HISTOIRE DE L’INQUISITION

 

CHAPITRE XXI.

Récapitulation générale des victimes de l'Inquisition. — Procès curieux.

 

 

Dans ce chapitre nous avons cru devoir donner la récapitulation générale, d’après des chiffres officiels, du nombre de victimes de l’Inquisition, et le récit de quelques procès curieux du Saint-Office.

Nous empruntons ces pièces et les commentaires qui les accompagnent au résumé de M. Léonard Gallois. — Elles forment la conclusion, le complément nécessaire de l’histoire des fastes du fanatisme en Espagne.

 

Récapitulation générale des victimes de l’Inquisition d’Espagne, depuis l’année 1481 jusqu’en 1820.

Brûlés vifs.

Brûlés en effigie.

Condamnés aux galères ou à la prison.

De 1481 à 1498,

Sous le ministère de l’Inquisiteur général Torquemada

10.220

6.840

97.371

De 1498 à 1507,

Sous le ministère de Deza

2.592

829

32.952

De 1507 à 1517,

Sous celui de Cisneros

3.564

2.232

48.059

De 1517 à 1521,

Sous celui d’Adrien

1.620

560

21.835

De 1521 à 1523,

(Interrègne)

224

112

4.481

De 1523 à 1538,

Sous le ministère de Manrique

2.250

1.125

11.250

De 1538 à 1545,

Sous celui de Tabera

840

420

6.520

De 1545 à 1556,

Sous celui de Loaisa et sous le règne de Charles V

1.320

660

6.600

De 1556 à 1597,

Sous le règne de Philippe II

3 .930

1 .845

18.450

De 1597 à 1621,

Sous celui de Philippe III

1.840

692

10.716

De 1621 à 1665,

Sous celui de Philippe IV

2.852

1.428

14.080

De 1665 à 1700,

Sous le règne de Charles II

1.630

540

6.512

De 1700 à 1746,

Sous celui de Philippe V

1.600

760

9.120

De 1746 à 1759,

Sous celui de Ferdinand VI

10

5

170

De 1759 à 1788,

Sous celui de Charles III

4

56

De 1788 à 1808,

Sous celui de Charles IV,

1

42

Totaux

34.658

18.049

288.214

Ainsi, le total général des victimes de l’Inquisition d’Espagne, seulement depuis 1481 jusqu’en 1826, s’élève à 340 921, non compris celles qui ont subi l’emprisonnement, les galères ou l’exil sous le règne de Ferdinand VII, dont le nombre est encore très-considérable.

Si l’on ajoutait aux condamnations qui ont eu lieu dans la Péninsule, celles des autres pays soumis à l’Inquisition d’Espagne, tels que la Sicile, la Sardaigne, la Flandre, l’Amérique, les Indes, etc., on serait effrayé de la quantité de malheureux que le Saint-Office a condamnés pour les rendre meilleurs catholiques.

Non-seulement l’Inquisition a décimé la population espagnole par ses auto-dafé, mais encore elle l’a considérablement réduite en provoquant et des guerres civiles et des émeutes, et l’expulsion des Juifs et celle des Maures. Plus de cinq millions d’habitants ont disparu du beau sol de l’Espagne pendant que le Saint-Office y a exercé son terrible ministère ; et l’on peut dire de cette barbare institution ce que Montesquieu a dit d’un empereur d’Orient : Justinien, qui détruisit les sectes par l’épée ou par ses lois, et qui, les obligeant à se révolter, s’obligea à les exterminer, rendit incultes plusieurs provinces. Il crut avoir augmenté le nombre des fidèles : il n’avait fait que diminuer celui des hommes.

 

Procès curieux et extraordinaires jugés par l’Inquisition d’Espagne.

Les innombrables procès jugés par le Saint-Office, pour cause d’hérésie, ne différant entre eux que par de légères nuances de cruauté ou par la qualité et le rang des personnes qui furent persécutées et qui devinrent victimes de ce redoutable tribunal, il me paraît inutile d’entrer ici dans d’autres détails que ceux que j’ai déjà donnés. Je ne reviendrai pas non plus sur les autres procès pour cause de bigamie, de pédérastie, d’usure, de contrebande et cent autres crimes ou délits, vrais ou réputés véritables, dont l’Inquisition s’est emparée, et contre lesquels elle a prononcé des jugements plus ou moins sévères, plus ou moins absurdes.

Mais, parmi ces délits, il en est d’une classe particulière, dont les procédures offrent des circonstances tellement incroyables aujourd’hui, que je ne puis me dispenser de les rapporter en entier. Je veux parler des prétendus sorciers et magiciens que le Saint-Office fit griller en Espagne à différentes époques, et particulièrement dans le commencement du seizième et du dix-septième siècle. Ces procédures donneront une juste idée de la superstitieuse ignorance des Inquisiteurs, et démontreront combien ces moines ont retardé la civilisation et condensé les ténèbres qui enveloppaient les populations entières, en condamnant, comme convaincus de sorcellerie ou de magie, des imbéciles et des fous qu’il eût été bien plus humain d’éclairer, et des hypocrites et des jongleurs qu’il fallait démasquer pour les couvrir de honte.

Il est assez naturel que les Inquisiteurs aient accusé de magie les hommes qui s’étaient élevés beaucoup au-dessus de tous les théologiens de l’époque par leur savoir et leur science profonde, et je ne suis pas étonné que des moines ignares aient regardé comme des êtres surnaturels les Pic de la Mirandole et les Galilée, dont les systèmes furent condamnés à Rome ; mais comment croire, même en se reportant à ces temps d’ignorance, que les Papes et les Inquisiteurs aient pu se persuader que des paysans grossiers, sans esprit, sans instruction, sans aucune connaissance des effets naturels de la physique, ni de ceux de la chimie, fussent de vrais sorciers ou de redoutables magiciens ? Ces pauvres gens n’étaient pourtant que les dupes des illusions provoquées par quelque boisson, ainsi qu’on va en juger par les faits que je vais rapporter, et qui sont extraits littéralement de l’historien espagnol Sandoval et des archives de l’Inquisition.

Déjà, en l’année 1507, l’Inquisition de Calahorra avait fait brûler plus de trente femmes comme sorcières et magiciennes. Cette secte était alors extrêmement nombreuse ; elle reconnaissait le diable pour son maître et patron, lui promettait obéissance et l’honorait d’un culte particulier. De son côté, le diable était censé donner à ses adorateurs le pouvoir d’envoyer des maladies aux animaux, de nuire aux fruits de la terre, de lire dans l’avenir, de découvrir les choses les plus cachées, etc.

Vingt ans après, on découvrit dans la Navarre un grand nombre de personnes qui se livraient aux pratiques de la sorcellerie : ce qui donna lieu au procès que je transcris ici, en rappelant au lecteur que ce sont les historiens espagnols qui parlent.

Deux filles, l’une de onze ans, l’autre de neuf, s’accusèrent elles-mêmes d’être sorcières, devant les membres du Conseil royal de Navarre : elles avouèrent qu’elles s’étaient fait recevoir dans la secte des Jurguinas, c’est-à-dire des sorciers, et s’engagèrent à découvrir toutes les femmes qui en étaient, si l’on consentait à leur faire grâce. Les juges l’ayant promis, ces deux enfants déclarèrent qu’en voyant l’œil gauche d’une personne, elles pourraient dire si elle était sorcière ou non ; elles indiquèrent l’endroit où l’on devait trouver un grand nombre de ces femmes, et le lieu où elles tenaient leurs assemblées. Le Conseil chargea un commissaire de s’y transporter avec ces deux enfants et cinquante cavaliers. En arrivant dans chaque bourg ou village, il devait y faire enfermer les deux filles dans deux maisons séparées, s’informer auprès des magistrats s’il y avait des personnes suspectes de magie, les faire conduire dans ces maisons, et les présenter aux deux enfants, afin de faire l’épreuve du moyen qu’elles avaient indiqué. Il résulta de l’expérience, que celles de ces femmes qui avaient été signalées par les deux filles comme sorcières, l’étaient réellement ; lorsqu’elles se virent en prison, elles déclarèrent qu’elles étaient plus de cent cinquante ; que lorsqu’une femme se présentait pour être reçue dans leur société, on lui donnait, si elle était nubile, un jeune homme bien fait et robuste, avec qui elle avait un commerce charnel. On lui faisait renier Jésus- Christ et sa religion. Le jour où cette cérémonie avait lieu, on voyait paraître au milieu d’un cercle un bouc tout noir, qui en faisait plusieurs fois le tour ; à peine avait-il fait entendre sa voix rauque, que toutes les sorcières accouraient et se mettaient à danser à ce bruit semblable au son d’une trompette ; elles venaient toutes baiser le bouc au fondement, et faisaient ensuite un repas avec du pain, du vin et du fromage. Lorsque le festin était fini, chaque sorcière chevauchait avec son voisin, métamorphosé en bouc, et après s’être frotté le corps avec les excréments d’un crapaud, d’un corbeau, et de plusieurs reptiles, elles s’envolaient dans les airs, pour se rendre aux lieux où elles voulaient faire du mal. Elles avaient des assemblées générales la nuit avant Pâques et les grandes fêtes de l’année. Lorsqu’elles assistaient à la messe, elles voyaient l’hostie noire ; mais si elles avaient envie de renoncer à leurs pratiques diaboliques, elle leur paraissait dans sa couleur naturelle.

Le commissaire, voulant s’assurer de la vérité des faits par sa propre expérience, fit venir une vieille sorcière, lui promit sa grâce, à condition qu’elle ferait devant lui toutes ses opérations de sorcellerie, et lui permit de s'échapper pendant son travail, si elle en avait le pouvoir. La vieille ayant accepté la proposition, demanda la boîte d’onguent qu’on avait trouvée sur elle, et monta avec le commissaire dans une tour, où elle se plaça avec lui devant une fenêtre. Elle commença, à la vue d’un grand nombre de personnes, par se mettre de son onguent dans la paume de la main gauche, au poignet, au nœud du coude, sous le bras, dans l’aine et au côté gauche ; ensuite elle dit d’une voix très-forte : Es-tu là ? Tous les spectateurs entendirent dans les airs une voix qui répondit : Oui, me voici. La femme alors se mit à descendre le long de la tour, la tête en bas, en se servant de ses pieds et de ses mains à la manière des lézards ; arrivée au milieu de la hauteur, elle prit son vol dans l’air, devant les assistants, qui ne cessèrent de la voir que lorsqu’elle eut dépassé l’horizon.

Dans l’étonnement où ce prodige avait plongé tout le monde, le commissaire fit publier qu’il accordait une somme d’argent considérable à quiconque lui ramènerait la sorcière. Elle fut arrêtée # par des bergers, qui la lui présentèrent au bout de deux jours. Le commissaire lui demanda pourquoi elle n’avait pas volé assez loin, pour échapper à ceux qui la cherchaient. A quoi elle répondit que son maître n’avait voulu la transporter qu’à une distance de trois lieues, et qu’il l’avait laissée dans le champ où des bergers l’avaient rencontrée.

Cette expérience ayant convaincu le commissaire que cette malheureuse était réellement une sorcière, il fit livrer à l’Inquisition plus de cent cinquante autres femmes de la même secte, que le Saint-Office condamna sérieusement comme magiciennes. Elles reçurent deux cents coups de fouet et furent emprisonnées pour longtemps.

L’Inquisition de Saragosse jugea aussi plusieurs sorcières qui avaient fait partie de l’association de celles de Navarre, ou qui avaient été envoyées en Aragon pour y faire des disciples. Elles furent convaincues de sorcellerie et de magie sur de simples soupçons, et sur les dépositions des témoins qui n’avaient point vu les sorcières, mais seulement entendu parler de leurs opérations. Ces malheureuses n’ayant point voulu avouer les crimes dont on les accusait, périrent dans les flammes, comme sorcières obstinées, et comme ayant un pacte avec le démon.

Le curé du village de Bargota, diocèse de Calahorra, fut également mis en jugement par les Inquisiteurs de Logrogno. Parmi les choses extraordinaires contenues dans son procès, on y trouve que pendant qu’il se livrait aux plus grandes opérations de la sorcellerie dans le pays de Rioja et de Navarre, il lui prit envie d’exécuter de grands voyages en peu de minutes ; qu’il vit les fameuses guerres de Ferdinand V en Italie, ainsi que plusieurs de celles de Charles-Quint, et qu’il ne manqua jamais d’annoncer à Logrogno et à Viana les victoires qui venaient d’être remportées le même jour ou la veille ; ce qui était toujours confirmé dans les rapports arrivés ensuite par les courriers. On ajoute qu’il trompa un jour son démon pour sauver la vie au pape Alexandre VI, ou à Jules II. Suivant les Mémoires particuliers de sa vie, le pape entretenait un commerce scandaleux avec une dame dont le mari occupait un emploi considérable auprès de lui, et n’osait par conséquent se plaindre ouvertement ; mais il n’en conservait pas moins le désir de venger son honneur, et il forma un complot contre la vie du pape. Le diable apprit au curé que le pape mourrait cette nuit même d’une mort violente. Le prêtre de Bargota prend la résolution d’empêcher cet attentat, et sans en instruire son esprit familier, il lui propose de le transporter à Borne pour y entendre l’annonce de cette mort, assister aux funérailles du pape, et être témoin de ce qu’on dira de la conspiration. Il arrive avec son démon dans la capitale du monde chrétien, et se rend tout seul au palais pontifical, où il raconte au pape tout ce qui s’est passé entre lui et le diable, et obtient pour récompense de sa bonne action l’absolution des censures qu’il avait encourues. Le curé de Bargota fut mis entre les mains des Inquisiteurs de Logrogno, qui l’acquittèrent en vertu de l’absolution du pape, après lui avoir fait promettre de rompre pour jamais tout commerce avec le démon. Quelque singulier que soit le procès du curé de Bargota, il l’est encore bien moins que celui du docteur Eugène Torralba, dont Cervantès a parlé dans la deuxième partie des Aventures de D. Quichotte. Voici son histoire, telle qu’elle est rapportée dans les auteurs espagnols :

Torralba naquit dans la ville de Cuença. A l’âge de quinze ans, il alla à Rome, où il fut attaché en qualité de page à D. François Soderini, évêque de Volterre, nommé cardinal en 1503. Il y étudia la philosophie et la médecine. Parvenu au grade de docteur, il eut plus d’une fois de vives discussions avec des savants sur l’immortalité de l’âme et la divinité de Jésus-Christ, qu’ils attaquaient par des raisons si fortes, que, quoiqu’il ne pût étouffer dans son âme les principes de religion qu’on lui avait inculqués pendant son enfance, il tomba néanmoins dans le pyrrhonisme, et commença à mettre tout en doute, ne sachant plus de quel côté était la vérité.

Parmi les amis qu’il s’était faits à Rome, se trouvait un certain moine de Saint-Dominique, appelé frère Pierre. Celui-ci lui dit un jour qu’il avait à son service un ange de l'ordre des bons esprits, dont le nom était Zequiel, si puissant dans la connaissance de l’avenir et des choses cachées, qu’aucun autre ne l’égalait ; mais d’une nature si particulière, qu’au lieu d’obliger les hommes à un pacte, avant de leur communiquer ses connaissances, il avait en horreur ce moyen ; qu’il voulait rester toujours libre, et servir seulement par amitié celui qui mettait en lui sa confiance ; qu’il lui permettait même de faire part aux autres de ses secrets ; mais que toute contrainte, employée pour obtenir de lui des réponses, l’éloignerait à jamais de la société de l’homme auquel il se serait attaché. Frère Pierre lui avait alors demandé s’il serait bien aise d’avoir pour serviteur et pour ami Zequiel, ajoutant qu’il pouvait lui procurer cet avantage, à cause de l’amitié qu’ils avaient l’un pour l’autre. Torralba témoigna le plus grand empressement pour faire connaissance avec l’esprit de frère Pierre.

Zequiel parut bientôt sous la figure d’un jeune homme, vêtu d’un habit couleur de chair, et d’un surtout noir ; il dit à Torralba : Je serai à toi pour tout le temps que tu vivras, et te suivrai partout où tu seras obligé d'aller. Depuis cette promesse, Zequiel se montrait à Torralba, aux différents quartiers de la lune, et toutes les fois qu’il avait à se transporter d’un endroit à un autre, tantôt sous la figure d’un voyageur, tantôt sous celle d’un ermite. Zequiel ne parlait jamais contre la religion chrétienne ; jamais il ne lui insinua aucun principe, ni ne lui conseilla aucune action criminelle ; il lui faisait, au contraire, des reproches lorsqu’il lui arrivait de commettre quelque faute, et il assistait avec lui dans l’église à l’office divin : toutes ces circonstances avaient fait croire à Torralba que Zequiel était un bon ange, puisque, s’il ne l’avait pas été, sa conduite eût été bien différente.

Torralba vint en Espagne vers l’année 1502. Quelque temps après, il visita toute l’Italie, et s’étant fixé à. Rome, sous la protection du cardinal de Vol terre, il s’acquit la réputation d’un habile médecin, et jouit de la faveur de plusieurs cardinaux. La plupart des annonces faites par Zequiel étaient relatives aux affaires politiques. Aussi Torralba étant retourné en Espagne en 1510, et se trouvant à la cour du roi Ferdinand le Catholique, Zequiel lui dit que ce prince recevrait bientôt une nouvelle désagréable.

Torralba se hâta d’en faire part à l’archevêque de Tolède, Ximenès de Cisneros — qui fut ensuite cardinal Inquisiteur général —, et au grand capitaine Gonzalve Fernandez de Cordoue, et le même jour un courrier apporta des lettres d’Afrique, qui annonçaient le mauvais succès de l’entreprise contre les Maures, et la mort de D. Garcie de Tolède, fils du duc d’Albe, qui la commandait.

Ximenès de Cisneros ayant appris que le cardinal de Volterre avait vu Zequiel, désira le voir aussi, et connaître la nature et les qualités de cet esprit. Torralba, pour plaire à l’archevêque, supplia l’ange de se montrer à lui sous la figure humaine qui lui conviendrait le mieux ; mais Zequiel ne jugea point à propos de paraître ; seulement pour adoucir la rigueur de son refus, il chargea Torralba de dire à Ximenès de Cisneros qu’il parviendrait à être roi, ce qui se vérifia, au moins quant au fait, puisqu’il fut gouverneur absolu de toutes les Espagne s et des Indes.

Une autre fois, étant toujours à Rome, l’ange lui dit que Pierre Margano perdrait la vie, s’il sortait de la ville. Torralba n’ayant pu avertir à temps son ami, celui-ci sortit de Rome et fut assassiné.

Zequiel lui annonça que le cardinal de Sienne ferait une fin tragique, ce qui se vérifia en 1517, après le jugement que Léon X fit porter contre lui.

De retour à Rome en 1513, Torralba eut une extrême envie de voir son intime ami, Thomas de Becara, qui était alors à Venise. Zequiel, qui connut son désir, le mena dans cette ville, et le ramena à Rome en si peu de temps, que les personnes qui faisaient sa société ordinaire ne s’aperçurent point qu’il se fût absenté.

En 1515, l’ange lui dit qu’il ferait bien de retourner en Espagne, parce qu’il obtiendrait la place de médecin de l’infante Eléonore, reine veuve de Portugal, et depuis femme de François Ier, roi de France. Notre docteur fit part de cette affaire au duc de Béjar et à D. Étienne-Manuel Mérino, archevêque de Bari : ils sollicitèrent pour lui la place qu’il ambitionnait, et elle lui fut accordée l’année suivante.

Enfin, le 5 mai de la même année, Zequiel dit au docteur que le lendemain la ville de Rome serait prise par les troupes de l’empereur. Torralba pria son ange de le conduire à Rome pour en être témoin. Zequiel l’ayant promis, ils sortirent ensemble de Valladolid à onze heures du soir, comme pour se promener : ils n’étaient pas encore fort loin de la ville, lorsque l’ange remit à Torralba un bâton plein de nœuds, en lui disant : Ferme les yeux, ne t’effraye pas ; prends ceci dans ta main, et il ne t’arrivera rien de fâcheux. Lorsque le moment de les ouvrir fut arrivé, il se vit si près de la mer, qu’il pouvait la toucher avec la main ; la nuée noire qui l'environnait fit place aussitôt à une vive lumière, qui fit craindre à Torralba d’en être consumé ; Zequiel s’en étant aperçu, lui dit : Rassure-toi, grosse bête. Torralba ferma de nouveau les yeux, et crut au bout de quelque temps qu’ils étaient arrivés à terre. Zequiel l’avertit d’ouvrir les yeux et lui demanda ensuite s’il savait où il était. Le docteur ayant regardé autour de lui, reconnut qu’il était à Rome, dans la tour de Noua. Ils entendirent alors l’horloge du château, qui sonnait cinq heures de la nuit — c’est à-dire minuit, d’après la manière dont comptent les Espagnols — ; d’où il résultait qu’ils n’avaient mis qu’une heure à faire ce voyage. Torralba parcourut Rome avec Zequiel, et vit ensuite le sac de cette ville et tous les autres événements de cette terrible journée. En une heure et demie, il fut de retour à Valladolid, où Zequiel le quitta en lui disant : Désormais, tu devras croire tout ce que je te dirai.

Torralba publia tout ce qu’il venait de voir ; et, comme on ne pariait plus de lui sans le qualifier de grand et véritable nécromancien, sorcier, enchanteur et magicien, l’Inquisition ne tarda pas à se mêler de cette affaire et le fit arrêter. Le docteur avoua d’abord tout ce qui regardait l’ange Zequiel et les merveilles qu’il avait opérées, persuadé qu’il ne serait pas question d’autre chose, comme le commencement semblait l’annoncer, et qu’on ne s’occuperait point de la dispute qu’il avait eue, ni des doutes qu’il avait exprimés touchant l'immortalité de l’âme et la divinité de Jésus-Christ. Lorsque les juges se crurent assez instruits, ils se réunirent pour donner leurs voix ; mais ayant opiné diversement, le tribunal s’adressa au conseil de la Suprême, qui décréta que Torralba serait appliqué à la question, autant que son âge et sa qualité le permettaient, afin de savoir quelle avait été son intention, en recevant et en gardant auprès de lui l’esprit Zequiel ; s’il croyait fermement que ce fût un mauvais ange, comme un témoin avait assuré l’avoir entendu dire ; s’il avait fait un pacte pour se le rendre favorable ; quel avait été ce pacte ; comment s’était passée la première entrevue, et si alors ou depuis ce jour il avait employé les conjurations pour l’évoquer. Aussitôt que cette mesure aurait été prise, le tribunal devait voter et prononcer la sentence définitive.

Torralba n’avait jamais varié jusqu’à ce jour sur ce qu’il avait dit de son esprit familier, qu’il avait assuré appartenir à l’ordre des bons anges ; mais, lorsqu’il se vit entre les mains des bourreaux, les douleurs de la question lui firent dire qu’il voyait bien que Zequiel était un mauvais ange, puisqu’il était la cause de son malheur présent. On lui demanda s’il lui avait prédit qu'il serait arrêté par l’Inquisition ; il répondit qu’il l’en avait averti plus d’une fois, en le détournant d’aller à Cuença où un malheur l’attendait, mais qu’il avait cru pouvoir mépriser ce conseil. Sur tout le reste, il déclara qu’il n’y avait aucune espèce de pacte, et que les choses s’étaient passées comme il l’avait rapporté.

Les Inquisiteurs admirent comme .vrais tous les détails que Torralba avait donnés ; et après lui avoir fait faire une nouvelle déclaration, ils suspendirent son procès par un motif de compassion, et avec le désir de voir un si fameux nécromancien se convertir et avouer les pactes et les sortilèges qu’il avait toujours niés.

Enfin, après avoir passé plus de trois ans dans les prisons du Saint-Office, Torralba fut condamné à faire abjuration générale ordinaire des hérésies, et à subir la peine de la prison et du san benito pour tout le temps qu’il plairait à l’Inquisiteur général ; à ne plus avoir ni entretien ni communication avec l’esprit Zequiel, et à ne jamais prêter l’oreille à aucune de ses propositions ; ces conditions lui étaient imposées pour la sûreté de sa conscience et le bien de son âme.

Vers la fin de l’année 1610, les Inquisiteurs de Logrogno célébrèrent un auto-dafé des plus solennels, dans lequel figurèrent encore vingt-neuf sorciers. Leurs procès contiennent des déclarations si singulières, que, malgré tout ce que je viens de rapporter sur cette secte, je crois devoir les consigner ici.

Ces vingt-neuf sorciers étaient tous des bourgs de Vera et de Zuggarramurdi, dans la vallée de Bastan, en Navarre. Leurs assemblées avaient lieu dans un endroit appelé Pré du Bouc. C’est là, suivant leurs confessions, que le diable se présentait à eux sous la figure d'un gros bouc. Voici l’analyse de ces confessions :

Les lundi, mercredi et vendredi de chaque semaine, étaient les jours marqués pour les assemblées, outre les grandes fêtes de l’Église, comme Pâques, la Pentecôte, Noël, etc. Dans chaque séance, et surtout lorsqu’il y a quelque réception à faire, le diable prend la figure d’un homme triste, colère, noir et laid ; il est assis sur un siège élevé, tantôt doré, tantôt noir comme l’ébène il porte une couronne de petites cornes, deux autres grandes cornes sont sur le derrière de la tête, et une troisième qui est pareille, au milieu du front ; c’est avec celle-ci qu’il éclaire le lieu de l’assemblée. Sa lumière est plus brillante que celle de la lune et moindre que celle du soleil. Ses yeux sont grands, ronds et bien ouverts, lumineux, effrayants ; sa barbe est semblable à celle d’une chèvre : il est moitié homme et moitié bouc. Ses pieds et ses mains sont ceux d’un homme, ses doigts égaux sont terminés par des ongles démesurés, qui s’allongent et finissent en pointe. Le bout de ses mains est recourbé à la manière des serres d’un oiseau de proie, et celui de ses pieds imite les pattes d’une oie. Sa voix est comme celle de l’âne, rauque, discordante et formidable. Ses paroles sont mal articulées, prononcées sur un ton bas, fâché et irrégulier, et d’une manière grave, sévère et arrogante. Sa physionomie exprime la mauvaise humeur et la mélancolie.

A l’ouverture de l’assemblée, tout le monde se prosterne et adore le démon, en l’appelant son maître et son dieu, et en répétant l’apostasie qui a été prononcée lorsqu’on a été reçu dans la secte ; chacun lui baise le pied, la main et le côté gauches, l’anus et la verge. C’est à neuf heures du soir que la séance commence ; elle finit ordinairement à minuit, et ne peut être prolongée que jusqu’au chant du coq.

A cette cérémonie en succède une autre qui est une imitation diabolique de la messe, où des diables subalternes dressent l’autel, et servent leur chef comme les enfants de chœur servent la messe des chrétiens. Le diable interrompt la célébration pour exhorter les assistants âne jamais retourner au Christianisme, et il leur promet un paradis bien préférable à celui destiné aux chrétiens.

Lorsque la messe est finie, le diable s’unit charnellement avec tous les hommes et toutes les femmes, et leur ordonne ensuite de l’imiter ; ce commerce finit par le mélange des deux sexes, sans distinction de mariage ni de parenté. Les prosélytes du démon tiennent à honneur d’être appelés les premiers aux œuvres qui se font, et c’est le privilège du roi des sorciers d’avertir ses élus, comme c’est celui de la reine d’appeler les femmes qu’elle préfère.

Satan renvoie tout son monde après la cérémonie, en ordonnant à chacun de faire autant de mal qu’il pourra aux chrétiens, et à tous les fruits de la terre, après s’être transformé pour cela en chien, en chat, en loup, en renard, en oiseau de proie, ou en d’autres animaux suivant le besoin, comme aussi en employant des poudres et des liqueurs empoisonnées, qui se préparent avec l’eau tirée du crapaud que chaque sorcier porte avec lui et qui est le diable lui-même obéissant à son commandement sous cette métamorphose, depuis le moment où il a été reçu dans la secte.

Cette réception ou affiliation a lieu dans l’assemblée : le candidat renonce au culte de Dieu, et promet au démon obéissance et fidélité jusqu’à la mort. Satan marque alors l’initié avec les ongles de sa main gauche, et lui imprime la figure d’un très-petit crapaud sur la prunelle de l’œil gauche, sans lui causer la moindre douleur. C’est cette figure de crapaud qui sert à tous les sorciers de signe de reconnaissance. On livre ensuite au nouveau sorcier un petit crapaud habillé, qui possède la vertu de rendre invisible son nouveau maître, de le transporter en peu de temps et sans fatigue aux lieux les plus éloignés, et de le métamorphoser en toute sorte d’animaux.

Avant de se rendre à l’assemblée, les sorciers ont l’attention de s’oindre le corps avec une liqueur qui a été vomie par le crapaud, et qui s’obtient en le frappant à coups de petites verges, jusqu’à ce que le démon qui est logé dans le reptile dise : C’est assez. Ce n’est qu’après s’être frotté de cette bave, que le sorcier peut s’envoler et voyager aussi vite que l’éclair ; mais ces courses ne peuvent avoir lieu que durant la nuit ; car dès que le coq annonce l’aube, le crapaud disparaît, et le sorcier se trouve réduit à son état naturel.

Le diable accorde aussi aux profès le talent de composer des poisons mortels, en y employant des reptiles, des insectes, des cervelles d’hommes morts et des sucs de diverses plantes. Les sorciers se servent de ces poisons de différentes manières, et peuvent même les rendre mortels à une très-grande distance.

De toutes les superstitions qui plaisent au démon, aucune ne le flatte autant que de voir ses adorateurs enlever des tombeaux des églises les corps des chrétiens, en manger les petits ossements et la cervelle préparés avec l’eau vomie par les crapauds.

La tendance au mal est si naturelle au démon, que si un sorcier reste longtemps sans nuire soit aux hommes, soit aux animaux, soit aux fruits de la terre, il le fait fustiger en pleine assemblée.

Tous ces détails, ainsi que beaucoup d’autres de la même nature, furent donnés aux Inquisiteurs par dix- neuf sorciers repentants, qui évitèrent le feu en révélant tout. Le Saint-Office se contenta de leur faire porter le san benito pendant l’auto-dafé qui suivit leur jugement. Quant aux autres dix sorciers qui furent condamnés à la relaxation, comme ayant dogmatisé ou présidé les assemblées, voici à peu près les déclarations que les Inquisiteurs en obtinrent, soit par les tortures, soit par l’adresse.

Marie de Zuzaya avoua qu’elle avait causé beaucoup de mal à un grand nombre de personnes qu’elle nomma, en leur faisant éprouver, par enchantement, de vives douleurs, et en leur occasionnant de longues maladies ; qu’elle avait fait mourir un homme au moyen d’un œuf empoisonné qui lui avait donné des coliques atroces ; qu’elle était visitée toutes les nuits par le diable, qui lui tint lieu de mari pendant plusieurs années, et enfin, qu’elle s’était souvent moquée d’un prêtre qui aimait à chasser le lièvre, en prenant la figure de cet animal et en fatiguant le chasseur par les longues courses qu’elle lui faisait faire.

Le Saint-Office admit tous ces faits comme véritables, et condamna Marie de Zuzaya à la relaxation, quoiqu’elle parût repentante : elle fut étranglée et brûlée après sa mort.

Michel Goiburu, roi des sorciers de Zugarramurdi, avoua tout ce qui se passait dans les assemblées de la secte ; quant à ce qui le concernait particulièrement, il confessa qu’il était tombé très-fréquemment dans le péché le plus familier au diable ; tantôt comme passif avec lui, tantôt d’une manière active avec d’autres sorciers ; qu’il avait plusieurs fois profané les églises en arrachant les morts de leurs tombeaux, pour faire au diable son offrande d’os humains et de cervelles. Il déclara en outre qu’il s’était plusieurs fois réuni au démon pour jeter un sort sur des champs et sur des hommes, et qu’en sa qualité de roi des sorciers, il portait le bénitier rempli de bave de crapaud, dont le diable se servait pour faire ses opérations. Goiburu convint qu’il avait fait mourir beaucoup d’enfants dont il nomma les familles, et même son propre, neveu, en leur suçant le sang par le fondement ou par les parties naturelles ; et tout cela pour complaire au .démon, qui aimait beaucoup à voir les sorciers commettre tous ces crimes.

Jean Goiburu, frère du roi et mari de la reine des sorciers, avoua les mêmes choses que les autres sorciers, sur les circonstances générales, et déclara que c’était lui qui faisait danser les sorciers et les sorcières au son du tambourin. Il avait également commis plusieurs crimes dans ses voyages aériens et nocturnes, et n’avait pas même épargné son propre fils, dont les ossements lui avaient servi pour donner un repas à plusieurs sorciers. Il ajouta qu’ayant un jour prolongé sa musique jusqu’au delà du chant du coq, son crapaud disparut aussitôt, et qu’il fut obligé de faire plusieurs lieues à pied pour retourner chez lui.

La femme de Jean Goiburu était la reine des sorcières : elle confessa qu’ayant été jalouse d’une autre femme, à cause de l’amour que le diable avait pour sa rivale, elle la fit mourir avec du poison qu’elle avait préparé ; qu’elle avait aussi causé la mort violente de plusieurs enfants dont elle haïssait les mères, et qu’elle avait souvent préparé des repas d’ossements et de cervelles de morts déterrés.

Sa fille déclara qu’elle avait vu souvent le démon ; que Satan avait joui d’elle comme il avait voulu, et qu’elle avait éprouvé de grandes douleurs dans son commerce avec son maître. Elle ajouta quelle avait fait mourir neuf petits enfants en leur suçant le sang par les parties naturelles, et que neuf autres personnes étaient mortes par l’effet du poison et des breuvages qu’elle leur avait administrés.

Sa sœur confessa les mêmes crimes.

Un cousin du roi des sorciers raconta aussi tout ce qui se passait dans leurs assemblées nocturnes, et il déclara que c’était lui qui jouait de la flûte pendant que le démon abusait des hommes et des femmes, car ce passe- temps lui faisait beaucoup de plaisir.

Une autre sorcière raconta aux Inquisiteurs comment elle avait fait périr beaucoup de personnes, en les frottant avec l’onguent mortel que le diable lui avait appris à préparer ; elle avait aussi empoisonné une de ses petites-filles.

La sœur de cette femme assura que Satan l’avait fait fustiger, parce qu’elle avait manqué à une réunion.

Le bourreau secret des assemblées du Pré du Bouc confessa que, lorsqu’il fut reçu novice, le diable lui imprima sa marque sur l’estomac, et que ce point devint impénétrable. Les Inquisiteurs ordonnèrent qu’on y enfonçât de fortes épingles ; mais, quoiqu’elles pénétrassent aisément dans toutes les autres parties du corps, il fut impossible de les faire entrer dans le point invulnérable.

Quelques autres sorcières déclarèrent que, dans plusieurs circonstances, des personnes étonnées de voir ce qui se passait dans leurs assemblées, ayant prononcé le nom de Jésus, tout le monde avait aussitôt disparu, et le pré s’était trouvé aussi désert que s’il n’y avait jamais eu aucune réunion.

Enfin une autre sorcière apprit aux Inquisiteurs que, pour punir des enfants qui avaient divulgué le secret de ce qui se passait au Pré du Bouc, elle et plusieurs de ses compagnes avaient été chargées de les fustiger, et que toutes les nuits d’assemblée elles les enlevaient de leurs lits et les emportaient dans les airs, jusqu’au lieu destiné au supplice qu’on leur destinait, qui était celui de les fouetter cruellement. Ces enfants déposèrent devant les Inquisiteurs et confirmèrent la déclaration de la sorcière.

Telle est l’analyse des circonstances constatées dans la procédure du Saint-Office de Logrogno. L'auto-dafé eut lieu, et malgré les crapauds, les poudres et les onguents, les sorciers et les sorcières subirent les peines qui leur furent infligées.

Rien n’est plus extraordinaire, dans ces monstrueux procès, que la conviction des Inquisiteurs, qui, au lieu de chercher à soulever le voile superstitieux dont s’environnaient ces prétendus sorciers, en remontant aux causes, préféraient croire à leur pouvoir et à leurs enchantements, et donnaient ainsi une consistance à de simples illusions produites sans doute par des boissons narcotiques et assoupissantes. Plusieurs auteurs de cette époque écrivirent des volumes contre la sorcellerie, mais aucun d’eux n’osa la mettre en doute.

A une autre époque beaucoup plus rapprochée du siècle de la philosophie, c’est-à-dire, vers la fin du dix-septième siècle, l’Inquisition d’Espagne s’occupa d’un procès non moins extraordinaire. C’est celui du dominicain Froilan Diaz, évêque d'Avila et confesseur de Charles II.

La faiblesse habituelle de la santé de Charles fit naître le soupçon que ce monarque était hors d’état d’user du mariage, par l’effet surnaturel de quelque maléfice. Le cardinal Portocarrero, l’Inquisiteur général Rocaberti et le confesseur Diaz crurent au sortilège, et, après avoir persuadé au roi qu’il était maléficié, ils le prièrent de permettre qu’on l'exorcisât. Charles y consentit et se soumit aux exorcismes de son confesseur. Quelques autres prêtres se mirent à exorciser. Un Dominicain employait en ce temps-là le même moyen pour délivrer une religieuse du démon dont elle se disait obsédée. Le confesseur du roi, d’accord avec l’Inquisiteur général, chargea ce Dominicain de commander au démon de la religieuse énergumène de déclarer s’il était vrai que Charles II fût maléficié, et, dans ce cas, quelle était la nature du sortilège, et les moyens d’en détruire les effets.

Le Dominicain exécuta les ordres de l’Inquisiteur général, et parvint, dit-on, à découvrir par l’organe du démon de la possédée, qu’il y avait eu, en effet, un sort jeté sur le roi par une personne qui fut désignée. Le confesseur se mit alors à faire des conjurations pour détruire le prétendu maléfice ; et il aurait, sans doute, exorcisé longtemps, si l’Inquisiteur général Rocaberti ne fût mort pendant qu’on se livrait à cette opération sur le roi.

Mendoza, qui succéda à Rocaberti, fit mettre le confesseur du roi en jugement comme suspect d’hérésie par sa superstition, et comme coupable d’avoir embrassé une doctrine condamnée par l’Église, en accordant sa confiance aux démons et en se servant d’eux pour découvrir des choses cachées. Mais telle était l’opinion des théologiens de cette époque, qu’ils déclarèrent à l’unanimité que la conduite du confesseur Diaz n’offrait aucune proposition ni aucun fait qui méritât la censure théologique. Le conseil de la Suprême décréta que Diaz serait mis en liberté et hors d’instance, attendu qu’il n’avait rien fait qui fut contraire à la religion catholique.

Que de sujets de réflexions dans la conduite du confesseur du roi, et dans celle des qualificateurs et des Inquisiteurs !

Je termine ici l’analyse de ces sortes de procès, car je crois qu’un seul doit suffire pour donner une juste idée de la superstitieuse ignorance des Inquisiteurs d’Espagne, et de tous les obstacles qu’ils ont constamment opposés aux progrès de la civilisation. Quand on voudra replonger ce beau pays dans la barbarie et les ténèbres, et corrompre de nouveau les mœurs de ce peuple héroïque, le plus sûr moyen d’y parvenir sera de rétablir dans la Péninsule le Saint-Office et ses familiers.