes n’a mis en jeu que la tendresse paternelle et les sentiments d’honneur mondain et de dignité civile d’un Romain bien posé redoutant la flétrissure qu’une condamnation judiciaire va imprimer à son nom et à sa famille[113]. Il ne se déchaîne pas contre les idées nouvelles dont sa fille s’est engouée. Il est de ceux qui craignent l’opinion et suivent docilement la loi. Il va donc trouver sa fille qui vient d’être arrêtée, et
la trouvant obstinée, et jusqu’au manque de respect, si l’on ose dire, il la
maltraite d’abord ; puis discute avec elle sans rien gagner. Il revient
quelques jours plus tard dans la prison, l’âme navrée, essaie de la fléchir,
fait appel à sa tendresse : Aie pitié de mes cheveux
blancs, dit-il, aie pitié de ton père. S’il est vrai que de ces mains que tu
vois, je t’ai élevée jusqu’à cette fleur de ton âge, si je t’ai préférée à
tous mes autres enfants, ne me livre pas à la honte et à l’opprobre. Songe à tes
frères, à ta mère, à la mère de ton mari, songe à ton fils qui ne pourra pas
vivre si tu n’es plus là, adoucis tes fiers sentiments, ne nous perds pas
tous avec toi. Qui de nous osera se montrer et ouvrir la bouche, après que le
bourreau t’aura touchée ? En parlant
ainsi, dans l’effusion de sa pieuse tendresse, il me baisait les mains, se
roulait à mes pieds, et tout en larmes, il m’appelait, non ma fille,
mais madame. Et moi j’étais pénétrée de douleur à la vue de ses
cheveux blancs, et j’essayais de relever son cœur en disant : Il arrivera
devant le tribunal ce que Dieu aura voulu. Sache bien en effet que nous ne
dépendons pas de nous, mais de lui seul[114]. Le père fait un suprême effort au moment de l’interrogatoire. Cet interrogatoire est sommaire à l’excès. Nous étions en train de manger, dit l’auteur des Actes, lorsqu’on vint nous prendre pour nous mener à l’audience. Et la nouvelle s’étant répandue que nous allions comparaître, un peuple immense accourut autour du tribunal. Nous montâmes sur l’estrade. Interrogés, tous les autres avouèrent. Mon tour arriva, et tout à coup mon père apparut avec mon enfant. Il me tira à part, et d’un accent suppliant : Aie pitié de ton enfant, me dit-il. Et Hilarianus, qui alors, à la place du proconsul Minicius Timinianus mort en charge, avait reçu le droit du glaive : Épargne, dit-il, la vieillesse de ton père, épargne l’enfance de ton fils, sacrifie pour le salut des empereurs. — Et moi je répondis : Non je ne sacrifie pas. — Et Hilarianus : Tu es donc chrétienne ? dit-il. — Et je répondis : Oui, je suis chrétienne. Et comme mon père était là debout près de moi, tâchant encore de vaincre ma résolution, Hilarianus ordonna de l’écarter, et on le frappa d’une verge. Et je sentis le coup qu’il reçut comme si je l’avais reçu moi-même ; et je plaignais sa malheureuse vieillesse. Alors le juge prononce sur nous tous en une seule sentence et nous condamne aux bêtes. Et pleins d’allégresse nous redescendîmes à la prison[115]. Il est encore question deux fois du père de Perpétue. Celle-ci, après l’arrêt prononcé, ramenée à la prison, se souvient qu’elle est mère et nourrice, et fait redemander son enfant par le diacre Pomponius. On imagine que ce dernier fut mal accueilli. L’auteur des Actes, Perpétue elle-même dit-on, écrit ici : Mon père ne consentit pas à me rendre mon enfant et Dieu, par bonheur, voulut qu’il ne demandât pas le sein et que je ne fusse pas incommodée de mon lait. Ainsi j’eus l’esprit libre de ce côté et je ne souffris pas[116]. Cependant les condamnés ont été transférés dans la prison militaire près de l’amphithéâtre où ils devaient combattre, et rigoureusement attachés. On avait fait croire au tribun préposé à la prison qu’ils pourraient bien être délivrés par le moyen de la magie dans laquelle, disait-on, les chrétiens étaient passés maîtres[117]. Cependant, sur les fières réclamations de Perpétue, le tribun les traits plus humainement, et accorde libre accès auprès d’eux aux parents et aux frères qui viennent les voir, leur porter de la nourriture, et échanger avec eux des paroles d’espérance et de consolation. En même temps, le geôlier Pudens, que la grâce avait touché, leur rendait toute sorte de bons offices. C’est là, peu de jours avant le tragique dénouement, que le père de Perpétue fait à sa fille la suprême visite. Comme approchait le jour des spectacles ; voici que je vois mon père venir à moi dans la prison. Il était profondément accablé. Je le vis alors s’arracher la barbe, se jeter contre terre, la face sur le sol ; il maudissait sa vie qui avait trop duré et disait mille choses capables de remuer jusqu’aux entrailles toute créature humaine. Et j’étais bien émue de douleur et de pitié pour sa vieillesse infortunée[118]. Parmi les visions qui remplissent les Actes, et dont la plupart roulent sur les images de la béatitude céleste qui ravissent ces âmes exaltées, celle de Saturus fait allusion aux divisions des fidèles et aux disputes qui déchiraient alors l’église d’Afrique. Saturus et ses compagnons, après leur passion, se sont vu transporter dans un jardin de délices et revêtir de blanches robes par des anges. Ils trouvent à la porte, des deux côtés, l’évêque Optatus et le prêtre docteur Aspasius, le visage triste, et séparés l’un de l’autre, qui se jettent à leurs pieds dès qu’ils les aperçoivent, et les supplient de mettre entre eux la paix. Les bienheureux s’entretenaient avec eux lorsque des anges s’approchent et les rudoient : Laissez ces saints se réjouir librement, leur disent-ils ; si vous avez ensemble quelque différend, tâchez de vous céder l’un à l’autre. Et ils dirent à Optat : Corrige les fidèles dont tu as la garde, car ils sont toujours avec toi comme s’ils sortaient du cirque et se querellaient pour les factions auxquelles ils se sont donnés. Et il nous parut que les anges voulaient leur fermer la porte du divin séjour[119]. Au repas qui eut lieu le soir du jour qui précédait les jeux, repas servi d’habitude aux condamnés, une foule curieuse se pressait autour des confesseurs, foule sympathique et que la fureur devait animer le lendemain. Les martyrs la gourmandent et la menacent des vengeances divines. Il importe de recueillir quelques traits qui suivent. Les confesseurs extraits de la prison sont conduits à l’amphithéâtre. Là on veut les forcer à changer de vêtement pour revêtir, les hommes l’habit des prêtres de Saturne, les femmes le costume des prêtresses de Cérès ; ils s’y refusent vivement. Ils disaient en effet : Nous sommes venus de nous-mêmes ici justement pour que notre liberté ne fût pas violée. Si nous avons sacrifié nos vies, c’est pour n’avoir rien de pareil à souffrir. Nous sommes convenus de tout cela avec vous[120]. L’injustice reconnut le bon droit et le tribun consentit à ce qu’ils parussent dans l’arène simplement tels qu’ils étaient. De ce texte il parait résulter que les fidèles dont nous parlons s’étaient livrés eux-mêmes. Or ceci est en contradiction avec ce qui est dit plus haut dans les mêmes Actes, qu’ils avaient été arrêtés et que Saturus, par amour pour ses amis, s’était offert. Il semble du reste extraordinaire que des hommes traités en ennemis publics et plus cruellement suppliciés que les criminels mêmes de lèse-majesté[121] aient pu faire ainsi leurs conditions à leurs juges, soit qu’ils eussent été arrêtés et déférés aux tribunaux par d’autres, soit qu’ils se fussent présentés volontairement. Cependant ils entrent dans l’arène. Perpétue chantait. Revocatus, Saturninus et Saturus menaçaient le peuple du geste et de la voix. Secundulus était mort dans la prison. En défilant devant la loge d’Hilarianus, ils lui crièrent : Tu nous juges ici-bas, mais Dieu aussi te jugera. Et le peuple, irrité de cette insolence, demanda qu’on les fît passer par les fouets, ce qui fut fait, ce semble[122]. Les bêtes furent lâchées ensuite : Saturninus et Revocatus furent déchirés par un léopard et un ours, Saturus ne fut déchiré qu’à la seconde reprise, et la foule le voyant tout couvert de sang s’écria par deux fois : Bonne baignade ![123] Perpétue et Félicité furent exposées aux atteintes d’une vache furieuse. Les martyrs n’étaient que blessés, l’épée des gladiateurs les acheva sur la demande du peuple. Trois ou quatre ans après, la persécution s’était lassée et paraissait éteinte en Afrique. Sous main, peut-être, la police reçut l’ordre de modérer son zèle et de cesser les poursuites. Les procès criminels faits aux chrétiens devinrent rares et les interrogatoires ne furent plus poussés jusqu’à la dernière rigueur. Julius Asper, proconsul en 205 ou 206, jugeant un chrétien, ne voulut pas le contraindre à sacrifier, et, dans son entourage officiel, ne cacha pas son ennui d’avoir à prononcer en pareilles affaires[124]. Au temps où Tertullien écrivit l’agréable et un peu long badinage intitulé De pallio, c’est-à-dire à la fin de l’année 208, l’église était tranquille. L’orateur impatient de repos tournait sa verve vers les ennemis intérieurs et s’amusait à réfuter Marcion, qui, mort depuis longtemps, ne pouvait répliquer. En face des païens il avait désarmé. Il célébrait la paix qui règne partout et la prospérité de l’empire sous le sceptre uni et aimé de Dieu des trois Augustes, libres de toute guerre et débarrassés des intrigues d’amis équivoques[125]. Cet état dura jusqu’à la fin du règne. On ne sait pour quel motif la trêve tacite fut rompue la dernière année de Sévère. En fait, en 211, la guerre recommença contre les chrétiens dans les provinces d’Afrique. Les poursuites suspendues reprirent et en même temps les actes de délation et d’exaction[126]. Les vieilles accusations se réveillèrent : le sacrilège, c’est-à-dire l’impiété effective et militante allant jusqu’à la profanation et au pillage des objets sacrés[127] ; le crime de lèse-majesté, c’est-à-dire le refus obstiné de s’associer aux prières et aux sacrifices offerts pour la santé et la conservation des empereurs ; le crime de faction, de commun mauvais vouloir et d’hostilité envers l’état[128]. En Numidie et en Mauritanie, on se contenta de punir les chrétiens par le glaive[129]. Dans la province proconsulaire que gouvernait alors Scapula Tertullus, la mort simple ne suffit pas ; les chrétiens furent torturés, jetés aux bêtes et brûlés vifs[130]. L’ardeur de la foi fut égale aux violences. On vit encore des fidèles se présenter d’eux-mêmes aux bourreaux pour soutenir le saint combat et accueillir avec plus de joie leur condamnation que leur mise en liberté[131]. Tertullien ne manqua pas à la défense des chrétiens persécutés. La lettre qu’il adressa en 211 à Scapula est remarquable. On y trouve au commencement une ferme revendication des droits de la conscience et la proclamation des éternels principes en cette matière[132]. L’auteur, en son écrit, garde constamment le ton d’un homme qui ne doute ni des droits de ceux qu’il défend ni du triomphe définitif de sa cause. Ce n’est pas la pitié qu’il demande, mais la justice. On dirait qu’il supplie, non pour les opprimés, qui ne souhaitent que la mort et la reçoivent avec allégresse, mais pour les cités sur lesquelles Dieu vengera ses fidèles[133]. Sa colère déjà s’est manifestée par des phénomènes qui ont effrayé Carthage et Utique. Scapula lui-même n’a-t-il pas payé sa cruauté ? Après le supplice de Mavilus d’Adrumète, livré aux bêtes, il a été atteint de souffrances qui sont un premier avertissement d’en haut. A la fin, Tertullien usait d’un argument plus à la portée d’un homme politique et d’un homme d’état : les chrétiens sont beaucoup plus nombreux qu’il ne pense. Il ne s’agit pas de quelques enfants perdus de la cité, ils sont partout, dans toutes les classes et à tous les degrés de l’échelle sociale. Veut-il mettre Carthage à feu et à sang, décimer la curie, jeter le deuil dans toutes les familles, répandre le sang de ses amis et de, ses proches[134] ? La persécution de l’an 211, qui suscita la lettre à Scapula, fut sans doute très violente et très courte. A l’exception de Mavilus d’Adrumète, nous ne connaissons par son nom aucun martyr de ce temps. Dans la persécution d’Afrique, comme dans les autres, il faut réserver une page aux martyrs inconnus[135]. Nous avons présenté le tableau des premières épreuves que subirent les chrétiens de l’Afrique romaine à la fin du IIe siècle et au commencement du IIIe, en essayant d’en déterminer la suite et l’ordre chronologique ; les affirmations tranchantes et absolues sur ce dernier point seraient téméraires et hasardées. Il n’est permis d’arriver qu’à une approximation plus ou moins probable et fondée. Nous avons cependant quelques points de repère. Tout d’abord, il est incontestable que les faits de persécutions racontés dans ce chapitre appartiennent au temps de Septime Sévère, car ils sont les actes de proconsuls que nous savons certainement avoir gouverné la province sous le règne de ce prince, et c’est dans des traités de Tertullien, qui ont vu le jour entre 197 et 211, qu’on en peut presque uniquement puiser le détail. Ces traités, depuis l’exhortation aux Martyrs jusqu’à la lettre à Scapula, bien qu’assez pauvres en noms propres et en indications capables de nous renseigner sur les temps, les lieux et les personnes, sont des documents historiques de premier ordre ; ils ont été écrits sous la pression des faits contemporains, dans le feu de la lutte, et respirent, si l’on peut dire, l’actualité. C’est la persécution qui les a suscités, c’est la persécution qui les explique. Ils n’ont pas de sens si on la nie, et, pour la nier, il faut les effacer, ce qui n’est pas possible. Donc, s’il y a lieu de contredire la tradition au sujet de la persécution chrétienne en Italie ou en Gaule, on est forcé de l’admettre dans l’Afrique romaine. Or il nous a paru que la comparaison des textes de Tertullien avec les autres monuments littéraires ou épigraphiques pouvait nous permettre d’introduire quelque ordre dans la confusion des faits et de les étager, si nous pouvons parler ainsi, dans les quatorze ans qui les enferment. La persécution, pendant cet intervalle de temps, ne fut pas universelle, car nombre de chrétiens connus pour tels y échappèrent. Elle n’eut pas constamment le même degré de rigueur : nombre de faits en témoignent ; enfin elle ne fut pas continue, mais intermittente, coupée d’années de paix ou de trêve. Il n’y a pas de terreur qui ait duré ni qui puisse durer quatorze ans. Les situations violentes dans l’histoire sont courtes, et d’autant plus courtes qu’elles sont plus violentes. La fureur des oppresseurs ou la patience des opprimés s’use et se lasse forcément avec le temps. Et si l’on dit qu’il ne s’agit pas ici de fureur, mais de politique, celle-ci change nécessairement avec ceux qui l’appliquent. Or dans les provinces proconsulaires les gouverneurs se succédaient d’ordinaire tous les ans. Tous n’avaient pas même caractère et mêmes visées. Le nouveau venu n’était pas obligé d’épouser les antipathies ou les maximes de gouvernement de son prédécesseur. Beaucoup préféraient sans doute le maintien de la paix et de la tranquillité présente au vague fantôme d’un ordre à venir et douteux à assurer par des mesures qui produisaient un désordre et un trouble réel, certain et présent. Dans l’histoire de la persécution de l’église d’Afrique sous Sévère, nous croyons donc pouvoir distinguer diverses périodes qui sont les trois suivantes : La première s’étend de l’an 197 à l’an 200. Elle comprend les violences populaires, huées, voies de fait, dispersion tumultuaire des assemblées, attaques des maisons et quelques condamnations légales prononcées sur des dénonciations et accusations privées ; faits amplement attestés par l’écrit de Tertullien aux Martyrs, les deux livres aux Nations et l’Apologétique. Sous les coups de la force brutale, la majorité des chrétiens courbe le dos ; les plus avancés et les plus ardents, par la plume de Tertullien, rendent guerre pour guerre et répondent aux violences par de virulents écrits qui ressemblent à des provocations ou à des bravades : le traité des Spectacles et le traité de l’Idolâtrie. Les condamnations capitales ne commencent que sous le proconsulat de Saturninus (198). Dans cette première période se place l’exécution de Namphamo et de ses compagnons et celle des fidèles appelés martyrs scillitains. La seconde période va de 202 à 205 ou 206. Après une trêve de prés de deux ans, la persécution renaît sous le vice-proconsulat de Flavianus Hilarianus et s’aggrave lorsque l’édit promulgué par Sévère en Palestine est officiellement connu en Afrique. Les poursuites d’office commencent. La violence de cette persécution et l’exaltation des chrétiens puritains sont attestées par les traités de Tertullien intitulés De corona militis, De fuga in persecutione et Scorpiace. Beaucoup de chrétiens se cachent, prennent la fuite, ou achètent la liberté de leur conscience. C’est au commencement de cette période que se doit placer l’exécution de Félicité, de Perpétue et de leurs compagnons. Sous le proconsulat de Julius Asper, la persécution languit et s’éteint insensiblement. La troisième période commence et s’achève dans l’année 211. La paix qui durait depuis cinq ans a été rompue sous le proconsulat de Scapula Tertullus. Les chrétiens sont frappés du glaive en Numidie et en Mauritanie et plus cruellement encore dans la province proconsulaire. Cette persécution est attestée par la courte et vive lettre de Tertullien à Scapula. On ne connaît certainement dans cette période que le nom du martyr Mavilus d’Adrumète. Avec la tradition, on pleut croire que l’église retrouva la paix dés 212. Les mauvais règnes et les époques troublées ont été heureux pour le christianisme dans l’empire romain. |
[1] Metaphr. ad 29 jun. Cf. Baronius, Annal. Eccl. ad annum Christ. 44, § 39.
[2] Münter, Primordia Eccl.. Africanæ, ch. 3, p. 6, 7.
[3] Tertullien, de præscript., 36. Id. c. 20. Cyprianus, Epist. 48, Ad Cornelium, éd. Hartet, p. 607. A propos du passage de Tertullien : percurre Ecclesias, etc., Münter écrit : Lubens quidem Basnagio contra Baroniam disputanti dabo ex hisce verhis haud elici posse luculentum Tertulliani testimonium de Romana Ecclesia fonte Ecclesiæ Africanæ, quia verbum contesserare a Tertulliano adhibitum conspirationem tantum doctrinæ et conjunctionem familiariorem indicat, quæ quasi per tesseram, signum hospitale, fiebat : at intimum tamen utriusque Ecclesiæ nexum ista verba déclarant. Neque negabo auctoritatem in antecedentibus, haud ipsam indicare originem, Fred. Münter, Primordia Eccl. Africanæ, p. 10, 11.
[4] V. dans la Revue historique, n° de mai-juin 1878, notre compte-rendu du livre de M. Chamard, intitulé : les Églises du monde romain pendant les trois premiers siècles.
[5] Serius trans Alpes Dei religione suscepta. Sacra hist., II, 46.
[6] Soror sua vix latine loquens ac de illa multum imperator erubesceret. Spartien, Severus, 15.
[7] Loquitur nunquam nisi punice, et si quid adhuc a matre græcissat. Latine enim neque vult, neque potest. Audisti, Maxime, paulo ante, proh nefas ! privignum meum, fratrem Pontiani diserti juvenis, vix singulas syllabas fringultientem, quum ab eo quæreres donasset ne illis mater quæ ego dicebam me adnitente donata. Apulée, Apologie, p. 522. Ed. Lat.-fr. de Betolaud.
[8] S. Cyprien attestait les révélations des enfants extatiques. Dans une de ses lettres il écrit : Præter nocturnas enim visiones per dies quoque impletur apud nos Spiritu sancto puerorum innocens ætas quæ in ecstasi videt oculis, et audit et loquitur ea quibus nos Dominus montre et instruere dignatur. Epist., IX. Cf. Ed. Le Blant, Recherches sur l’accusation de magie dirigée contre les premiers chrétiens. Extrait du XXXII vol. des Mém. de la soc. des Antiq. de France, p. 10 et suiv.
[9] Cf. le commencement de l’Octavius.
[10] Apulée, Apologie, p. 401.
[11] Apulée, Florides, III. Docuit argumento suscepti sacerdotii summum mihi honorem Carthaginis adesse.
[12] Tum spretis atque calcatis divinis numinibus, in vicem certæ religionis, mentita sacrilega præsumptione Dei, quem prædicaret unicum, confictis observationibus vacuis fallens omnes homines... Apulée, Métamorphoses, IX, t. 1, p. 288.
[13] Qui maritum tuum, quem elegeras, quem ut ipse objiciebat, efflictim amabas, capitis accusavit. Apulée, Apologie, p. 526.
[14] Neque facile a vero aberrabimus si christianorum in Africanis provinciis numerum ante Agrippinum ultra centum millia crevisse statuamus. Op. cit., c. 5, p. 24.
[15] Nunc enim pauciores hastes habetis præ multitudine christianorum pæne omnium civitatum. Apologétique, 37.
[16] Partem pæne majorem civitatis cujusque. Ad. Scapul., 2.
[17] Ad Scapul., cap. ult.
[18] Bingham, Origines eccl., III, p. 416.
[19] Pass. SS. Perpetuæ, Felicitatis et socior., 13. Ruinart, Act. sinc. et selecta.
[20] Obsessam vociferantur civitatem ; in agris, in castellis, in insulis Christianos. Apologétique, 1.
[21] In quo prœonsulatu (Africæ) multas seditiones perpessus dicitur, vaticinationibus earum quæ de templo Cælestis emergunt. Jul. Capitol., Pertinax, 4.
[22] Tot hostes quot extranei, et quidem propria ex æmulatione Judæi, ex concussione milites, ex natura ipsi domestici nostri. Quotidie obsidemur, quotidie prodimur ; in ipsis plurimum cœtibus et congregationibus nostris opprimimur. Apologétique, VII. Cf. Ad Nation., I, 7. De die redundamus ; quod plures, hoc pluribus odiosi. Magis incresclit odium increscente materia.
[23] Tertullien, Ad. Nat., 1, 14 : nec adeo nuper quidam perditissimus in ista civitate, etiam suæ religionis desertor, solo detrimento cutis Judæus, astique magis post bestiarum morsus, ut ad quas se locando quotidie toto jam corpore decutiendus incedit, picturam in nos proposait sub ista proscriptione Onocœtes. Is erat auribus canteriorum et in toga, cum libro, altero pede ungulato. Cf. Apologétique, 16.
[24] Plane tertium genus dicimur. Ad. Nat., I, 8, cf. I, 20.
[25] Propter contemptores etiam cultores suos lædunt..... unus atque alius vanissimus ait idcirco vobis quoque irascuntur (dii) quoniam de nostra eradicatione neglegitis. Ad. Nation., I, 9.
[26] Tertullien, Ad Scapul., IV. Cincius Severus qui Thysdri ipse dedit remedium, quo modo responderent christiani, ut dimitti possent.
[27] Cincius Severus dixit : injuste sepultus est. Lampride, Commode, 20.
[28] Vospronius Candidus qui christianum quasi tumultuosum civibus suis satisfacere dimisit. Ad Scapul., IV. Rigault, dans son édition, écrit sur ce passage : Vespronius ille Candidus cives suos christianum quemdam ad mortem deposcentes admonuit se quidem libenter eorum votis satisfacturum sed rem civitati tumultuosam providere. C’est un sens ingénieux. Le sens généralement adopté est différent : Considérant qu’un chrétien qui lui était déféré n’était rien qu’un écervelé et un brouillon, il le renvoya s’entendre avec ses concitoyens. Ainsi Gallion, à l’âge apostolique, avait décidé au sujet de saint Paul.
[29] Inter cæteros legatus est Vespronius Candidus velus consularis olim militibus invisus ob durum et sordidum imperium. Spartien, Julianus.
[30] Vigellius Saturninus qui primus hic gladium in nos egit. Ad. Scap., 3.
[31] Navigamus et nos vobiscum et militamus et rusticamur et mercatus proinde miscemus, artes, opera nostra publicamus usui vestro. Apol., 42.
[32] De Pallio, 11.
[33] Ut Asper qui modice vexatum hominem et statim dejectum, nec sacrificium compatit facere, ante professus inter advocatos et adsessores dolere se incidisse in hanc causam. Ad. Scapul., 4.
[34] Pudens etiam missum ad se christianum in elogio concussione ejus intellecta dimisit, scisso eodera elogio, sine accusatore negans se auditurum hominem secundum mandatum. Ad. Scapul., 4.
[35] Pro Deo vivo cremamur, quod nec sacrilegi, nec hontes publici veri, nec tot majestatis rei pati solent. Ad. Scapul., 4.
[36] Sed gladio tenus, sicut et a primordio mandatum est animadverti in hujusmodi. Ad. Scapul., 4.
[37] Non te terremus, qui nec timemus, sed velim, ut omnes salvos facere possimus monendo μή θεομαχεΐν. Ad Scapul., 4.
[38] Ad Scapul., 2.
[39] Tertullien, Ad martyr., passim.
[40] Saturninus proconsul dixit : Nec liberationem nec remissionem vultis ? Acta proconsul, martyr. scyllit. Ruinart, Act. sinc. et select.
[41] Apologie, c. IX. Ut vulgus, tamen Romani, nec ulli magis depostulatores christianorum quam vulgus. Apologie, 35. Cf. ibid., 37.
[42] Et statim in fine spectaculi leopardo ejecto, de uno morsu tanto perfusas est sanguine ut populus revertenti illi secundi baptismatis testimonium reclamaverit : Salvum lotum, salvum lotum. Passio SS. Perpetuæ et Felicitatis cum sociis eorum, § 21. — Ruinart, Act. sine. et select.
[43] Tu nos, inquiunt, te autem Deus judicabit. Ad hoc populus exasperatus flagellis eos vexari pro ordine venatorum postulavit. Ibid., § 18.
[44] Exinde sententiæ super illo, nescio an christianorum, non enim aliæ ethnicorum, ut de abrupto et præcipiti et mori cupido qui de habitu interrogatus nomini negotium fecerit... Mussitant denique tam bonam et longam sibi pacem periclitari... De corona, 1. Cf. Scorpiace, 1 et 2.
[45] De corona, 1. — De fuga in persecutione, passim.
[46] Plures jam invenies ethnicorum fores sine lucernis et laureis quam christianorum. Tertullien, De idolotat., c. 15.
[47] Miles me vel delator vel inimicus concutit, nihil Cæsari exigens, immo contra faciens, cum christianum humunis legibus reum mercede dimittit. Tertullien, De fuga, 12.
[48] Contra faciens Cæsari, passage cité à la note précédente.
[49] Rutilius sanctissimus martyr cum totiens fugisset perserutionem de loto in locum, etiam periculum, ut putabat, nummis redemisset, post totam securitatem quam sibi prospexerat ex inopinato apprehensus et præsidi oblatus tormentis dissipatus... Dehinc ignibus lotus, passionem quam vitarat, misericordiæ Dei retulit. Tertullien, De fuga, 5.
[50] Parum denique est, si unus aut alius ita eruitur. Massaliter totæ Ecclesiæ tributum sibi irrogaverunt. Nescio dolendum an erubescendum sit, cum in matricibus beneficiariorum et curiosorum inter tabernarios et ianeos, et Cures balnearum et aleones et lenones christiani quoque vectigales continentur. Hanc episcopatui formam apostoli providentius condiderunt, ut regno suo securi frui possint, sub obtentu procurandi ? Scilicet enim talem pacem Christus ad patrem regrediens mandavit a militibus per saturnalia redimendam ? Tertullien, De fuga, 13, in fin.
[51] Inter carnis alimenta... quæ vobis et domina mater Ecclesia de uberibus suis, et singuli fratres de opibus suis propriis in carcerem subministrant. Tertullien, Ad. Marty., Init. Imo et quæ justa sunt taro non amittit per curam ecclesiæ et agapem fratrum. Ibid., ch. 2. Cf. Act. SS. Perpetuæ et Felicitatis, c. 16.
[52] Ibi tunc Tertius et Pomponius benedicti diacones qui nobis ministrabant, constituerunt pretio ut paucis horis emissi in meliorem locum carceris refrigeraremus. Act. SS. Perpet, et Felicit., 3.
[53] Hæc et nos risimus aliquando : de vestris fuimus. Apologie, 18.
[54] In ventum, et, si placuerit, christianos. Tertullien, Scorpiaque, 1.
[55] Voir particulièrement le traité de l’Idolâtrie et le traité des Spectacles.
[56] Voir le traité de la Couronne du soldat.
[57] Quando vel una nox pauculis faculis largiter ultionis posset operari, si malum malo dispungi pencs nos liceret. Apologie, 37.
[58] Les derniers mots de cet écrit : Ad hoc quidem vel præsentia nobis tempera documenta sunt, quantæ qualesque personæ inopinatos natalibus et dignitatibus et corporibus et ætatibus suis exilas referunt hominis causa, aut ab ipso, si contra eum fecerint, aut ab adversariis ejus, si pro eo steterint, assignent bien à cet ouvrage la date que nous marquons. Il y a là en effet une manifeste allusion aux représailles exercées par Sévère contre les partisans de Pescennius et d’Albinus, dont le dernier avait été défait et tué au commencement de 197. Voir Nœsselt, ch. 13, dans le 3e vol. du Tertullien d’Œlher, p. 556-557.
[59] Ad Martyros, IV.
[60] Ad Martyr., initio.
[61] Non ergo dicat : (diabolus) in meo sunt ; temptabo illos vilibus odiis, defectionibus aut inter se dissensionibus... vos inveniat munitos et concordia armatos... Et ideo eam (pacem) in vobis habere, et fovere et custodire debetis. Ad Martyr., 1.
[62] Voir le curieux mémoire de M. Edmond Le Blant sur la préparation au martyre.
[63] Le mot est de Tertullien : Negotiatio est aliquid amittere ut majora lucreris..... Nihil crus sentit in nervo, cura animus in cœlo est. Ad Martyr., 2.
[64] Et cum pro naturali difficultate octavi mensis in partu laborans doleret, (Felicitas) ait illi quidam ex ministris cataractariorum : quæ sic modo doles, quid facies objecta bestiis, quis contempsisti cum sacrificare noluisti. Et illa respondit : Modo ego patior, quod patior, illie autem alius erit in me qui patietur pro me, quia et ego pro illo passura sum. Act. SS. Perpet. et Felicit., 15.
[65] Non pænam illie (in carcere) passurus, sed disciplinam, nec sæculi tormenta, sed sua officia, eoque fidentior processurus ad certamen e custodia abusus nihil habens carvis, sic ut nec habeant tormenta materiam, cura sola et arida sit cute loricatus et contra ungulas cornus, præmisso jam sanguinis succo. Tertullien, De jejunio, 19.
[66] In carceribus popinas exhibere martyribus incertis, etc. Tertullien, Id., ibid. Cf. Lucien, Peregrinus, ch. 12.
[67] Ipso tribunalis die luee summa condito mero tanquam antidoto præmedicatum ita enervastis, ut paucis ungulis titillatus (hoc enim ebrietas sentiebat) quem dominum confiteretur interroganti præsidi respondere non potuerit amplius, atque ita de hoc jam extortus, cum singultus et ructus solos haberet, in ipsa negatione discessit. Tertullien, De jejunio, 12.
[68] Ad Scapulam, IV, éd. Œlher, p. 547.
[69] Les Fastes mentionnent un personnage du nom de Pudens (Quintus Servilius), consul deux années de suite sous le règne de Marc-Aurèle et de Lucius Verus, en 165 et en 166. Il ne peut pas se faire que ce soit de ce personnage que parle Tertullien dans sa lettre à Scapula, écrite en 211 ou 212. En effet, l’intervalle ordinaire qui séparait lé consulat et le tirage au sort des provinces sénatoriales d’Asie et d’Afrique était au commencement du règne de Marc Aurèle de douze à quatorze ans. S’il s’agissait dans la lettre à Scapula du Pudens consul en 165, il eût obtenu le proconsulat d’Afrique en 177 ou en 179. Or, en premier lieu, il est très invraisemblable que Tertullien allègue un souvenir aussi lointain. Les autres proconsuls qu’il nomme dans le même chapitre appartiennent tous à sa génération, tandis que le consul de 165 appartenait à la génération précédente. En second lieu, le détail très particulier qu’il rapporte sur Pudens marque, ce semble, un fait qui ne pouvait remonter à trente ans. Enfin, s’il s’agissait de Pudens, consul en 165 et proconsul d’Afrique en 177 eu 179, il suivrait de là que sous Marc-Aurèle l’Église d’Afrique a été persécutée. Or, cela n’est point, et Tertullien le nie dans deux textes formels :l’un de son Apologétique, évidemment écrite sous Sévère, où il déclare que jusqu’à ce prince, nul de ceux qui ont eu quelque souci des lois divines et humaines n’a fait la guerre à l’église — De tot exinde principibus ad hodiernum divinum humanumque sapientibus edite aliquem debellatorem christianorum, 5 — texte qui en Afrique au moins exclut toute persécution antérieure au règne de Sévère ; l’autre, de la lettre à Scapula, où il écrit que Vigellius Saturninus fut le premier qui tira l’épée contre les chrétiens — qui primus hic gladium in nos egit. Ad Scapul., 3. Donc après Borghesi on peut dire qu’il n’y a pas trace de persécution en Afrique avant Septime Sévère. — Ferma dunque l’osservazione che non si ha alcun indizio che la persecuzione sia penetrata nell’ Africa prima di Settimio Severo. Œuv. compl., VIII, p. 615. — Donc le Servilius Pudens mentionné par Tertullien n’est pas le consul de 165. On peut supposer que c’était son fils, et que celui-ci gouverna la province d’Afrique deux ou trois ans avant Vigellius Saturninus, à une époque où l’hostilité populaire contre les chrétiens commençait à s’accentuer, où des accusations se produisaient contre eux, mais, loin d’être encouragées, étaient accueillies avec répugnance et ennui, et où les fidèles étaient généralement traités avec douceur par les magistrats romains. Une inscription romaine trouvée en Afrique et où l’on lit : Q. SERVILIO || Q. F. HOR || PVDENTI, avec d’autres lignes illisibles, doit se rapporter à notre proconsul Quintus Servilius Horatius Pudens, fils du Quintus Servilius Pudens le consul de 166.
[70] Tillemont et Ruinart adoptent l’an 200. Morcelli (Africa christiana, II, 48) l’an 198. Mommsen, dans une note dont il fait suivre une inscription où Saturninus est nommé (C. I. L., III, 6133), écrit : fuisse creditur proconsul Africæ in 200. Borghesi, dans une lettre à M. L. Renier (t. VIII, p. 615), place le proconsulat de Saturninus entre 198 et 200.
[71] Habent hi (fast consulares) Tiberium Haterium Saturninum qui consul processit anno urb. cond. 951, post Christum 198. Nec video curni liceat statuere, eum biennio aut triennio post abdicatum consulatum ad regendam Africain a Senatu romano missum fuisse. Sed alius quoque fuisse potest. Frederic Münter, Primordia Ecclesiæ Africanæ, p. 180.
[72] Une inscription trouvée à Trœsmis et conservée aujourd’hui à la Bibliothèque nationale, nous apprend que ce Saturninus avait été légat impérial de la Mésie inférieure et nous donne ses noms divers : Publius, Vigellius, Bains, Plarius, Saturninus, Atilius, Braduanus, Caïus, Aucidius, Tertullus. Il ne parait pas qu’à cette multitude de noms il y ait lieu d’ajouter les deux que porte le consul Saturninus de l’an 198 : Tiberius Haterius.
[73] Et adstantibus eis Saturninus proconsul dixit : Potestis veniam a dominis nostris Severo et Antono promereri si bono anime conversi fueritis ad Deos nostros. Act. proconsularia Martyr. Scillitanorum, init. Il est superflu de noter que Antono doit être lu Antonino et qu’Antonin est le nom sous lequel Caracalla est toujours officiellement désigné.
[74] Cf. Act. procons., init. L’un des consuls de l’an 200 est Tiberius Claudius Severus.
[75] Jo. Laur. Mosheim, Disquisitio chronologico-critica de vera ætate Apologetici a Tertulliano conscripti initioque persecutionis Severi. Leyde, 1720, in-8°, à la fin de l’édition de l’Apologétique d’Hauercamp. Voir la dissertation de Nœsselt dans l’édition de Tertullien d’Œlher, tom. III, p. 562.
[76] Sed et qui nunc scelestarum partium socii aut plausores quotidie revelantur, post vindemiam parricidarum racematio superstes. Apologétique, 35, éd. Œlher, p. 247. Il faut remarquer les expressions nunc et quotidie. Cf. ce passage de Spartien : Multos inter hæc causis vel veris vel simulatis occidit. Damnabantur autem plerique cur jocati essent ; alii cur tacuissent, alii cur pleraque figurata dixissent ; ut esset imperator vere nominis sui, vere pertinax et severus. Spart., Sever., 14. ....Multos etiam, quasi Chaldæos aut vates de sua salute consuluissent, interemit, præcipue suspectos unumquemque idoneum imperio... Spart., Sever., 15.
[77] Tertullien, Apologie, 35.
[78] M. Victor Duruy, au tome VI de sa belle Histoire des Romains (page 56, note 2), reconnaît que Tertullien a montré Rome pendant ces fêtes, mais d’une manière un peu banale. D’abord, pourquoi Rome et non Carthage ? C’est à Carthage, croyons-nous, que Tertullien a vécu et écrit son Apologétique, et il n’est pas absolument sûr qu’il ait jamais vu Rome. Le P. Theineir, dans les savants commentaires dont il a enrichi la dernière et récente édition des Annales ecclesiastici de Baronius, dit fort bien à ce sujet : Nulles veterum Tertullianum Romæ versatum esse scripsit. Nec refert quod Hieronymus in libre de scriptoribus ecclesiasticis dicat : invidia et contumcliis clericorum Romanæ ecclesiæ ad Montani dogma delapsum esse, cum Clerus Romanus eumdem absentera injuria lacessere potuerit, ut recte observavit eruditissimus abbas Ludovicus du Four in Tertulliani lectione versatissimus. Annal. eccles., in-4°, Bar-le-Duc et Paris, 1864 (t. II, p. 476, § 3 in fine). Mais passons sur ce point. M. Duruy admet que Tertullien, au eh. 35 de l’Apologétique, a décrit les fêtes populaires qui ont suivi la victoire de Sévère près de Lyon, en février 197. C’est, semble-t-il admettre implicitement, que la composition de l’Apologétique est de fort peu postérieure à l’année 197. Cependant dans le même volume, à propos de l’Apologétique de Tertullien, M. Duruy écrit : a On en met la rédaction en 199 ou 200, même en 201 ; mais si l’Apologétique n’a été, comme il est probable, qu’une refonte des deux livres Ad Nationes, il faudrait faire descendre cette date beaucoup plus bas, car il est parlé dans le premier de ces deux discours « des deux Syries qui exhalent encore l’odeur des empereurs égorgés. » Cette phrase ne peut s’appliquer qu’à Caracalla, tué en 217, entre Edesse et Carrhes, et à Diadumène, tué en 218, comme il fuyait d’Antioche vers les Parthes, page 183, note 2. — Le texte de Tertullien auquel M. Duruy se réfère se trouve au chap. XVII du 1er livre Ad Nationes. Le voici : Adhuc Syriæ cadaverum odoribus spirant. Il n’y est pas question, comme on voit, d’empereurs égorgés, et la fin de cette phrase en éclairait et en précise le sens : adhuc Galliæ Rhodano suo non lavant. De ces deux membres de phrase parallèles, le second est une évidente allusion à la bataille de Trévoux, et au grand choc des deux armées romaines qui se termina par la défaite d’Albinus sur les rives du Rhône. Le premier n’est pas une allusion moins claire aux sanglantes batailles qui consommèrent la défaite de Pescennius Niger dans les provinces syriennes. Tertullien ne sépare pas ces deux faits et les cite dans leur ordre chronologique. Or les expressions employées par Tertullien : Les Syriens sont encore infectées de l’odeur des cadavres ; les Gaules n’ont pas encore lavé dans leur Rhône le sang dont ses rives ont été couvertes, marquent très positivement que Tertullien écrit ses livres Ad Nationes au lendemain, si l’on peut dire, de ces luttes sanglantes. Il est assez remarquable que le texte cité par M. Duruy pour reculer les livres Ad Nationes, et par suite l’Apologétique, au delà de 217 et de 218, soit justement le même qu’invoque Nœsselt (Tertullien d’Œlher, t. 3, p. 565) pour affirmer que ces deux ouvrages, dont le premier parait en effet comme le canevas et l’édition populaire du second, ont suivi de très près l’an 197.
Dans ce même premier livre Ad Nationes, au chap. XVI, Tertullien évoque un souvenir plus lointain. Il raconte une scandaleuse histoire qui s’était passée à Rome, dans laquelle le préfet de la ville, Fuscianus, avait dû intervenir comme juge civil. Il s’agit de Seius Fuscianus, qui tint la préfecture de Rome de 186 à 189, et eut au printemps de cette année Pertinax pour successeur. Tertullien avait évidemment entendu raconter cette aventure à Carthage, et il en tirait un argument, en homme qui sait en prendre partout et dont la mémoire est fidèle. Recueillir un fait de cette nature, dix ou douze ans après qu’il avait eu lieu, c’était risquer beaucoup de taire trouver l’anecdote un peu vieille. Est-il admissible que Tertullien l’eût ramassée après trente ans ?
Enfin les livres aux Nations et l’Apologétique sont inexplicables et dénués de sens si, au moment où l’auteur écrit, les chrétiens ne sont pas populairement insultés et juridiquement persécutés. Ces deux œuvres supposent un certain milieu, se produisent dans certaines conditions déterminées, qui se, rencontrent en 198 et dans les années qui suivent immédiatement, mais nullement en 217, 218 et dans les années suivantes. Elagabal, comme on sait, ne songea pas à persécuter les chrétiens, et Alexandre Sévère, le fils de la sérieuse Mammée, leur fut sympathique et bienveillant. L’anachronisme serait moins fort de placer la Satire Ménippée à la fin du règne de Henri IV que les livres aux Nations et l’Apologétique de Tertullien sous le règne d’Elagabal ou sous celui d’Alexandre Sévère.
[79] Le Martyrologe romain, au 4 juillet, donne Mygdon au lieu de Miggin.
[80] Quis ferat cunctis præferri diis immortalibus archimartyrem Namphamonem. S. Augustini, opera. Éd. Gaume, tom. II, Epist. CI, n. 16.
[81] Nam si ea vocabula interpretemur Namphamo quid aliud significat quam boni redis hominem, id est cujus adventus afferat aliquid felicilatis, sicut solemus dicere secundo pede introisse, cujus introitum prosperitas aliqua consecuta sit. Id., ibid. Cf. Léon Renier, Mélanges d’épigraphie, p. 279.
[82] Voir L. Renier, Inscript. d’Algérie. Namphamo, n° 1030, 1761, 3777, 3954, 985. Nampamo, n° 245, 2689. Namephamo, n° 3601, 3632. Namefamo, n° 3608, 3609.
[83] Les frumentarii étaient un corps d’élite dont les fonctions et le service étaient analogues à ceux de notre gendarmerie. V. Henzen, Bull. de l’Inst. arch. de Rome, 1853, p. 113 et suiv. Cf. Derenbourg, Quelques mots sur la guerre de Bar Kôzéba et ses suites, Paris, 1878, p. 168 et 169. Les poursuites officielles ne paraissent pas avoir eu lieu à ce moment. Tertullien, en effet, écrit dans son Apologétique, ch. 2 : Solum christianum inquiri non licet, offerri licet, quasi aliud esset actura inquisitio quam oblatio.
[84] Act. SS. Perpet. et Felicit. .....Et quærebamus de illis ubi essent ceteri, 11. — Et cæpimus illic multos fratres cognoscere sed et martyres. Ibid., 13.
[85] Apologétique, dernier ch., in fin. Voir la note de l’édit. d’Œlher, I, p. 301.
[86] Act. SS. Perpet. et Felicit., 11.
[87] Quotidie obsidemur, quotidie prodimur, in ipsis plurimum cœtibus et congregationibus nostris opprimimur. Apol., 8.
[88] Ad Nation., I, 7.
[89] Les Actes nous apprennent que ce procès eut lieu sous le consulat d’un personnage nommé Claudius ou Claudianus. Trois manuscrits portent Claudius ; un quatrième, cité par Mabillon, donne Præsidente bis Claudiano consule. Borghesi, s’attachant à cette dernière leçon, la transforme et la complète d’une manière à la fois ingénieuse et vraisemblable, encore qu’un peu libre, en presidentibus Claudio Severo et Aufidio Victorino coss. Claudius Severus et Aufidius Victorinus sont les deux consuls de l’an 200. En admettant qu’un personnage du nom de Claudius fût en effet consul lorsqu’eut lieu le procès, ainsi que trois manuscrits des Actes le marquent, comme il n’y a à cette époque dans les fastes aucun consul de ce nom, si ce n’est Tiberius Claudius Severus, consul en l’an 200, il est légitime de :rapporter cette affaire à cette date, sans qu’il soit nécessaire peut-être de supposer que les Actes portassent fort exactement la mention entière des deux consuls, outre que le præsidentibus, pour être moins étrange qu’existente, præsente ou præstande, placé devant. Claudio dans les trois manuscrits, ne parait pas moins inusité. Donc, on peut considérer que l’affaire des Martyrs dits scillitains eut lieu en 200. Münter la recule de deux ans. Il est probable, écrit-il en note, que Spératus et ses compagnons souffrirent en 202. On ne voit pas la raison de cette probabilité, et Münter n’en donne aucune. En 202, l’empereur Sévère, consul pour la troisième fois, partageait les faisceaux avec son fils aîné, Antonin Caracalla. Il faut alors faire abstraction du Claudio Consule qu’on trouve à la première ligne des Actes. A quel titre effacer cette indication, ou n’en tenir nul compte ? Si Mater a choisi l’année 20 ? parce que c’est la date de l’édit que Sévère promulgua en Palestine contre les chrétiens, la raison ne vaut rien, vu que dans les Actes il West fait nulle allusion à cet édit, et d’in autre côté, parce qu’on ne, l’a pas attendu pour juger et condamner les chrétiens, comme cela résulte de tant de passages de l’Apologétique, composé plusieurs années auparavant ; enfin parce que Saturninus, le premier qui ait prononcé contre les chrétiens des peines capitales et par conséquent proconsul lorsque Tertullien écrivit son Apologétique, ne s’était pas vraisemblablement perpétué quatre ans dans sa charge.
C’est assez de supposer que son proconsulat eût été prorogé deux ou trois ans, comme il le faut admettre, si on veut se souvenir que son proconsulat et les condamnations capitales contre les chrétiens qui le signalèrent, avaient commencé quand Tertullien écrivit son éloquent plaidoyer.
[90] Un texte dit trois jours, un autre trente.
[91] Tertullien, De Corona militris, Init.
[92] L’époque où ces personnages furent proconsuls d’Afrique est assez précisément établie. Apuleius Rufinus fut consul en 189, Marcus Valerius Bradua en 191. Il est possible qu’il y ait, eu un autre proconsul entre les deux, mais on l’ignore. Enfin Caïus Julius Asper fut consul pour la première fois en 192. V. Waddington, Fastes des provinces asiatiques de l’empire romain, p. 248 et 258.
[93] Sub Hilariano præside cura de areis sepulturarum nostrarum adclamassent : Areæ non sint ! areæ ipsorum non fuerunt. Tertullien Ad. Scap., 3.
[94] Tertullien, Apologétique, 9-37.
[95] Il est remarquable que nulle part Tertullien n’incrimine la bonne volonté de Sévère. Dans sa Lettre à Scapula il ne cite de sa part que des traits de bienveillance à l’égard des chrétiens. Ou il ne, connaît pas l’édit de 202, ou il feint de ne pas le connaître. Avec ses seuls ouvrages on ne saurait évidemment le deviner.
[96] Mussitant scripturas emigrare, sarcinas expedire, fugæ accingi de civitate in civitatem ; nullam enim aliam Evangelii (S. Matth., X, 23) memoriam curant. De corona, 1. Cf. De fuga in persecut., passim.
[97] Les libellatici n’apparaissent guère qu’au temps de Cyprien. C’étaient des chrétiens qui, à prix d’argent ou autrement, obtenaient des autorités des certificats attestant qu’ils avaient sacrifié et satisfait aux édits, c’est-à-dire de véritables billets de confession païenne, qui les dispensaient de comparaître et d’être interrogés en personne. En règle de la sorte avec le pouvoir, ils n’en gardaient pas moins leurs sentiments intimes. Or, ces billets étant lus en public constituaient en somme des certificats d’apostasie, s’ils étaient vrais ; d’hypocrisie et de lâcheté, s’ils étaient faux. Il n’y a, que nous sachions, trace de rien de semblable sous Sévère, et les faits dont parle Tertullien dans le De fuga sont d’un autre ordre.
[98] De fuga in persec., 5.
[99] S. Cypriani, de lapsis., Corp. script. eccl. lat., éd. Hartel, Vienne 1871, t. I, p. 40. L’ancien calendrier de Carthage marque leurs martyres à l’an 204. V. Münter, op. cit., p. 252, note 10.
[100] S. Cyr., Ep. 38, p. 586 de l’édit. citée.
[101] Sic hic Casto et Æmilio aliquando Deus ignovit, sic in prima congressione devictos victores in secundo prælio reddidit. Cyprien, De laps., p. 246, édit. citée.
[102] Léon Renier, Mélanges d’épigraphie, XII. Sur une inscription latine conservée dans l’église du bourg de Corseult, dép. des Côtes-du-Nord. XIII. Sur quelques noms puniques à l’occasion de l’inscription de Corseult.
[103] Il faut pour cela supposer que la première syllabe du nom de Guddene a été mal écrite et qu’on a mis un u au lieu d’un a, d’un e ou d’un i. Il semble qu’avec la correction Gaddene, Geddene ou Giddene, le nom de la mère de Januarius de l’inscription de Corseult, et celui de la jeune martyre de 203, soient identiques. Assurément Geddene ressemble fort à Geddeneme, qui revient à Namgedde, et qui est le nom d’une nourrice carthaginoise dans le Pœnulus de Plaute.
[104] On lit dans le Martyrologe d’Adon, au V kal. de juillet (27 juin) : Apud Carthaginem Natalis Sanctæ Guddenes virginis, quæ Plutiano et Zeta (Plautians et Geta) consulibus, jussi Rufini proconsulis, quater diversis temporibus equulei extensione vexata, et ungularum horrenda laceratione cruciata, carceris etiam squalore diutissime afflicta, novissime gladio cæsa est. Cf. Boll., t. 18, Jul., p. 359.
[105] Le texte des Actes des SS. Perpétue et Félicité porte : Natale tunc Getæ Cæsaris, § 7, in fine. Il faut entendre par là le jour anniversaire de la nomination de Geta comme César, qui eut lieu au printemps de l’an 198. Les quinquennalia du César Geta tombent bien en 202. C’est à cette date que Morcelli (Afr. Ch., tome II, p. 58 et suiv.) place le martyre dont nous parlons ; plusieurs cependant le mettent en 203.
[106] Passio SS. Perpet. et Fel. Cf. deux passages desquels on peut tirer les deux affirmations contradictoires : 1° Ces mots du père : aspice fratres tuos, aspice matrem tuam et materteram, § 1. — 2° Le passage du même paragraphe où Perpétue dit : Et ego dolebam quod solus (pater) passione mea gavisurus non esset de toto genere meo. — Ce dernier passage est en contradiction avec un autre du § 3 : tabescebam ideo quod illos (matrem et fratrem) tabescere viderem mei beneficio.
[107] Tertullien, Apologie, 3. Ad uxorem, II, 4. Cf. Münter, op. cit., p. 184-185.
[108] Ascendit autem Saturus prior qui postea se propter nos ultro tradiderat. Pass. SS. Perp. et Felicit., § 5.
[109] Tunc dixit mihi frater meus : Domina soror, jam tu in magna dignatione es ; et tanta ut popules visionem.... Et ego quæ sciebam fabulari cum domino.... Id., § 4 init.
[110] Et quasi a somnno expergita (adeo in spiritu et in extasi fuerat) circumspicere cæpit..... Id., § 20.
[111] Excipimur in carcerem ; et expavi quia nunquam experta eram tales tenebras. O diem asperum, æstus validus turbarum beneficio, concussuræ militum ! Id., § 3.
[112] Ibi Tertius et Pomponius benedicti diaconi qui nobis ministrabant constituerunt præmio ut paucis horis emissi in meliorem lœum carceris refrigeraremus. Id., § 3.
[113] Ne me dederis in dedecus hominum.... ne universos nos extermines ; nemo enim nostrum libere loquetur si tu aliquid fueris passa. Id., § 5.
[114] Id., § 5.
[115] Id., § 6.
[116] Id., § 6.
[117] Quia ex admonitionibus hominum vanissimorum verebatur ne subtraherentur de carcere incantationibus aliquibus magicis. Id., § 16.
[118] Id., § 9.
[119] Et dum loquimur cum eis, dixerunt illis angeli : sinite illos, refrigerent : et si quas habelis inter vos dissensiones dimittite vobis invitera, et conturbaverunt cos. Et dixerunt Optato : corrige plebem tuam, quia sic ad te conveniunt quasi de circo redemites, et de factionibus certantes. Et sic nobis visum est quasi vellent claudere portas. Id., § 13.
[120] Et cum delati essent in portam et cogerentur habitus induere, viri quidem sacerdolum Saturni, feminæ vero sacratarum Cereri, generosa illa in finem osque con.stantia repugnavit. Dicebant enim : Ideo ad hoc sponte pervenimus, ne libertas nostra obduceretur. Men animas nostras adduximus, ne tale aliquid faceremus : hoc vobiscum pacti sumus. Id., § 18. Ruinart donne : abduceretur, et plus loin : addiximus. Nous avons suivi le texte de Münter.
[121] Tertullien, Ad Scapul.
[122] Et utique illi gratulati sunt quod aliquid et de dominieis passionibus essent consecuti. Pass. SS. Perp., § 18.
[123] L’auteur des Actes des SS. Perpétue et Félicité voit dans cette acclamation populaire Salvum lotum, Salvum lotum une allusion ironique au baptême chrétien. Il est possible que nul n’y pensât, ou bien peu, parmi la foule des spectateurs.
L’acclamation Salvum lotum ou lutum est une sorte de salutation adressée à celui qui vient de prendre un bain, et revient à l’expression : Loto feliciter — que le bain te soit propice ! On l’écrivait parfois sur le seuil des salles de bain. A Brescia, sur un dallage antique en mosaïque disposée en trois cadres, on a pu lire sur un compartiment BENE LAVA, et sur un autre nos deux mots SALVUM LOTUM. Voir Corp. Inscript. Lat., t. V, n° 4500. Au tome XXIII, p. 3-22 des Notices et extraits des manuscrits, on lit l’expression grecque équivalente : Καλώς έλουσον Κύριε. Salvum lotum domine, et en note : Le sens de cette exclamation est donc celui-ci : Quel bon bain tu as pris, ô mon maître, rien n’y manque.
Ce cri arraché au peuple, à la vue de Saturus inondé de sang des pieds à la tête, est une ironie cruelle sans doute, mais n’est pas nécessairement une allusion moqueuse au premier baptême. Il veut dire : Te voilà bien baigné, ou Que ce bain te soit doux, que ce bain te porte bonheur !
[124] Loc. cit., Ad. Scapul., 5.
[125] Pacis et annonæ otio... Ab imperio et a coelo bene est. De pallio, 1 ... præsentis imperii triplex virtus, Deo tot Augustis in unum favente. Id., ch. 2.
[126] Provinciæ quæ visa intentione tud obnoxia facla est concussionibus et militum et inimicorum suorum cujusque. Ad Scap., V.
[127] Nos ques sacrilegos existimatis nec in furto unquam deprehenditis. Omnes autem qui templa despoliant. Ad. Sc., 2. Ce texte explique bien le sens précis du crime de sacrilège.
[128] Singuli forte noti magis quam omnes, nec aliunde noscibiles quam de emendatione vitiorum pristinorum. Ad. Sc., 2.
[129] Et nunc a præside legionis et a præside Mauritaniæ vexatur hoc nomen, sed gladio tenus, rient et a primordio mandatum est. Id., IV.
[130] Pro tanta innocentia, pro tanta probitate, pro justitia, pro pudicitia, pro fide, pro veritate, pro Deo vivo cremamur. Id. 4.
[131] In has pugnas accedamus, ea quæ Deus repromittit consequi optantes. Id., 1. Ad hoc solum videamur erumpere, ut hoc ipsum probemus, nos hæc non timere sed nitro vocare. Id., 5. Absit ut indigne feramus ea nos pati quæ optamus. Id., 2. Cum omni sævitia vestra concertamus, etiam ultro erumpentes, magisque damnati quam absoluti gaudemus. Id., 1.
[132] Tamen humani juris et naturalis potestatis est unicuique quod putaverit colore, nec alii obest aut prodest alterius religio. Sed nec religionis est cogere religionem, quæ sponte suscipi debeat, non vi, cum et hostiæ ab animo libenti expostulcatur. Id., 2.
[133] Doleamus necesse est quod nulla civitas impune latura sit sanguinis nostri effusionem. Id., 3. Parce tibi, si non nobis ; parce Carthagini, si non tibi. Parce provinciæ. Id., 5.
[134] Quod facies de tantis millibus hominum... Quantis ignibus, quantis gladiis opus erit ? Quid ipsa Carthago passura est, decimanda a te, cum propinquos, cum contubernales suos illic unusquisque cognoverit, cum viderit illic fortasse et tui ordinis vires et matronas et principales quasque personas et amicorum tuorum vol propinquos vol amicos ? Id., 5.
[135] Au 6 janvier, dans le Martyrologe romain, on lit : In Africa commemoratio plurimorum Sanctorum Martyrum qui in persecutione Severi ad palum ligati igne consumpti sunt. On ignore à quel temps ils appartiennent, ni quels ils sont. Tertullien, dans son Apologétique, parle aussi de ceux que les païens appelaient Sarmenticios et Semaxios pour indiquer le genre de leur supplice. Mais de ces deux indications on ne peut rien tirer de précis.