LES ORIGINES GAULOISES

 

L’EMPIRE CELTIQUE AU IVe SIÈCLE AVANT NOTRE ÈRE.

par H. d’Arbois de Jubainville

 

 

§ 1. Étude sur les principaux textes historiques relatifs au développement du domaine géographique de la race celtique avant la décadence de la puissance militaire de cette race au IIIe s. av. J.-C.

Si l’on s’en rapporte à l’ouvrage si connu qui est le principal titre littéraire d’Amédée Thierry, les populations celtiques de la Gaule se divisent en deux groupes : l’un, les Celtes proprement dits ou Galls, serait venu s’établir dans les régions situées à l’ouest du Rhin, entre les années 1600 et 1500 avant notre ère ; l’autre, les Kimri ou Belges, y serait arrivé entre les années 631 et 587. Ces dates ont été puisées par l’auteur dans son imagination. C’est aussi son imagination qui, transportant dans l’antiquité le nom que se donnaient les Gallois du moyen âge, lui a fait associer aux Belges les Kimri, et confondre par suite les Belges avec les Cimmériens et les Cimbres, les uns probablement Thraces, les autres certainement Germains.

La plus ancienne mention de la race celtique que nous trouvions chez les auteurs de l’antiquité date de l’an 500 ou environ avant notre ère ; elle est par conséquent postérieure de onze siècles à la date à laquelle Amédée Thierry fait commencer son récit. L’auteur de cette mention est Hécatée de Milet. Hécatée de Milet est célèbre par le conseil qu’il donna à ses compatriotes de ne pas faire la guerre au roi des Perses[1]. C’était en l’année 500 avant notre ère. Pendant les années précédentes, de l’an 513 à l’an 501 environ, il avait parcouru la plus grande partie du monde connu des anciens ; il résuma dans un ouvrage, aujourd’hui perdu, mais dont on nous a conservé des fragments, les notions qu’il avait acquises dans ses savantes pérégrinations. Cet ouvrage était intitulé Περίοδος γής qu’on peut traduire Voyage autour du Monde. Il paraît avoir été écrit entre les années 506 et 478 avant notre ère[2]. Dans les débris qui nous en sont restés, il est question deux fois des Celtes. Le plus important de ces passages nous apprend que Marseille est une ville de la Ligystique, c’est-à-dire du pays des Ligures, dans le voisinage de la Celtique. Le pays des Ligures, à cette époque reculée, renferme, outre l’Italie du nord-ouest, le bassin du Rhône, probablement à peu prés tout entier, et en dehors de ce bassin une portion de la Gaule, dont on ne peut déterminer l’étendue. Un siècle et demi plus tard, au temps d’Alexandre le Grand, dans la seconde moitié du IVe siècle, la perte du Rhône, prés de Bellegarde, était encore comprise dans le domaine des Ligures[3], et le long des côtes de la Méditerranée, on trouvait aussi les Ligures sur les deux rives du même fleuve[4]. Cependant, au temps d’Alexandre, l’empire celtique, très vaste déjà, est sur le point d’atteindre son plus grand développement, aux dépens de peuples divers dont les Ligures sont un des plus importants. Car la Ligystique ou Ligurie d’Hécatée est bien plus étendue à l’ouest et au nord que la Ligurie du temps de l’empire romain, c’est-à-dire que la neuvième région de l’Italie, située entre le golfe de Gênes au sud et le Pô au nord, le Var à l’ouest et le Macra à l’est[5]. Si l’on en croit un compilateur qui, au IVe siècle de notre ère, résumait des documents du Ve siècle avant J.-C., les limites de la Ligurie, à l’époque la plus reculée à laquelle ces documents puissent atteindre, auraient englobé au nord-ouest des Alpes une région beaucoup plus vaste que le bassin du Rhône, elles auraient atteint l’Océan Atlantique[6], elles auraient compris par conséquent une partie considérable de la contrée que nous désignons par le nom de Gaule ; et nous ne pouvons démontrer que les Celtes eussent pénétré dans cette contrée à la date où Hécatée écrivait, l’an 500 ou environ avant J.-C. Notre incertitude disparaît un demi-siècle plus tard. Hérodote nous l’enlève dans le second livre de ses histoires, écrit entre les années 445 et 443 av. J.-C. De son temps, le Danube prenait sa source chez les Celtes, alors le peuple le plus occidental de l’Europe ; et l’empire celtique, pénétrant jusqu’en Espagne, comprenant par conséquent au nord des Ligures la portion la plus grande de ce qui fut plus tard la Gaule romaine, touchait les Cynesii, appelés ailleurs par Hérodote les Cynètes, qui sont les habitants de la province moderne des Algarves[7], en Portugal. Cette formule, que les Celtes sont le peuple chez lequel le Danube prend naissance, qu’ils habitent à l’extrême occident et qu’ils sont les voisins des Cynétes, exprime aux yeux d’Hérodote une doctrine courante, il la répète dans son quatrième livre écrit entre les années 443 et 431[8]. Mais, avant l’apparition de cette formule, toute preuve historique nous manque de la présence des Celtes en Gaule, et l’apparition de cette formule est postérieure au milieu du Ve siècle avant J.-C.[9] Probablement l’empire celtique, quelque temps avant Hérodote, était encore une région de peu d’étendue, au nord des Alpes, dans le pays qui forma plus tard le Norique, la Vindélicie et les agri decumates : le Danube prend sa source à la frontière occidentale de la Vindélicie.

C’est probablement la monarchie qui donna aux Celtes l’unité militaire que la Grèce dut à Philippe et à son fils Alexandre ; une tradition, recueillie par Tite-Live, nous apprend le nom d’un des grands rois dont le génie fit acquérir aux Celtes une puissance qui, pendant plus d’un siècle, fut la première de l’Europe : il s’appelait Ambigatos. Il est postérieur à Hérodote ; quand il monta sur le trône, vers l’an 400 ou environ avant notre ère, les Celtes étaient déjà maîtres de la Gaule septentrionale et occidentale ; déjà ils occupaient une partie de l’Espagne, où ils dominaient[10] ; Ambigatos ajouta de nouvelles conquêtes aux précédentes ; une de ses armées s’empara de l’Italie du nord, elle pénétra jusqu’à Rome ; une autre soumit à son joug une portion du pays qu’après la chute de l’empire gaulois les Romains appelèrent Germanie, elle conquit les contrées montagneuses qui forment aujourd’hui la Bohême et le centre de l’Allemagne[11]. Ambigatos dut à ses succès le surnom de tout-puissant, Biturix, confondu plus tard avec un nom de peuple de la Gaule au Ier siècle avant notre ère. Il régnait vers l’année 400. L’unité monarchique semble avoir assuré le maintien et le développement pour ainsi dire irrésistible de la puissance celtique jusque vers le commencement du IIIe s. avant notre ère. C’est en l’année 283 que nous voyons pour la première fois les limites du territoire celtique reculer devant les agrandissements de la puissance romaine ; dans le territoire des Sénons d’Italie une colonie romaine est fondée. Dans le siècle précédent, les Celtes s’étaient emparés de la Pannonie et leurs victoires sur les Illyriens avaient fait d’eux les voisins de la Thrace et des États de Philippe, roi de Macédoine, puis d’Alexandre le Grand[12]. Au commencement du IIIe siècle, l’empire celtique ou gaulois s’étendait de la Thrace à l’Océan Atlantique, comprenait la plus grande partie de l’Espagne[13], une grande partie de la Gaule au nord des Cévennes et du bassin du Rhône, une portion considérable, sinon la totalité de la Germanie, le bassin du Danube, sauf sa portion la plus orientale, et presque toute l’Italie du nord. Qu’aurait été, en 283, la puissance romaine en face d’un empire aussi vaste, si l’unité celtique n’eût déjà été désagrégée ? De cette absence d’unité, on eut la preuve quelques années après, quand les conquêtes celtiques, se poursuivant à l’Orient sur les ruines de l’empire d’Alexandre, eurent pour résultat la création d’États indépendants en Thrace et dans la portion de l’Asie Mineure, qui prit dés lors le nom de Galatie. Ainsi, de l’an 445 environ à l’an 300, nous voyons se développer devant nous un empire gaulois, unitaire et monarchique, qui, vers l’année 300, perd cette unité et se dissout, comme l’empire d’Alexandre, en un certain nombre d’États indépendants ; ses développements orientaux, résultat de vieilles mœurs guerrières, donnent un dernier éclat à un édifice qui s’écroule de toutes parts. La conquête du territoire des Sénons d’Italie par les Romains reste sans vengeance ; la domination celtique en Espagne fait place à celle des Carthaginois[14]. Les Germains se soulèvent ; les Grecs, vaincus et terrifiés, reprennent courage ; les Romains continuent leurs conquêtes, et pour les Celtes, habitués à la victoire, les revers succèdent aux revers ; mais leur résistance n’a pas encore perdu son dernier asile.

Parmi les faits importants qui ont signalé le début de cette décadence, un des moins connus est la révolte des Germains. La domination gauloise en Germanie, pendant la période où la race celtique exerça la plus grande puissance sur le continent, c’est-à-dire pendant le IVe siècle avant notre ère, ne peut être contestée ; elle explique la confusion faits jusqu’à César entre les Gaulois et les Germains par les auteurs grecs et romains ; elle fait comprendre le maintien traditionnel de cette confusion chez plusieurs écrivains, conservateurs d’habitudes devenues classiques, et qui refusaient d’admettre dans leur langue l’expression des découvertes ethnographiques dues au génie administratif des Romains. On sait que les Grecs se sont servis exclusivement du mot Κελτός, Celte, pour désigner la race celtique jusqu’à l’invasion qui commença en l’année 281. De cette invasion date le mot Γαλάτης, Galate, dès lors synonyme du substantif Κελτός, Celte, et que les écrivains grecs emploient concurremment avec lui pour exprimer la même idée. Or, pour Diodore de Sicile, qui écrit comme on le sait peu après la mort de César, les Germains, vaincus par César dans son expédition au delà du Rhin, en l’année 55, sont des Galates[15]. Non seulement Dion Cassius donne le nom de Κελτός, Celte, aux Gaulois cisalpins, en guerre avec les Romains au IVe siècle avant notre ère[16], mais il l’attribue systématiquement aux populations qu’avec César nous appelons germaniques et qui interviennent dans son récit à partir de l’an 55 avant notre ère. Les Tenctères et les Usipètes, Germains, comme nous le savons, sont suivant lui des peuples celtiques, et le Rhin sépare de la Galatie ou Gaule les Celtes[17]. Il parle ailleurs des Celtes qu’on appelle Germains et qui, ayant occupé la Celtique voisine du Rhin, lui ont fait donner le nom de Germanie[18]. Dion Cassius écrivait au IIIe siècle de notre ère, entre les années 211 et 222 environ. Pour bien comprendre sa doctrine, il peut être utile de voir comment s’exprime sur le même sujet deux siècles plus tôt le célèbre érudit grec Denys d’Halicarnasse. Cet auteur appelle celtique le pays d’où sont venus au commencement du IVe siècle les Gaulois qui ont pris Rome[19], et il dit plus loin qu’au temps où il écrit, la Celtique est délimitée par les Alpes, par les Pyrénées, par l’Océan, par la région qu’habitent les Scythes et les Thraces et par la mer Pontique, que nous appelons aujourd’hui mer Noire. C’est, ajoute-t-il, à peu près le quart de l’Europe. La Celtique, continue-t-il, est divisée en deux parties égales par le Rhin ; la portion orientale s’appelle Germanie, et la portion occidentale Galatie[20]. Nous citerons encore un passage de Cicéron. Une des reliques précieuses qui rappelait à l’orgueil romain le triomphe de Marius sur les Cimbres était un bouclier, scutum cimbricum. Sur ce bouclier était peint un guerrier faisant la grimace et tirant la langue pour narguer l’ennemi. Or, qu’était ce guerrier ? un Germain ? non ; un Gaulois, dit Cicéron : Gallus, équivalent latin du grec Κελτός, Celte. Ainsi, les Cimbres sont encore des Gaulois pour Cicéron quand il écrit son De oratore l’an 55 avant notre ère[21], l’année même où César jeta un pont sur le Rhin et où, pour la première fois, les armées romaines pénétrèrent en Germanie. La même erreur est reproduite par Salluste environ quinze ans plus tard[22]. A cette époque, on ne savait pas bien encore à Rome qu’il existât, au nord-est des contrées occupées par les Celtes ou Gaulois, une autre race, obscure jusque-là, celle des Germains, à laquelle appartenaient les Cimbres, comme le reconnut plus tard Auguste dans la célèbre inscription d’Ancyre, comme le répètent Tacite et Pline[23].

C’est que, si la race germanique est ancienne, si elle remonte à la même antiquité que les autres grandes familles de souche indo-européenne, comme les Grecs ou les Celtes, son indépendance, au il, siècle avant notre ère, était un phénomène relativement nouveau, accompli depuis les grands travaux historiques et géographiques des Grecs du Ve et du IVe siècle, depuis la dislocation de ce vaste empire celtique qui, suivant Ephore, contemporain d’Alexandre le Grand, constitue une des quatre grandes sections du monde barbare, vis-à-vis l’Inde, entre l’Ethiopie et la Scythie[24].

Ce fut probablement au IIIe siècle que les Germains secouèrent le joug ; mais les Gaulois ou Celtes occupèrent longtemps encore une portion notable des contrées qui depuis se sont appelées Germanie, et qui sont situées au nord du haut Danube, à l’est du Rhin. Quand Tacite écrivit sa Germania, à la fin du Ier siècle de notre ère, on conservait encore la mémoire d’un temps où les Helvètes habitaient entre le Rhin au sud-ouest et le Main au nord, c’est-à-dire dans le grand-duché de Bade, le Wurtemberg et une partie de la Bavière septentrionale[25], et où le domaine des Boïes, dont Bologne en Italie fut une colonie[26], comprenait, non seulement une partie du Norique et de la Pannonie[27], c’est-à-dire la Bavière orientale, l’Autriche et le nord-ouest de la Hongrie, mais aussi le bassin du haut Elbe ; la Bohême porte encore leur nom[28]. Ils en restaient maîtres vers la fin du IIe siècle avant notre ère, quand eut lieu l’invasion des Cimbres[29]. César raconte que de son temps, au milieu du Ier siècle avant J.-C., un rameau d’un peuple gaulois, les Volcae étaient toujours établis au centre de la Germanie, dans une de ses régions les plus fertiles, et s’y maintenaient indépendants par la puissance de leurs armes[30], tandis qu’un siècle et demi plus tard les Cotini, dernier peuple gaulois qui, en Germanie, ait conservé un débris d’indépendance, sont réduits à exploiter le minerai de fer des montagnes sauvages et incultes de la Silésie, dernier asile de l’ombre de liberté qu’ils conservent en payant tribut à leurs voisins, alors leurs maîtres, autrefois leurs sujets[31].

 

§ 2. La domination celtique en Germanie attestée par les noms géographiques gaulois qui persistent en Germanie au IIe siècle de notre ère.

Les monuments de la domination gauloise en Germanie sont de deux sortes : les uns appartiennent à la nomenclature géographique la plus ancienne de cette contrée, telle que nous la fait connaître principalement Ptolémée, dans la première moitié du IIe siècle de notre ère ; les autres consistent en certains mots du vocabulaire des langues germaniques. Nous commencerons par la nomenclature géographique. Il n’y a pas à insister beaucoup sur les noms celtiques ou gaulois, par exemple : 1e de la grande chaîne de montagnes qui forme d’abord entre la Méditerranée et l’Océan la ligne de partage des eaux, ensuite la limite septentrionale de la Bohême : Αρxύνια όρη, chez Aristote[32], Hercynia chez César[33] ; 2e des montagnes qui délimitent la Bohême au sud-ouest et qu’on appelle aujourd’hui Bœhmer Wald, forêt Gabreta, au Ier et au IIe siècle après J.-C.[34] Le plus intéressant, ce sont les noms celtiques d’une partie des villes de Germanie, dont Ptolémée nous donne la liste au lie siècle de notre ère. Au moment où ce géographe tient la plume, il y a longtemps que les Gaulois ne dominent plus en Germanie ; depuis trois siècles, leur suprématie n’y est plus qu’un souvenir, et il y a déjà quatre siècles que leur empire a commencé à s’écrouler. Mais plusieurs des villes fondées par eux conservent encore le nom qu’ils leur ont donné. En effet, les Gaulois ou Celtes n’étaient pas, comme certains historiens ont l’air de le croire, un peuple instable et vagabond, changeant sans cesse ses résidences, comme les sujets de son orgueil. Ce peuple était à la fois conquérant et colonisateur ; il a fondé non seulement Paris et Londres, mais Vienne, en Autriche. L’Italie lui doit une de ses capitales, Milan ; et il a donné aux Serbes leur capitale, Belgrade, l’antique Singidunum. En Germanie, l’établissement des Celtes a eu le même caractère de stabilité que dans le reste de leur empire. Les villes de Germanie, dont le nom, au temps de Ptolémée, rappelait leur souvenir, étaient situées, les unes dans la région orientale voisine de la Sarmatie, les autres dans la région occidentale voisine de la Gaule romaine. A la première région appartenait Eburodunum[35], aujourd’hui Brünn ou Hradisch en Moravie, dans le bassin de la March, affluent de gauche du moyen Danube ; Carrodunum, aujourd’hui Zarnowice, sur la Pilca, dans la Pologne russe, ou Cracovie dans la Pologne autrichienne[36], tous deux dans le bassin de la Vistule ; Melio-dunum, dans les environs de Troppau, Silésie autrichienne[37] ; Budo-rigum[38] et Lugi-dunum[39], tous les deux dans la Silésie prussienne, l’un à Ratibor ou aux environs, l’autre probablement identique à Liegnitz ; ces trois dernières localités sont situées dans le bassin de l’Oder, et la troisième paraît avoir été un peu au nord-ouest de Breslau. Comme Eburodunum, elles appartiennent à la portion de la Celtique qui, suivant Ephore au IVe siècle avant notre ère, et Denys d’Halicarnasse au Ier, est voisine des Scythes. Passons maintenant à la région qui se rapproche de la rive droite du Rhin. Nous commencerons par le nord. Entre le Rhin et le Weser, Ptolémée nous fait connaître un nom de ville incontestablement celtique. C’est celui de Medio-lanium, aujourd’hui Meteln-ander-Vecht en Westphalie, près de Munster[40]. On peut en rapprocher le nom du saltus teuto-burgiensis dans la même région ; il est mentionné par Tacite dans le récit d’événements qui se rapportent à l’an 15 de notre ère[41]. Ce nom suppose un nom de forteresse, Teuto-burgium, qui est hybride : le second élément est le germanique burgis, château fort, dont la forme gauloise est briga, mais le premier terme est celtique ; en germanique, il faudrait theudo-, ou deudo- comme Strabon a écrit dans le composé Deudo-rix, nom d’un chef Sugambre[42]. La vallée du Mein nous offre sur la rive droite de cette rivière Loco-ritum, aujourd’hui suivant les uns Lohr, suivant les autres Gemünden en Bavière[43], Sego-dunum, qui paraît être Augsbourg[44] ; Devona, aujourd’hui Schweinfurt, en Bavière comme les villes précédentes[45]. Sur la rive gauche du moyen Danube, Anavum, en Hongrie, entre Comorn et Pesth, porte aussi un nom celtique[46]. Un nom celtique est encore celui de Taro-dunum, dans l’angle formé par la rive droite du Rhin, au nord de la Suisse[47]. On croit retrouver cette ville dans Mark-Zarten, près de Fribourg-en-Brisgau, grand-duché de Bade. Les Germains conquérants ont remplacé par des noms nouveaux ceux de la plupart de ces villes, mais deux des noms actuels ne sont que les noms anciens déformés par l’application des lois de la langue des vainqueurs. Meteln n’est autre chose que Mediolanum prononcé à l’allemande ; il y a entre Tarodunum et Zarten la même relation. La forme actuelle des noms que portent aujourd’hui un affluent du Main et trois affluents du Danube offre le même rapport avec la forme primitive à laquelle ces noms remontent. Le Tauber, petite rivière qui, après avoir traversé une partie de la Bavière, du Wurtemberg et du grand-duché de Bade, vient se jeter dans le Main, s’appelle Dubra, chez le géographe de Ravenne[48], et l’on reconnaît dans ce nom un mot celtique qui veut dire eau[49]. Le Danube a, en Bavière, trois affluents de gauche, qui s’appellent aujourd’hui Laber, on écrivait au moyen âge Labara ; c’est un mot gaulois dont le sens est qui parle, ou si l’on veut qui murmure, et les Gaulois, qui ont laissé en Allemagne ce monument de leur langue, avaient porté aussi ce mot en Italie, comme l’atteste, au Ier siècle de notre ère, Silius Italicus[50].

 

3. Les lois grammaticales du celtique établissent qu’il est proche parent du latin et parent fort éloigné du germanique.

La seule partie de la Germanie où la nomenclature géographique, soit du temps de l’empire romain, soit moderne, n’offre pas trace de langue celtique est la région du nord-est, qui commence au Weser, comprend les bassins du bas Elbe et du bas Oder, et a pour limite à l’orient la basse Vistule. Un certain nombre de savants croient que cette région était, au Ive siècle, le refuge de l’indépendance germanique. Elle avait sur la mer du Nord une certaine étendue de côtes que, dans la seconde moitié de ce siècle, Pythéas visita et qu’il considérait comme une partie de la Scythie[51]. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que les langues germaniques portent toutes, dans leur vocabulaire, la trace d’une période historique où les Germains et les Celtes constituaient la même société politique et où, dans cette civilisation barbare, pour employer la langue des Grecs et des Romains, les Celtes dominaient les Germains asservis[52].

Pour bien comprendre ce que nous voulons dire, il faut d’abord considérer les faits qui établissent l’intime parenté du celtique avec le latin, et qui séparent le celtique du germanique. Ces faits consistent dans certaines lois grammaticales que le celtique possède en commun, tantôt avec le latin et avec d’autres langues, tantôt avec le latin seul, et auxquelles les langues germaniques opposent des lois différentes, tandis que, entre le vocabulaire germanique et le vocabulaire celtique, il y a de curieuses analogies : le celtique et le germanique ont emprunté l’un à l’autre un certain nombre de mots que leurs vocabulaires possèdent en commun et qu’on ne trouve pas dans les autres langues indo-européennes.

Le celtique et le latin, d’une part, le germanique, de l’autre, se rattachent à une souche commune, qui est l’indo-européen. Mais le celtique et le latin ont entre eux une parenté plus proche que n’est leur parenté avec le germanique. Premièrement., l’observation de divers faits grammaticaux nous montre les langues indo-européennes divisées en deux groupes dont la composition varie, mais le celtique est presque toujours dans un groupe différent du groupe où nous rencontrons le germanique.

Ainsi, à partir de leur séparation du tronc commun, les langues indo-européennes d’Europe ont été atteintes, si l’on nous permet cette expression, d’une sorte de maladie ou d’affection dialectale dont l’effet a été d’étendre au nominatif pluriel des thèmes nominaux en -o- la désinence caractéristique des pronoms. La désinence primitive pour ce cas, lorsqu’il s’agissait de thèmes nominaux en -o-, était -ôs par o long. Les pronoms substituaient à cette désinence -oi. La déviation européenne à cette loi a consisté à terminer en -oi le nominatif pluriel des thèmes nominaux en o-. On dit en lituanien vilcai, des loups, en vieux slave ce mot est vluci, pour un plus ancien vlucoi, en grec λύxοι ; le latin archaïque poploe, plus tard populi, s’explique par un primitif poploi[53] : en gaulois archaïque, on trouve knoi, les fils[54], nom. pl. de cnos, et cette désinence gauloise oi- a eu le même sort que la désinence correspondante du latin, elle s’est changée en -i final. Cet -i est devenu interne au moyen âge : en irlandais maie, les fils, = maqui ; en gallois gwyr, les hommes, = viri, pluriel de gwr, homme[55].

Le germanique a échappé à cette affection dialectale. Il conserve s final au nominatif pluriel des thèmes nominaux en o- ; en même temps, il a une tendance à remplacer par un à long l’ô long primitif de cette désinence. On sait que cette tendance a triomphé en sanscrit, où l’on dit par exemple açvâs, les chevaux, pour ekvös. En gothique -ôs persiste : fiskôs, des poissons ; en vieux saxon, on prononce -ôs et -âs, fiskôs, fiskâs ; ailleurs, l’a domine exclusivement, fiscăs en anglo-saxon, fiskăr avec r = s en vieux scandinave, l’a est devenu bref dans ces deux langues ; il est resté long dans le vieux haut allemand, qui a perdu l’s final, viskâ. Ce sont la des nuances dialectales propres au germanique, et toutes s’expliquent par une désinence primitive en -ôs, qui est indo-européenne, et à laquelle d’autres langues, parmi lesquelles le celtique, ont substitué la désinence pronominale -oi.

Une partie des langues indo-européennes d’Europe nous offrent une autre affection dialectale. Elle consiste à distinguer l’adjectif du nom en combinant l’adjectif avec un pronom. Le thème de l’adjectif forme le premier terme d’un composé asyntactique dont le second terme est un pronom. Cet usage est propre au germanique et au slave. Il n’est connu ni en grec, ni en latin, ni en celtique. Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir ce point de grammaire[56]. Nous nous bornerons à appeler l’attention de notre lecteur sur la désinence du datif singulier de l’adjectif germanique. En gothique, blinds, aveugle, fait au datif singulier blindamma ; en vieil allemand plinter, qui a le même sens, fait au datif singulier plintemu, qui est devenu en allemand moderne blindera. La désinence -mata, -mu, -m est identique à celle du pronom qui veut dire celui-ci ou celui-là, et dont le datif est en gothique thamma, en vieux haut allemand demu, en allemand moderne dem. De même, en vieux slave, le thème dobru, bon, nous offre le datif singulier dobruumu. Ce datif n’est indo-européen que lorsqu’il s’agit des pronoms ; au gothique thamma, comparez le correspondant sanscrit ta-smai. Dans ta-smai, il y a deux éléments pronominaux : ta est le premier, sma est le second, i est la désinence casuelle. Non seulement le grec et le latin n’ont pas étendu à la déclinaison des adjectifs l’emploi du pronom annexe -sma, mais ils l’ont fait disparaître de la déclinaison pronominale ; comparez à l’allemand dem et au sanscrit tasmai, le grec τώ et le latin ti dans is-ti. La même loi s’étend au celtique, la déclinaison de l’article irlandais l’établit, son datif singulier masculin a été primitivement sin-du, composé dont le second terme = τώ.

L’étude du datif pluriel de la déclinaison nominale nous offre un autre exemple d’un groupement analogue des langues indo-européennes. Au datif pluriel, le vieux slave, le lituanien et le germanique s’accordent pour caractériser ce cas par une désinence dont l’in est la consonne caractéristique, aux loups se dit en vieux slave vlucomu, en lituanien vilkams, en gothique vulfam ; l’m final du gothique se retrouve en vieux haut allemand, en anglo-saxon, en vieux frison, en vieux scandinave ; le vieux saxon l’a remplacé par un n[57]. Le celtique, comme les autres langues indo-européennes d’Europe et d’Asie, ignore cette façon de former le datif.

Enfin le germanique s’est créé une place à part au milieu des langues indo-européennes par l’excessive pauvreté de sa conjugaison, qui ne tonnait que trois temps : le présent et deux temps passés, qui a perdu notamment l’imparfait ou présent secondaire, le futur et l’aoriste sigmatique, et qui n’a pas eu la force de réparer ces pertes à l’aide de temps composés nouveaux, son prétérit dental excepté. Les phénomènes dialectaux, dont nous avons parlé jusqu’ici, nous montrent le germanique placé dans des groupes différents de ceux auxquels le celtique appartient. Ici le germanique tient une place a part et forme à lui seul un groupe distingué par la pauvreté de sa conjugaison, tandis que le celtique partage la richesse commune. Prenons comme exemple le futur sigmatique. Il est indo-européen ; il est commun au sanscrit, au zend, au grec, au latin archaïque, au vieil irlandais, au vieux slave et au lituanien. Nous nous bornerons à citer le grec στείξω de στείχω ; le vieil irlandais tiasu de tiagu, je vais, le latin archaïque faxo, je ferai. Il n’y en a pas trace dans le germanique. Tel a été aussi le sort de l’aoriste sigmatique que possèdent le sanscrit, le zend, le grec, le vieux slave et le latin. Nous citerons le grec όλεξα, le latin sumpsi, l’irlandais ro-gabus pour ro-gabsu, j’ai pris, le germanique a également perdu ce temps.

Les faits que nous avons observés jusqu’ici nous montrent le celtique placé dans des groupes auxquels le germanique n’appartient pas ; mais en général il ne résulte pas de ces faits que le celtique soit plus prochainement apparenté avec aucune des langues avec lesquelles nous le voyons s’accorder. En effet, lorsqu’on passe d’un phénomène à l’autre, le groupement diffère. S’agit-il du nominatif pluriel, le premier groupe comprend le sanscrit, le zend et le germanique, celui-là conserve la tradition ; le second groupe, le groupe novateur, comprend le grec, le latin, le celtique, le slave et le lituanien. Passons à la déclinaison des adjectifs. Le premier groupe, celui qui garde la tradition, comprend le sanscrit, le zend, le grec, le latin, le celtique ; le second groupe, celui qui rompt avec la tradition, renferme le germanique, le lituanien et le slave. Le datif pluriel en -m est-il un cas ancien ou une création nouvelle ? Nous l’ignorons, mais son étude nous offre le même groupement que l’étude de la déclinaison des adjectifs. Le germanique, toujours opposé au celtique, a pour associés dans ces deux derniers phénomènes dialectaux le slave et le lituanien, qui l’ont abandonné quand il s’agissait du premier. Enfin, aucune des vieilles langues de l’Europe ne partage la pauvreté de la conjugaison germanique, et le celtique est sur ce point une de celles dont la richesse présente le contraste le plus frappant avec la pauvreté germanique.

Le latin est, de toutes les langues indo-européennes, celle qui offre avec le celtique le plus de similitude. Ces deux langues ont des lois morphologiques communes, et qui sont étrangères aux autres langues indo-européennes. Ainsi le passif et le déponent en r sont une formation propre au celtique et au latin[58] et dans les deux langues elle présente cette particularité que la seconde personne du pluriel lui manque ; le latin la remplace par un participe, legimini[59], le vieil irlandais lui substitue la personne correspondante de l’actif quand il s’agit d’un verbe déponent, et recourt à une périphrase quand c’est du passif qu’il est question.

Le celtique et le latin s’accordent pour tirer d’un certain nombre de racines verbales des dérivés en -tio qui servent d’infinitifs à la fois en vieil irlandais et dans le vieux latin qu’écrivait encore Plaute ; le suffixe -tio, prononcé en vieil irlandais -tiu et qui a un n aux cas indirects, est inconnu aux autres langues indo-européennes, qui ne possèdent que les suffixes -ti et -tia, dont le suffixe -tio, -tiu est dérivé[60].

Le latin et le celtique s’accordent aussi pour donner à leurs verbes dérivés un futur en -bo qu’aucune autre langue ne connaît, et le seul point sur lequel ici le latin se distingue du celtique consiste dans le développement qu’il a donné à cette création nouvelle en lui attribuant un passé en -barn, son imparfait, inconnu au celtique.

La ressemblance du latin et du celtique s’étend à deux curieux détails de prononciation. Ainsi, les deux langues remplacent par une voyelle brève la longue qui précède la nasale finale du génitif pluriel, en sanscrit -âm, en gothique pour *-ên, en grec ων, mais en latin -ŭm pour ŏm, en celtique *-ŏn[61]. De même, le latin et le celtique s’accordent pour assimiler la première consonne explosive à la seconde, dans le nom de nombre indo-européen *penque, cinq, et dans la racine indo-européenne *pequ, cuire. A une époque reculée, les Latins et les Celtes semblent n’avoir formé qu’un seul peuple, chez qui *penque, cinq, est devenu quenque, et pequ, cuire, s’est changé en quequ. Puis ces mots ont donné dans le latin classique quinque, cinq, et -coquere = *quoquese, cuire. Pendant ce temps, le celtique subissait la révolution phonétique qui lui a enlevé sans exception tout p initial[62]. C’était au plus tard au IVe siècle avant notre ère[63]. Si la consonne initiale de l’indo-européen primitif, *penque et *pequ, a pu persister en celtique malgré cette révolution phonétique, c’est qu’antérieurement à cette révolution, il s’était changé en qu dans la prononciation celtique comme dans la prononciation latine. La gutturale initiale celto-latine persiste dans le vieil irlandais coie, cinq, comme dans le vieil irlandais cucann, boulangerie, si ce mot n’est pas emprunté au latin. Par un phénomène singulier, certaines langues celtiques, chez qui une loi nouvelle change en p le q indo-européen, ont rétabli un p initial dans le nom de nombre et dans la racine verbale dont nous parlons ; on dit en breton de France pemp, cinq, et poaz, cuit, mais ce p initial = qu a beau avoir le même son que le p indo-européen, il n’est pas étymologiquement la même lettre. Son histoire nous fait remonter à l’époque reculée oit les Celtes et les Latins ne formaient qu’un peuple et parlaient la même langue, et des Latins ici il ne faut pas séparer les Ombriens et les Osques, leurs frères cadets.

Des phénomènes morphologiques et phonétiques dont nous venons de parler, on peut rapprocher une loi de la syntaxe. Le celtique et le latin s’accordent pour employer, avec valeur de génitif, le locatif singulier des thèmes masculins en o-. Le latin viri, de l’homme, le vieil irlandais fir = *viri sont tous deux un locatif qui a supplanté, dans ces deux langues, le génitif indo-européen ; la désinence de celui-ci est -*osyo, en grec -οιο, puis ου, en sanscrit -asya, en gothique is = *asya-.

Il y a donc entre le celtique et le latin une étroite intimité. On remarquera que sur tous les points que nous venons de traiter ces deux langues se séparent du grec. Ainsi le grec n’a ni le passif, ni le déponent en r, ni le suffixe -tio, ni le futur en -bo ; il conserve la voyelle longue du génitif pluriel -ων, le p initial du nom de nombre, qui veut dire cinq, et de la racine, qui veut dire cuire[64]. Il y a cependant un phénomène morphologique commun au grec, au latin et au celtique et qui est inconnu ailleurs ; c’est la suppression du pronom annexe -sma dans les désinences pronominales. Nous avons déjà signalé la présence de ce pronom annexe dans le datif sanscrit d’un pronom démonstratif, ta-smai, en gothique thamma, il est supprimé dans le grec τώ, dans le latin is-ti, dans l’irlandais préhistorique sin-du.

Voici une loi phonétique commune aux trois langues. Le grec, le latin, le celtique s’accordent pour traiter d’une façon identique la syllabe nasale initiale de όμφαλός, en latin umbilicus, en vieil irlandais imbliu, nombril, et de δνυξ, en latin unguis, en vieil irlandais inga, ongle ; ces trois langues mettent la voyelle avant la nasale, tandis que partout ailleurs la nasale précède la voyelle : nombril se dit en sanscrit nabhis, en allemand napel, en vieux prussien (langue du rameau slave) nabis[65] ; le mot qui veut dire ongle est en sanscrit nakhas, en allemand napel, en vieux slave noguti[66]. Cela n’empêche pas le celtique d’être beaucoup plus proche parent du latin que du grec[67] et cela confirme ce que nous avons dit plus haut des différences considérables qui séparent le celtique du germanique.

 

§ 4. Le germanique et le celtique possèdent en commun un certain nombre d’expressions dont plusieurs sont certainement d’origine celtique et qui rappellent l’époque oie les Germains vivaient sous la domination des Celtes ou Gaulois.

Malgré ces différences, le celtique et le germanique ont en commun plusieurs mots dont nous allons parler, et la présence de ces mots dans les deux langues ne peut s’expliquer que par un emprunt. La plupart concernent soit l’organisation sociale, soit la guerre. Parlons d’abord de la première de ces deux catégories.

Le sanscrit possède, comme second terme de composé, un thème râj-, primitivement râg-, qui, hors de la composition, prend un suffixe, râjâ, roi. Inconnu au grec, ce thème, prononcé rêg- en latin, joue, dans le vocabulaire politique de cette langue et des langues qui en dérivent, un rôle considérable ; ainsi le latin rêx, rêgis, est devenu roi en français. L’â du sanscrit, qui devient ê en latin, se prononce ordinairement î en celtique ; par conséquent, le thème râj- du sanscrit, le thème rêg- du latin ont pour équivalent en celtique rig. Ainsi, roi se disait en celtique rix, au génitif rigos. Ce mot, dans les langues germaniques, offre la même voyelle qu’en celtique. On écrit en gothique reik-s, prononcez rîk-s, roi. Les Francs ont formé avec ce mot le second terme de leurs composés latinisés, Childe-ricus, roi du combat, Theude-ricus, roi du peuple, en français Thier-ry. Les Allemands en ont fait leur dérivé rîchi, royaume, royauté, quand il est employé substantivement, puissant, glorieux, quand il est employé adjectivement ; aujourd’hui reich dans les deux sens. Le français riche en est une variante ; ce mot français est d’origine germanique. Mous l’avons emprunté à la langue des Germains à une époque où, par l’effet de la conquête barbare, la puissance politique passée entre les mains des Francs avait mis à leur disposition chez nous toutes les fortunes comme toutes les vies.

A une période plus reculée, probablement environ huit siècles plus tôt, les Germains l’avaient emprunté aux Celtes, alors leurs maîtres. Si, chez les Germains, il était d’origine indo-européenne, sa voyelle radicale serait un ê en gothique, un à en allemand, c’est l’équivalent de l’â sanscrit représenté par ê en latin. Exemple en sanscrit, mûs, mâsas, mois, en latin mensis, en gothique mênôths, en vieux haut allemand mândt, mais en vieil irlandais , et en breton miz. De la racine indo-européenne , semer, sont venus en latin se-men, en gothique sêths, en vieil allemand sût, aujourd’hui saat, et sâmo, aujourd’hui same, mais en vieil irlandais sîl, semence. Les langues indo-européennes ont une racine dhâ, allaiter et sucer, d’où en sanscrit dhâ-trî, nourrice, mère, en latin fê-mina, dont l’f tient lieu d’un d aspiré et qui est un ancien participe présent moyen, en vieil allemand tâ-an, téter, donner à téter, mais en vieil irlandais dî-nu, celui qui tette, c’est-à-dire l’agneau. Ainsi, le mot germanique rîk-s, roi, a été emprunté au celtique[68]. Si en germanique il remontait à la période de l’unité indo-européenne, sa voyelle serait non i, mais ê ou â, suivant les dialectes. Il date de l’époque où les Germains, placés sous la domination gauloise, n’avaient pas d’autres souverains que les chefs, rïgĕs, des Gaulois. C’était au IVe siècle avant notre ère. Des deux mots qui, joints à ethnique deutsch, expriment la notion de la plus grande puissance politique qui existe aujourd’hui dans l’Europe centrale, Kaiser, empereur, et Reich, empire, l’un doit son origine à la tradition historique de Rome, dont les souvenirs sont partout conservés par les monuments de la littérature et des arts, l’autre est emprunté à la langue politique de ces conquérants gaulois dont tout le monde a oublié la puissance, détruite depuis si longtemps[69]. Les langues germaniques n’offraient pas d’expression pour rendre la grande idée que ces deux mots expriment et dont le type a été donné à l’Europe occidentale par les monarques gaulois du IVe siècle avant J.-C., par les empereurs romains des quatre premiers siècles de l’ère chrétienne.

L’allemand moderne amt, fonction, charge, emploi, tient lieu d’un mot vieux haut allemand, ambahti, dérivé lui-même de ambaht, serviteur, fonctionnaire. Les Francs possédaient ce dernier mot sous l’empire romain : suivant les lois de leur langue, ils devaient le prononcer *ambacthas. Delà le surnom Ambacthius d’un certain Januarinius dans une inscription romaine de la Zélande[70]. La langue franque avait aussi un dérivé correspondant à l’allemand ambahti ; ce dérivé était *ambacthia, il devient dans le bas latin de la loi salique ambaxia et ambascia[71]. On en tira le verbe dénominatif ambasciare, puis enfin le substantif ambasciator, d’où le français ambassadeur, nom du plus élevé des fonctionnaires dans les relations avec l’étranger.

Le vieil allemand ambaht, le franc *ambacthas, auquel ce nom remonte, sont d’origine celtique. On le sait par Ennius, mort l’an 169 av. J.-C.[72] Ambactos était le nom donné par les chefs gaulois aux gens de condition inférieure dont ils s’entouraient. On y reconnaît deux éléments : le préfixe arrabi, autour, et le participe passé passif d’une racine ag, faire marcher, qui appartient au celtique comme à d’autres langues indo-européennes[73]. César semble avoir connu cette étymologie quand il dit que plus est haute la naissance et plus est grande la fortune d’un chef gaulois, plus il a d’ambacti et de clients autour de lui, circum se[74]. Circum est la traduction d’ambi[75].

Quand les chefs gaulois, soumis à la domination romaine, abandonnèrent leur vie guerrière, leurs ambacti, autrefois compagnons de leurs combats, se transformèrent en laboureurs. Laboureur est le sens de ce mot dans sa forme moderne, en gallois amaeth = ambactos, au pluriel emeith = ambacti[76]. Malgré sa destinée modeste, ce mot gallois, identique au nom celtique des clients qui entouraient le chef gaulois, nous fait remonter à l’origine et du mot allemand amt, titre de la puissante bureaucratie allemande, et du mot français ambassadeur. A l’époque de la domination celtique, les chefs gaulois ont eu parmi leurs ambacti des Germains ; peut-être quelques Germains ont-ils à ce titre marché dans les rangs des Gaulois qui se sont emparés de Rome au IVe siècle avant notre ère, de Delphes au IIIe. Ayant pris l’habitude de ce titre sous la domination gauloise, les Germains l’ont conservé après leur affranchissement, sans se rappeler qu’il était un monument de leur servitude passée.

Le vieil irlandais possède un substantif fiadnisse, témoignage. Il existait déjà à l’époque où la prédication chrétienne introduisit l’évangile en Irlande. Il fut l’expression reçue pour rendre le latin testamentum, dans la formule consacrée Nouveau Testament. C’est un dérivé de fiadan, témoin, lequel dérive lui-même de fad, devant, en présence de. Ce mot a pénétré dans les langues germaniques, l’anglais witness, témoin, n’y est pas isolé ; on trouve en vieux haut allemand le composé gi-wiznessi.

L’allemand moderne erbe, en vieux haut allemand et en vieux saxon erbi, en gothique arbi, héritage, n’a pas d’explication dans les langues germaniques. Mais le vieil irlandais a un mot identique, orpe ou arbe, composé du préfixe celtique bien connu or ou ar et d’un thème be qu’on trouve aussi dans tor-be, profit ; di-ba pour di-be, succession ; comparez aussi le verbe er-pim pour er-bim, je confie. Ainsi, les deux termes de droit, dont la forme irlandaise est fadnisse et orpe ou arbe, ont pénétré du celtique dans le germanique comme les mots gaulois rix et ambactos.

Voici d’autres termes de droit communs aux deux langues, sans qu’on puisse établir rigoureusement que les Germains les aient empruntés aux Celtes, mais cet emprunt est vraisemblable.

Serment se dit en allemand eid, en anglais oath ; le plus ancien exemple connu de ce mot est le gothique aith-s. On doit supposer un primitif *oito-s. On le retrouve dans l’irlandais oeth[77]. Le celtique et le germanique sont les seules langues qui nous offrent l’exemple de ce mot.

Bann, en allemand moderne, plus anciennement par abus ban, qui est l’orthographe anglaise, mais en anglo-saxon bann = band, veut dire prescription, défense. On retrouve ce mot dans le second terme du composé irlandais for-banda[78] ou for-bandi[79]. Ce composé, qui est un accusatif pluriel, signifie prescriptions, ordres[80]. Il a pénétré en français sous la forme ban, en italien bando, d’où le verbe italien bandire, qui conserve le d de l’irlandais for-banda, for-bandi, ce qui n’empêche pas le mot d’être d’origine germanique dans les langues romanes. Mais, en germanique, il est fort probable qu’il est d’origine celtique[81].

L’allemand moderne geisel, otage, plus anciennement gîsal, suppose un primitif *geisala-s identique au vieil irlandais gîal, qui a le même sens.

Le gothique dulgs, en vieil allemand tole, thème dulga-, et plus anciennement *dlga-, signifie à la fois blessure et dommages-intérêts dus pour une blessure, dette par conséquent. L’antiquité de ce nom dans les langues germaniques est prouvée par le nom du peuple Dulgubii chez Tacite. Il est commun au germanique et au celtique. Dans les langues celtiques, le thème *dlga- est devenu régulièrement *dligo-, d’où le vieil irlandais dligim, j’ai droit à, et le breton dle, dette. Dans les langues slaves, ce mot parait d’origine germanique[82].

Mogu-s en gothique veut dire non seulement enfant, mais aussi esclave ; comparez le latin puer. Il a un dérivé, magula, petit enfant. On dit au féminin mavi et mavilo. Magus est identique au vieil irlandais mug = *mogu-s, esclave. La formation du breton mevell = *moguillo-s, valet, est presque la même que celle du gothique magula. Jeune fille se dit en gothique magath-s ; le cornique matheid et le breton matez, servante, sont tirés de la même racine par un procédé de dérivation analogue sans être identique.

Le mot skalk-s en gothique, scale en vieux saxon et en vieil allemand, sceale en anglo-saxon, skalk-r en vieux scandinave signifie domestique, serviteur. En allemand moderne, il se prononce schalk et veut dire fripon. Ce mot a pénétré en français dans les composés séné-chal, maré-chal, dont le sens est, pour le premier, domestique en chef, pour le second, domestique attaché aux chevaux, palefrenier. Sous l’influence de la féodalité, ces mots, qui désignaient d’abord des fonctions infimes, se sont élevés en dignité, tandis que le mot allemand, par un sort différent, se prend en mauvaise part.

Dans skalk-s, thème skalka-, ka paraît être un suffixe ; comparez la gutturale du mot fol-k, peuple, dérivé comme full, pour puln, d’une racine pl qu’on trouve renforcée par la réduplication et suivi du suffixe o dans le latin archaïque po-plo-s, plus tard po-pulus.

Au thème germanique skalko- correspond en celtique un thème scalo-, au féminin scalâ, dans lequel le suffixe est -o, , au lieu de ho. Le sens le plus ancien de ce mot est domestique. Nous le trouvons dans les gloses du saint Paul de Wurzbourg conservées par un manuscrit du IXe siècle, qui est probablement la copie d’un manuscrit plus ancien. Dans la Première aux Corinthiens, chapitre IX, versets 4 et 5, saint Paul demande s’il n’a pas le droit de manger et de boire et par conséquent d’emmener avec lui une femme pour préparer ses repas. Le texte latin se sert du mot mulierem, que la glose irlandaise représente par le nominatif pluriel féminin scala, des servantes[83]. Le dérivé scolôc désigne en irlandais les gens de condition inférieure attachés à la culture de la terre[84]. A côté de ce sens qui paraît primitif, nous en trouvons un autre plus général. Dans le dialecte de l’île de Man, scollag veut dire un jeune homme, et scoll, un homme. Scoll est identique à l’irlandais scal, et de même, dans un certain nombre de textes irlandais, scal signifie homme, guerrier, héros[85]. Le plus ancien de ces textes paraît remonter au VIIIe siècle[86]. Entre l’allemand knecht, domestique, » et l’anglais knight, chevalier, qui sont originairement le même mot, il y a, quant au sens, la même différence qu’entre les deux acceptions de l’irlandais scal, domestique, puis héros. L’origine de ce mot est inconnue ; c’est peut-être le nom d’un des peuples vaincus par les Celtes.

Le gothique thaurp, champ cultivé, en allemand dorf, village, suppose un primitif trbo-n qui, suivant les lois ordinaires de la phonétique, a fourni au vieux breton le mot treb, aujourd’hui trev, village, et au vieil irlandais le thème trebo-, d’où le verbe dérivé irlandais trebaim, j’habite et je cultive, cf. A-TREBA-tes. On reconnaît aussi ce thème dans le substantif irlandais treb glosé par tech, maison[87].

Land, mot gothique et vieux-saxon, dont l’orthographe en vieil allemand est lant, désigne la terre qui est devenue la propriété de quelqu’un, soit d’un individu, soit d’un être collectif. C’est un des sens du mot irlandais la, génitif lann, qui veut dire terre affectée à un usage déterminé, par exemple dans ith-la, littéralement terre à blé, c’est-à-dire endroit où on bat le blé, aire[88]. Du thème lann, qui apparaît nettement au génitif, est venu le substantif lann, terme consacré en Irlande et en Bretagne pour désigner le sol affecté au culte sous le patronage d’un saint ; exemple : Lampaul, Lanna Pauli[89] ; en gallois, llan veut dire enclos, cour, église de village.

Le vieil allemand lâchi, médecin, en gothique lêkei-s, en anglo-saxon laece, s’explique par un thème lêkea-, qui s’est prononcé lêgia- avant la permutation germanique des moyennes en ténues. Ce thème est dérivé d’un plus ancien, lêgi, qui est celui de l’irlandais lîaig, médecin, = *lêgi-s, au génitif lêga ou lêgo = *lêgoy-os[90].

Ces termes, relatifs à l’organisation de la société civile, remontent à l’époque où les Germains habitaient pacifiquement leur patrie, sous la domination celtique. Les mots dont nous avons à parler maintenant sont autant de témoignages attestant qu’à la même époque un certain nombre de Germains, mêlés aux clients qui accompagnaient les chefs gaulois à la guerre, prenaient part à ces nombreuses expéditions qui ont été la terreur de l’Europe méridionale, notamment des Romains, au ive siècle avant notre ère.

Le vieil allemand possède un substantif hadu-, combat, que l’on reconnaît dans l’anglo-saxon headhu- ; tous deux n’ont été conservés que par des noms composés : sa forme scandinave est hödh-r, c’est le nom d’un dieu de la guerre. Il est identique au gaulois catu-s, combat[91].

Le vieil allemand bâgen, qui veut dire combattre, quereller, correspond au vieil irlandais bâigiu, je combats, je querelle ; il dérive d’un substantif féminin, bâga, combat, en vieil irlandais bâg, également féminin, thème bâga-.

Les Gaulois ont combattu dans des chars, dont le nom était rêda. Au degré de civilisation où vivait alors la race celtique, comme à celui que décrit l’Iliade, l’homme ne monte pas le cheval, il ne fait usage du cheval que comme animal de trait. L’art de diriger les chevaux est inséparable de l’idée de char : Eporêdios, comme nous l’apprend Pline, mot composé de epo-s, cheval, et de rêdio-s, dérivé de rôda, voulait dire en gaulois dompteur de chevaux. Quand l’usage des chars de guerre disparut et que la cavalerie lui succéda, le mot rêdios survécut. En vieux scandinave reid veut dire à la fois char et équitation ; on a en vieil allemand rîtar, aujourd’hui reiter, cavalier, dont ritter, chevalier, est un doublet. L’anglais to ride, aller à cheval, est identique à l’allemand rîtan, reiten, qui signifie d’une manière générale voyager.

A côté du mot egos, cheval, identique au sanscrit açvas, au grec ϊππος et au latin equus, formes diverses de l’indo-européen *ek-vo-s, les Gaulois avaient un terme technique pour désigner le cheval de guerre, c’était marco-s ou marca. Les Grecs ont appris à le connaître pendant les guerres, si désastreuses pour eux, où les Gaulois pillèrent le temple de Delphes, 278 avant J.-C.[92] Parmi les cochers qui, assis à la droite du guerrier, conduisaient son char et prenaient soin de ses chevaux, il y avait des domestiques d’origine germanique. Leur nom en gaulois était vraisemblablement *marco-scalos, en germanique, *marka-scalcas ; voilà l’origine du vieux haut-allemand marah, cheval, dont l’antiquité est attestée par la loi des Bavarois et par celle des Alamans ; en vieux scandinave marr, en anglo-saxon mear, dont le féminin subsiste dans l’anglais mare ; de là aussi le vieil allemand marah-scalk et le français maré-chal[93], qui est d’origine germanique ; mais les Germains, qui nous l’ont apporté au Ve siècle de notre ère, l’avaient emprunté aux Gaulois huit ou neuf cents ans plus tôt.

Le vieux et moyen allemand gêr, javelot, qui se retrouve sous la même forme en vieux saxon, et qui s’écrit au nominatif singulier geir-r, en vieux scandinave, s’explique par un primitif masculin *gaisa-s. Les Romains le font neutre, gaesa au nominatif pluriel, et, chez eux, c’est une arme gauloise. César, dans le récit des événements de l’année 56 avant J.-C., nous montre les Gaulois armés de gaesa qu’ils lancent contre les Romains[94]. Plus tard, la même arme fournit à Virgile un des éléments du tableau où il peint les Gaulois montant à l’assaut du Capitole. Les Gaulois qu’il décrit sont ceux de son temps : Leurs cheveux sont couleur d’or, leurs vêtements dorés, leurs manteaux rayés et brillants ; sur leur cou blanc comme du lait, ils portent des colliers d’or ; dans la main de chacun d’eux brillent deux gaesa dont les Alpes ont fourni le bois ; de longs boucliers protègent leurs corps[95]. L’usage de porter deux gaesa est constaté antérieurement à Virgile par Varron[96], et, plusieurs siècles après Virgile et Varron, le souvenir de cette vieille coutume celtique apparaît encore dans des vers de Claudien[97]. Du nom du gaesum, les Gaulois avaient tiré un verbe dénominatif signifiant porter le gaesum. Le participe passé du verbe était gaisatos, armé du gaesum, dont le vieil irlandais nous offre la variante dialectale gaide = *gaisatios[98]. Les Romains ont désigné par le nom de Gaesati des soldats gaulois qui, arrivant du nord-ouest des Alpes, vinrent au secours des Gaulois cisalpins, l’an 232 avant notre ère[99], et qui reparurent en 225[100] et en 222[101]. Les écrivains anciens qui nous parlent de ces événements militaires, c’est-à-dire Polybe et Orose, reproduisent, en l’abrégeant, le récit de Fabius Pictor. Cet auteur avait personnellement fait partie de l’armée romaine qui se battit contre les Gaesati en 225[102]. Plus tard, sous l’Empire, il y eut des Gaesati[103] ou des Gaesates[104] parmi les troupes auxiliaires romaines. On les levait dans des pays celtiques, en Helvétie et en Rhétie[105]. L’antiquité de leur nom ne se prouve pas seulement par la présence de ce nom chez Fabius Pictor, qui écrivait vers la fin du IIIe siècle. Elle résulte du nom de Gaisatorios ou Gaisatorix porté par un roi galate mêlé au récit de faits militaires qui appartiennent à l’année 182 avant notre ère, et une partie de la Paphlagonie conservait le nom de ce roi deux siècles plus tard[106]. Ainsi, les Gaulois qui ont envahi l’Asie Mineure, l’an 278 avant J.-C., paraissent y avoir apporté l’usage du gaesum, et il y avait probablement parmi eux des Gaesati, Gaisatoi. On peut donc considérer comme à peu prés prouvé que, dès le commencement du IIIe siècle, le gaesum était une arme gauloise[107]. Mais, vraisemblablement, le gaesum remonte chez les Gaulois à une date beaucoup plus ancienne. Ce javelot, équivalent gaulois du pilum romain, est l’arme principale à laquelle les Gaulois ont dû leurs conquêtes, et c’est d’eux que les Germains, admis comme auxiliaires dans les rangs de leurs vainqueurs, ont appris à s’en servir et à prononcer son nom.

L’allemand burg veut dire château. C’est un thème féminin en i : le nominatif singulier a été primitivement *brgi-s. On le retrouve en gothique, en vieux saxon, en anglo-saxon et en vieux scandinave[108]. C’est le même mot que le gaulois briga = *brga, second terme d’un grand nombre de noms de lieux composés. Ces mots composés sont surtout fréquents en Espagne. Tels sont Ceto-briga, près de Lisbonne ; Laco-briga[109], probablement Lagos dans les Algarves ; nous citerons aussi Eburo-briga en Gaule, près d’Auxerre, et Arto-briga, sur la rive gauche du Danube, dans une partie de la Vindélicie, qui aujourd’hui est comprise dans la Bavière. Le gaulois briga faisait au génitif *briges, au datif *brigi, à l’accusatif *brigin. Voila pourquoi, en germanique, on l’a fait passer dans la déclinaison en i. Il vient d’une racine bhergh qui a donné au grec le verbe φράσσω = φριγος, j’enclos, je fortifie. Mais le grec n’a pas le substantif dérivé que possèdent les langues celtiques et germaniques. Ce mot existait déjà en celtique quand les Gaulois ont fait la conquête de l’Espagne, puisqu’ils l’y ont porté, et cette conquête était accomplie dés le milieu du Ve siècle avant notre ère. Les Gaulois, qui ont précédé les Germains dans l’art des fortifications, ont enseigné ce mot aux Germains, et ceux-ci l’ont prononcé, suivant les lois de leur langue, baurgs, borg ou burg.

Le vieux scandinave possède un substantif neutre tûn, enclos, qu’on trouve en vieux saxon avec le même sens, et qui a pris celui de ville en anglais ; en allemand, ce mot se prononce zaun et signifie haie[110] ; c’est le gaulois latinisé dûnum, forteresse, en vieil irlandais, dûn = *dûn-os.

Ces deux termes, et notamment burg, le premier, se rattachent à l’art militaire, dans lequel les Gaulois avaient, au IVe siècle avant notre ère, la supériorité sur les Germains. La supériorité était passée aux Germains quand, pour la première fois, ceux-ci, devenus indépendants, se trouvèrent en contact avec les Romains ; depuis ils conservèrent toujours cette supériorité, et une des conséquences en fut l’adoption du mot germanique baurg[i]-s par les Romains. Ceux-ci l’écrivirent burgus. On en trouve un dérivé vers la fin du IIIe siècle dans le nom de lieu Teuti-burgium, que nous connaissons par l’Itinéraire d’Antonin et qui se rapporte à une localité de la Pannonie, sur la rive droite du Danube ; enfin, le mot burgus lui-même apparaît vers la fin du ive siècle, comme terme technique de la langue militaire, dans les Instituta rei militaris de Végèce[111]. Le gaulois briga n’existait plus alors que dans des noms de lieu composés où il rappelait le souvenir d’une civilisation depuis longtemps détruite.

Nous arrivons maintenant à quelques termes dans lesquels la même civilisation se présente à nous sous divers autres aspects. Tel est l’allemand eisen, fer, prononciation affaiblie d’un substantif neutre îsarna-n, en anglo-saxon isern et en gothique eisarn. Le thème correspondant en celtique est isarno- ou êsarno- ; le premier se retrouve dans le vieil irlandais îarn, le second dans le breton houarn[112]. Ni le latin ni le grec ne connaissent cette expression.

L’allemand balg, en gothique balg-s, thème balgi-, en anglo-saxon baelg, veut dire outre, c’est-à-dire sac de peau destiné à conserver des liquides. Or, nous savons, par Festus, que bulga était le nom donné par les Gaulois aux sacs de cuir[113]. Festus écrivait au IIe siècle de notre ère, et l’exactitude de son assertion est confirmée par les manuscrits irlandais qui, à partir du VIIIe siècle, nous offrent le mot bole ou bolg avec le même sens[114].

L’allemand wagen, en vieil allemand wagan, en anglo-saxon vaegn, en vieux scandinave vagn, suppose un primitif *vagno-s[115]. Ce mot diffère à peine de l’irlandais fên = *vegnos. La racine existe dans le latin veho pour *vegho, dans le grec, Ϝόχος, voiture, = vogho-s. Mais le substantif formé avec le suffixe -no- appartient au domaine commun du celtique et du germanique.

L’allemand krug, plus anciennement ehruog, en anglo-saxon erdg, vase de terre, thème crôga-, ne peut se séparer du gallois erwe, seau, et de l’irlandais crocann, pot. Le français cruche est probablement d’origine germanique, mais quand, aux vases grossiers fabriqués par le potier primitif, les Germains substituèrent les vases plus élégants que, dans leur langage, le thème crôga- désigna, ce fut probablement des Gaulois plus civilisés qu’ils les reçurent avec le nom. Les Gaulois eurent sur les Germains l’avantage d’un contact immédiat avec le monde grec au ive siècle ; dès le commencement du Ve siècle, ou même dès la fin du VIe, ils avaient avec les Grecs des relations commerciales, et voilà comment, vers l’an 500, Hécatée de Milet a pu connaître leur nom.

Parmi les mots celtiques qui ont pénétré dans les langues germaniques, quelques-uns y sont certainement entrés antérieurement à la grande révolution phonétique qui a donné aux consonnes germaniques un son à part dans le monde indo-européen. En effet, elles ont subi cette révolution. Ainsi, le g celtique est devenu k, exemple : thème gaulois rîg-, roi, en gothique reik- (prononcez rîk) ; irlandais liaig, médecin, en gothique leikeis ; c celtique est devenu h : gaulois ambactos, client, en vieil allemand ambaht ; catis-s, combat, en vieil allemand hadu ; marca, cheval, en vieil allemand marah ; d celtique est devenu t : vieil irlandais feadnisse, témoignage, en anglais witness, témoin ; gaulois latinisé dûnum, forteresse, en anglais town ; t celtique est devenu th ou dh : thème oito- (en irlandais oeth), serment, en gothique aith-s ; catu-s, combat, en anglo-saxon headhu-. A l’époque archaïque (IVe siècle) où remontent les principaux emprunts du celtique au germanique, le germanique avait conservé les sonores aspirées gh, dh, bh de l’indo-européen ; le celtique aussi ; les deux langues ont depuis substitué à ces aspirées les moyennes correspondantes. De là l’identité des gutturales dans le thème irlandais mogu-, esclave, et dans le gothique magu-s = maghu-s ; dans le gaulois gaiso-n, javelot, et dans l’allemand gêr = ghaisa-s ; dans l’irlandais dligim, je dois, et dans le gothique dulg-s = dhlghu-s, dette ; l’identité des dentales dans le gaulois rêda, char, et dans l’anglo-saxon rîdan, voyager, thème reidhaya- ; l’identité des labiales dans le gaulois ambactus, client, et dans le vieil allemand ambaht = ambhacta-s, dans le gaulois briga = bhrgha, en gothique baurg-s = bhrghi-s.

Le germanique et le celtique out alors supprimé l’aspiration des moyennes aspirées. Mais les langues germaniques ont seules transformé les moyennes non aspirées en ténues ; rîg-, thème du mot signifiant roi, est devenu chez elles rîk-. Le b de trebo, village, champ, s’est changé en p dans thaurp. Des ténues elles ont fait des spirantes ; de catu-, thème du mot signifiant bataille, headhu-, hoedh-. Le celtique a, comme le latin et le grec, conservé les moyennes et les ténues primitives ; il a continué à dire rîg-os, du roi, catus-s, bataille.

Quand, à une date plus récente, les langues germaniques, ayant terminé leur évolution, ont adopté des mots celtiques, elles n’ont pas changé les consonnes primitives que le celtique avait gardées. Le français cruche s’explique par un mot franc crûca qui a exactement les consonnes de l’irlandais crocann. A la même période appartient le premier contact du germanique avec le latin, et de là vient que les langues germaniques ont conservé intactes les consonnes des mots latins qu’elles ont empruntés. Le mot gothique kaisar, aujourd’hui kaiser, empereur, gardant le son primitif de l’initiale du latin Caesar, que nous assibilons depuis treize siècles, est un exemple caractéristique. Citons encore kirsch de cerasus, que nous prononçons cerise. Ces mots ont été adoptés par le germanique au Ier siècle de notre ère. Le thème gaulois rîg-, qui a pénétré dans le germanique quatre siècles plus tôt, est devenu reih- en gothique, par l’effet d’une évolution phonétique qui, au Ier siècle de notre ère, était généralement terminée[116] et n’atteignait plus, dès lors, les mots nouvellement empruntés.

De tout ce que nous venons de dire, il résulte qu’à une époque antérieure à celle où les langues germaniques ont pris dans le monde indo-européen, par la déformation de leurs moyennes et de leurs ténues, une place à part, la race germanique a vécu sous la domination des Celtes. Ceux-ci lui ont imposé un certain nombre d’expressions relatives à la constitution de la société politique, au droit, au métier des armes, à divers objets mobiliers qu’une civilisation supérieure fournit à des peuples chez lesquels les arts ont atteint un développement moins élevé. C’était à l’époque de la grande puissance des Celtes, dans ce Ive siècle où les Celtes ont pris Rome et où leurs ambassadeurs ont, par leur fierté, provoqué l’étonnement d’Alexandre le Grand[117].

 

§ 5. Dislocation de l’empire celtique. Soulèvement des Germains contre les Gaulois. Une partie des Celtes de Germanie émigre en Gaule. — IIIe siècle avant J.-C.

Dans le siècle suivant, la décadence commença. Une des causes principales fut probablement le soulèvement des Germains. Ce soulèvement n’est attesté par des témoignages formels que dans les dernières années du III siècle avant notre ère. C’est dans les dernières années du u° siècle que deux peuples germains, les Cimbres et les Teutons, furent, par leurs succès prodigieux, la terreur du monde romain. Mais une si grande puissance militaire dut se préparer de longue main.

Le peuple gaulois le plus septentrional dans la Germanie était celui des Volcae, surnommés Tectosages ; il avait pour les Germains la même importance qu’eurent pour les Grecs de Marseille les peuples celtiques plus méridionaux, groupés sous le nom de Celtes, Celtae comme écrivit César, Κελτοί comme écrivent les auteurs grecs. Les Germains appelaient Volcae tous les Gaulois, et même, sous cette dénomination prononcée par eux Valh ou Valah, après la déformation de leurs ténues, ils comprirent les Romains et les Romans, leurs descendants. Ainsi, les Grecs se servaient du mot Κελτοί pour désigner l’ensemble des peuples qu’après eux nous appelons celtiques ; ils ne faisaient exception que pour ceux qui habitent les Iles Britanniques. Les Volcae furent les principales victimes du soulèvement des Germains. Transportons-nous d la date où les Romains, profitant de la dislocation générale de l’empire celtique, auquel manque désormais le lien de l’unité monarchique, font sur les Gaulois leur première conquête. Ils s’emparent du territoire des Sénons, en Italie ; c’est en 283. Au même moment, une partie des Volcae est contrainte d’abandonner aux Germains révoltés une des régions de l’Allemagne septentrionale où, depuis un siècle, elle dominait ; elle prend part à l’expédition gauloise qui va piller Delphes, fonder en Thrace et en Asie Mineure des États indépendants. Dans le même siècle, d’autres Volcae, également chassés par la révolte des Germains, se dirigent vers le sud-ouest ; ils envahissent la région qui était restée dans le siècle précédent sous la domination des Ligures, sur les rives du Rhône et sur les côtes de la Méditerranée, à l’ouest de ce fleuve. Au IVe siècle, le seul point où, dans le bassin de la Méditerranée, la race celtique atteignit la mer était le fond de l’Adriatique[118]. Mais quand, à la fin du IIIe siècle, en 218, Annibal, partant d’Espagne, gagna l’Italie en suivant d’abord les côtes de la Méditerranée, puis en allant chercher, un peu plus au nord, un passage à travers les Alpes, il trouva des Volcae établis sur les deux rives du Rhône, dans une région où la géographie grecque du ive siècle ne connaissait d’autres barbares que des Ligures ou des Ibères[119]. C’est le récit de Tite-Live qui nous montre ainsi des Volcae dans ce pays en 218[120]. Alors, les Volcae n’avaient pas terminé leur mouvement. Quand la conquête romaine, un siècle plus tard, fixa définitivement au sol les populations celtiques de cette contrée, les Volcae avaient abandonné à d’autres peuples gaulois la rive gauche du Rhône et se trouvaient tous établis à l’ouest de ce fleuve. Des peuples qui suivirent leurs traces, les deux plus importants furent les Allobroges et les Helvètes. Dès l’année 218, les Allobroges habitaient près du confluent de l’Isère et du Rhône[121], et leur nom même, qui veut dire habitants d’un pays étranger[122], conservait le souvenir de cette récente conquête. Les Helvètes arrivèrent plus tard ; Tacite, à la fin du Ier siècle de notre ère, rappelle qu’avant d’habiter la Suisse moderne, où César les avait trouvés cent cinquante ans plus tôt, ils avaient occupé, sur la rive droite du Rhin et au sud du Main, la région située dans l’angle formé par ce fleuve au nord de la Suisse, c’est-à-dire une partie du grand-duché de Bade et du Wurtemberg modernes[123]. Dans cette émigration, les Volcae, les Allobroges et les Helvètes furent accompagnés d’autres peuples moins importants dont il est inutile de parler ici, et qu’une géographie plus moderne fait connaître en détail. Ce déplacement ethnographique ne pouvait échapper à l’œil perspicace des écrivains grecs contemporains de cette émigration. A l’un d’eux, Plutarque, dans sa Vie de Camille, a emprunté quelques mots : les Galates, dit-il, qui se sont établis entre les Pyrénées et les Alpes, près des Sennones et des Celtoriis[124]. L’auteur qui a le premier écrit ce passage est certainement postérieur à l’expédition des Gaulois contre Delphes, en 278, puisque c’est d’elle que date l’introduction du mot Galate dans la langue grecque, et il conserve le souvenir d’une invasion celtique qui se fit dans la Gaule méridionale postérieurement à l’établissement des Sénons et des Celtes, qu’il appelle Celtorii, dans la région centrale de ce pays. Les Gaulois ne se contentèrent pas de dépouiller les Ligures, ils s’attaquèrent aussi aux colons grecs et conquirent sur eux la ville de Théliné, à laquelle ils donnèrent le nom d’Arelate[125]. De ce changement de nom, il ne faudrait pas conclure qu’ils aient partout substitué des noms nouveaux aux noms anciens qui formaient la nomenclature géographique du pays conquis. Rien ne prouve qu’ils n’aient pas conservé, par exemple, les anciens noms de certains cours d’eau. Bien au contraire. Ainsi, deux petites rivières du département des Hautes-Alpes, la Severaisse et la Severaissette, conservent encore, au XIIe siècle, dans leur nom latin Severiasca, une désinence ligure caractéristique[126]. Le Rhône, Rhodanus, garde le nom qu’en l’année 600 avant notre ère les colons grecs ont appris des Ligures, chez lesquels ils ont bâti Marseille. La présence des Gaulois dans les environs de Marseille, à sa fondation, est une fable qui apparaît pour la première fois chez Tite-Live, c’est-à-dire à la fin du Ier siècle avant notre ère, et dont Justin s’est fait l’écho. Mais Hécatée de Milet vers l’an 500, Scylax de Caryanda au IVe siècle avant notre ère, au IIIe siècle deux fragments de Timée, insérés l’un dans le traité de Mirabilibus Auscultationibus[127], l’autre dans le périple anonyme dit de Scymnus de Chio[128], sont d’accord pour placer Marseille dans le pays des Ligures, sans dire un mot des Celtes. Ce sont donc les Ligures qui ont enseigné aux Grecs le nom du Rhône. Ce nom, écrit Rhodanos par les Grecs, est identique à celui du Rhotanos qui coulait en Corse sous l’empire romain[129]. La Corse a été une île ligure, et jamais les Gaulois n’y ont pénétré. C’est aussi des Ligures que parait venir le nom des Cévennes chez les auteurs grecs. Strabon écrit ce nom au singulier Κέμμενον[130], et Ptolémée, au pluriel, Κέμμενα[131], et la contrée où ces montagnes s’élèvent est appelée Cimenice regio, par Avienus, dans des vers probablement traduits d’un géographe grec du IVe ou du Ve siècle avant notre ère[132]. A ce nom, qui n’avait pas de sens dans leur langue, les Gaulois ont substitué celui de Cebenna[133], dos, en gallois cefn, cefyn, et qui, dans le pays de Galles, est quelquefois aussi employé comme terme géographique avec le sens de montagne[134]. Cebenna est le nom que les Romains ont appris des Gaulois. Il est celui que notre langue a conservé : Cévennes. Malgré les savants grecs, le nom ligure Cemmenon ou Cimenon est oublié.

Des relevés faits avec soin dans l’Italie septentrionale ont permis de dresser une longue liste de noms de villages et de bourgs dont la désinence en -aseo ou en -asca est d’origine ligure. On en a compté, dans cette région, deux cent cinquante[135]. On en trouverait moins de ce côté-ci des Alpes. En voici cependant quelques-uns : Annevasca, aujourd’hui Nevache, département des Hautes-Alpes[136] ; Manoasca ou Manuasca, aujourd’hui Manosque, Basses-Alpes ; Gratiasca, plus tard Graciasca, Grezascha, aujourd’hui Gréasque, Bouches-du-Rhône[137]. On cite encore Urnasca, aujourd’hui Urnaeschen, dans le canton d’Appenzel, en Suisse[138]. Ainsi, la conquête gauloise, aulne siècle avant notre ère, n’a pas supprimé toute trace de l’antique établissement des Ligures du côté des Alpes où nous habitons[139].

Tandis qu’une partie des Gaulois, chassés de la Germanie du centre et du sud par la révolte de leurs anciens sujets, se réfugiait dans la portion occidentale du vieux domaine des Ligures, d’autres Gaulois, quittant les régions situées à droite du bas Rhin, allaient s’établir sur la rive gauche de ce fleure, entre le Rhin et la Seine, abandonnant aux Germains leurs villes, — nous avons cité déjà Mediolanium, aujourd’hui Meteln-am-Vecht, en Westphalie, — leur abandonnant aussi leurs bais sacrés, pour lesquels les nouveaux maîtres du sol conservèrent le respect traditionnel des Gaulois vaincus. Mille ans plus tard, les Saxons établis dans cette région, et convertis au christianisme par la force, appelaient encore d’un nom gaulois, à l’accusatif pluriel Nimidas, les portions de forêts consacrées au culte des dieux[140]. Il y avait alors des siècles qu’en Gaule le christianisme avait fait déserter le nemeton gaulois, mais l’Irlande restait encore fidèle à ce culte antique[141].

Pendant que la tradition gauloise se conservait ainsi à l’est du bas Rhin, les Gaulois émigrés à l’ouest de ce fleuve gardaient le souvenir de la patrie qu’ils avaient perdue. Quand César, l’an 57 avant notre ère, demanda des renseignements ethnographiques sur les Gaulois établis entre la Seine et le Rhin, et qui étaient alors connus sous le nom collectif de Belges, on lui dit que, pour la plupart, ces peuples descendaient des Germains et avaient anciennement passé le Rhin. Ils descendaient des Germains, c’est-à-dire ils venaient de Germanie. Le mot Germain doit être pris ici dans le sens topographique et non dans le sens ethnographique. Tous les noms d’hommes belges que nous connaissons sont gaulois. Les Belges avaient passé le Rhin anciennement, antiquitus, dit le texte latin ; ils l’avaient passé deux cents ans environ avant la date où César écrivait[142].

A l’époque où César arriva en Gaule, l’an 58 avant J.-C., la portion des races celtiques établies en Gaule, qui portait, à proprement parler, le nom de Celtes, habitait entre la Seine et la Marne au nord-est, et la Garonne au sud-ouest. C’était ce groupe qui, le premier, avait été en relation avec les Grecs de Marseille ; c’était ce groupe qui, dans la langue grecque, avait donné son nom à la race entière[143] qu’après les Grecs nous appelons celtique, ignorant si cette race avait, dans sa langue, un terme collectif pour se désigner elle-même. Si nous savons, grâce à César, quelle région précisément habitait, au Ier siècle avant notre ère, le groupe celtique auquel le nom de Celtes appartenait proprement, nous ne pouvons déterminer exactement oit se trouvait son établissement au Ive siècle avant notre ère, c’est-à-dire avant que les Belges, fuyant devant les Germains vainqueurs, eussent passé le Rhin. Précédant les Belges, les peuples appelés Celtes, dans le sens étroit du mot, avaient aussi passé le Rhin ; quand ? au plus tard vers l’an 450 avant J.-C.

De tous ces faits, il résulte que l’idée d’une Gaule comprise entre le Rhin, l’Océan, les Pyrénées, la mer Méditerranée et les Alpes est une conception relativement moderne dans l’histoire de l’Europe. C’est une idée administrative des Romains. Cette Gaule est une circonscription de leur empire. L’histoire et l’ethnographie contredisent cette doctrine romaine, dont César est l’auteur. De travaux nombreux et dont les propres aveux de César sont le point de départ, il résulte que la région de sa Gaule située au sud de la Garonne était occupée par une population étrangère à la race celtique, et qui, dans presque tout le vaste territoire compris entre la Garonne et les Pyrénées, conserva, jusqu’à la conquête romaine, sa langue et son autonomie. De même, les Gaulois n’ont jamais possédé le territoire de Marseille et ses dépendances. Ainsi, la Gaule des administrateurs romains n’a jamais été vraiment gauloise qu’en partie ; d’autre part, la Gaule, dans le sens ethnographique du mot, la Gaule, qui est le pays habité par les Gaulois, comprenait une immense étendue de territoires que la Gaule administrative des Romains n’a jamais renfermés. Les historiens romains eux-mêmes nous montrent des Gaulois dans des contrées bien éloignées de celles où leur épée victorieuse et leur bureaucratie ont parqué le nom gaulois. Je ne parlerai pas de la Gaule cisalpine qui, à partir d’Auguste, s’appelle régions VIII, X et XI de l’Italie, et qui, en outre, fournit moitié environ de la région VI. Mais jetons les yeux sur la carte de l’Europe centrale. A propos des événements de l’année 168 avant J.-C., Tite-Live nous parle de Gaulois répandus en Illyrie[144]. Sempronius Asellio, qui écrivait entre les années 90 et 80 avant notre ère, racontant la prise de Noreia par les Cimbres et les Teutons, en l’an 113 avant J.-C., dit que cette ville est située en Gaule. Noreia est aujourd’hui Neumarkt, dans la Styrie, qui est une province de l’empire d’Autriche[145]. Pourquoi s’étonner de voir la Gaule arriver jusque-là, puisque Tite-Live appelle gaulois le rameau de la race celtique établi en Asie Mineure[146] ? Gallia, dérivé de Gallus, ne signifie autre chose que pays habité par les Gaulois, et ce nom convient à toute contrée que les Gaulois occupent. C’est dans ce sens que Florus, l’abréviateur de Tite-Live, a pu attribuer aux Cimbres et aux Teutons la Gaule pour pays d’origine[147]. Il reproduit, dans ce passage, un texte écrit à l’époque où on considérait comme Gaulois les Cimbres et les Teutons. Le nom de Gaule aurait pu être également donné, par les historiens romains, à la partie de l’Espagne où Rome conquérante trouva la race celtique, si, pour cette région, les Romains n’eussent respecté l’usage introduit par les Grecs d’employer le mot Celte de préférence à celui de Gaulois.

Ainsi, la circonscription que, conformément à l’usage romain, nous appelons Gaule n’est pas la Gaule véritable. Une partie de cette Gaule factice n’a jamais été contenue dans la vraie Gaule, qui, d’autre part, comprenait des régions fort éloignées de celle-là. Enfin, il n’est pas prouvé qu’avant l’année 450, aucune partie de la Gaule romaine ait été renfermée dans la Gaule réelle, dans la Gaule ethnographique.

 

§ 6. Examen du passage de Tite-Live où il est dit que la première invasion des Gaulois en Italie est contemporaine de la fondation de Marseille.

Mais, dira un critique, que faites-vous de l’autorité de Tite-Live ? Tite-Live affirme que les Gaulois sont entrés en Italie deux siècles avant leur première guerre contre les Romains, en 390. Ils venaient, suivant lui, de la Celtique, telle que César la définit, c’est-à-dire de la région située entre la Seine et la Garonne. Ils passèrent près de Marseille au moment même où les colons de Phocée la fondaient et ils les protégèrent contre les anciens maîtres du sol. Ce fut de là qu’ils gagnèrent les Alpes, puis la plaine septentrionale de l’Italie[148]. On sait que la fondation de Marseille date de l’an 600 avant notre ère[149]. C’était environ cinq cent soixante-dix ans après cette fondation que Tite-Live faisait le récit dont nous venons de donner le résumé. Il est sûr de la date qu’il attribue à ces faits, satis constat, dit-il. Seulement, il n’ajoute pas sur quel témoignage il s’appuie. Consultons les historiens qui l’ont précédé. Hérodote ne connaît pas de Gaulois, ou, pour mieux dire, en employant sa langue, de Celtes en Italie. Des peuples qui habitent la région septentrionale de cette contrée, il mentionne les Vénètes, qu’il appelle Enètes en supprimant le v initial, comme le voulaient alors les lois de la phonétique grecque. Les Vénètes étaient déjà, de son temps, c’est-à-dire au milieu du IVe siècle, établis sur les bords de l’Adriatique[150]. Hérodote nomme aussi les Ombriens, Όμβριxοί ; ceux-ci étaient, dit-il, les maîtres du pays quand les Étrusques, qu’il appelle Tursènes, sont venus s’y établir et y construire des villes[151].

Avant d’entendre parler de Gaulois ou Celtes en Italie chez les auteurs Grecs, il faut atteindre la seconde moitié du IVe siècle. Aristote sait la prise de Rome par les Celtes[152] ; Scylax de Caryanda nous montre des Celtes installés au fond de l’Adriatique[153]. Mais, pour trouver des détails un peu circonstanciés, il faut arriver au milieu du ne siècle avant notre ère, c’est-à-dire à Polybe. Celui-ci nous apprend que la domination gauloise ou celtique, dans l’Italie septentrionale, a été précédée par celle des Étrusques. C’est un point sur lequel il est d’accord avec Tite-Live[154]. En sorte que la question de savoir à quelle date les Gaulois ont fait la conquête de l’Italie septentrionale revient à celle-ci : à quelle date la domination étrusque, dans l’Italie septentrionale, a-t-elle pris fin ? Polybe nous donne la réponse. Les plaines qu’arrose le Pô ont été, nous dit-il, possédées par les Étrusques au temps où le même peuple était maître des champs phlégréens qui entourent Capoue et Nole[155]. Il faut, dans les derniers temps de l’histoire des Étrusques, distinguer la période de la toute-puissance, où ils ont possédé un vaste empire, et celle où ils ont été réduits à un étroit domaine, entre le Tibre, la mer et l’Apennin. La première période est celle de l’unité monarchique ; la seconde, celle de la République fédérative, comme on le sait par Strabon[156]. Ce fut dans la première période que les Étrusques firent sur les habitants de Cumes la conquête de la Campanie ; ils y fondèrent douze villes, dont Capoue fut la capitale. Dans la seconde période, pendant la décadence des Étrusques, les Samnites leur enlevèrent la Campanie[157]. Denys d’Halicarnasse nous apprend à quelle date dans la première période commencèrent les guerres des Étrusques contre les habitants de Cumes. Ce fut sous l’archontat de Miltiade, en 524[158]. Ces guerres ayant été couronnées de succès, Cumes dut se contenter de garder son indépendance, et les Étrusques fondèrent leur colonie de Capoue, Capua dans la langue du pays, c’est-à-dire en osque, Vulturnum en étrusque, l’an 471 avant notre ère. Nous savons cette date par M. Porcius Caton, qui écrivait à la fin de la première, moitié du Ier siècle avant J.-C. Capoue, dit-il, fut bâtie par les Étrusques, environ deux cent soixante ans avant d’avoir été prise par les Romains. Les Étrusques bâtirent Nole ensuite[159]. Or, Tite-Live nous apprend que Capoue fut prise par les Romains en 211[160]. C’est donc seulement de 471 que date l’établissement des Étrusques à Capoue, leur capitale en Campanie. Or, ils ne la possédèrent pas plus de quarante-sept ans ; les Samnites la leur prirent en 424[161] et, quatre ans plus tard, les Samnites terminèrent la conquête de la Campanie parla prise de Cumes, qui était parvenue à sauvegarder son indépendance contre les Étrusques, mais qui ne put résister à cette invasion nouvelle, 420[162]. Quand donc Polybe affirme que les Étrusques ont été maîtres de la plaine du Pô, au temps où ils possédaient les champs phlégréens qui entourent Capoue et Nole, nous devons entendre que leur domination dans la plaine du Pô a duré jusqu’à une date voisine de 424, année de la prise de Capoue par les Samnites, et de 420, année où Cumes tomba aux mains du même peuple. Cette doctrine est confirmée par un détail dont nous devons la connaissance à Cornelius Nepos, contemporain de Cicéron. Il nous apprend que Melpum, ville située au nord du Pô, fut prise et détruite par les Gaulois le jour où les Romains entrèrent à Véies[163], c’est-à-dire en 396[164]. A cette date, les Gaulois, au début de leurs conquêtes, n’avaient point encore passé le Pô. Cette indication chronologique est d’accord avec les indications que nous fournit Polybe, et desquelles il résulte que le premier établissement des Gaulois dans l’Italie du Nord est postérieur à l’année 424.

De Polybe nous arrivons à Diodore de Sicile, qui écrivait peu de temps après la mort de César, 44 avant J.-C. Diodore n’a pas exactement la même chronologie que Tite-Live, qui date de l’année 390 la prise de Rome par les Gaulois. Sa chronologie est celle que nous retrouvons plus tard chez Denys d’Halicarnasse, qui met la prise de Rome en 388[165]. C’est à cette époque qu’eut lieu un événement beaucoup plus important que la prise de Rome aux yeux des Grecs du IVe siècle, le siège de Rhegium par Denys, tyran de Syracuse. Or, suivant Diodore, ce siège est contemporain de l’invasion gauloise en Italie, c’est-à-dire de la conquête, parles Gaulois transalpins, des régions situées entre les Alpes et l’Apennin, d’où ils chassèrent les Étrusques ; le siège de Rome suivit immédiatement cette conquête[166]. Il n’y a donc pas, entre cette conquête et ce siège, les deux cents ans d’intervalle dont parle Tite-Live.

Jusque vers la fin du Ier siècle avant notre ère, le récit de l’invasion gauloise en Italie est un peu sec, là où Rome elle-même n’est pas en jeu. Enfin, les développements surgissent. Le premier consiste à mêler une histoire de femme à l’énoncé de ce grand événement militaire. La femme d’un certain Arruns de Clusium avait été séduite par Lucumon, c’est-à-dire par le premier magistrat de la cité. Le mari, outragé, voulut se venger. Il passa les Alpes, alla trouver les Gaulois, leur apportant du vin et de l’huile, liqueurs dont ils n’avaient pas goûté jusque-là. Il leur persuada de venir s’établir dans un pays qui donnait des produits si agréables au goût. Telle fut la cause de l’invasion gauloise en Italie. Les Gaulois arrivèrent directement à Clusium et, de là, gagnèrent Rome. Cette légende est rapportée par Tite-Live, qui l’inséra dans le cinquième livre de son histoire, écrit peu de temps après l’an 27 avant J.-C.[167] Le grave Denys d’Halicarnasse la raconte dans son Archéologie romaine[168], qu’il publia l’an 7 avant notre ère. Plutarque, un siècle environ après, la répète encore[169]. Elle est d’accord avec la doctrine de Polybe et de Diodore de Sicile, qui présente le premier passage des Alpes par les Gaulois et leur arrivée à Rome comme séparés par un espace de temps fort court.

La seconde légende est celle qui donne pour auxiliaire aux fondateurs de Marseille, en 600, l’armée gauloise en route pour fonder en Italie la première colonie celtique. Tite-Live est le premier qui nous l’apprenne. Il écrivait cinq cent soixante-treize ans après la fondation de Marseille. Où a-t-il pris ce renseignement ? Les documents romains, source ordinaire de ses récits, n’ont pu lui fournir ce synchronisme qui n’a aucun rapport avec l’histoire de Rome. Si, au lieu d’histoire ancienne, il s’agissait d’histoire de France, quelle valeur attribuerait-on à une indication historique qu’on trouverait pour la première fois sans mention de source chez un auteur postérieur à l’événement de cinq cent soixante-treize ans ? D’ailleurs, par une contradiction singulière, après avoir intercalé dans son ouvrage ce récit d’une prétendue invasion gauloise en Italie antérieure de deux siècles à la prise de Rome, Tite-Live continue son exposition comme il l’a commencée, conformément à la doctrine reçue jusqu’à lui, sans tenir compte de l’innovation qu’on lui doit. C’est aux chapitres XXXIII et XXXIV du livre V que Tite-Live a prétendu imposer la date que nous contestons. Il n’y pensait pas encore, quand, au chap. XVII, § 8, racontant les événements de l’année 396, c’est-à-dire de l’année où Melpum fut pris par les Gaulois, il nous représente l’assemblée générale des Étrusques délibérant sur le siège de Véies par les Romains : on y parle, suivant lui, des Gaulois en les qualifiant de gentem invisitatam, novos accolas, peuple inconnu, voisins nouveaux. Quand il a écrit ces mots, il n’avait pas encore adopté son système chronologique ; il semble l’avoir oublié quand, au chapitre XXXVII du même livre, ayant encore à parler de ces Gaulois établis en Italie depuis deux cents ans suivant lui, il les appelle, dans le récit des événements de l’année 390, un ennemi inconnu dont on n’avait pas entendu parler jusque-là, venant de l’Océan et des extrémités de la terre apporter la guerre aux Romains[170].

Ainsi, Tite-Live, en contradiction avec le reste des auteurs de l’antiquité que nous connaissons, n’est pas d’accord avec lui-même.

Ce que son récit présente d’intéressant, c’est qu’il nous a conservé le souvenir d’Ambigatos, ce monarque suprême qui, soumettant à l’unité les innombrables peuplades des Gaulois, leur donna la puissance militaire. La source immédiate est probablement un auteur grec ; Ambigatos est roi de la Celtique ; Celtique est un mot grec ; vraisemblablement, à son tour, l’auteur grec avait puisé le nom d’Ambigatos dans un récit épique gaulois analogue à ceux qu’inspira plus tard le grand nom de Charlemagne. Mais, de ce récit épique, il ne pouvait avoir aucune notion chronologique à tirer. D’ailleurs, Tite-Live, s’aidant de César, interprète ce récit d’une façon qui montre combien sa critique est enfantine. Il s’est imaginé que la Celtique, où régnait Ambigatos, était non pas la vaste Celtique des auteurs grecs, mais la petite Celtique de César, telle que ce dernier nous la fait connaître au commencement du premier livre des Commentaires, qui raconte les événements de l’an 58 avant notre ère. De là, la confusion des Sénones d’Italie avec les Sénones de Gaule, quoique le premier de ces noms ait la première syllabe longue, et le second la première syllabe brève, comme si la première syllabe de feria, foire, était identique à celle de ferus, fier[171]. De là, la croyance que les Cenomani d’Italie sont identiques aux Cenomanni dont le nom a donné à la France celui de la ville du Mans. Ces deux peuples portent un nom dérivé d’un adjectif ceno-s lointain. Mais le suffixe est différent : en Italie, c’est mâno-s par a bref et n simple. Dans le suffixe du nom de peuple qui a donné naissance au nom de la ville française, l’n, est double. Le Mans tient lieu d’un plus ancien Cenomanni. C’est l’orthographe de Grégoire de Tours, des monnaies mérovingiennes, des bons manuscrits de la Notice des provinces et des cités de la Gaule. Les éditeurs de César, de Pline et de Ptolémée ont eu tort de ne pas la suivre. Cenomani par une seule n aurait donné Le Mains et non Le Mans[172]. De là aussi l’indication du pays des Taurin à côté de la Julia Alpis[173], dans le récit du passage des Alpes par la première invasion celtique en Italie. L’armée gauloise, venant de Marseille, ne pouvait passer à la fois par les Alpes qui avoisinent Turin et par la Julia Alpis, qui est à quatre ou cinq cents kilomètres de là, entre Aquilée, en Italie, et l’antique Noreia, aujourd’hui Neumarkt, en Styrie. Tite-Live, dans sa première rédaction, ne parlait que de la Julia Alpis ; il ne disait rien de Marseille, ni de l’intervalle de deux cents ans qui aurait séparé la première invasion gauloise de la prise de Rome. Quand il a intercalé, dans sa première rédaction, le récit qui, faisant passer les Gaulois par Marseille naissante, prétend justifier cette chronologie nouvelle, il a ajouté le nom des Taurini à celui de la Julia Alpis ; pour être logique, il aurait dû rayer la Julia Alpis ; mais il l’a laissée par oubli, et ce nom, dans son livre, proteste encore aujourd’hui contre l’addition des Taurini ; il est le pendant des expressions que nous avons relevées dans les chapitres XVII et XXXVII, où les habitants de l’Italie centrale, au commencement du IVe siècle, traitent les Gaulois de peuple inconnu, de voisins nouveaux, d’ennemis inconnus dont on n’avait pas entendu parler jusque-la, venant de l’Océan et des extrémités de la terre, apporter la guerre aux Romains. Des deux systèmes de Tite-Live, celui qui, suivant nous, appartient à la première rédaction de son ouvrage, est le seul que nous trouvions chez les autres historiens de l’antiquité[174] : c’est celui qu’adopte la science moderne par ses organes les plus autorisés[175].

Ainsi, c’est vers le commencement du IVe siècle que les Gaulois sont venus s’établir en Italie. A cette date, ils possédaient déjà une partie de la Gaule depuis au moins cinquante ans, mais la vallée du Rhône, de la mer à Bellegarde au moins, ne leur appartenait pas. Le centre d’où leur empire rayonnait sur une grande partie de l’Europe, notamment sur la contrée que les Romains ont appelée Germanie, était dans la Bavière méridionale et dans les provinces occidentales de l’empire d’Autriche. Quand ils passèrent les Alpes, ce fut par la route qui, de Neumarkt en Styrie, gagne Aquilée en Italie. Noreia, aujourd’hui Neumarkt, était encore considérée comme une ville de Gaule au commencement du Ier siècle avant notre ère ; le fond de l’Adriatique, où se trouve Aquilée, est le premier point par lequel les Gaulois aient atteint le bassin de la Méditerranée. Jusque-là, l’Océan était la seule mer dont ils eussent occupé les côtes.

 

H. D’ARBOIS DE JUBAINVILLE.

 

 

 



[1] Hérodote, livre V, c. 36.

[2] Rudolf Nicolai, Griechische Literatur Geschichte, t. I, p. 255, cf. Charles et Théodore Müller, Fragmenta historicorum Græcorum, t. I, pp. XI-XI. Max Duncker, Geschichte des Alterthums, VI (1882), p. 332, modifie légèrement ces dates.

[3] Aristote, Meteorologicorum, lib. I, c. 13, § 30. Aristotelis opera, édition Didot, t. III, p. 570, lignes 47-50. Johann Gustav Cuno, Vorgeschichte Roms, Merster Theil, Die Kelten, p. 90.

[4] Scylax de Caryanda, § 3, 4, chez Charles Müller, Geographi græci minores, t. I, p. 17.

[5] Forbiger, Handbuch der alten Geographie, t. III (1848), p. 542 et suiv.

[6] Testus Avienus, Ora maritima, vers 130-157, 196-198. Cf. Muellenhof, Deutsche Alterthumskunde, p. 95. Cet auteur, sans démontrer tout ce qu’il affirme, a fait sur Avienus un travail d’une grande valeur.

[7] Hérodote, livre II, c. 33, § 3.

[8] Hérodote, livre IV, c. 49, § 4. Cf. Callimaque, In Delum, 174.

[9] Il n’est nullement démontré que les mots Albion et Jerne, qu’on trouve employés comme ethniques chez Avienus, Ora maritima, vers 111, 112 et suivants, noms primitifs de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, soient d’origine celtique, comme dit Muellenhof, Deutsche Alterthumskunde, p. 96, cf. 83. Si l’on admet avec lui que le plus ancien nom des îles Britanniques est Πρεττανιxαί, Prettaniques, avec un p initial, on est obligé d’admettre que ce nom est identique à Cruitnech, nom irlandais des Pictes. Or, suivant M. Rhys, Early Britain, Celtic Britain, p. 159, les Pictes ne sont pas des Celtes.

[10] Cette conquête n’était pas ancienne alors. Voir chez Muellenhof, Deutsche Alterthumskunde, p. 97-176 et surtout 106-108, une étude sur l’Espagne avant l’invasion celtique.

[11] Tite-Live, livre V, c. 34.

[12] Strabon, livre VII, c. 5, § 11, édition Didot, p. 264. Cf. Justin, livre XXIV, c. 4 ; Théopompe, fragment 41 : Müller, fragmenta historicorum græcorum, I, p. 284-285.

[13] Ephore, fragment 43 : Müller, fragmenta historicorum græcorum, t. I, p. 245, cf. Strabon, édition Didot, p. 165, lignes 37-40. Voyez aussi Ératosthènes, cité par Strabon, livre II, c. 4, § 4, édition Didot, p. 88, l. 23.

[14] Polybe, livre II, c. 1, 13, 36 ; livre III, c. 13-17 : 2e édit. de Didot, p. 68, 76, 93, 127-130 ; Diodore de Sicile, livre XXV, fragm. 9, 10 ; édit. Didot, t. II, p. 458.

[15] Diodore de Sicile, livre V, c. 25, § 4, édition Didot, t. I, p. 269, cf. César, De bello gallico, liv. IV, c. 16-19.

[16] Édition d’Immanuel Bekker, t. I, p. 27, fragment 34.

[17] Dion Cassius, livre XXXIX, c. 47, 49, édition Bekker, t. I, pp. 205, 206. Cf. Cougny, Extraits des auteurs grecs, t. IV, pp. 286, 287, 290, 291 ; Zeuss, Die Deutschen, p. 89.

[18] Dion Cassius, livre LIII, c. 12, § 6 ; édition Bekker, t. II, p. 37.

[19] Denys d’Halicarnasse, livre XIII, c. 10 ; éd. Teubner-Kiessling, t. IV, p. 196.

[20] Denys d’Halicarnasse, liv. XIV, c. 1 ; éd. Teubner-Kiessling, t. IV, pp. 198, 199. On pourrait encore citer : Plutarque, Marius, XI, 6, éd. Didot, p. 490 ; le Corpus inscriptionum græcarum, t. II, n, 2058. Comparez le nom gaulois de la ville de Carrodunum, en Scythie, chez Ptolémée, III, 5, 30. Voyez Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, p. 434.

[21] De oratore, livre II, chap. LXVI, § 266.

[22] Jugurtha, c. 114.

[23] Voir l’étude faite sur ce point par Zeuss, Die Deutschen, p. 141-146.

[24] Ephore, fragment 38. Fragmenta historicorum græcorum, t. I, p. 244.

[25] Tacite, Germania, 28.

[26] Tite-Live, livre XXXVII, c. 57 ; cf. livre V, c. 35.

[27] Strabon, livre IV, c. 6, ë 8 ; édition Didot, p. 171, l. 36 ; livre V, c. 1, § 6 ; p. 177, l. 15-19 ; livre VII, c. 1, § 5, p. 243, l. 9 ; c. 3, § 2, p. 246, l. 10 ; § 11, p. 252, l. 28 ; c. 5, § 2, p. 260, l. 24-26 ; § 6, p. 262, l. 21-22.

[28] Tacite, Germania, 28.

[29] Strabon, liv. VII, c. 2, § 3 ; édition Didot, p. 244, l. 6-9.

[30] De bello gallico, livre VI, c. 24.

[31] Tacite, Germania, c. 43, 3e édition de Schweizer-Sidler.

[32] Meteorologicorum, lib. I, c. 13, § 20. Aristotelis opera, édition Didot, t. III, p. 569, l. 49. Ce nom veut dire en gaulois très haut.

[33] De bello gallico, livre VI, c. 24, § 2 : c. 25.

[34] Strabon, livre VII, c. 2, § 5 ; édition Didot, p. 243, l. 15. Ptolémée, II, 11, § 5, 7. Ce nom veut dire en gaulois endroit où il y a des chèvres.

[35] Ptolémée, liv. II, c. 11, § 30. Cf. Forbiger, Handbuch der alten Geographie, t. III, p. 418 ; Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, t. I, p. 275, cf. 273. Ce nom est le même que le nom ancien d’Yverdun, canton de Vaud.

[36] Ptolémée, liv. II, c. 11, § 29 ; cf. Forbiger, t. III, p. 415 ; suivant Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, I, 274, Krappvitz sur l’Oder. Les Gaulois avaient fondé deux autres Carrodunum, 1° en Pannonie supérieure, aujourd’hui en Hongrie, près du confluent de la Mur et de la Drave ; Ptolémée, liv. II, c. 15, § 5 ; cf. Forbiger, t. III, p. 482 ; Corpus inscriptionum latinarum, t. III, p. 507 ; 2° en Sarmatie ; aujourd’hui dans la Russie méridionale, près du Dniéper ; Ptolémée, liv. III, c. 5, § 30 ; cf. Forbiger, t. III, p. 1131 ; Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, t. I, p. 434.

[37] Ptolémée, liv. II, c. 11, § 29 ; cf. Forbiger, t. III, p. 418.

[38] Ptolémée, liv. II, c. II, § 28 ; Forbiger, t. III, p. 415. Rigo-, second terme du composé, se rencontre comme premier terme dans les noms de lieu, Rigodunum en Grande-Bretagne ; Ptolémée, liv. II, c. 3, § 16 ; Rigo-dulum en Gaule, entre Trèves et Mayence, Tacite, Histoires, livre IV, c. 71 : cf. Forbiger, t. III, p. 246 ; Rigo-magus, sur la route d’Andernach à Bonn, Ammien Marcellin, livre XVI, c. 3 ; Table de Peutinger, chez Desjardins, Géographie de la Gaule d’après la Table de Peutinger, p. 53 ; cf. Forbiger, t. III, p. 248. Le thème rigo- a une variante, rego-, troisième terme du composé Duro-icoregum, qui est le nom d’une station romaine sur la route de Cassel à Amiens, Desjardins, Géographie... d’après la Table de Peutinger, p. 93.

[39] Ptolémée, liv. II, c. 11, § 28 ; c£ Forbiger, t. III, pp. 413, 414 ; Foerstemann, Ortsnamen, deuxième édition, col. 1024 ; Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, t. I, p. 270.

[40] Les textes du temps de l’empire romain nous font connaître, dans les régions celtiques soumises à la domination romaine, sept localités appelées Mediolanium ou avec une légère variante orthographique Mediolanum. L’une est connue dès le temps de la République romaine ; c’est Milan qui semble avoir été fondé dès le IVe siècle, Tite-Live, livre V, c. 34, et qui fut pris par les Romains dès l’an 222 avant J.-C. ; Polybe, livre II, c. 34 ; Corpus Inscriptionum latinarum, t. V, p. 634. Les six autres se trouvent : un en Grande-Bretagne ; Ptolémée, livre II, c. 3, § 18 ; Itinéraire d’Antonin, pp. 469, 481, 482 ; cinq en Gaule, ce sont : Châteaumeillant, Cher, Table de Peutinger, chez Desjardins, Géographie de la Gaule d’après la table de Peutinger, p. 299 ; Evreux, Ptolémée, livre II, c. 8, § 11 ; Desjardins, Géographie..., p. 149 ; Saintes, Strabon, livre IV, c. 2, § 1 ; Ptolémée, livre II, c. 7, § 7 ; Desjardins, Géographie..., p. 263. La situation exacte des deux derniers Mediolanum de Gaule n’est pas bien déterminée ; l’un était sur la rive gauche du Rhin, Itinéraire d’Antonin, p. 375 ; l’autre près de Roanne, Loire : Table de Peutinger, Desjardins, Géographie..., p. 281. M. Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, t. I, p. 268, prétend que Mediolanium doit être effacé du chapitre que Ptolémée a consacré à la Germanie. Cette doctrine, que le savant éditeur emprunte à Uckert, ne me parait nullement justifiée.

[41] Tacite, Annales, livre I, c. 60.

[42] Strabon, livre VII, c. 1, § 4 ; édition Didot, p. 242, 1. 32. Teutos est un mot gaulois qui a fourni le premier terme du nom d’homme Teuto-matus, César, livre VII, c. 31, 46, et dont la variante Toutos est employée comme nom d’homme dans une inscription du musée de Klagenfurt, Corpus inscr. lat., III ; 4906.

[43] Ritum, en gaulois, veut dire gué ; comparez Augusto-ritum, aujourd’hui Limoges. Le nom allemand est furt, chez Ptolémée φοΰρδον dans Τουλί-φουρδον et Λούπ-φουρδον, livre II, c. 11, § 28. Loco-ritum est mentionné par Ptolémée, livre II, c. II, § 29 ; cf. Forbiger, t. III, p. 422, et Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, I, 272.

[44] Ptolémée, livre II, c. 11, § 29 ; Forbiger, t. III, p. 422, et Ch. Mueller, Cl. Ptolemaei geographia, I, 273.

[45] Ptolémée, livre II, c. 11, § 29 ; Forbiger, t. III, p. 422. Ce nom ne diffère que par une variante dialectale, i = é, de Divona, ancien nom de la ville de Cahors ; Ausone, Clarae urbes, XIV, v. 32 ; comparez aussi Devana, nom de ville de Grande-Bretagne (Ptolémée, livre II, c. 3, § 19), qui ne se distingue du nom de ville germanique que par la voyelle du suffixe. Ces mots dérivent d’un thème divo-, devo-, deva- ; comparez les noms de Divo-durum, Metz, et de Deva, rivière de Grande-Bretagne.

[46] Ptolémée, livre II, c. 11, § 30 ; cf. Foerstemann, Ortsnamen, deuxième édition, col. 77, et Zeuss, Grammatica celtica, deuxième édition, p. VII.

[47] Ptolémée, livre II, c. 11, p. 30. Cf. Forbiger, t. III, p. 426.

[48] On croit que le géographe de Ravenne écrivait au IXe siècle et que la base de son travail est un traité composé en grec au VIIe siècle. Teuffel, Geschichte der rœmischen literatur, troisième édition, p. 1183.

[49] En irlandais dobur, en gaulois dubro- dans le composé Verno-dubrum, Pline, livre III, § 32, nom d’une rivière qui s’appelle aujourd’hui Verdouble, Longnon, Atlas historique de la France, première livraison, texte, p. 32. Voyez Zeuss, Grammatica celtica, deuxième édition, p. 136, note. Cf. Foerstemann, Die deutschen Ortsnamen, deuxième édition, col. 487.

[50] Inferias caesis mactat Labarumque Padumque, Punicorum, liber IV, v. 232. Cf. Zeuss, Grammatica celtica, deuxième édition, p. 3 ; et Foerstemann, Ortsnamen, deuxième édition, col. 952, 953.

[51] Voyez Karl Müllenhoff, Deutsche Alterthumskunde, pp. 479 et suivantes ; cf. Kiepert, Lehrbuch der allen Geographie, p. 540, note 3.

[52] Ainsi s’explique le passage où Florus, abréviateur de Tite-Live, copiant cet auteur, qui copiait lui-même un auteur plus ancien, donne la Gaule pour pays d’origine aux Cimbres et aux Teutons. Il sera plus loin question de ce texte.

[53] Bücheler, Précis de la déclinaison latine, traduit par L. Navet, p. 60.

[54] Dictionnaire archéologique de la Gaule, t. II, planches, inscriptions gauloises, n° 10.

[55] Cette invasion de la déclinaison pronominale dans le domaine de la déclinaison nominale s’étend aux thèmes en a- : en grec χώραι dès une époque préhistorique ; en latin, à une date relativement récente, en l’an 186 avant notre ère, tabelai, plus tard tabulae. Bücheler, Précis de la déclinaison latine, traduit par Havet, pp. 58, 59. Sénatus-consulte des Bacchanales, Corpus inscriptionum latinarum, t. I, p. 43, n° 196, ligne 30.

[56] On peut consulter Bopp, Grammaire comparée des langues indo-européennes, traduction de M. Bréal, t. II, pp. 152 et suivantes.

[57] Moritz Heine, Kurze Grammatik der altgermanischen Dialecte, pp. 255 et suivantes.

[58] Je passe sous silence ici l’osque et l’ombrien, qui sont, pour ainsi dire, un patois du latin. Ces deux langues ont, comme le latin, un passif en r, mais nous le connaissons d’une façon trop incomplète pour qu’il y ait intérêt d en parler ici.

[59] Comparez le grec λεγόμενοι.

[60] Sur ce suffixe voyez Bopp, Grammaire comparée, traduction de M. M. Bréal, t. IV, p. XII, 114, 174 ; § 844, 867. Les noms en -tio gouvernent l’accusatif dans la grammaire de Plaute.

[61] En vieil irlandais, cet o bref tombe. Les lois phonétiques nous apprennent qu’il se serait maintenu s’il avait été long.

[62] Exemple, le vieil irlandais athir, père, pour *patir.

[63] Le préfixe augmentatif, ar, er, tient lieu en celtique d’un plus ancien, par, per ; comparez le grec περι le latin per-, le français par-fait, per-fection. On trouve ce préfixe au IVe siècle dans Άρxύνις όρη chez Aristote.

[64] Ce n’est pas ici le lieu d’expliquer pourquoi la seconde consonne explosive, originairement gutturale, s’est changée en dentale dans πέντι, cinq, et en labiale dans πέπτω, je cuis.

[65] G. Curtius et E. Windisch, Grundzuege der griechischen Etymologie, 5e édition, p. 294.

[66] G. Curtius et E. Windisch, Grundzuege der griechischen Etymologie, 5e édition, p. 321.

[67] Il y a cependant deux points de phonétique sur lesquels le grec et le celtique s’accordent pour faire subir aux sons primitifs une modification que le latin ne connaît pas et qui est étrangère aux langues germaniques. Le grec et le celtique changent gu en b : au grec βίος, vie, comparez le vieil irlandais biu, vivant, en latin vivos, pour *gvigvos, en gothique qius.

Enfin l’usage des voyelles prothétiques, si fréquentes en grec, a laissé quelques traces dans les langues celtiques. Όφρύς, sourcil, a un o prothétique, comme le prouve la comparaison avec l’allemand braue et avec le sanscrit bhru. Cet o prothétique est représenté par un a dans le breton abrant, sourcil, et dans le moyen irlandais abra, génitif abrat, cil. L’a prothétique du grec άελλα, tempête, pour αελλα, se retrouve dans le breton avel, en gallois awel. Enfin, le celtique et le grec possèdent en commun une troisième personne du singulier du présent primaire de l’indicatif sans t final. Cette troisième personne manque partout ailleurs. Le passif irlandais berir, il est porté, suppose un actif beri, sans t, comme le grec φέρει. Mais φέρει peut être une forme indo-européenne primitive, et les phénomènes phonétiques précités peuvent s’être produits d’une façon indépendante.

[68] L’origine celtique du mot allemand reich est acceptée par Kluge, Etymologisches Vicerterbuch der deutschen Sprache, troisième édition, 1884, p. 268.

[69] Reich, empire, en vieil allemand rihki, en gothique reiki, thème rîkja-, est identique au vieil irlandais rige, royaume, thème, rigio-. Le mot germanique est neutre, le mot celtique parait du même genre.

[70] Brambach, Inscriptiones rhenanae, n° 36.

[71] Loi salique, titre I, $ 4. Hessels et Kern, col. 5, 7.

[72] Ambactus apud Ennium lingua gallica servus appellatur. — Festus.

[73] Curtius-Windisch, Grundzuege der griechischen Etymologie, 5e édition, p. 170 ; cf. Rudolf Thurneysen, Keltoromanisches, p. 28-31.

[74] De bello gallico, livre VI, c. 15. Cf. circum se habere, I, 18, 5.

[75] Le gothique andbaths, même sens, substitue à ambi-, par l’influence d’une étymologie populaire, le préfixe germanique and. De là, un mot inintelligible, car bahts n’existe pas.

[76] Grammatica celtica, deuxième édition, p. 156.

[77] C’est un des mots expliqués dans le Glossaire de Cormac, chez Whitley Stokes, Three irish glossaries, p. 33. Cf. Whitley Stokes, Sanas Chormaic, p. 128. On trouve l’accusatif pluriel oelhu dans le traité des devoirs royaux qui a été inséré dans le récit légendaire intitulé : Serglige Conculaind. Windisch, Irische Texte, t. I, p. 213, ligne 26.

[78] Zimmer, Glossae hibernicae, pp. 45, 117, 130.

[79] Zimmer, Glossae hibernicae, p. 186.

[80] Le vieux breton avait un mot identique, gur-bonn, de sens légèrement différent, non pas ordre, mais prière, d’où la troisième personne du singulier du futur do-gur-bonneu, rogaverit. Whilley Stokes, Breton glosses at Orleans, p. 11, n° 52 ; cf. Loth, Vocabulaire vieux-breton, p. 110.

[81] Sur sa famille, dans les langues celtiques, voyez Whitley Stokes, Breton glosses at Orleans, p. 12, et Loth, à l’endroit précédemment cité. Ad-bonnar veut dire il est signifié, Ancient laws of Ireland, III, 298, ligne 6.

[82] On peut consulter Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, t. II, p. 945, col. 1, et Fick, Vergleichendes Wœrterbuch der indo-germmmischen Sprachen, t. II, p. 388 ; t. III, p. 152. Nous ne savons pas comment le vieux slave représente l’l résonnant ; nous ne pouvons par conséquent déterminer l’origine du premier u du vieux slave dlugu, dette. Cependant, il semble reproduire avec métathèse l’u du gothique dulgs.

[83] Zimmer, Glossae hibernicae, p. 64 ; cf. Grammatica celtica, deuxième édition, pp. 746, 812, 854.

[84] Marianus Scotus, chez Zimmer, Glossae hibernicae, p. 274, cf. Grammatica celtica, deuxième édition, pp. XXI, 260, 812. On écrit aujourd’hui Sgolog : Bible irlandaise, saint Mathieu, XXI, 33-35.

[85] La chute des désinences du thème -o pour le masculin, -a pour le féminin, a produit la nécessité de distinguer les genres au moyen de la composition, et par l’emploi, comme premier terme, des mots fer, homme, et ban, femme. Le masculin est fer-scal, le féminin est ban-scal.

[86] Windisch, Irische texte, t. I, p. 384, au mot banscal ; p. 544, au mot ferscal ; p. 570, au mot scal.

[87] Voyez O’ Donovan, Supplément à O’ Reilly, p. 717, col. 2. Windisch, Irische texte, t. I, p. 845. Il n’est nullement établi qu’il y ait une relation quelconque entre ce mot et le latin tribus.

[88] Grammatica celtica, deuxième édition, p. 264 ; cf. 147, 266, 267.

[89] Voyez Loth, Vocabulaire vieux breton, appendice, p. 229.

[90] Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, deuxième édition, t. I, p. 532 ; cf. Windisch, Irische texte, t. I, p. 662.

[91] Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, deuxième édition, t. I, p. 361. Kluge, Etymologisches Wœrterbuch, 3e édition, p. 118, au mot hader.

[92] Pausanias, livre X, c. 19, § 12 ; édition Didot, p. 517.

[93] Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, deuxième édition, t. I, p. 591. Kluge, Etymologisches Wœrterbuch, troisième édition, p. 217.

[94] De bello gallico, liv. III, c. 4.

[95] Enéide, livre VIII, vers 659-662 ; cf. saint Augustin, Locutions in Heptateuchum, VI ; chez Migne, Patrologia latina, t. XXXIV, col. 539. (Il s’agit de Josué, VIII, 19.)

[96] Qui gladiis cincti sine scuto cuva binis gaesis essent. Varron, chez Nonius, XVIII, 19. On sait que Varron a vécu de l’an 116 à l’an 26 avant notre ère, Virgile, de 70 à 19. M. Alexandre Bertrand a publié une plaque de ceinturon en bronze provenant du cimetière gaulois de Watsch, en Carniole, qui date de l’époque où les Gaulois avaient abandonné l’usage des chars ; elle représente entre autres personnages deux fantassins portant chacun deux gaesa. Revue archéologique, troisième série, t. III, planche III, p. 105.

[97] De consulatu Stilichonis, livre II, vers 240.242 ; édition donnée par Louis Jeep en 1876, t. I, p. 239.

. . . . . . . . . . . . . . Tum fulva repexo

Gallia crine ferox evinctaque torque decoro

Binaque gaesa tenens animoso pectore fatur.

[98] Grammatica celtica, deuxième édition, pp. 52, 764 ; cf. Gesalius : Corpus inscriptionum latinarum, t. V, n° 4144, et Gesatia, ibid., t. III, n° 5947.

[99] Polybe, liv. II, c. 22, deuxième édition, Didot, t. I, p. 83.

[100] Polybe, liv. II, c. 28 ; édition Didot, p. 88 ; la source de Polybe est évidemment ici Fabius Pictor, auteur contemporain cité par Orose, livre IV, c. 13 : Hermannus Peter, Historicorum romanorum relliquiae, t. I, p. 36-37 ; cf. Migne, Patrologia latina, t. XXXI, col. 888.

[101] Polybe, liv. II, c. 34 ; édition Didot, p. 92. Comparez les vers de Properce, 4, 10, 39, sur la mort du chef gaulois Virdumarus, 222 av. J.-C.

[102] Sicut Fabius historicus qui eidem bello interfuit scripsit, Orose, IV, 13.

[103] Gaesati... Helvetii, Corpus inscriptionum latinarum, t. V, n° 536 ; Raeti gaesati, ibidem, t. VII, n° 1002.

[104] Corpus inscriptionum latinarum, t. VIII, n° 2728. Cette inscription a été gravée l’an 152 de notre ère.

[105] Voyez, dans le Corpus inscriptionum latinarum, les observations sur les inscriptions précédemment citées.

[106] Polybe, livre XXV, c. 11, 2e édition de Didot, t. II, p. 3, écrit Γαιξοτόριος. Mais Strabon, livre XII, c. 3, § 41, parle d’une région de Paphlagonie, qui, ayant pris le nom d’un de ses anciens rois, s’appelait terre de Gezatorix : Γεξατόριγος, édition Didot, p. 481, ligne 42.

[107] Il est peu probable que les Romains en aient connu le nom beaucoup plus anciennement. Si ce mot eût pénétré dans leur langue à l’époque de la prise de Rome par les Gaulois, 390, comme on pourrait être tenté de le conclure du récit de Virgile, l’s de gaesum se fût changé en r sous la censure d’Appius Claudius Caecus en 312 ; Pomponius, au Digeste, livre I, tit. II, loi 2, § 36 ; cf. De Vit, Onomasticon, t. II, p. 309.

[108] Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, t. I, p. 92. En gothique, ce mot a plusieurs thèmes. Voyez Grimm, Deutsche Grammatik, deuxième édition, t. I, p. 610.

[109] Comparez quant au premier terme Loco-ritum en Germanie, dont il a été question plus haut.

[110] Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, 2e éd., t. II, pp. 1300, 1301. Kluge, Etymologisches Wœrterbuch der deutschen Sprache, 3e éd., p. 382.

[111] Livre IV, c. 10.

[112] Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, t. I, p. 458 ; Kluge, Etymologisches Wœrterbuch, p. 63.

[113] Bulgas Galli sacculos scorteos appellant, Pauli Diaconi excerpta, liv. II.

[114] Windisch, Irische texte, t. I, p. 400.

[115] Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, 2e éd., t. II, p. 1074 ; Kluge, Etymologisches Wœrterbuch, 3e éd., p. 360.

[116] Un témoignage attestant un effet de cette évolution, au milieu du Ier siècle avant notre ère, est celui de César quand il écrit avec un ch initial le nom des Cherusci, De Bello gallico, VI, 10. Ce ch spécial à l’orthographe franque équivaut à l’h des autres dialectes germaniques, Cherusci est dérivé de haira ou hera, thème du mot qui veut dire épée, dont la racine est la même que celle du sabin caris, lance. Cherusci veut dire porteurs d’épée, comme quirites, porteurs de lame, Grimm, Geschichte der deutschen Sprache, troisième édition, p. 426 ; cf. Schade, Altdeutsches Wœrterbuch, t. I, p. 393.

[117] Ptolémée, fils de Lagus, fragment 2, chez Mueller-Didot, Scriptores rerum Alexandri magni, p. 87. Cf. Strabon, livre VII, c. 3, § 8 ; édition Didot, p. 250, et Arrien, livre I, c. 4, § 6-8, édition Didot, p. 5.

[118] Scylax de Caryanda, § 3, 4, 18, 19 ; cf. Ptolémée, fils de Lagus, fragment 2, chez Mueller-Didot, Scriptores rerum Alexandri magni, p. 87, et Strabon, liv. VII, c. 3, § 8 ; édition Didot, p. 250.

[119] Au passage de Scylax, cité plus haut, comparez Scymmus de Chio, vers 200-219, chez Mueller-Didot, Geographi græci minores, t. I, p. 204 ; cf. Avienus, Ora maritima, vers 608-610, 621. C’est à tort qu’on oppose le fragment 19 d’Hécatée, où une grosse bévue des éditeurs remplace par un renvoi à Hécatée un renvoi d’Étienne de Byzance à Strabon : au lieu de Έxαταϊος Εύρώπη, lisez Στράβων τετάρτη.

[120] Livre XXI, c. 26, § 6.

[121] Tite-Live, liv. XXI, c. 31, § 4, 5.

[122] Le scoliaste de Juvénal, satire VIII, vers 234, s’exprime ainsi : dicti igitur quia ex alio loco fuerant translati, et les travaux des grammairiens modernes confirment cette étymologie ; Zeuss, Grammatica celtica, 21 édition, p. 207.

[123] Germania, 28.

[124] Plutarque, Camille, c. 15, § 1. Édition Didot, p. 162.

[125] Avienus, Ora maritima, vers 682, 683 ; cf. Muellenhof, Deutsche Alterthumskunde, t. I, p. 178.

[126] Romans, Dictionnaire topographique du département des Hautes-Alpes, p. 154.

[127] Chap. 89, Aristote de Didot, t. IV, 1re partie, p. 89.

[128] Didot-Mueller, Geographi græci minores, t. I, p. 204, vers 211-214.

[129] Ptolémée, livre III, c. 2, § 5 ; cf. Muellenhof, Deutsche Alterthuntskunde, p. 194.

[130] Voyez notamment livre IV, c. 1 et 2, édition Didot, p. 147.

[131] Livre II, c. 8, § 14.

[132] Ora maritima, vers 615-620. Cf. Muellenhof, Deutsche Alterthumskunde, p. 193.

[133] L’orthographe Cevenna, chez César, liv. VII, c. 8, 56, tient à la basse époque des manuscrits ; cf. Cebenna, Pline, livre III, § 31, et livre IV, § 105.

[134] Voyez le dictionnaire gallois d’Owen, deuxième édition, au mot cevyn ; cf. Grammatica celtica, deuxième édition, p. 138.

[135] Voyez Giovanni Flechia, Di alcane forme de’ nomi locali dell’ Italia superiore, pp. 60-74.

[136] Testament d’Abbon en 739, chez Pardessus, Diplomata, t. II, p. 372.

[137] Ces noms se rencontrent plusieurs fois dans le Cartulaire de Saint-Victor de Marseille.

[138] Vie de saint Gall chez Pertz, Scriptores, t. II, p. 158. On pourrait mettre en regard le Canascus locus du Cartulaire de Brioude, pièce n° 37.

[139] On pourrait augmenter beaucoup cette liste si l’on considérait les désinences en -oscus et en -uscus comme une variante de la désinence en -ascus. Les deux orthographes antiques du nom de Tarascon (Bouches-du-Rhône), Ταρασxων et Ταρούσxων, l’une chez Strabon, l’autre chez Ptolémée, confirmé par Pline, pourraient justifier ce système. On sait qu’il y a dans l’Ariège un autre Tarascon. Quant à la désinence -iscus, on sait qu’elle est celtique, en même temps grecque et germanique ; Zeuss, Grammatica celtica, 2e édition, p. 808 ; Ad. Regnier, Traité de la formation des mots dans la langue grecque, p. 206, 207 ; J. Grimm, Deutsche Grammatik, 2e édition, t. II, p. 373-377.

[140] De sacris sylvarum quae Nimidas votant, dans l’Indiculus superstitionum et paganiarum, Concile de Leptine de 743. Migne, Patrologia latina, t. LXXXIX, col. 811. Moriz Heyne, Kleinere aliniederdeutsche Denkmaeler, 2e édition, p. 89.

[141] On en trouve un écho dans la traduction irlandaise de Darès de Phrygie, où le latin ara est rendu par bois sacré, fid-neimed. Whitley Stokes, Togail Troi, p. 19, cf. p. 159. On rencontre aussi cette dénomination dans le Senchus Mor, Ancient laws of Ireland, t. 1, p. 162, ligne 29 ; p. 164, ligne 3.

[142] De Bello gallico, livre II, c. 4 ; cf. Tacite, Germania, 28.

[143] Strabon, IV, c. 1, § 14, édition Didot, p. 157, lignes 19 et suiv., se trompe quand il croit que Celte est primitivement le nom des habitants de la Narbonnaise. De son temps, les habitants de la Narbonnaise sont Gaulois en grand nombre, mais ils étaient Ligures et Ibères à la date où le nom de Celte commence à paraître dans la littérature grecque.

[144] Livre XLIV, c. 26 ; cf. liv. XXXVIII, c. 17.

[145] Hermann Peter, Historicorum romanorum relliquiae, t. I, p. 183 ; cf. Mommsen, dans le Rheinisches Museum, année 1861, t, I, p. 450. Voir aussi Scholia bernensia ad Vergilii bucolica atque georgica edidit, emendavit, praefatus est Hermannus Hagen. — Jahrbuecher fuer classische philologie herausgegeben von Alfred Fleckeisen, vierler Supplementarband. Leipzig, 1861-1867.

[146] Tite-Live, livre XXXVIII, c. 16 et suivants.

[147] Cimbri, Teutoni alque Tigurini ab extremis Galliae profugi. Édition d’Otto Jahn, livre I, c. 37, p. 60, ligne 8. Florus écrivait au commencement du IIe siècle de notre ère.

[148] Tite-Live, livre V, c. 33, 34.

[149] Cent vingt ans avant la bataille de Salamine, suivant Timée, cité par Scymmus de Chio, vers 206-214. Didot-Mueller, Geographi græci minores, t. I, p. 204.

[150] Hérodote, livre V, c. 9.

[151] Hérodote, livre I, c. 94 ; cf. liv. IV, c. 49.

[152] Aristote, cité par Plutarque, Vie de Camille, c. 22, éd. Didot, p. 167 ; cf. l’édition d’Aristote donnée par Didot, t. IV, seconde partie, p. 299, col. 1.

[153] Scylax, c. 18, Didot-Mueller, Geographi græci minores, t. I, p. 25.

[154] Polybe, livre II, c. 17, § 3 ; deuxième édition Didot, t. I, p. 80 ; Tite-Live, livre V, c. 33, § 7-11, c. 34, § 9.

[155] Polybe, livre II, c. 17, § 1 ; deuxième édition Didot, t. I, p. 80.

[156] Strabon, livre V, c. 2, § 2 ; édition Didot, p. 182, lignes 48 et suiv.

[157] Strabon, livre V, c. 4, § 3 ; édition Didot, p. 202, lignes 20 et suiv.

[158] Denys d’Halicarnasse, livre VII, c. 3 ; édition Teubner-Kiessling, t. III, p. 4.

[159] Fragment 69, chez Hermann Peter, Historicorum romanorum relliquiae, t. I, p. 71, d’après Velleius Paterculus, livre I, c. 7, § 2. Avant sa colonisation par les Étrusques, Capoue existait comme ville osque ; Hécatée, qui écrivait vers l’année 500, parle d’elle.

[160] Tite-Live, livre XXVI, c. 14.

[161] Tite-Live, livre IV, c. 37, § 1.

[162] Tite-Live, livre IV, c. 44, § 12.

[163] Cornelius Nepos, Chronica, cité par Pline, livre III, § 125. La prise de Melpum est probablement la conséquence immédiate de la victoire remportée par les Gaulois sur les Étrusques auprès du Tessin ; Tite-Live, livre V, c. 34, § 9.

[164] Tite-Live, livre V, c. 20, 21.

[165] Livre I, c. 74 ; édition Teubner-Kiessling, t. I, p. 91, lignes 28 et suiv.

[166] Diodore de Sicile, livre XIV, c. 113 et suivants ; édition Didot, t. I, p. 621 et suivantes. Comparez le passage d’Appien cité plus bas, avant dernière note.

[167] Tite-Live, livre V, c. 33, § 2-4.

[168] Livre XIII, c. 10 ; édition Teubuer-Kiessling, t. IV, p. 195.

[169] Plutarque, Camille, c. 15 ; édition Didot, p. 162. Ce récit fait partie d’un cycle d’histoires d’amour dont plusieurs concernent les Gaulois, voyez Aristide de Milet chez Didot-Mueller, Fragmenta historicorum græcorum, t. IV, p. 320, Parthenius, c. 8 ; Plutarque, De virt. mul., c. 22.

[170] Invisitato atque inaudito hoste, ab Oceano terrarumque ultimis oris bellum ciente, c. 37, § 2 ; cf. Zeuss, Die Deutschen, p. 165.

[171] La quantité de la première syllabe du nom des Sénons d’Italie est établie non seulement par l’orthographe de Polybe, mais par la quantité de la première syllabe du nom de Séna, leur capitale, Lucain, II, 407, et Silius Italicus, VIII, 455 ; XV, 555 ; chez Polybe, II, 19, 12, Σήνη.

[172] Les Cenomani d’Italie ont eu un peuple homonyme dans la Gaule méridionale parmi les clients des Volcae, comme nous l’apprend Caton cité par Pline, III, § 130. Les Cenomani de la Gaule méridionale étaient probablement arrivés du nord-est des Alpes avec les Volcae au IIIe siècle avant notre ère, comme ceux d’Italie au IVe siècle.

[173] Per Taurinos saltusque Juliae Alpis transcenderunt, livre V, c. 34, § 8.

[174] Appien, au second siècle de notre ère, fait arriver directement des bords du Rhin les Gaulois qui ont assiégé Clusium et pris Rome. Il ne parle pas d’établissement des Gaulois en Italie avant cette expédition (édit. Didot, p. 25, 26).

[175] Voyez notamment Zeuss, Die Deutschen, p. 161 et suivantes ; Mommsen, Rœmische Geschichte, 6e édition, t. I, p. 324 et suivantes ; Duncker, Geschichte des Alterthums, t. VI (1882), p. 298.