HISTOIRE DE L’INQUISITION

 

CHAPITRE XIX.

Ministère de l'Inquisiteur général Valdès. — Mort de Charles-Quint. Avènement de Philippe II.

 

 

I

Sous les derniers Inquisiteurs dont nous venons de parier, la persécution sans cesser d'être odieuse et exécrable, avait paru prendre un caractère un peu moins sanguinaire, et l’on avait pu remarquer une faible diminution dans le nombre des exécutions.

Cela tenait exclusivement, pour une part, au hasard des événements, pour l’autre au caractère personnel des successeurs de Torquemada et de Deza.

Aucune modification, en effet, n’avait été apportée au système, et toutes les réclamations des peuples soumis au sceptre des rois d’Espagne n’avaient pu obtenir qu’on abolit le secret qui entourait les procédures du saint Tribunal, — ce secret dont la conséquence était de livrer la vie des accusés à tous les caprices de quelques moines ignares et fanatiques, de remettre l’existence, la liberté, la fortune de tous les citoyens entre les mains de quelques délateurs poussés par les plus basses passions, ou les plus honteuses cupidités.

Qu’un Torquemada revînt au monde, et le monde allait être de nouveau épouvanté par la quantité et la qualité des victimes offertes au Moloch chrétien.

Un vieillard septuagénaire, plein d’orgueil et de fiel, de nature barbare et de cœur cruel, nommé Ferdinand Valdès, fut ce second Torquemada.

Son administration dura vingt années. Pendant vingt années, ce fanatique sanguinaire put couvrir l’Espagne de bûchers, décimer toutes les populations courbées, en Europe, ou dans le nouveau monde, sous le joug de fer de Charles-Quint et de Philippe II.

L’Inquisition, depuis si longtemps s’approvisionnait de victimes chez les Juifs convertis, — les nouveaux chrétiens, — que cette mine commençait à s’épuiser. Sous les derniers Inquisiteurs, on avait eu déjà de la peine à en extraire, chaque année, un millier de malheureux pour les faire figurer, morts ou vifs, dans les auto-dafé périodiques.

Valdès ne pouvait s’arranger de cette pénurie relative. Il se sentait appelé à de plus hautes destinées, et la Providence se chargea de lui livrer, à point nommé, le filon presque encore vierge du luthéranisme.

A peine investi du pouvoir, Valdès sollicita du Pape, Paul III, la permission de condamner les luthériens à la peine du feu, alors même qu'ils ne seraient point relaps et qu'ils demanderaient à être réconciliés.

Cette permission, il va sans dire, fut accordée, les Papes n’ayant jamais cessé d'encourager le zèle des fidèles serviteurs de la religion, et de mettre à leur disposition tous les moyens propres à opérer le prompt triomphe de la vérité.

Ce nouveau système fit couler des torrents de sang, en ramenant les plus beaux jours de l’Inquisition. Les savants furent aussi l’objet de la sollicitude toute particulière du nouvel Inquisiteur général, et plusieurs théologiens, qui avaient assisté au concile de Trente, se virent poursuivis par le Saint-Office.

Il suffisait alors de connaître les langues orientales pour devenir suspect de luthéranisme.

La prohibition des livres occupa également Valdès, dont l’activité n’était jamais en défaut, et se répandait sans relâche sur tous les objets à la fois.

Barthélemy Carranza, archevêque de Tolède, saint Jean de Dieu, fondateur d’un ordre hospitalier, consacré au soin et à l’assistance des malades pauvres, le docteur Egidius, dont nous avons déjà parlé, Rodriguez de Valéra, subirent de cruelles persécutions, et firent connaissance avec les cachots de l’Inquisition.

Le savoir suffisait à vous rendre suspect, et il suffisait de la volonté des juges pour faire d’un suspect un coupable.

Rien ne protégea plus contre les rigueurs du Saint- Office, dont la froide barbarie semblait augmenter chaque jour.

Un trait entre mille.

Une vieille femme, Marie de Bourgogne, fut dénoncée par un esclave, qui prétendait lui avoir entendu dire : — Les chrétiens n’ont ni foi ni loi.

C’était assez — on l’arrêta. — Elle avait quatre-vingt-cinq ans.

Faute de preuves, on la garda cinq ans en prison.

Au bout de cinq ans, — elle avait alors quatre-vingt-dix ans, — voyant qu’elle ne faisait aucun aveu, on lui appliqua la torture, et avec une telle férocité, qu’elle en mourut, quelques jours après, en protestant de son innocence.

Le conseil de la Suprême avait pourtant interdit d’employer la question envers les personnes trop âgées.

On continua le procès contre la morte. — Elle fut condamnée comme hérétique. — Un bûcher dévora ses ossements, et sa fortune, qui était immense, alla enrichir Je fisc, tandis que ses descendants étaient voués à l’infamie.

Ceci se passait au moment même de l’abdication de Charles-Quint, qui laissa sa couronne à Philippe II, le 16 janvier 1556, pour se retirer au couvent de Saint- Just, où il mourut deux ans après, le 21 septembre 1558.

Il laissait à son fils des instructions où il l’engageait à imiter sa conduite, à travailler avec zèle à l’extirpation de l'hérésie, sans exempter aucun coupable quel que fût son rang.

Il exigeait de plus qu’il protégeât énergiquement le Saint-Office.

Ces exhortations, ces recommandations, tombaient sur un bon terrain-, préparé de longue main par le fanatisme le plus étroit, par les enseignements les plus orthodoxes de l’Église.

Elles fructifièrent, et, le catholicisme donna au monde Philippe II.

Il est donc constant que Charles-Quint, à toutes les époques de sa vie, sauf une courte hésitation au début de son règne, a énergiquement protégé l’Inquisition.

Partout où il fut maître, il l’implanta, ou tenta de l’établir, refusant, malgré mille promesses contraires et toujours parjurées, de supprimer l’horrible secret dont elle entourait ses procédures.

Il introduisit le Saint-Office en Hollande. Ce tribunal y célébra de nombreux auto-dafé, et grâce à la sollicitude de l’empereur, il n’y eut dans les deux hémisphères aucun canton soumis à la monarchie espagnole, où l’on ne vît briller la lueur sinistre des bûchers, où l’on n’entendît éclater et grésiller la chair des victimes humaines.

 

II

Philippe II mérite une place d’honneur dans cette galerie des monstres que la monarchie a donnés au monde. Il eût inventé l’Inquisition, si elle n’avait pas existé ; — il dut se contenter de lui imprimer un nouvel élan, et de publier de nombreuses ordonnances conformes aux vues du sanguinaire Valdès. La première de ces ordonnances s’efforçait d’augmenter encore le nombre des délateurs, en leur promettant le quart des biens de l’accusé, — s’il était condamné. La seconde portait la peine de mort contre tous vendeurs, acheteurs, ou simplement lecteurs des livres défendus.

On comprend sans peine quelles furent les conséquences inévitables de semblables dispositions chez un peuple déjà démoralisé, qui regardait les auto-dafé comme une fête, et croyait gagner le ciel, mériter les faveurs du Dieu chrétien, en dénonçant quiconque montrait quelque indépendance d’esprit, ou se distinguait par sa science.

Désormais, à côté du fanatisme et de la convoitise des juges, il fallut placer l’avarice des citoyens, qui, pour s’enrichir à bon compte, n’eurent plus qu’à dénoncer leurs ennemis, ou leurs créanciers, sachant bien que tout dénoncé était coupable aux yeux des Inquisiteurs.

Un moment même, les Inquisiteurs, grisés par la faveur dont ils jouissaient, tentèrent de se donner une armée indépendante de l’autorité royale, en créant, sous le nom de Sainte-Marie de l'Épée Blanche, un ordre militaire, dont les membres eussent obéi à l’Inquisiteur général.

Mais Philippe II comprit qu’il allait ainsi se donner des maîtres, et, l’intérêt de son autorité l’emportant sur son fanatisme, il refusa de sanctionner cette mesure.

Cependant la persécution contre les hérétiques, loin de se ralentir, augmentait chaque jour. C’était à qui, du roi ou du pape, faciliterait davantage au Saint-Office l’approvisionnement en chair humaine de ses innombrables bûchers.

Nous avons vu ce que Philippe II avait décrété au sujet des délateurs.

Paul IV, à son tour, autorisa Valdès à livrer au bras séculier tous les luthériens non relaps, qui auraient dogmatisé.

Ainsi l’accusé, même par une conversion sincère, ne pouvait plus échapper à la mort.

Une seconde bulle pontificale révoquait toutes les permissions accordées pour la lecture des livres défendus.

Les confesseurs devaient faire déclarer à leurs pénitents s’ils ne connaissaient personne qui en eût entre les mains, ou qui en eût distribué.

Si un confesseur répugnait à cette violation de la conscience, il devait être puni comme le coupable.

On devine quelle extension nouvelle fut donnée par là aux délations, et de quelle heureuse façon celte bulle permit de multiplier les auto-dafé.

Nous passerons sous silence tout ce qui touche aux poursuites exercées contre les protestants, qui furent la grande occupation de Valdès, — ayant raconté avec quelque détail, dans un chapitre spécial, l’introduction et la destruction du protestantisme en Espagne.

On avait à cette époque poussé si loin l’abus de la torture, que les Inquisiteurs convenaient eux-mêmes que la question amenait de faux aveux, et conduisait ainsi à la mort autant d’innocents que de coupables.

Mais cette horrible conséquence ne les effrayait nullement, car ils pensaient qu’il vaut mieux faire périr cent catholiques irréprochables que de laisser échapper un seul hérétique.

Rien de plus logique que leur raisonnement, de plus conforme au principe chrétien.

Quand un orthodoxe était injustement condamné, sacrifié, qu’arrivait-il ?

Il allait en paradis.

Cette mort n’était donc qu’une délivrance, un bienfait pour lui, — ainsi que l’enseigne la religion, — puisque cette terre n’est qu’une vallée de larmes, et cette vie un temps d’épreuve.

Si un hérétique au contraire eût échappé à la mort, on pouvait craindre qu’il ne corrompît par ses prédications un grand nombre de fidèles. Leur fermant de la sorte les portes du ciel, il les privait de leur part, d’immortalité bienheureuse, de vie céleste, — la seule vraie vie.

L’humanité, bien entendue, au sens religieux et chrétien, voulait donc qu’on fauchât impitoyablement la bonne herbe, s’il le fallait, pour atteindre l’ivraie. — Dieu reconnaîtrait les siens.

On comprend comment avec une pareille foi religieuse des hommes purent se plonger, pendant des siècles, dans un bain de sang, promener les supplices et la désolation parmi vingt peuples, briser tous les liens de la famille, torturer des milliers de malheureux, sans jamais éprouver le moindre remords, ni la moindre hésitation.

L’Évangile interprété par l’Église avait modifié toutes les règles de la morale humaine.

Aussi fallait-il, en vérité, bien peu de chose, en ce temps où dominait l’esprit de la religion, pour attirer les sévérités du saint Tribunal.

Un mot arraché à la colère, à la douleur, une plaisanterie, suffisaient au besoin.

Guillaume Franco de Séville, homme d’une probité reconnue, — et d’un esprit sarcastique, — était marié. Un prêtre séduisit sa femme, et en fit ouvertement sa maîtresse.

Franco, ayant essayé en vain de mettre un terme à cette liaison adultère, se plaignit à quelques amis, et dit un jour, dans une réunion où l’on parlait du purgatoire : Qu'il en avait bien assez de celui qu’il trouvait dans la société de sa femme, et qu'il n’en fallait pas d’autre pour lui.

Cette phrase rapportée aux Inquisiteurs décida de son sort. Arrêté comme suspect de luthéranisme, il fut condamné à une prison perpétuelle.... Ce qui dut faire merveilleusement les affaires de sa femme et du prêtre, son amant.

Vers le même temps, un nommé Antoine Sanchez, convaincu de faux témoignage contre son père, avouait qu'il n’avait dicté sa fausse déposition que dans le but de le faire brûler.

L’Inquisition le condamna.... à recevoir cent coups de fouet.

Les historiens s’indignent.

Pourquoi donc ?

Guillaume Franco avait paru mettre en doute une vérité enseignée par l’Église, au nom de Dieu.

Antoine Sanchez n’avait manqué qu’aux lois de la nature et de l’humanité.

Est-ce que le crime de lèse-humanité pouvait être comparé au crime de lèse-divinité ?

Et, d’ailleurs, on sait qu’aux yeux du Christ, la vraie famille, c’est la communion des fidèles. Les liens méprisables de la chair ne comptent qu’en second lieu.

Notre Père... est aux Cieux.

Il faudrait[1] plusieurs volumes pour faire connaître tous les procès intentés à cette époque. Non-seulement le Saint-Office poursuivait sans relâche les personnes soupçonnées de luthéranisme, mais il avait repris toute sa fureur contre les Juifs et les mahométans. On vit alors ce tribunal, altéré de sang, usurper la connaissance d’un grand nombre de délits qui devaient naturellement être du ressort des juges civils. C’est ainsi que les Inquisiteurs de Saragosse condamnèrent plusieurs personnes à être fouettées et à rester cinq ans aux galères pour avoir fait passer des chevaux en France, ou pour avoir fait la contrebande du soufre, du salpêtre et de la poudre.

Ceux de Valence s’occupaient de punir des individus accusés de pédérastie, et des femmes qui avaient un commerce obscène entre elles, quoique la punition de ces crimes appartînt aux organes des lois civiles.

Parmi les personnes condamnées et punies par l’Inquisition, sous le ministère de Vailles, on trouve :

1° Des geôliers qui furent fouettés et envoyés aux galères pour dix ans, parce qu’ils avaient permis à quelques accusés de communiquer entre eux, et parce qu’ils les avaient traités avec quelque douceur.

2° Des filles publiques, pour avoir dit que la fornication n’était pas un péché mortel.

3° Un fabricant de draps qui fut brûlé pour avoir conspiré contre l’alcade des prisons du Saint-Office.

4° Plusieurs malheureux qui, après être sortis des prisons de l’Inquisition, avaient divulgué les horreurs qui s’y commettaient, tant envers les hommes qu’envers les femmes.

5° Un membre de la municipalité de Séville, pour avoir dit que les sommes immenses employées au reposoir du Jeudi saint auraient pu soulager un grand nombre de familles qui manquaient de pain, et que cet emploi serait plus agréable à Dieu.

Enfin parmi les victimes de cette époque, il faut mentionner des archevêques, des évêques, des chanoines, des prêtres, des moines, des généraux des jésuites, beaucoup de religieuses, une immense quantité de Maures et de Juifs d’Afrique, ramenés en Espagne par l’amour du sol natal, presque tous les hommes instruits qui n’approuvaient pas les rigueurs de l’Inquisition.

Des familles entières périssaient le même jour sur les bûchers.

Au mépris du droit des gens et des traités existants, le Saint-Office arrêtait, jugeait, condamnait à mort, comme luthériens, des négociants anglais, français, génois, venus en Espagne avec de riches cargaisons, dont l’Inquisition s’emparait.

Les choses se passaient de même dans la plupart des pays soumis à la monarchie espagnole, mais, nulle part, il faut le reconnaître, les peuples ne montrèrent la même patience que dans la Péninsule.

Les Flamands se révoltèrent, entreprirent une guerre héroïque contre Philippe II, proclamèrent la République et fondèrent leur indépendance.

L’île de Sardaigne moins heureuse subit le joug de l’Inquisition espagnole, mais les Milanais la repoussèrent comme avaient déjà fait les Napolitains[2].

Quant à l’Amérique, elle avait trois tribunaux du Saint-Office, établis à Lima, Mexico et Carthagène, où l’on célébrait de nombreux auto-dafé, à l’instar de la mère patrie.

Là, c’était surtout de pauvres Indiens qui alimentaient les bûchers, et des millions d’êtres humains périrent en quelques années sous le double despotisme du vice-roi et des prêtres fanatiques.

Mais ce n’était pas encore assez.

Quand les marins s’embarquaient et s’éloignaient des côtes, ils échappaient pour un moment à l’œil vigilant des Inquisiteurs.

Philippe II et Valdès comblèrent cette lacune.

Il y eut une Inquisition ambulante, désignée sous le nom d’Inquisition des flottes et des armées.

Il y eut aussi une Inquisition des douanes, chargée d’empêcher l’introduction des livres, et dont les vexations contribuèrent beaucoup à paralyser le commerce maritime de l’Espagne.

Il n’existe pas dans l’histoire, — sauf pour la Pologne peut-être, — d’exemple d’un peuple plus complètement jugulé, plus complètement privé d’air et de lumière, plus complètement déshérité de tout ce qui constitue la vie matérielle, morale et intellectuelle d’une nation.

 

III

Cependant une corruption profonde avait gangrené le clergé, et la débauche, une débauche particulière, — mêlée de luxure, de mysticisme et d’hypocrisie, — qu’on pourrait appeler la débauche religieuse, prenait dans les couvents un développement si scandaleux, que l’Inquisition dut s’appliquer à la réprimer.

Les lois de la nature méconnues se vengeaient, et l’homme privé de toute activité intellectuelle, de toute idée élevée, de toute morale saine, voyait sa torpeur hantée par les cauchemars de la bestialité.

On étouffa le plus possible ces sortes d’affaires qui venaient trop à l’appui des attaques dirigées par les réformés contre la confession auriculaire, et l’Inquisition procéda avec une grande circonspection.

Nous raconterons un seul de ces procès, — celui fait à un capucin de Carthagène, et qui suffira à donner une idée de l’état des mœurs dans les couvents. On y verra un mélange de stupidité, d’hypocrisie et de sensualité tout à fait concluant.

Ce capucin était le confesseur de toutes les femmes réunies dans une communauté de la ville de Carthagène, au nombre de dix-sept. Il avait su leur inspirer une si grande confiance qu’elles le regardaient comme un saint homme, et comme un oracle du Ciel. Lorsque le dévot personnage vit que sa réputation était suffisamment établie, il profita de ses fréquentes entrevues au confessionnal pour insinuer sa doctrine aux jeunes béguines. Voici le discours qu’il tint à chacune d’elles :

Notre-Seigneur Jésus-Christ a eu la bonté de se laisser voir à moi dans l’hostie consacrée, au moment de l’élévation, et il m’a dit : Presque toutes les âmes que tu diriges dans ce béguinage me sont agréables, parce qu’elles ont un véritable amour pour la vertu, et qu’elles s’efforcent de marcher vers la perfection ; mais surtout une telle — ici le directeur nommait celle à qui il parlait — ; son âme est si parfaite qu’elle a déjà vaincu toutes ses affections terrestres, à l’exception d’une seule : la sensualité, qui la tourmente beaucoup, parce que l’ennemi de la chair est très-puissant sur elle à cause de sa jeunesse, de sa force et des grâces naturelles qui l’excitent vivement au plaisir ; c’est pourquoi, afin de récompenser sa vertu, et pour qu’elle s’unisse parfaitement à mon amour et me serve avec une tranquillité dont elle ne jouit pas et qu’elle mérite cependant par ses vertus, je te charge de lui accorder en mon nom la dispense dont elle a besoin pour son repos, en lui disant qu’elle peut satisfaire sa passion, pourvu que ce soit expressément avec toi, et qu’afin d’éviter tout scandale, elle garde sur ce point le secret le plus rigoureux avec tout le monde sans en parler à personne, pas même à un autre confesseur, parce qu’elle ne péchera point avec la dispense du précepte que je lui accorde à cette condition pour la sainte fin de voir cesser toutes ses inquiétudes, et pour qu’elle fasse tous les jours de nouveaux progrès dans les voies de la sainteté.

Une de ces femmes, âgée de vingt-cinq ans, étant tombée dangereusement malade, demanda un autre confesseur, et après lui avoir fait une révélation entière de ce qui s’était passé, elle s’engagea à tout déclarer au Saint- Office, dans la crainte, comme elle le soupçonnait fortement, que pareille chose ne fût arrivée aux autres femmes de la communauté. Ayant ensuite recouvré sa santé, elle alla se dénoncer à l'Inquisition, et raconta qu’elle avait eu pendant trois ans un commerce criminel avec son confesseur ; qu’elle n’avait jamais pu croire en son âme et conscience que la révélation fut véritable ; mais quelle avait fait semblant d’ajouter foi à ses discours, afin de pouvoir se livrer sans honte à ses désirs.

L’Inquisition s’assura que ce commerce avait eu lieu avec douze autres béates de la même communauté.

Les quatre autres étaient ou très-âgées ou très-laides. On dispersa les religieuses dans plusieurs couvents. — Le capucin ayant manifesté son repentir, ce moine sacrilège, hypocrite, luxurieux, séducteur et parjure, fut condamné à un simple emprisonnement de cinq ans dans un couvent de son ordre.

Que voulez-vous ? — Il avait abusé de la religion, il ne l’avait ni sapée, ni mise en doute.

Valdès s’occupa aussi de compléter et d’unifier les divers règlements de l’Inquisition, et, le 2 novembre 1561, il publia à Madrid un édit composé de 81 articles, qui sont devenus le code définitif de l’Inquisition.

Comme il n’y avait rien d’innové quant à l’esprit, et que nous avons fait connaître précédemment les articles décrétés par Torquemada, nous ne reproduirons pas ceux-ci.

Parmi les personnages illustres persécutés par Valdès, il faut mentionner Barthélemy Garranza, professeur de théologie, l’homme le plus vertueux de l’Espagne. Après plusieurs années et de longues péripéties, son innocence fut reconnue par suite d’un hasard inattendu, qui prouva la mauvaise foi et la jalousie personnelle du grand Inquisiteur dans cette affaire.

Citons encore Barthélemy de Las Casas, évêque de Chioppa, en Amérique, célèbre pour le zèle qu’il déploya en faveur des Indiens persécutés, et enfin saint Ignace de Loyola, Lainez et saint François Borgia, les trois premiers Généraux de la compagnie de Jésus.

Valdès exerça pendant plus de vingt ans les fonctions de défenseur de la foi.

Il fit condamner (en Espagne seulement) dix-neuf mille six cents victimes.

Deux mille quatre cents furent brûlées en personne ; douze cents en effigie ; seize mille périrent en prison ou aux galères après confiscation de leurs biens.

 

 

 



[1] Léonard Gallois.

[2] N’oublions pas de dire que l’Italie était soumise à l’Inquisition romaine, et que les Italiens repoussaient seulement la suprématie et la procédure particulière de l’Inquisition espagnole.