L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

DEUXIÈME PARTIE — LA RÉPUBLIQUE

I — GUERRE D’AFFRANCHISSEMENT.

 

 

La révolution qui venait de s’accomplir était surtout l’insurrection d’une race. Les Sabins reprenaient l’empire que leur avaient enlevé les Étrusques ; l’aristocratie, presque entièrement sabine, triomphait. Elle eût pu se donner un roi de sa nation ; mais ce nom de roi était devenu odieux à tous ; et d’ailleurs une aristocratie, quand elle est toute-puissante, n’aime pas à se détrôner au profit d’un de ses membres. Celle-ci préféra donc tirer de son sein deux chefs annuels qu’on appela consuls.

La pensée de la république n’était peut-être pas nouvelle ; on la prêtait à Tullius Servius ; on croyait même qu’elle s’était manifestée après la mort de Romulus[1].

Rome trouva chez ses ennemis l’exemple de ce qu’elle-même exécutait ; depuis un certain temps, l’Étrurie avait remplacé la royauté à vie de son chef suprême par l’autorité de magistrats renouvelés chaque année.

On a remarqué aussi que, vers le même temps, plusieurs villes grecques de l’Italie méridionale s’étaient soulevées contre leurs tyrans.

A Rome, tout s’opérait dès lors par transition et par compromis. Les consuls furent décorés des insignes de la royauté, et, pour ne pas effrayer les imaginations inquiètes de ce qui pouvait la rappeler, il fut décidé que chacun des consuls porterait seul et tour à tour ces insignes pendant un mois.

On avait besoin de I’appui des plébéiens, dont les uns étaient riches et les autres étaient pauvres. Pour plaire aux riches, on remit en vigueur la constitution de Servius[2], qui mesurait l’influence dans les votes à la richesse ; pour gagner les pauvres, on leur livra les biens privés de Tarquin. Cette politique pouvait être habile, mais elle n’était pas généreuse[3].

Les gouvernements nouveaux s’honorent en respectant le droit de propriété. dans les gouvernements tombés[4]. Selon Tite-Live, le sénat, mu par un sentiment d’équité, avait pensé d’abord que les biens privés des Tarquins devaient leur être rendus. Les envoyés du roi qui les réclamait, ayant profité de leur séjour à Rome pour ourdir la conspiration à laquelle prirent part les fils et les beaux-frères de Brutus, les sénateurs, emportés par la colère, dit Tite-Live, abandonnèrent cette proie au peuple, afin qu’il perdît tout espoir de paix avec ceux qu’il aurait dépouillés[5].

Malgré ce motif peu honnête, il est vrai, d’une telle spoliation, le grave historien ne semble pas l’approuver, et cherche à l’excuser par la conduite déloyale des envoyés.

Une tradition rapportait une cause invraisemblable de la formation de l'île Tibérine. On disait que Tarquin avait fait ensemencer le champ de Mars, celte plaine qui encore sous Auguste séparait le fleuve de la ville, et dont la Rome moderne couvre la plus grande partie[6] ; le sénat l’avait réservée aux exercices équestres, et ordonné que les blés déjà coupés et placés sur l’aire fussent jetés dans le Tibre. On ajoutait que les eaux du fleuve n’avaient pu entraîner cet amas de paille et de grains, et, accumulant alentour les alluvions, avaient donné naissance à l’île qu’on voit encore aujourd’hui au milieu du Tibre.

Il est difficile de lui reconnaître une pareille origine. Une île qui renferme une église, un couvent et un hôpital, n’a guère pu être formée autour de gerbes amoncelées. La rapidité du fleuve et sa profondeur s’y opposent également[7].

D’ailleurs, on voyait dans cette île un temple consacré au dieu latin Faunus et une statue dédiée au dieu sabin Sancus, ce qui semble indiquer qu’elle avait été occupée à l’époque des Latins primitifs et à l’époque sabine, c’est-à-dire antérieurement à l’époque de Tarquin.

En ce qui concernait le champ de Mars, le droit des Romains était meilleur que pour les autres propriétés des Tarquins.

Le champ dédié à Mars, dieu national des Sabins, et vers une des extrémités duquel s’élevait l’autel de ce dieu, avait probablement, dés le temps des rois sabins, été consacré à la religion, puis avait conservé en partie cette destination sous les premiers rois étrusques, et même après que Tarquin le Superbe l’avait usurpé ; car il est question d’une vestale qui en donna une partie au peuple romain[8].

Le champ de Mars était le lieu où tout le peuple se rassemblait en centuries pour les élections.

Tarquin s’en était emparé en supprimant ces assemblées instituées par Servius.

Ces assemblées étant rétablies, le champ de Mars retournait naturellement au peuple.

Les consuls complétèrent le sénat, qu’avaient décimé les cruautés de Tarquin en y faisant entrer des plébéiens et des chevaliers[9], c’est-à-dire des Latins et des Sabins.

Ainsi était de nouveau scellée la fusion entre les races, œuvre de Servius, et à laquelle avait concouru l’oppression que Tarquin avait fait peser en commun sur elles.

Alors un grand danger vint menacer la république.

Les envoyés de Tarquin à Rome y tramèrent une conspiration à laquelle prirent part plusieurs jeunes gens appartenant aux grandes familles sabines[10] alliées à la famille royale, deux fils et deux beaux-frères de Brutus, neveux de Collatin.

La conspiration fut découverte pendant la nuit. Le matin qui suivit, Brutus était de bonne heure assis sur son tribunal au pied du Capitole ; il fit comparaître devant lui ses deux fils, les condamna et les fit mettre à mort en sa présence dans le Forum. De même, au moyen âge, en Italie, les exécutions eurent souvent lieu sur la place publique qui servait de marché.

Je me représente avec un frisson d’horreur cette terrible scène. Brutus assis sur la plate-forme du Vulcanal et impassible ; les rigides patriciens au-dessous de lui dans le Comitium ; plus loin, dans le marché, la multitude émue que sa dureté étonne ; au milieu du marché, ses fils attachés au poteau ; la hache du licteur qu’il regarde abattre la tête de l’un, puis la tête de l’autre ; à sa gauche, le temple de Jupiter élevé par les Turquins sur une tête coupée ; à sa droite, le temple du dieu qui dévorait ses enfants, le temple de Saturne.

Brutus vit battre de verges et décapiter ses fils saris détourner la tète, sans changer de visage, sans montrer la moindre émotion.

Plutarque va plus loin[11], et dit que, pendant le supplice de ses fils, il ne cessa de les regarder avec colère.

Les anciens ont admiré cette insensibilité. Les Romains regardaient toute émotion tendre comme une faiblesse. L’impassibilité de Brutus leur semblait une vertu. On blâmait Cicéron des regrets passionnés qu’il donnait à sa fille, et lui-même était près de s’en accuser. Pour nous, la tendresse de Cicéron l’honore ; nous consentirions à admirer un père qui, pour obéir à son devoir, condamnerait ses fils et les regarderait mourir, à condition qu’il en souffrit beaucoup. Pour les Romains, il était beau que Brutus ne souffrît pas ou du moins ne parût pas souffrir. A cet égard, nous valons mieux que les Romains.

Peut-être vais-je manquer de respect envers la mémoire de Brutus ; mais dans cette affectation d’insensibilité, dans l’empressement avec lequel il vient lire les lettres surprises de ses fils et les fait frapper les premiers, je crains, outre les deux sentiments que lui prête Virgile, l’amour de la patrie et l’amour de la gloire[12], d’en surprendre encore un autre, le besoin de donner un gage à la république. Les républiques naissantes sont soupçonneuses. Collatin, parce qu’il s’appelait Tarquin, fut obligé de s’exiler sur l’invitation de son beau-père et de Brutus lui-même. Brutus aussi tenait aux Tarquins par sa mère et par sa femme, nièce de Collatin. Ne voulut-il point rassurer les défiances auxquelles Collatin fut sacrifié, et aller au-devant de ces défiances qui auraient pu l’atteindre ? Je ne compare point un supplice juste à la mort de Louis XVI et Brutus au duc d’Orléans ; mais la situation était la même. Elle ne fit point commettre à Brutus un crime, mais peut-être lui fit-elle déployer un plus grand appareil de sévérité.

Si je voulais amuser par un contraste entre la réalité antique et l’art moderne, analogue à celui dont j’ai parlé, à propos du tête-à-tête de Lucrèce et de Sextus, tel que l’a représenté le peintre Cagnacci, je citerais un petit tableau de Lippi dans lequel Brutus est représenté en pantalon collant et en bottes molles[13]. J’aime mieux conduire mon lecteur au palais des Conservateurs, et me placer avec lui devant l’admirable buste en bronze du premier Brutus.

Ce buste peut être ressemblant : une statue en bronze, œuvre d’un artiste étrusque (alors il ne s’en trouvait pas d’autres à Rome), fut placée au Capitole à côté des statues des rois.

Rien ne prouve que cette statue n’existait plus à l’époque où la tête du fondateur de la république fut bravée sur les médailles de la gens Junia, qui prétendait descendre de lui, et le buste a pu être fait d’après ces médailles. Les images en cire des ancêtres ont pu aussi transmettre et conserver dans cette famille l’image d’un ancêtre vrai ou supposé. Celle-ci semble faite d’après un moule en cire pris sur le visage du mort, coutume qui n’était pas inconnue aux Romains[14]. Il est donc permis de voir dans le buste du Capitole un vrai portrait de Brutus[15] ; il est difficile d’en douter en le contemplant.

Voilà bien le visage farouche, la barbe hirsute[16], les cheveux roides collés si rudement sur le front, la physionomie inculte et terrible du premier consul romain ; la bouche serrée respire la détermination et l’énergie ; les yeux, formés d’une matière jaunâtre, se détachent en clair sur le bronze noirci par les siècles et vous jettent un regard fixe et farouche. Tout près est la louve de bronze. Brutus est de la même famille. On sent qu’il y a du lait de cette louve dans les veines du second fondateur de Rome, comme dans les veines du premier, et que lui aussi, pareil au Romulus de la légende, marchera vers son but à travers le sang des siens.

Le buste de Brutus est placé sur un piédestal qui le met à la hauteur du regard. Là, dans un coin sombre, j’ai passé bien des moments face à face avec l’impitoyable fondateur de la liberté romaine.

Cet homme, d’une énergie formidable, passait pour avoir élevé sur le Cælius un temple à la déesse Carna ou Cardea, qui présidait au cœur, aux entrailles, aux parties vitales, à l’énergie physique et à l’énergie morale, que l’on confondait.

La déesse Carna était une de ces divinités chargées de veiller sur quelque partie de l’organisation, qui, ainsi que toutes celles qui se rapportaient à un détail de l’existence physique, était véritablement romaine[17], faisait partie de la croyance indigène et n’avait point été communiquée, comme les grandes divinités, aux Sabins et aux Latins par les Pélasges. C’est pour cela que le temple de Carna s’éleva sur le Cælius, mont Latin depuis Tullus Hostilius.

Carna était une divinité populaire du foyer qui défendait les enfants des êtres malfaisants. Brutus lui avait voué un culte, sans doute parce qu’il se regardait comme le protecteur du berceau de la république.

Passionnément attaché à sa patriotique entreprise, Brutus, après lui avoir sacrifié ses fils, donna pour elle sa vie.

Il tomba dans la première bataille livrée par les Romains aux maîtres qui voulaient de nouveau les asservir. Tarquin était allé implorer le secours dé Tarquinii et de Véies. Ce secours lui fut accordé. Ces deux villes étrusques armèrent pour rétablir à Rome le pouvoir d’une famille étrusque. Brutus accourut pour les repousser. Les deux armées se rencontrèrent sur le territoire sabin[18]. Aruns, un des fils de Tarquin, et Brutus, fondirent l’un sur l’autre, et, emportés par leur furie, se percèrent mutuellement de leurs lances. Les matrones portèrent le deuil de celui qui avait vengé la pudeur de Lucrèce[19].

Après sa mort, les soupçons populaires, toujours prompts à s’éveiller, se portèrent sur son collègue Valerius. C’était cependant un Sabin de la vieille roche, il avait toujours soutenu vigoureusement Brutus contre les faiblesses de Collatin, qui voulait sauver ses neveux quand Brutus condamnait ses fils, et il devait mériter ce nom de Publicola[20], ami du peuple, qu’a porté une église de Rome, Santa-Maria de Publicolis, voisine du palais de la famille, Santa-Croce, qui prétend descendre de Publicola.

Malgré tous ses droits à la faveur populaire, Valerius fut soupçonné, parce qu’il habitait une maison qu’on trouvait trop grande sur la Velia, cette hauteur que l’on distingue à peine aujourd’hui, et dont l’arc de Titus marque le sommet.

Quand on lit l’histoire de Valerius en présence des lieux tels qu’ils sont de nos jours, on a peine à comprendre la susceptibilité du peuple romain et les passages des auteurs anciens qui se rapportent à la Vélia.

On disait que la maison de Valerius, bâtie sur un sommet escarpé qui dominait le Forum[21], serait une citadelle inexpugnable[22].

Pour se rendre compte des ombrages qu’elle inspirait, il faut songer que la Velia a bien changé d’aspect : elle a été presque aplanie pour faciliter le passage des triomphateurs qui avaient à la gravir d’un côté et à en redescendre de l’autre quand ils venaient du grand cirque au Capitole, et pour donner une base horizontale au temple de Vénus et de Rome construit par Adrien.

Mais, dans l’origine, la Velia comptait parmi les sept collines du Septimontium, comme le Palatin, et, si l’on descend jusqu’au sol antique du Forum, on trouve que la cime de la Velia, même abaissée comme elle est aujourd’hui, s’élève encore de cinquante-trois pieds[23] au-dessus de lui.

Lorsque cette hauteur était plus grande et la colline taillée à pic, on conçoit qu’une maison placée à sa cime parût dominer le Forum et le menacer,

Ainsi le spectacle des lieux, qui semble être en désaccord avec la tradition, cesse de la contredire quand on étudie leur histoire.

Il fait plus, il la confirme ; car, si cette tradition n’eût été contemporaine de l’état ancien des lieux, on n’eût pas imaginé plus tard des circonstances que leur disposition changée ne suggérait plus.

L’inquiétude que faisait naître l’habitation de Valerius avait encore une autre cause. La Velia avait été la demeure de deux rois sabins, Tullus Hostilius et Ancus Martius, puis des deux Tarquins. Les Valerius y étaient établis depuis plusieurs générations probablement avec leurs clients, ce qui explique pourquoi leur demeure était si vaste. Ils y avaient leur sépulture de famille. C’était donc une petite bourgade sabine.

Quand les patriciens se rassemblaient dans le Comitium et les plébéiens dans le marché, ils voyaient au-dessus de leur tête comme un château fort sabin voisin de l’une des demeures de ces rois étrusques qu’ils venaient de bannir.

Ces souvenirs d’oppression produisaient leur crainte aussi bien que la position menaçante de la demeure féodale des Valerius.

Le sentiment d’effroi qu’elle leur causait était pareil à celui qu’inspiraient aux Romains du moyen âge les tours des barons, que le peuple, dès qu’il était le maître, se hâtait de démolir.

Valerius n’attendit pas qu’on se portât à cette extrémité, et il vint habiter au pied de la Velia. C’est le premier triomphe des plébéiens sur l’aristocratie romaine et la première concession de cette aristocratie.

Car c’était aux plébéiens qui se réunissaient dans le marché placé immédiatement au-dessous de la Velia, c’était à eux que leur origine latine devait surtout rendre suspect un lieu fortifié par la nature et redoutable par l’occupation héréditaire des Sabins.

L’histoire du temple de Jupiter est étroitement liée à l’histoire de la révolution qui fonda la république. Les travaux auxquels le tyran condamna le peuple pour l’achever plus tôt contribuèrent à soulever contre lui les populations opprimées. Mais il ne lui fut pas donné de dédier ce temple, œuvre magnifique de sa puissance. Le superbe fut puni dans son orgueil. A un consul obscur, Horatius Pulvillus, échut l’honneur qui était refusé au glorieux despote. La liberté consacra le monument qu’avait élevé la tyrannie.

Ce que l’on raconte de cette dédicace montre chez le Sabin[24] Horatius cette dure et froide énergie que déjà fait paraître un autre Sabin, Junius Brutus, et que les hommes de cette race infusèrent dans le caractère romain.

Valerius Publicola, collègue d’Horatius, était absent de Rome ; il avait conduit l’armée contre les Véiens. Les Valerii et les Horatii étaient les deux principales familles sabines ; toutes deux se firent remarquer dans les commencements de la république par leurs sentiments populaires. On les a comparées aux grandes familles whigs d’Angleterre. Une autre famille, les Claudii, viendra bientôt de la Sabine représenter la hauteur et la résistance aristocratiques des plus opiniâtres torys.

Les Valerii souffraient impatiemment que la gloire de dédier le temple échappât à leur illustre chef Publicola, et voulurent en priver Horatius par un stratagème.

Tandis qu’il prononçait l’invocation, on vint lui annoncer la mort de son fils[25] ; mais lui, sans s’interrompre, dit

Eh bien, qu’il soit cadavre ! (cadaver sit !) et continua la cérémonie.

Malgré la surprise et la douleur, sa main, qui, selon le rite sacré, tenait le jambage de la porte du temple, ne le lâcha pas.

Deux villes seulement de l’Étrurie, toutes deux voisines de Rome, et auxquelles elle avait déjà fait la guerre, Véies et Tarquirnii, prirent d’abord parti pour la famille dépossédée. Les Tarquins trouvèrent bientôt un auxiliaire plus puissant dans le lar ou roi de Clusium (Chiusi), Porsena.

OL Müller pense que Porsena a fait la guerre aux Romains pour son propre compte, et, au lieu de vouloir ramener Tarquin à Rome, est venu dans le dessein d’y prendre sa place, ce qui est assez vraisemblable[26].

Quel qu’ait été le motif qui ait porté Porsena à faire la guerre aux Romains, le récit de cette guerre est une belle légende, pleine de poésie et d’invraisemblance, faite à la gloire des Romains, et pour cacher un événement qu’on ne saurait révoquer en doute : Rome tomba de nouveau, au moins pour un moment, sous la domination des Étrusques.

Je vais suivre le récit de la légende ou du poème qu’ont suivi Tite-Live et Denys d’Halicarnasse. Je montrerai ensuite en quoi elle a visiblement altéré l’histoire.

Tarquin, qui allait partout mendier des ennemis à sa patrie, se rend à Clusium auprès du puissant lar Porsena, et l’excite à venir défendre les droits des souverains menacés en sa personne, l’engageant à ne pas permettre que l’usage s’établît de chasser les rois[27], lui représentant que la liberté était une douce chose ; que, si l’on n’y prenait garde, elle finirait par s’établir partout, et que, si les rois ne défendaient les rois contre elle, tout serait bientôt nivelé ; que partout régnerait une déplorable égalité ; que c’en serait fait de la royauté, la plus belle chose parmi les dieux et les hommes.

Pendant que j’écris, plusieurs adressent des représentations toutes pareilles aux Porsenas de l’Europe en faveur des Tarquins de l’Italie, avec cette différence que ce qu’ils voudraient empêcher de s’établir dans ce pays c’est bien la liberté, mais c’est aussi une royauté nationale.

A l’approche de Porsena, une grande terreur se répand : les paysans de la campagne se réfugient sur les collines voisines de Rome, où les consuls font élever à la hâte des camps fortifiés pour les recevoir[28].

Le sénat, dit Tite-Live, redoutait les citoyens autant que l’ennemi ; il craignait que la plebs, effrayée, n’ouvrît aux rois les portes de la ville et n’acceptât la paix avec la servitude.

Cette crainte, qu’on peut toujours avoir, était fondée ; car l’amour de la première a souvent fait accepter la seconde.

De plus, la plebs était originairement composée de Latins, qui, malgré le mécontentement inspiré par le dernier Tarquin, ne pouvaient éprouver contre les Etrusques la même haine que l’aristocratie, encore presque entièrement sabine ; car ce n’était pas aux Latins, mais aux Sabins que les Étrusques avaient enlevé l’empire.

Le sénat fit alors à temps ce que les pouvoirs menacés font presque toujours trop tard. Il prit plusieurs résolutions agréables aux plébéiens ; il envoya acheter du blé chez les Volsques et jusque dans la ville grecque de Cumes ; il retira aux particuliers le droit de vendre le sel ; l’État le vendit à meilleur marché ; le sénat soulagea le peuple des douanes et des impôts. Grâce à ces mesures, la concorde fut grande entre les citoyens et le désir de se défendre unanime.

Porsena s’empara du mont Janicule.

C’était occuper la citadelle de Rome ; premier aveu échappé aux historiens de la gravité d’une situation qu’ils n’ont pas présentée sous son véritable jour.

Ici commencent les épisodes héroïques de cette guerre, ces faits brillants et isolés dont la tradition et la poésie populaires conservent mieux la mémoire embellie qu’elles ne gardent le souvenir exact d’événements plus importants, mais qui ont moins frappé l’imagination.

Ces épisodes sont les histoires plus ou moins légendaires d’Horatius Coclès, de Mutius Scævola et de Clélie. Chacune d’elles est attachée à une localité, et doit, par conséquent, nous arrêter.

Ayant pris le Janicule, Porsena descendit dans la plaine qui borde la rive droite du Tibre ; un seul pont existait alors : c’était le pont en bois appelé Sublicius que maintint toujours un soin religieux, peut-être en souvenir du héros qui l’avait défendu, même après qu’un autre pont en pierre, que représente le Ponte-Rotto, eut été élevé à côté de lui près du marché aux bœufs, auquel aboutissait le pont Sublicius.

Ce pont franchi, Rome était prise ; car il n’y avait pas de mur le long du fleuve[29].

A l’arrivée des Étrusques, tous ceux qui étaient préposés à sa garde avaient fui. Un Horatius, qu’on appelait le Borgne, Coclès, s’élance sur le pont abandonné pour le défendre seul contre l’ennemi. Le vaillant Sabin trouva cependant deux hommes de bonne volonté qui tinrent avec lui, Spurius Lartius et Titus Herminius ; tous deux ont un nom moitié sabin et moitié étrusque[30].

Il était donc resté à Rome des Étrusques alliés aux familles sabines, qui la défendaient contre Porsena[31]. Pendant qu’Horatius Coclès et ses vaillants compagnons soutenaient le choc de l’ennemi, on coupait le pont derrière eux, et on leur criait de revenir avant qu’il rie fût coupé. Horatius décide les deux autres combattants à prendre ce parti. Pour lui, il fait une prière au dieu Tibre, se précipite dans le fleuve, et, sous une grêle de traits, regagne le bord à la nage, exploit célèbre, et que, dit Tite-Live, la postérité devait plus admirer qu’elle ne devait y croire.

Ce qui pourtant serait un motif de l’admettre, c’est qu’une statue en bronze fut élevée au héros sabin sur la plate-forme dédiée au dieu sabin Vulcain[32], près du Comitium, ancien lieu de réunion de l’aristocratie sabine. Cette statue existait encore au temps de Pline ; on sait même son histoire, qui est assez curieuse[33].

La foudre l’ayant frappé, on appela d’Étrurie des aruspices pour faire l’expiation. Les devins étrusques étaient volontiers soupçonnés de mauvais vouloir à l’endroit du peuple romain, témoin la ruse attribuée à l’un d’eux qui avait voulu escamoter au profit de son pays la destinée du Capitole dont il traça la figure avec son bâton sur le sol étrusque en disant :

En ce lieu sera le siège de l’empire du monde.

Les aruspices, consultés à l’occasion de la foudre qui avait frappé la statue d’Horatius Coclès, s’avisèrent d’une supercherie de même sorte pour enlever aux Romains la protection de la statue du héros. Ils déclarèrent que, du Vulcanal, lieu élevé au-dessus du Comitium et du Forum, elle devait être transportée plus bas, dans un endroit entouré d’édifices qui empêchaient le soleil de l’éclairer. Leur fraude fut reconnue et punie de mort.

L’image du guerrier sauveur demeura sur le Vulcanal, d’où elle continua à protéger les comices de l’aristocratie, et les enfants chantèrent dans toute la ville un vers, traduit d’Hésiode, dont le sens était :

Un mauvais conseil est très mauvais pour le conseiller.

Comme Porsena était toujours campé sur le Janicule, il se passa dans sa tente un événement mémorable. Un très jeune patricien[34], appartenant à une famille sabine, nommé Mutius[35], résolut de pénétrer jusqu’au roi étrusque et de le tuer au milieu des siens.

Mais, pour ne point s’exposer à être arrêté comme transfuge, il voulut se mettre en règle, et, se présentant devant le sénat, déclara qu’il avait un grand coup à frapper. Le sénat comprit et l’autorisa dans son dessein. Cachant un poignard sous ses vêtements et mêlé dans la foule, il entre dans la tente du roi, se trompe et frappe le scribe qui présidait à la payé des soldats

Amené devant le tribunal de Porsena, il se nomme, déclare qu’il a voulu tuer un ennemi, qu’il est prêt à mourir. Il ajoute :

Je ne suis pas seul ; derrière moi est un nombreux cortège de mes pareils qui ambitionnent la même gloire. Prépare-toi donc à un combat sans relâche et défends ta tête à toute heure ; attends-toi à avoir toujours à ta porte un ennemi et un poignard. Nous, la jeunesse romaine, nous te déclarons cette guerre. Ne crains point une guerre ouverte, une bataille rangée. Toi seul auras constamment affaire à tous.

Porsena ordonne que Mutius soit entouré de feux pour le forcer à révéler plus clairement le danger qu’il annonce. Alors Mutius place sa main dans les charbons allumés sur un autel et la laisse brûler en disant au roi :

Ceci est pour te montrer combien le corps est peu de chose à ceux qui voient devant eux une grande gloire...

Le roi, auquel la menace de Mutius avait donné à penser, le fait éloigner du foyer ardent, lui accorde la vie et la liberté.

Pour tout remercîment, l’indomptable jeune homme lui apprend que trois cents jeunes patriciens ont résolu sa mort.

Je suis tombé au sort le premier ; les autres, chacun à son tour, quand le sort l’aura désigné et que le moment sera propice, feront ce que j’ai tenté.

Porsena, que l’incident avait fort ému, dit Tite-Live, Porsena, épouvanté de ce danger toujours présent et qui devait se renouveler avec chaque conjuré, envoie aux Romains des ambassadeurs pour s’excuser d’avoir soutenu Tarquin, ne sachant pas que les Romains ne voulaient pas consentir à le recevoir et leur demandant des otages pour pouvoir évacuer sans danger la forteresse du Janicule.

Le sénat donna à Mutius des prés qui s’appelaient encore de son nom sous Auguste[36], les prés de Mutius, de l’autre côté du Tibre, au-dessous de Rome[37], près du lieu où Tarquin avait campé, et qui avait été témoin de l’intrépide action de Scævola. .

Je l’ai racontée, ainsi que l’ont racontée le sage Tite-Live, l’emphatique Denys, l’honnête Plutarque, et comme si c’était la plus belle action du monde. Valère Maxime[38] l’appelle un dessein pieux ; mais je me suis réservé de réviser ce jugement de l’histoire ancienne au nom de la morale moderne. Cette morale, sortie du christianisme, ne peut en aucun cas, et pour une cause si juste qu’elle soit, tolérer l’assassinat. le encore je retrouve, et plus que je ne voudrais, l’antiquité dans les temps modernes.

J’ai peur qu’il n’existe en Italie, et peut-être dans la Rome de nos jours, quelque jeune homme (adolescens nobilis) qui rêve la gloire là où la voyait Scævola.

Le discours de celui-ci à Porsena est précisément le discours qu’adresserait un carbonaro italien à un ennemi qu’il aurait manqué. C’est au nom des souvenirs de l’antique Rome que j’ai entendu défendre les assassins de Rossi et presque admirer Orsini. Parmi des hommes qui sont nés après la publication de l’Évangile, rien de pareil ne doit être justifié, encore moins admiré. Mais alors c’est un devoir de protester dans le passé contre la morale qu’on réprouve dans le présent ; car les louanges données à Scævola pourraient encourager à l’imiter.

Pour l’honneur de la moralité romaine, je remarquerai qu’on donna des prés à Mutius Scævola, mais qu’on ne lui éleva pas une statue comme à Horatius Coclès[39].

Les prés représentaient alors l’espèce de récompense qu’on accorderait aujourd’hui en donnant une pension. C’était encore trop.

Une statue fut élevée à une jeune fille dont le nom est demeuré célèbre, à la courageuse Clélie.

Parmi les otages que Porsena avait reçus. des Romains se trouvait une jeune fille résolue qui avait poussé, disait-on, son cheval à travers le Tibre au-dessous du pont Sublicius, et, à la tête de ses compagnes, était ainsi rentrée dans Rome.

C’est de cette vigoureuse amazone que mademoiselle Scudéry devait faire un jour une sentimentale héroïne. La véritable Clélie s’entendait mieux, je crois, à franchir à cheval les flots tourbillonnants du Tibre qu’à suivre en rêvant les bords fleuris du Tendre.

Le consul Valerius, ne voulant point manquer de foi au roi étrusque, avait renvoyé Clélie à Porsena. Celui-ci, se piquant de générosité, l’avait renvoyée à son tour avec des présents magnifiques.

Je doute beaucoup de cette réciprocité de procédés chevaleresques. Je veux bien que Clélie se soit hardiment échappée du camp de Porsena pour rejoindre les siens ; car une statue équestre la représentait sur le cheval qui l’avait rapportée.

Cette statue se voyait encore sous l’Empire au sommet de la voie Sacrée, près du temple de Jupiter Stator et de la porte du Palatin[40].

J’admettrai, si l’on veut, que les Romains aient renvoyée Clélie à Porsena ; mais je croirai difficilement que celui-ci l’ait renvoyée avec des présents aux Romains.

L’existence même d’une statue de Clélie est douteuse ; car, selon d’autres, cette statue était celle de Valeria, cette fille de V. Publicola qui, quelques années plus tard, devait conseiller à la mère et à la femme de Coriolan de se mettre à la tête des matrones et d’aller à sa rencontre pour l’attendrir.

On racontait que Valeria faisait aussi partie des otages donnés par son père, et que, tombée avec leur escorte dans une embûche de Tarquin, elle s’était fait jour à travers les combattants.

La gens Chelia était venue d’Albe à Rome[41], et, quoique d’extraction sabine, comme le prouve son nom[42], avait régné sur Albe ; elle était considérée comme albaine, et pouvait être revendiquée. par la population latine.

Valeria était sabine. La rivalité des deux races se trahit encore ici. Chacune opposait son héroïne à l’héroïne de l’autre, et prétendait que la statue équestre lui était consacrée.

Porsena, ne voulant plus faire la guerre aux Romains qui renvoyaient si noblement les otages et qui avaient tant de Mutius Scævola en réserve, pour employer son armée, dit Tite-Live (II, 14), envoya son fils Aruns faire la guerre aux habitants d’Aricie. Les Ariciens furent secourus par les Grecs de Cumes, et une bataille acharnée fut livrée dans les environs charmants de Laricia, qui alors devaient avoir une physionomie plus sévère, quand un grand bois, qui n’existe plus, entourait le gracieux lac de Nemi. Aruns fut tué. On a cru, dans le monument visiblement étrusque, d’Albano, qu’on appelle à tort le tombeau des Curiaces, reconnaître le tombeau du fils de Tarquin[43].

Tite-Live place ici et explique singulièrement la formation du quartier étrusque à Rome (Vicus Tuscus[44]). J’ai dit que je la croyais plus ancienne, et ce n’est pas le récit par trop invraisemblable de Tite-Live qui me fera changer d’opinion.

On appelait rue et quartier étrusque (le mot Vicus a ces deux sens) une rue principale et un quartier dont la position n’est pas douteuse. La rue allait du Forum vers le grand cirque[45] ; le quartier était à gauche et à droite de cette rue, entre le Palatin et le Capitole[46].

Les Étrusques s’étant amollis et corrompus après qu’ils eurent été subjugués par les Romains, leur séjour devint l’asile de toutes les mollesses et le réceptacle de toutes les corruptions.

C’était le quartier élégant. On y vendait les objets précieux comme la soie[47]. Là habitaient les tailleurs à la mode[48] et les parfumeurs, ce qui l’avait fait nommer Vicus Thurarius.

C’était aussi le quartier infâme[49], hanté par ce qu’Horace appelle la détestable canaille du quartier étrusque.

Aujourd’hui tout ce luxe est remplacé par des granges à foin. Le quartier a gagné en honnêteté, mais on n’y trouve plus de parfums.

Vers l’entrée de la rue des Étrusques, en vue du Forum[50], était une statue en bronze de Vertumne, le grand dieu d’Étrurie[51] et patron du quartier.

Properce dit le culte de Vertumne déjà venu de Volsinii au temps de Tatius[52], et, comme il attribue la statue à Mamurius, l’artiste sabin[53], on peut croire qu’elle avait été placée en ce lieu plus anciennement par les Sabins, qui avaient pu emprunter à l’Étrurie le dieu Vertumne, comme plusieurs autres divinités[54].

Voici comment Tite-Live raconte l’établissement du quartier étrusque.

Un très petit nombre des soldats d’Aruns, ayant échappé au désastre d’Aricie, se présentent à Rome désarmés et suppliants ; on les reçoit à. merveille, on panse leurs blessures ; l’hospitalité des Romains les enchaîne, beaucoup d’entre eux se fixent dans un lieu qu’on leur abandonne, et qui dés lors s’est appelé Vicus Tuscus, là rue ou le quartier étrusque[55].

On conviendra que ce récit est assez extraordinaire. Tout dans cette guerre montre l’acharnement des Romains contre les Tarquins et leurs alliés. J’ai quelque peine à croire qu’ils aient poussé la chevalerie jusqu’à recevoir dans leurs murs des ennemis vaincus, et la charité jusqu’à panser leurs blessures.

Tite-Live dit que ces réfugiés n’étaient qu’une très petite partie de ceux qui avaient fait l’expédition contre Aricie, et, tout de suite après, qu’ils restèrent en grand nombre à Rome.

Il reste à comprendre comment un grand nombre peut sortir d’un petit.

L’opinion de Tacite[56] me paraît plus vraisemblable. Selon lui, des compagnons de Cæles Vibenna, les uns s’établirent sur le Cælius ; les autres, en grande quantité, dans l’espace compris entre le Palatin et le Capitole, qui prit alors le nom de quartier étrusque[57].

Si l’on en croit Varron[58], ce fut après la guerre contre Tatius qu’on fit descendre du Cælius les compagnons de Cæles Vibenna, et qu’on les établit dans le Vicus Tuscus.

Je pense que ce déplacement eut lieu beaucoup plus tait sous Tullus Hostilius, quand il fallut faire place sur le mont Cælius aux Albains qu’on y transportait.

Porsena, qui a renoncé à contraindre les Romains par les armes, fait pour les Tarquins un dernier effort, mais purement diplomatique. Les Romains répondent qu’ils ne veulent pas de rois, et Porsena, voyant que leur résolution est inébranlable, renonce à lutter contre elle.

Que les Tarquins aillent où il leur plaira, dit-il.

Il rend ce qui lui restait d’otages, les terres des Véiens, abandonne ainsi tous ses alliés et se retire.

Tout cela est bien singulier. Les choses ne purent se passer ainsi, et nous savons qu’elles se passèrent autrement.

Soit qu’il assiégeât Rome pour son compte ou dans l’intérêt de Tarquin, Porsena fût maître de Rome et y exerça un souverain empire.

Tacite[59] dit positivement que la ville se rendit à lui (dedita urbe), et compare cette reddition à l’occupation de Rome par les Gaulois. Un article du traité conclu entre Porsena et les Romains, que Pline[60] a cité par hasard à propos du fer, a jeté un jour curieux sur les vrais rapports des deux contractants.

Porsena défend aux Romains l’usage du fer, si ce n’est pour l’agriculture. Quand on fait un pareil traité, on est le maître.

Divers faits épars dans les auteurs anciens confirment celte conclusion.

Une statue avait été élevée à Porsena prés de la curie[61], et les insignes de la royauté lui furent envoyés par le sénat[62].

Ne sont-ce pas deux autres indices de la domination du roi étrusque à Rome ?

Enfin la cérémonie de la vente des biens de Porsena, cette coutume bizarre conservée jusqu’au temps d’Auguste, que Tite-Live lui-même déclare ne pas s’accorder avec un départ pacifique[63], ne se prête point aux explications qu’il en donne.

Selon lui, des biens laissés par sa libéralité aux Romains auraient été vendus pour éviter que le peuple les pillât. Quoi de plus invraisemblable ? Quoi de plus naturel, au contraire, que la commémoration de la vente de ces biens si Porsena a régné à Rome comme Tarquin, et si, après avoir brisé cet autre joug, le sénat a vendu au peuple ce bien national, comme il lui avait livré les biens des Tarquins ?

Porsena a donc régné à Rome probablement du haut du Janicule, dont il s’était emparé, de la forteresse qu’il occupait. Il y a eu là une vrai conquête dont l’histoire a supprimé le souvenir sans pouvoir en effacer toutes les traces.

Cette période de l’histoire romaine, abolie par l’orgueil national, a été remplacée par une légende faite après coup, et dont les beaux sentiments qui y abondent trahissent l’origine peu ancienne[64].

Pour expliquer comment Porsena, malgré sa puissance, avait pu se retirer sans avoir éprouvé une défaite, on lui a supposé une admiration et une sympathie peu vraisemblables pour le peuple romain. Les auteurs de cette fiction savaient bien qu’elle n’aurait pas de peine à s’accréditer ; car elle flattait ingénieusement la vanité des Romains par un hommage d’autant plus flatteur, qu’il venait d’un ennemi.

Même les faits qui peuvent être véritables ont été accommodés aux étranges relations que l’on supposait s’être établies entre Porsena et les Romains. La fuite de Clélie ne rappelait plus qu’un échange de procédés généreux ; mais l’embûche tendue aux otages et attribuée à l’odieux Tarquin, qui probablement n’était pour rien dans la guerre et dans les desseins tout personnels de Porsena, fait soupçonner des relations moins amicales entre Rome et ce roi.

Les otages indiquent la soumission des Romains, et une tradition voulait même qu’ils eussent été tous massacrés[65], excepté Valeria.

Suivant une autre tradition, Horatius Coclès aurait péri dans le Tibre[66]. En ce cas, le pont Sublicius a bien pu n’être pas défendu, et les Étrusques l’auraient passé pour prendre Rome.

Enfin l’aventure de Mutius Scævola, si dramatiquement présentée, ne cachet-elle point une conspiration contre Porsena[67] et un assassinat accompli dans des circonstances que la légende romaine n’aimait pas à avouer ? Et il faut bien que le renversement du pouvoir de Porsena fut lié à quelque souvenir fâcheux, car on ne comprend pas sans cela pourquoi les Romains ne s’en seraient pas vantés.

Il est vrai que l’on montrait son tombeau en Étrurie, et que Varron l’a décrit[68].

Mais la réalité du monument décrit par Varron a été niée par Niebuhr, comme celle du tombeau d’Osymandias par M. Letronne.

Quand on admettrait l’existence du tombeau de Porsena, ainsi que je suis porté à l’admettre[69], cela n’empêcherait point que Porsena ait pu être assassiné au bord du Tibre.

Les restes de Charles XII, assassiné bien probablement devant Frederickstadt, reposent à Stockholm.

Il n’est pas étonnant que les Latins aient pris fait et cause pour Tarquin, qui, hors de Rome, avait toujours cherché à s’appuyer sur eux, et qui avait dû nouer des intelligences dans la confédération des cités latines, réorganisée et longtemps dirigée par lui. Elle ne pouvait voir d’un œil favorable une révolution conduite par des Sabins, et devait craindre que leur triomphe ne fût une menace pour l’intérêt latin. Aussi c’est à la tête des populations latines que les Tarquins tentèrent contre Roule délivrée ce grand effort qui vint échouer au bord du lac Régille.

On est plus surpris que les Sabins aient fait les premiers la guerre aux Romains. Mais rien ne montre que cette guerre fût liée à la cause des Tarquins, et un incident qui la suivit fait connaître qu’il y avait dans la Sabine un parti favorable à la révolution que des Sabins venaient d’accomplir.

Car c’est alors que la puissante tribu des Claudius, s’étant opposée vainement à ce que l’on fit la guerre contre Rome, vint se donner à elle ou plutôt s’unir avec ses cinq mille clients aux autres grandes familles sabines qui se trouvaient à la tête de la république. En devenant romaine, elle demeura sabine.

Les Claudii continuèrent d’habiter au delà de l’Anio, dans une région conquise sur leurs compatriotes, où on leur permit, de s’établir[70]. Les chefs de la tribu vinrent demeurer à Rome, et ils y restèrent aussi sabins que dans leur pays[71].

Leur dureté, leur orgueil, leur fermeté, furent l’âme et la force du patriciat, qui, par eux, s’était retrempé à sa source.

La ligue du Latium était formidable. La plupart des cités latines avaient pris les armes ; le parti des Tarquins s’agitait dans Rome. On créa le premier dictateur, et bientôt après on en nomma un second, Aulus Postumius, qui devait vaincre dans le terrible combat du lac Régille.

Ce combat était décisif pour les destinées de Rome. Il s’agissait de savoir si Rome maintiendrait la liberté qu’elle avait fondée ou si elle retomberait sous le joug d’un tyran étranger ramené par l’étranger.

L’acharnement fut extrême du côté de l’ennemi. C’était la dernière chance des Tarquins ; c’était pour les Latins une occasion à saisir pour arrêter l’ascendant que les Sabins venaient de reprendre à Rome.

Le combat du lac Régille est raconté avec des détails que ne saurait avoir transmis l’histoire. Il n’y avait pas de bulletin à l’époque de Tarquin. Cependant plusieurs de ces détails peuvent être vrais, car ils peuvent avoir été conservés par un chant héroïque composé sur ce combat célèbre.

Nous allons voir qu’un récit poétique est évidemment au fond de la narration tout homérique de Tite-Live et surtout de Denys d’Halicarnasse[72]. De plus, cette narration est parfaitement conforme à la disposition des lieux, ce qui suppose une tradition au fond véritable ; car on ne se serait pas donné la peine d’approprier si exactement aux localités une pure fiction.

La légende est toujours plus locale que le roman, excepté quand c’est W. Scott qui l’écrit ; mais il n’y avait pas de W. Scott à Rome.

La détermination du lieu où fut livrée la bataille du lac Régille est une des belles découvertes de M. Rosa, qui l’a reconnu non loin de la Colonna. Là fut évidemment un lac aujourd’hui desséché, dans un endroit qui s’appelle encore le Marais (Pantano). On voit la route antique contourner l’espace que le lac occupait, tandis que la route moderne, postérieure à son dessèchement, le traverse en partie.

Une fois en possession, grâce à M. Rosa, de l’emplacement véritable du lac Régille, on retrouve à merveille la situation des deux armées.

Le dictateur Aulus Postumius arrive en une nuit en présence des Latins campés prés du lac Régille. Ce trajet, d’environ quatre lieues, pouvait facilement s’opérer d’ans une nuit. Les Latins étaient postés sur une hauteur (Monte Falcone). Les Romains, commandés par le dictateur Postumius, occupèrent un lieu élevé et de difficile accès qui ne peut être que la Colonisa. Un corps d’armée amené par le consul Virginius se plaça sur la gauche du dictateur, de manière à renfermer les Latins dans leur camp. L’intention des généraux romains était, pour venir à bout de l’ennemi, d’arrêter ses convois de vivres en s’emparant du chemin par lequel ils devaient passer. Les Romains étaient donc en possession de toutes les hauteurs qui dominaient par derrière le camp latin.

Pour achever de l’isoler, Postumius fit occuper par la cavalerie une colline du côté des montagnes, qu’on peut reconnaître dans Monte Azzolino.

Hais le maître de la cavalerie avant envoyé des éclaireurs vers le’ pays des Volsques, on intercepta des lettres qui annonçaient aux latins que ce peuple et le peuple bernique venaient à leur secours. Alors le dictateur, ne voulant pas donner à ce renfort le temps d’arriver, descendit dans la plaine où fut livrée la bataille[73].

Cette bataille est, comme je l’ai dit, toute épique. Les prouesses des chefs dans des combats singuliers livrés au milieu de la mêlée sont racontées à la façon d’Homère ; les coups qu’ils portent sont indiqués, les blessures qu’ils reçoivent sont décrites avec précision comme dans l’Iliade.

Titus, l’un des fils de Tarquin, est blessé par un dard à l’épaule droite, de sorte qu’il ne peut plus se servir de sa main. Une autre tradition lui substituait en cette rencontre le vieux Tarquin. Denys d’Halicarnasse fait observer que Tarquin aurait eu alors quatre-vingt-dix ans ; mais la tradition ne tient jamais compte des dates et fait figurer ensemble des héros qui n’ont pas été contemporains, comme on le voit dans les Nibelungen.

Le commandant de la cavalerie romaine, Æbutius, et le gendre de Tarquin, Mamilius, se provoquent à un combat singulier à la manière des Grecs et des Troyens ; ils s’attaquent d’abord sans se porter de coups mortels, ainsi que les héros de l’Iliade, protégés par un dieu ou par une déesse.

Enfin Æbutius frappe Mamilius, dans la poitrine, d’un coup de lance qui l’atteint à travers sa cuirasse, et Mamilius lui perce le bras droit par le milieu. Le fière de Valerius Publicola est tué d’un coup de pique.

Ses neveux défendent leur oncle expirant pour qu’il ne soit pas dépouillé de son armure, selon le point d’honneur homérique. Un lieutenant du dictateur, Titus Herminius, attaque Mamilius déjà blessé, un des hommes les plus grands et les plus forts de son siècle, qualification épique, et le tue ; il reçoit presque au même instant dans les entrailles un coup mortel.

Le coupable auteur de cette guerre, Sextus Tarquin, qui avait combattu avec une opiniâtre fureur et avait mis en déroute l’aile droite des Romains, voyant le dictateur paraître à la tête de ses troupes victorieuses et ne voulant pas survivre à ses chances d’ambition, se précipite tète baissée au milieu des ennemis, entouré par la cavalerie et par l’infanterie légère, attaqué comme une bête féroce qu’assaillent les traits des chasseurs.

Cette comparaison de Denys pourrait bien appartenir à l’auteur ignoré du chant primitif. Sextus meurt sur le champ de bataille, environné de Romains immolés à sa haine et à son désespoir.

Le vieux Tarquin, vaincu, privé d’un fils, se relire à Cumes, où il va finir ses jours chez Aristodéme, un autre tyran non moins détestable que lui, et dont la fin devait être encore plus terrible.

C’est vers ce temps qu’on place la dédicace du temple de Saturne[74], de ce temple qu’on disait aussi avoir été fondé par Tullus Hostilius, mais qui, probablement plus ancien, fut réparé ou refait après la grande victoire du lac Régille[75].

On pourrait voir dans cet hommage à l’antique dieu des Latins vaincus l’intention de les attacher à leurs vainqueurs.

En effet, le sénat s’efforça dès lors de les gagner[76], se cherchant un appui au dehors, ainsi qu’avait fait Tarquin.

Valerius Publicola passe pour avoir le premier déposé le trésor public dans le temple de Saturne[77]. A ce temple se rattache aussi l’origine d’une magistrature romaine, les questeurs[78], comme au temple de Cérès (ædes Cereris) l’institution des édiles. A Rome, la religion est dans toutes les origines.

La victoire du lac Régille, qui avait décidé du sort de la république, fut consacrée par un monument spécial

Tite-Live se borne à dire que le dictateur Postumius avait voué durant l’action un temple à Castor[79].

A ce fait tout naturel et conforme à l’usage la légende joignit un fait merveilleux. On avait vu pendant le combat deux cavaliers plus beaux et plus grands que des cavaliers ordinaires se placer à la tête de la cavalerie romaine, et, frappant les Latins de leurs lances, les mettre en déroute. Le soir, deux jeunes guerriers, aussi très grands et très beaux, étaient venus faire boire leurs chevaux et laver leurs visages couverts de poussière dans une source qui coulait près du temple de Vesta, vers l’extrémité du marché ; ils avaient apporté la nouvelle de la victoire, puis avaient disparu.

On avait reconnu les Dioscures Castor et Pollux, et on leur avait élevé un temple au lieu de leur apparition.

Cette légende était grecque ; car on racontait la même chose à propos d’un combat entre les habitants de Locres et ceux de Crotone.

Peut-être était-elle venue aux Romains par Cumes. Peut-être aussi, commune aux peuples grecs et italiotes, avait-elle une origine pélasgique, car les Dioscures étaient des dieux pélasges[80].

Leur temple fut élevé en un lieu déjà consacré aux cultes pélasgiques, dont nous acons cru découvrir la présence dans tous les environs du Palatin[81].

Quoiqu’il en soit, ce temple, qui donnait sur le Forum[82], fut un des plus fréquentés et de plus honorés qu’il y eut à Rome. Le sénat y tenait souvent ses séances[83], et des jugements y étaient rendus[84].

Castor finit par l’emporter sur Pollux, et le temple, qui leur était dédié à tous cieux, s’appela dans l’usage Temple de Castor.

Il semblait que les deux demi-dieux, qui n’habitaient l’Olympe que tour à tour, ne dussent pas être simultanément adorés sur la terre, et l’on comparait plaisamment le sort de Pollux, dont le nom était passé sous silence dans cette occasion, au rôle effacé du consul Bibulus, collègue de César, dont le nom aussi était passé sous silence, et qui ne figurait pas plus à côté de César que Pollux à côté de Castor.

Cependant le juron familier ædepol, par le temple de Pollux, au moins aussi ordinaire qu’æcastor, par le temple de Castor, prouve que dans l’origine ure des dénominations de l’édifice était aussi populaire que l’autre[85].

Évidemment le souvenir de l’apparition des deux frères divins l’était beaucoup. Au temps de Cicéron, l’on montrait encore prés du lac Régille l’empreinte d’un des pieds du cheval de Castor[86].

Oserais-je dire que, dans l’église de Sainte-Françoise-Romaine, très voisine du temple de Castor, on montre l’empreinte laissée par les deux genoux de saint Pierre, tandis qu’il priait Dieu de confondre l’art diabolique au moyen duquel le magicien Simon s’était élevé dans les airs, et rappeler l’empreinte du pied de Bouddha sur les rochers de Ceylan, en même temps que celle des pieds de Jésus-Christ que l’on montre dans la petite église de Domine, quo vadis, au lieu où l’on rapporte qu’il apparut à saint Pierre, et lui dit : Je vais à Rome pour y être de nouveau crucifié ? légende qui n’est point un article de foi et que la Rome papale devrait repousser, car on a pu l’interpréter dans un sens qui ne lui était point favorable.

Il reste du temple de Castor et Pollux, voué par le dictateur Postumius, dédié par son fils, peut-être antérieur à tous deux et au peuple romain lui-même, réparé vers la fin de la république par Metellus le Dalmatique, refait sous Auguste et dédié alors par Tibère, trois colonnes qui sont le plus bel ornement du Forum romain[87].

En les contemplant, je ne m’arrêtais pas à Tibère duquel elles datent ; je ne remontais pas aux Pélasges, premiers auteurs du culte des Dioscures en ce lieu primitivement consacré par leur antique religion : ma pensée se portait entre ces deux extrémités de l’histoire du temple de Castor, sur la bataille mémorable qui fonda l’indépendance de la république romaine, et ce beau souvenir complétait pour moi l’effet pittoresque de la belle ruine.

 

 

 



[1] Cicéron, De Rep., II, 12.

[2] On l’a nié ; cependant le rétablissement des assemblées par centories est un fait incontestable. Or toute la constitution de Servius était là.

[3] Il y eut aussi des violences exercées contre les partisans des Tarquins. (Cicéron, De Rep., I, 40.)

[4] C’est ainsi que le gouvernement né de la révolution de 1830 conserva Chambord à M. le duc de Bordeaux et fit droit à certaines réclamations de la reine Caroline Bonaparte au sujet, je crois, de l’Élysée.

[5] Tite-Live, II, 5.

[6] Le champ de Mars s’étendait vers le nord au delà de l’enceinte de la Rome actuelle, du côté de Petite-Molle ; car Strabon (V, 5, 8) place le lieu où fut brillé le corps d’Auguste au milieu du champ de Mars.

[7] L’effet du courant rapide du fleuve est plutôt de détruire des îles que d’en former. C’est ainsi qu’une petite île a été entraînée par la violence des eaux en 1788.

[8] Plutarque, Publicola, 7. Becker (Handb., I, p. 655) pense qu’il s’agit peut-être ici d’un Campus Tiberinus au delà du Tibre. Nais ce champ est appelé (Aulu-Gelle, N. Att., VI, 7) Tiberinum sine Martium.

[9] Tite-Live, II, 1.

[10] Outre les deux fils de Brutus, sont nommés les Vitellii et les Aquilii. Les Vitellii étaient frères de la femme de Brutus ; leur nom était sabin. Vitlu est le nom que les peuples sabelliques gravèrent sur leurs monnaies pendant la guerre sociale. On trouve sur les monnaies osques Viteliur. Il en est de même des Aquilii, neveux de Collatin ; leur nom venait d’aquilus, noir, sombre, d’où aquila, l’aigle (Paul Diacre, p. 22, 26), et Aquilo le vent noir, comme nous disons la bise. Aquilus, qui ne se trouve pas dans les auteurs latins, et Aquila, étaient des mots sabins. L’aigle, en Italie, vit dans les montagnes ; il a dû être nommé par les peuples qui habitaient les montagnes, et ces peuples étaient sabelliques. D’autre part, je trouve un C. Aquilins Tuscus, consul en 267. Les Aquilii étaient une famille sabine alliée à une famille étrusque.

[11] Publicola, 6.

[12] Vincit amor patriæ landum, ne immensa capido.

[13] Dans la galerie du palais Pitti, à Florence.

[14] Les images des ancêtres, placées dans l’atrium des maisons romaines, n’étaient pas des statues, mais seulement des masques en cire. (O. Müller, Man. d’arch., 183.)

[15] Le style est de la fin de la république. Le buste a dû être exécuté quand le meurtre de César par le second Brutus ravisa la mémoire du premier.

[16] Non hæc barbula qua iste (Clodius) delectatur, sed illa horrida quam in statuis antiquis et imaginibus videmus. (Cicéron, pro M. Cælio, 14.)

[17] Carna ou Cardea fut mise par les Sabins en rapport avec leur dieu Janus. (Ovide, Fastes, VI, 101 et suiv.)

[18] C’était dans un pré appelé, comme Brutus lui-même, Junius, prés d’un bois consacré au héros Horatius. Nous avons vu que Brutus et Horatius étaient Sabins. Près de là était la forêt Arsia, nom qui parait également avoir été sabin. Voyez plus loin.

[19] Elles voulurent à sa mort prendre son nom et s’appeler Brutiæ. Le mot Brutus, qui, nous l’avons vu, avait divers sens en latin, est devenu l’italien brutto, qui veut dire laid. Les Romaines de nos jours ne désirent certainement pas être appelées brutte, et ce nom ne leur convient nullement.

[20] Et non Plebicola, ami des plébéiens. Ce qui lui fit donner son surnom, ce fut son respect pour les craintes de tous, plébéiens et patriciens, qui redoutaient également le retour de la tyrannie, ce fut surtout la loi Valeria, qui maintenait le droit de provocation au peuple. Sous Tullus Hostilius, c’était l’appel aux curies patriciennes, maintenant aux centuries, à la fois plébéiennes et patriciennes, qui étaient le peuple, le véritable peuple, c’est-à-dire tous les citoyens investis des droits politiques. Quand Appius Claudius se fit démagogue pour devenir tyran, il flatta les plébéiens qu’il voulait tromper. Celui-là, on l’appela Plebicola. (Tite-Live, III, 33.)

[21] Plutarque, Publicola, 10.

[22] Tite-Live, II, 7.

[23] Beck., De Mur. et Port. Rom., p. 15 ; Handb., I, p. 252. II.          18

[24] Tite-Live, II, 8.

[25] Servius, Æn., VI, 8 ; XI, 2.

[26] En effet, l’expédition de Porsena contre Rome ne semble nullement liée à la restauration des Tarquins. Ni Tarquin ni ses fils n’y figurent comme ils figurent dans la guerre entreprise en leur faveur par les Latins, et qui finit par la bataille du lac Régille. Porsena, qui est dit avoir embrassé leur cause, l’abandonne bien légèrement. Ot. Müller (Etr., p. 122) croit même que la guerre de Porsena l’ut faite contre les Tarquins, et se rattache à l’inimitié des Étrusques de Clusium contre ceux de Tarquinii. C’est ailler trop loin, car il en résulterait que la tyrannie aurait été renversée à Rome par les armes d’un roi étranger, et flue deviendrait alors toute l’histoire de Lucrèce et de Brutus, à laquelle je ne crois pas qu’une critique raisonnable permette de renoncer ?

[27] Tite-Live, II, 9.

[28] Denys d’Halicarnasse, V, 22.

[29] Ibidem, V, 23.

[30] Spurius était le prénom du père de Lucrèce. Titus est un prénom sabin ; le mot étrusque Larth ou Lar, seigneur, parait être la racine de Lartius, et on trouve un Herminius appelé Lar Herminius. Voyez Valère Maxime, de Præn., 1.)

[31] Si l’on acceptait en partie, comme je l’ai fait, la supposition d’Ot. Müller, et si l’on voyait dans Porsena non un allié qui vient rétablir le pouvoir de Tarquin à Rome, mais un chef rival qui vient se mettre à sa place, on s’expliquerait la résistance obstinée des deux Étrusques, qui, dans cette hypothèse, seraient du parti de Tarquin.

[32] Aulu-Gelle (IV, 5) dit : In Comitio, le Comitium était au-dessous du Vulcanal. Ce serait pour : dans le voisinage du Comitium, comme on disait in circo de lieux voisins du cirque. D’ailleurs, le récit d’Aulu-Gelle lui-même, qui présente la statue d’Horatius comme étant d’abord sur un lieu élevé, d’où les aruspices veulent la faire descendre, convient encore mieux au Vulcanal qu’au Comitium.

[33] Aulu-Gelle, Noct. Att., IV, 5.

[34] Adolescens nobilis. (Tite-Live, II, 12.)

[35] Mutius est un nom sabin ; le collis Mutialis était sur le Quirinal. Trebula Mutusca, ou simplement Mutuscæ, fut une ville de la Sabine. Les Aræ Mutiæ étaient prés de Véies (Nibby, Dint., I, p. 216), et le nom de Mutina (Modène) probablement ombrien. Le dieu Mutinus paraît sur les monnaies de la gens sabine Titia. Scævola était également Sabin, comme les surnoms en la, Publicola, surnom des Valerius, Sylla et Merula, des Cornelius, gentes sabines. Cordus, autre surnom de Mutius, est un vieux mot cité par Festus (P. Diacre, p. 65) qui ne se retrouve pas en latin et qui était vraisemblablement sabin.

[36] Denys d’Halicarnasse, V, 35.

[37] Ces prés n’auraient pu se conserver jusqu’au temps de Denys d’Halicarnasse dans le quartier très habité du Transtevere. C’est donc avec raison que Becker (Handb., V, p. 656) les place au-dessous de la ville.

[38] Valère Maxime, III, 3,1. Inter molitionem Pii pariter ac fortis propositi oppressus...

[39] J’aime mieux en croire à ce sujet Tite-Live et Denys d’Halicarnasse qu’un écrivain sans autorité, Aurelius Victor. (De Vir. Ill., I, 12.)

[40] Plutarque, Publicola, 19.

[41] Tite-Live, I, 30.

[42] Voyez les raisons que j’ai données de l’origine sabine du nom de Vénus Cloacina ou Cluacina. Cluilius, roi des Albains, pouvait être Sabin, comme Mettus Fufetius, qui lui succéda. Or Cluilius et Clælius ne différent que par l’orthographe. Les Clælii étaient Sabins ; car on trouve un Clælius chez deux peuples sabelliques, chez les Èques (Tite-Live, III, 25-28) et chez les Volsques (Tite-Live, IV, 9-10) ; enfin le choix de la Velia, lieu très sabin, pour y placer la statue de Clélie, que quelques-uns croyaient être celle de Valeria, montre que Clélie était Sabine comme Valeria.

[43] M. Dennis (Sep. of Etr., I, p. 416) voit dans ce monument une imitation de l’étrusque et le croit romain (II, p. 389) ; du reste, il admet sa ressemblance avec le tombeau de Porsena décrit par Pline.

[44] Tite-Live, II, 14.

[45] In foro pompa constitit... incesserunt inde vico tusco velabroque per forum boarium in clivum publicii. (Tite-Live, XXVII, 37 ) On voit que la rue Étrusque allait, à travers les granges de la rue des Fenili, finir près de Saint-Georges en Vélabre.

[46] L’expression de Denis d’Halicarnasse, άυλών, vallée, montre qu’il s’étendait en largeur d’une colline à l’autre. (Denys d’Halicarnasse, V, 56.) Denis d’Halicarnasse lui donne quatre stades (un demi mille), ce qui, au moins appliqué au quartier, est exagéré ; il ne pouvait s’étendre beaucoup plus loin en cet endroit ; car, au delà du Forum Boarium, le Tibre ne laissait plus d’espace entre son rivage et l’Aventin, dont il rase presque le pied.

[47] Martial, Épigrammes, XI, 27, 11.

[48] On le voit par cette inscription : P. Fannius, P. L. Apollophanes de vico tusco vestiarius.

[49] Horace, Satires, II, 3, 226. In tusco Vico habitabant lenones, meretrices, fæneratores. (Asc. ad Cicéron in Verr., II, 1, 59.)

In tusco Vico ibi sunt homines qui ipsi se venditant.

(Plaute, Curcul., IV, 1, 21.)

[50] A signo Vertumni in Circum...... Cicéron, Verrines, II, 1, 59.

[51] Properce, IV, 2, 6. Elle était à l’angle de la basilique Sempronia, à droite en venant vers le Forum : Signum Vertumni in ultimo vivo thurario est, sub basilicæ angulo flectentibus se ad postremam dextram partem. (Pseud. Ascon. ad Cic. in Verr., II, 1, 154.)

[52] Properce, IV, 2, 48 et suiv.

[53] Ibidem, IV, 2, 61.

[54] Ce qui ferait croire que le culte de Vertumne avait été fondé là avant l’arrivée des Étrusques, par les Sabins, dont la statue du dieu serait à Rome un vestige de plus, c’est qu’on trouve aussi le culte de Vertumne sur l’Aventin, anciennement habité par les Sabins, et où l’on ne voit pas que des Étrusques aient jamais résidé.

[55] Tite-Live, II, 14.

[56] Annales, IV, 65.

[57] D’après une autre tradition rapportée par Festus (p. 355), qui lait de Cæles Vibenna deux noms qu’il donne à deus frères, des Étrusques venus avec le premier Tarquin donnèrent leur nom au Vicus Tuscus.

[58] De Ling. lat., V, 46.

[59] Histoires, III, 72.

[60] Histoires naturelles, XXXV, 59, 2.

[61] Plutarque, Publicola, 19.

[62] Denys d’Halicarnasse, V, 35.

[63] Pacatœ protectioni ab urbe regis etrusci abhorrens mos. (Tit Liv., II, 14.)

[64] Le caractère romanesque de toute cette légende est remarquable. Yen citerai un trait : pendant le siége, les Étrusques seraient venus disputer les palmes du cirque aux Romains et auraient été proclamés vainqueurs. (Serv., Æn., XI, 134.)

[65] Pline, Hist. nat., XXXIV, 13, 2.

[66] Polybe, VI, 55.

[67] L’histoire du scribe tué au lieu du roi et de la main mise dans le brasier pourraient être un embellissement ajouté postérieurement ; car la même chose était racontée d’un frère de Thémistocle qui avait pénétré jusqu’à Xerxès pour l’immoler. (Plutarque, Paral., 2.)

[68] Pline, Hist. nat., XXXVI, 19, 7.

[69] Au moins une partie de la description de Varron paraît à Ot. Müller avoir été faite de visu. (Etr., II, p. 224.)

[70] On leur donna toutes les terres, entre Fidène et Ficulée, qui étaient sur la voie Salaria. (Tite-Live, II, 16 ; Denys d’Hal., V, 40 ; Suétone, Tibère, 1, Plutarque, Publicola, 21 ; Nibby, Dint., II, p. 381-2.)

[71] Selon Tite-Live, Denys d’Halicarnasse et Suétone, ils venaient de Regillum, probablement de l’intérieur de la Sabine, et ils s’établirent sur la frontière.

[72] On pourrait croire que Denys a inséré ces détails épiques dans son récit par l’envie naturelle à un rhéteur d’imiter Homère ; mais la plupart se retrouvent dans la narration beaucoup plus succincte de Tite-Live, et avec quelques variantes qui empêchent de supposer que l’un des deux historiens ait copié l’autre.

[73] Denys d’Halicarnasse, VI, 3-5.

[74] Tite-Live, II, 20.

[75] L’autel de Saturne au moins existait depuis le premier établissement des Latins sur le Capitole.

[76] Cela s’accorderait avec la douceur dont on usa envers eux après la paix. (Schulze, Kampf d. dent. und aristoer. in Rom., p. 28.) Plutarque, Quæst. rom., 42.

[77] Plutarque, Publicola, 12.

[78] Tite-Live, II, 20.

[79] Denys d’Halicarnasse, VI, 13.

[80] Les Dioscures avaient des statues en Samothrace. (Serv., Æn., III, 12.) On les assimilait aux grands dieux. Ils avaient été dans l’origine des divinités pélasgiques de la lumière. (Gherard, Gr. Myth.,161, 483.)

[81] Une raison de croire le culte des Dioscures anciennement établi à Rome depuis les Pélasges, et non emprunté aux Grecs de Cumes, c’est la forme indigène et populaire Pollux, au lieu de la forme grecque et savante Poludeukès.

[82] In foro. (Tite-Live, IX, 43.)

[83] Cicéron, pro Quint., 4.

[84] In æde Castoris, celeberrimo clarissimoque monumento. (Cicéron, Verrines, II, 1, 49)

[85] A Sparte, deux poutres, réunies par une troisième, étaient un symbole ancien des Dioscures. On les portait devant les deux rois quand ils allaient à la guerre. (Plutarque, De frat. am., 1.) C’était une image de leur dualité. Le culte des Dioscures fut-il à Rome mis en rapport avec l’établissement du consulat ?

[86] Cicéron, De nat. d., III, 5.

[87] Je crois que ces trois colonnes appartiennent au temple de Castor et Pollux. Sans discuter ici les opinions des archéologues qui en ont jugé différemment, je m’en tiens, comme je fais toujours, aux témoignages positifs, clairs, incontestables des anciens, comparés avec l’état des lieux ou la position des ruines, écartant tous ceux qui peuvent s’interpréter diversement. Auguste (Monument Ancyre) dit positivement que la basilique Julia était entre le temple de Castor et le temple de Saturne : Qum fuit inter ædem Castoris et ædem Saturni. Les régionaires, la Notitia aussi bien que le Curiosum urbis, partant du pied du Capitole, nomment successivement la basilique Julia et le temple de Castor (Reg., 8), puis le temple de Vesta. Or la basilique Julia, dont l’emplacement a été retrouvé à ne pouvoir s’y méprendre, est précisément entre les huit colonnes qui restent du temple de Saturne et les trois colonnes qui restent du temple de Castor. De plus, tout ce qu’on sait du rapport de proximité de ce dernier temple avec le temple de Vesta et avec la fontaine de Juturne (Ovide, Fastes, I, 707), voisine elle-même du temple de Vesta (Denys d’Halicarnasse, VI, 13), dont la position n’est point douteuse, s’accorde avec cette détermination. On s’explique aussi comment le temple de Castor était dans la direction du pont par lequel Caligula unit son palais, placé à l’angle septentrional du Palatin, avec le Capitole. (Suétone, Caligula, 22.)