L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

XV — ANCUS MARCUS.

 

 

Je crois avoir montré que Tullus Hostilius était Sabin ; personne ne doute qu’Ancus Martius l’ait été. Il fut donc le quatrième roi sabin de Rome. On doit compter Tatius pour le premier, car il régna sur cinq des huit collines, tandis que Romulus ne régnait que sur une seule et la plus petite de toutes. Il y a eu véritablement huit rois[1] à Rome comme il y a eu huit collines, mais le caractère mystérieux partout attribué au nombre sept a fait supprimer de la liste des rois Tatius, et de la liste des collines[2] le Janicule, tous deux Sabins.

La légende du roi sabin honnête et religieux, conçue d’après la renommée qu’avaient les Sabins d’être honnêtes et religieux, cette légende, imaginée pour Numa, fut reprise pour Ancus.

Tite Live et Denys d’Halicarnasse s’accordent à représenter Ancus Martius sous les traits d’un roi vertueux et ami de la paix qui désire comme Numa, dont on le disait le petit-fils, faire refleurir la vraie religion et l’agriculture après le règne d’Hostilius, toujours occupé de guerre, tour à tour sans religion et profanateur.

Denys d’Halicarnasse, en rhéteur qu’il est, met dans la bouche d’Ancus une espèce d’homélie que ne désavouerait pas un chef de la ligue anglaise pour la paix. Le roi sabin déplore les suites funestes de la guerre et célèbre les avantages de la vie agricole. Cependant celui auquel on prête cette déclaration pacifique fut encore plus belliqueux que son prédécesseur. Il est vrai qu’à en croire Denys d’Halicarnasse et Tite Live Ancus ne prit les armes qu’à regret, réduit à cette extrémité par les incursions des Latins ; mais cette prétendue nécessité des conquêtes est une invention des siè4.les plus avancés et qui même alors ne trompe que ceux qui veulent bien être trompés. C’est trop de la transporter aux âges primitifs. Denys d’Halicarnasse avait devant les yeux un modèle achevé d’hypocrisie dans Auguste, qui lui aussi savait se faire contraindre à accepter ce qu’il désirait ; mais rien ne prouve qu’Ancus ait mérité de lui être comparé à cet égard.

Le surnom d’Ancus, le Martial[3], est un premier démenti donné par la tradition à cet idéal de roi paisible et débonnaire dont on s’avisa depuis ; de plus, fidèle au génie de sa race, ce roi, ami de la paix, fit constamment la guerre.

Pourquoi a-t-on présenté Ancus sous cet aspect ? Outre le besoin littéraire du contraste, n’est parce qu’au temps où l’on écrivait à Rome l’histoire qui nous est parvenue, les Sabins, depuis longtemps soumis, ne guerroyaient plus et se livraient à l’agriculture. lis passaient pour un peuple religieux et austère ; le caractère idéal d’un roi sabin c’était donc le respect des dieux, de la justice, et par suite des terres de ses voisins. On ne pouvait cependant supprimer de ce règne les conquêtes qui le remplissent et que la tradition attestait. On fut donc obligé de faire d’Ancus le personnage le plus invraisemblable de tous, le conquérant malgré lui.

Je doute du grand zèle qu’on lui prête pour la religion, car je vois que la tradition qui lui attribue plusieurs monuments d’utilité publique, une forteresse, des remparts, un pont, une prison, ne lui fait honneur d’aucun temple[4], et tandis qu’elle rapportait à l’impie Hostilius la fondation du temple de la Pâleur et de la Peur, l’augmentation de prêtres saliens, et sur ses vieux jours un accès de dévotion immodérée et superstitieuse, elle se bornait pour Ancus .à dire qu’il avait fait demander aux prêtres, sans doute pour montrer qu’il n’était point un ennemi des dieux comme l’était son prédécesseur, et avait fait graver sur des tables de bois, les ordonnances religieuses de Numa, puis les avait exposées dans le forum : mais ces tables ayant péri, avec elles s’était effacée toute trace de son zèle pour la religion, qui aurait dû, ce semble, s’il eût été bien réel, laisser de plus durables monuments.

Dans tous les cas, si Ancus Martius commença par s’occuper de religion, et si, comme le dit Tite Live, ce fut sa réputation de piété qui encouragea les Latins à lui déclarer la guerre, pensant qu’ils auraient bon marché d’un roi dévot, il leur fit voir qu’on l’avait mal jugé.

Je crois bien plutôt que les Latins prirent les armes contre Ancus pour venger la destruction d’Albe, leur métropole, destruction accomplie par son prédécesseur, et pour arrêter l’envahissement sabin, lequel, après avoir franchi l’Anio, menaçait toute la rive gauche du Tibre jusqu’à la mer qu’il devait atteindre sous Ancus. Pour moi, le roi Ancus le 1larlial est ce que le montrent les faits, un roi conquérant, et le premier qui ait donné au territoire romain une extension véritable. Romulus avait pris Antemne et Cæcina tout près de Rome, Crustumerium du côté de la Sabine, et, quant à cette dernière ville, il ne l’avait pas conservée ; car, selon Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, sous le règne du premier Tarquin, on eut à reprendre Crustumerium. D’ailleurs, l’occupation par les Sabins de presque tout ce qui n’était pas le Palatin isolait Romulus de ses faibles conquêtes et le claquemurait sur sa colline natale, hors de laquelle il ne pouvait mettre le pied sans rencontrer la formidable nation des Sabins, qui l’y tenait comme enfermé. Ancus Martius agrandit réellement le territoire de Rome du côté de la mer et du côté des montagnes au sud, et au nord. Ses conquêtes restèrent à ses successeurs.

Je vois dans cette campagne du Sabin Ancus contre les Latins un résultat de l’antagonisme de la nation sabine et de la nation latine, antagonisme que représentaient déjà la guerre de Tatius et de Romulus, la destruction d’Albe, par Tullus Hostilius, et dont le Palatin, opposé au Capitole, est le symbole géographique. Les Sabins, comme tous les montagnards, étaient poussés à envahir le pays de plaine qui s’étendait à leurs pieds ; ils étaient venus au moins jusqu’à Rome, ils faisaient un pas de plus et s’avançaient jusqu’à la mer. Cette guerre, pendant laquelle ils franchirent le Tibre, était la suite du progrès constant de la race sabine vers le sud-ouest et du mouvement qui avait commencé sur les hauteurs d’Amiternum ; c’était pour les Sabins une guerre nationale contre leurs ennemis naturels les Latins. Si la poignée de Latins tolérée sur le Palatin y prit part, ce ne fut point pour eux une guerre nationale, ils suivirent.

J’indique toujours avec soin l’emplacement traditionnel de la demeure des différents rois de Rome, car pour aucun d’eux la tradition n’est muette sur ce point. J’ai peine à croire que ces indications ne reposent sur rien. Quel motif pouvait-on avoir d’inventer dans ce cas-là ? Il est à remarquer que ces indications ont toujours une sorte de vraisemblance et s’accordent quelquefois avec l’histoire de Rome telle que j’ai essayé de la retrouver, mieux qu’avec l’histoire telle que la racontent les écrivains du siècle d’Auguste. Sils plaçaient la Rome de Romulus sur le Palatin où la tradition avait placé sa cabane, que l’on croyait avoir conservée ; la demeure de Numa sur le Quirinal et dans le forum, qu’on reconnaissait avoir appartenu aux Sabins ; ils mettent l’une des deux habitations de Tullus Hostilius qu’ils ne disent point avoir été sabin, sur la Velia. Or c’est. sur la Velia, séjour de la Famille sabine des Valérii, qu’on supposait avoir aussi existé la demeure du roi sabin Ancus.

Le lieu de sa résidence est désigné avec une précision surprenante : près de la porte Mugonia sur la voie Sacrée à gauche. C’est ainsi que de nos jours où donnerait une adresse[5].

Les demeures de Numa, celle de Tullus Hostilius, celle d’Ancus, tous trois Sabins, étaient voisines et allaient de règne en règne toujours se rapprochant de la porte du Palatin, comme nous verrons le troisième de ces rois se rapprocher des hommes du Palatin.

C’était aussi à ces rois sabins, dont les habitations étaient ainsi associées par la tradition, qu’elle rattachait l’origine des prêtres fétiaux, ces pontifes du droit des gens, qui mettaient la guerre sous la protection de la justice et présidaient à la foi publique. Ils avaient été établis selon les uns par Numa[6], selon, les autres par Tullus Hostilius[7] mis encore par là en rapport avec les deux rois de même race que lui ; d’autres disaient[8] qu’Ancus Martius avait envoyé chercher un corps de droit fétial chez les Falisques[9].

Les fétiaux, prêtres de Fides, la bonne Foi, déesse sabine, étaient eux-mêmes d’institution sabine ; l’herbe pure qu’ils portaient avec eux et qui les rendait inviolables devait être cueillie sur le Capitole où avait habité Tatius[10]. Les fétiaux existaient chez d’autres peuples appartenant à la même race, tels que les Samnites[11] ; c’était une coutume générale chez les nations sabelliques et que probablement elles avaient reçue des Pélasges[12]. En attribuant aux Sabins l’établissement des fétiaux à Rome, la tradition est conforme à la vraisemblance. Quand on douterait que leur renom de religieuse moralité fût complètement mérité, il faudrait admettre que ce renom devait reposer sur quelque chose. Une institution qui fut un hommage, un droit quelconque, ttc pouvait venir du Palatin, où une population sans lois, mêlée à des aventuriers, devait être étrangère à toute tradition de droit international ; cette tradition peut avoir existé chez une nation plus civilisée, dès longtemps en rapport et en contact arec l’Étrurie, qui l’était encore plus. Les Romains la conservèrent parce que le fétial personnifiait en lui ce sentiment du droit emprunté aux Sabins que les Romains portèrent dans leurs guerres les plus iniques, car il leur sembla toujours juste de conquérir le monde.

Dans le rite solennel selon lequel la guerre est déclarée aux Latins par Ancus, je n’hésite pas à reconnaître une formule de la jurisprudence guerrière des Sabins.

Le fétial s’avance la tête voilée aux confins du territoire ennemi et il s’écrie : Entends-moi, Jupiter ; entendez-moi, confins, et que le droit m’entende ! Ensuite franchissant la frontière il adressait les mêmes paroles au premier homme qu’il rencontrait, puis les répétait à la porte et dans le forum de la ville menacée. Si au bout de trente-trois jours la satisfaction qu’il réclamait n’était pas accordée, le fétial revenait après avoir invoqué Jupiter, le dieu commun de toutes les races helléniques et italiotes, Junon et Quirinus, divinités sabines ; il annonçait que les vieillards du pays allaient en délibérer. Le sénat s’assemblait, et chacun, interrogé à son tour, ayant répondu que la guerre était juste et pure, le fétial retournait une troisième fois à la frontière de l’ennemi, tenant une lance dont l’extrémité avait été brûlée et plongée dans le sang ; après avoir attesté de nouveau que la guerre était juste, il la déclarait en jetant cette lance sur la frontière. Je rappelle que la lance était l’arme nationale des Sabins et que le nom de la lance dans leur langue était leur propre nom (Quiris). A Rome, un usage dérivé de celui-ci subsista jusque sous les empereurs. Près du cirque Flaminien, dans le Champ de Mars et près du temple de Bellone était une petite colonne qu’on appelait la Colonne de la Guerre[13]. Le fétial s’avançait vers cette colonne qui figurait la borne, le terme de l’État romain, et de là, se tournant du côté de la contrée à laquelle on déclarait la guerre, jetait une lance ensanglantée.

Les premières expéditions et les plus importantes du roi sabin Ancus Martius comme du Sabin Tullius Hostilius, ainsi qu’il était naturel, furent contre les Latins.

Ancus leur prit trois villes, Politorium, Ficana, Tellène[14]. On remarque dans le récit de ces guerres un certain acharnement qui s’explique par une haine de race. Politorium est incendié après avoir été pris.

Puis Ancus Martius fit une pointe vers la Sabine et vint attaquer Medullia berceau de la famille de son prédécesseur, considération qui ne dut pas l’arrêter, si ce qu’on dit de la part qu’il avait eue à la mort de ce roi est véritable, et n’avait pas arrêté Tullus Hostilius lui-même. Il prit aussi Fidène, ville au fond sabine, bien que toujours associée aux Étrusques ; d’ailleurs la guerre que fit Ancus Martius à des villes de la Sabine ne doit pas surprendre comme je l’ai dit à propos de Tullus Hostilius, si l’on songe aux guerres acharnées des villes de l’Italie au moyen âge, et entre autres à la guerre implacable que Rome fit alors à Tusculum.

En voyant un roi certainement sabin combattre des populations de même sang que lui, on cessera de plus en plus de s’étonner que Tullus Hostilius en ait fait autant, et on ne pourra plus voir dans de semblables guerres une objection contre la provenance sabine de celui-ci. Puis Martius fit ensuite la guerre aux Véiens, prit alors Fidène[15], qui, selon son usage, s’était alliée à Véies, puis il poursuivit les Véiens au nord et les battit sur les bords de l’Allia, que la victoire des Gaulois devait rendre si célèbre ; passa sur la rive droite du Tibre et s’empara d’une portion du territoire étrusque[16]. Maître des deux bords du fleuve dans sa partie inférieure, il fonda Ostie au-dessus de son embouchure[17].

Ancus Martius faisait, sans s’en douter, une grande chose en fondant Ostie[18]. Il donnait à la Rome future des consuls et des empereurs un port[19] qui devait lui apporter les blés de la Sicile et de l’Égypte pour la nourrir. Ce fut une ville dont les faubourgs, dit-on, se confondaient arec ceux de Rome, de manière à former pour ainsi dire sur une étendue de plusieurs lieues une rue magnifique. Aujourd’hui cette rue est une route dans un désert. Au sixième siècle, Procope en remarquait déjà la solitude ; elle traversait alors une vaste forêt, maintenant disparue.

Le rivage où était Ostie s’est avancé de près d’une lieue dans la mer, et la ville, dont il ne reste que des ruines, la ville, qui n’est plus à l’embouchure du Tibre, a cessé de mériter son nom.

Mais il reste quelque chose du roi Ancus, ce sont les salines qu’il établit dans le voisinage d’Ostie ; elles sont exploitées aujourd’hui comme elles l’étaient il y a vingt-quatre siècles ; et une porte de Rome par laquelle les Sabins passaient pour venir chercher le sel près d’Ostie, et qui, pour cette raison, avait reçu le nom de porta Salara, le conserve encore. Avoir un port et être en possession des salines, tel fut pour Rome le résultat des victoires d’Ancus Martius. Avec lui pour la première fois la guerre semble être raisonnée et entreprise pour une fin utile.

Denys d’Halicarnasse affirme que le roi Ancus poussa ses conquêtes jusqu’à Velletri, qui se soumit à lui[20]. Tite Live n’en dit rien, et une si grande extension du territoire romain à cette époque est peu vraisemblable. Les Volsques n’entrent réellement dans l’histoire qu’avec le dernier des rois étrusques. La royauté étrusque fut tout autre chose que la royauté sabine ; elle atteignit un degré bien supérieur de civilisation et de puissance.

T. Hostilius avait transplanté sur le Cælius la population latine d’Albe, Ancus Martius transplanta de même sur l’Aventin et dans la vallée qui le séparait du Palatin[21], la population des villes latines soumises par ses armes.

Ceci est un très grand fait dans l’histoire romaine, car, ce fait rend raison de l’origine des plébéiens, et ce qui, je crois, n’est pas moins considérable, me permettra d’expliquer comment les Romains ont pu commencer à prendre une certaine importance, et à s’acheminer vers le jour où ils deviendraient les égaux des sabins, où tous deux ne formeraient plus qu’un peuple et n’auraient plus qu’un nom.

On ne niera pas, cette fois, que l’étude des localités ait une grande importance pour l’histoire du peuple romain. L’origine de la formation de ce peuple est tout entière dans l’histoire du Palatin, du Cælius et de l’Aventin. Niebuhr a expliqué, et c’est une de ses découvertes les plus généralement acceptées aujourd’hui, comment, par la transplantation des populations latines à Rome, la plebs[22] fût créée, rivale future du patriciat, qu’elle devait combattre glorieusement, et dont, pour son malheur, elle devait un jour trop complètement triompher ; car, quand elle lui eut arraché tous les privilèges, elle livra à un maître tous ses droits.

Au temps d’Ancus Martius, les Latins qui composaient la plebs, bien qu’ils fussent dans une condition inférieure à la condition des Sabins, n’en commencèrent pas moins à leur faire, par le nombre, un contrepoids qui devait tourner à l’avantage des habitants du Palatin. Jusque-là celte petite colline, seule à Rome, était latine ; dès ce moment, deux collines considérables, le Cælius et l’Aventin, furent habitées par des Latins, et la population latine de Rome, insignifiante jusqu’alors, commença à compter pour quelque chose.

Les Romains du Palatin n’étaient pas, on doit le reconnaître, vis-à-vis des Sabins dans la même situation que les autres Latins du Cœlius et de l’Aventin ; ils n’avaient point été vaincus et transportés ; mais leur petit nombre, leur origine obscure et méprisée, l’hétérogénéité des éléments dont se composait cette population, qui était un assemblage et n’était pas un peuple ; l’absence d’organisation religieuse et politique qui devait en résulter, s’opposaient à ce que leur condition fût très supérieure à celle des Latins vaincus. Niebuhr a parfaitement expliqué ce qu’était à Rome la plebs, dont le nom est devenu quelquefois dans l’usage le synonyme de populus, ce qu’il n’était nullement. La preuve, c’est qu’à Rome de grandes familles furent plébéiennes[23].

La plebs était une population libre, admise au droit de cité sans l’être aux droits politiques des citoyens primitifs, des anciennes gentes[24], qui formaient le patriciat.

Niebuhr a retrouvé quelque chose d’analogue dans les institutions du moyen âge[25].

Or, peut-on s’étonner que les habitants des villes latines, transportés par deux rois sabins sur le Cælius et sur l’Aventin, aient été, vis-à-vis des familles sabines, dans cet état d’infériorité politique, et soient devenus les plébéiens[26] ?

L’orgueil romain se soulèverait s’il m’entendait ; cependant, par les raisons que j’ai dites, je ne saurais admettre que les hommes du Palatin fussent dans, des conditions où pût se former, sur leur petite colline, au. sein de leur population grossière et mêlée, sans tradition et sans aïeux, un patriciat. Je ne suis pas plus dur que Tite Live, qui appelle les sujets de Romulus une plèbe formée de pâtres et d’étrangers[27].

Il n’en était pas de même des Latins établis sur le Cælius et sur l’Aventin ; nous le savons pour ceux du Cælius.

Albe, le chef-lieu de la confédération latine, renfermait sans doute quelques grandes familles que l’aristocratie sabine pût s’associer. Les historiens en nomment plusieurs, et parmi elles les Jules, d’où César devait sortir.

Je ne sais s’il exista des gentes au sein des tribus latines établies sur l’Aventin par Ancus ; mais je n’en vois aucune qu’on puisse, avec quelque certitude, faire dériver des habitants du Palatin[28].

Pour l’Aventin, ce fut toujours le mont plébéien par excellence. Dans ses luttes avec les patriciens, la plebs s’y retirait, comme sur le mont Sacré. Là se tenaient, durant les troubles de la république, des conciliabules qui ressemblaient à des clubs[29]. Ce fut sur l’Aventin que des terrains turent donnés aux plébéiens par la loi Icilia.

C’est probablement à cause de ce caractère essentiellement plébéien du mont Aventin que le temple de Cérès, qui était au bas et vers l’entrée du chemin par où l’on montait à son sommet, fut dans un rapport si étroit avec la magistrature populaire des Ædiles[30], chargés de l’entretien de la ville et de la subsistance publique, office si important pour les plébéiens, et auquel la protection de Cérès convenait si bien.

Ainsi, à Rome, dans l’origine, Latin et plébéien furent synonymes. Le patriciat fut presque exclusivement sabin ; la lutte des plébéiens et des patriciens fut une lutte pour les droits à acquérir et à défendre, et en même temps, dans le principe, une guerre de race, circonstance qui ne dut pas en diminuer l’âpreté.

Quand les plébéiens descendirent du mont Sacré, des Fétiaux[31] consacrèrent la pacification comme si l’on eût traité de peuple à peuple.

Ce fut aussi d’abord une guerre de localités, de quartiers et, pour ainsi dire, de paroisses, comme durant le moyen âge, en Italie, il y en a eu un si grand nombre, dont parfois la trace n’est pas encore effacée de nos jours[32].

Chez les plébéiens, parmi lesquels pouvaient se trouer des familles considérables et une aristocratie nationale qui se fondit dans l’aristocratie dominante, l’aristocratie sabine, se trouvait aussi le principe de toute bourgeoisie, la propriété, qui devient la richesse.

D’abord la propriété territoriale qu’on leur avait concédée sur les collines qu’ils occupaient, ou laissée dans leur pays quand ils y restèrent, et de plus, ils  purent arriver bientôt à une certaine richesse par le commerce.

Un homme très savant et très spirituel, M. Mommsen, a un peu étonné en disant que Rome a d’abord été une ville commerciale ; il a cité un assez grand nombre de faits qui tendraient à le prouver. Je ne crois pas que la Rome du Palatin, la Rome de Romulus ait eu une semblable origine ; je ne crois pas que cette Rome des Romains, non plus que la Rome plus considérable des Sabins, ait été un entrepôt : je crois que l’une et l’autre n’ont pas commencé par être commerçantes, mais ont commencé par être agricoles et guerrières.

Je n’en dirai point autant de la Rome latine fondée par les rois sabins sur le Cælius et sur l’Aventin.

Celle-là a pu être commerçante, et je crois qu’elle l’a été.

C’est encore sa position topographique qui me le fait penser.

L’Aventin est voisin du Tibre, qui en baigne presque le pied ; au bas de l’Aventin fut de tout temps et est encore aujourd’hui le principal port de Rome ; là fut aussi construit, sous Ancus Martius, nous le verrons tout à l’heure, le premier pont. Là donc dut exister d’abord une communication par le fleuve avec la mer et le littoral étrusque, puis une communication par le pont avec la rive opposée de l’Étrurie. La mer et l’Étrurie furent les deux premiers débouchés de l’exportation et les deux premières sources de l’importation. Là fut aussi, très anciennement, le marché aux bœufs, car il était sous la protection d’Hercule, et son origine se rattachait aux bœufs du vainqueur de Cacus. Les troupeaux furent sans doute, à Rome, le principal objet d’exportation du commerce primitif. La campagne romaine leur offrait ces pâturages, qu’ils remplissent encore aujourd’hui, et dans lesquels on les trouve aussi sauvages qu’ils devaient l’être au temps d’Ancus Martius.

Les hommes du Palatin prirent sans doute part aussi, dans la proportion de leur nombre, à ce commerce, et durent amener de leur colline, qui était tout proche, leurs bœufs sur le marché.

Quant aux latins dû Cælius, dont la colline regarde les montagnes de la Sabine ; celle des Èques, des Herniques et des Volsques, ce qui forme pour les touristes la magnifique perspective dont on jouit sur la place de Saint-Jean-de-Latran, ils étaient mis, par une telle situation, en rapport avec les peuples de l’intérieur avec les habitants de’ la montagne ; ils devinrent naturellement leurs commissionnaires et leurs expéditionnaires ; et ces fonctions n’étaient point inutiles, car venir dans une ville étrangère n’était alors sûr pour personne. On peut donc croire qu’à Rome le commerce naquit, ou au moins se développa parmi les Latins établis sur l’Aventin et sur le Cælius[33].

On en a la preuve dans le culte de Mercure. Mercure fut identifié plus tard avec l’Hermès grec ou pélasge, qui était tout autre chose ; mais Mercurius, le dieu, comme son nom l’indique, de la marchandise et des marchands, était un dieu latin. Or, on ne le voit, à Rome, honoré que dans deux endroits, et c’est précisément au bas de l’Aventin, au-dessus de cette vallée Murcia[34], qui, aussi bien que l’Aventin, fut donnée pour séjour par Ancus Martius aux populations latines de Palitorium, de Ficana, de Tellène, et sur le Cælius, où un autel[35] voisin d’une fontaine sacrée, double signe d’une religion antique, était consacré à Mercure. C’est près de cette source que les marchands romains venaient faire leurs dévotions à ce dieu. Après s’être bien arrosés d’eau lustrale, l’eau bénite des païens, ils adressaient, dit Ovide, d’une voix accoutumée à tromper, au patron des voleurs une prière qui le faisait rire, et à laquelle ressemble peut-être la prière de plus d’un petit marchand romain à un dieu plus sérieux.

Que mes parjures et mes mensonges passés soient lavés par cette eau... Et, si je mens encore, que les dieux ne fassent pas attention à mes paroles. Donne-moi seulement le gain et les joies du gain, et fais que je réussisse à tromper mes pratiques.

Les vues de Niebuhr sur les clients sont aussi généralement acceptées que son opinion sur l’origine des plébéiens ; il a distingué ceux-ci des clients, qu’on avait confondus avec eux. En effet, les clients ne sont point en lutte avec les patriciens. Ils sont avec les patriciens dans un rapport de dépendance et de protection. Si le client a des devoirs envers, son patron, le patron a des devoirs envers son client. Le client porte les armes pour son patron, et le patron plaide pour le client, même contre un homme de son sang[36]. Entre eux, nulle hostilité de race, nulle séparation de quartier.

J’en conclus que les clients, dans l’origine, étaient des Sabins. Comme la grande majorité des patriciens, ils faisaient partie des clans sabins, car leur condition inférieure et dévouée ressemble beaucoup à celle des montagnards écossais vis-à-vis de leur chef, qui était aussi pour eux un patron, comme un père, et duquel de même ils portaient le nom.

C’était parmi les clients des chers sabins que, dans les premiers siècles de Rome, durent se trouver les artisans[37]. Les Sabins avaient appris certains arts des Étrusques, et un roi sabin, Numa, avait institué les premières corporations d’ouvriers. L’industrie était sans doute bien peu considérable à Rome, où elle est si imparfaitement développée de nos jours ; mais ce qu’il y en avait pouvait être sabin, comme le commerce était latin.

A mesure que la ville des rois sabins prenait plus d’importance au dehors, depuis qu’elle semblait avoir pris à tâche de soumettre le Latium et de remplacer la suprématie d’Albe par la sienne, il devenait plus nécessaire de la fortifier contre ses voisins, qu’une semblable prétention devait armer contre elle ; dans ce dessein, les rois sabins commencèrent à élever cet ensemble de moyens de défense que les rois étrusques devaient achever.

Il est un côté de Rome par où elle est surtout accessible à l’ennemi, c’est celui que domine la plaine dont le Quirinal, l’Esquilin et le Cælius sont des prolongements. Elle a presque toujours été attaquée et prise par là. D’après les expressions de Tite Live[38], il faut placer dans cette région le fossé des Sabins (fossa Quiritium), ouvrage d’Ancus Martius, à l’endroit même où fut depuis l’agger de Servius, lequel se reconnaît, même aujourd’hui. L’agger de Servius Tullius était composé d’un fossé profond et d’un relèvement de terre. Le fossé ces Sabins devait avoir une disposition semblable ; seulement il était moins considérable que le grand travail par lequel Servius. Tullius le continua[39] ou le remplaça. Denys d’Halicarnasse (II, 37) attribue sans vraisemblance un ouvrage du même genre à Romulus.

Il fallait que la Rome sabine eût une citadelle détachée qui la dominât, suivant l’usage des villes anciennes[40] ; Ancus Martius la plaça sur le Janicule, colline qu’il avait sans doute reprise aux Étrusques, comme il leur avait enlevé tout le bord droit du Tibre, si de son temps les Étrusques la possédaient encore. On a cru trouver, indiquée par des escarpements artificiels, la position de cette citadelle[41]. Il la joignit au fleuve par une muraille[42]. Le roi des Sabins reprenait ainsi possession de l’antique cité sabine de Janus[43].

Pour joindre la citadelle à la ville, Ancus Martius établit un pont, le pont Sublicius, le premier qui ait existé à Rome[44] ; il devait être constamment refait, comme il avait été primitivement construit, en bois, et le fut jusqu’au temps de Pline[45], d’après une prescription religieuse dont le motif n’est point difficile à deviner : il fallait pouvoir le détruire en cas de besoin. En effet, s’il eût été en pierre au temps d’Horatius Coclès, on n’eût pu le couper. Le Janicule est toujours la clef de Rome, plus encore depuis que l’artillerie est employée aux sièges des places. C’est sur le Janicule que les Français ont établi leurs batteries lors de la dernière expédition. C’est aussi du Janicule qu’on peut le mieux contempler l’aspect de Roule et de l’horizon romain. Le spectateur absorbé dans cette contemplation magnifique, ne songe pas plus à la citadelle d’Ancus Martius que ne songeait Ancus, en bâtissant sa citadelle, au point de vue.

Ancus Martius enveloppa l’Aventin par un mur[46] qui existe dans deux endroits[47] ; il protégeait le séjour des populations latines établies par lui sur l’Aventin, de même qu’au moyen du fossé des Sabins il défendait le côté de Rome par où les ennemis auraient pu menacer à l’est, l’extrémité vulnérable du Cælius. Les rois sabins commençaient à s’occuper de leurs sujets latins.

Il le fallait bien, il fallait s’occuper de cette multitude, de ces milliers d’hommes dont parle Tite Live, qu’on avait transportés de leur patrie détruite ou conquise sur le Cælius et l’Aventin, et qui étaient venus s’ajouter aux Latins en petit nombre, énergiques fils des pâtres de Romulus et des réfugiés de l’Asile.

Les rois sabins devaient employer envers la population latine soumise à leur pouvoir, tantôt l’intimidation, tantôt les ménagements. C’est ce que fit Ancus Martius. Tout ce que nous savons de sa politique nous est enseigné par un monument et par une tradition.

Le monument, c’est la prison Mamertine, ce cachot formidable que le temps a respecté.

La tradition nous a été conservée obscurément par une épithète d’Ennius et par un vers de Virgile.

Ennius (Ann., III, 5) et d’après lui Lucrèce (III, 1023) appellent Ancus Martius le bon Ancus, et Virgile (Æn., VI, 816-7) dit qu’il s’est trop confié au vent de la popularité.

Comment se concilient le monument et la tradition, l’origine de la prison Mamertine et le désir imprudent de popularité ?

Parlons d’abord de la prison.

La prison Mamertine fut, dit Tite Live[48], une mesure de terreur contre l’audace toujours croissante ; elle devait croître en effet avec la force du parti latin.

La prison dominait et menaçait le Forum (imminens foro), place bien choisie pour produire la terreur que la royauté sabine avait besoin d’inspirer. Le Forum était alors un marché ; le marché était le lieu où les Romains descendant du Palatin, les autres Latins du Cælius et de l’Aventin, pouvaient, sous le prétexte d’acheter ce qui leur était nécessaire, former des rassemblements au pied du mont Tarpéien, et inquiéter le peuple dominateur qui l’occupait.

Ni la république ni l’empire ne répudièrent cette affreuse prison. Jugurtha y mourut de faim ; Cicéron y fit étrangler les complices de Catilina, César mettre à mort son héroïque adversaire le Gaulois Vercingétorix. Plus tard, la prison d’Ancus reçut les chrétiens persécutés. Que de douleurs ont vues ces sombres murailles pendant dix siècles ! On lit sur le mur extérieur de la prison un fragment d’inscription qui fait allusion à une réparation de l’an 778. Tibère, sous lequel on répara la vieille prison, la destinait-il déjà à son favori Séjan ?

Heureusement le christianisme y a attaché de touchants souvenirs, car, chose remarquable, le plus ancien monument de l’histoire romaine est aussi le plus ancien monument de la tradition chrétienne à Rome. Suivant cette tradition, saint Pierre, enfermé dans la prison Mamertine, fit jaillir une eau limpide pour baptiser ses geôliers convertis. L’un d’eux était Processus (progrès), symbole fortuit, mais expressif du changement qui s’accomplissait. L’idée de la charité se faisait jour dans ces ténèbres où elle n’avait jamais pénétré. Aujourd’hui, au-dessus de la prison Mamertine est une petite église dédiée à saint Joseph, patron de l’humble corporation des charpentiers, san Giuseppe dei falegmami. Le peuple a une grande dévotion à cette église ; je l’ai presque toujours vue remplie ; la foule agenouillée me semblait prier pour les âmes de tous ceux qui sont morts ici de mort violente, et, par le spectacle de son recueillement, adoucir un peu l’horreur que fait éprouver ce lieu, l’un des plus tragiques de Rome.

Cette prison fut pendant les premiers siècles la seule. C’était la prison, il n’y en avait, pas d’autre dans toute la ville ; regrettant ces temps de la liberté que le despotisme de Domitien lui faisait paraître encore plus beaux, Juvénal s’écrie : Heureuse Rome quand elle avait assez d’une prison ![49]

On ne doit pas partager trop vivement ce regret : il n’y a jamais dans une gille qu’un endroit destiné aux exécutions, et c’est là ce qu’était surtout la prison Mamertine, mais la maison de chaque patricien était une geôle pour les débiteurs insolvables.

Depuis la seconde guerre punique, on voit paraître un autre lieu de détention qu’on appelait Lautumies[50], par un emprunt fait aux célèbres Latomies ou carrières de Syracuse, car déjà la manie du grec commençait à s’étendre à tout.

L’étage inférieur de la prison Mamertine, qui s’appelait le Tullianum, portait aussi le nom de Robur, la Force ; l’escalier en avant de la prison s’appelait Gemoniæ, l’escalier des Gémissements, comme il y avait à Venise le pont des Soupirs. Dans le cachot, on descendait par un trou les condamnés à mort. C’était surtout un lieu de supplice. Salluste[51] en fait cette peinture, qui, prise dans son ensemble, est encore vraie.

Le Tullianum est un enfoncement qui a une profondeur de douze pieds, il est entouré de murs, au-dessus est une chambre voûtée ; c’est un lieu désolé, ténébreux, infect, terrible.

Un rhéteur du second siècle[52] s’exprime ainsi dans une déclamation d’où le mauvais goût n’exclut pas l’énergie.

Je vois la prison publique, construite avec des pierres énormes, le jour y pénètre par d’étroites ouvertures qui ne reçoivent qu’une ombre de lumière.

Un autre rhéteur, Philostrate[53], l’appelle le tribunal secret, parce que les grands crimes y sont punis et enfouis dans le silence. Voilà ce qu’avait fait le bon Ancus. Car cette épithète était attachée à son nom par la tradition ; Ennius la lui donnait dans ses Annales, et Lucrèce répétait l’assertion d’Ennius[54]. Oui, Ancus avait laissé un renom de popularité ; Virgile ne fait aucune allusion à ses guerres et à ses conquêtes, mais il parle de la popularité dont il s’est enivré (Æn., VI, 816-7). Transportant à l’époque des rois les vœux des plébéiens sous la république et les coutumes de l’empire, comme on avait attribué à Tullus Hostilius une distribution de terres, on prêtait à Ancus Martius un congiarium. Il avait donné à la plebs six mille boisseaux de sel[55]. Je reconnais là un souvenir des salines qu’il établit au bord de la mer et auxquelles faisait allusion la nature particulière de cette munificence.

Niebuhr a remarqué que dans les récits légendaires de l’antiquité les esclaves sont souvent mis à la place des vaincus, des sujets par le droit de la guerre, des serfs de la glèbe, des pénestes, et en général de cette partie de la population qu’on trouve presque partout admise dans la cité sans participer à l’égalité des droits politiques.

Nous verrons que la légende a l’ait une confusion de ce genre pour Servius Tullius. Elle a transformé en fils d’esclave, en ami des esclaves, celui qui abaissa l’aristocratie au profit des plébéiens, et c’est pour cela qu’il s’est appelé Servius, bien que son nom fût Mastarna ; c’est pour cela aussi que le dernier roi sabin s’est appelé Ancus[56] le serviteur. Par son nom comme par son rôle Ancus Martius est à quelques égards le prédécesseur de Servius Tullius.

Or, je remarque qu’à Rome les plébéiens, les affranchis, les esclaves, sont particulièrement sous la protection des divinités honorées par les Sabins. Diane protège les esclaves fugitifs[57]. Il en est de même de la grande déesse des nations sabelliques, Feronia, l’esclave qui s’assoit dans son temple se relève libre[58]. Tous les ans on sacrifiait dans le Vélabre aux mânes serviles[59] près du tombeau d’Acca Larentia, cette nourrice de Romulus au nom sabin et que l’on confondait avec la mère des Lares, divinités sabines.

La raison de cette sympathie de tout ce qui était humble pour la mémoire d’Ancus et de cette dévotion populaire pour les divinités sabines, il faut la chercher dans la politique des rois sabins, qui commença peut-être avec Numa, de douce mémoire ; dont on voit paraître quelques signes dans la conduite du bizarre Hostilius et qui semble, en dépit de la prison Mamertine, avoir gouverné au moins en partie la conduite du roi guerrier dont on fit le bon Ancus.

Cette politique était indiquée par les circonstances. En présence de cette frère aristocratie sabine d’où ils étaient sortis, de ces grandes familles qui avaient plusieurs milliers de clients, les rois sabins furent conduits naturellement à se chercher un appui dans la population latine ; ils s’efforcèrent au moins d’en conjurer et d’en désarmer la haine, ils protégèrent les plébéiens, les affranchis s’il y en avait alors, même les esclaves ; comme les rois de France protégèrent les communes contre les seigneurs, comme les empereurs de Russie ont pris l’initiative de l’émancipation des serfs.

Mais, en même temps que le roi sabin ménageait la population du Palatin, du Cælius et de l’Aventin, il la craignait et il voulait se faire craindre d’elle.

Les gouvernements qui doivent périr vont de l’intimidation à la faiblesse, et ainsi me paraît avoir péri le gouvernement des Sabins à Rome.

Il ne faut pas oublier qu’après Ancus une révolution a fait passer la royauté des Sabins aux Etrusques. Or, les deux faits dont je cherche à expliquer le contraste, l’établissement de la prison Mamertine par Ancus Martius et ses efforts excessifs et maladroits pour obtenir la popularité dont parle Virgile, ces deux témoignages de nature différente, et qui paraissent se contredire, contiennent, ce me semble, le secret de cette révolution.

Ancus avait voulu effrayer, il avait creusé un affreux cachot, un lieu de supplice au pied du Capitole habité, comme le Quirinal et l’Esquilin, par l’aristocratie sabine , au-dessus du marché fréquenté par les Latins, pour épouvanter et les chefs de clans sabins

f et surtout les pâtres, les paysans et les marchands latins, toute cette plebs naissante dont il avait lui-même augmenté le nombre et qu’il commençait à redouter depuis qu’elle couvrait trois collines, élément étranger admis dans la cité sans en partager les droits, par conséquent destiné à être mécontent et hostile. Je vois dans la prison Mamertine un signe de la violence dont s’arma la royauté sabine, menacée sans doute, au moment où elle allait disparaître. Puis Ancus, comme font les pouvoirs menacés, voulut, Virgile nous l’apprend, capter la faveur populaire et crut l’avoir gagnée. Il crut que ces Latins, que ces plébéiens lui seraient un appui contre l’aristocratie sabine ; dans cette confiance il devint superbe avec elle, jactantior Ancus. Mais, c’est encore Virgile qui nous l’apprend, il avait trop compté sur cette popularité :

... Nimium credens popularibus auris.

Elle ne lui survécut pas ; un étranger vint qui sut gagner l’aristocratie mécontente du roi, et la plebs ennemie des Sabins, et c’est ainsi qu’on peut comprendre à l’aide de la tradition éclairée par les monuments ce que l’histoire ne dit pas, comment, après de grands succès militaires, après avoir agrandi le territoire de Rome, l’avoir fortifiée, lui avoir donné un port et des salines, Ancus fut le dernier roi sabin.

 

 

 



[1] Regnasse Tatium sabinum. (Tite-Live, I, 3-4.) Il s’agit de tous ceux qui ont régné sur Rome. Ovide comptait comme moi quand il appelait Servius Tullius, le septième roi de Rome.

Qui rex in nostra septimus urbe fuit.

Ovide, Fastes, VI, 624.

[2] Un autre motif pour ne compter à Rome que sept collines, ce fut le souvenir du Septimontium composé lui réellement de sept sommets, niais tout différents de ceux qu’on désigne par l’expression mille fois répétée bien qu’inexacte des sept collines. Cette expression ne l’ut pas plus vraie à la fin qu’au commencement : sous Ancus Martius le Janicule faisait partie de la ville, et à la fin de l’empire le Monte-Pincio fut compris dans l’enceinte d’Aurélien, aussi bien que le Janicule lui-même. C’était donc d’abord huit, plus tard neuf collines, jamais sept.

[3] Ce surnom Martius s’écrivait aussi Marcius ; c’était une variante de la désinence des noms sabins en tius : Mucius pour Mutius ; Accius, pour Attius ou Actius.

[4] Tite Live (I, 33) dit seulement qu’après toutes ses guerres il agrandit. le temple de Jupiter Feretrius. Gomme ce temple, ainsi que je l’ai dit, était sur le Capitole, il ne pouvait avoir été bâti par Romulus, qui n’eut jamais le Capitole, et il ne peut guère avoir été augmenté, car il l’ut toujours très petit ; j’accorderai, si l’on veut, qu’il fut l’œuvre d’Ancus, mais on avouera, que est bien peu de chose pour un prince si religieux. On attribua aussi à Ancus Martius la fondation du premier temple de la Fortune qui fut à Rome. (Plut., de fort. Rom., 5.) J’ai reconnu, et j’y reviendrai, que ce culte pouvait être sabin d’origine.

[5] Varron, ap. Non. Marcell., p. 531. Solin, I, 23.

[6] Denys d’Halicarnasse, II, 72.

[7] Cicéron, De Republica, II, 17.

[8] Tite-Live, I, 32.

[9] Servius, Æn., VII, 695. On appelait les Falisques, æqui, Æquicolæ ; ce mot, qui a aidé à leur réputation d’équité, pourrait très bien ne signifier autre chose qu’habitants de la plaine.

[10] Servius, Æn., XII, 120.

[11] Tite-Live, VIII, 39.

[12] Quand les Fétiaux, qui correspondaient aux Kèrukes grecs, faisaient un traité, ils frappaient leur victime avec une pierre, le Jupiter-Pierre du Capitole (Serv., Æn., VIII, 611), comme à Olympie les prêtres du dieu Orkios, qu’on peut comparer au dieu sabin Fidius ; ceux-ci prononçaient une prière semblable. (P. Diacre, p. 115.)

[13] La colonne de la Guerre était près du temple de Bellone, et celui-ci dans le champ de Mars, hors de la porte Carmentale. A l’extrémité du cirque Flaminien ; sur une petite place s’élevait la colonne de la Guerre.

Prospicit a tergo summum brevis area circum,

Est ubi non parvæ parva columna notæ.

Ovide, Fastes, VI, 265.

Summum ne peut désigner que l’extrémité, la partie semi-circulaire du Cirque, comme summi digiti veut dire le bout des doigts, a summis labris, du bout des lèvres. Le cirque Flaminien était tourné de l’est à l’ouest ; les carceres, c’est-à-dire l’entrée, doivent être placées au pied du Capitole vers la place Margana, et son extrémité semi circulaire vers la place Paganica. Cette dernière correspond assez bien au lieu où se trouvait la colonne de la Guerre.

[14] Ficana est la seule dont jusqu’ici l’emplacement ait été déterminé avec quelque certitude, à onze milles de Rome, sur la via Ostiensis (Festus, p. 250), à la Trasfusa ou Trasfusina, près de Dragoncello (Nibby, Dint., II, p. 40) ; ad portum, dit Festus ; il y avait donc là un lieu d’embarquement sur le Tibre ; Ancus Martius le plaça plus loin, à Ostie. Politorium et Tellène, qui son[ nommées avec Ficana, devaient être du même côté, et Politorium plus près de Rome que Ficana, puisqu’il est nommé avant. Aulu-Gelle met Politorium à la Giostra, à droite de la voie Appienne où sont des traces assez considérables d’une ancienne ville latine. Nibby (Dint., III, p.147) y voit celle de Tellène. Mais Tellène étant mentionnée par Strabon (V, 5, 4) avec Aricia et Antium, doit plutôt être cherchée entre Lariccia et Porto-d’Anzo.

[15] Denys d’Hal., III, 38. Dans quelques manuscrits, on lit Ficulneôn pour Fidenaiôn ; au lieu de Fidène, ce serait Ficulnea ou Ficulea dans la Sabine, sur la voie Nomentane. (Nibby, Dint., II, p. 47.)

[16] Tite-Live, I, 33. Denys d’Halicarnasse (II, 55) attribue contre toute raison cette conquête à Romulus. Ancus enleva aux Véiens la forêt Mesia, les Septem pagi et tout le pays le long du Tibre jusqu’à la mer. Le mot Pagus désignait-il un sommet, comme le veut Suidas (πάγοι), ou bien un lieu arrosé. (P. Diacre, p. 22 ; Serv., Georg., II, 311.) Ce qui est sûr, c’est que ce mot se prend ordinairement pour village, bourgade ou canton. A Rome, on appelait les habitants de la plaine pagani par opposition aux montani (Cicéron, Pro d., 28), ce qui éloigne le sens de hauteur. Encore aujourd’hui l’habitant des monti appelle le bourgeois de Rome un Paino, terme de dédain dérivé de Paganus.

[17] Ostia, pluriel neutre d’Ostium, les bouches (du Tibre), est devenu dans l’usage un singulier féminin, et le nom d’Ostie. Strabon (V, 3, 5) dit τά ώστια, et Denys d’Halicarnasse ωστία ; il n’en sait plus le sens, et croit que ce mot veut dire une porte (III, 44). Ancus Martius bâtit Ostie entre le Tibre et la mer, dans un coude du fleuve, par conséquent sur la rive droite. L’Ostie, dont il subsiste des ruines, est sur la rive gauche, mais le cours du Tibre a tellement changé que, selon Nibby (Dint., III, p. 598), un tombeau qui était sur la voie Ostiensis se trouve maintenant au delà du fleuve.

[18] Ostie fut bâtie à l’embouchure du Tibre, in ipso maris fluviique confinio (Florus, I, 4), plus au nord qu’Ostie de tout l’espace dont le littoral s’est accru entre l’époque d’Ancus et celle des monuments qui marquent l’emplacement de cette ville.

[19] On sait que ce port fut transporté par Claude à l’embouchure de l’autre bras du Tibre, au lieu qui s’appelle encore Porto.

[20] Denys d’Halicarnasse, III, 41.

[21] Tite Live (I, 33) place cette seconde transplantation après la prise de Medullia, à laquelle il fait aboutir la guerre latine, bien que Medullia ne fût pas dans le Latium. Denys d’Halicarnasse (III, 28) parle de la population de Fidène amenée à Rome ; mais il ne dit point quelle partie de la ville on lui assigna : il n’y a de positif dans tout cela que les populations latines établies par Ancus sur l’Aventin.

[22] J’emploie le mot latin plebs parce que plèbe serait une traduction très fausse. Employer le mot peuple pour désigner les plébéiens serait encore plus inexact. Depuis Niebuhr on sait que l’expression populus désignait surtout les patriciens.

[23] On cite parmi les gentes plébéiennes, la gens Cæcilia, Domitia, Licinia, et d’autres non moins illustres.

[24] Je me sers du mot gens et non pas du mot famille, parce que la gens, c’est encore une belle découverte de Niebuhr, était un groupe religieux et politique d’hommes portant le même nom sans qu’ils fussent nécessairement de même sang.

[25] Ainsi les habitants du Contado, c’est-à-dire du terrain qui environnait une ville d’Italie, étaient admis dans cette ville, mais sans jouir toujours des droits de citoyen. Dans cette plebs du moyen âge pouvaient se trouver des nobles comme des roturiers ; ils n’en jouissaient pas pour cela plus que les autres de l’égalité politique.

[26] Niebuhr pense que les plébéiens se composèrent surtout des populations soumises qui restèrent chez elles ; je ne nie point que la condition des plébéiens ait été la leur ; mais la partie de ces populations qui fut transportée sur le Cælius et sur ]’Aventin n’en constitua pas moins, selon moi, le noyau de la plebs. Tite Live parle d’une multitude de plusieurs milliers d’hommes établis sur l’Aventin et dans la vallée Murcia. Or, cette vallée, quand elle eut été transformée en cirque, put contenir près de quatre cent mille spectateurs. Il ne faut jamais négliger la topographie de Rome quand on étudie l’histoire de Rome. Le Cælius, qui à l’est communique avec la plaine, pouvait s’étendre indéfiniment de ce côté. Le mont Aventin, que Denys d’Halicarnasse appelle le plus grand mont de Rome, si on y comprenait toutes ses dépendances, égalerait presque en étendue toutes les autres collines, dit Nibby (R. Ant., I, p. 15). Denys d’Halicarnasse ne donne que douze stades de circonférence à l’Aventin enfermé par les murs (X, 31), mais là où il n’est pas question des murs il lui en donne dix-huit (III, 63), trois quarts de lieue. On obtient cette surface en excluant, le faux Aventin qui n’est séparé du vrai que par un ravin et eu fait réellement partie. Le même historien appelle l’établissement sur l’Aventin une seconde ville ; on voit donc qu’il pouvait tenir beaucoup de monde sur le Cælius et sur l’Aventin. Il est vrai qui. les deux collines ne purent être données entièrement aux Latins ; cependant, pour le Cælius, il est permis`de supposer qu’on en chassa ce qui y restait d’Étrusques depuis Romulus, et que ce fut alors qu’on les fit descendre dans le vicus Tuscus. Pour les Sabins déjà domiciliés sur l’Aventin ils ne purent être dépossédés ; mais une grande partie de cette colline, que tous les témoignages montrent, avoir été très rocailleuse et couverte d’une épaisse forêt, put être abandonnée facilement aux nouveaux venus. Sans doute les Sabins avaient habité l’Aventin avec les Pélasges, mais il ne parait pas que depuis que l’Aventin était devenu la propriété des rois d’Albe, les babins y aient été très nombreux, bien que plusieurs de leurs anciens sanctuaires y aient subsisté ; car, à l’époque de Virginie, une grande partie de l’Aventin put être distribuée aux plébéiens dont il était un des berceaux.

[27] Tite-Live, II, 1.

[28] Une tradition rattachait les Fabii à Remus, et les Quintilii à Romulus (Ovide, Fastes, II, 369), mais les Fabii étaient Sabins, les Quintilii eurent-ils une origine romaine ?

[29] Tite Live, en parlant de conciliabules de ce genre tenus dans le premier siècle de la république, dit qu’ils avaient lieu aussi sur l’Esquilin. Nous y avons trouvé les Sabins, mais il ne s’ensuit pas que la population latine en fut entièrement absente ; elle avait pu, grâce au voisinage, y passer en partie du Cælius ; l’Esquilin, placé entre le Quirinal et le Cælius, apparais dans l’histoire romaine comme à demi sabin, à demi latin, et, ce qui est. presque la même chose, à demi patricien, a demi plébéien. On y voit le viens Patricius et le champ Esquilin, sépulture des pauvres ; les Carines, quartier aristocratique tout à côté du quartier populaire de la Subura.

[30] Le nom même des ædiles peut venir de ædes Cereris. Les ædiles plébéiens y avaient leurs archives. (Schwegl., I, p. 606 ; Tite-Live, III, 55)

[31] Denys d’Halicarnasse, VI, 89.

[32] Voyez sur la rivalité qui passionne encore les quartiers de Sienne les uns contre les autres pendant les courses de chevaux qui ont lieu dans cette ville, mon Voyage dantesque (la Grèce, Rome, et Dante, seconde édition).

[33] Les Sabins du Quirinal et de l’Esquilin auraient pu aussi former un intermédiaire commercial entre l’intérieur du pays et l’Étrurie, mais les austères et belliqueux Sabins devaient avoir ce mépris du commerce que professa toujours l’aristocratie romaine et qu’elle ne pouvait tenir que d’eux seuls, car elle était sortie presque tout entière de leur sein.

[34] Ce temple regardait le Cirque. (Ovide, Fastes, V, 669.) On a trouvé de ce côté sur la pente de l’Aventin des débris du temple de Mercure. (Canina, Esp. top., p. 769.)

[35] Cet autel était aux environs de la porte Capène, près de la source de Mercure, aqua Mercurii, qu’on croit avoir retrouvée dans une vigne du Cælius. (Nibby, R. Ant., II, 677-8.)

[36] Aulu-Gelle, Noct. Att., XX, I, 40.

[37] Il devait y avoir des ouvriers parmi les plébéiens latins, mais ceux-ci étaient surtout agriculteurs (Voyez Schwegler, Röm. Gesch., I, p. 630), c’était le génie de leur race. En parlant d’Ardée, ville latine, probablement comme Rome dominée par les Sabins, Tite Live distingue la plebs et les ouvriers opifices. (Tite-Live, IV, 9.)

[38] Quiritium quoque fossa, haud parvum munimentum, a planioribus aditu lotis Anci regis opus est. (Tite-Live, I, 33.) Festus (p. 254) place les fossæ Quiritium qui, selon lui, entouraient la ville près des bords du Tibre, mais il semble parler d’Ostie. Ce passage est pour moi inintelligible, je le crois mutilé, ce qui n’est pas étonnant quand il s’agit d’un passage de Festus. Aurelius Victor (de Vir. illustr., VIII) confond la fossa Quiritium avec la cloaca Maxima. Niebuhr croit qu’il s’agit du lit de la petite rivière appelée la Marrantia, et d’un travail sans éclat, mais cela ne s’accorde nullement avec ce que dit Tite-Live, baud parvum Munimentum ; ces mots ne peuvent désigner le creusement ou l’élargissement d’un ruisseau.

[39] Strabon (V, 3, 7) indique le rapport du fossé des Sabins et de l’agger ; il donne à entendre que celui-ci fut la continuation d’un fossé qui protégeait le Cœlius et l’Aventin ; la disposition des lieux et les termes dont se sert Tite-Live m’empêchent de le croire. Ici, sauf à l’extrémité orientale du Cælius, il n’y avait pas de lieux où l’on pût arriver de la plaine par un accès facile, comme parle Tite Live ; le Cœlius et l’Avent in dominent la plaine, ils ne sont point dominés par elle. Denys d’Halicarnasse (III, 43) dit positivement qu’Accus Martius entoura l’Aventin d’une muraille, et deux morceaux de cette muraille ont été retrouvés il y a peu d’années. Quant au Cælius, Strabon et Cicéron (De Rep., II, 18) disent seuls qu’il fut joint à la ville par Ancus Martius. Denys d’Halicarnasse (III, 1) et Tite Live (I, 30) s’accordent à placer la jonction du Cœlius à la ville sous Tullus Hostilius. Denys d’Halicarnasse ajoute que ce roi le fortifia d’une muraille.

[40] On voit la même disposition à Véies, à Fidène, dont l’Ara était sur le mont de Castel Giubileo, à Athènes, etc.

[41] Derrière la fontaine Pauline (Abek., Mittel it., p. 933 ; Nibby, R. mod., I, p. 588).

[42] Tite Live (I, 33). Malgré cela, le Janicule l’ut toujours considéré comme quelque chose d’étranger à la ville dont il faisait partie. Les juifs y étaient relégués sous l’empire et encore au quatorzième siècle, car leur synagogue était près de la demeure de Rienzi, qui habitait le vico delle Palme. Aujourd’hui le Transtevere, au pied du Janicule, forme dans Rome comme une ville à part.

[43] Procope a supposé que le roi Ancus avait construit le mur pour protéger les moulins qui étaient de son temps sur la pente du Janicule, qui y sont encore, mais que rien certes ne prouve y avoir existé sous Ancus. (Bell. Goth., I, 19.)

[44] Tite-Live, I, 33.

[45] Histoires naturelles, XXXVI, 23, 2.

[46] Denys d’Halicarnasse, III, 43.

[47] Dans une vigne des jésuites, en face de Santa-Prisca, et dans le jardin des dominicains de Sainte-Sabine. On ne peut être sûr que ce mur soit celui d’Ancus Martius, et qu’il n’ait point été refait par les rois étrusques quand ils enveloppèrent toutes les collines de Rome dans une enceinte générale qu’on appelle le mur de Servius Tullius.

[48] I, 53. Selon Tite-Live, cette prison fut construite par Ancus Martius, et on doit le croire. Mais son nom de Mamertine ne prouve point qu’elle ait été l’œuvre de ce roi, car Ancus s’appelait Martius et non Manertus ; d’ailleurs cette dénomination n’est pas antique, elle date du moyen âge ; on trouve indiqués dans cette région Privata Mamertini et une rue appelée via Mamertina, qu’on croit être la Salita di Marforio. La statue célèbre sous ce nom de Marforius, et qui fut l’antagoniste de Pasquin, a été trouvée là ; elle passait pour une statue de Mars, c’est celle d’un fleuve ; on l’a transportée au Capitole. Pasquin qui attaque le gouvernement parle toujours, mais Marforio, qui le détendait, ne répond plus. Cette prétendue statue de Mars et un temple douteux de Mars dans les environs de l’église de Sainte-Martine sont peut-être pour quelque chose dans la dénomination moderne de prison Mamertine. Il est plus probable qu’elle vient de l’habitation voisine d’un particulier nommé Mamertinus. On attribuait à Servius Tullius la partie de cette prison qui s’appelait Tullianum. (Festus, p. 356.) C’était l’étage inférieur (Varron, De L. lat., V, 151) qui, dit Varron, avait été ajouté par ce roi. Ou ne comprend pas bien, quelques efforts qu’ait faits Canina pour l’expliquer, comment on aurait construit cet étage après celui qui est au-dessus. Ott. Müller a proposé de lire dans le texte de Varron Tullo pour Tullio, et de rapporter l’addition faite à la prison d’Ancus Martius à Tullus Hostilius, qui vivait avant lui. C’est inadmissible. Le nom de Tullianum paraît venir simplement de la source qui y coulait et qui y coule encore ; tullius (P. Diacre, p. 552) voulait dire ruisseau, eau qui jaillit. M. Abeken (Mittel it., p. 192-3) voit avec M. Forchhammer (Bullet. Arch., 1839, p. 30) dans le Tullianum une citerne. L’on tirait l’eau par le trou d’en haut, par lequel plus tard, quand cette citerne devint une prison, l’on descendait les prisonniers. Un conduit pratiqué dans le mur est probablement le tullius qui conduisait dans le grand égout des Tarquins,vers lequel on suit sa direction, l’eau destinée à le laver. II en résulterait que le conduit serait antérieur à l’égout, mais celui-ci pourrait avoir été commencé sous les rois sabins, qui durent être dans ce genre de travaux les précurseurs des Étrusques, et d’eux daterait le desséchement du Forum ; à moins que la voûte inférieure de la prison, qui est une fausse voûte assez analogue à celle du trésor d’Atrée à Mycène, ne soit l’œuvre des Pélasges et la plus ancienne construction de Rome.

[49] Juvénal, Satires, III, 311.

[50] Le savant Bunsen a le premier reconnu que les Lautumies étaient différentes de la prison Mamertine, et Becker (Handb. der Röm. Alt., I, p. 262 et suiv. ; It. top., p. 19 et suiv.) a achevé de mettre ce fait hors de doute. Celle-ci avait selon toute vraisemblance la même origine que les Lautumies (Varron, De L. lat., V, 151), et on avait profité pour la construire d’un trou fait dans les roches du Capitole pour en tirer le tuf, plus compact là que partout ailleurs. Une autre carrière avait donné naissance à une autre prison, qui portait spécialement le nom de Lautumies. Les Lautumies étaient assez proches du carcer Mamertinus, car c’est dans leur voisinage que Caton bâtit la première basilique, la basilica Porcia (Tite-Live, XXXIX, 44). elle-même très voisine de la curia Hostilia (Asc., Ad Cicéron pr. Mil. arg., p. 34, Orelli), et, par suite, du Comitium placé devant cette basilique non loin du Capitole. L’erreur de M. Becker a été de reporter les Lautumies trop à l’est, erreur qui tenait à une fausse détermination de l’emplacement du Comitium, que, jusqu’à M. Dyer, la plupart des archéologues avaient transporté à l’autre extrémité du Forum. Malgré leur proximité, le Carcer et les Lautumies étaient deux choses distinctes. Les Lautumies étaient un lieu beaucoup plus vaste et un séjour beaucoup moins terrible ; quarante-trois chefs ætoliens y furent enfermés à la fais. (Tite-Live, XXXVII, 3.) Un consul, qu’un tribun du peuple avait fait conduire aux Lautumies, eut la forte pensée d’y rassembler le sénat (D. Cass., XXXVII, 50) ; rien de tout cela n’eût pu se faire dans la prison Mamertine Enfin un passage de Sénèque le rhéteur (Controv., 27, p. 300, éd. bip.) ne permet pas de confondre les Lautumies et la prison Mamertine ; un Julius Sabinus, conduit du Carcer devant le sénat, demande à être transféré aux Lautumies.

[51] Catilina, IV.

[52] Calpurnius Flaccus, Déclamation pour le parricide.

[53] Vie d’Apollonius de Tyane, VII, 17, p. 158, éd. Kayser.

[54] Cette tradition s’est transmise jusqu’au douzième siècle. Zonaras (VII, 7) l’appelle encore έπιεxής.

[55] Pline, Hist. nat., XXXI, 41, 5.

[56] Ancus était un nom sabin (Valère Max., de Præn.), il est la racine d’Ancilla. Dans l’origine, il indique l’idée d’aide, de soutien ; aux États-Unis, Aider quelqu’un, c’est être son domestique ; les dieux Anculi sont des dieux qui aident, des dieux secourables. (P. Diacre, p. 19-20.)

[57] Preller, Römische Mythol., p. 283.

[58] Servius, Æn., VIII, 564. Feronia était la patronne des affranchies (Tite-Live, XXII, 9.)

[59] Varron, De Ling. lat., VI, 24.