L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

X — ROMULUS.

 

 

Je crois à Romulus ; il faut, dans l’état actuel de la science, un certain courage pour l’avouer. Il va sans dire que je ne crois pas aux fables indigènes ou grecques dont on a entouré sa mémoire et auxquelles ne croyait pas Tite Live lui-même.

En général, la légende invente les faits plutôt que les personnes ; elle prête beaucoup à ses héros, mais elle ne les crée pas ; elle a prêté à Alexandre, à Charlemagne,. au roi Arthur une foule d’aventures merveilleuses : Alexandre, Charlemagne et même le roi Arthur n’en ont pas moins existé.

La plus grande objection à l’existence réelle de Romulus, c’est son nom, d’après lequel Rome elle-même aurait été nommée. La fausse science de tous les temps a supposé des personnages imaginaires qui sont censés avoir donné leur nom à une ville ou à un peuple ; la vraie science n’en a jamais trouvé[1]. Personne ne croit aujourd’hui, que les Français doivent leur nom à Francus, les Danois à Dan, les habitants de la Grande-Bretagne à Brutus, fils d’Hector, Florence à Florinus ; il n’est pas plus vraisemblable que les Romains aient dû le leur à Romulus, non plus que les habitants d’Ardée et d’Antium à Ardéas et à Antias, fils d’Ulysse et de Circé.

Mais pour nous cette objection n’existe pas, puisque Rome est antérieure à Romulus : Romulus veut dire l’homme de Roma[2], l’homme du Palatin, où était la forteresse pélasge de Roma[3].

Les Romains n’avaient sur les premiers temps de Rome d’autres notions que celles qui leur avaient été transmises par la tradition conservée dans le peuple ou dans les familles et par ces chants en l’honneur des ancêtres qu’au temps de Caton on récitait encore[4].

Leur histoire primitive, et celle de Romulus en particulier, était donc à l’état de légende.

La légende orale n’est point la fiction poétique ; la fiction est intentionnelle, la légende est naïve. Aux époques avancées, les poètes inventent, et les historiens parfois mentent sciemment ; aux époques primitives, le peuple écoute, croit et répète ; en répétant, il altère sans le vouloir ce qu’il a entendu, comme il peut arriver, à ceux qui racontent plusieurs fois la même chose s’ils n’y font grande attention, et comme il arrive toujours quand un récit passe de bouche en bouche avant qu’on l’ait fixé en l’écrivant.

L’imagination, et les peuples peu civilisés en ont beaucoup, glisse à leur insu le merveilleux dans le réel. Ainsi se forment par un procédé naturel, par un besoin irrésistible et d’après une loi constante de la nature humaine, les récits légendaires que la croyance générale adopte, que la poésie consacre, que l’histoire accepte jusqu’au jour ou la critique paraît.

Celle-ci commence par rejeter la légende dont il ne lui est pas difficile de signaler les contradictions et de démontrer les impossibilités. Cette critique nie tout ce que la légende affirme. Pour elle les faits sont des mensonges et les personnages sont des mythes. Elle conteste l’existence d’Homère et de Jésus-Christ. A ce compte, je ne sais pas ce qui resterait de l’histoire ; car tout peut s’expliquer par des symboles : en appliquant ce système aux contemporains sans trop l’exagérer, on est parvenu à prouver d’une manière assez plausible que Napoléon n’a jamais existé.

Je ne l’appliquerai point à ce qu’on raconte de Romulus ; mais, d’autre part, on n’exigera pas que je sois bien convaincu que lui et son frère Remus ont eu Mars pour père, et que Romulus a déclaré, après sa mort, qu’il était admis au rang des dieux.

Je chercherai à distinguer dans la légende un fond de vérité qui n’a point été inventé, mais transmis, et ce qu’ont ajouté peu à peu à cette vérité traditionnelle l’imagination ou la crédulité de ceux qui l’ont transmise.

L’étude approfondie des traditions orales apprend à s’en défier, et à y croire ; dans ce qu’elle rapporte, à ne pas tout rejeter comme à ne pas tout admettre.

Non seulement la tradition en s’altérant ajoute dés laits merveilleux aux faits historiques ou donne aux faits historiques la couleur du merveilleux, mais elle transforme insensiblement même ce qu’elle ne rend point invraisemblable.

Elle efface beaucoup de détails ; elle concentre plusieurs événements dans un seul ; elle identifie une race à un homme ; elle rapproche les faits qui l’intéressent et supprime les faits qui ne l’intéressent point.

A travers tout cela, elle conserve souvent un sentiment très juste, quelquefois un sentiment très profond du caractère des temps, du génie des peuples, du sens des événements.

Elle agit à la manière des grands artistes qui sacrifient les traits accessoires pour faire ressortir les traits principaux, à la manière des grands poètes qui modifient un fait historique pour mieux montrer les ressorts de l’âme humaine et son jeu dans l’histoire.

On peut donc beaucoup s’instruire à la légende ; mais il faut savoir comprendre son langage, il faut lui demander ce qu’a été la physionomie générale d’un temps, la signification d’un fait, non les circonstances particulières de ce temps ou de ce fait. Quelquefois cependant un détail individuel a surnagé par des raisons que nous ignorons sur l’oubli où se sont abîmés d’autres détails qui auraient pour nous beaucoup plus d’importance ; mais ce n’est pas pour nous que la légende a été faite. Surtout il ne faut pas lui demander des dates ; la légende méprise le temps et n’en tient aucun compte. Oubliant ce qui ne la frappe pas assez pour être retenu, elle fait contemporains les événements qui la frappent également. Le comble de l’erreur, n’est de chercher dans la légende une chronologie[5].

La légende tient compte des lieux plus que des temps ; quelquefois elle s’y attache et s’y incarne pour ainsi dire. La persistance d’un nom ou d’un souvenir local conserve la mémoire lointaine d’un événement dont tout autre vestige a péri. Aussi l’étude des lieux éclaire la légende comme l’histoire et aide à en tirer l’histoire.

Quand un souvenir local est ancien, croyez qu’il a sa raison d’être soit dans la réalité du fait ou glu personnage auquel il se rapporte, soit dans quelque relation de ce fait et de ce personnage avec le lieu où leur mémoire est attachée.

Ainsi l’exposition de Romulus et de Remus au bord des eaux doit être une tradition sinon vraie, au moins ancienne, car elle se lie à un état de choses lui-même très ancien ; elle suppose l’existence du grand marais tel qu’il était avant qu’il fût desséché par les rois étrusques, lorsqu’il venait jusqu’au pied du Palatin. Tite-Live, qui ne se représentait pas clairement la disposition primitive des lieux et qui avait peine à se figurer des marécages là où était de son temps le plus beau quartier de Rome, remplace ces marécages par un débordement accidentel et merveilleux du Tibre[6], effaçant d’une tradition, je crois fabuleuse, la vérité topographique qu’elle renfermait.

La tradition n’avait pas besoin d’une crue extraordinaire du Tibre, comme il y en eut au temps de Tite-Live, car elle avait le Vélabre pour faire déposer sur ses bords les deux enfants[7].

Pour nous, nous pouvons, grâce l’étude que nous avons faite de l’état antique des lieux, retrouver plus exactement la tradition primitive.

Nous sommes sur le bord d’un vaste marais où croissent des roseaux, et sur lequel se penchent des saules. C’est là que commence l’histoire légendaire suivant laquelle Rome, la splendide capitale du monde, sortira d’un bourbier. La légende, ainsi restituée, est pleine d’une poésie qu’on sent plus profondément aux lieux qui l’ont inspirée.

En effet, ces lieux ont encore un air et comme une odeur de marécage. Quand on rôde aux approches de la nuit dans ce coin désert de Rome où fut placée la scène des premiers moments de son premier roi, on y retrouve, à présent mieux qu’au temps de Tite-Live, quelque chose de l’impression que ce lieu devait produire il y a vingt-cinq siècles, à l’époque où, selon la vieille tradition, le berceau de Romulus s’arrêta dans les boues du Vélabre, au pied du Palatin, près de l’antre Lupercal. Il faut s’écarter un peu de cet endroit, qui était au pied du versant occidental du

Palatin, et faire quelques pas à droite pour aller chercher les traces du Vélabre là où les rues et les habitations modernes ne les ont pas entièrement effacées. En s’avançant vers la Cloaca maxima, on rencontre un enfoncement où une vieille église, elle-même au dedans humide et moisie, rappelle par son nom, San Giorgio in Velabro, que le Vélabre a été là. On voit sourdre encore les eaux qui l’alimentaient sous une voûte sombre et froide, tapissée de mousses, de scolopendres et de grandes herbes frissonnant dans la nuit. Alentour, tout a un aspect triste et abandonné, abandonné comme le furent au bord du marais, suivant l’antique récit, les enfants dont on croit presque ouïr dans le crépuscule les vagissements. L’imagination n’a pas de peine à se représenter les arbres et les plantes aquatiques qui croissaient sur le bord de cet enfoncement que voilà, et à travers lesquelles la louve de la légende se glissait à cette heure four venir boire à cette eau. Ces lieux sont assez peu fréquentés et assez silencieux pour qu’on se les figure comme ils étaient alors, alors qu’il n’y avait ici, comme dit Tite-Live, vrai cette fois, que des solitudes désertes : Vastæ tune solitudines erant.

En avant du Palatin, au-dessous de l’endroit où se terminait la Rome carrée et de la cabane de Romulus, mais plus loin de l’emplacement du cirque[8], s’élevait un rocher couronné de grands arbres. Au bas était un figuier. Sous ce figuier de Romulus[9], ou Ruminal[10], un pâtre trouva à l’entrée d’une caverne deux enfants qu’une louve allaitait[11]. On voit au Capitole une louve en airain admirable de sentiment, malgré la barbarie du travail, et il est vraisemblable que cette louve de bronze est la même que celle qui fut placée au lieu où avaient été trouvés, disait-on, Romulus et Remus.

Sous le rocher avait été plus anciennement, nous l’avons vu, une caverne consacrée parles Pélasges, qui habitaient au-dessus, à leur dieu Pan, le protecteur des troupeaux contre les loups. A cause de cela, cette caverne s’appelait l’antre Lupercal. Probablement les loups se réfugiaient parfois dans l’antre de Pan, leur ennemi.

Ce fait vraisemblable et la dénomination de l’antre Lupercal donnèrent peut-être naissance à l’histoire de la louve nourrice de Romulus.

Cette histoire d’enfants nourris par des animaux sauvages se retrouve plusieurs fois attribuée à des personnages mythologiques et héroïques de la Grèce[12] ; mais il n’est pas besoin de la faire venir de Grèce, car les loups figurent souvent dans les souvenirs anciens de Rome, et l’intervention d’une louve dans le début de l’histoire romaine est un trait local qui peut avoir été fourni par une tradition locale.

Cette louve reporte la légende romaine à une époque reculée que je nommerai l’époque des loups. Ils devaient abonder dans un pays de forêts, dont leur présence achève de dessiner le caractère sauvage. Longtemps des fêtes religieuses conservèrent la mémoire de cet âge des loups. Telle était celle qu’on célébrait sur le mont Soracte, et dans laquelle les Hirpins[13] venaient saisir la victime sur l’autel en souvenir des loups dont ce peuple portait le nom[14], et qui un jour avaient fait la même chose en pénétrant dans le temple pendant un sacrifice. Cela peint bien une époque où les bêles féroces disputaient à l’homme le terrain et entraient jusque dans les temples.

Deux collèges de prêtres qui portaient le nom des Fabius et des Quintilius, célébrèrent jusqu’au dernier âge de l’empire d’Occident les Lupercales, la fête des loups. Les Fabius prétendaient que leur nom venait d’un de leurs ancêtres qui avait inventé l’art de prendre les loups au piège[15]. Les loups paraissent encore de temps en temps dans Rome durant les derniers siècles de la république ; mais alors leurs apparitions, devenues plus rares, sont rangées parmi les prodiges. Même sous l’empire, Horace les montre venant sur l’Esquilin dévorer les cadavres[16]. Le loup était une des enseignes romaines, parmi lesquelles l’aigle devint la seule officielle depuis Marius[17]. La nourrice de Romulus, digne nourrice du fondateur d’un peuple qui eut toujours dans son sang un peu du lait de la louve, a donc un double sens dans la légende : elle rappelle et un culte antique des Pélasges, et un âge où les loups habitaient auprès de l’homme dans la forêt primitive.

Aujourd’hui il n’y a plus de loups aux portes de Rome, et la louve de Romulus ne figure plus que sur les panneaux de la voiture de gala de l’unique sénateur et des conservateurs, derniers et tristes héritiers du sénat romain.

Le dieu de la guerre, donné pour père au premier roi des Romains, recevra plus tard son explication[18]. La tradition, qui fait de sa mère une Vestale, n’est point, comme il semble d’abord, un anachronisme. Le culte de Vesta, dont l’établissement est attribué d’ordinaire aux rois sabins, à Tatius ou à Numa, remontait plus faut. Vesta, ou Vestia, était une divinité pélasge dont le sanctuaire existait au pied du Palatin avant que le Palatin eût vu naître la Rome de Romulus.

La mère de Romulus était, disait-on, de la famille des rois d’Albe. Je me permettrai de ne pas croire à l’extraction royale de Romulus. Romulus fut, je pense, un pâtre hardi, quelque peu brigand, comme il s’en rencontre encore auprès de Rome. Quand il eut fondé une ville, il fallut au parvenu des aïeux. Si sa vanité ne fut pas coupable d’un tel désir, la vanité du peuple romain eut pour lui cette prétention et voulut rattacher sols premier roi à la fabuleuse famille des anciens rois de la métropole latine ; car Albe fut avant Rome la métropole des cités du Latium. Elle dut probablement cet avantage au voisinage de la magnifique montagne où devait être, comme sur tous les lieux élevés, un sanctuaire du dieu latin Saturne, peut-être aussi un sanctuaire consacré par les Pélasges aux dieux de la Samothrace[19]. Cette cime majestueuse et isolée, qui domine le Latium, sur laquelle, dans l’Énéide, Junon va se placer pour contempler tout le pays, ainsi que le font dans la même intention les touristes de nos jours, cette cime du Monte-Cavi fut bien choisie pour être le centre et comme le trône de la confédération des villes latines. Aussi y élevèrent-elles le temple de Jupiter latin (Jupiter Latiaris). Ce temple existait encore à la fin du dernier siècle, quand un Stuart dépossédé, le cardinal d’York, qui était évêque de Frascati, imagina d’en détruire les restes pour bâtir un couvent. Il est plus aisé d’abattre un vieux temple que de relever un vieux trône.

Romulus et Remus avaient-ils amené d’Albe[20] une colonie sur le mont Palatin ? Je ne puis voir là qu’une explication au moins très douteuse d’un fait très véritable : c’est qu’Albe et Rome étaient deux villes latines. Quant aux nombreuses colonies que les auteurs anciens attribuent à la ville d’Albe, on n’y croit plus guère[21]. Il suffit de considérer l’emplacement d’Albe la Longue, bâtie, comme son nom l’indique, dans un espace resserré entre la montagne et le lac[22], pour avoir quelque peine à admettre cette abondance de colonies sorties d’une ville qui, bien que d’un côté elle. s’étendit vers la montagne, prise dans son ensemble, devait ressembler beaucoup à une rue. C’est tirer beaucoup de rivières d’une bien petite source.

Je ne pense donc pas que Rome ait été une colonie d’Albe ; mais je crois que le Palatin, sur lequel elle fut établie par Romulus ; faisait partie du territoire albain.

Aux époques historiques, ce territoire ne venait qu’à cinq milles de Rome, et se terminait aux fosses Cluiliennes, célèbres dans l’histoire de Coriolan, qui, vaincu par sa mère, s’y arrêta.

Mais, avant que Rome existât, il n’y a pas encore de territoire romain : Les Romains, dès qu’ils existèrent, repoussèrent à quelques milles les voisins qui les serraient de trop près. Alors les Albains ne dépassèrent plus les fosses Cluiliennes, comme les Sabins ne dépassèrent plus l’Anio. Mais on peut admettre qu’avant Romulus les possessions albaines venaient, comme la terre sabine, jusqu’au Palatin[23].

Même en supposant que les rois d’Albe ne fussent pas en possession de tout l’espace qui s’étendait de leur montagne jusqu’à Rome, ils pouvaient avoir, et l’histoire de Romulus, en cela très vraisemblable, nous fait croire qu’ils avaient des troupeaux et des bergers à eux sur le Palatin. Ces troupeaux de bœufs et de vaches étaient parqués, comme ils le sont encore, dans des enceintes de bois que Denys d’Halicarnasse appelle boustaseis, et qui s’appellent aujourd’hui stagionate.

Romulus était, selon toute vraisemblance, un berger des rois d’Albe, chargé de garder leurs troupeaux sur le mont Palatin.

Ce fut assez pour que plus tard, dans la légende, il devînt le petit-fils d’un de ces rois. Un jour, ce berger s’avisa de fonder une ville. Fonder une ville n’était pas alors une grande affaire. On choisissait un sommet escarpé, on l’entourait d’un mur ou d’un fossé ; quelques pâtres venaient s’y réfugier avec leurs troupeaux. Cela a dû se passer ainsi bien des fois sans qu’on en ait parlé. Rome étant devenue très puissante, cette humble origine a paru singulière par le contraste qu’elle présentait avec ce qui avait suivi, et le souvenir s’en est toujours conservé. Une telle histoire doit être vraie ; ce n’est pas l’orgueil romain qui se tût avisé de l’inventer ; d’ailleurs, on disait de Cures[24] et de Préneste[25] que ces deux villes avaient eu une semblable origine.

Tel est le vrai commencement de Rome et la vraie condition de Romulus. Le fondateur de Rome n’est ni un mythe, comme le veut Niebuhr, ni, comme l’a dit Mendoza, un gentilhomme portugais : c’est un berger des rois d’Albe[26].

Un trait particulier de la fondation de Romulus, c’est l’asile ouvert par lui aux Outlaws des environs, qui pouvaient être ou des bandits ou des réfugiés des Fuorusciti, chassés de leurs villes par quelque querelle de famille, par quelque trouble politique.

L’asile était probablement plus ancien que Romulus.

Un pâtre révolté ne pouvait créer pour son besoin cette garantie religieuse qui appartenait à certains sanctuaires. L’asile existait sans doute avant lui ; peut-être avait-il été institué par les Pélasges, car le mot et la chose sont grecs : en Grèce, un grand nombre de temples étaient asiles, et c’étaient les descendants d’Hercule qui passaient pour avoir fondé le premier de ces refuges dans Athènes[27].

Peut-être si les populations primitives du Latium ont aussi connu le droit d’asile, ce droit fut-il attaché plus anciennement encore à l’autel de Saturne, dieu de l’égalité, qui devait protéger les esclaves fugitifs ; dieu de paix, qui devait offrir un abri contre toutes les violences ; dieu ami des étrangers, parce que lui-même était venu d’un pays étranger[28].

Au moyen âge, le souvenir de l’antique asile de Romulus s’était conservé, et avait passé du sanctuaire de Saturne à l’église de Saint-Adrien, qui en est tout proche. Cette église s’appelait[29] Asile et Temple du refuge.

Rome a abusé du droit d’asile pour les meurtriers, abus que la philosophie d’Euripide[30] attaquait déjà ; mais, dans un sens plus noble, elle a toujours été l’asile des grandeurs déchues, comme la famille de l’empereur actuel des Français et lui-même l’ont éprouvé.

Romulus se logea sans doute dans la forteresse qu’avaient bâtie sur le Palatin les Pélasges, et qu’ils avaient appelée Roma. Ce fut alors qu’on lui donna le nom de Romulus, s’il ne le portait déjà. Mais il voulut faire plus : il voulut entourer d’une muraille tout le Palatin, dont les Pélasges n’avaient fortifié qu’une partie.

Ici, pour la première fois, nous rencontrons, à l’appui de notre récit, un monument existant : une partie de la muraille de Romulus subsiste encore[31].

Le mur du Palatin n’a été découvert qu’il y a peu d’années ; c’est le plus ancien monument de Rome. Cette muraille, construite en tuf pierreux, tel que celui du mont Capitolin, où ont existé des carrières d’où il fut probablement tiré, cette muraille est bien celle de Romulus ; car elle suit le contour du Palatin et n’a pu jamais être autre chose que la muraille d’une ville bâtie sur le Palatin, c’est-à-dire de la Rome de Romulus.

Le système de construction est le même que dans les villes d’Étrurie et dans la muraille bâtie à Rome par les rois étrusques. Cependant l’appareil est moins régulier. Les murs d’une petite ville du Latium fondée par un aventurier ne pouvaient être aussi soignés que les murs des villes de l’Étrurie, pays tout autrement civilisé. La petite cité de Romulus, bornée au Palatin, n’avait pas l’importance de la Rome des Tarquins, qui couvrait les huit collines.

Du reste, la construction est étrusque et devait l’être. Romulus n’avait dans sa ville, habitée par des pâtres et des bandits, personne qui fût capable d’en bâtir l’enceinte. Les Étrusques, grands bâtisseurs[32], étaient de l’autre côté du fleuve. Quelques-uns même l’avaient probablement passé déjà et habitaient le mont Cælius. Romulus dut s’adresser à eux, et faire faire cet ouvrage par des architectes et des maçons étrusques.

Ce fut aussi selon le rite de l’Étrurie, pays sacerdotal, que Romulus, suivant en cela l’usage établi dans les cités latines, fil consacrer l’enceinte de la ville nouvelle. Il agit en cette circonstance comme agit un paysan romain, quand il appelle un prêtre pour bénir l’emplacement de la maison qu’il veut bâtir.

Les détails de la cérémonie par laquelle fut inaugurée la première enceinte de Rome nous ont été transmis par Plutarque[33], et, avec un grand détail par Tacite[34], qui sans doute avait sous les yeux les livres des pontifes. Nous connaissons avec exactitude le contour que traça la charrue sacrée. Nous pouvons le suivre encore aujourd’hui.

Romulus attela un taureau blanc et une vache blanche à une charrue dont le soc était d’airain[35]. L’usage de l’airain a précédé à Rome, comme partout, l’usage du fer. Il partit du lieu consacré par l’antique autel d’Hercule, au-dessous de l’angle occidental du Palatin et de la première Rome des Pélasges, et, se dirigeant vers le sud-est, traça son sillon le long de la base de la colline.

Ceux qui suivaient Romulus rejetaient les mottes de terre en dedans du sillon, image du Vallum futur. Ce sillon était l’Agger de Servius Tullius en petit. A l’extrémité de la vallée qui sépare le Palatin de l’Aventin, où devait être le grand cirque, et où est aujourd’hui la rue des Cerchi, il prit à gauche, et, contournant la colline, continua, en creusant toujours son sillon, à tracer sans le savoir la route que devaient suivre un jour les triomphes, puis revint au point d’où il était parti[36]. La charrue, l’instrument du labour, le symbole de la vie agricole des enfants de Saturne, avait dessiné le contour de la cité guerrière de Romulus. De même, quand on avait détruit une ville, on faisait passer la charrue sur le sol qu’elle avait occupé. Par là, ce sol devenait sacré, et il n’était pas plus permis de l’habiter qu’il ne l’était de franchir le sillon qu’on creusait autour des villes lors de leur fondation, comme le fit Romulus et comme le firent toujours depuis les fondateurs d’une colonie ; car toute colonie était une Rome.

Là est aussi l’origine de la forme donnée constamment au camp romain[37]. Ce camp, que les généraux établissaient avec soin dès qu’ils s’arrêtaient quelque part, était, comme on peut le voir à Rome par le camp des Prétoriens, un espace de forme carrée entourée d’un vallum[38], c’est-à-dire d’un fossé et d’un rempart formé par la terre rejetée du fossé.

Ainsi, jusqu’aux derniers jours de l’empire, dans toutes les parties du monde où ils portèrent leurs aigles victorieuses, depuis les déserts de l’Orient jusqu’aux forêts de la Germanie, les Romains dessinèrent leur camp d’après le type sacré de la Rome du Palatin, qui elle-même avait pour modèle la Rome carrée des Pélasges. Rome fut donc dans l’origine un camp ; elle s’en souvint toujours.

Puis Romulus creusa un grand trou dans lequel on jeta les prémices de tout ce que les champs produisent d’utile. Chaque assistant y jeta une poignée de terre apportée de son pays, car y avait là des réfugiés venus de diverses contrées d’alentour. Ce trou s’appela le Mundus. Si l’on prenait ce mot dans son sens ordinaire, on pourrait dire que Romulus venait réellement de fonder un monde, et que déjà la destinée de Rome était indiquée par ces différents peuples qui, en apportant chacun une poignée de leur terre natale, figuraient l’universalité future du monde romain ; mais le Mundus étrusque n’était pas le monde des vivants, c’était celui des mânes, le monde inférieur, contrepartie du monde céleste. Son ouverture était le soupirail de la région qu’habitaient les divinités souterraines[39]. On le fermait ordinairement au moyen d’une pierre qu’on soulevait parfois ; mais on ne pouvait commencer une guerre quand le Mundus était ouvert. Le Mundus étrusque a peut-être donné naissance à la belle légende de Curtius se précipitant dans le gouffre[40].

Entre le sillon sacré et le mur de la ville était le Pomœrium extérieur, espace où il n’était pas permis de bâtir, de même que dans un espace également laissé libre à l’intérieur des murs, et qui s’appelait aussi le Pomœrium[41], coutume instituée sans doute dans l’intérêt de la défense des villes. Une prescription semblable s’observe aujourd’hui pour la sûreté des places fortes. Le Pomœrium était indiqué par des bornes qui entouraient le Palatin, des termes (cippi). Ce devait être encore une coutume empruntée à l’Étrurie, d’où vint le culte du dieu Terme. Varron[42] parle des cippes ou termes qui existaient de son temps autour de Rome et autour d’Aricie. A Rome, on a retrouvé quelques-unes de ces bornes du Pomœrium.

Signalons dès ù présent une marque du génie agricole, qui fut toujours le génie des Romains après avoir été celui des Latins, leurs pères.

Chez les Romains, le Mundus des Étrusques, cette ouverture de la région infernale, devint le Mundus de Cérès, qu’on ouvrait pendant le temps des semailles et de la moisson[43]. Romulus avait défendu, disait-on, l’exercice des arts sédentaires aux hommes libres[44] ; mais il leur avait permis l’agriculture comme la guerre. On faisait dériver de Romulus le goût des Romains pour l’agriculture ; ce goût était plus ancien, car il remontait à la vieille civilisation agricole, qu’on supposait avoir été importée dans le Latium par Saturne.

C’est ainsi qu’on rapportait à Romulus l’origine des Frères Arvales, confrérie religieuse instituée pour obtenir des dieux la conservation et la prospérité des moissons.

On prétendait que Romulus avait remplacé dans cette confrérie un des douze fils de sa nourrice, Acca Larentia, qui furent les premiers Arvales. Peut-être cette tradition venait-elle tout simplement de la vanité de corps des Frères Arvales, qui formaient comme un ordre religieux et aimaient à avoir pour fondateur le fondateur même de Rome. Si les capucins pouvaient faire croire que César a été capucin, ils n’y manqueraient pas. Pour le dire en passant, cette Acca Larentia, nourrice de Romulus et femme du berger Faustulus qui l’avait recueilli, auprès de laquelle il joue le rôle de fils, pourrait bien être tout simplement la mère et Faustulus le père de Romulus[45].

Du reste, il était convenable d’attribuer à un roi latin l’établissement d’une institution religieuse dont l’agriculture était l’objet. Les Frères Arvales forment sous ce rapport, avec les Saliens, prêtres guerriers institués par un roi de la belliqueuse nation sabine, Numa, un contraste qui exprime très bien l’opposition du génie des deux peuples. La tradition, il est vrai, représentait Romulus comme un roi guerrier et Numa comme un roi pacifique ; n’importe, le collège des Arvales, fondé par le roi latin, avait le caractère latin ; il était rustique et agricole. Les Frères Arvales portaient une couronne d’épis[46] ou de laine festonnée en forme de roses, une robe blanche, symbole et souvenir de l’état innocent de l’antique royaume de Saturne ; ils offraient des sacrifices non sanglants : des fleurs, des fruits, des parfums. Tout était pacifique dans leurs fêtes, mêlées de danses et de banquets. L’élection des membres de la confrérie se faisait dans le temple de la Concorde, et il n’était pas permis d’apporter un couteau dans le bois témoin de leurs réjouissances paisibles. Ce bois[47], consacré à Dia[48], déesse pélasgique du Latium, était situé à quatre milles de Rome, sur la route qui conduit à la mer à travers le pays latin. Les Saliens, institués par le premier roi sabin, étaient armés. Ils exécutaient des danses martiales en frappant sur leurs boucliers. Le lieu primitif de leur réunion fut le Quirinal, le mont Sabin.

Quand Romulus avait dirigé la charrue autour de sa cité future, là où il voulait qu’il y eût une porte, il avait, selon le rite antique, porté[49], c’est-à-dire soulevé sa charrue et interrompu le sillon augural ; car rien ne devait jamais franchir ce sillon ni le mur qui allait s’élever derrière lui et que protégeait ainsi la religion contre l’ennemi. L’enceinte des villes était sacrée ; il fallait que le seuil des portes ne fût pas sacré pour qu’on pût le franchir.

La Rome du Palatin avait trois portes[50]. Cherchons où s’ouvraient ces portes.

L’une était la porte Mugonia, qu’on nomma ainsi à cause des mugissements dont elle retentissait quand les troupeaux descendaient boire dans les eaux du Vélabre. Elle était à peu prés là où est l’arc de Titus.

De ce côté fut toujours la principale entrée du Palatin, et la porte du palais impérial : au même endroit où mugissaient les troupeaux de bœufs du temps de Romulus et où ils mugissent encore couchés à l’ombre du Palatin[51].

Une autre porte, nommée Porta Romana[52], regardait le Vélabre ; on y arrivait par une rue qui côtoyait le flanc de la colline au-dessus du marais ; elle s’appelait la Rue Neuve, Via Nova, et était une des plus anciennes des rues de Rome ; car elle avait pu exister avant que le Vélabre eût été desséché par les Tarquins[53].

Ce nom de Romaine, appliqué à une porte de Rome, étonne. Les Romains n’ont pu le lui donner ; il lui est venu des Sabins, qui, occupant le Capitole, passaient par cette porte quand ils allaient sur le Palatin, et pour qui elle était la porte de Rome, la porte Romaine.

On ne connaît pas aussi sûrement la position de la troisième porte de la Rome palatine ; mais nous savons qu’un descendait du Palatin dans la vallée où fui depuis le grand cirque par des degrés voisins du lieu qu’on appelait le bel Escarpement[54], et dont on a fait ce qui est incroyable, un quai sur la rive actuelle du Tibre. Là était la troisième porte du Palatin. Si on cri ajouta une quatrième, elle dut être nécessairement sur le quatrième côté du Palatin, celui qui est tourné vers le Cælius, à où il paraît qu’existait sous l’empire une entrée près de laquelle Septime Sévère éleva le Septizonium, ce monument singulier dont, grâce à Sixte Quint, il ne reste plus vestige, mais dont on sait l’emplacement.

Telle était la ville de Romulus. Le Palatin en indique encore aujourd’hui l’étendue et en dessine la forme ; des fragments imposants de sa muraille subsistent, et on reconnaît exactement où étaient ses portes. Nous pouvons donc dés à présent nous orienter dans les laits que vont évoquer en ce lieu ainsi déterminé avec précision la poésie et l’histoire.

C’est à la poésie qu’appartient le débat tragique de Romulus et de son frère. Nous chercherons si celte poésie ne contient pas un peu d’histoire.

D’abord elle atteste un fait historique en montrant sur Rome naissante l’influence de cette Étrurie qu’en nous plaçant nous-mêmes sur le Palatin nous voyons si voisine, séparée de nous seulement par le fleuve, et que nous avons trouvée dans un récit vraisemblable de Plutarque, de Denys d’Halicarnasse et de Tacite, consacrant l’enceinte de la cité de Romulus ; cette Étrurie, dont nos yeux peuvent contempler et nos mains toucher l’œuvre antique, debout encore en partie de nos jours.

En effet, c’est selon le rite étrusque que Romulus et Remus consultent les présages qui doivent décider lequel des deux régnera sur la ville nouvelle[55].

On le reconnaît au nombre 12, qui est le nombre étrusque par excellence[56], tandis que le nombre favori des peuples sabelliques et latins est 10[57].

Romulus voit dans le ciel douze vautours et Remus en voit six. Cela suffit pour me faire dire qu’ils consultent le sort au moyen d’une vaticination étrusque[58].

Les oiseaux prophétiques sont des vautours ; le temps de l’aigle n’est pas encore venu ; mais pourquoi des vautours ?

L’aigle est indigène en Italie ; le vautour n’y a jamais existé ; et cependant on parle souvent de l’oiseau appelé vultur, et son nom se retrouve dans des noms de montagnes habitées sans doute par ces oiseaux, de fleuves comme eux dévorants et rapides[59]. Cette difficulté m’arrêtait, mais je crois l’avoir résolue.

Vultur, que nous traduisons par vautour, était le nom du faucon[60], et j’ai remarqué que l’oiseau de proie appelé encore aujourd’hui avoltoio, mot qui vient évidemment de vultur, était le faucon. Dès lors tout s’explique. Les vautours qui volent au-dessus du Palatin sont des faucons, et, ce qui est important, la légende où ils figurent peut être une légende locale et ancienne.

Les deux frères, pour prendre les auspices, vont s’asseoir, Romulus sur le Palatin[61], où est sa ville, Remus sur l’Aventin, où était la sienne, qui s’appelait Romoria.

Car pourquoi ne pas croire à cette Romoria que la tradition disait avoir existé sur l’Aventin[62], et sur la cime la moins élevée de cette colline[63] ?

Là fut un grand rocher qui n’existe plus, mais dont la présence dans les temps historiques est attestée[64].

Pourquoi Remus ou Romus n’aurait-il pas occupé aussi sur l’Aventin une forteresse bâtie et abandonnée par les Pélasges, et dont le nom, très semblable à ce-lui de la Roma du Palatin, voulait également dire forteresse ? Romus ne serait pas un frère de Romulus ; il serait un autre aventurier, un autre pâtre des rois d’Albe, qui avaient des pâturages sur l’Aventin comme sur le Palatin, mais moins bons, parce que l’Aventin était rocailleux et le Palatin abondant en sources. Chacun des deux chefs, naturellement ennemis parce qu’ils étaient voisins[65], aurait espéré d’abord qu’un signe céleste lui serait favorable et aurait essayé si, par ce moyen, il obtiendrait, non l’honneur de donner son nom à une ville naissante qui avait déjà un nom, mais l’avantage plus réel de dominer sur deux villes. Chacun aurait ensuite prétendu que le présage devait être inter piété en sa faveur. On en serait venu à une lutte armée. L’homme de l’Aventin aurait franchi, non pas en se jouant, mais très sérieusement et les armes à la main, le fossé de la ville du Palatin, dont les murailles n’étaient pas encore bâties, l’homme du Palatin aurait repoussé l’agresseur et l’aurait tué sur le fossé.

Denys d’Halicarnasse semble avoir connu cette forme de la tradition, car il parle d’un combat meurtrier que se livrèrent les deux chefs[66], lisons les deux cités, de même origine et presque de même nom.

Conjectures, me dira-t-on, je ne le nie pas. L’histoire de Rome, dans ces temps-là, est conjecturale, et je ne sais faire l’histoire conjecturale qu’avec des conjectures. Si on m’accorde que celle-ci n’est pas absurde, si on va même jusqu’à la juger plausible, je n’en demanderai pas davantage.

Quelque crédit qu’on accorde à cette explication historique, la tradition reste avec le caractère terrible que les Romains lui ont donné, et ce caractère lui-même est historique, car il révèle dès le berceau de Rome ce qui fut toujours un trait distinctif du peuple romain, je suis fâché de le dire, mais cela n’ôte rien à sa grandeur : la férocité : Romuli gentem feram.

En effet, selon la tradition telle qu’elle était reçue et telle que l’ont racontée d’après le récit populaire les écrivains latins, l’histoire romaine commence par un fratricide.

Ce meurtre pourrait s’accomplir aujourd’hui dans des circonstances assez pareilles chez les paysans romains.

Supposons qu’une mésintelligence existe entre deux frères. L’un d’eux trace un sillon autour de son champ et défend à l’autre de le franchir. Celui-ci devient soudain furieux, et, pour faire dispetto à son frère, saute par-dessus le fossé. Il reçoit immédiatement une coltellata. Personne ne s’en étonne, personne ne s’en émeut, et les plus sensibles diront : È quel poverino che ha amazzato questo poveretto.

Les historiens romains ont jugé à peu près comme jugerait le peuple de Rome. Tite Live ne se met pas en frais de pitié pour Remus ou d’indignation contre Romulus, et puis c’était un grand crime de violer l’enceinte et le droit de la cité consacrés par la religion[67]. Cette enceinte était littéralement sacrée, inviolable, infranchissable. Là où la charrue augurale avait passé, nul ne devait mettre le pied. Là où il fallait une porte, on soulevait la charrue pour qu’on pût passer sans sacrilège. Sauter par-dessus le fossé, qui n’était que le sillon de la charrue augurale élargi, c’était la plus grande des impiétés, et un ancien Romain ne pouvait pas plus la pardonner qu’un Romain d’il y a cinquante ans n’eût pardonné qu’on violât le droit d’asile, d’une église pour en arracher un criminel. Aujourd’hui cela est bien changé.

Cependant les beaux esprits du siècle d’Auguste éprouvèrent le besoin d’adoucir un peu cette légende, forte expression de mœurs et de sentiments qu’ils ne comprenaient plus, et que, grâce aux modèles qui viennent poser dans les ateliers de Rome, nous comprenons mieux que ne le faisait Ovide. Ovide[68] transforme le rude nourrisson de la louve, le féroce meurtrier d’un frère égorgé dans l’emportement brutal de la colère, en un malheureux prince qu’une main dévouée prive d’un frère adoré, et qui donne à ce frère mort les plus touchants regrets. En effet, ce n’est plus Romulus qui a frappé Remus, c’est Céler, un serviteur, j’allais dire un courtisan trop empressé, qui a cédé à l’indignation de voir manquer de respect à la majesté. de son maître. On sentait ainsi à la cour d’Auguste, et, si Auguste eût été accompagné dans le lieu où Ovide le surprit faisant ce qu’il ne fut jamais pardonné au poète d’avoir vu, le zèle d’un autre Céler aurait bien pu épargner à Ovide les tristesses de l’exil.

Rien ne manque à cette attendrissante bucolique, substituée à la rude légende des premiers temps. Le bon berger Faustulus est tué en voulant séparer les deux frères[69]. Romulus verse les plus touchantes larmes sur son pauvre Remus ; il est innocent et sensible ; enfin il ordonne en mémoire de Remus que sur une chaise curule — y avait-il alors des chaises curules ? — soient placés la couronne, le sceptre et les autres insignes de la royauté[70].

Voilà comment, dès le temps d’Auguste, on travestissait en sentimentalité banale la férocité expressive de la tradition[71] ; mais Auguste avait songé un moment à prendre le nom de Romulus, et dès lors Romulus devait être le modèle de toutes les vertus.

Cette tragique histoire est la principale origine de la défaveur qui s’attacha toujours à l’Aventin, abandonné aux, plébéiens et exclu de l’enceinte sacrée de Rome jusqu’à Claude. On s’explique surtout cette défaveur si l’on admet sous la légende dramatique du fratricide le fait historique de l’existence de Romuria, d’une cité rivale de Rome et son ennemie dès le berceau.

L’Aventin pouvait avoir déjà une mauvaise réputation, à cause des brigandages célèbres dont il avait été le théâtre. Mais il avait prétendu lutter contre le Palatin cela ne lui fut jamais pardonné ; il devint titi lieu néfaste, parce qu’il avait été un lieu hostile.

La tradition antique plaçait sur l’Aventin le tombeau élevé par Romulus à Remus dans sa ville de Romoria. Le moyen âge, qui ne connaissait pas la tradition romaine, voyait dans la pyramide funèbre de Cestius, en dépit de l’inscription où Cestius est nommé, le tombeau de Remus. Le Pogge reproche à Pétrarque d’avoir partagé cette erreur. Mais à Rome, Pétrarque avait autre chose à faire que de lire attentivement une inscription : il y venait pour être couronné au Capitole.

Je passe à l’enlèvement des Sabines.

 

 

 



[1] Excepté quand il s’agit d’une colonie qui peut avoir été nommée d’après son fondateur ou le souverain du pays d’où elle provenait, comme Baltimore, la Pennsylvanie, la Caroline, le Maryland, etc.

[2] La terminaison du mot Romulus, comme Niebuhr l’a remarqué, n’indique point nécessairement un diminutif, surtout dans l’usage ancien ; on trouve chez Ennius, Vulsculus pour Vulscus. (Festus, p. 22.) De même Romulus était l’équivalent de Romus, et voulait dire l’homme de Roma.

[3] Roma ante Romulum fuit ;

Et ab ea nomen Romulus

Adquisivit.

(Marianus apud Serv., Bucol., I, 20.)

Romam et Romulus retisse dicitur, quam ante Evander condidit.

(Serv., Æn., VI, 773.)

[4] Denys d’Hal., I, 79 ; Horace, Carmen., IV, 15, 29 ; voyez Cicéron, Tusculanes, I, 2 ; IV, 2 ; Brutus, XIX ; Valère Maxime, II, 1, 10. Non. Marcell., p. 54-5. Gerl.

[5] Canina, dont les travaux utiles et considérables ont été poursuivis avec une constance et. un désintéressement dignes d’éloge, mais qui était plus architecte qu’archéologue, me fournit un exemple de cette confiance naïve dans des chiffres qui sont sans valeur pour la critique. D’après lui, l’arrivée d’Énée eut lieu cinquante-cinq ans après le départ d’Hercule, alors que régnait sur les Aborigènes, Latinus, fils de ce Faunus, qui gouvernait le peuple au temps d’Évandre. Voilà des dates très précises pour des faits imaginaires.

[6] La tradition, plaçant le lieu de l’exposition au pied du Palatin, il fallait expliquer comment les eaux avaient pu venir jusque-là. (Tite-Live, I, 4.)

[7] Dans le récit de Fabius Pictor, rapporté par Denys d’Halicarnasse (I, 79), il y a aussi un débordement du Tibre, et l’ancien Vélabre est oublié. De plus, l’auteur fait entrer dans sa narration une foule de détails évidemment ajoutés à la tradition, pour rendre la tradition vraisemblable en l’accommodant à la disposition des lieux, telle qu’elle était de son temps ; le Tibre se retire, la barque où se trouvaient les enfants heurte contre un rocher, elle est renversée, ils roulent dans la boue, etc.

[8] La Notitia urbis reg. X commence par la cabane de Romulus, fait le tour du Palatin et revient à l’antre Lupercal.

[9] Romularis. (Tite-Live, I, 4.)

[10] On tirait le mot ruminal de ruma mamelle, parce que les enfants exposés avaient sucé en cet endroit la mamelle de leur sauvage nourrice.

[11] Les enfants seulement furent placés sous le ventre de la louve par les édiles Q. et Cn. Ogulnius. (Tite-Live, X, 23.) C’est probablement celle qu’on admire au palais des Conservateurs, et qui a été trouvée non loin de l’antre Lupercal. On l’a prise à tort pour la louve en bronze qui se voyait au Capitole et fut frappée par la foudre dont on a cru y reconnaître les traces ; mais d’après les paroles de Cicéron, qui mentionne l’incident, cette image de la louve fut détruite. (Catilina, III, 8 ; de Div., II, 20.) En outre, elle était dorée, et la louve du palais des Conservateurs ne l’a jamais été.

[12] Plusieurs de ces histoires se rapportent à des contrées ou à des personnages pélasgiques. Une ourse allaite Pâris sur le mont Ida ; Télèphe, héros arcadien et fils d’Hercule, est nourri par une biche. Si on admettait la possibilité du fait, on pourrait croire qu’il s’est plusieurs fois reproduit. Il serait possible aussi qu’une légende se fût réalisée. Tout le monde connaît l’aventure de la pie voleuse, dans un conte persan, une aventure très semblable est racontée d’un perroquet qui volait des diamants. Ce conte, plus ancien que la servante de Palaiseau, n’empêche point que celle-ci n’ait existé et n’ait trop réellement subi le supplice immérité que rappelait la messe de la pie. De plus, le loup joue un grand rôle dans la religion et les traditions pélasges : il est en rapport avec Pan et avec Apollon pasteur. On peut donc voir dans l’allaitement de Romulus et de Remus par une louve la répétition d’un vieux récit pélasge, peut-être aussi d’une légende ibérienne (Justin., XLIV, 4) apportée par les Ligures. Mais, s’il en est ainsi, ce qui l’a fait adopter par les Romains et l’a localisé au pied du Palatin, c’est le souvenir indigène à Rome de ce que j’appelle plus bas l’époque des loups.

[13] Varron, ap. Serv., Æn., XI, 785.

[14] Hirpus dans le dialecte sabellique parlé par les Sabins, voulait dire loup.

[15] Pauly, Real Encyclopédie, t. III, p. 366.

[16] Horat. Epod., V, 99.

[17] Pline, Hist. nat., X, V (IV), 1. Le bœuf, dont on avait fait le minotaure grec, était dans l’origine l’emblème du Latium agricole ; le sanglier, celui des plaines marécageuses du littoral, où il abonde encore ; le cheval, le symbole des Sabins guerriers ; l’aigle, qui habite les montagnes, celui des autres races sabelliques qui les habitaient, Marius, Volsque d’Arpinum, appartenait à une de ces races ; il choisit l’aigle.

[18] Au chap. XIII.

[19] Une inscription trouvée non loin d’Albano porte ces mots : Dies Cabesiis. On sait que dans l’ancienne orthographe latine s est mis pour r. On peut donc lire Caberiis aux dieux cabires ; les Cabires dont les rapports avec Samothrace sont connus, et la Samothrace avait été visitée par les Pélasges.

[20] Denys d’Halicarnasse, I, 85.

[21] Ces colonies sont au nombre de trente (Denys d’Hal., III, 51), nombre mystique qui reparaît plusieurs fois dans l’histoire fabuleuse d’Albe. La truie blanche, qui passe pour lui avoir donné son nom, avait trente nourrissons, et Ascagne, son fondateur, règne durant trente années.

[22] M. Rosa, la grande autorité en ces matières, place, je crois, avec grande raison Albe la Longue sur un plateau assez étroit à mi-côte du mont Albain, au-dessus de Palazzola.

[23] Strabon (V, 3, 2) dit que la domination d’Albe s’étendait jusqu’au Tibre.

[24] Denys d’Halicarnasse, II, 48.

[25] Servius, Æn., VII, 678.

[26] La Rome du Palatin, qui avait été pastorale au temps des Pélasges, le fut encore au temps de Romulus. Des traces de cette origine subsistèrent longtemps après. Les Septa, enceintes dans laquelle se faisaient les élections du Champ de Mars, s’appelaient Ovilia, le parc aux moutons, et cependant ce n’étaient point des moutons qu’on y parquait.

[27] Servius, Æn., VIII, 542.

[28] Denys d’Halicarnasse (II, 15) ne sait à quelle divinité était consacré le temple qu’il fait bâtir à Romulus dans l’Asile. Ovide (Fastes, III, 452) paraît croire que le dieu de l’Asile était Vejovis, le Jupiter funeste, ce qui est invraisemblable. S’il en était ainsi, l’Asile serait à Rome, comme ce dieu lui-même, d’origine étrusque et d’importation sabine. (V. chap. XII, Numa.)

[29] Ord. rom., Mabillon, Mus. Ital., II, 143.

[30] Euripide, Ion., V, 1312.

[31] On la voit dans trois endroits au bas du Palatin appliquée contre la colline, comme on voit les restes du mur de Servius Tullius appliqués contre l’Aventin, et comme sont les murs étrusques de Fiesole et de Volterre. (Dennys, Sep. of Etr., II, 753.) Canina supposait qu’elle devait suivre la crète du mont et ne sest pas fait faute de la restituer ainsi. Cependant on ne pouvait la placer qu’au bas de la colline, où elle est effectivement, car nous savons qu’une des trois portes du Palatin (la Porte romaine) était au bas de la montée de la Victoire (infimo clivo Victoriæ, Festus, p. 262). Ce qui entraîne la position de la muraille dans laquelle cette porte était percée. Denys d’Halicarnasse (II, 37) et Cicéron (De Rep., II, 6) parlent de la muraille de Romulus, mais tous deux paraissent confondre celle muraille adossée au Palatin avec l’enceinte des rois étrusques, qui enveloppait d’autres collines.

[32] Denis d’Halicarnasse, I, 26.

[33] Romulus, XI.

[34] Annales, III, 24.

[35] Preller, R. Myth., 456.

[36] Tacite ne ramène pas Romulus vers le nord-ouest au delà du Forum. C’est que plus au nord-ouest le Vélabre venait assez près du Palatin pour qu’on ne pût continuer le sillon sacré à la distance où il devait être du mur appliqué à la colline, et dont il était séparé par l’espace appelé Pomœrium.

[37] Virgile fait construire aux Troyens la première ville qu’ils établissent sur le sol du Latium, à la manière d’un camp, Castrorum in morem. (Énéide, VII, 159.)

[38] Le camp des prétoriens était un camp à perpétuité, une véritable caserne ; le vallum y fut remplacé par un mur.

[39] Macrobe, Saturnales, I, 16 ; Paul Diacre, p. 156 ; Servius, Æn., III, 134.

[40] Plutarque, Romulus, XI, dit que la fosse sacrée fut ouverte dans le Comitium, c’est-à-dire au-dessous de la cime nord-est du Capitole, par conséquent en dehors et assez loin du Pomœrium de Romulus. Le Mundus primitif ne pouvait être là, on dut plutôt le creuser sur le Palatin dans la Rome carrée, où, dit Solin, on enfouissait les choses de bon augure pour la fondation des villes, ce qui est dit aussi du Mundus. S’il y a eu un Mundus près du Comitium, c’est plus tard, quand Rome fut composée de la ville latine du Palatin et de la ville sabine dont la citadelle était sur le Capitole. Le nouveau Mundus se trouvait alors entre les deux villes.

[41] Tite-Live, I, 44 ; Aulu-Gelle, Nuits attiques, XIII, 14.

[42] De Ling. lat., V, 145.

[43] Voyez Preller, Rom. myth., p. 457. Du reste, du Mundus étrusque au Mundus romain la transition était facile, car dans les religions antiques tout ce qui était souterrain se liait à la fois aux idées infernales et aux idées de fécondation. Cérès, déesse de la moisson, descendait sous la terre pour y chercher sa fille Proserpine, déesse des enfers ; et à Rome il y avait une Venus Libitina ou Vénus des funérailles, double et profond symbole de la vie et de la mort.

[44] Denys d’Halicarnasse, II, 28.

[45] En ce cas Romulus aurait une mère sabine ; acca, féminin d’accus ; actius, attius, attus, atta, sont diverses formes d’un prénom sabin ; car il est celui de l’aïeul des Claudius. Dans Larentia se trouve le nom des Lares, divinités étrusques adoptées par les Sabins. Cette origine d’Acca larentia n’aurait rien que de vraisemblable, car il devait rester des Sabins aborigènes sur le Palatin même après qu’il était devenu la propriété des rois d’Albe.

[46] Pline, Hist. nat., XVIII, 2.

[47] Aulu-Gelle, Nuits Att., VII, 7, 8. Voyez Becker, Handb. d. Röm-Alt., continué par Marquardt, t. IV, p. 411 et suiv.

[48] Dia était en Grèce le nom de l’épouse d’Ixion et de deux autres personnages mythologiques.

[49] C’est l’origine du mot latin porta.

[50] Pline, Hist. nat., III, 9, 13, dit trois ou quatre. C’est trois qui est le nombre véritable. Car, selon le rite étrusque, une ville devait avoir trois portes comme elle devait avoir trois temples. (Servius, Æn., I, 422.) En Étrurie, Cosa et Rosellæ avaient trois portes. (Ot. Müller, Die Etr., II, 147.)

[51] La porte Mugonia s’appelait aussi Mugionis ou Mucionis. Denys d’Halicarnasse dit Mykônisi pylais, ce qui fait penser à Mycènes et reporte encore aux Pélasges.

[52] Festus, p. 262, l’appelle ainsi, et Varron (De ling. lat., v, 164) Porta Romanula, c’est le même nom. La terminaison ulus-a n’est pas toujours, ainsi que je l’ai dit plus haut, un signe du diminutif.

[53] Le pont Neuf est aussi un des plus anciens ponts de paris. On peut déterminer assez exactement l’emplacement de la Porte Romaine, car Festus nous apprend qu’elle était au bas de la montée de la Victoire (infimo clivo Victoriæ). Or, cette montée, avec l’escalier qui en faisait partie, était ainsi nommée parce qu’elle conduisait du Vélabre au temple de la Victoire, élevé primitivement par les Aborigènes au nord-est de la Rome quarrée des Pélasges.

[54] Kalè acté (Plutarque, Romulus, 20). Cette confusion qu’on a peine à comprendre en présence du passage de Plutarque, tient à ce que le mot acté, qui veut dire aussi escarpement, se prend en général pour rivage. Il était d’autant plus naturel de donner ce nom à une berge du Palatin que le Tibre venait autrefois en battre le pied. Mais le Palatin n’a jamais voyagé jusqu’aux bords actuels du Tibre. Le bel escarpement n’a jamais été un quai ; il n’y en a jamais eu à Rome, pas plus dans l’antiquité que dans les temps modernes.

[55] C’est le motif qu’Ennius donnait à la consultation des présages :

Omnibu’ cura viris uter esset Enduperator.

Les deux frères, en consultant les présages, ne pouvaient avoir pour motif de savoir lequel des deux donnerait son nom à la ville du Palatin, car ce nom Roma existait déjà. Cela a été imaginé plus tard, à une époque où l’on croyait que les hommes donnaient leur nom aux villes, tandis que c’est l’inverse qui a lieu le plus souvent ; et d’ailleurs les deux frères portaient le même nom. Denys d’Halicarnasse appelle toujours Remus Romos, Romulus est appelé Romus chez Festus (p. 266), et Properce l’appelle Remus. Regnave prima Remi. (Élégies, II, 1, 23.) Domus alla Remi. (IV, 1, 9.) Signa Remi. (IV, 6, 86.)

[56] Les confédérations étrusques se composaient toujours de douze villes. Selon les Étrusques, il y avait douze grands dieux ; chaque période du monde embrassait douze siècles ; les licteurs d’origine étrusques étaient au nombre de douze, etc.

[57] Toute l’organisation de Rome repose sur le nombre dix multiplié par lui-même, et souvent par le nombre trois. Romulus a trois cents celeres. Dans chaque tribu, il y a dix curies ; dans chaque curie, dix décuries ; les décemvirs sont au nombre de dix. L’année, attribuée à Romulus, était de dix mois, etc.

[58] Sans cela ce pourrait être une vaticination sabellique. L’art de consulter l’avenir par le vol des oiseaux était connu des peuples sabelliques, notamment des Marses.

[59] Le Vultur mons (monte Voltore) le fleuve Vulturnus dans la Campanie.

[60] Capis était synonyme de Vultur. Le nom de Capoue (Capua) fut une traduction du premier nom de cette ville Vulturnum. Or, un passage de Servius (X, 145) montre évidemment que capis était synonyme de fulco.

[61] Ennius seul dit sur l’Aventin (Cicéron, de Div., I, 48) : ceci tient à une confusion entre les deux fières qui allait jusqu’à faire donner à Romulus le nom au fond identique de Remus (V. plus haut.) Ennius plaçait Romulus sur l’Aventin comme Properce parlait de la maison de Remus sur le Palatin. Dans un autre passage, le même poète, pour accorder des traditions contradictoires, nées de la ressemblance et de la confusion des noms, supposait que les deux frères avaient habité ensemble sur le Palatin. (Properce, Élégies, IV, 1, 10.)

[62] Paul Diacre, p. 276. Celte ville s’est appelée aussi Remuria, Remora, Remona, Remé, ce qui ressemble beaucoup à Romé. Selon d’autres récits Romoria était à trente stades, quatre milles environ de Rome (du côte de Saint-Paul). (Denys d’Hal., 1, 85.) Si la tradition avait placé une Romuria tout juste à trente stades de Rome, c’est peut-être qu’il y eut en cet endroit une autre forteresse pélasge. On trouve chez les Hirpins une ville nommée Romulea.

[63] Virgile, (IX, 360) parle d’un Remulus de Tibur. Chez les Hirpins il pouvait y avoir eu aussi une Roma, c’est-à-dire une forteresse pélasge, devenue Romulea quand Romulus fut célèbre, et la Roma, c’est-à-dire la forteresse du pélasgique Tibur, avait pu donner son nom à un chef tiburtin comme la Roma du Palatin à Romulus.

[64] Par le nom de Subsaxana donné à la Bonne Déesse dont le temple était sous le rocher. (Not. Urb., Reg., XII.)

[65] La communauté de race de deux pâtres albains les aurait fait appeler frères. La communauté d’origine et la ressemblance de nom des deux cités eût été la cause de cette confusion entre Romulus et Remus (Romus) que je signalais tout à l’heure.

[66] Denys d’Halicarnasse, I, 87.

[67] Ces expressions de Cicéron montrent ce qu’était la religion des remparts : Proque urbis muris quos vos, pontifices, sanctus esse dicitis, diligentioreque religimie quam muris ipsis ciugitis.

[68] Fastes, V, 470.

[69] Denys d’Halicarnasse, I, 87.

[70] Serv., Æn., I, 276.

[71] La tradition était rive et plus vraie quand elle faisait lancer à Romulus sa pique de l’Aventin sur le Palatin pour montrer que dès lors tous deux lui avaient appartenu. (Plutarque, Romulus, 20.)