L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

V — LES ABORIGÈNES ET LES PÉLASGES.

 

 

Il est une race mystérieuse qui figure aussi parmi celles qui ont habité le sol sur lequel Rome devait être fondée : c’est la race antique des Pélasges.

Les Pélasges ne s’arrêtaient nulle part ; nation errante et maudite, ils allaient é travers le monde. Ce peuple superbe avait refusé d’acquitter une offrande vouée aux dieux, et le courroux des dieux les poursuivait. Là où voulaient se fixer les Pélasges, des maladies les frappaient : leurs terres, leurs troupeaux, leurs femmes devenaient stériles ; s’il leur naissait des enfants, ces enfants étaient maléficiés. Parmi ses calamités, ce peuple était grand ; il prenait et bâtissait des villes ; il remportait des victoires ; il avait la domination des mers.

Son nom était prononcé par les anciens avec un mélange de respect et d’effroi : les Pélasges sont les Titans de l’histoire.

Ce Juif-Errant des peuples était aussi un peuple Prométhée. Comme Saturne, qui lui-même aussi représentait peut-être une très ancienne migration pélasgique, le peuple pélasge avait tiré les hommes des forêts, il avait apporté en Italie les lettres, il avait enseigné aux montagnards de la Sabine à bâtir des villes.

Voici les principaux traits de la migration errante des Pélasges[1]. Partis d’Argos, ils allèrent dans la Thessalie, puis se dispersèrent dans les îles[2] ; d’autres s’établirent dans l’Asie mineure. Ils se répandirent aussi dans la Macédoine et l’Épire. Un oracle leur prescrivit d’aller chercher la terre de Saturne. Poussés par les vents dans l’Adriatique, ils abordèrent vers les embouchures du Pô, traversèrent en combattant l’Ombrie, firent alliance avec les Aborigènes près d’un lac où était une île flottante, dans ce qui fut plus tard la Sabine, puis occupèrent quelques villes de l’Étrurie, le pays intermédiaire entre la Sabine et l’Étrurie ; enfin, toujours avec les Aborigènes, ifs s’établirent sur les collines qui devaient être Rome.

A part les contrées indiquées dans ce récit comme ayant été visitées par les Pélasges, on les trouve dans beaucoup de pays, dans l’Attique, en Arcadie. Niebuhr n’admettait pas qu’on pût suivre leurs courses d’une manière certaine, mais il reconnaissait leur présence sur une foule dé points de la Grèce, de l’Asie mineure et de l’Italie, et concluait eu disant : Il fut un temps où les Pélasges, qui formaient peut-être le plus grand peuple de l’Europe, habitaient depuis le Bosphore jusqu’aux bords de l’Arno.

Les Pélasges étaient un rameau de la race grecque[3], plus ancien que les Hellènes, et qui n’avaient point participé à la civilisation hellénique leur langage était originairement grec, bien que devenu assez différent à cause de leur antiquité et de leur séparation des Hellènes pour qu’Hérodote, écrivant dans un temps où la philologie comparée n’existait pas, ait pu dire qu’ils parlaient un idiome barbare.

Mais on ne saurait traiter des Pélasges sans traiter des Aborigènes.

Les Aborigènes apparaissent pour la première fois dans le pays Sabin ; ils sont représentés comme les alliés des Pélasges[4], avec lesquels, à cause de leur étroite association, on les a confondus parfois.

On les a confondus également avec les peuples Autochtones[5] du Latium à cause de leur nom, qui semblait signifier indigène, matis dont le sens peut avoir été tout différent ; l’histoire ne tonnait pas les Aborigènes avant la venue des Pélasges.

Les Aborigènes furent chassés des environs de Rieti par des Sabins descendus d’Amiternum, non loin du lac Fucin, mais eux-mêmes, venant de la contrée sabine, doivent être considérés comme d’autres Sabins[6].

Ceux des Pélasges qui s’étaient établis avec eux furent poussés en même temps par cette descente terrible des montagnards de l’Apennin, et c’est ainsi que les deux peuples se trouvèrent jetés sur les Sicules et les Ligures. Ces premiers occupants du pays semblent avoir été associés comme l’étaient les Aborigènes et les Pélasges. Ceux-ci attaquèrent d’abord ensemble la grande nation des Ombriens, les anciens adversaires des Pélasges, qui occupaient alors une partie de l’Étrurie, leur prirent plusieurs villes, puis en enlevèrent d’autres aux Sicules sur la rive gauche du Tibre, arrivèrent ainsi à Rome ou plutôt, car il n’y avait pas encore de Rome, à la ville bâtie sur le Palatin et l’Esquilin par les Sicules et les Ligures, et s’en emparèrent. Il n’est dit nulle part que les Pélasges soient venus à Rome, mars nous y reconnaîtrons des signes incontestables de leur passage ; d’ailleurs, unis aux Aborigènes pour conquérir sur les Si cules les pays voisins du Tibre, ils ont dû les suivre jusque là.

Ceux qui ont chassé les Sicules et les Ligures du Septimontium sont appelés Sacrani.

Les Sacrani sont des Aborigènes[7] venus de Rieti dans la Sabine[8] et par conséquent Sabins. Ce mot sacrani ne désigne point un peuple en particulier, il désigne l’émigration singulière que les anciens appelaient ver sacrum, printemps consacré. Pour conjurer le courroux céleste manifesté par une contagion ou par quelque autre calamité, on vouait par avance aux dieux ce que le printemps produirait, plantes, fruits, animaux, enfants. Dans l’origine tout était probablement matière de sacrifice, les enfants comme le reste ; quand les mœurs commencèrent à s’adoucir, on se contenta d’offrir aux dieux irrités les animaux et les fruits ; mais, pour accomplir le vœu en quelque manière, on chassait du pays les enfants devenus adultes, qui allaient chercher une terre pour s’établir. Cet usage du printemps consacré était connu des Grecs et de plusieurs peuples d’Italie[9] ; on le voit établi plus particulièrement chez les Sabins[10]. Commun à la Grèce et à l’Italie, il doit avoir été apporté par les Pélasges[11], et c’est d’eux que les Aborigènes sabins, leurs alliés, ont dû le recevoir. C’était donc à un printemps consacré des Sabins que s’étaient associés les Pélasges.

Je reviens aux Pélasges.

L’histoire de leurs migrations nous a conduits à quelques lieues de Rome qui n’existe pas encore ; ceux-là étaient entrés en Italie par le nord, mais les Pélasges, sous le nom d’Œnotriens[12] et sous d’autres noms, pénétrèrent aussi dans la Péninsule par son extrémité méridionale ; ils s’avancèrent ainsi vers Rome de deux côtés, sans compter les débarquements qu’a dû opérer sur les côtes ce peuple navigateur, et dont quelques-uns ont pu l’amener directement sur le rivage du Latium.

La présence des Pélasges en Italie y a laissé plusieurs sortes de vestiges : les noms de villes et les autres noms de lieux à physionomie grecque, certains cultes anciens d’origine pélasgique ; enfin ces murs encore debout qui mettent pour ainsi dire sous nos yeux la puissance et la grandeur de cette nation disparue.

Il faut se défier des origines grecques attribuées aux villes d’Italie, par cette prétention et cette mode de tout faire dériver du grec, dont Denys d’Halicarnasse, un rhéteur grec, a donné surtout l’exemple ; mais je pensé qu’il est souvent arrivé qu’on a remplacé par une origine grecque une origine pélasgique, mettant ainsi une fausse science à la place d’une tradition vraie. La confusion était facile à une époque où l’on adorait les Grecs et où l’on avait presque oublié les Pélasges : comme je l’ai dit, les Pélasges étaient les frères aînés des Grecs et devaient parler un dialecte plus ancien de la même langue[13].

Quand je trouve en Italie des noms de lieux anciens dont la racine est grecque, je suis forcé de les faire remonter aux Pélasges et de dire : les Pélasges ont passé par là. Ainsi, pour ne parler que de lieux situés à peu de distance de Rome : Politorium[14], Empulum[15], Nomentum[16], Cora[17], Alsium[18], le lac Alisietinus, Pyrgoi...[19], le Soracte[20], dont le nom veut dire en grec le monceau escarpé ou plutôt l’escarpement du monceau, ce qui peint très bien cette masse abrupte et isolée dans la campagne romaine ; tous ces lieux ont été nommés et par conséquent habités par les Pélasges.

A Rome même, plusieurs noms de localités montrent la présence des Pélasges, par exemple les noms du Vélabre et de la Velia.

Helos ou Velos signifie en grec marais[21]. Diverses villes, en Italie et en Grèce, se sont appelées Élis, Élea, Vélia, et toutes sont situées dans des contrées marécageuses[22].

Le nom du Velinus (Velino), fleuve de la Sabine, pays qui a vu les Pélasges, a la même origine ; la contrée traversée par cette rivière est marécageuse, et l’était encore plus, avant que les Romains, ouvrant aux eaux du Velinus un écoulement dans la Sera, eussent par là créé la cascade de Terni.

A Rome, comment ne pas retrouver, malgré des étymologies peu sérieuses. comme le sont en général celles des anciens[23], cette racine velos dans le nom du Vélabre qui était un marais ?

Il en est de même de la Velia, éminence qui s’élevait autrefois, plus qu’elle ne fait aujourd’hui, à l’extrémité du Forum ; or nous savons que le Forum a été, dans l’origine, couvert presque tout entier par des eaux stagnantes.

Ce que j’ai dit des noms de lieux, dont l’origine est grecque et, par conséquent lorsqu’ils sont anciens, ne peut se rapporter qu’aux Pélasges, s’applique au nom de Rome elle-même.

Ce nom Roma n’a pas de sens en latin, en grec il veut dire Force ; cela seul nous conduit à l’attribuer aux Pélasges[24].

Je crois que ce nom fut donné d’abord par eux à une enceinte fortifiée placée à l’angle occidental du Palatin, enceinte qui, en raison de sa forme, fut appelée Roma quadrata, Rome carrée ; il ne faut pas confondre cette Rome carrée des Pélasges, qui n’occupait qu’un angle du Palatin, avec la Rome de Romulus, qui embrassait ce mont tout entier et n’était pas plus carrée que lui[25]. La Rome carrée était dans l’origine, dit Festus[26], un lieu entouré d’un mur de pierre ; cela ne veut-il pas dire un lieu fortifié, un oppidum, mot par lequel la Rome carrée est aussi désignée ?

Les Pélasges avaient fait là comme à l’acropole d’Athènes, où ils avaient construit le mur appelé pelasgicon.

On sait positivement où était la Rome carrée sur le Palatin et on peut mesurer, à très peu de chose près, son étendue.

La religion des origines en avait conservé la mémoire, et au troisième siècle de notre ère la tradition précisait l’emplacement de cette enceinte, où l’on déposait les choses de bon augure pour la fondation d’une ville.

La Rome carrée commence, dit Solin[27] qui la confond avec la Rome de Romulus[28], au bois du temple d’Apollon, et se termine au sommet de l’escalier de Cacus, là où est la cabane de Faustulus.

Le temple d’Apollon, dont on a pu par des débris qui ne sont plus visibles[29], mais qui l’ont été, déterminer la plate sur le Palatin, était voisin de la maison d’Auguste, et plusieurs chambres de cette maison existent dans la villa Mills. On sait donc exactement ois commençait au sud la Rome carrée. L’escalier de Cacus était nécessairement tourné vers l’Aventin, séjour de Cacus ; la Rome carrée longeait le bord du Palatin qui regarde cette colline, elle se terminait où se termine le Palatin lui-même : c’était donc à l’extrémité occidentale de la colline du côté du Vélabre, là où se trouvait la cabane de Faustulus ; la cabane de Faustulus, père nourricier de Romulus, était la même que la cabane de ce roi que l’un croyait avoir conservée. Un des côtés d’un carré étant donné, la longueur des trois autres se déduit mathématiquement de la longueur du premier. Canina l’évalue à huit cents pieds, et le pourtour de l’enceinte a plus d’un demi mille romain. Il a cru en reconnaître encore l’emplacement par l’élévation du terrain plus grande en cet endroit.

La Rome carrée des Pélasges occupait donc l’angle occidental du Palatin. Grâce à l’indication de ses limites, traditionnellement conservées par la religion qui les avait consacrées, on peut, sans trop d’in vraisemblance, tracer pour ainsi dire le plan, et faire avec quelque probabilité le tour de la Rome primitive, de Rome à l’état d’embryon.

De Rome, ai-je dit, j’ai enfin appelé Rome par son nom ; ce nom que jusqu’ici je n’osais lui donner parce qu’elle ne le portait pas encore ; maintenant une très petite partie d’elle-même, il est vrai, a commencé à le porter. Roma est bien peu de chose, mais il y a une Roma.

Ainsi le peuple pélasge a eu l’honneur d’être le parrain de cet enfant qui devait, quand il aurait atteint l’âge viril, gouverner le monde.

Ce nom est le plus grand vestige des Pélasges à Rome, où il ne leur a pas été donné d’en laisser beaucoup d’autres, Mais celui-ci n’a pas été effacé ni même altéré par le temps. Aussi durable, aussi indestructible que les murs élevés par ce peuple, dont la destinée était de périr après avoir fondé des monuments impérissables, le nom de Rome est presque le seul, parmi ceux des villes anciennes d’Italie, qui ne se soit pas modifié en traversant les siècles. Florentia s’est changée en Firenze, Neapolis en Napoli, Bononia en Bologna, Mediolanum en Milano ; Rome s’appelle encore, et, on peut le croire, s’appellera toujours Roma.

La destinée a fait de ce nom de Roma, la force, un symbole magnifique ; clans l’origine il n’exprimait vraisemblablement d’autre idée que celle de fort ou forteresse[30]. C’était la forteresse de la ville pélasgique et sabine qui prit de là son nom, ville que j’espère pouvoir reconstituer en recherchant sur les collines de Rome les traces de l’occupation commune de ces collines par les Pélasges et par les Aborigènes.

C’est remonter assez haut. Cependant nous n’avons pu nous arrêter aux Pélasges et aux Aborigènes, il a fallu pousser plus avant et aller jusqu’à leurs devanciers les Sicules et les Ligures. Plus on s’enfonce dans les origines de Rome, plus on voit s’ouvrir des lointains effrayants ; il semble qu’on n’arrive jamais au premier âge de cette étonnante création. L’historien éprouve quelque chose de la stupeur du géologue, qui découvre dans les profondeurs de la terre des couches de terrain et des espèces d’êtres toujours plus anciennes. La ville qui s’appelle encore éternelle, parce qu’elle croit ne jamais finir, semble devoir aussi s’appeler éternelle parce qu’elle n’a pas eu de commencement.

Telle est, d’après des témoignages que je ne vois nul motif de rejeter, la position de la première Rome. Pour moi ce coin du Palatin est le vrai berceau de la ville extraordinaire dont j’écris l’histoire.

Quand je regarde cette colline isolée du Palatin qui, de ce côté, m’apparaît hérissée de broussailles et a repris un peu de l’aspect sauvage qu’elle devait avoir quand une tribu du peuple errant s’y reposa ; je songe à ce peuple étrange des Pélasges, je le vois comme s’il était là devant moi, respirant un moment de ses calamités, puis reprenant sa course sous la malédiction qui suit partout.

 

 

 



[1] Denys d’Halicarnasse, I, 19.

[2] Les Pélasges sont particulièrement indiqués en Crète, à Lemuos et dans la Samothrace.

[3] Ce qui prouve que les Pélasges se considéraient comme Grecs, c’est que ceux d’Agylla, en Étrurie, avaient un trésor à Delphes, centre religieux des populations helléniques. (Strabon, V, p. 220, éd. Casaub.)

[4] Selon Denys d’Halicarnasse (I, 20) les Aborigènes unis aux Pélasges fondèrent diverses villes dont le nom montre évidemment l’origine pélasgique, Alsium, Agylla, Pise.

[5] Catil., VI. Les Aborigènes ne sont point les habitants originaires du Latium ; ils viennent du dehors, de la Sabine, selon le témoignage de Denys d’Halicarnasse, seul témoignage détaillé qui les concerne. A cela près, tout est vague et confus dans leur histoire. Leur nom était employé proverbialement pour désigner une haute antiquité, à peu près comme nous employons en français le mot gaulois ; mais l’identité des Aborigènes et des habitants primitifs du Latium est démentie par Denys d’Halicarnasse qui les montre bien après l’époque de Saturne, s’alliant dans la Sabine aux Pélasges, soumettant et chassant les Sicules. Quoi de plus différent, d’ailleurs, que la préposition in dans indigente et la préposition ab dans aborigènes ? Aussi a-t-on cherché à ce mot d’autres étymologies. Justin, qui voit dans les Aborigènes les premiers habitants de l’Italie, dit qu’ils furent nommés ainsi parce qu’ils étaient errants. Ceux qui admettaient cette étymologie les appelaient Aberrigènes (Orig. Gent. rom., IV). Une autre étymologie tirait leur nom d’ab et d’oros, en grec montagnes, les Aborigènes seraient les enfants des montagnes : le mot oros (montagne) aurait été introduit dans leur langue par leurs alliés les Pélasges.

[6] Je crois qu’on a eu raison d’identifier, d’après Servius (Æn., I, 6) les Aborigènes avec les Casci, mot sabin, dit Varron, qui voulait dire ancien. (De ling. lat., VII, 28), — Une petite ville de la Sabine porte encore le nom de Çascia ; — mais, malgré le vers d’Ennius cité par Varron :

Quam prisci Casci populi tenuere latini,

je pense, d’après ce qui précède, qu’il ne faut pas voir comme on le fait généralement dans les Casci les anciens Latins, mais d’anciens Sabins. Prisci quirites, Virgile, Æn., VII, 710.

On met ces prétendus anciens Latins à Nomentum (Serv., Æn., VI, 773) et dans d’autres villes sabines.

[7] Denys d’Halicarnasse, I, 16.

[8] Paul Diacre, p. 320.

[9] Les Mamertins (Festus, p. 158) ; les Ardéates, qui aliquando, cum peste laborarent, ver sacrum voverunt, unde sacrani appellati sunt.

[10] Ut olim crebro Sabini factitaverunt (Varron, De re rust., III, 16).

[11] Denys d’Halicarnasse le leur attribue formellement (I, 23).

[12] Les Œnotriens, qui viennent du sud, sont des Pélasges, car leur chef Œnotrus est un petit-fils de Pélasgus. Ils fondèrent en Campanie une ville de Larissa. Ce mot est pélasge, il désigne une forteresse et se retrouve dans plusieurs pays que les Pélasges ont habités, notamment en Thessalie. De plus les Grecs établis dans l’Italie centrale appelaient leurs serfs pélasges. (Étienne de Byzance, s. v. χϊοι).

[13] Hérodote dit (I, 57) que les Pélasges parlaient une langue barbare. Mais au temps d’Hérodote, on n’avait aucune idée de ce qui constitue l’affinité réelle des langues. Cette science est toute moderne et elle ne s’est perfectionnée que de nos jours. César, qui avait écrit sur la grammaire, mais non sur la grammaire comparée , car les anciens n’eussent pas daigné comparer entre eux et encore moins avec le latin et le grec des idiomes barbares, César (de Bel. Gall., I, 1) ne parait pas s’être aperçu que la langue des Belges et la langue des Gaulois étaient deux dialectes celtiques, et semble croire qu’elles diffèrent l’une de l’autre autant que de l’aquitain ; or l’aquitain appartenait à la même famille que le basque, lequel n’a de rapport avec aucun idiome européen. Deux langues que l’on entend parler, — et Hérodote a pu entendre parler le pélasge de son temps, — si l’on ne découvre par l’étude leurs rapports philologiques, peuvent n’offrir en apparence aucune analogie et être cependant fort voisines. L’allemand, comme je l’ai éprouvé, ne sert à rien pour se faire entendre en Suède, et néanmoins le suédois et l’allemand sont deux dialectes germaniques.

[14] De polis, ville.

[15] Pour en pulén, à l’entrée du défilé. Empulum, aujourd’hui Ampigliano, est à l’entrée d’une gorge. Nibby, Dintorn. di R., II, 11.

[16] Nomê, pâturage.

[17] Cora, nom grec de Proserpine.

[18] Alsos, bois sacré.

[19] Pyrgoi, les tours ; on connaît deux villes de Pyrgoi en Élide.

[20] Sòrou actè, l’escarpement du monceau.

[21] Helos, avec le digamma éolique, Velos.

[22] Il faut y joindre Eloios en Ætolie, Elaioüs près des marais de Lerme, Velletri (Velitræ) qui domine les marais Pontins, Eleôn, ville de Béotie, qui, suivant Strabon, avait été nommée ainsi à cause des marécages qui l’entouraient. Denys d’Halicarnasse (I, 20) dit également qu’un lieu entouré de marais (dans la Sabine où furent les Pélasges) s’appelait Ouelia parce que dans la langue antique on désignait ainsi les endroits marécageux. Servius (Æn., VI, 359) donne la même étymologie du nom de la ville d’Élæa ou Velia dans l’Italie méridionale. C’est celle d’Hélos à l’embouchure de l’Eurotas, de Velinis en Étrurie prés des marais de Volterre, Vida Volaterrana.

[23] Je mets au nombre de ces étymologies peu sérieuses celle qui dérivait le mot Velabrum des voiles (Vela) au moyen desquelles on était censé avoir franchi ce marais de peu d’étendue, ou des voiles qu’on tendait sur la route des triomphateurs quand ils traversaient le quartier du Vélabre, comme si la rame n’eût pas suffi et comme si le nom primitif du lieu eût pu tenir à un usage aussi récent que celui d’orner de tentures la rue qui avait succédé au marais et lui devait son nom. L’opinion de Varron (De ling. lat., v 44), qui tire Velabrum de Velatura, transport, prix de transport, ne mérite pas davantage d’être discutée. Le même Varron (De ling. lat., V, 54) voit l’origine du mot Velia dans la coutume de tondre (vellere) les moutons en cet endroit.

[24] Au pied du Palatin était un autre petit établissement à nom pélasgique, Bucitatum. Duc de Luynes, Nummus de Servius Tullius, p. 18.

[25] La forme du Palatin est celle d’un trapèze.

[26] Saxo munitus est initio in speciem quadratam (Festus, p. 258).

[27] Solin, I, 18 ; Festus, p. 258.

[28] Plutarque (Romulus, 9) fait la même confusion. Ennius paraît l’avoir faite en disant que Romulus a régné sur la Rome carrée. Mais avec tout cela ces différents auteurs considéraient la Roma quadrata comme un oppidum ; c’est la mémoire qu’elle avait laissée.

[29] Il y a une vingtaine d’années, on voyait encore sur le Palatin quelques restes du temple d’Apollon, et surtout de la bibliothèque placée devant le temple. Aujourd’hui tout cela a disparu et né se retrouve Ictus que dans le travail de restauration très intéressant de M. Cierge[, travail enfoui dans une salle de l’Institut, comme tous ceux qu’exécutent chaque année MM. les architectes pensionnaires de l’Académie de France à Rome, souvent d’une manière fort remarquable. mais sans profit pour le public. Ne pourrait-on pas trouver un moyen de faire arriver ces travaux sous ses yeux ? Ne pourrait-on pas consacrer une salle de l’Ecole des Beaux-Arts à l’exposition au moins des plus distinguées parmi ces restaurations, dans l’intérêt de l’art et de l’archéologie ?

[30] Comme au moyen âge firmitas d’où la Ferté, ou comme une forteresse au quatrième siècle s’appelait robur (Ammien Marcellin, XXX, 3).