Lorsque, immédiatement après la mort de Mazarin, Louis XIV manifesta sa décision immuable de gouverner lui-même avec l'aide de trois ministres, entièrement soumis à ses volontés souveraines, les contemporains furent d'accord pour attribuer à Lionne le domaine de la politique extérieure et à Fouquet celui des finances. Ils diffèrent, au contraire, d'avis sur la part qui aurait été réservée à Le Tellier. Les uns la restreignent à la seule administration militaire ; les autres, principalement les diplomates étrangers, l'étendent considérablement. Cette dernière opinion est exprimée avec la plus grande netteté par le baron de Vuoerden, alors secrétaire de l'ambassadeur espagnol en France, le comte de Fuensaldana, dès le 29 mars 1661 : entre les ministres, Le Tellier était lors le plus considéré de tous ceux de France, parce que les affaires du royaume étaient tombées à sa charge, comme les étrangères à celle de M. de Lionne et celles des finances à M. Fouquet[1]. Ces deux derniers sont cantonnés, spécialisés : Le Tellier ne l'est pas. I. — Les tâches multiples de Le Tellier. Ce serait, en effet, concevoir, de son œuvre, une idée trop étroite que de considérer en lui exclusivement le secrétaire d'état de la guerre. Auparavant, et dès la Fronde, il a été mêlé, comme on l'a vu au chapitre précédent, aux affaires purement politiques, non pas par hasard, mais très fréquemment. Il en sera de même après la mort du cardinal. La lecture des Mémoriaux du conseil, dont Le Tellier tient le registre d'avril à septembre 1661, permet de constater à quelle variété et à quelle diversité de problèmes il doit se consacrer. Comment expliquer le caractère particulier et l'étendue de ses fonctions ? Sans invoquer les qualités personnelles de Le Tellier, il convient de reconnaître que cette tâche importante, immense même, pourrait-on dire, lui a été dévolue surtout par les circonstances. Après 1659, il s'est empressé d'effectuer rapidement, malgré l'opposition de Turenne, la réforme générale de l'armée. Renvoyant les soldats et les officiera qui, profitant de l'état de guerre, ont pris trop de libertés et n'ont pas donné satisfaction au secrétaire d'état civil, réduisant fortement le nombre des compagnies, conservant seulement les bons éléments, il a mis cette année sur le pied de paix. Ces soldats, en somme peu nombreux, sont complètement soumis aux volontés du roi et de son représentant direct, le ministre. Le Tellier n'a, en ce moment, plus rien à craindre de la féodalité militaire, si remplie jusqu'alors de préjugés, de prétentions, par suite insubordonnée et ne cachant pas. son mépris pour les administrateurs civils. Ayant réalisé, au cours des hostilités, les réformes essentielles, il lui reste maintenant à maintenir la discipline, à faire respecter les règlements, à résoudre les petite différends survenant entre les troupes, tâche fort aisée parce qu'il parle au nom du souverain[2]. Aussi, le secrétariat d'état de la guerre n'a-t-il plus, pour l'instant tout au moins, la même activité et la même importance qu'au cours de la longue lutte contre les Habsbourg. Les loisirs, que donne à Le Tellier cette administration, seront donc, en grande partie, utilisés pour étudier et résoudre d'autres questions. A cet égard, comme en beaucoup d'autres choses, Louis XIV sera encore le continuateur de Mazarin. Sans doute serait-il sans intérêt et fastidieux de vouloir exposer le rôle joué par Le Tellier dans les multiples affaires, si diverses, dont il eut à s'occuper. Il suffira de choisir et de donner des exemples précis et concluants. D'autre part, je laisse provisoirement de côté l'administration de l'armée, les rapports avec les antres ministres, les questions religieuses — jansénisme, clergé de France, protestantisme —, l'œuvre judiciaire de Le Tellier devenu chancelier, et enfin l'homme privé, sa famille, sa fortune. Dans la deuxième partie de cet ouvrage, des chapitres spéciaux seront consacrés à ces divers points, à la fois importants et mal connus pour la plupart. Pour les années 1661-1663, période très nette où le père domine encore le fils, et où son action reste prépondérante, des questions avaient été examinées du temps de Mazarin, d'autres surgirent après sa mort. Telle est la division que je crois devoir adopter : elle permettra de présenter Le Tellier sous des aspects divers et nouveaux. II. — Le mariage toscan, 1661. La plus ancienne des affaires en cours était celle du mariage de Marguerite Louise d'Orléans, fille aînée de Gaston d'Orléans et de Marguerite de Lorraine, avec le prince héritier de Toscane, Cosme de Médicis[3]. Les pourparlers, commencés dès 1658, alors que la princesse avait treize ans seulement, ont été menés par Pierre de Bonsi, évêque de Béziers, ambassadeur de Toscane en France pour cette occasion[4], et une commission dont font partie Brienne père et fils, Le Tellier et Le Pelletier, conseiller en notre cour de parlement de Paris, chef du conseil et intendant de nos très chères et très amées cousines d'Orléans[5] : à côté d'eux siège Fouquet pour régler les problèmes financiers. Ceux-ci constituent, depuis 1660, le principal obstacle à la conclusion d'un accord rapide. La mort de Gaston d'Orléans, le 2 février, a dévoilé que la situation de sa famille était singulièrement obérée. De son côté, la cour de Florence demande avec instance une dot substantielle, payable immédiatement. Les atermoiements cessèrent par la résolution de Mazarin, toujours désireux de gagner à la cause française des princes italiens, de prélever sur sa fortune personnelle les 300.000 écus nécessaires. Dans la matinée du 24 janvier 1661, les commissaires et Bonsi rédigèrent les conditions du contrat et le signèrent. La mort du cardinal, peu après, remit tout en question. Si
Louis XIV adoptait le projet de mariage, Fouquet se déclarait incapable de
verser en une seule fois une somme si forte. D'autre part, à ce moment, la
princesse aurait préféré épouser son cousin, le prince Charles de Lorraine,
neveu et héritier légal du duc régnant[6]. Irrité de toutes
ces discussions et de tous ces retards, le roi imposa sa volonté. Le 18 mars
1661, il ordonne à Fouquet de verser 300.000 livres
dans quinze jours, et les 600.000 restant en deux termes de trois mois en
trois mois. En même temps Le Tellier est chargé d'informer la mère de
la princesse qu'il fallait que Mademoiselle
d'Orléans épousât M. le duc de Florence fils, ou bien qu'elle se fasse
religieuse[7].
Dès le lendemain, les articles étaient signés sur les instances de Bonsi, vivement soutenu par Le Tellier[8]. Louis XIV fixait
au lundi de Pâques la signature du contrat, qui eut lieu, en effet, le 18
avril au Louvre, dans la chambre du roi[9]. Le mariage par
procuration fut célébré le 19 et la princesse partit le 16 mai pour Florence,
commençant une existence à laquelle ne devaient pas manquer les aventures[10]. III. — Le secours de Candie, 1660-1662. Après avoir apporté l'intervention finale et décisive dans ce mariage forcé, Le Tellier se trouva plus à l'aise à propos de la collaboration franco-vénitienne à Candie, problème à la fois politique et militaire. Venise, écrit Louis XIV, engagée dans une guerre contre les Turcs, entretenait avec soin mon alliance et espérait plus de mon secours que de celui des autres princes chrétiens[11]. Cette union datait de Mazarin, toujours favorable aux états italiens dans un but intéressé. Accédant aux demandes de la république, il lui avait accordé l'envoi de troupes qui, unies aux soldats vénitiens du capitaine général François Morosini, l'aideraient à surprendre le port principal de Candie, La Canée. Le Tellier eut donc à préparer ce secours militaire, placé sous le commandement du prince Alméric de Modène. L'instruction, dressée le 29 mars 1660, informe ce général que seize vaisseaux sont prêts à Toulon pour l'embarquement de 4.000 fantassins et 200 cavaliers. L'intendant de ce corps d'armée sera Louis Robert, jeune parent de Le Tellier[12]. Il devra s'occuper du pain de munition qui sera fourni par Venise, choisir à Candie avec les médecins et les chirurgiens français un lieu propre et commode pour établir un hôpital, lequel soit le plus proche qu'il se pourra de ceux ou l'armée sera obligée d'agir pour la plus grande commodité des malades et blessés. On devait tenir secret, pour que Le Turc n'en sût rien, que les deux flottes effectueraient leur réunion à l'île de Zante[13]. Quelques jours plus tard, 3-4 avril, Le Tellier compléta l'organisation du commandement supérieur. Le sous-gouverneur du duc d'Anjou, le maréchal de camp Jeurre Millet, reçut un brevet de président du conseil de guerre, et, en outre, une commission de la charge de commissaire général : Nous avons estimé à propos, pour maintenir et faire vivre dans l'ordre. et la police nécessaires les troupes tant d'infanterie que de cavalerie, dont notre dite armée est et sera composée, d'établir en icelle, à l'exemple de ce qui s'est pratiqué ci-devant en nos armées d'Allemagne, un commissaire général pour l'avantage que notre service a reçu des fonctions de cette charge[14]. Les troupes partirent donc vers la Méditerranée orientale[15] : les résultats ne furent pas heureux. Le commandant mourut le 14 novembre : les chefs vénitiens et français ne s'entendirent guère : la question financière se posa parfois d'une façon aiguë. Mais, surtout, Venise se montrait incapable de toute action militaire, et même rebelle à toute entreprise de ce genre[16]. Or, Louis XIV s'était engagé expressément avec les Vénitiens de leur fournir des forces considérables toutes les fois qu'ils voudraient faire effort de chasser les infidèles de Candie[17] : mais il ne voulait pas que le poids de la guerre retombât sur les seuls Français. Le Tellier était du même avis : ayant d'abord souscrit à la politique de Mazarin, il s'en détacha après en avoir constaté l'échec. Sagredo[18], faisant le portrait du ministre gentile assai, ma cauto senza fine, le reconnaît tout en le déplorant : Pare anche d' al' osservazione delle sue inclinazioni ch'egli non sara propenso a consigliare al re a far gran passi in vantaggi degli esteri. E dovrai dire di termerlo anche verso vostra serenita corne ho avuto quelche occasione di scrivere[19]. Le ministre réussit rapidement à faire partager ses méfiances à l'égard des étrangers, des forestieri, non seulement au roi, mais à tous ceux qui avaient part au gouvernement. Le 26 mars 1661, Grimani, prédécesseur de Sagredo à Paris, est informé que, la république étant incapable de prendre l'offensive, on lui fournira seulement 300.000 livres en plusieurs termes, à appliquer de référence à l'entretien du corps de troupes qui est à Candie et des Français qu'elle voudra lever[20]. Dans un conseil spécial, auquel assistaient, outre les trois ministres, Turenne, Condé et le maréchal de Villeroi, on discuta le rapport de jeune Millet, qui demandait la désignation d'un nouveau général et une augmentation des effectifs français. Le 14 avril, Le Tellier transmit à l'intendant Robert le résultat net et défavorable des délibérations : L'on a jugé qu'il était comme impossible d'envoyer de nouvelles troupes aux Vénitiens et que tout ce qu'on pouvait faire pour leur avantage c'était de leur laisser encore, durant la campagne prochaine, le corps qui est en Candie et de leur fournir la somme de 300.000 livres, dont une partie sera employée à la subsistance des troupes et dont le surplus sera payé à la république dans les termes qui seront arrêtés avec son ambassadeur[21]. Ainsi fut fait : Le Tellier, le 30 mai, charge son fils d'informer Grimani que Colbert a eu ordre de verser les 45.000 livres, destinées pour la subsistance des troupes qui sont en Candie, pendant les mois d'avril et de mai : le caissier de la république les fera parvenir à l'intendant, Robert par la même voie dont il se sert pour faire tenir l'argent que la république envoie journellement à son armée de Candie[22]. C'est la seule intervention de Louvois, qui s'est borné à transmettre l'ordre de son père. Le Tellier désirait avant tout le rappel des troupes, absolument inutiles à Candie. Dès le mois de septembre, il l'annonce à Robert, auquel le 11 octobre il a la satisfaction d'écrire : Je vous adresse la dépêche et les ordres du roi nécessaires pour les (soldats) faire embarquer sur les vaisseaux qui ont été ordonnés à cet effet[23]. En mars 1662, le corps d'armée arriva en Provence : l'état sanitaire devait être peu satisfaisant, puisque Le Tellier accepta, sans objection, la proposition du lieutenant général Mérinville de faire faire, dans les Ales voisines de la Provence, la quarantaine[24]. IV. — Les négociations franco-hollandaises, 1660-1662. Beaucoup moins nette, beaucoup moins spécialisée, et néanmoins indiscutable, se montre l'action de Le Tellier dans les négociations franco-hollandaises, menées en vue d'une alliance politique et d'un accord commercial. Il existait bien entre la France et les Provinces-Unies une convention économique, signée pour quatre ans, le 18 avril 1646, et renouvelée à partir de 1650 jusques à ce que l'on ait fait un traité plus particulier et permanent sur le même sujet[25]. Abandonné en 1648 par les Hollandais qui conclurent une paix séparée avec les Espagnols, Mazarin, dépité, avait suivi à leur égard une politique d'abstention raisonnée, et même d'hostilité non voilée. Toutefois, apeurées par l'attitude non équivoque de Cromwell, qui n'hésita pas devant la guerre, puis par le rétablissement de la royauté anglaise et son désir de n'accorder aucune concession économique aux Provinces-Unies, celles-ci, pour se garantir, ne virent pas d'autre moyen que de revenir à la France afin de renouveler les anciens traités, auxquels la paix de Munster avait fait une brèche, qui n'était pas encore réparée[26]. Les trois diplomates, envoyés pour seconder l'ambassadeur ordinaire Boreel[27], arrivés à Paris dès le mois de décembre 1660 et logés dans l'ancien hôtel du maréchal d'Ancre, rue de Tournon, obtinrent, en février 1661 seulement, une audience de Mazarin, peu enclin à négocier, et lui remirent leur premier mémoire. En réalité, ce n'est qu'après la mort du cardinal que l'on fit un pas en avant : le 10 avril, fut nommée la commission française, dont le président fut le chancelier Séguier, et les membres, Brienne père et fils, Lionne, Le Tellier, le maréchal de Villeroi et Fouquet, remplacé après sa disgrâce par Colbert[28]. L'obstination des Hollandais à ne vouloir accepter ni le droit d'un écu par tonneau ni le privilège de la Compagnie française de la baleine et à réclamer, par contre, la garantie de la France pour la pêche du hareng dans la mer du Nord, rendit ces négociations ardues et fort longues. Elles ont été exposées amplement dans des ouvrages importants[29] : mais les auteurs se bornent à parler des commissaires en général et ne précisent que très rarement le rôle particulier de quelques-uns d'entre eux. Que peut-on savoir de celui de Le Tellier ? Tout d'abord, il était au courant des demandes territoriales formulées par l'archevêque de Cologne, dont la place de Rhinberg était occupée indûment par une garnison hollandaise. Mazarin avait appuyé les revendications de celui qui lui avait donné asile pendant son exil : avant de mourir, il avait remis les mémoires au secrétaire d'état, qui se joignit à Lionne pour satisfaire le prélat. Un compromis interviendra[30]. Il y eut bien quelque contestation sur la qualité du secours que les alliés se donneraient de part et d'autre en cas d'attaque. Après avoir émis cette considération générale, Wicquefort ne fournit aucune indication précise[31]. En réalité, en cette matière, Le Tellier eut son mot à dire, et, à la suite de longues discussions, un accord intervint. La France mettrait sur pied 12.000 hommes, les Provinces-Unies 6.000. D'après l'ambassadeur van Beuningen et, à sa suite, Basnage, les commissaires français se divisèrent en deux groupes. Si Lionne pour des raisons politiques, Fouquet et son successeur Colbert pour des raisons économiques, ne se départirent pas de leur intransigeance, leurs collègues, au contraire, dont Le Tellier, se rappelant la politique d'entente suivie par Richelieu, croyaient qu'il était avantageux à la France de renouveler les anciens traités avec la république. Dans ses lettres des 12 mai et 4 juin 1661, le diplomate hollandais mande au pensionnaire Jean de Witt que le plus grand nombre de nos commissaires, que presque tous nos commissaires nous sont favorables sur tous les articles : tout irait vite et pour le mieux si l'on pouvait venir à bout de l'obstination du surintendant des finances[32]. Pour qui connaît la modération de Le Tellier, il n'est rien qui s'oppose à admettre, à son sujet, l'opinion de van Beuningen. Les Hollandais ayant cédé sur la question du monopole réservé à la Compagnie de la baleine, on s'achemine lentement vers la solution. Au mois de décembre 1661, Turenne, qui, en dehors de la commission, agit en faveur des Provinces-Unies, le conciliateur Le Tellier et le rude Colbert sont chargés par le roi de dresser un avis sur la diminution que l'on pourrait accorder à leurs Hautes Puissances sur le droit de tonneau. Non sans résistance, Colbert fléchit et, au lieu d'un écu, on n'exigera plus que cinquante sous[33]. Le différend ne porte plus que sur la pêche du hareng dont Louis XIV, par crainte d'un conflit armé avec l'Angleterre, a jusqu'alors refusé de garantir la liberté aux Hollandais. En mars 1662, il tient un conseil avec Turenne, Le Tellier, Lionne et Colbert ; après une heure et demie de délibération, il est décidé que cette garantie sera positivement exprimée dans le préambule du traité[34]. Celui-ci peut être alors rédigé définitivement : le 27 avril 1662[35], Le Tellier le signe avec les autres commissaires et assiste au repas de gala offert par le chancelier, le soir, à tous les plénipotentiaires[36]. Tout est bien qui finit bien. Un déboire cependant : les diplomates hollandais ayant refusé les présents que, suivant l'usage, leur destinait le roi, Louis XIV interdit à ses commissaires de recevoir chacun un bassin et une aiguière d'or massif, du poids de 33 à 34 marcs, que l'ambassadeur ordinaire Boreel était chargé de distribuer ![37] V. — France et Lorraine, 1660-1663. Si la personnalité de Le Tellier ne se sépare pas et ne se dégage pas toujours nettement de celles de ses confrères dans les pourparlers franco-hollandais, il en est tout autrement dans les rapports de la France avec le duc de Lorraine, Charles IV. Fantasque et bizarre, impulsif au premier chef, toujours à la poursuite d'une femme et temporairement bigame, à la fois naïf et rusé, promettant et ne tenant jamais, donnant sa signature avec l'intention de ne pas la respecter, ce prince allait causer au secrétaire d'état des ennuis de toutes sortes et mettre à de dures épreuves sa patience heureusement inlassable. Ayant servi plusieurs souverains, quelquefois en même temps, enfermé en 1654 par les Espagnols qu'il trahissait, libéré par le traité des Pyrénées, il avait refusé d'accepter les articles 62 à 78, prétendant qu'ils avaient été rédigés sans sa participation[38], et, depuis, il avait accumulé les démarches et les sollicitations auprès de la cour de France. Depuis février-mars 1660, Le Tellier avait eu à se préoccuper des affaires lorraines[39]. S'il ne participa nullement à l'accord de Paris ou de Vincennes, 28 février 1661, dont le principal artisan fut Lionne, du moins fut-il amené à en poursuivre l'exécution. Plus favorable au duc que la paix de 1659, cette convention l'obligeait néanmoins à céder au roi de France le comté de Clermont, Moyenvic, Sierck, Sarrebourg et Phalsbourg, à participer pour les deux tiers au démantèlement des fortifications de Nancy, à cesser toute levée d'argent et d'hommes, à ouvrir, à travers son duché, une route militaire permettant les communications directes entre la Champagne et l'Alsace et accessible aux troupes et aux convois de France[40]. Le respect de ces clauses s'avéra fort douteux par suite de la mauvaise foi du duc[41]. Dès le 15 mars 1661, Le Tellier adressa au capitaine des gardes et lieutenant général, François de Pradel, une commission pour commander dans Nancy. Pour discuter avec les représentants de Charles IV, il choisit son beau-frère Jean Baptiste Colbert de Saint-Pouenges, intendant en Lorraine et les Trois Évêchés depuis 1657, et le cousin de celui-ci, Charles Colbert de Vandières, président du conseil souverain d'Alsace et intendant de ce pays depuis 1658, frère du grand Colbert et plus connu, sous le nom de Colbert de Croissy : leurs commissions et leurs instructions sont datées du 23 mars[42]. Le Tellier enverra encore à Nancy l'ingénieur Clerville, l'architecte Valperga, et emploiera aussi Vauban pour évaluer l'importance des démolitions[43]. Pour l'année 1661, les Mémoriaux du conseil donnent d'amples renseignements sur les questions qui ont provoqué de vifs débats entre les commissaires français et lorrains et sur les ordres que Le Tellier a été chargé d'expédier à ses subordonnés[44]. Pendant longtemps, en effet, Charles IV se refuse à fournir les travailleurs qui doivent coopérer à ses frais à la démolition des fortifications de sa capitale. Dès le 6 avril, le prudent secrétaire d'état écrit à Saint-Pouenges : Vous observerez, s'il vous plaît, de retirer les ordres de mondit seigneur le duc de Lorraine pour les 3.000 personnes qui doivent travailler à la démolition, avant que de délivrer ceux qui sont nécessaires pour son rétablissement dans la Lorraine[45]. Et Saint-Pouenges répond qu'il s'efforcera d'avoir toujours de l'argent pour que le tiers de l'ouvrage, qui doit être fait par le roi, le soit aussi toit que les deux autres tiers, qui sont à faire par les Lorrains[46]. Commencé vers la fin d'avril, ce travail considérable[47] fut terminé ou presque pour la ville neuve dans la première quinzaine de juillet[48]. Pour la vieille ville, le duc intervient alors vivement, afin que les démolisseurs s'en tiennent aux ouvrages militaires et ne causent aucun dégât à son palais, à ses jardins et aux monuments religieux[49]. La destruction des fortifications de cette cité est ordonnée par Le Tellier le 13 août[50]. Une équipe de 400 ouvriers, levée aux frais du roi, se met à l'œuvre dès le 19 et l'avance rapidement puisque, vers la mi-octobre, il reste à jeter bas trois bastions seulement[51]. Malgré tout, on est en voie d'aboutir. Mais, auparavant, le secrétaire d'état avait eu à résoudre
le problème de la route militaire, à la construction de laquelle les Lorrains
se montraient vivement opposés. Charles IV se refusait à admettre que, pour
la demi-lieue du chemin cédé par lui, fût adoptée la mesure en usage à
Phalsbourg et à Sarrebourg (5.000 toises)
; il désirait celle des environs de Nancy (3.000
toises). En juin et juillet, Saint-Pouenges et Croissy, après avoir
fait arpenter de nombreuses lieues autour de la capitale lorraine, se
heurtèrent à l'obstination irréductible des commissaires du duc, le président
de Gondrecourt et Florimont d'Allamont[52]. Après une
délibération du conseil, Le Tellier donne comme instruction à son beau-frère
de composer une lieue commune de celles de Lorraine
et d'Allemagne et de se contenter de régler celle du chemin sur le pied
de 4.000 toises par lieue[53]. Ce compromis
ayant été rejeté par les commissaires ducaux, il mande alors aux deux
intendants qu'ils fassent mesurer la lieue de
l'entrée et de la sortie dudit passage, et puis qu'ils composent une lieue
commune de celle-ci et des deux autres des environs de Nancy et qu'ils
règlent ensuite la demi-lieue sur cela[54]. Les Lorrains
consentiraient, cette fois, à accepter la mesure de 4.000 toises, à condition
que leurs remontrances, dont on ne tiendrait pas compte, soient néanmoins
insérées dans le procès-verbal de délimitation. Le roi et Le Tellier ayant répondu
: Pas de remontrances, ils cèdent enfin le 26 octobre 1661. Par contre, ils s'abstinrent d'intervenir pour le choix des trente villages, cédés par Louis XIV dans la région de Sierck. En juillet, Colbert de Croissy s'y était rendu pour recueillir des informations sûres. Ayant appris que le duc avait ordonné d'y faire des levées d'argent, il émit l'avis de garder ces deniers provisoirement. Le Tellier approuva sa proposition pratique[55]. Quelques jours après, le 9 août, il indiquait avec précision de quelle manière Croissy et Saint-Pouenges devaient procéder au choix des villages, prendre ceux qui sont sur le chemin de Sierck à Thionville et de Sierck à Metz, et principalement ceux qui sont sur la rivière de la Moselle, préférant les villages situés au-delà du côté du Luxembourg, aux autres : ainsi, en cas d'attaque on pourrait s'appuyer sur la ligne fluviale[56]. Ces instructions furent suivies : commencées le 29 août[57], la reconnaissance définitive des lieux et la désignation des agglomérations rurales s'effectuèrent sans obstacle. On pouvait donc croire que tout était terminé : en décembre, Saint-Pouenges quittait Nancy. D'autre part, dès le début de ces pourparlers si dissemblables, Charles IV n'avait pas hésité à prêter le serment de fidélité au roi pour le duché de Bar, serment rédigé par Le Tellier et Brienne le fils[58]. Mais, avec le duc de Lorraine, si versatile et si brouillon, on n'était jamais sûr de l'avenir : il fallait s'attendre à des péripéties de toutes sortes. Le 6 février 1662, par exemple, on apprit brusquement qu'à la suite de négociations secrètes menées avec Lionne, Charles IV reconnaissait Louis XIV comme son unique héritier des duchés de Lorraine et de Bar. De son côté, le roi acceptait que les princes lorrains pussent accéder à la couronne de France en cas d'extinction des Bourbons, et il accordait au duc une pension annuelle de 700.000 livres. Pour prouver sa bonne foi, Charles IV remettait la place forte de Marsal[59]. La cession, écrivait Le Tellier à Pradel[60], que M le duc de Lorraine a faite de ses états au roi depuis, peu de jours changeant la face des affaires de ce pays-là Sa Majesté trouve bon que toutes les pièces d'artillerie, contenues aux deux petits états, que vous m'avez adressés, demeurent dans Nancy. Quel motif avait poussé le duc ? L'animosité à l'égard de son neveu et héritier légal, que l'on avait cherché à marier avec Mademoiselle de Montpensier d'abord, avec Mademoiselle de Nemours ensuite[61]. Toutefois, si Louis XIV manifesta une joie extrême de son acquisition inattendue, ce traité de Montmartre souleva aussitôt des protestations indignées des parents du duc, de la haute noblesse française se prétendant lésée par l'avantage concédé aux princes lorrains, et, aussi, des nobles lorrains, eux-marnes fort irrités que leur souverain eût délibérément sacrifié leurs privilèges. Se rendant compte de la gravité de cette opposition provinciale, Le Tellier, peu après, indiquait à Pradel la tactique que le gouvernement royal pourrait suivre : Il est certain que Sa Majesté ne peut se déclarer ouvertement pour eux sans contrevenir au traité qu'Elle vient de faire avec M. le duc de Lorraine, mais bien les protéger secrètement s'ils veulent se mettre en possession de leurs privilèges, et c'est ce dont vous les pouvez assurer de la part de Sa Majesté[62]. Pourquoi le ministre voulait-il gagner par des moyens détournés l'aristocratie lorraine ? parce que Charles IV avait encore une fois fait volte-face. Dès le mois de mars, en effet, le bruit avait couru de son mariage avec Marie Anne Françoise Pajot, fille de l'apothicaire de Mademoiselle de Montpensier et d'une de ses femmes de chambre. Aucun des intéressés ne recherchant le secret, on avait appris toutes sortes de détails, en particulier que les enfants issus de cette union n'auraient aucun droit à la succession lorraine, réservée maintenant tout entière au neveu du duc[63]. La sœur de celui-ci, veuve de Gaston d'Orléans, prévint Le Tellier de cette infraction essentielle au traité de Montmartre, et le secrétaire d'état décida Louis XIV à agir fortement pour son maintien. Il faut lire dans le Recueil de différentes choses le récit curieux, piquant et même burlesque, fait par Marie-Anne au marquis de Lassay, dont elle devint la femme en 1678 : — contrat signé le 18 avril 1662, — repas de noces chez un des parents de la fiancée en attendant que sonne minuit, heure du mariage, — apparition subite de Le Tellier, accompagné de 30 gardes et d'un enseigne, le ministre apportant à Marie Anne l'approbation royale à condition, pour elle, d'user de son influence pour obliger Charles IV à exécuter le traité de Montmartre, — refus de la fiancée, qui prend tristement congé du duc et des invités, — sa sortie en donnant la main au ministre, — son internement dans le couvent de Ville l'Évêque, tout cela suivi de menaces criardes, tumultueuses et vaines et de manifestations de la fureur extrême de Charles IV. Que le récit ait été enjolivé et dramatisé, il est bien possible. Il n'en reste pas moins que le secrétaire d'état de la guerre, après avoir, l'année précédente, été l'auteur principal du Mariage forcé, est devenu maintenant celui du Mariage fait et rompu[64]. Ce ne fut pourtant pas le Dépit amoureux qui incita le duc
à rentrer dans ses états, mais le &sir renouvelé d'éluder, aussi vite que
possible et définitivement, les stipulations des conventions conclues avec la
France. Il lève des contributions et des troupes, il se réconcilie avec sa
famille, il négocie secrètement avec l'archevêque de Mayence, il se laisse
entraîner du côté de l'Empereur. Tous ces agissements sont rapidement connus
du gouvernement royal. Le Tellier se préoccupe constamment de les contrarier
et de les enrayer : à mesure que la correspondance avance, il semble même
que, pour une fois, la colère le gagne. Le 24 octobre 1662, ayant appris que
Charles IV a signé un accord avec un nommé Girard
pour faire battre monnaie en ses états, il recommande à Colbert de
Croissy de faire toutes les diligences nécessaires
pour empêcher qu'il ne touche le prix dudit bail et faire que le roi en
profite[65].
Le 10 janvier 1663, il informe Pradel qu'il s'agit, non de conclure un
nouveau traité, mais de respecter le dernier signé, et, surtout, de remettre
Marsal au roi : Après cela, s'il aime mieux jouir de
ses domaines que de recevoir les 700.000 livres, que Sa Majesté lui doit
fournir par chacun an, Elle est disposée à les lui abandonner et à faire
retirer ses troupes, pourvu qu'il décharge Sa Majesté du paiement de cette
somme et qu'il ne lève plus de contributions et ne fasse plus aucune levée
sur ses sujets[66]. Le 24 février,
à propos des pourparlers avec l'électeur de Mayence et des assemblées qui ont
lieu en Lorraine pour la proclamation du prince Charles comme successeur, il
n'hésite pas à affirmer i. Pradel encore : Ni les
négociations ni les assemblées n'empêcheront point Sa Majesté de soutenir les
droits qui lui sont acquis par un traité, et que, s'il est besoin, Elle les
appuiera de la force de ses armes[67]. Cette rupture
que l'on pressent se précise le 13 avril. Si des communautés continuent à
fournir de l'argent au duc, Pradel et le comte de Guiche sont tenus de faire arrêter et constituer prisonniers les maires des lieux
qui contreviendront à l'ordonnance royale, et loger des soldats dans les quartiers qui seront les plus propres pour
contenir le peuple dans le devoir et pour savoir précisément tout ce qui se
passera dans le pays[68]. Ces exemples ne prouvent-ils pas que le roi est résolu à employer la force ? Nomény est, en effet, occupé militairement en juillet 1663, et le nouvel intendant Choisy[69] a pour mission de dresser des mémoires sur la souveraineté de cette ville[70]. Les compagnies, que l'on commence à réunir dans l'est pour porter secours à l'empereur attaqué par les Turcs, vont être d'abord employées à obliger par la force les villes et places de Lorraine, ayant refusé de publier l'ordonnance royale qui interdit de verser des fonds au duc[71]. Enfin, le 10 août, ordre est donné à Pradel et Guiche d'assiéger la place forte Marsal, tandis que, le 15, l'intendant d'armée Talon reçoit les instructions nécessaires pour fournir aux troupes des vivres et des munitions, sans oublier l'hôpital[72]. Toutes les mesures étant prises, Louis XIV partit de Paris le 25 août, suivi d'un grand nombre de seigneurs. Il emmenait avec lui Lionne et Le Tellier, qu'accompagnait Louvois[73]. Il laissait à Parie Colbert, qui serait renseigné avec la plus grande précision et la plus grande exactitude sur les négociations par le secrétaire d'état. Il ne pouvait s'agir que de pourparlers, Charles IV n'ayant ni l'intention ni le pouvoir de résister aux forces royales, et ayant donné sa parole qu'il remettrait Marsal au roi de France. Le 31 août, à Metz, Le Tellier et Lionne s'abouchèrent donc avec les commissaires lorrains, le prince de Lixheim et Charles Prudhomme. Les lettres de Le Tellier font connaître amplement les clauses de la nouvelle convention : cession de Marsal, si les fortifications sont démolies, la ville et la saline resteront au duc, — sinon, même clause pour la saline et compensation à Charles IV pour la perte de la place forte, — sortie de la garnison avec les honneurs de la guerre, quatre canons et des munitions de guerre et des vivres, — nomination de commissaires pour régler les difficultés survenues dans l'exécution du traité du mois de février 1661, permission au duc d'enfermer Nancy dans des murailles simples en la forme qui sera concertée par MM. de Choisy et de Clerville et les commissaires de Son Altesse, etc. Le Tellier informe, en outre, Colbert que les représentants du duc sont convenus de tout, à condition qu'il y fût mis que les troupes de Sa Majesté sortiraient au plus tôt de la Lorraine[74]. Le même jour, Louis XIV partit pour Nomény où étaient les
soldats français. M. de Lorraine y doit venir voir
Sa Majesté, qui le recevra bien et le régalera, continue Le Tellier[75]. Une fois effectuée
la remise de la place le dimanche, le roi quitta Nomény le mardi à midi,
faisant état d'arriver le jeudi à Vincennes. Il ne fut pas accueilli partout avec faveur, et le parlement de Metz manifesta l'intention de rédiger de très humbles remontrances. Le Tellier rappela aussitôt au premier président Frémyn que le temps de l'intervention des cours judiciaires dans la politique royale était désormais révolu : Vous savez qu'il appartient au roi seul de déclarer la guerre et de conclure la paix... et que, si Sa Majesté veut bien envoyer dans les compagnies les traités de paix qu'Elle signe, c'est seulement pour leur donner le moyen d'instruire ses sujets des conditions sous lesquelles Sa Majesté leur procure ce repos : il faut donc enregistrer purement et simplement[76]. Les magistrats messins s'étant inclinés après quelques velléités de résistance, Le Tellier voulut bien informer leur chef que, pour empêcher que M. le duc de Lorraine ne continuât d'entreprendre aucune chose sur les lieux dont la souveraineté est en contestation entre le roi et lui, il avait averti l'un de ses secrétaires que Charles IV devait changer de conduite : Il y a lieu de croire qu'à présent, M. de Lorraine étant informé des sentiments de Sa Majesté, il s'y conformera[77]. Il ne se trompait pas : après cette crise si violente et si mouvementée, l'accalmie dura pendant quelques années. Mais le duc, incorrigible, devait recommencer ses menées : cette fois, il eut pour adversaire Louvois. A la fermeté souple et habile succéda alors la brutalité, dont les conséquences furent loin d'être heureuses. ***Dans toutes ces affaires de liquidation, si variées et si dissemblables, Le Tellier a été appelé à intervenir plus ou moins activement. Pour certaines, il n'a pas eu à recourir à d'autres attributions que celles de secrétaire d'état de la guerre. Pour d'autres, de concert avec plusieurs de ses collègues, il est devenu un négociateur. Pour quelques-unes enfin, exécuteur strict des volontés royales, il a été en quelque sorte un précurseur du lieutenant général de police[78]. Au cours de ces années 1661-1663 en fut-il de même pour les problèmes nouveaux ? Choisissons encore quelques exemples, les plus caractéristiques seulement. VI. — Le retour du cardinal de Retz, 1661. A partir du mois de mai 1661, Le Tellier fut sollicité par un homme qu'il connaissait bien pour avoir eu à se défendre contre lui pendant la Fronde et qu'il avait dû emprisonner, le cardinal de Retz. Depuis son évasion du château de Nantes, Le rebelle refusait obstinément de donner sa démission d'archevêque de Paris, et, par lui-même ou par ses grands vicaires, il avait suscité toutes sortes d'ennuis à Mazarin, dont la mort causa la plus grande joie aux partisans de Retz. Celui-ci, supportant mal son exil, chercha à conclure son accommodement avec le gouvernement royal. Tâche en apparence fort difficile ; car Louis XIV, poursuivant la politique mazarine, avait décidé, en mars, l'envoi à Rome d'un agent pour demander au pape Alexandre VII d'entamer le procès du cardinal[79], et cet agent, qui devait partir au début de mai, était un cousin de Le Tellier, Sève d'Aubeville[80]. Retz écrivit donc vainement au Père Annat, à la reine-mère Anne d'Autriche et au roi. Par l'intermédiaire de Claude Auvry, ancien évêque de Coutances[81], il s'efforça de connaître par le secrétaire d'état de la guerre les conditions qui seraient mises à son retour en France. Bien que le ministre fût resté sur la réserve, des pourparlers commencèrent secrètement pour ne pas éveiller l'attention de Fouquet, désireux, lui aussi, de négocier avec Retz. Un émissaire, le baron de Penacors se rendit à La Haye auprès du cardinal, qui fut amplement informé des demandes de Le Tellier. A celui-ci, l'exilé impatient écrivit directement une longue et très curieuse lettre, le 28 août 1661 : après avoir manifesté le désir de donner au roi toutes les marques d'une très parfaite soumission, il faisait le pas décisif : Jugez, Monsieur, si, dans cette disposition, mes inclinations naturelles pourraient être éloignées d'une démission, qui, en me tirant de l'état où je suis, me laisserait de plus quelque lieu d'espérer la seule consolation qui me pût véritablement toucher et que je ne puis trouver que dans la satisfaction de Sa Majesté[82]. Prenant exemple sur ce qu'avait été imposé à Condé après
le traité des Pyrénées, Le Tellier se proposa d'appliquer à Retz un
traitement analogue. Il exigea la démission préalable de l'archevêché de
Paris : on accorderait ensuite des compensations financières ou autres. On
avait considéré Louis de Bourbon comme un rebelle, on agissait de même à
l'égard du cardinal. Le Tellier resta inflexible : il concerta avec Penacros
et Guy Joly, l'ami et serviteur du prélat, le texte de la démission. Après
quoi, le roi fit don à Retz de l'abbaye de Saint-Denis et de 60.000 livres,
et proclama une amnistie générale pour lui et ses fidèles partisans. Au mois
de décembre, l'acceptation du cardinal termina cette affaire épineuse, et Le
Tellier versa à Joly 2.000 louis pour que Retz, alors pauvre comme Job, pût
retourner en France, à Commercy. Ainsi, s'écrie Bossuet, par les soins du sage Michel Le Tellier, les affaires
ecclésiastiques prirent une forme réglée[83]. De son côté, le
Père Rapin conclut : Le roi accoutumé à avoir de la
déférence pour les avis de Le Tellier, vieux et fidèle serviteur,
désigna un de ses amis, Pierre de Marca, comme successeur de Retz à l'archevêché
de Paris[84]. VII. — La disgrâce de Fouquet, 1661. Si la solution du différend entre Retz et le secrétaire d'état se fit longtemps attendre, la cause essentielle de ce retard fut l'arrestation de Foucquet à Nantes, le 5 septembre 1661, et les démarches multiples qu'elle suscita. Le rôle de Le Tellier a été diversement apprécié, les critiques injustifiées l'emportant sur les éloges rares et d'ailleurs immérités. Pour les uns, les plus nombreux, pendant longtemps, le secrétaire d'état de la guerre, brouillé avec le surintendant des finances, aurait conçu à son égard une véritable haine : afin de lui faire pièce, il aurait favorisé l'ascension de Colbert. Selon d'autres, informé bien à l'avance par Louis XIV de son projet d'arrestation, il n'aurait rien dévoilé à Fouquet, sérieusement menacé, pour qu'il pût se mettre en garde contre la mauvaise fortune. Pendant toute la durée du procès du surintendant, dit-on encore, n'aurait eu pour lui aucune pensée miséricordieuse, bien que l'opinion publique se prononçât de plus en plus vivement en sa faveur. Au contraire, plusieurs déclarent que Le Tellier ignora presque jusqu'au dernier moment les intentions du roi, — que, d'ailleurs, on ne peut le mettre sur le même pied que la cabale effrénée et partiale des Colbert et Pussort, et qu'enfin, loin de se montrer impitoyable envers le surintendant prisonnier à Pignerol, il accéda, tout en prenant des précautions compréhensibles, à la plupart de ses demandes et à celles de sa femme : de telle sorte que ce ministre, qui n'avait jamais aimé ni Fouquet ni personne, agit avec humanité et prudence à la fois[85]. Entre ces thèses contradictoires, les documents permettront, seuls, de choisir. Parti de Fontainebleau le 29 août, Louis XIV arriva à Nantes le 2 septembre 1661. Dans la lettre écrite à sa mère pour lui annoncer l'arrestation du surintendant, il dit formellement avoir formé ce projet depuis quatre mois[86], et je ne l'avais communiqué au sieur Le Tellier que depuis deux jours pour faire expédier les ordres[87]. Et cette précision capitale est confirmée dans les lettres de Brienne le fils à son père et du marquis de Coislin à son beau-père, le chancelier Séguier[88]. Le ministre est donc informé le 3 septembre seulement. Le lendemain, pour que le secret soit entièrement gardé, il enferme, sous la clef, dans la maison où il loge à Nantes, ses commis, qui rédigent tous les ordres et auxquels il est défendu de sortir[89]. Le 5, au matin, Louis XIV est muni d'un paquet de lettres, signées par le secrétaire d'état et relatives à l'arrestation de Fouquet et aux .mesures à prendre pour la saisie des papiers dans ses diverses maisons[90]. MM. le surintendant, Le Tellier et Lionne sont... venus de bonne heure chez le roi pour le conseil qui n'a duré que fort peu de temps[91]. A l'issue de cette réunion, Louis XIV remet le paquet à d'Artagnan, capitaine des mousquetaires, qui va l'ouvrir chez Le Tellier conformément aux ordres qu'il contient, il procède sur-le-champ à l'arrestation. Pendant ce temps, le secrétaire d'état expédie secrètement un courrier vers Paris et Fontainebleau. Il va lui-marne trouver le maître des requêtes Boucherat[92] pour lui enjoindre d'aller aux logis occupés par le surintendant et son commis Pellisson, d'y saisir les papiers du premier et de mettre les scellés sur ceux du second. Tandis que les écrits d'ordre financier durent être remis à Colbert, tous les autres furent confiés à Le Tellier[93]. Cette matinée mouvementée et bien remplie se termine par un discours de Louis XIV à ses ministres, à Condé, Turenne, Villeroi, Coislin, Brienne le fils, etc. Après avoir dévoilé les motifs de la chute du surintendant, le roi annonce qu'il se servira pourtant de quelques personnes pour se faire soulager : mais, si quelqu'un émettait à l'avenir les mêmes prétentions que Fouquet, il devait appréhender une semblable fortune. Et, découvrant toute sa pensée à sa mère, Je suis bien aise, ajoute le roi, qu'ils voient... que le meilleur parti est de s'attacher à moi[94]. Discours d'une importance capitale pour la biographie de Le Tellier, puisque, comme je l'ai déjà indiqué, Le Pelletier fixe à ce moment la résolution prise par son protecteur de ne pas porter ombrage à son souverain et de s'effacer progressivement en faveur de son fils. Son attitude à l'égard du ministre déchu n'est certes pas
caractérisée par la rudesse, qu'on, a voulu lui attribuer sans preuves. Dès
le début, sur la demande de Gourville, Fouquet souffrant recevra les soins
d'un médecin et d'un valet de chambre. Il lui est loisible d'écrire des
lettres au sujet de ses affaires domestiques à condition de les envoyer
ouvertes à Le Tellier. Il est autorisé aussi à en écrire au secrétaire d'état
lui-même, pourvoi que ce soit en votre présence (d'Artagnan) et en
lui disant que le roi l'a trouvé bon. Peut-être ne sera-t-il pas
permis à Le Tellier de lui répondre : En tout cas,
Fouquet peut être assuré que je n'épargnerai rien en ce qui se pourra faire
pour sa satisfaction et ses besoins. A son tour Pellisson obtient la
liberté d'entrer en correspondance avec Louvois, toutes
les fois qu'il le désirera[95]. Un peu plus
tard, au début de 1662, la messe sera dite dans un lieu, proche de la chambre occupée par le surintendant
déchu au château de Vincennes[96]. N'ayant pas à
suivre Fouquet à Pignerol et ses rapports avec Le Tellier et Louvois pendant
sa longue détention, je me borne à ces citations précises, prouvant
indiscutablement que le père et le fils ne doivent pas être accusés
d'hypocrisie ou de mauvaise foi. Ayant parcouru cette correspondance jusqu'à
la mort de Fouquet en 1680, je puis affirmer que tout ce qui n'était pas
contraire au service du roi a été concédé au prisonnier ou à sa femme par Le
Tellier et Louvois, avec une politesse remarquable chez le premier, non sans
bougonner chez le second. Fouquet, on le sait, comparut devant une chambre de justice, composée de parlementaires non seulement de Paris, mais de province. La manière, dont ces derniers furent choisis, provoqua les protestations des premiers présidents, qui regrettaient de ne pas avoir été consultés. A celui de la cour de Provence, d'Oppède, Le Tellier répondit : ... Vous n'avez aucun sujet de vous plaindre de ce que le conseiller de votre compagnie, qui a été nommé pour travailler à la chambre de justice, a été choisi sans votre participation, puisque la réserve que l'on a eue pour vous a été observée à l'égard de tous messieurs les premiers présidents des compagnies souveraines et que Sa Majesté a tenu cette conduite pour rendre la chose extrêmement secrète[97]. Est-ce ou non la vraie raison ? N'est-ce pas plutôt une suggestion de Colbert et de Pussort, désireux d'avoir une assemblée d'une docilité inerte et sans réserve ? Ne serait-ce pas pour faire contrepoids en quelque sorte que Le Tellier, ami déjà du président Lamoignon et de plusieurs magistrats, désigna ou fit désigner son fils, conseiller semestre au parlement de Metz, pour le représenter à la chambre de justice ? Dans la liste des membres (15 novembre), Louvois est le dernier nommé ; il prit séance le 10 décembre, siégera jusqu'au 21 mai 1662 et sera remplacé, le lendemain, par Ferriol, conseiller, lui aussi, à la cour messine[98]. Pourquoi ne resta-t-il pas plus longtemps ? Cette mesure
aurait été prise par Le Tellier lui-même, qui tira
de ce guêpier son fils, dit l'un — non par
une indignation vertueuse, mais par un calcul d'intérêt, dit l'autre[99]. Ces jugements,
nullement appuyés sur des preuves acceptables, ne doivent pas retenir
l'attention de l'historien, à qui il est seulement permis d'admettre qu'en
l'occurrence l'initiative vient du père. Pour expliquer cette décision, on
pourrait invoquer que les séances de la chambre de justice gênaient le
travail de Louvois dans les bureaux : cette raison n'est pas suffisante.
Rappelons-nous surtout que Le Tellier n'a jamais été passionné et implacable
contre Fouquet, qu'il est l'homme de la mesure et de la modération. De plus,
ancien conseiller au grand conseil, ancien procureur du roi au Châtelet, il
est choqué de la façon trop rigoureuse et irrégulière, dont la chambre de
justice, ou du moins certains membres, prit l'habitude d'user contre
l'inculpé. Il ne voulut point se charger, dit
justement Basnage, de la haine des violentes
procédures criminelles qu'on fit contre lui[100]. Et, de fait,
il ne se gêne pas pour exprimer son opinion avec netteté et sans détours. A
son avis, les interrogatoires doivent être critiqués et
en l'ordre et tout ce qu'ils contiennent ; on perd son temps à des
futilités sans presser aucun fait considérable[101]. Ce qu'il
remarque surtout, c'est la disproportion excessive entre les faits
répréhensibles et la gravité excessive des peines demandées. Bien que,
souvent, les paroles prononcées par lui aient été citées, il ne sera pas
inutile de les reproduire. Il déclarait qu'on avait fait
la corde trop grosse, qu'on ne pouvait plus la serrer, qu'il n'y fallait
qu'une chanterelle[102]. Il se
rencontre ici avec Turenne, qui s'exprima presque dans les mêmes termes[103]. Les critiques
ont loué Turenne de sa générosité, ils ont blâmé Le Tellier de son cynisme
ou, encore, d'avoir voulu simplement viser la
maladresse des juges ! Cependant plusieurs circonstances et plusieurs faits auraient dû les rendre circonspects et prudents. Un témoin précieux, dont on nie contestera certes pas l'impartialité, le probe rapporteur d'Ormesson, nous apprend les réels sentiments du ministre. Le 29 décembre 1662, il le rencontre chez Le Pelletier, et, lui ayant fait civilité de ce que je n'allais pas chez lui, il me dit que, tant que la chambre de justice durerait, il ne voulait pas de commerce avec moi, ne voulant point me corrompre[104]. Puis, quand le procès de Fouquet est fort avancé[105], Le Pelletier transmet au rapporteur l'opinion du secrétaire d'état. Il fallait, d'après lui, examiner tous les avis de d'Ormesson, ils se trouveraient tous bons, et il en aurait été s'il avait été des juges. Le Tellier donnait ensuite des conseils pratiques. Le roi trouvant qu'on choyait trop le rapporteur honnête et désintéressé, celui-ci devait prendre garde à sa conduite c'était un grand malheur pour moi, mais il fallait aller toujours droit sans m'inquiéter de cet orage qui passerait[106]. Si l'on tient compte de tous ces détails, il est équitable, semble-t-il, d'affirmer qu'a propos de ce célèbre procès, l'attitude de Le Tellier a été trop fréquemment mal comprise ou trop partialement expliquée. Indiscutablement, il n'a été prévenu 'par le roi qu'au dernier moment. Loin de se montrer un ennemi du surintendant et de l'accabler, il n'a pas ménagé des critiques à la procédure suivie et n'a pas dissimulé qu'il aurait voté comme la majorité des juges. Il y a dans cette manière d'agir, non pas de la dissimulation, mais seulement une manifestation nouvelle de la modération et de la mesure, traits essentiels, comme je l'ai déjà dit, du caractère du secrétaire d'état de la guerre[107]. VIII. — La révolte du Boulonnais, 1662. C'est à ce titre seulement qu'il intervint pour réprimer énergiquement une révolte survenue subitement dans le Boulonnais[108]. Racheté à Henri VIII d'Angleterre en 1550, ce pays avait vu, par des lettres patentes de 1551, confirmer ses privilèges, en particulier ceux de ne pas voter de don gratuit et de tenir des assemblées, des états. Mais un arrêt du conseil du 19 mai 1661 avait imposé une contribution de 30.000 livres : une délégation de trois membres, accompagnée par le duc d'Aumont[109], gouverneur du Boulonnais, ne put rien obtenir à Paris. Au mois de juin 1662, l'insurrection éclatait et prenait une rapide extension, principalement parmi les paysans. Les rebelles, sous la direction de François Postel, sieur Du Clivet, non seulement maltraitèrent les commis de la perception, mais commirent lès pires excès, vols, viols, brigandages, destruction de récoltes. Après avoir battu des effectifs très peu nombreux, ils se réfugièrent pour la plupart dans le château de Hucqueliers[110] ayant appris que le roi envoyait des troupes régulières. Alors commença la très courte guerre de Lustucru[111]. Informé par le commissaire Esmale de l'extension rapide de l'insurrection, Le Tellier lui mande les ordres donnés. Le gouverneur de Picardie, le duc d'Elbeuf, doit faire marcher incessamment à Montreuil 10 compagnies de gardes françaises, 5 de gardes suisses, 23 escadrons de cavalerie. Esmale recherchera si, à Montreuil, il existe des pièces d'artillerie ; sinon, il en fera venir d'Ardres et du Hesdin. Il tâchera de découvrir les principaux auteurs de la rébellion et ceux qui ont envoyé dans des villes étrangères leurs familles et leurs meubles. Il donnera beaucoup de publicité aux résolutions inébranlables du roi, et, sur tout, dressera des mémoires détaillés et fort exacts[112]. A celui qui a défait une partie des mutins du Boulonnais et s'est ensuite retiré à Boulogne pour écarter de cette ville, les insurgés, il mande le 1er juillet : Sa Majesté est bien résolue de ne pas laisser impunie cette rébellion... Elle a choisi MM. de Montpezat et de Machault, l'un pour commander le corps de troupes sous l'autorité de M. le duc d'Elbeuf, et l'autre pour travailler en qualité de maître des requêtes au procès des coupables de cette rébellion et les faire châtier avec toute la sévérité que leur crime le mérite[113]. Le 4 juillet partaient Montpezat et Machault[114], pendant qu'Esmale prenait soin des approvisionnements, spécialement du pain, que l'on donnerait exclusivement aux effectifs en suivant les plus exactes revues qui en seront faites[115]. Toutes précautions bien prises, Le Tellier ne pensait pas que la campagne fût bien longue : Il y a tout lieu de croire que, quand les mutins du Boulonnais verront approcher le corps des troupes qui marchent contre eux, ils se dissiperont[116]. Son calcul était juste. Après quelques volées de canon, les rebelles, enfermés dans le château de Hucqueliers, se rendirent sans combattre (11 juillet), les autres se dispersèrent et Le Tellier approuva Montpezat d'avoir fait pendre immédiatement trois des mutins. Le chef militaire n'avait plus qu'à renvoyer la cavalerie dans les quartiers d'où elle était venue, à prêter main-forte à Machault pour l'exécution de ses jugements et pour la levée de l'imposition, dont le chiffre sera fort augmenté[117]. Au maitre des requêtes incombe maintenant le principal rôle. Machault composera le tribunal comme il l'entendra, soit avec des membres des présidiaux, soit avec de simples gradués : est approuvé son projet de condamner è. mort les plus coupables et aux galères les moins criminels. Quand tous les jugements auront été rendus, le roi proclamera une amnistie générale[118]. Le lendemain, 17 juillet, nouvelles instructions plus précises. Le maitre des requêtes fera le procès à douze des plus coupables, ceux qui sont dans un âge vigoureux seront envoyés aux galères, les septuagénaires et les jeunes garçons seront mis en liberté. Et, afin que la chose se fasse dans l'ordre, Sa Majesté désire que ledit sieur de Machault dresse un rôle de tous ces prisonniers, suivant cette distinction[119]. La tâche n'est pas aisée, car il faut déjouer toutes sortes d'intrigues. Ainsi, parmi les praticiens, qui conseillent à leurs compatriotes de se porter aux extrémités pour conserver leurs privilèges, le maitre des requêtes en choisira quatre et les enverra à Troyes : un autre indésirable est exilé à Issoudun[120]. D'autre part, aux prisonniers, qui ont le moyen de se libérer, on offre la liberté moyennant argent : il faut absolument défendre ce trafic et faire réintégrer les prisonniers qui auraient été, de cette façon, libérés[121]. Machault termine enfin son enquête, est félicité et, quand il a envoyé la liste de ceux qu'il juge devoir être exceptés de l'amnistie, celle-ci est immédiatement décrétée pour tous les autres[122]. Restaient les condamnés aux galères, au nombre de 476. Une chaîne fut formée à Montreuil et le duc d'Elbeuf constitua une forte escorte, si nécessaire... que Sa Majesté lui a envoyé ordre de les accompagner six journées au-delà de Saint-Just[123]. La malice, en effet, ne perd jamais ses droits et ne connaît pas le découragement. La chaîne est suivie par des gens qui, par cupidité, veulent essayer de procurer la liberté aux condamnés. On offre donc au conducteur 200 pistoles pour chaque galérien libéré, on propose de faire substituer quelques faux sauniers à la place de ceux qu'on leur rendra. En donnant cet avis à Colbert, Le Tellier lui demande de prendre les mesures nécessaires[124]. Tel est le dernier incident de cette petite guerre... achevée en même temps qu'elle a été entreprise[125]. ***A cours de cette revue[126], l'activité de Le Tellier est, en somme, apparue comme variable suivant les affaires, auxquelles il a eu part, mais presque toujours aisément reconnaissable. Il est vraiment le ministre d'état, auquel Louis XIV remet la solution de nombreux problèmes de natures diverses, et agissant toujours comme un fidèle serviteur de la royauté, tout en ne renonçant pas à sa liberté d'appréciation. IX. — Effacement de Louvois, 1661-1663. Au contraire, pendant cette même période, Louvois ne s'est pas souvent montré. En 1660, il écrit une lettre au sujet de Candie, mais sur l'ordre et d'après les instructions de son père, retenu au conseil. Le 17 mars 1661, il reçoit du baron de Vuoerden un mémoire, qui, lui dit Louvois, serait lu au roi et sur lequel il y aurait résolution le lendemain à dix heures[127]. De novembre 1661 à mai 1662, à la chambre de justice, il n'a joué qu'un rôle très effacé : il y a gagné seulement de correspondre avec un sous-ordre, Pellisson, tandis que Le Tellier se réserve les -relations avec le grand premier rôle, Fouquet. Peut-être, en novembre-décembre 1662, le rachat et la réoccupation de Dunkerque lui fourniront-ils l'occasion de se mettre en avant ? Un contemporain, Fauvelet du Toc, n'hésite pas à affirmer que ce fut là un emploi si considérable, dans lequel il a travaillé en chef[128]. Erreur complète, due à l'ignorance ou à la flatterie de l'historien des secrétaires d'état. A la fin d'octobre 1662, Louis XIV ayant ratifié la conversation du rachat et nommé le comte d'Estrades gouverneur de Dunkerque, Le Tellier envoya d'abord dans cette ville un ingénieur, Pierre de Chastillon, et un commissaire de l'artillerie, Dollé, pour prendre des renseignements techniques. Il y délégua ensuite son beau-frère, Saint-Pouenges pour lors intendant de Picardie, et le chargea de régler les questions financières et administratives avant l'entrée solennelle de Louis XIV[129]. Il fit partir enfin son fils, mais dans quelles conditions ? Il adressa Louvois à son oncle Saint-Pouenges, qui ne manquera pas de vous donner connaissance de la dépêche que je lui ai écrite le 22 de ce mois : néanmoins, pour ne rien omettre de tout ce qui peut servir à votre instruction, je vous en adresse une copie afin que vous soyez informé de ce que doit faire M. de Saint-Pouenges, avant que le roi arrive à Dunkerque et durant le temps que Sa Majesté y séjournera. Rien de plus net : la seule action sera celle de l'intendant, suivant les instructions du secrétaire d'état. A quelle tâche est donc destiné Louvois ? Il examinera avec le plus grand soin les mémoires de son oncle. S'ils ne lui plaisent pas, il en écrira d'autres et, si Sa Majesté désire en entendre la lecture, Louvois prendra ses ordres. Il devra, aussi, rédiger un projet de règlement pour faire vivre la garnison de Dunkerque avec toute la discipline possible et sans être à charge aux habitants : pour réaliser ce travail, il se servira des expédients proposés par Saint-Pouenges dans ses mémoires. Et, si, par la connaissance que vous avez des règlements et ordonnances du roi, qui ont été faites pour la police des troupes, vous pouvez y ajouter quelque chose d'utile, vous le ferez : il pourra même montrer ce règlement au roi[130]. Cette lettre, d'une importance capitale, expose avec la plus grande netteté ce qu'est Louvois à la fin de l'année 1662, encore dans la subordination, mais autorisé par son père à prendre quelque initiative modeste. Le jeune ministre ne dut pas abuser de cette permission : car c'est Saint-Pouenges qui publie les ordonnances pour assurer aux Dunkerquois le maintien de leurs privilèges ou pour enjoindre aux soldats de demeurer dans le devoir : c'est encore lui qui entre en contact avec la municipalité pour la prestation du serment de fidélité[131]. Louis XIV arriva le 2 décembre à Dunkerque, accompagné de membres fort nombreux de la noblesse. Nulle part Louvois n'est mentionné : il est encore un trop petit personnage. En mars-avril 1663, Le Tellier étant atteint d'une fièvre continue, pour laquelle il a été déjà saigné quatre fois[132], son fils le remplace. Mais, dans les lettres qu'il a écrites pendant ce bref moment aux divers agents, il se borne à leur dire J'ai lu au roi...[133] Enfin, au mois d'août, il accompagne son père dans le voyage de Lorraine, sans prendre une part quelconque aux pourparlers avec les commissaires lorrains. Est-ce à dire qu'il ne s'est produit aucun changement dans la situation de Louvois pendant ces trois années ? Croire qu'il est resté le jeune homme n'aimant pas le travail, préférant la débauche, comme il l'était en 1660, serait avoir de lui une idée inexacte. Après avoir cédé aux injonctions énergiques et menaçantes de son père[134], il s'est mis à l'œuvre, il a appris, dans les bureaux, son futur métier. Il est, d'ailleurs, aisé de constater l'accroissement de l'activité qu'il déploie à côté des autres commis. Si, avant 1662, la mention Cette minute est de M. de Louvoy est très rare, elle devient de plus en plus fréquente à mesure que l'on avance dans le temps. Elle se modifie et prend les formes successives suivantes : de la main de M. de Louvoy, M. de Louvoy, M.D.L., L. Elle persistera ainsi jusqu'au commencement de l'année 1668. Toutes les minutes, portant l'une de ces marques indicatrices, ont été sûrement rédigées par le fils, ce qui ne signifie pas que certaines, qui en sont dépourvues, ne lui appartiennent pas[135]. Le nombre de ces minutes sûres augmente à peu près régulièrement. Sauf erreur, il en existe 17 pour lés mois d'août et de septembre 1662, 19 en janvier-février 1663, 32 en mars, 28 en avril, 34 en mai, 68 en juin, 62 en juillet, 20 en août[136]. Louvois est un scribe fortement occupé. A qui envoie-t-il ses missives ?[137] presque exclusivement t des intendants et à des commissaires des guerres. Très rarement apparaissent des évêques, des cardinaux, des ducs, de hauts officiers. Ainsi, ce sont, avant tout, des administrateurs, des gens de métier, qui, par son intermédiaire, reçoivent les ordres de leur chef, le secrétaire d'état de la guerre. Et, lorsque les affaires se gâtent avec la papauté et le duc de Lorraine, la correspondance de Louvois avec les subordonnés civils devient plus active et plus fournie. Peut-on s'en étonner ? Le Tellier laisse provisoirement à son fils le domaine de l'administration : il se réserve le reste, provisoirement aussi. ***En somme, il convient de rejeter la théorie de Rousset, qui ne correspond nullement aux faits réels. En 1661, Louvois n'est encore rien, parce qu'il est trop jeune et trop ignorant. Deux ans plus tard, il sait, ainsi que le reconnaît son père les règlements et ordonnances et aussi comment il faut écrire aux divers agents de l'administration militaire : il est prêt à devenir quelque chose. Les années 1663-1664 seront le commencement de sa fortune. |
[1] Vuoerden, Journ., f° 111 v°, pub. p. J. de Boislisle, dans Mémor., I, 126, note 13. Le baron de Vuoerden, flamand, passera bientôt au service de la France : son journal (Biblioth. de Cambrai, n° 683), dont quelques extraits seulement ont été publiés, est une source très importante pour les premières années du gouvernement personnel de Louis XIV.
[2] V. L. André, Michel Le Tellier et l'organisation de l'armée monarchique.
[3] Marguerite Louise d'Orléans (1645-1721) et Cosme de Médicis (1642-1723). — V. E. Rodocanachi, Les infortunes d'une petite fille d'Henri IV : — L. de Warren, Marguerite de Lorraine. Se méfier des mémoires de Mlle de Montpensier (sœur du premier lit de Marguerite Louise).
[4] Pierre de Bonsi, 1631-1703, évêque de Béziers, archevêque de Toulouse, puis de Narbonne, ambassadeur à Venise, Varsovie et Madrid, président des états du Languedoc.
[5] A. N., O1, f° 199-200, Pouvoir à MM. de Brienne père et fils, à M. Le Tellier et au sieur Pelletier pour traiter le mariage de Mlle d'Orléans, 1660. Je ne vois pas pourquoi Rodocanachi, p. 32, dit que Le Tellier représente la duchesse d'Orléans, comme Le Pelletier.
[6] Charles V, 1643-90, célèbre par ses campagnes contre Louis XIV et contre les Turcs. Il ne sera jamais duc dé Lorraine, mais son fils Léopold recouvra le duché au traité de Ryswick, 1697.
[7] Mémor. du conseil..., I, 76 : — d'Haussonville, Hist. de la réunion de la Lorraine..., III, 77-78, utilisant les mémoires du maquis de Beauvau, gouverneur du prince Charles, raconte le fait presque dans les mêmes temps.
[8] A. N., K., 541, n° 9.
[9] Mém., 7 avril, I, 153. Les clauses du contrat du 18 avril sont pub. p. Rodocanachi, append. II, p. 481-483 : Louis XIV et Anne d'Autriche ont signé l'acte.
[10] Au mois de mai 1661, commencèrent les pourparlers pour le mariage de Mlle de Valois, Françoise Madeleine, 1648-64, sœur de la nouvelle duchesse de Toscane, avec Charles Emmanuel II de Savoie, 1634-75. Ils furent aussi très longs, puisqu'ils aboutirent seulement au mois de mars 1663. Une commission fut nommée le 16 décembre 1662 pour les activer : A. N., O1, 10, f° 248 v°-250 v°, Pouvoir à M. le chancelier et à MM. de Brienne, Le Tellier, de Lionne, Colbert et Pelletier pour traiter le mariage de Mlle de Valois avec le duc de Savoie. Rien de particulier sur le rôle de Le Tellier.
[11] Mém., II, 381-382.
[12] Petit cousin de Claude Chauvelin, mère de Michel Le Tellier, un des plus remarquables intendants de l'époque : v. le chap. X.
[13] A. N., Guerre A1, 164 tr., f° 89 v°, ou B. N., f. fr., 4195, f° 95 et sq. La commission délivrée au prince pour le commandement est dans A. N., id., f° 85 v°-89 v°, et la lettre du 30 mars à l'archevêque d'Embrun, ambassadeur de France à Venise, f° 98-99.
[14] A. N., Guerre A1, 164 tr., f° 108 et sq.
[15] La correspondance avec le secrétaire d'état n'est pas très fournie à cause de l'éloignement et de la lenteur des communications. Toutefois, dans A. N., Guerre A1, 163 min., se trouvent quelques lettres à Robert et à Millet.
[16] L'archevêque d'Embrun avait dit : Il serait à désirer que la république fît un grand effort de son côté pour reprendre la Canée : autrement ce secours ne sera un secours suffisant qu'en la manière que l'expliquent les théologiens dans la matière de la grâce, qui est de telle nature que, quoiqu'il enferme la puissance d'agir, il ne donne jamais l'action et n'est point efficace, cit. p. Daru, Hist. de rép. de Venise, IV, 584.
[17] Mém., II, 418.
[18] Ambassadeur de Venise de 1663 à 1665, il succéda à Alvise Grimani : mais, dans sa relation, il décrit la situation en 1661.
[19] Relazioni..., Francia, III, 152. A la même époque, le nonce Piccolomini ressent une impression analogue : V. Ch. Terlinden, Le pape Clément IX, p. 28.
[20] Mémor., I, 99-100.
[21] A. N., Guerre A1, 168 min., f° 264 : Id., f° 438, Le Tellier à Vedoa, consul vénit., chargé de la corresp., 24 mai 1661. — V. aussi A. E., Cor. pol., Turquie, 6. — Venise, 80-82 : — B. N., ms. italien, 1850 et 1851 : — Gazette, années 1660 et 1661 : — Cf. Gérin, Louis XIV et le Saint-Siège, t. I : — Picavet, Les dernières années..., p. 167.
[22] A. N., Guerre A1, 168 min., f° 460, 30 mai 1661, min. : — Id., 159, copie avec ratures.
[23] A. N., Guerre A1, 170 min., f° 43, 11 octobre 1661.
[24] A. N., Guerre A1, 172 min., f° 150 et 366, à Mérinville et à Robert, 3 février et 28 mars 1662.
[25] Wicquefort, Hist. des Prov. Un., édit. de 1719, p. 288 et 883-884, texte du traité et extrait du registre des résolutions.
[26] Basnage, Annal. des Prov. Un., 1726, I, 643.
[27] C'étaient Jean de Ghent, Justus de Huybert et surtout Conrad van Beuningen.
[28] V., B. N., f. fr., 17561, f° 53 et 82-87.
[29] Wicquefort, édit. de 1866, t. III, 13-9 : — Basnage, I, 638-651, a utilisé les manuscrits, non encore publiés, de l'auteur précédent : — Lettres et négoc. de Jean de Witt, t. II : — Lefèvre — Pontalis, Jean de Witt, t. I.
A. E., Cor. pol., Hollande, 66, f° 72 et 67, foi 15 et sq. : — Id., Mém. Doc., Hollande, t. 16, f° 86 : Recueil des Instructions, Hollande, I, 127 et note 3 : — Louis XIV, Mém., II, 563 : — Mémor., I, 294, 326, 329, 333, — II, 14-15, 18 note 2, 21 note 4, 62 note 5, 105 note 7, 136, 141 note 4, — III, 69 note.
B. N., f. fr., 15965, Discours de Brienne père au roi. L'auteur écrit avant la fin des pourparlers : ne désignant pas spécialement les délégués français. il dit simplement vos commissaires. En 45 folios, il trace une longue revue de la politique extérieure des Provinces-Unies depuis la fin du XVIe siècle, de leur organisation intérieure, etc. : à la fin, il expose seulement quelques détails, surtout commerciaux.
[30] Basnage, I, 643 : —
Wicquefort, II, 7.
[31] Wicquefort, III, 12.
[32] Basnage, I, 643 — Let. de Witt, II, 111 et 118-119.
[33] Let. de Witt, II, 253, let. de van Beuningen, 22 décembre 1661.
[34] Id., II, 321, let. de van Beuningen, 16 mars 1662.
[35] Texte dans A. E., Cor. pol., Hollande, 67, f° ; 15 et sq., — dans Dumont, Corps dipl., VI, 2, 412 : longue analyse dans Wicquefort, III, 18-19.
[36] Gazette, 1662, n° 52, p. 543.
[37] Wicquefort, III, 20 et, à sa suite, Basnage, 651. Le marc équivalait à peu près à la moitié de la livre, 244 gr. 75 environ.
[38] Vast, Les grands traités..., p. 130-137.
[39] La preuve est fournie par les extraits de lettres de Le Tellier à Mazarin, extr. des A. E. et pub. par d'Haussonville, III, 325-7.
[40] Traité dans Dumont, VI, 2, 348.
[41] V. B. N. ; f. fr., 4240, f°3 361.429 (26 février 1661-1er septembre 1663) : — Id., 4244 à 4247, Procès-verbaux dressés par J.B. Colbert, seigneur de Saint-Pouenges..., intendant en Lorraine et Barrois, villes et évêchés de Metz, Toul et Verdun..., avec M. Colbert de Vandières..., président du conseil souverain d'Alsace et intendant... audit pays (avril-septembre 1661 : de belles copies collationnées et signées par Le Tellier sont les manuscrits 16893 et 16895). — Correspondance de Le Tellier dans A. N., Guerre A1, 168-9, 172-81, et 251 (avril 1661-24 novembre 1663). Pour la première année elle est le développement des résolutions prises dans les réunions du conseil, dont Le Tellier tient le registre d'avril à septembre. — B. N., F. ,fr., 17881, f° 78> lettre de Le Tellier à Colbert, 31 août 1663. — Cf. L. André, Les Sources..., V. n°15 3873-7. — Les principaux ouvrages sont celui de d'Haussonville, Hist. de la réunion..., et les histoires de Lorraine de Parigot et de Morizet.
[42] Tous ces actes sont dans B. N., f. fr., 4240, f° 386-98. Les deux cousins, Saint-Pouenges et Croissy, n'appartiennent pas au même camp. Le premier et ses fils avaient, dit Saint-Simon, répudié les Colbert pour les Le Tellier, dont ils avaient pris les livrées et suivi la fortune, Mém., III, 28. Le second, au contraire, resta dévoué à son frère ; qui, en 1679, le fera nommer secrétaire d'état aux affaires étrangères. Dans l'affaire lorraine, il correspond avec Le Tellier, mais aussi avec Colbert et semble avoir été mis là pour surveiller Saint-Pouenges. D'ailleurs les deux cousins s'entendront parfaite-nient presque sur tous les points.
[43] A. N., Guerre A1, 168 min., f° 373, Saint-Pouenges à Le Tellier, 10 mai 1661.
[44] D'avril à septembre, surtout de mars à mai, l'affaire lorraine a maintes fois préoccupé le conseil.
[45] A. N., Guerre A1, 168 min., f° 234 : Id., f° 292, Le Tellier à Pradel, 20 avril 1661.
[46] Id., f° 372, Saint-Pouenges à Le Tellier, 10 mai 1661.
[47] Id., f° 373 ; il s'agissait de 17 bastions et courtines. Vauban évaluait le tout à 2.006 toises. La toise (mesure de longueur) valait 1 m. 949, — (mesure de surface), 3 mq 79.
[48] Travail fait avec économie : A. N., Guerre A1, 169 min., f° 127, Le Tellier à Pradel, 5 juillet 1661.
[49] Mémor., III, 53, 12 août 1661.
[50] A. N., Guerre A1, 169 min., f°4 277-8, Le Tellier au duc et à Pradel. Les commissaires lorrains avaient tenté de faire retarder cette démolition : Mémor., III, 47.
[51] Gazette, année 1661, p. 958 et 1156 : Cf. p. 1349.
[52] Sur ce point, semble-t-il, exista quelque divergence entre les deux intendants. — B. N., Mél. Colb., 103, f° 139 v°, Colbert de Croissy à son frère, 16 juillet 1661 : J'en ai déjà dit bien des fois mon sentiment à M. de Saint-Pouenges, et avec toute la déférence que je lui dois ; mais je ne vois pas que ce soit encore le sien.
[53] Mémor., II, 199, 19 juillet 1661.
[54] Id., III, 41, 10 août 1661.
[55] Id., III, 3-4, 2 août 1661.
[56] Id., III, 40, 9 août 1661.
[57] Gazette, année 1661, p. 1011.
[58] V. Mémor., I, 64, note 11.
[59] Sur ce traité, v. Louis XIV, Mém., II, 553-555 : — Beauvau, Mém. : — d'Haussonville, III, 106 et sq. et append. : — G. Zeller, Mém. Soc. arch. lor., 1912, t. 62, 5-74 (étude très solide).
[60] A. N., Guerre A1, 172 min., f° 276, Le Tellier à Pradel, 4 mars 1662.
[61] A. N., Guerre A1, 168 min., f° 143, let. très curieuse de Le Tellier envoyée à Saint-Pouenges, dès le 17 mai 1661 : Vous recevrez, par la dépêche du roi ci-jointe, les ordres de Sa Majesté, pour faire faire le toisé du pourtour des deux villes de Nancy, faire travailler les 300 personnes fournies par M. de Lorraine aux deux tiers de la ville, et surseoir la démolition de la vieille jusques à nouvel ordre. Vous ne devez pas pour cela vous persuader que Sa Majesté ait changé de résolution, mais bien qu'Elle veut faciliter le mariage de Mademoiselle avec M., le Prince Charles en faisant croire à M. le duc de Lorraine que sa Majesté pouvait changer de dessein à l'égard des fortifications de ladite vieille ville. Cc que je dis à vous seul pour votre instruction sans que vous deviez vous en ouvrir à qui que ce soit au monde.
[62] A. N., Guerre A1, 173 min., Le Tellier à Pradel, 27 juin 1662.
[63] Le contrat est pub. p. d'Haussonville, III, 346-349.
[64] Sur cet épisode, v. Lassay, Recueil des différentes choses, t. I : — Saint Simon, Mém., III, 28-32 et notes : — Haussonville, III, 116 et sq. : Desnoireterres, Les cours galantes, t. I, passim. — On peut aussi consulter les mémoires de Mlle de Montpensier, t. III, passim. Louis XIV dota Marie-Anne quand elle épousa le marquis de Lassay en 1678. Après avoir donné un fils à son mari, elle mourut probablement en 1681.
[65] A. N., Guerre A1, 175 min., f° 135 autres lettres sur le même sujet dans ce volume.
[66] A. N., Guerre A1, 176 min., f° 53 r°.
[67] Id., f° 352.
[68] A. N., Guerre A1, 177 min., f° 241, Le Tellier à Pradel et à Guiche.
[69] Sur J. P. de Choisy, v. le chap. X.
[70] A. N., Guerre A1, 179 min., f° 200, Le Tellier à Choisy, 31 juillet 1663.
[71] Id., f° 275, Le Tellier à Pradel et à Guiche, 8 août 1663 : — f° 276 à Choisy.
[72] Id., f° 298, Le Tellier à Choisy ; A. N., Guerre A1, 251 orig., pièce 1, instruction à Talon, 15 août 1663.
[73] A. N., Guerre A1, 179 min. — Indisposé du 8 au 11 août 1663, Louvois part avec son père le 25 et écrit le 28 de Sainte-Menehould à La Ferté, f° 392.
[74] B. N., f. fr., 17881, f° 78, Le Tellier à Colbert, 31 août 1663 : — A. N., Guerre A1, 179 min., f° 394-6, ratification. Texte du traité dans B. N., f. fr., 4240, f° 426, — et A. N., Guerre A1, 251 orig., pièce 3.
[75] V. aussi Montglat, Mém., IV, 276.
[76] A. N., Guerre A1, 180 min., f° 368, let. du 31 octobre 1663 : — f° 371, au procureur général du parlement de Metz.
[77] A. N., Guerre A1, 181 orig., f° 245, Le Tellier à Frémyn, 24 novembre 1663 ; — f° 248, à Choisy.
[78] Magistrat créé à Paris par édit de mars 1667.
[79] Mémor., I, 62 et 66.
[80] Aubeville ne sera reçu qu'en septembre 1661 par Alexandre VII, qui voulait gagner du temps.
[81] Guy Joly, Mém., se donne le beau rôle dans cette négociation : en réalité, Retz lui a caché beaucoup de choses, en particulier son vif désir, dès le début, d'aboutir, et a mené en dehors de lui les vrais pourparlers : — Rapin, III, 164-6 : — Bossuet, Or. fun., 435 : — Retz, Œuv., VI, 436-9 : — Chantelauze, Le card. de Retz, 27-34 : — Cosnac (de), Le baron de Penacors..., 42-47 : L. Batiffol, Biogr. du card. de Retz, 199-206 : — Cl. Cochin, Mél. E. R., 1908, t. 28, 98-111.
[82] Pub. dans Retz, Œuv., VI, 436, et dans Chantelauze, 31-34.
[83] Bossuet, Or. fun., 435.
[84] Rapin, III, 166.
[85] B. N., f. fr., 4249, 15612 et 22641 — Arch. Bast., 346-416 : — Mémor., III, 123, 127, 132, 140 : — A. N., Guerre A1, 169 et sq. : — Ormesson, II, 3, 12 note 4, 31, 120, 124, 134 : — Colbert, Let..., II, 47 : — Brienne fils, Mém. : — Basnage, Annal., I, 642 : — Rousset, I, 17 : — Chéruel, Mém. sur la vie publ. et priv. de Fouquet, II, 43-4, 240-6, 250, 342-3, 375 ; — Lair, N. Foucquet, II, 6, 52, 57, 66, 95 note 2, 145, 148 (inexactitudes nombreuses) : — Rébelliau, édit. des Or. fun. de Bossuet, 392.
[86] Bien avant la fête célèbre et somptueuse donnée au roi, à Vaux, par Fouquet (16 août 1661). Choisy commet une erreur en disant que le roi voulait l'arrêter au milieu de la fête.
[87] Chéruel, II, 250 : lettre du 5 septembre.
[88] B. N., f. fr., 15612, f° 204 : — Arch. Bast., I, 351-355. Ces deux lettres se ressemblent au point que, semble-t-il, Brienne le fils a communiqué la sienne à Coislin, qui s'est borné à la copier à peu près complètement.
[89] Mêmes références.
[90] Mémor., III, 132-133, Louis XIV à l'archevêque d'Embrun, 16 septembre.
[91] Id., 217, Brienne fils à son père.
[92] Louis Boucherat succédera à Le Tellier comme premier marguillier de l'église Saint-Gervais et, en 1685, à la grande chancellerie.
[93] B. N., f. fr., 15612, f° 204, Brienne fils à son père, 5 septembre 1661 : — Chéruel, II, 241 : — Lair, 66.
[94] V. références précédentes pour les lettres de Louis XIV, Brienne fils et Coislin.
[95] Arch. Bast., I, 355, 357. 367, 381 : — Cf. les mémoires de Gourville et Chéruel, I, 246.
[96] Arch. Bast., I, 397, Louvois à La Meilleraye, 21 novembre 1661.
[97] Id., I, 414, let. du 6 janvier 1662.
[98] Pour les dates v. B. N., 22641, f° 77 v° : — Ormesson, II, 3 : — Colbert, Let..., II, 47 : — Chéruel, II, 342-343 : — Lair, 95, 148-149.
[99] Lair, 149 : — Rébelliau, édit. des Or. fun. de Bossuet, 392.
[100] Basnage, I, 642.
[101] Lair, 145.
[102] Ormesson, II, 134.
[103] Id., II, 120 : On avait fait la corde si grosse qu'on ne pouvait plus la serrer pour étrangler M. Fouquet et il ne fallait d'abord qu'une cordelette.
[104] Ormesson, II, 31.
[105] Le procès se termina le 20 décembre 1664.
[106] Ormesson, II, 124, vendredi 25 avril 1664 ; Id., 134.
[107] V., dans le dernier chapitre, la conduite de Le Tellier envers d'Ormesson, à qui Louis XIV ne pardonna jamais.
[108] A. N. Guerre A1, 173 et 174 min. : — Louis XIV, Mém., 482 note 1 : — Fret d'Imbretun, Livre de raison, pub. dans Bul. Soc. Boulogne, 1907, t. VII, 600 : — Rosny, Hist. du Boulonnais, 1873, IV, 59 et sq. : — Hamy, Essai sur les ducs d'Aumont, 2e partie, p. 270, 33, lettres du 12 août et 15 septembre 1662.
[109] Le duc d'Aumont est le beau-père de Madeleine Fare, fille de Le Tellier, qui a épousé Villequier, fils du duc. Il était fort connu et depuis longtemps, par le secrétaire d'état : v. les lettres, dans Hamy, p. 331 sqq.
[110] Département du Pas-de-Calais, arrondissement de Montreuil.
[111] L'eusses-tu-cru.
[112] A. N., Guerre A1, 173 min., f° 396, 29 juin 1662.
[113] A. N., Guerre A1, 174 min., f° 4 : — Id., au major de Boulogne Du Quesnel, à Saint-Pouenges, alors intendant en Picardie, à Esmale et à Elbeuf, foi 5-9.
[114] Louis de Machault, 1623-1695, conseiller au grand conseil, maître des requêtes en 1649, intendant en Guyenne, Provence, Picardie, etc., se retire en 1671.
[115] A. N., Guerre A1, 171 min., f° 22 et 24.
[116] Id., f° 42, Le Tellier à Aumont, 7 juillet 1662. Cf. f° 43 et 77.
[117] Id., f° 91, Le Tellier à Montpezat, 15 juillet 1662.
[118] Id., f° 93, Le Tellier à Machault, 16 juillet 1662 : — Cf. f° 96.
[119] A. N., Guerre A1, 174 min., f° 105-107.
[120] Id., f° 155 v°, 23 juillet 1662 : f° 243, 9 août 1662.
[121] Id., f° 155 v°-156, 23 juillet 1662.
[122] Id., f° 228, 243, 280, let. des 4, 9 et 13 août 1662. Un seul fut excepté, Du Clivet, chef de la rébellion, qui avait pu s'échapper.
[123] A. N., Guerre A1, 174 min., f° 244, let. du 9 août 1662.
[124] Billet de Le Tellier du jeudi soir, 17 août 1662, p. Hamy, p. 318.
[125] A. N., Guerre A1, 174 min., f° 93, Le Tellier à Machault, 16 juillet 1662. — En décembre, passant à Boulogne pour aller à Dunkerque racheté. Louis XIV accordera quelques concessions.
[126] Je laisse de côté les négociations avec l'ambassadeur danois, Annibal de Sehested, pour la conclusion d'un traité de commerce, puis d'alliance. Commencées en 1662, elles durèrent jusqu'en août 1663. Les commissaires français furent Brienne le père, Le Tellier, Lionne et Colbert, qui ratifièrent le traité : A. N., O1, 3, f° 357 v° et 400. Je ne vois pas qu'en cette occasion Le Tellier ait joué un rôle de premier plan.
[127] Texte pub. dans Mémor., I, 61, note 31. Comparer la solitude de Louvois avec l'affluence qui accable Le Tellier, 2 avril 1661, d'après Vuoerden, Id., I, 107-108, note 1.
[128] Fauvelet du Toc, 336.
[129] V. Louis XIV, Mém., II, 560 : Gazette, 1662, n°3 143, 146-7, 150, 152 : De Saint-Léger, Rev. hist. mod. et conf., II, 1901, 233-45 : Lemaire, Bul Un. Faulc., 1924, t. XXI, 220 p. — Cf. L. André, Les Sources..., V, n° 3891.
[130] A. N., Guerre A1, 3779, pièce 23. Le Tellier à Louvois, 26 novembre 1662.
[131] Lemaire, 34-35 : Gazette, 1662, n° 150, 1230, et n° 152, 1253.
[132] Guy Patin, III, 425.
[133] A. N., Guerre A1, 177 min.
[134] V. chapitre premier.
[135] Ayant trop négligé les minutes d'une écriture souvent difficile, Rousset n'a pas pu faire cette constatation capitale.
[136] Le dernier chiffre est plus faible parce que Louvois a été malade du 3 au 11 et que, le 25, il est parti avec son père pour la Lorraine.
[137] Consulter A. N., Guerre A1, 174 à 179 min.