HISTOIRE DE L’INQUISITION

 

CHAPITRE IX.

Des droits et de la conduite de l’Inquisition ancienne envers les hérétiques.

 

 

§ 1er. Des crimes dont elle prenait connaissance[1].

Quoique les papes ne se fussent proposé, en établissant l’Inquisition, que de faire rechercher et punir le crime d’hérésie — dont l’apostasie était regardée comme un cas particulier —, il fut cependant recommandé aux Inquisiteurs, dès l’origine, de poursuivre avec soin les chrétiens qui en étaient simplement soupçonnes, parce que ce moyen était le seul qui pût conduire à la découverte des véritables hérétiques.

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1° Les crimes qui n’avaient aucun rapport avec la croyance ne pouvaient rendre leurs auteurs suspects d’hérésie, et la connaissance en appartenait de droit aux juges ordinaires. Cependant il y en avait plusieurs dont les papes crurent qu’on ne pouvait se rendre coupable sans être imbu d’une mauvaise doctrine ; ainsi les blasphèmes contre Dieu et ses saints. Ils annonçaient, dans ceux qui s’en rendaient coupables, des principes erronés sur la toute-puissance de Dieu, ou sur quelque autre attribut de la Divinité, et, par conséquent, donnaient lieu au soupçon d’hérésie.

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2° Il en était de même pour le sortilège et la divination, et pour les personnes qui s’adressaient aux démons dans leurs pratiques superstitieuses.

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3° La troisième espèce de délit qui faisait soupçonner qu’on était hérétique, était l’invocation des démons.

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4* Rester un an, ou plus longtemps, excommunié, sans solliciter l’absolution ni satisfaire à la pénitence qui avait été imposée, donnait également naissance au soupçon d’hérésie.

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5° Le schisme était le cinquième cas où l’on était suspect d’hérésie.

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6“ L’Inquisition devait aussi procéder contre les recéleurs, fauteurs et adhérents des hérétiques, comme offensant l’Église catholique et fomentant les hérésies, — ce qui les rendait suspects de professer des opinions condamnées et contraires au dogme.

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7° La septième classe de suspects était composée de ceux qui s’opposaient à l’Inquisition, ou qui empêchaient les Inquisiteurs d’exercer leur ministère. La connaissance de ce dernier délit fut attribuée par les papes au tribunal de l’Inquisition , parce qu’ils supposèrent que l’on ne pouvait être bon catholique si l’on mettait obstacle à la découverte de la vérité.

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8° La huitième classe comprenait les seigneurs qui, après avoir été sommés par les officiers de l’Inquisition de promettre avec serment de chasser les hérétiques de leurs domaines, refuseraient de le faire, parce que cette résistance les rendait suspects, et, jusqu’à un certain point, fauteurs d’hérésie.

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9° La neuvième classe des habitants suspects comprenait ceux qui ne consentiraient point à révoquer les statuts et les règlements en vigueur dans les villes, lorsqu’ils seraient contraires aux mesures ordonnées par les Inquisiteurs. Les citoyens alors devaient être considérés comme mettant obstacle à l’action du Saint-Office, et, comme tels, suspects d’hérésie.

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10° Le dixième cas où le même soupçon pouvait être invoqué se présentait lorsque les avocats, les notaires et les autres gens de loi, favorisaient la cause des hérétiques, en les aidant de leurs conseils et par d’autres moyens à échapper aux mains des Inquisiteurs, et lorsqu’ils cachaient des papiers, des procès ou des écritures propres à faire connaître leurs erreurs, le lieu de leur domicile et leur état, ou à servir de quelque autre manière à la découverte des hérésies ; — conduite qu’ils ne pouvaient se permettre sans mériter d’être placés parmi les fauteurs et les défenseurs des hérétiques.

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11° Dans la onzième classe des suspects se trouvaient les personnes qui avaient donné la sépulture ecclésiastique aux hérétiques reconnus publiquement pour tels, d’après leur propre aveu, ou en vertu d’une sentence définitive.

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12° Ceux-là étaient aussi suspects d’errer dans la foi, qui, dans les procès pour cause de doctrine, refusaient de jurer sur quelque point, lorsqu’ils en étaient requis ; cette résistance les faisait regarder comme coupables d’opposition au régime du Saint-Office.

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13° Il faut ranger dans la treizième classe des suspects, les morts qui avaient été dénoncés comme hérétiques ; cette disposition ne pouvait être fondée que sur plusieurs décrétales des papes, qui, pour rendre l’hérésie plus odieuse, avaient ordonné qu’il fût informé contre les morts qui avaient été diffamés, et qu'on exhumât leurs cadavres pour les faire brûler par la main du bourreau ; leurs biens devaient aussi être confisqués et leur mémoire vouée à l’infamie.

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14° Le même soupçon tombait sur les écrits qui renfermaient une doctrine hérétique, ou qui pouvait y conduire, ainsi que sur leurs auteurs.

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15° On traitait aussi comme suspects du crime d’hérésie tous ceux qui, n’étant pas compris dans les classes précédentes, avaient cependant mérité la même qualification, soit par leurs actions, soit parleurs discours et par leurs écrits.

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16° Enfin les Juifs et les Maures étaient aussi considérés comme relevant du Saint-Office, lorsqu’ils engageaient, par leurs paroles ou par leurs écrits, les catholiques à embrasser leur secte.

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Quoiqu’une règle générale soumît à la juridiction des Inquisiteurs les personnes coupables des crimes qui précèdent, il y avait cependant des circonstances où elles en étaient indépendantes : ainsi, le Pape, ses légats, ses nonces, ses officiers et ses familiers en étaient exempts, de manière que, quoiqu’ils fussent dénoncés comme hérétiques formels, l’Inquisiteur n’avait que le droit de recevoir l’instruction secrète, et de l’adresser au pape : la même exemption avait lieu pour les évêques ; mais les rois n'y avaient aucun droit.

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L’Inquisiteur et l’évêque agissaient d’un commun accord ; cependant chacun d eux avait droit de poursuivre seul les accusés ; les mandats d’emprisonnement ne pouvaient être décernés que par tous les deux en même temps ; il en était de même de la torture et de la sentence définitive, pour lesquelles le concours de l’un et de l’autre était indispensable ; lorsqu’ils n’étaient pas d’accord, ils en référaient au pape.

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Les Inquisiteurs pouvaient requérir l’assistance de la justice séculière pour l’exercice de leur autorité, et on ne pouvait la leur refuser sans encourir la peine de l'excommunication.

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L’évêque était obligé de prêter sa prison pour y enfermer ceux qui devaient être mis en jugement ; ce qui n’empêchait pas les Inquisiteurs d’avoir une prison particulière pour s’assurer de la personne des accusés.

Si un procès offrait des doutes et des difficultés sur l’application des canons, des décrétales, des bulles, des brefs apostoliques et des lois civiles, l’Inquisiteur pouvait convoquer une assemblée de jurisconsultes pour prendre leur avis. Lorsque cette mesure avait lieu, il leur communiquait les pièces du procès, tantôt sous forme de copie où l’on avait omis les noms de l’accusé, du dénonciateur et des témoins, ainsi que les circonstances qui auraient pu les faire connaître ; tantôt avec les documents originaux, après leur avoir fait promettre avec serment de garder le secret.

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Les premiers Inquisiteurs ne recevaient aucun salaire fixe, mais bientôt il fut pourvu aux frais de l’Inquisition, soit par la vente, soit avec les revenus des biens confisqués aux condamnés. On y employa aussi le produit des amendes qu’on imposait dans certains cas où la confiscation n’était pas décrétée. Ces ressources étaient l’unique fond sur lequel l’Inquisition pût établir ses dépenses, et elle n’eut jamais de dotation fixe, ni de somme assurée pour cet objet, comme Eymerick et son commentateur Peyna en conviennent[2].

 

§ 2. Manière de procéder dans les tribunaux de l’Inquisition ancienne[3].

Lorsqu’un prêtre était nommé Inquisiteur par le Pape, ou par quelque délégué du Saint-Siège, il l’écrivait au roi ; le prince expédiait une ordonnance royale auxiliaire, qui enjoignait à tous les tribunaux des villes par où l’Inquisiteur devait passer pour y exercer son ministère, de lui fournir tous les secours dont il aurait besoin, sous les peines les plus sévères ; de faire arrêter toutes les personnes qu’il désignerait comme hérétiques et suspectes d'hérésie ; de les envoyer dans les lieux qu'il aurait indiqués, et de leur faire subir les peines qu'il aurait prononcées.

La même ordonnance obligeait les tribunaux ou les magistrats de fournir un logement à l’Inquisiteur, et de lui procurer les commodités nécessaires pour son voyage.

Le commandant de la ville se présentait chez l’envoyé de l’Inquisition, et prêtait serment, entre ses mains, de faire exécuter toutes les lois contre les hérétiques, mais surtout de fournir les moyens nécessaires pour les découvrir et les arrêter. Si cet officier du prince, ou le magistrat, refusait d’obéir, l’Inquisiteur avait recours à l’excommunication, et le déclarait suspendu de l’exercice de ses fonctions, jusqu’à ce que l’anathème eût été levé.

L’Inquisiteur indiquait un jour de fête pour se rendre avec le peuple dans l’église où il devait prêcher, et annoncer aux habitants l’obligation qui leur était imposée de dénoncer les hérétiques, et lire ensuite un édit par lequel il était ordonné, sous peine d'être excommunié, de faire, dans un délai prescrit, les dénonciations commandées. Ensuite il déclarait que les personnes coupables d’hérésie qui se présenteraient d’elles-mêmes, pour s’accuser avant leur mise en jugement et l’expiration du terme de grâce, obtiendraient l’absolution, et n’auraient à subir qu’une légère pénitence canonique ; mais que si elles attendaient qu’on les eût dénoncés, après un délai — qui était ordinairement d’un mois — elles seraient poursuivies suivant toute la rigueur de la justice.

Si, pendant l’intervalle, des dénonciations avaient lieu, elles étaient enregistrées, mais on suspendait les poursuites jusqu’à ce que l’on eût vu si les dénoncés se présentaient de leur propre volonté.

Après le délai accordé, le dénonciateur était mandé pour désigner des témoins, ou fournir les preuves à l’appui de son dire.

Ces préliminaires remplis, on décernait la prise de corps contre l’accusé, qui ignorait absolument qu’il eût été question de lui jusqu’à cet instant.

Il n’y avait pour lui ni privilège, ni asile, quel que fût son rang. — Une fois dans les mains de l’Inquisition, il ne pouvait plus communiquer avec personne.

Malheur à celui qui lui eût témoigné de la pitié, de la sympathie ! — Il devenait suspect.

On plongeait l’accusé dans un horrible cachot.

Pendant ce temps, les officiers de l’Inquisition se transportaient à son domicile, dressaient l’inventaire de tout ce qu’il possédait, et procédaient à la saisie de ses biens quelconques.

Les créanciers perdaient leur créance, sa femme, ses enfants tombaient dans l’abandon, le mépris public, et la misère la plus affreuse.

On vit souvent des femmes honnêtes, des filles du meilleur monde, réduites à se prostituer pour vivre.

Après qu’il avait passé plusieurs mois dans les cachots, les Inquisiteurs faisaient insinuer à l’accusé qu’il eût à demander audience, car c’était une maxime constante de ce tribunal d’exiger que l’accusé fût toujours demandeur.

Arrivé devant ses juges, il était questionné, comme si on ne le connaissait pas, sans lui dire de quoi il était accusé, et on lui tendait tous les pièges imaginables pour l’amener à avouer son hérésie.

Souvent des prisonniers s’accusèrent de délits qu’ils n’avaient point commis, pour échapper aux tortures de la question, et de la prison indéfiniment prolongée.

Des années se passaient avant qu’on lui remît une copie de son procès, et quelle copie ! on le verra plus loin.

On lui donnait alors un avocat, mais l’accusé ne pouvait voir son avocat qu'en présence des Inquisiteurs, et l'avocat ne pouvait lui parler que pour le presser d’avouer son crime[4].

Devant le tribunal, les témoins n’étaient pas obligés de prouver leurs dépositions, et ils n’étaient jamais confrontés ensemble.

Les témoignages des êtres les plus misérables étaient admis, et suffisaient pour envoyer tout accusé au bûcher.

Deux témoins qui déclaraient AVOIR ENTENDU DIRE telle eu telle chose, équivalaient à un témoin qui avait vu ou entendu par lui-même.

Cela suffisait, on donnait la question à l’accusé.

On ne repoussait le témoignage, ni des délateurs eux-mêmes, ni du domestique contre son maître, ni de la femme contre le mari, ni du mari contre la femme, ni du fils contre le père, ni des parents contre leurs enfants.

L’accusé ne pouvait récuser un témoin que pour cause de l’inimitié la plus violente ; mais, comme l’accusé ignorait toujours le nom de ses accusateurs, ce droit de récusation était parfaitement illusoire.

On lui demandait s’il avait des ennemis. Il les nommait au hasard, et il se trompait presque toujours.

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Si l’accusé poursuivi, arrêté, s’avouait coupable d’une hérésie, on lui demandait s’il était disposé à faire abjuration de l’hérésie dont il se reconnaissait coupable. S’il y consentait, il était réconcilié, et on lui imposait la pénitence canonique avec quelque autre peine ; dans le cas contraire, il était déclaré hérétique obstiné, et on le livrait à la justice séculière, avec la copie de son jugement.

Si l’accusé niait les charges et entreprenait de se défendre, on lui remettait une copie du procès ; mais cette pièce était incomplète : on y avait omis les noms des délateurs et des témoins, ainsi que les circonstances qui pouvaient les lui faire découvrir.

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Il était permis à l’accusé d’en appeler devant le Pape des actes du tribunal et des mesures prises par l’Inquisiteur. Celui-ci admettait ou rejetait les appels, en se conformant pour cela aux règles de droit. Mais cet appel ne l’avançait à rien, caries Inquisiteurs ayant la faculté d’aller à Rome, pour y faire l’apologie de leur conduite, obtenaient presque toujours gain de cause.

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Il n’y avait pas, devant l’Inquisition, de procédure régulière, et les juges ne fixaient pas de terme pour établir la preuve des faits énoncés. Après la réponse et les défenses de l’accusé, il était procédé au jugement, sans délai et sans autre formalité, par l’Inquisiteur et l’évêque diocésain, ou par quelqu’un de leurs délégués. Si l’accusé niait les charges, quoiqu’il fût convaincu ou fortement compromis, on lui faisait subir la question, afin d’en obtenir l’aveu de son crime. Mais si on ne croyait pas qu’il y eût des raisons pour l’ordonner, les juges prononçaient la sentence définitive d’après les motifs du procès.

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Comme on voulait proportionner les peines à la gravité du soupçon, on divisa celui-ci en trois degrés, qui furent caractérisés par les noms de léger, de grave, et de violent. En conséquence, le jugement portait que le condamné était coupable de s’être conduit d’une manière répréhensible sur le fait de la religion, en donnant lieu d’être justement regardé comme hérétique ou suspect de ce crime, jusqu’à tel ou tel point.

L’accusé déclaré suspect, quoiqu’il ne le fût qu’au moindre degré, était interpellé de répondre s’il consentait à abjurer toutes les hérésies, et en particulier celle don il était soupçonné ; s’il répondait affirmativement, on levait l’anathème, et on le réconciliait, en lui imposant des peines et des pénitences ; s’il refusait de s’engager à une rétractation, il était excommunié ; et si, au bout d’un an, il n’avait encore ni demandé l’absolution, ni promis d’abjurer, il était considéré comme hérétique obstiné, et on le traitait comme tel.

Le tribunal ayant reconnu que le dénoncé était hérétique formel, prêt à abjurer, et nullement coupable du crime de relaps, on lui accordait la réconciliation, en lui imposant des peines et des pénitences. On regardait comme relaps celui qui avait été déjà condamné comme hérétique formel, ou comme violemment suspect des mêmes erreurs. Quoiqu’il ne fût point dans cette condition, s’il refusait d'abjurer, il était livré à la justice séculière, non-seulement lorsqu’il s’avouait lui-même pour hérétique formel, ou lorsque ce crime lui était justement imputé d’après des preuves positives malgré ses dénégations, mais encore lorsqu’il était simplement atteint du soupçon de la troisième espècesoupçon violent.

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Si l’accusé était repentant, et demandait à être réconcilié, mais se trouvait dans la classe des relaps, il devait être relaxé à la disposition de la justice séculière, c’est-à- dire envoyé à la mort. L’Inquisition ne pardonnait jamais deux fois ; alors l’Inquisiteur, après avoir prononcé le jugement de l’accusé, engageait quelques prêtres qui eussent sa confiance, à l’avertir de la situation où il se trouvait, et à le pousser à solliciter de l’Inquisiteur la grâce d’être admis au sacrement de la pénitence et à la communion. Ensuite, l’auto-dafé était annoncé dans la contrée, et célébré au milieu de la place publique.

Sur l’échafaud, on lisait la sentence en vertu de laquelle le condamné allait être livré au bras séculier, et dont la dernière disposition était une prière aux juges de le traiter avec humanité. Il leur était ensuite livré, après avoir été dégradé par l’évêque, s’il était prêtre.

Lorsque l’accusé était hérétique impénitent, non relaps, il était condamné à la relaxation, c’est-à-dire à la mort, mais on ne le menait au supplice qu’après avoir travaillé pendant longtemps à le convertir et à le ramener à l’unité catholique. On permettait, on faisait même en sorte, que ses parents, ses amis, ses compatriotes, les ecclésiastiques et tous les gens connus par leurs lumières, fussent admis dans la prison pour s’entretenir avec lui.

L’évêque lui-même et l’Inquisiteur se rendaient auprès de l’accusé, et l’exhortaient à rentrer dans le sein de l’Église. Quoiqu’il témoignât dans son obstination le plus grand désir d’être promptement brûlé — ce qui arrivait fréquemment parce que ces hommes se croyaient martyrs et en montraient la fermeté —, l’Inquisiteur n’y consentait jamais ; il redoublait, au contraire, de bonté et de douceur, éloignait tout ce qui pouvait lui inspirer de l'effroi, et s'efforçait de lui faire croire qu'en se convertissant il éviterait la mort, pourvu qu’il ne fût point relaps.

Ces mesures n’empêchaient pas que l'auto-dafé ne fût annoncé dans tous les environs, afin que les habitants accourussent pour y assister. Si la conversion n’avait pas lieu, on dressait l’échafaud sur la place ; le greffier lisait devant le peuple assemblé l’exposé des griefs et le jugement du condamné ; l’Inquisiteur prêchait ensuite ; et, son sermon étant fini, le condamné était remis entre les mains de la justice du roi, qui le faisait conduire au bûcher, où il périssait au milieu des flammes.

Lorsque le malheureux hérétique était relaps, c’était en vain qu’il annonçait la résolution de revenir à la foi ; il lui était impossible d'éviter la peine de mort ; la seule grâce qu’on lui faisait, était de lui épargner les tourments du bûcher : après avoir été confessé et communié, il était étranglé par la main du bourreau, et jeté au feu après sa mort.

 

§ 3. De la nature des peines et des pénitences qui étaient imposées par l’Inquisition ancienne.

Le tribunal de l’Inquisition déléguée, étant ecclésiastique, ne pouvait par lui-même décerner que les peines spirituelles de l’excommunication, de la dégradation, de la suspension, de la déposition, etc., à l’égard des personnes ; et celles de l’interdit et de la cessation de l’office divin contre les villes et les villages. Mais les lois des empereurs chrétiens du quatrième siècle et des siècles suivants, et les opinions qui s’établirent pendant et après le huitième, furent cause que les Inquisiteurs du treizième siècle se crurent en droit d’imposer des peines purement temporelles, excepté la peine de mort. Encore peut-on observer que s'il ne fut pas en leur pouvoir de la prononcer, ils établirent au moins par une sorte de compensation la torture et la relaxation, bien sûrs que le juge séculier ne pourrait se dispenser d’envoyer le relaxé au dernier supplice, puisque, d’après une loi du souverain, il n’avait besoin pour prononcer son arrêt de mort que de l’extrait de la sentence des Inquisiteurs, qui lui livraient le coupable comme hérétique.

On doit être surpris de voir les Inquisiteurs insérer, à la fin de leurs sentences, la formule où le juge est prié de ne point appliquer à l’hérétique la peine capitale, tandis qu'il est prouvé par plusieurs exemples, que si, pour se conformer aux prières de l'Inquisiteur, il n’ envoyait pas le coupable au supplice, il était mis lui-même en jugement, comme suspect d’hérésie, d’après une disposition de l’article IX du règlement portant que le soupçon résultait naturellement de la négligence du juge à faire exécuter les lois civiles portées contre les hérétiques, quoiqu’il s’y fût engagé par serment. Cette prière n’était donc qu’une vaine formalité dictée par l’hypocrisie, et qui seule eût été capable de déshonorer le tribunal du Saint-Office.

Les sentences prononcées par les Inquisiteurs imposaient aux coupables des amendes et des peines personnelles qui variaient suivant les circonstances et la nature des procès : telles étaient la confiscation entière ou partielle des biens ; la prison perpétuelle ou limitée ; l’exil ou la déportation ; l’infamie ; la perte des emplois, des honneurs et des dignités, et la privation du droit d'y prétendre ; enfin, toutes celles qui étaient établies par les décrets du Saint-Siège et des conciles, ou par les lois civiles.

Les coupables qui abjuraient, comme gravement suspects d’hérésie, n’étaient jamais condamnés à la prison perpétuelle ; la durée de cette peine était limitée, et les faits qu’on leur avait imputés devaient être graves et nombreux.

Si le soupçon avait été violent, l’accusé était condamné à la prison pour le reste de ses jours, ou, au moins, pour un temps considérable ; cependant, les Inquisiteurs pouvaient en abréger la durée, lorsque l’expérience leur permettait de croire que le prisonnier était animé d’un véritable repentir.

Parmi les peines que l’on faisait subir au condamné, il faut compter celle de porter l’habit de pénitent, connu en Espagne sous le nom de san benito.

Pour l’édification du lecteur, je joindrai ici la pièce suivante.

Elle émane de saint Dominique lui-même, et remonte à la deuxième année de l’Inquisition.

Elle nous apprend dans le plus grand détail quelle était la nature des pénitences imposées aux réconciliés :

A tous les fidèles chrétiens qui auront connaissance des présentes lettres, frère Dominique, chanoine d’Osma, le moindre des Prêcheurs, salut en Jésus-Christ

 En vertu de l’autorité du Saint-Siège apostolique — que nous sommes chargé de représenter —, nous avons réconcilié le porteur de ces lettres, Ponce Roger, qui a quitté, par la grâce de Dieu, la secte des hérétiques ; et lui avons ordonné — après qu’il nous eut promis avec serment d’exécuter nos ordres — de se laisser conduire, trois dimanches de suite, dépouillé de ses habits, par un prêtre qui le frappera de verges, depuis la porte de la ville jusqu’à celle de l’église. Nous lui imposons également pour pénitence de ne manger ni viande, ni œufs, ni fromage, ni aucun autre aliment tiré du règne animal, et cela pendant toute sa vie entière, excepté les jours de Pâques, de la Pentecôte et de la Nativité de Notre-Seigneur, auxquels jours nous lui ordonnons d’en manger, en signe d’aversion pour son ancienne hérésie ; de faire trois carêmes par an, sans manger de poisson pendant ce temps-là ; de jeûner en s’abstenant de poisson, d’huile et de vin, trois jours par semaine, pendant toute sa vie, si ce n’est pour cause de maladie ou des travaux forcés de la saison ; de porter un habit religieux, tant pour la forme que pour la couleur, avec deux petites croix cousues de chaque côté de la poitrine ; d’entendre la messe tous les jours, s’il en a la facilité, et d’assister aux vêpres les dimanches et fêtes ; de réciter exactement l’office du jour et de la nuit, et le Pater sept fois dans le jour, dix fois le soir et vingt fois à minuit ; de vivre chastement et de faire voir la présente lettre une fois par mois au curé du lieu de Géreri, sa paroisse, auquel nous ordonnons de veiller sur la conduite de Roger, qui devra accomplir fidèlement tout ce qui lui est commandé, jusqu’à ce que le seigneur légat nous ait fait connaître sa volonté : et si ledit Ponce y manque, nous ordonnons qu’il soit regardé comme parjure, hérétique et excommunié, et qu'il soit éloigné de la société des fidèles, etc.

 

Pour les suspects, la peine, à peu près la même, durait trois, cinq ou sept ans. Pendant ce temps, le jour de la Toussaint, à Noël, à l’Épiphanie, à la Chandeleur, ainsi que tous les dimanches de Carême, le réconcilié devait se rendre à la cathédrale, en chemise, pieds nus, les bras en croix, pour y être fouetté par l'évêque ou le curé, excepté le dimanche des Rameaux.

Pendant tout le temps du carême, il se présentait dans le même costume, à l’église, d'où on le chassait, et il devait se tenir à la porte pour assister aux offices.

Il portait sur ses vêtements deux croix d’une couleur différente de celle de l’habit.

 

 

 



[1] J’emprunte tous les détails qui vont suivre à Llorente, qui a pu compulser les archives de l’Inquisition, et prendre connaissance de toutes les pièces originales.

[2] Tous ces détails sont extraits du Guide de l’Inquisiteur, par Nicolas Eymerick, grand Inquisiteur.

[3] Ces règles furent établies définitivement dans le concile tenu à Tarragone, en 1242.

[4] Léonard Gallois, jusqu’à la fin du chapitre.