L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

VI — SUITE DES PÉLASGES.

 

 

Nous avons vu ce que les noms de lieux pouvaient nous apprendre des Pélasges, mais il est d’antres traces de leur présence.

D’abord, ces murs d’une construction particulière, qui leur appartiennent et qu’on avait nommés murs cyclopéens, parce qu’on ne savait à qui les attribuer.

Puis les traditions religieuses ou héroïques, qui peuvent avoir été apportées en Italie par les Pélasges.

Sur divers points de l’Asie occidentale, de la Grèce et de l’Italie, on rencontre des murs d’un aspect singulier : au lieu d’être formés de pierres taillées carrément et disposées en assises régulières, comme les murailles grecques ou étrusques et comme les anciennes murailles de la home des rois, ces murs sont composés de blocs irréguliers, polyédriques, tantôt entassés avec un certain désordre, et entremêlés de petites pierres, tantôt taillés avec soin et ajustés avec art[1].

Ces murs sont attribués par les uns et disputés par les autres aux Pélasges.

Pour ma part, je ne prétends pas nier que différents peuples aient pu construire aussi des murs à blocs irréguliers ; on en trouve en effet dans des villes dont l’origine est attribuée aux Sicules et aux Aborigènes, dans des villes du pays des Sabins, des Herniques, des Marses et des autres peuples montagnards de l’Apennin[2].

Mais rien ne prouve que ces villes n’aient pas été anciennement pélasges, puisque lés Pélasges ont parcouru une grande partie de la péninsule italique. De plus, ces différents peuples ont pu imiter un système de construction importé par un peuple étranger et qui est représenté comme civilisateur, comme enseignant aux anciens habitants de la Sabine l’art de bâtir des villes.

C’est ainsi que les Romains ont imité, dans la structure de leurs premières murailles, la maçonnerie étrusque.

En principe, il semble raisonnable d’attribuer à un même peuple un système de constructions similaires.

Cette vraisemblance devient presque une certitude, quand on retrouve les murs présumés pélasgiques dans des contrées différentes, sur des points très éloignés, et là précisément où l’on sait que les Pélasges se sont établis, depuis le mont Ida, dans la Troade, jusque dans le voisinage de Rome.

Ainsi, en Grèce, c’est à Tirynthe que se voient les plus remarquables de ces murailles ; on les a observées aussi à Mycènes ; Tirynthe et Mycènes sont dans l’Argolide, qui passait pour le berceau des Pélasges ; à Athènes, Thucydide nous apprend que les Pélasges avaient entouré de murs la citadelle et qu’une partie de ces murs s’appelaient pelasgicon. Un reste des murs à blocs irréguliers existe encore au dessous de l’acropole d’Athènes. On admettra l’origine pélasgique d’un mur bâti par les Pélasges, qui avait gardé leur nom, et l’on consentira peut-être à l’étendre aux murailles de structure analogue qui existent ailleurs en Grèce et en Italie.

L’appareil polyédrique des murailles n’est pas la seule ressemblance que présentent les antiques monuments des deux pays. On en trouve une autre non moins frappante, entre l’ogive imparfaite d’une porte de tombe, à Cœre[3] ; qui l’ut la pélasgique Agylla, entre l’ogive également imparfaite de la porte du réservoir de Tusculum et la voûte du trésor d’Atrée à Mycènes ; du trésor des Myniens à Orchomène[4].

Les Cordonate, on nomme ainsi à Rome des pentes interrompues par des marches, les cordonate, qui s’observent dans plusieurs villes antiques de l’Italie et de la Grèce[5], paraissent avoir une origine pélasgique, car il en existe une à Alatri, que nous ne tarderons pas à reconnaître pour une cité pélasge.

L’usage s’en conserve encore aujourd’hui à Rome, où la rampe du Capitole en offre un exemple ; et plusieurs escaliers de palais, très doux et très lents à monter, ressemblent beaucoup aux cordonate des Pélasges.

Quant aux murs à polyèdres irréguliers, il ne faut pas les considérer isolément ; mais en quelque lieu qu’on les trouve, si l’on veut découvrir leur origine, on doit les rapprocher de la grande famille de monuments analogues, à laquelle ils appartiennent ; ils ont été indiqués en Asie, en Grèce, en Italie et nulle part ailleurs. Or, il n’y a que les Pélasges qui aient été dans ces trois pays et ils n’ont été que là.

Il faut donc suivre les Pélasges à la trace des murs pélasgiques, de l’Orient à l’Occident, dans le sens où s’est faite leur migration. Ils semblent avoir placé ces monuments extraordinaires comme de gigantesques pierres miliaires le long de leur aventureux chemin, depuis le voisinage de Troie jusqu’aux environs de Rome.

Nous partirons du mont Ida[6] avec Enée, dont le voyage aux côtes du Latium est l’expression fabuleuse d’un fait réel, la migration des Pélasges. Sur l’Ida se voit une enceinte de cinq cent soixante-dix pieds, et une muraille qui a vingt et un pieds de largeur ; la structure de cette enceinte et de cette muraille est très semblable à celle des murs de Tirynthe. D’autres ont été observées en Lycie, dans presque toutes les parties de la Grèce, dans file de Crète, en Argolide, en Laconie, dans l’Attique, en Phocide, en Thessalie, en Macédoine et en Épire ; tous ces pays ont été visités par les Pélasges.

On voit les murs pélasgiques s’avancer de la Grèce. vers l’Italie, d’un côté, par l’Epire où ils abondent, et de l’autre par la Sicile, où celui de Céfalu marque une station et comme une étape des Pélasges.

Leurs monuments sont moins nombreux dans l’Italie méridionale. Cependant on en a indiqué quelques-uns, mais dont l’existence n’est pas encore parfaitement constatée. Ces signes de la route des Pélasges sont ici plus rares et semblent presque interrompus. En revanche, la marche des Pélasges est clairement indiquée dans le sud de la Péninsule, par ce que la tradition rapporte des Œnotriens dans lesquels on ne peut méconnaître des Pélasges[7].

Dans l’ancienne Étrurie, on a reconnu d’incontestables débris de murs pélasgiques ; il en existe à Orbitello[8], à Cosa[9], à Saturnia[10], à Rosellœ[11], dans le pays où des villes furent fondées par les Aborigènes alliés des Pélasges, et où les Pélasges ont pu arriver par mer.

En se rapprochant de Rome, on trouve, ce qui est décisif pour leur origine, les murs à polyèdres irréguliers dans des villes qu’on sait d’ailleurs avoir une origine pélasgique.

Près de deux de ces villes dont l’origine est certainement telle[12] Cære (Cervetri), et Pyrgoi (Santa-Severa), on a signalé des restes de constructions pélasgiques.

Voilà de frappantes coïncidences entre la fondation de ces villes, attribuée aux Pélasges, et la présence des murs qu’on voudrait enlever à ce peuple ; il en est de même au sud du Tibre, où ces murs sont beaucoup plus nombreux ; à Cori (Cora, nom grec), célèbre par ses murailles polyédriques, elles forment, dit Dodwell, une galerie semblable à celle de Tirynthe. Or la tradition donne à Cora un fondateur pélasge, Dardanus. Une autre ville à murs polyédriques, Norba, passait aussi pour avoir été fondée par Dardanus.

Les murs pélasgiques de Norba s’élèvent solitaires, sur un plateau inhabité. Leur aspect lugubre rappelle une terrible tragédie : en apprenant l’arrivée de Sylla qui venait les assiéger, les habitants se tuèrent jusqu’au dernier et incendièrent leur ville. C’est pourquoi il ne reste rien de ses édifices, elle n’a pas été rebâtie depuis ; mais les vieux murs des Pélasges sont encore debout et intacts, ils survivent, comme indestructibles, à la destruction de la ville romaine qu’ils ont précédée de tant de siècles.

C’est dans le cœur de la Péninsule, dans les montagnes qui en occupent le centre, et où les émigrations pélasgiques, venues du nord et venues du sud, semblent avoir convergé, depuis la Sabine jusqu’au pays des Samnites, que les monuments pélasgiques sont le plus nombreux, mêlés peut-être à d’autres monuments du même genre, bâtis par les anciens peuples italiotes disciples des Pélasges.

Ces constructions singulières se montrent chez les différents peuples qui, à une époque moins ancienne, luttèrent si vaillamment contre les Romains, et en défendant au sein de leurs montagnes leur propre indépendance, furent durant plusieurs siècles les champions de l’indépendance du monde ; chez les Marses[13], qui domptaient les serpents, chez les Herniques[14], dont le nom voulait dire dans leur langue les hommes des rochers, chez les Volsques[15], nation à la fois montagnarde et maritime, belliqueuse et navigatrice ; enfin, chez les Samnites[16], qui tinrent tête aux conquérants pendant une guerre de soixante années et firent passer sous le joug un consul romain et une armée romain Là, dispersées sur des sommets déserts, perdues dans un pays sauvage, ces murailles à blocs énormes et irréguliers, quand on les rencontre dans la solitude, font subitement remonter la pensée par delà les temps historiques, et apparaître à l’imagination l’existence évanouie avant ces temps des antiques Pélasges.

Elles sont rares dans l’Ombrie sur la route que suivirent les Pélasges partis des embouchures du Pô et s’avançant vers la Sabine[17]. Sans doute les Pélasge s’arrêtèrent peu dans ce pays où ils avaient à se frayer un chemin à travers des populations belliqueuses et ennemies ; mais arrivés dans la Sabine, où ils trouvèrent des alliés, ils multiplièrent les constructions qui portent leur nom. On retrouve les murs pélasgiques, et par conséquent les Pélasges dans tous les pays occupés par les Sabins[18], depuis les hauteurs d’Amiternum jusqu’à Falère, aux confins de l’Étrurie. On a compté dans ce pays les ruines de vingt-cinq villes pélasgiques.

Enfin nous retrouverons ces murs, œuvre colossale du peuple que nous suivons à la trace des grands débris qu’il a laissés, dans le voisinage de Rome, où nous l’avons trouvé lui-même et d’où, pour nous former une juste idée de son extension, si on peut le dire, de son ubiquité, il a fallu faire comme lui, aller par le monde et parcourir de l’Ida aux collines du Tibre l’immense patrie où il a erré.

A Préneste (Palestrine), qu’on voit de Rome, et d’où Pyrrhus contempla la ville qu’il ne devait pas prendre, de vieux murs pélasgiques réparés au temps de Sylla soutiennent les terrasses du temple de la Fortune.

Des murs pélasgiques sont disséminés au sein du pays qui entoure Tivoli[19].

De tous les murs construits en Italie par les Pélasges, les plus remarquables sont ceux d’Alatri, dans le pays des Herniques ; ils atteignent une hauteur de quarante pied, au-dessus du sol, par la superposition de quinze pierres seulement ; un de ces blocs a neuf pieds de longueur. Le faite d’une des portes de la ville est formé par trois pierres posées l’une à côté de l’autre et la largeur de ce faite est de dix-huit pieds[20] ; ces blocs n’ont point été entassés au hasard, tels que les présentait a nature. Les roches calcaires d’où on les a tirés se présentent en couches étendues et non en fragments irréguliers, et là même où on a pu trouver de ces fragments, il a fallu les tailler pour en composer une maçonnerie savante et soignée ; car les masses qui les composent sont ajustées avec art, le joint des pierres est parfait. Ces murs ne sont point de construction barbare, ils sont le produit d’un système inventé pour obtenir par l’habile agencement des angles saillants et rentrants une solidité plus grande. Il eût été moins difficile de superposer des blocs taillés régulièrement ; les murs d’Alatri sont une œuvre de géants, mais de géants adroits.

J’ai appelé sans hésiter ces murs murs pélasgiques, car, si nulle tradition ne rattache l’origine d’Alatri aux Pélasges, une sculpture à demi effacée tient lieu à cet égard des témoignages écrits qui nous font défaut.

En effet, cette sculpture se rapporte visiblement à la religion des Pélasges.

Un de leurs principaux dieux, personnification des forces génératrices de la nature, était Pan, que les Latins primitifs, qui vivaient dans une immense forêt, avaient nommé Sylvain[21], le dieu des bois et qui plus tard, quand les jardins eurent remplacé les forêts, devint le dieu des jardins, Priape, de scandaleuse mémoire.

Or c’est ce dieu lascif et fécondant des Pélasges qui est représenté sur les murs d’Alatri, où se voit aussi reproduit trois fois un signe très expressif des mêmes idées.

Négligeant ce signe que je ne puis qu’indiquer, je m’en rapporterai, pour la signification pélasgique du personnage sculpté sur le mur d’Alatri, à ce que nous fait connaître, avec la conscience d’un antiquaire, en termes un peu voilés par la modestie propre au sexe de l’auteur, madame Dionigi, qui a eu la première en Italie le mérite de publier quelques murailles pélasgiques.

Parlant de la figure barbue, sculptée sur un mur d’Alatri, cette dame dit : On estime que cette figure représente le dieu des jardins, et, en effet, j’ai appris des habitants les plus instruits du lieu qu’il y a vingt ou trente ans s’apercevaient clairement dans la figure certains signes qui étaient favorables à cette opinion[22]. Les habitants affirment que le bas-relief qui se voyait en dehors de la porte était semblable à celui-ci. Malheureusement il ne conserve plus sa forme. Notre opinion est encore confirmée par la coutume qu’avaient les habitants d’Alatri de se porter en foule de ce côté, le lendemain de Pâques, et de mutiler ces bas-reliefs qu’on assure avoir été quelque peu indécents.

Je ne serai pas plus explicite que madame Dionigi, mais, à travers ses réticences et ses regrets, je crois apercevoir la preuve de l’identité de la figure sculptée sur le mur d’Alatri avec le Pan générateur des Pélasges et un indice manifeste de l’origine pélasgique de la cité d’Alatri.

Nous l’avons vu plus haut, les murs pélasgiques cernent Rome, pour ainsi dire ; sur la rive droite du Tibre sont ceux que j’ai indiqués à Pyrgoi ; sur la rive gauche, ceux d’Empulum et de Préneste, pour ne parler que des villes auxquelles on a des raisons d’attribuer une origine pélasgique.

Mais à Rome même on n’en a pas encore trouvé, et cependant, nous allons le voir tout à l’heure, Rome à peu près tout entière a été pélasge ; mais on a beaucoup bâti à Rome depuis les Pélasges ; il n’est pas étonnant que leurs constructions antiques aient disparu sous tant de constructions relativement modernes ; peut-être en trouvera-t-on un jour quelques débris ; peut-être, en fouillant la partie du Palatin où était la citadelle pélasgique, la Rome carrée, découvrira-t-on le mur cyclopéen ; on ne doit désespérer de rien ; n’a-t-on pas découvert, il y a peu d’années, au pied du Palatin, un mur ancien aussi, mais moins ancien, car il ne date que de Romulus.

C’est aussi avant l’époque de Romulus que le Palatin a été taillé à pic ; car dès cette époque on a appliqué aux flancs de cette colline les murs de Romulus. Or des murs rendaient inutiles ces escarpements artificiels, système primitif de. défense destiné à tenir lieu de murailles. On peut donc, dans les escarpements du Palatin, reconnaître les coups du hoyau des Pélasges et des Aborigènes.

Outre les noms de lieux et les débris de murailles, les Pélasges ont laissé encore d’autres monuments de leur présence, ce sont certains cultes et certains mythes importés en Italie, certaines superstitions qui remontent jusqu’à eux et dont quelques-unes vivent encore aujourd’hui dans la crédulité populaire.

Partout où je rencontre, en Italie, le culte d’une divinité pélasge, anciennement établi, je soupçonne tout d’abord que l’origine de ce culte, origine que les écrivains romains ne manquent presque jamais de présenter comme grecque, doit être revendiquée pour les Pélasges.

Car l’introduction des divinités vraiment helléniques provient toujours de communications plus récentes avec la Grèce ; elle est relativement nouvelle et ne saurait expliquer l’établissement d’un culte antérieur à ces communications. Ces cultes antiques des dieux pélasges se montrent ça et là comme les murailles pélasgiques et souvent aux mêmes lieux. Celles-ci sont les débris de l’architecture, ceux-là les débris de la mythologie d’un peuple.

Presque toutes les divinités de la Grèce furent dans l’origine des divinités Pélasges, et presque toutes se retrouvent en Italie où les Pélasges les apportèrent.

On suit à travers l’Italie les pas des Pélasges en suivant les pas d’hercule, qui représente les voyages de leur religion et de leur race[23]. Les vieux sanctuaires et les vieux cultes d’Artémis[24] devenue en Italie Diane, d’Apollon[25], qui a gardé son nom, de Dionysos[26] qui s’est appelé Liber et Bacchus, de Déméter[27] qui s’est appelé Cérès, d’Hermès[28] qui s’est appelé Mercure, cultes et sanctuaires bien antérieurs à l’introduction des divinités helléniques à home, sont autant de témoins sacrés de l’apparition des Pélasges.

Les cultes de deux déesses pélasgiques méritent d’arrêter un moment notre attention. Celui d’Aphrodite la Vénus, et celui d’Hera, la Junon romaine.

Aphrodite, dont les poètes ont fait une si aimable divinité, personnifiait dans l’origine la fécondité universelle de la nature ; à ce trait seul on reconnaît l’idée pélasge. Aussi trouve-t-on son sanctuaire (aphrodisium) sur la côte du Latium servant très anciennement de centre religieux aux peuples latins[29].

La Junon d’Argos, l’Hera pélasgique[30], a été dans une région peu éloignée de Rome l’objet d’un culte dont les analogues avec celui d’Argos n’ont pas échappées aux anciens[31]. C’est dans le pays des Falisques surtout que ces analogies étaient remarquables et frappantes ; or ce pays conservait également d’autres traditions, qui le rattachaient aux Pélasges[32]. La Junon pélasgique était aussi très anciennement honorée à Gabie[33] et sur le mont Albain[34], ainsi qu’à Lanuvium.

Une divinité très certainement pélasgique, c’est Pan, le dieu arcadien, c’est-à-dire le dieu pélasge (Pan Deus Arcadiæ)[35].

Vers l’angle occidental du Palatin, au-dessous de la Rome carrée des Pélasges, était un antre qu’ils avaient consacré à Pan : Pan était le principe de la génération universelle, et comme tel le dieu d’un peuple dans la religion duquel l’idée de la force génératrice était le dogme fondamental. A l’antre Lupercal[36] une tradition célèbre rattacha postérieurement l’allaitement de Romulus et de Remus, précisément parce qu’il avait. déjà une certaine importance religieuse et qu’il était rempli de cette mystérieuse terreur que passait pour inspirer le dieu Pan[37] habitant des forêts, terreur que font naître chez l’homme peu civilisé la solitude et le silence des forêts primitives.

La louve, nourrice de Romulus, a peut-être été imaginée en raison des rapports mythologiques qui existaient entre le loup et Pan défenseur des troupeaux. Ce qu’il y a de sûr, c’est que les fêtes lupercales gardèrent le caractère du dieu en l’honneur duquel elles avaient été primitivement instituées et l’empreinte d’une origine pélasgique ; ces fêtes au temps de Cicéron avaient encore un caractère pastoral[38] en mémoire de l’Arcadie d’où on les croyait venues. Les Luperques qui représentaient les Satyres, compagnons de Pan, faisaient le tour de l’antique séjour des Pélasges sur le Palatin[39]. Ces hommes nus allaient frappant avec des lanières de peau de bouc, l’animal lascif par excellence, les femmes pour les rendre fécondes ; des fêtes analogues se célébraient en Arcadie sous le nom de Lukéia[40] (les fêtes des loups), dont le mot lupercales est une traduction.

On reconnaît l’idée dominante de la religion des Pélasges, cette idée de fécondité qu’exprimaient dans toute sa crudité les grossiers symboles d’Alatri.

L’idée du feu était aussi dominante dans la religion des Pélasges et je les regarde comme les premiers instituteurs d’un culte plus pur, le culte de Vesta[41].

Le culte de Vesta passait pour avoir été introduit à Rome par Numa ; cependant on le croyait antérieur, car on supposait que la mère de Romulus avait été une vestale[42]. Vesta est une autre forme du mot grec Estia ou Vestia, qui veut dire le foyer, le feu ; Vestia avait en Grèce des autels où on entretenait un feu perpétuel[43] ; ce rapport entre Vestia et Vesta, que Cicéron reconnaît[44], est trop grand pour avoir été fortuit ; d’autre part, le culte de Vesta est trop antique à Rome pour qu’on puisse d’attribuer aux communications des Romains avec la Grèce ; il faut donc voir une divinité pélasgique dans la Vesta romaine, comme dans la Vestia grecque ; une divinité grecque et anciennement romaine est nécessairement pélasge.

Les temples de Vesta étaient ronds, parce qu’elle personnifiait non seulement le feu, mais encore la terre[45], ce qui s’explique par les feux que la terre renferme, notion que ne pouvaient oublier les habitants d’un pays où subsistaient tant de traces des anciennes actions volcaniques ; la forme ronde donnée aux temples de Vesta est une allusion à la sphéricité de la terre qui ne saurait remonter aux Pélasges. C’était également, pour d’autres raisons, celle des temples d’Hercule et de Mercure. Les deux temples qui, à Rome, ont été attribués à Vesta sont ronds ou le lurent ; l’un existe encore au bord du Tibre[46], la forme de l’autre est indiquée par l’église de Saint-Théodore, bâtie sur le fondement de l’édifice qui l’a précédée. Mais le temple de Vesta était ailleurs, il se trouvait au pied du Palatin à l’extrémité du Forum, car Servius le dit de la Regia[47] que nous savons avoir été très voisine du temple de Vesta[48].

Le culte du feu était une partie essentielle de la religion des Pélasges, qui le portèrent ou le trouvèrent dans l’île de Lemnos et dans la Samothrace ; ils l’apportèrent à Rome, où il se lia naturellement au souvenir des phénomènes volcaniques dont quelques restes apparaissent dans le premier âge de l’histoire. Ce souvenir dut favoriser l’adoption de la religion du feu ; elle était représentée par Vesta ; par Vulcain[49], dont le nom était aussi celui des volcans, et par les dieux Cabires[50], qui n’avaient point de temple à Rome, mais dont le culte se lie à celui des Pénates[51], et de ces Dioscures, divinités de la mer, identifiées plus tard avec deux héros grecs, Castor et Pollux[52].

A Rome, le lieu choisi pour le culte de ces divinités essentiellement pélasgiques les rattache au Palatin et par le Palatin aux Pélasges, qui y avaient leur forteresse.

En effet, le sanctuaire de Vesta fut de tout temps au pied du Palatin ; là où est aujourd’hui l’église de Sainte-Marie-Libératrice.

Près du temple de Vesta était le temple des Dioscures, dont il reste trois belles colonnes isolées ; à peu prés en face, de l’autre côte du Forum, sous la Vélia, à l’entrée d’un chemin qui conduisait aux Carines[53], le temple des Pénates, toujours mis en rapport avec Vesta dans le sanctuaire de laquelle ils furent admis, et, ainsi que le palladium[54], honoré avec elle ; et non loin de là, au pied du Capitole, le Vulcanal, c’est-à-dire la plate-forme consacrée à Vulcain, et l’autel de ce dieu[55].

On voit que ces monuments, dédiés à d’antiques divinités pélasges, sont tous rapprochés les uns des autres et, pour ainsi dire, dans la dépendance du Palatin ; l’emplacement du Forum romain a donc été un centre de la religion pélasgique.

De l’autre côté du Palatin se trouvait le temple de Cérès, de Liber et de Libera (Bacchus et Proserpine), dédié dans les premiers temps de la république. Il devait y avoir eu là aussi un ancien sanctuaire pélasge, car la Déméter grecque à laquelle on donna le nom de Cérès était d’origine pélasgique[56], et la triade qu’elle formait avec Dionysos et Cora (Liber et Libera) l’était également. Selon Denys d’Halicarnasse, les Arcadiens (I, 33), lisez les Pélasges, fondèrent un temple de Déméter à Rome, et y établirent son culte[57].

En voilà assez, peut-être trop pour le lecteur sur les vestiges des Pélasges à Rome ; mais ces rapprochements, confirmés par la disposition des lieux, ne sont pas, ce me semble, sans importance. N’est-il pas intéressant de retrouver dans la religion des Romains, l’héritage d’une religion plus ancienne et de rapporter l’origine des monuments de leur culte dont nous connaissons la place, dont nous voyons les ruines, au peuple que cette place même désigne comme leur premier auteur ; de reculer ainsi leur première fondation par-delà l’époque de Romulus, jusqu’au temps de ces vieux Pélasges établis sur le Palatin avant lui, et qui ne s’y établirent pas les premiers ; d’ajouter aux souvenirs de Home, déjà si nombreux, de plus antiques souvenirs, de donner à une promenade au Forum un intérêt anté-romain ?

Mais ce n’est pas tout, et un préjugé encore reçu va nous montrer à Rome l’influence des Pélasges persistant, même de nos jours.

Tout le monde connaît la croyance au mauvais œil, tout le monde ; ait que peu de Romains peuvent se défendre d’une certaine inquiétude quand ils rencontrent un homme dont le regard passe pour porter malheur. A cet égard, la démence populaire va si loin, qu’elle attribue cette influence funeste au regard si doux du bon et saint pontife qui gouverne aujourd’hui l’Église, auquel, il faut en convenir, tout n’a pas toujours réussi.

La croyance au mauvais œil, à la fascination, chose remarquable et que j’ai remarquée ailleurs[58], existe en Grèce aussi bien qu’en Italie ; elle existait en Grèce au temps de Théocrite et en Italie au temps de Virgile, alors comme aujourd’hui avec des ressemblances de détails[59] surprenantes. L’analogie des termes par lesquels on désigne la fascination dans les langues des deux pays[60] prouve, pour cette absurdité, en Grèce et en Italie, une provenance commune et une origine antique[61]. S’il y a un peuple auquel il sort vraisemblable d’attribuer l’origine d’une croyance populaire répandue dans l’Italie et dans la Grèce, c’est le peuple à la fois grec et italien, dont les mythes religieux et les constructions gigantesques se retrouvent dans l’un et l’autre pays, depuis l’Acropole d’Athènes jusqu’aux environs de Rome, ce sont les Pélasges[62].

Il n’est pas étonnant que la puissance de nuire par le regard ait été attribuée à cette race qu’on disait maudite. Peut-être les Pélasges eux-mêmes ont-ils adopté et propagé une croyance qui les rendait formidables ; il est donc naturel que cette croyance ait suivi leurs migrations et se soit répandue dans les pays qui en furent le principal théâtre[63].

Ainsi, à Rome le passé le plus lointain touche au présent, ce qui a vécu trente siècles vit encore, une superstition populaire qu’on peut rencontrer chaque jour dans les rues et même dans les salons de Rome est plus ancienne que Rome elle-même.

 

 

 



[1] Dans les uns, on a pris les blocs tels qu’ils se trouvaient, dans les autres, l’art a imité ces irrégularités ; mais il ne faut pas en induire une différence d’origine, car les deux procédés se montrent en Grèce, où ces deux sortes de murs ne peuvent avoir qu’une origine, et une origine pélagique. En Italie la même ville, Cori par exemple, présente l’un et l’autre système.

Quant à ceux qui prétendent que ces murs ne remontent pas au delà de l’époque romaine, leurs arguments me semblent sans valeur. Parce qu’on a bâti dans le système polyédrique au temps de la république et jusque sous l’empire, on n’en doit pas conclure qu’un système de construction qu’on trouve au mont Ida, à l’acropole d’Athènes, là où furent les plus vieilles villes de la Grèce et de l’Italie, ne date que des Romains.

On a imité le pélagique comme nous imitons le gothique , comme Auguste faisait de l’étrusque, en  élevant l’enceinte de son Forum. Dans une rue, à côté de ce Forum, j’ai vu la disposition étrusque reproduite sur la façade d’une maison qui n’a pas cent ans : il ne s’ensuit pas que les murs du Fiesole soient d’hier : et de ce que le roi de Bavière a employé le système pélasgique dans sa Valhalla de Ratisbonne, il ne suit pas que les murs de Tyrinthe et d’Alatri ne soient point l’œuvre des Pélasges.

[2] On a cherché à expliquer la différence du système polygonal et du système rectangulaire par la différence des matériaux. Là où la pierre est calcaire, dit-on, on a employé le premier ; là où elle est volcanique et par suite plus facile a tailler en rectangles réguliers, en a employé le second.

Mais les faits ne s’accordent point avec cette explication tirée de la néologie ; il y a à Ampiglione des murs à polyèdres de tuf volcanique. (Dennys, Sep. of Etr., II, 285-6.)

[3] Tombe regulini galassi (Dennys, Sep. of Etr., II, 46).

[4] Ces divers monuments, également pélasgiques, présentent de même une fausse voûte sans clef, formée par des pierres qui vont s’avançant toujours davantage l’une vers l’autre jusqu’à ce qu’elles se réunissent au sommet. M. Bleewitt, auteur de l’excellent guide pour l’ Italie méridionale, de la collection Murray, déclare avoir été frappé d’une ressemblance du même genre entre la porte triangulaire d’Arpinum, ville aux murs pélasgiques, et la galerie de Tyrinthe. Guide for s. Ital., 50.

[5] Voyez Dennys, Sep. of Etr., II, 121.

[6] L’Ida, mont de Dardanus, lequel, symbole de la race pélasgique, lie par ses migrations l’Italie à la Grèce et à l’Asie (voyez, pour les murs de l’Ida, Probesch, Ann. dell’ ist. archeol., 1834, p. 197, et, pour les autres, Dodwell et les voyages en Grèce de Leake et de Mure).

[7] Les Grecs se représentaient les populations de l’Italie, en allant du sud au nord, dans l’ordre suivant : les Œnotriens, les Tyrrhéniens, les Ligures (vers du Tripolème, de Sophocle, cité par Denys d’Halicarnasse, I, 42) ; le nom d’Œnotria fut donné d’abord à une portion de l’Italie méridionale, puis, par extension, à l’Italie tout entière. Il en fut de même du nom d’Italia, dont la progression vers le nord indique celle des Pélasges ; car Italus était le frère d’Œnotrus, et par conséquent descendant comme lui de Pélasges. (Serv., Æn., I, 552.) On donne encore pour frère à Œnotrus Iapyx, Peucetius et Daunius, ce qui rattache aux Pélasges les Yapiges, les Peucétiens et les Dauniens, peuples de l’Italie méridionale, dans laquelle Niebuhr et M. Mommsen ont trouvé des traces d’un dialecte grec primitif, anté-grec, qui ne peut être que le pélasge. On suit ce rameau des Pélasges jusque dans la Sabine que Servius (Æn., VII, 85) appelle la terre des Œnotriens. Ces Pélasges y viennent rencontrer, non loin de Rome, l’essaim parti dos embouchures du Pô, et qui s’est avancé en sens contraire ; là où les deux se réunissent, abondent les murs pélasgiques. Toutes ces indications qui s’accordent si bien permettent, ce me semble, de croire aux Pélasges en Italie, et d’admettre la tradition d’après laquelle ils seraient venus à Rome.

Les Ausoniens, appartenant peut-être aussi à la famille des Pélasges, paraissent être plus anciens en Italie que les Œnotriens, et ont été identifiés (Aristote, Rép., VI, 7, 5) avec une portion de la population indigène qu’on désignait par le nom assez vague d’Opiques, nom qui, contracté en Osques, fut celui de l’idiome parlé par les peuples qui la subjuguèrent.

[8] Dennys, Sep. of Etr., II, 264.

[9] Ibid., II, 271.

[10] Ibid., II, 319.

[11] Ibid., II, 248.

[12] On le sait positivement de Cære (Strabon, V, 2), et pour Pvrgoi, son nom grec le prouve. Je ne sache pas qu’on ait découvert de murs vraiment pélasgiques près de Cære. Mais on a observé dans la porte d’une tombe (Dennys, Sep. of Etr., II, p. 461) cette disposition des assises se rapprochent de manière à former une fausse ogive qui a été remarquée dans des monuments pélasgiques de l’Italie et de la Grèce (Voyez plus hart).

[13] A Alba et à Luco près du lac Fucin, à Civita d’Antino.

[14] A Alatri, Feremino, Civitella, Veroli.

[15] A Atina, Arpino, Sora, Segni, Cori, Norma, Monte-Fortino.

[16] A Bojano, Alficena, Iseruia, près de Fonte del Romito.

[17] Cependant on les a indiquées sur un point de cette route de Pélasges, à Spolète, Abeken, Mittel-ital.

[18] A San Vittorino, Sant Angelo in Capoccia, Monte di Lesta, Torano, près de Correse, dans la vallée d’Ampigliano, et sur plusieurs points du district de Cicolano.

[19] Prés de Siciliano, à Ampiglione, est un mur pélasgique de cinq cents pieds. (Nibby, Dint., II, 10.) A Frascati, on voit, dans le jardin de la villa Muti, un beau morceau de mur à polyèdres ; mais on a reconnu qu’il était moderne, c’est-à-dire, quand il s’agit de ce genre de constructions, qu’il ne remontait pas plus haut que le temps de la République et servait probablement à supporter une des terrasses de la villa romaine que la villa Muti a remplacée. Nibby (Dint., I, 255) signale pris de Lariccia de très antiques substructions formées de masses irrégulières de pépérin, et, sur le mont Algide (ibid., p. 122), une enceinte composée de tétraèdres irréguliers qu’il compare à ceux des murs d’Ardée.

[20] Ces mesures ont été prises sous mes yeux par mon savant confrère M. Noël Desvergers, avec lequel j’ai eu le plaisir de faire une visite aux villes Pélasgiques du pays des Herniques et des Volsques.

[21] Pana dicunt græci, Sylvanum latini. (Isid., Etym., VIII, 81 ; Plut., Parall., XXII.) Le dieu Sylvain, protecteur, comme Pan, des champs et des troupeaux, et auquel, selon Virgile (Æn., VIII, 597), les Pélasges avaient dédié un sanctuaire pris de la ville pélasgique d’Agylla, n’était autre que le dieu Pan lui-même avec un nom latin.

[22] Le même emblème de fécondité a été observé en plusieurs endroits dans la Sabine, l’Ombrie, l’Étrurie, le Latium, partout il est comme le seing Au peuple pélasge. On sait les honneurs qui lui étaient rendus dans l’antiquité, particulièrement à Lavinium, où il était porté processionnellement et couronné par la plus respectable des matrones. Des restes de ce culte étrange, d’origine pélasgique, et qui subsiste même au sein du christianisme, ont été signalés par un voyageur dans l’ancienne ville d’Isernia que des débris de murs polyédriques prouvent avoir été pélasge. (Murray, Hand-book for South Italy, p. 36.)

[23] Voyez ch. VIII.

[24] L’Artémis pélasgique dont les sanctuaires étaient plus nombreux en Arcadie que dans aucune autre partie de la Grèce. (Dict. of gr. and rom. biogr. and Myth., éd. by W. Smith, t. I, p. 375.)

[25] L’Apollon pélasgique, protecteur des troupeaux comme Pan, avec lequel on l’identifiait, est l’Apollon berger sur l’Ida ou qui garde les troupeaux d’Admète en Thessalie. C’était l’antique gardien du Soracte (Virgile, Æn., XI, 785), montagne dont le nom est pélasge.

[26] Dieu dont les plus anciennes images montrent l’identité primitive avec le Pan générateur, principale divinité des Pélasges, et dans le culte duquel jouait un grand rôle le très pélasgique signe d’Alatri. (Hérodote, II, 48.)

[27] Elle présidait a la fertilité de la terre et à la fécondité des mariages (Serv., Æn., IV, 58), double aspect de la même idée, qui est l’idée mère de la religion pélasgique.

[28] Le plus ancien culte d’Hermès nous reporte en Arcadie où Lycaon, fils de Pélasgus, lui érigea son premier temple (Hyg., Fabl., 225) ; selon Hérodote (II, 51), les Athéniens avaient reçu des Pélasges le culte d’Hermès.

[29] De bonne heure elle porte dans le Latium le nom de Vénus accompagné des épithètes Murtia ou Murcia, Cloacina, libitina ; déesse de la fécondité, elle présidait aux jardins et aux vendanges. L’Aphrodite pélasge est la Vénus genitrix des Romains.

[30] La Junon pélasge est la Junon d’Argos où elle avait deux temples ; c’est celle de Rome que Properce appelle Juno pelasga. Elle est la déesse du mariage et des accouchements. Dans ce dernier cas elle se nomme Junon-Lucine.

[31] Denys d’Halicarnasse, I, 21.

[32] Faliscos Argis onos auctor est Cato. (Pline, Hist. nat., III, 5, 8.)

[33] Virgile, Æn., VI, 678.

[34] La Junon, en style archaïque, armée et portant une peau de chèvre, qui est au Vatican, peut être prise comme un type de la Junon pélasgique et vient de Lanuvium.

[35] Jupiter, le grand dieu des Hellènes et des Italiotes latins, Sabins et Étrusques est par cela seul originairement un dieu pélasge. Le souvenir de sa représentation la plus antique, antérieure à l’époque des statues, s’était conservée au Capitole dans la pierre avec laquelle on frappait les victimes, c’était le Jupiter-pierre (Serv., Æn., VIII, 641) par lequel on jurait encore au temps de Polybe (III, 25) et de Cicéron (Ep. ad fam., VII, 12) ; des pierres informes d’abord, puis équarries, furent les idoles primitives de la Grèce (Pausanias, XVII, 22, 4.)

[36] Denys d’Halicarnasse l’appelle Paneion. Il est remarquable que la grotte de Pan, le Paneion d’Athènes près duquel coulait une source, fut placée dans le voisinage du mur pélasgique de l’Acropole, comme l’antre Lupercal était au-dessous de la Roma quadrata, qui était l’Acropole pélasgique.

[37] Lycæo quem Pana græci, romani Lupercum appellant (Justin, XLIII, 1) ; parrhasio dietum Panos de more Lycæi (Æn., VIII, 544).

[38] Cicéron, Pro Cœl., II, 26 ; Plutarque, César, 61.

[39] Lupercis nudis lustrabatur antiquum oppidum Palatium. (Var., De ling. lat., VI, 34.)

Ces paroles de Varron doraient à penser que les Luperques faisaient le tour, non da la colline, ce qu’il ne dit point, mais de l’ancien Oppidum du Palatin. c’est-à-dire de la Roma quadrata des Pélasges. C’est le petit village arcadien que Solin appelle Oppidum (Sol., I, 1), dont parle Denys d’Halicarnasse (I, 31), et la petite ville d’Œnotria que mentionne Tzetzés (Ad Lycoph., Cass., v. 912 ; Duc de Luynes, le Nummus de Servius Tullius, p. 29), car les Arcadiens et les Œnoriens étaient des Pélasges.

[40] Pausanias, VIII, 2, 1.

[41] Malgré sa pureté, ce culte participait au caractère général de la religion pélasgique. Qui Deus (fascinus) inter sacra romana à Vesta libus colitur. (Pline, Hist. nat., XXVIII, VII, 4.) Le feu et l’eau qui figurait aussi dans ce culte étaient par leur union le symbole de la fécondité et consacraient les mariages. (Denys d’Halicarnasse, II, 30.)

[42] Ce qui le prouve encore mieux, c’est qu’on renouvelait le feu de Vesta le 1er mars, jour où commençait l’année de dix mois antérieure à Numa. (Macrobe, Saturnales, I, 12.)

[43] On entretenait un feu perpétuel à Argos, à Olympie (Pausanias, V, 15, 8), et dans le temple de Déméter, qui était prise pour la terre comme Vesta, à Mantinée, en Arcadie (Maury, Des religions de la Grèce antique, I, 101), et l’on avait grand soin de ne pas laisser éteindre ce feu. (Pausanias, VIII, 9.) A Athènes et à Delphes, l’Hestia était confié à des veuves qui ne pouvaient se remarier (Plutarque, Numa, IX), elles s’appelaient Hestiades.

[44] Nam Vestæ nomen a Græcis est, ea enim est quæ ab illis (έστία) Hestia dicitur. Cicéron, De nat. deor., II, 27.

[45] Ovide, Fastes, VI, 267. Euripide dit la même chose de l’Hestia grecque. (Macrobe, Saturnales, I, 23.)

[46] Il est fort douteux que ce joli temple rond soit un temple de Vesta. Aucun temple de Vesta n’est indiqué par les anciens aux bords du Tibre. Celui dont parle Horace et qu’il dit atteint par le débordement du fleuve ne pouvait en être si près, car, en ce cas, il n’y aurait eu au débordement rien d’extraordinaire. D’ailleurs Horace mentionne en même temps la Regia, c’est le sens de monumenta Regis, il s’agit évidemment du temple de Vesta qui était près du Forum, à côté de la Regia. Qui l’ignore ? dit Servius, on pourrait lui répondre : Ceux qui placent le temple de Vesta à San Teodoro, assez loin des limites du Forum.

[47] Le charmant temple rond de Tivoli, appelé sans motif temple de la Sybille, pourrait bien cotre un temple de Vesta. Il y avait des Vestales à Tibur et on y rendait un culte particulier à Hercule, culte pélasgique comme celui de Vesta.

[48] Quis enim ignorat Regiam, ubi Numa habitaverit, in radicibus palatii finibusque fori esse ? (Serv., Æn., VIII, 363.)

[49] Par le saut à travers le feu dans les fêtes en l’honneur de Palès, usage dont on remarquerait la persistance à Rome s’il n’était suivi par les polissons de tous les pays.

[50] Selon Denys d’Halicarnasse (I, 23), les Cabires étaient des divinités honorées par les Pélasges, qui, d’après Hérodote (II, 51), fondèrent ce culte dans la Samothrace.

[51] Les Cabires étaient en rapport avec la religion du feu, car ils étaient petits-fils de Vulcain. (Strabon, X, 3, 21.) Quand venait la fête des Cabires, tous les feux étant considérés comme impurs, on allait chercher un feu pur à Délos. On renouvelait de même chaque année le feu d’Hestia et de Vesta.

[52] Par la Samothrace, d’où on les disait venus. (Serv., Æn., II, 325 ; III, 148. Macrobe, Saturnales, III, 4.)

[53] Pausanias, X, 38, 3. Serv., Æn., II, 12. Les Dioscures, dieux des navigateurs, avaient présidé aux navigations errantes des Pélasges. Denys d’Halicarnasse, I, 68.

[54] Statue antique le Pallas Athéna, qu’on disait venue de Troie, dont Athéna était la principale divinité, ce qui en fait une divinité pélasgique. Le palladium se rattachait encore aux souvenirs des Pélasges par Dardanus, représentant de cette race, qui avait d’abord possédé le palladium, et par la Samothrace, île pélasgique où il l’avait porté.

[55] Je suppose toujours que les sanctuaires, quelle que soit leur date, remplaçaient, comme c’était l’ordinaire, un sanctuaire plus ancien des mêmes divinités.

[56] A Argos fut un temple de Déméter pélasge. (Pausanias, II, 22, 1.)

[57] Le temple de Cérès, que je suppose avoir remplacé l’ancien temple de Déméter, ne pouvait, comme on le suppose, être sur l’emplacement de Santa-Maria in Cosmedin, où l’on voit des colonnes antiques qu’on dit à tort avoir fait partie du temple de Cérès. Ce temple était tout à l’entrée du cirque et au-dessus des Carceres (Denys d’Halicarnasse, VI, 94), par conséquent sur les premières pentes de l’Aventin.

[58] La poésie grecque, en Grèce. (58-9.)

[59] Pour conjurer l’effet du mauvais œil, il fallait cracher (Théocrite, VI, 39 ; Pline, Hist. nat., XXVIII, 7), et pour rassurer une mère grecque dont on a trop admiré l’enfant, il faut cracher sur cet enfant.

[60] Fascinum, en latin ; bascania, en grec.

[61] Les Telchines, personnages pélasgiques, sont appelés par Suidas bascanoi, fascinant par le regard ; vitiantes omnia visu, dit Ovide. (Métamorphoses, VII, 366.)

[62] Les Grecs disaient que la fascination n’était pas une chose hellénique.

[63] Le moyen employé à Rome pour détruire le charme jeté par le mauvais œil, et qui consiste à faire les cornes, paraît tenir à ce symbolisme difficile à exposer de la religion pélasgique, et auquel j’ai fait allusion en parlant d’un certain signe répété trois fois sur un mur d’Alatri. N’ayant ras pour me tirer d’affaire les naïves indications de madame Dionigi, je ne désignerai pas plus clairement ce signe que devineront les archéologues. Je dirai seulement que l’idée de corne paraît avoir représenté une autre idée, ce que Pline (Hist. nat., XIX, 19,1) désigne par ces mots Satyrica Signa. Dans un passage de saint Augustin auquel il a été fait allusion plus haut, la singulière procession de Lavinium avait pour objet de préserver (saint Augustin le dit) les champs de la fascination, et cela par la même raison qui faisait figurer trou fois l’objet dort la corne était le synonyme, comme un signe protecteur, à l’entrée de la ville d’Alatri.