JULIEN L'APOSTAT

TOME TROISIÈME — JULIEN ET LES CHRÉTIENS : LA PERSÉCUTION ET LA POLÉMIQUE - LA GUERRE DE PERSE.

LIVRE IX. — LA GUERRE DE PERSE.

CHAPITRE III. — LA RETRAITE.

 

 

I. — L'incendie de la flotte.

Il y avait longtemps que Julien avait cessé d'être en communication avec ses États. En Syrie, et à plus forte raison dans les contrées occidentales, on ne savait plus rien de la marche de son armée[1]. Les amis de Julien faisaient bonne contenance, et continuaient à prédire son triomphe final. Ses adversaires ou ses victimes le voyaient déjà perdu. Cette double disposition des esprits a été résumée dans un dialogue imité de Lucien, et publié parmi ses œuvres, mais que la plupart des commentateurs placent à cette époque[2]. L'auteur du Philopatris met en scène un païen, racontant qu'au premier étage d'une maison particulière, dans un salon aux voûtes dorées[3], — à Antioche, les églises avaient été fermées, — il a rencontré une réunion d'hommes au visage pâle, aux yeux baissés vers la terre, qui, le voyant entrer, lui ont demandé, avec une expression devenue subitement joyeuse, s'il n'apportait pas quelque mauvaise nouvelle. Ils paraissaient, en effet, n'en attendre que de tristes. Le païen leur ayant répondu qu'on se réjouissait au contraire, et que bientôt on aurait lieu de se réjouir encore davantage, — Non, s'écrièrent-ils, la ville est grosse de malheurs ! Ils annoncèrent alors, comme imminents, des troubles, une défaite de l'armée. Cessez, misérables, s'écria le païen, cessez ce vain langage, n'aiguisez pas vos dents contre des hommes au cœur de lion, qui ne respirent que les lances, les javelots et les casques à triple aigrette ! Tous ces malheurs retomberont sur vos têtes, à vous qui ne voulez qu'affaiblir la patrie... Pendant que le païen racontait cette scène à un ami, arrive en courant un citoyen qui annonce la défaite des Perses et la prise de Suse. L'auteur du dialogue est lui-même un païen ardent, et il est permis de croire qu'il calomnie le patriotisme des chrétiens. Mais il met nettement en contraste le pessimisme de ceux-ci, au cours de l'expédition de Perse, et la persistance des illusions optimistes chez beaucoup de païens. Un autre dialogue, peut-être imaginaire aussi, bien que rapporté par un historien, accuse plus nettement encore ce contraste. Théodoret raconte qu'un chrétien d'Antioche, qui exerçait modestement la profession de pédagogue, c'est-à-dire de précepteur, mais que la distinction de son esprit avait mis en rapports avec Libanius, rencontra un jour le célèbre sophiste. Que fait maintenant le fils du charpentier? demande en raillant celui-ci. Le maitre du monde, que tu appelles ironiquement le fils du charpentier, fabrique un cercueil, répond le chrétien[4].

Plus que ces dialogues, la correspondance de Libanius lui-même laisse voir les illusions que créaient en lui et en ses amis la sympathie pour Julien et le désir du succès, les erreurs où les entretenaient la rareté, puis l'absence des nouvelles, et aussi les inquiétudes dont, malgré leurs préventions favorables, ils ne pouvaient se défendre. L'annonce des premières victoires est reçue par Libanius avec allégresse ; mais tout de suite son imagination les grossit, et, lors du premier contact de l'armée de Julien avec les soldats du roi de Perse, il se figure que six mille de ceux-ci ont été tués[5]. Cependant les communications directes ont cessé ; Libanius, qui vient d'écrire à l'empereur, ne sait si sa lettre l'atteindra au milieu du pays immense des Perses ; mais il a eu encore des nouvelles du dernier succès par les prisonniers d'Anathan, qui, on s'en souvient, ayant eu la vie sauve, avaient été transportés à Chalcis, près d'Antioche[6]. En l'absence de renseignements plus précis, les rumeurs optimistes ne cessent de courir dans les milieux officiels ; le comte d'Orient, Aradius Rufinus, qui se tenait le plus près possible de la frontière dans l'espoir de recueillir quelques bruits du théâtre de la guerre, a fait parvenir aux habitants d'Antioche la nouvelle inexacte que l'armée de secours commandée par Sébastien et Procope descend le Tigre et va se joindre à Julien. Puissent maintenant, lui répond Libanius, l'empereur ne pas cesser de vaincre, toi ne pas cesser de nous donner des nouvelles de ses victoires, et nous ne pas cesser de les entendre ![7] Cependant une dernière lettre montre Libanius, quand toute nouvelle, vraie ou fausse, a cessé de parvenir, essayant de ranimer ses espérances comme si le doute ou la crainte commençaient à le tourmenter. L'empereur est vaillant, dit-il, il conduit vaillamment la guerre, et il la mènera jusqu'au point où il doit rencontrer la récompense. C'est pourquoi l'on doit avoir confiance qu'il reviendra, après qu'il aura glorieusement atteint ou même entièrement renversé la domination persane[8]. Il semble que, dans cette série de lettres du sophiste, se retrouvent les phases diverses par où doit passer l'esprit des amis de Julien : d'abord on reçoit des nouvelles favorables, que l'on amplifie sans mesure ; puis les bulletins cessent d'arriver directement de l'armée, mais on a encore des renseignements par les prisonniers ; puis les faux bruits commencent à courir, créés ou propagés par l'optimisme officiel ; enfin ceux qui ont le plus compté sur le succès de Julien en sont réduits à faire effort pour espérer, à parler d'un retour victorieux de l'empereur comme d'une chose probable, non plus comme d'une certitude[9].

Puisque Julien venait de refuser la paix que lui offrait Sapor, et cependant avait résolu de ne point faire le siège de Ctésiphon, il lui fallait prendre un parti. S'enfoncerait-il dans l'est, sur les traces d'Alexandre, et essaierait-il de s'emparer, après lui, de Suse et de Persépolis ? remonterait-il le long de l'Euphrate, par le chemin déjà parcouru ? ou remonterait-il, au contraire, à travers l'Assyrie, dans la direction soit de Ninive, soit même de la Médie et d'Ecbatane, avec l'espoir de rencontrer en route l'armée de secours commandée par Arsace, Procope et Sébastien ?

La marche vers la Susiane eût été bien aventureuse. Sans doute, elle eût répondu au sentiment public. On vient de voir par le Philopatris que les amis de Julien s'attendaient à apprendre la prise de Suse. Prononçant son discours sur le consulat de Julien, Libanius avait annoncé presque officiellement que les Romains souperaient bientôt dans Suse 1. Mais une tentative dans cette direction était aussi l'entrée dans l'inconnu, en laissant derrière soi Ctésiphon intact et toute voie de retour coupée.

La retraite par l'Euphrate, à travers les contrées mésopotamiennes que les armes de Julien avaient déjà soumises, passant près de places fortes qui lui avaient promis obéissance ou qui avaient été détruites, semblait le parti le plus prudent. Il était désiré par les généraux. Mais il avait contre lui plusieurs raisons : d'abord, c'était une retraite, et le mot sonnait mal aux oreilles de Julien : ensuite, tout le parcours venait d'être dévasté, avec une inexplicable imprévoyance, et l'armée ne trouverait plus à se nourrir dans des plaines d'une admirable fertilité, où l'on avait saccagé moissons et troupeaux.

Restait la montée vers le nord, la traversée de l'Assyrie par la vallée du Tigre, en se réservant la possibilité de se replier, quand on le voudrait, sur la Corduène romaine et sur l'Arménie alliée, et en ayant la perspective d'être prochainement rejoint par l'armée de secours. A ce dernier parti se décida Julien. Cette route tendait vers Arbèles, et Julien qui, en dépit de tous les revers, se croyait toujours l'âme d'Alexandre[10], voulait vaincre à son tour sur le champ de bataille où s'était illustré le héros macédonien. Septime Sévère avait d'ailleurs remonté victorieusement ainsi la vallée du Tigre. Mais il avait auparavant conquis Ctésiphon, et ne laissait pas derrière lui cette place intacte et pleine de troupes, base naturelle de toutes les opérations des Perses. Aussi les officiers de Julien, que le souvenir d'Alexandre laissait indifférents, étaient-ils d'un avis contraire : ils préféraient le mouvement en arrière, le retour en pays romain par l'Euphrate et la Mésopotamie, malgré ses difficultés, à une expédition nouvelle dont la gloire ne les séduisait pas, et qu'ils entrevoyaient pleine de périls[11].

Après leur avoir reproché en termes très vifs leur timidité[12], Julien donna l'ordre du départ. L'armée côtoya d'abord le Tigre, que la flotte remontait de conserve. Soudain, un avis inattendu vint tout changer. On ne peut raconter sans un extrême étonnement cet épisode de l'histoire de Julien. Lui qui venait de repousser l'opinion de ses conseillers naturels, commit l'imprudence vraiment inexplicable d'accorder sa confiance aux gens les moins qualifiés pour lui offrir leurs lumières. Ammien nomme ici, d'un mot un peu vague, des transfuges[13]. Saint Grégoire de Nazianze donne plus de détails. D'après son récit, l'un de ces transfuges aurait été un vieillard, persan de naissance, qui s'était volontairement rendu aux soldats romains, en se prétendant victime de la tyrannie de Sapor[14]. Il se serait fait admettre dans l'intimité de Julien. De lui, et d'autres qui agissaient de complicité avec lui, Julien reçut l'avis de s'éloigner du fleuve et de prendre à travers terres un chemin plus court, qu'ils s'offraient à montrer. On arriverait par là disaient-ils, beaucoup plus vite au but de l'expédition[15]. Mais, si l'armée devait laisser ainsi le Tigre derrière elle, une question se posait d'elle-même : que ferait-on de la flotte ? Les nouveaux conseillers de Julien avaient réponse à tout. La flotte n'était pas utile, la certitude d'avoir toujours, convoyés par elle, du blé et des vivres à portée, ne pouvait qu'entretenir la mollesse des soldats. Comme l'armée n'aurait à traverser que des contrées fertiles, coupées par un seul canton stérile et désert, il lui suffirait d'emporter avec elle trois ou quatre jours de vivres[16] : un approvisionnement plus complet ne ferait qu'alourdir sa marche et lui enlever l'esprit d'initiative. Si tu veux m'en croire, tu abandonneras ta flotte, dont le voisinage nuit à la vaillance de ton armée[17]. Julien se laissa convaincre par ces raisonnements. L'opinion des transfuges, jointe à la crainte de voir, après son départ, ses navires tomber aux mains de l'ennemi, le détermina à sacrifier ceux-ci. On ne nous dit point qu'il ait pris, en une matière aussi grave, d'autre avis que celui que nous venons de rapporter[18]. Il ne parait (chose étrange de sa part) avoir songé ni à consulter les présages, ni à interroger les haruspices, ni même, s'il se défiait de la prudence de ces derniers, à demander le sentiment de ses amis les philosophes[19]. Brusquement, il donna l'ordre d'incendier les onze cents navires qui avaient suivi l'armée depuis Callinicum[20]. Pour soustraire à l'ennemi les approvisionnements dont ils étaient chargés, ceux-ci seraient brûlés avec eux, à l'exception de vingt jours de vivres, que les soldats emporteraient. Seule serait mise à part, pour l'établissement des ponts sur les affluents du Tigre que l'on aurait à traverser, une douzaine des embarcations les plus solides et les plus petites ; l'armée les traînerait à sa suite dans des chariots[21].

Cette résolution a été diversement jugée. Malgré les conseils suspects qui l'avaient déterminée, les uns l'ont approuvée comme une mesure sage et nécessaire. D'autres y ont vu un acte d'imprévoyance touchant presque à la folie.

En faveur de la conduite de Julien, on a fait valoir les raisons suivantes. La flotte n'eût probablement pas tardé à devenir plus gênante qu'utile. De l'aveu de ceux qui connaissent le Tigre, ce fleuve ne peut être remonté que jusqu'à mille kilomètres de son embouchure[22], c'est-à-dire à mi-chemin entre Ctésiphon et Ninive : encore, un peu après Ctésiphon les bas-fonds dont son lit est semé rendent-ils la navigation très difficile[23]. Puisque l'on renonçait à la route de l'Euphrate, il eût fallu, tôt ou tard, se séparer de la flotte. En la sacrifiant résolument, Julien obtenait tout de suite un grand avantage : il augmentait son armée de vingt mille hommes qui, depuis le commencement de l'expédition, avaient été employés à conduire ou à tirer les navires[24]. A la fois il se débarrassait d'un poids mort et il acquérait une force nouvelle[25].

Cependant, si plausibles qu'elles paraissent, ces raisons n'étaient probablement pas suffisantes, puisqu'elles n'ont pu persuader les généraux de Julien, et en particulier Ammien Marcellin, si expérimenté aux choses de la guerre. Celui-ci ne cesse de déplorer la perte de la flotte. C'est à ses yeux une faute capitale. Funestes torches de Bellone ![26] s'écrie-t-il. Telle était l'impression unanime de l'armée. En voyant brûler la flotte, chefs et soldats crurent voir s'évanouir tout espoir de retour dans la patrie. Il leur sembla que le dernier lien qui les rattachait au sol romain flambât avec ces planches, ces poutres, ces mâts qui craquaient dans le feu. Si nous sommes, par l'aridité des déserts ou la hauteur des montagnes, contraints à battre en retraite, nous ne pourrons plus revenir au fleuve, disaient-ils avec désespoir[27]. Ils jugeaient tous que la mesure commandée par le bon sens et par l'évidence[28] eût été de laisser la flotte sous bonne garde, dans la partie navigable du Tigre, comme dernière ressource en cas d'échec, et comme magasin d'approvisionnements. Mais on peut même supposer que cette flotte eût aisément dépassé, en remontant le cours du Tigre, le point où s'arrêtent les navires modernes. Ceux qui la composaient étaient de simples barques, pontées ou non pontées, dont beaucoup étaient en cuir, que leurs dimensions et leur poids permettaient au besoin de porter sur des chariots, et qui par conséquent devaient avoir un très faible tirant d'eau. Probablement eussent-elles flotté sur des cours d'eau qui paraîtraient aujourd'hui à peine navigables. Il semble donc que pendant longtemps encore la flotte de Julien aurait pu coopérer sur le Tigre aux manœuvres de l'armée, à condition que celle-ci ne perdit point le contact du fleuve pour s'égarer dans la direction artificieusement indiquée par les transfuges.

Pendant que le feu faisait son œuvre, les protestations et les cris de douleur des soldats ne cessaient de retentir. Ils accusaient tout haut les étrangers, auxquels l'empereur s'était fié aveuglément. On décida de tenter auprès de lui une démarche. Presque tous les tribuns[29] se rendirent dans la tente de Julien, et dénoncèrent la fraude des transfuges. Julien résista d'abord, puis, vaincu sans être persuadé, il permit que ceux-ci fussent mis à la torture. On dit que le plus compromis, c'est-à-dire le vieillard qui s'était donné comme une victime de Sapor, avait déjà pris la fuite[30]. Les autres confessèrent, dans les tourments, qu'en conseillant l'incendie de la flotte ils avaient voulu tendre un piège aux Romains[31]. Épouvanté, Julien donna à tous ses soldats l'ordre de courir au feu. On s'efforça d'arracher à l'incendie ce qui restait encore de la flotte[32]. Mais les efforts furent inutiles : tous les navires étaient trop atteints pour qu'on pût maintenant les sauver. On préserva seulement les douze barques qui, dès le début, avaient été mises à l'abri du feu. Le reste acheva de se consumer, sous les yeux de l'armée impuissante et désolée[33].

Le repentir tardif de Julien, ses efforts infructueux pour arrêter l'incendie, de même que l'aveu des traîtres, sont la meilleure preuve de l'erreur irréparable commise par sa crédule légèreté[34]. Il faut un rare parti pris d'optimisme pour l'en absoudre, après qu'il s'est ainsi condamné lui-même[35]. Cependant, même en partageant les regrets de tous pour la perte de la flotte, Julien n'abandonna pas tout à fait le plan suggéré par les transfuges. Les motifs de longer le Tigre avaient cessé, puisque aucun navire romain ne le remontait plus. Probablement l'escarpement des rives du fleuve, bordé de hautes montagnes[36], rendait la marche parallèle très difficile pour une armée. Julien s'avança donc, avec ses troupes augmentées des soldats et des marins de la flotte, vers l'intérieur du pays, s'éloignant du Tigre et prenant la direction que les espions persans avaient indiquée[37]. Comme ils l'avaient annoncé, on traversa des régions fertiles, où l'armée eût pu aisément se ravitailler. Mais les Perses, avertis, et faisant maintenant combattre pour eux le feu, comme naguère ils s'étaient servis de l'inondation, avaient allumé les herbes et les moissons. Les Romains durent suspendre leur marche jusqu'à ce que l'océan de flammes qui s'étendait devant eux fût éteint. Ils s'établirent en vue des campagnes incendiées, en un lieu que Zosime appelle Noorda. Les Perses ne cessaient de les y harceler. Sur tous les points on voyait apparaître des cavaliers, dont l'armure de fer étincelait sous l'ardent soleil[38]. Tantôt ils venaient au galop lancer des flèches dans le camp ; tantôt ils se montraient de loin en gros bataillons, et les Romains croyaient voir l'avant-garde de Sapor[39]. La démoralisation et l'énervement de ceux-ci s'accroissaient par l'attente des troupes de secours, qui n'arrivaient pas. On avait sans cesse les yeux tournés vers le nord, d'où devaient déboucher les Arméniens d'Arsace, les légions et les cohortes de Procope et de Sébastien. J'ai déjà indiqué, écrit Ammien, les causes qui les retenaient[40]. Malheureusement cette indication, qui eût jeté un grand jour sur le véritable état des choses et sur les chances qui restaient à l'entreprise de Julien, est dans un des passages perdus. Libanius insinue qu'Arsace trahissait[41]. Cependant il ajoute que ce roi avait dévasté un canton de la Médie. Ammien, probablement mieux renseigné, affirme qu'Arsace demeura fidèle à l'alliance romaine[42]. Ce qu'on peut admettre, c'est qu'il préférait piller pour son compte, sans trop s'écarter de ses États, qui, dégarnis de troupes, auraient été ouverts aux incursions des Perses. Mais il fit certainement du mal à ceux- ci, car ils conservèrent de ses actes un vif ressentiment, et s'en vengeront cruellement plus tard[43]. Quant à Procope et à Sébastien, Libanius dit qu'ils avaient d'abord hésité à franchir le Tigre, en voyant des archers persans tuer, de la rive opposée, des soldats romains qui se baignaient dans le fleuve. Depuis ce moment, la discorde les avait paralysés, l'un voulant aller néanmoins en avant, l'autre refusant de bouger[44]. Leur inaction était d'autant plus fâcheuse, que l'armée restée sous leurs ordres avait d'abondantes réserves de vivres[45], tandis que celle de Julien, désormais sans approvisionnements, en présence de campagnes couvertes de cendres, commençait à redouter la disette.

Julien cherchait par tous les moyens à soutenir le courage de ses soldats. Il fit amener à leur vue des prisonniers persans, chétifs comme presque tous les hommes de ce pays[46], et amaigris par les privations. Ceux que des braves comme vous appellent des hommes, les voici, dit-il, laids, sales, noirs comme des chèvres, et toujours prêts, l'expérience vous l'a maintes fois déjà montré, à prendre la fuite en jetant leurs armes avant qu'on en vienne aux mains ![47] Cette exhibition ne fut que la préface d'une réunion plus sérieuse, où tous les chefs s'assemblèrent en conseil de guerre. Contraint par les événements, Julien se décidait à prendre leur avis. A ce moment, des rangs pressés des soldats s'élevèrent des cris, demandant le retour par les chemins déjà parcourus. Julien repoussa énergiquement cette suggestion. Beaucoup autour de lui, même parmi ceux qui avant l'incendie des navires avaient été de cette opinion, déclarèrent maintenant impossible le retour par la Chaldée et la Mésopotamie persane, sans aine flotte chargée de vivres, à travers des plaines dont les moissons avaient été détruites et où tous les villages n'étaient plus que des amas de décombres, sur un sol détrempé par les neiges fondues, venues des hauts plateaux, inondé facilement au gré de l'ennemi, infesté en cette saison chaude par des nuées de taons et de moucherons. La discussion se prolongea longtemps entre ceux qui, en dépit de ces difficultés, persistaient à désirer la retraite, et ceux qui, malgré les dangers prévus, insistaient maintenant pour la marche en avant. Enfin, désespérant d'arriver humainement à une solution, dit Ammien, après beaucoup d'hésitation et d'incertitudes, nous élevâmes des autels, et, immolant des victimes, nous sollicitâmes la volonté des dieux[48]. On leur demanda de décider, à leur manière, dans quel sens devrait se diriger l'armée : ou revenir par l'Assyrie, c'est-à-dire repasser le Tigre et remonter la vallée de l'Euphrate, ou marcher entre le Tigre et les premières pentes des montagnes de la Perse jusqu'au Chiliocome (les mille bourgades), province gouvernée au nom de Sapor par un satrape, la dévaster à l'improviste (on ignorait qu'elle venait de l'être par Arsace), et, la traversant, atteindre la Corduène[49].

Que l'on pèse ici tous les termes du récit d'Ammien : on remarquera que c'est l'initiative de l'armée, ou au moins de ses chefs païens, ce n'est pas celle de Julien, qui décide d'offrir un sacrifice et d'essayer des pratiques divinatoires. On sent que le doute agite tous les esprits, ou même que l'angoisse étreint tous les cœurs. Il s'agit déjà moins de la victoire que du salut. Mais les dieux ne répondirent pas. Les entrailles des victimes furent muettes[50]. La raison, après avoir abdiqué ses droits, fut contrainte de les ressaisir. On prit enfin un parti, dit Ammien : celui de renoncer à toute ambition plus haute, et d'essayer de gagner la Corduène[51].

Le 16 juin, dès le point du jour, la retraite commença.

 

II. — La mort de Julien.

L'armée était déjà en route, et approchait d'un affluent du Tigre, le Durus[52], quand un tourbillon de poussière parut à l'horizon. On eût dit une grande fumée qui s'agitait au gré du vent. Les bruits les plus divers coururent aussitôt. C'est la poudre soulevée par un de ces troupeaux d'ânes sauvages, comme il y en a tant dans le pays, qui émigrent en lignes compactes afin de se garantir de l'attaque des lions, disaient les uns. Ce sont, répondaient les autres, les Sarazins alliés, qui, nous croyant occupés au siège de Ctésiphon, accourent à notre aide. Mais, de plusieurs côtés, on déclarait que c'étaient les Perses, venant en grande masse pour s'opposer à la marche des Romains. Dans l'incertitude, Julien fit sonner l'arrêt. Les soldats s'établirent dans un vallon d'herbe, près de la rivière. On éleva alentour un cercle de retranchements, et l'on posa plusieurs lignes de sentinelles. Le soir tomba avant que le nuage de poussière fût dissipé. La nuit, une nuit noire et sans étoiles, fut inquiète : personne n'osait fermer les yeux, ni même s'étendre à terre. Quand l'aube se leva, les premiers rayons du soleil éclairèrent les lignes brillantes de la cavalerie persane, rangée au loin dans la plaine, sur la droite, au delà de la rivière. La poussière de la veille annonçait bien l'armée de Sapor[53].

Les Romains avaient hâte de courir à l'insaisissable ennemi, qui sans cesse se montrait, les harcelait, et toujours se dérobait aux batailles décisives. Ils eussent voulu passer tout de suite le Durus. L'empereur eut grand peine à les en empêcher. Ce sont quelques partis de coureurs persans qui vinrent, selon leur habitude, voltiger autour du camp. Il y eut entre eux et les avant-postes de Julien des engagements sans importance. Dans l'un de ces petits combats, un officier romain, Machamée, tomba grièvement blessé : son frère, Maurus, qui devint plus tard duc de Phénicie, parvint à l'arracher à demi mort des mains de l'ennemi, après avoir eu lui-même l'épaule percée d'une flèche. Bien qu'épuisés par une chaleur excessive, les Romains repoussèrent vigoureusement les éclaireurs persans, qui, comme toujours, évitaient de s'engager à fond[54].

Sans être inquiétée davantage, l'armée romaine passa la rivière. Elle fut attaquée un peu plus tard par un parti de Sarazins auxiliaires, qui, d'abord mis en fuite par un mouvement de l'infanterie, revinrent accompagnés d'une multitude de Perses, et tentèrent de piller les bagages : mais ils se replièrent dès qu'ils aperçurent l'empereur. Les Romains s'arrêtèrent au bourg d'Hucumbra, voisin des villes de Nisbena et de Nischanabé, qui s'étendaient en face l'une de l'autre le long du Tigre. On trouva là une campagne fertile et d'abondantes moissons : l'armée s'y ravitailla au delà de son espérance[55], et mit le feu à tout ce qu'elle ne put emporter. Après deux jours de repos, elle reprit sa marche, sans se presser[56]. Son arrière-garde fut attaquée à l'improviste, près des villes de Danabe et de Syma, par les Perses, qui l'auraient mise en déroute, si la cavalerie romaine, accourue vivement, n'eût repoussé les agresseurs en leur infligeant de grandes pertes. Dans ce combat périt un satrape, Adaces, bien connu des Romains, car il avait été jadis envoyé en mission auprès de Constance et s'était fait des amis à sa cour[57].

C'était encore un succès ; mais cependant, à y regarder de près, les symptômes inquiétants se multipliaient. Parmi les officiers supérieurs, on apercevait déjà des défaillances. Malgré la brillante conduite de la cavalerie, qui venait de sauver l'arrière-garde, un de ses régiments s'était mal tenu, et avait manqué de tout compromettre. L'empereur lui enleva ses guidons et ses étendards, et relégua ses soldats à la suite de l'armée au milieu des serviteurs, des prisonniers et des bagages. Son tribun, qui avait montré du courage, fut mis à la tête d'un autre régiment de cavalerie, dont le chef avait fui le champ de bataille. Avec ce dernier, quatre autres tribuns furent cassés pour une lâcheté semblable. En d'autres temps ils eussent payé celle-ci de leur tête : mais Julien fut forcé d'être clément. L'heure était passée de décimer les soldats ou de décapiter les chefs. On était obligé désormais de ménager les vies humaines, au risque de relâcher un peu la discipline.

L'armée marcha pendant environ trois lieues et demie, jusqu'à la ville d'Aceta. Elle y trouva les moissons en feu, et eut grand'peine à sauver un peu de blé et de fourrage. Continuant leur route, les Romains parvinrent dans une plaine qui s'étend à perte de vue des bords fertiles du fleuve jusqu'aux confins du désert. On l'appelait Maranga. Là attendaient les Perses, formant une ligne immense, cavaliers raides et immobiles comme des statues de fer, archers tenant déjà bandés leurs grands arcs, la corde appuyée sur le sein droit, la flèche tenue dans la main gauche, éléphants montés par leurs gardiens, qui portaient, lié au poignet, le couteau avec lequel ils leur trancheraient la vertèbre cervicale si ces animaux, pris de peur, venaient à se renverser sur les escadrons, comme en 350 au siège de Nisibe[58]. L'armée persane avait pour chef Merene, commandant général de la cavalerie : sous ses ordres étaient deux des fils de Sapor, avec un grand nombre de nobles. Les Romains, que la splendeur barbare des troupes persanes intimidait toujours au premier abord, eurent un court moment d'hésitation ; mais Julien les anima tout de suite. Entouré d'une nombreuse escorte et de ses principaux officiers, il rangea son armée en forme de croissant et la lança contre les Perses. L'expérience du combat livré précédemment près de Ctésiphon lui avait appris que le moyen de rendre inutiles les redoutables archers persans, c'était de diminuer tout de suite les distances et de faire la mêlée. Ceux-ci, alors, ne pouvaient tirer, et, comme les Perses, habitués à combattre de loin, et plus adroits que braves[59], résistaient difficilement au choc des Romains, et ne savaient pas disputer le terrain pied à pied, la victoire était assurée. C'est ce qui eut lieu cette fois encore. Attaqués de près, les Perses plièrent vite, et bientôt reculèrent, protégés comme toujours dans leur retraite par la grêle de flèches que lançaient en se retirant les compagnies d'archers. Les Romains demeurèrent maîtres : du champ de bataille. Un seul officier marquant, Vetranion, commandant les Zianes auxiliaires[60] avait péri dans ce combat.

La vue de la plaine jonchée de cadavres persans, parmi lesquels les morts romains étaient relativement peu nombreux[61], ranima l'espérance des soldats. Mais cette impression heureuse s'effaça vite. Pendant les trois jours de repos que Julien accorda à ses troupes, elles commencèrent à souffrir de la faim. L'absence des approvisionnements autrefois convoyés par la flotte mettait l'armée dans la situation la plus critique. Hommes et chevaux dépérissaient[62]. Les officiers, et surtout Julien, montrèrent un grand dévouement. Les vivres spécialement destinés aux tribuns et aux comtes furent distribués aux soldats. Julien se contentait toujours, en campagne, de l'ordinaire le plus modeste, mangé debout, selon l'ancienne coutume militaire[63] : maintenant il se nourrissait d'une bouillie de gruau dont n'aurait pas voulu un valet d'armée, afin de réserver aux plus malheureux les provisions de sa table[64]. Lui-même, affaibli par le manque de nourriture, harassé de regrets et d'inquiétudes, avait des hallucinations. On ne s'étonnera pas que, s'étant toujours cru entouré d'êtres surnaturels, dont il reconnaissait les traits et la voix, il ait été plus accessible encore, dans la crise terrible où il se trouvait, aux impressions de cette nature. Son cerveau fatigué lui montrait des fantômes. Durant la nuit qui précéda le 26 juin, il était couché dans sa tente, et n'avait point cherché le sommeil. Il écrivait à l'imitation de Jules César, mais, semble-t-il, sur des matières philosophiques[65]. Probablement son esprit repassait en même temps les années glorieuses, et, remontant jusqu'aux origines de son pouvoir, se rappelait cette autre nuit, la nuit sacrée, comme la nomme Libanius, où, dans le palais de Lutèce, le Génie de l'Empire s'était montré à lui. Soudain, il crut revoir le même génie, qui, la tête voilée, sa corne d'abondance également couverte d'un voile, sortait tristement de la tente. Un instant, Julien demeura frappé de stupeur ; puis, surmontant son émotion, il se leva du tapis qui lui servait de couche, et, sortant au milieu de la nuit, offrit aux dieux un sacrifice dépulsoire, pour conjurer les menaces de l'avenir. Pendant le sacrifice, il lui sembla voir une sorte de torche lumineuse, qui, après avoir traversé une partie du ciel, se dissipait dans l'air. Aussitôt il reconnut dans cette étoile filante l'astre de Mars irrité. Dans son épouvante, il fit venir les haruspices, avant que le jour fût levé. Il leur demanda quelle sinistre nouvelle annonçait ce présage. Les haruspices répondirent qu'il fallait éviter avec le plus grand soin d'engager une action militaire ce jour-là A l'appui de leur consultation, ils ouvrirent le livre de Tarquitius sur l'interprétation des signes[66], et montrèrent le texte du chapitre Des choses divines, interdisant tout combat ou tout acte semblable quand un flambeau avait été vu dans le ciel. Julien repoussa avec humeur ces avis timides. Les haruspices le supplièrent alors de différer au moins de quelques heures la marche de l'armée. Mais il refusa encore, plus rebelle que jamais à la divination officielle[67]. Dès l'aube il donna l'ordre de lever le camp. Il est probable que la disette croissante, l'espoir de se ravitailler en route, l'emportèrent dans son esprit sur toute autre considération, et vainquirent la superstition elle-même.

Les Perses laissèrent l'armée s'ébranler : ils avaient été trop souvent battus pour s'exposer sans nécessité à des combats inutiles. Mais ils savaient le mal qu'ils faisaient aux Romains par de fréquentes escarmouches. Ils continuèrent cette tactique. Ils se contentèrent de marcher parallèlement à l'armée romaine, suivant, de la crête des collines qui bordaient la route sur la droite, tous ses mouvements, ne lui laissant pas un instant de repos, et, de ces hauteurs d'où il lui eût été impossible de les déloger, se tenant prêts à fondre sur elle au moment opportun[68]. Les légions, occupées à protéger continuellement leurs flancs, marchaient en un carré, que les inégalités du terrain, sur la rive escarpée du Tigre, rompaient souvent, laissant alors entre les diverses parties de l'armée de grands espaces vides. Julien, sans cuirasse, parce que l'excessive chaleur le fatiguait, courait de rang en rang, ralliait ses soldats, surveillait leur marche, l'œil ouvert à tout, ne se donnant pas un moment de repos. Pendant qu'il se dirigeait du côté de l'avant-garde, on vint l'avertir que l'arrière-garde était vivement pressée par les Perses. Oubliant qu'il n'avait pas de cuirasse, et saisissant un bouclier, il y courait, quand il apprit que l'avant-garde était attaquée à son tour. Il allait revenir vers elle ; soudain, il s'aperçut que la cavalerie persane et les éléphants, ayant tourné la queue de l'armée, se jetaient maintenant sur l'aile gauche. Celle-ci, effrayée surtout par les rugissements et l'odeur des éléphants, pliait déjà sous la grêle des flèches et des javelots. Julien s'élance, suivi de l'infanterie légère[69] : il rétablit le combat : ses fantassins coupent les jarrets de plusieurs éléphants, qui tombent comme des masses : les Perses tournent bride, poursuivis par Julien, qui, levant la main, poussant des cris, excitait contre eux ses soldats. Il s'approchait souvent si près des fuyards, que les cavaliers de sa garde, qui, dispersés par une première panique, s'étaient enfin ralliés autour de lui, lui criaient de ne pas s'exposer davantage. Ils savaient, dit Ammien, qu'il y a des fuites dangereuses pour le poursuivant, et que le faite d'un édifice croulant écrase souvent sous ses décombres celui-là même qui vient de l'ébranler[70]. Soudain, le javelot d'un cavalier[71] effleure en sifflant le bras de Julien, s'engage entre les côtes, et s'enfonce dans son foie. Julien essaie d'arracher la lame à double tranchant, et se coupe les doigts de la main droite : évanoui, il tombe de cheval[72].

On s'est demandé d'où partait le coup. Les uns ont dit que Julien avait été frappé par un prisonnier barbare, moitié fou, moitié bouffon[73]. D'autres ont attribué sa blessure à l'irritation d'un soldat, mécontent d'une parole maladroite de l'empereur[74] ou exaspéré des souffrances de l'expédition[75]. Libanius en accuse formellement ceux qui ne vivaient pas selon les lois et refusaient d'honorer les dieux, c'est-à-dire les chrétiens[76], qui, selon lui, ayant déjà essayé sans succès d'attenter à sa vie[77], avaient trouvé l'occasion propice[78] : il dit que Julien fut frappé par ruse et trahison[79]. Probablement cette version eut cours dans les cercles païens d'Antioche[80]. Elle n'a pour elle aucune preuve, et l'on s'étonne de la voir acceptée par un historien chrétien du cinquième siècle[81]. Ce qui est sûr, c'est que, dans l'armée elle-même, beaucoup pensèrent que l'empereur avait été frappé par un soldat romain. Les Perses aussi le répétèrent, sur la foi de transfuges, qui leur avaient apporté cette rumeur[82]. Ce fut longtemps l'opinion la plus répandue[83]. Mais la plus probable, et à coup sûr la plus autorisée, parait être celle de deux contemporains, païens l'un et l'autre, les historiens Eutrope et Rufus. Le premier avait suivi Julien en Perse[84] ; le second était probablement déjà sous son règne, entré dans la carrière administrative, car il devint, en 368, gouverneur de Syrie. Ces témoins considérables affirment que Julien fut blessé par un fuyard persan[85]. Ammien Marcellin ne donne pas ce détail ; mais il vient de rappeler que, dans l'opinion de ses gardes, Julien s'exposait beaucoup en poursuivant de trop près les fugitifs. On a déjà vu que les Perses, dans leur extrême mobilité, ne fuyaient jamais sans assurer et venger leur retraite en lançant sur l'ennemi des traits meurtriers. La flèche du Parthe était proverbiale : il est à peu près certain que c'est elle qui atteignit Julien[86].

Comme on pouvait s'y attendre, bien d'autres versions furent faites de ce tragique épisode. La légende naquit vite dans les imaginations surexcitées. Le bruit courut que Julien, blessé, avait supplié ses amis de le jeter dans la rivière, afin que l'armée le crût disparu mystérieusement et l'honorât comme un dieu[87]. D'autres racontèrent que Julien, en tombant, reprocha au Soleil, qui était à la fois son dieu et le dieu des Perses, de l'avoir trahi pour ces derniers[88], et traita de meurtriers les autres dieux qui ne l'avaient pas défendu[89]. On dit encore qu'il emplit ses mains du sang qui coulait de sa blessure, et le jeta en l'air en poussant le cri célèbre : Tu as vaincu, Galiléen ![90] Certes, ces paroles sont bien en situation : à beaucoup de contemporains elles parurent résumer, en se complétant l'une l'autre, le drame dont le dernier acte venait de se jouer. Mais la réalité fut beaucoup plus simple. Julien, inanimé, fut en grande hâte transporté sur un brancard dans sa tente. Son médecin Oribase fit le premier pansement[91]. Quand le blessé eut repris ses sens, luttant de toute son énergie contre la mort[92], il demanda des armes et un cheval : il voulait reparaître dans la bataille, ranimer le courage des soldats, et ne paraissait pas douter de ses forces. Le souci du salut des autres lui cachait son propre sort[93]. Mais les forces manquèrent à sa volonté : l'agitation rouvrit la blessure : un flot de sang jaillit, et Julien demeura incapable de mouvement. Perdant tout espoir : Comment s'appelle, demanda-t-il, le lieu où je suis tombé ?Phrygie, répondit-on : c'était une appellation locale, nom de village ou de hameau. Julien se souvint qu'une prédiction ou une vision lui avait annoncé jadis qu'il périrait en Phrygie : et il comprit que tout était fini[94].

Cependant les rumeurs du dehors pénétraient dans la tente, et de son lit le blessé pouvait entendre le bruit du combat. Celui-ci était acharné. La colère et la douleur enflammaient les soldats. Frappant bruyamment leurs boucliers de leurs lances, ils s'étaient jetés en avant, pour venger leur prince ou mourir[95]. Une poussière épaisse dérobait à demi les combattants : on luttait malgré une chaleur intolérable : les Romains frappaient avec rage, les Perses les criblaient de flèches, tandis que, s'avançant de leur pas lent et lourd, les éléphants, par leur masse, par leurs aigrettes flottantes, effrayaient les chevaux, qui se cabraient à leur vue. Il y eut des épisodes héroïques : une troupe de Perses étant descendue d'un château fort pour attaquer celle du prince Hormisdas, soixante soldats romains passèrent, pendant qu'ils étaient aux prises, à travers les rangs des Perses, et occupèrent le château. La nuit seule sépara les deux armées. Les pertes de chacune étaient grandes : les Perses pleuraient de nombreux morts, nobles, satrapes, peuple, et parmi eux deux de leurs meilleurs généraux, Merena et Nohodare. L'aile droite des Romains avait surtout souffert : elle avait perdu le maitre des offices, Anatole, l'un des plus chers amis de Julien : le préfet Salluste, après avoir vu tomber à ses côtés son assesseur Sophonius, fut sauvé par le dévouement d'un de ses appariteurs, et parvint à grand'peine à s'enfuir jusqu'au camp[96].

Il y arriva pour assister aux derniers moments de Julien. Les amis, les principaux officiers, se tenaient dans la tente où mourait l'empereur. Celui-ci leur fit ses adieux. Si le discours que lui prête Ammien est exact dans sa rhétorique funèbre, ce fut tout ensemble une apologie et un adieu :

Compagnons, dit Julien, le temps est venu pour moi de quitter la vie. Comme un bon débiteur, je rends volontiers à la nature ce qu'elle m'avait prêté et ce qu'elle me redemande. Je ne m'afflige pas, ainsi que plusieurs le pensent, car j'ai appris, par l'enseignement unanime des philosophes, combien l'âme l'emporte sur le corps, et je crois qu'il y a lieu de se réjouir au lieu de se plaindre quand l'élément supérieur se sépare de l'inférieur. Je remarque aussi que les dieux du ciel ont accordé à quelques-uns des plus pieux parmi les hommes la mort comme la suprême récompense. Je sais qu'ils m'ont déjà donné, pendant ma vie, la force de ne point succomber aux difficultés les plus ardues, de ne jamais m'abandonner ou me désespérer : l'expérience m'a montré que toutes les douleurs accablent les lâches, mais cèdent aux braves. Je ne me repens d'aucun de mes actes, je n'ai le remords d'aucune faute grave, soit au temps que j'ai passé dans l'ombre de la vie privée, soit depuis que j'ai pris le pouvoir impérial : et j'ai conscience d'avoir rempli sans tache ce mandat du ciel, gouvernant avec modération, ne faisant qu'après mare délibération les guerres offensives ou défensives. Si le succès n'a pas toujours répondu à la sagesse des entreprises, c'est que les puissances supérieures se réservent la direction des événements. Pour moi, estimant que le but d'un gouvernement juste, c'est le bien et le salut des sujets, j'ai travaillé, vous le savez, à faire régner la paix intérieure, réprimant par mes actes toute licence corruptrice des affaires et des mœurs, et me réjouissant de sentir que, partout où la République, comme une mère impérieuse, m'a jeté en face du péril, je l'ai résolument affronté, accoutumé que j'étais à fouler aux pieds les hasards comme un tourbillon de poussière. Je n'aurai pas honte d'avouer que depuis longtemps il m'avait été prédit que je périrais par le fer. C'est pourquoi je remercie le Dieu éternel de ce que je ne succombe ni à des embûches clandestines[97], ni aux souffrances d'une longue maladie, ni à une condamnation capitale, mais de ce qu'au milieu d'une course florissante et glorieuse j'ai mérité de sortir ainsi noblement du monde. Car il est également juste de considérer comme un faible et comme un lâche celui qui désire la mort, quand l'heure n'en est pas venue, et celui qui refuse de mourir, quand il le faut...

Discourant ainsi, Julien s'affaiblissait de plus en plus. En voilà assez, dit-il ; mes forces ne me permettent pas de continuer. Au sujet de l'empereur que vous devrez élire, je me tais : car je craindrais d'oublier de désigner le plus digne, ou, si j'indique celui qui me parait propre au pouvoir, de l'exposer au péril, au cas où vous en choisiriez un autre. J'ai toujours servi honnêtement la République : je souhaite qu'après moi elle trouve un bon chef[98].

Julien prononça ces paroles d'un ton calme : puis, il voulut distribuer quelques souvenirs à ses amis les plus intimes. Comme il demandait le maitre des offices, Anatole : Il est bienheureux, répondit le préfet Salluste. Julien comprit qu'Anatole avait péri dans la bataille : et lui qui ne s'attendrissait pas sur son propre sort, pleura amèrement la mort de son ami[99]. En même temps, comme ceux qui l'entouraient, et surtout les philosophes, qui avaient si étroitement associé leur fortune à la sienne, se désespéraient, il les réprimanda d'un ton d'autorité[100] : Pourquoi, leur dit-il, quand toutes mes actions m'assurent l'entrée dans les îles des bienheureux, me pleurez-vous comme si j'avais mérité le Tartare ?[101] Et, dans le silence de tous, il s'entretint avec Maxime et Priscus de la sublimité de l'âme. Pendant cet entretien, qu'Ammien qualifie d'obscur et de subtil[102], sa blessure se rouvrit. Se sentant étouffer, il demanda un verre d'eau. Dès qu'il l'eut bu, il rendit le dernier soupir.

Écrivant sous l'impression de sa tendresse et de sa douleur, Libanius a comparé la mort de Julien à celle de Socrate. La scène, dit-il, était semblable à la scène de la prison de Socrate. Les assistants paraissaient les disciples qui avaient entouré Socrate. La blessure remplaçait le poison, égales étaient les paroles, égale fut l'impassibilité de Socrate et de Julien[103]. Sans rechercher ce que peut avoir d'outré ou d'inexact une telle assimilation, on ne peut s'empêcher de remarquer que la mort de Julien fut celle d'un philosophe plus que d'un païen. Si le nom des dieux est encore prononcé dans ses dernières paroles, c'est par une expression vague, conventionnelle, où rien ne rappelle les ardeurs polythéistes qui remplirent et faussèrent son court règne. Sa pensée, à cette heure solennelle, semble détachée de l'œuvre néfaste à laquelle il consacra tant d'efforts. Dans son discours d'adieu, il ne s'applaudit pas d'avoir relevé les autels. Il n'exprime pas le regret de laisser inachevée la restauration de l'hellénisme. Il ne s'inquiète pas de lui assurer un lendemain. Il n'adresse, sur ce sujet, aucune recommandation aux amis et aux serviteurs qui l'entourent. Il n'essaie pas de désigner un successeur imbu de ses idées, et de s'opposer à l'éventualité probable d'un empereur chrétien. Replié sur lui-même, inquiet seulement de justifier sa vie politique et de méditer sur ses destinées d'outre-tombe, il se tait sur ce qui lui inspira naguère le plus d'actes et de paroles. Ce silence étrange, inattendu, succédant à une activité désordonnée, cette soudaine indifférence après tant de passion, semblent l'indice d'une désillusion suprême. Le rêve de Julien avait été de ceux qui se dissipent, non aux premiers rayons de l'aurore, mais à la lumière de ce terrible flambeau qu'on allume aux mourants. Probablement il expira avec la claire vue que tout dans son œuvre avait été factice, avec la révélation soudaine qu'elle était déjà morte avant lui.

 

III. — Le traité avec les Perses.

Ainsi périt, le 26 juin 363, à minuit, ce prince de trente-deux ans, en qui s'éteignait, après soixante-dix ans, la dynastie fondée en 292 par Constance Chlore.

A peine eut-on le temps de le pleurer. En grande hâte, son corps fut mis au cercueil, afin d'être conduit à Tarse, conformément à ses dernières volontés, si l'armée avait le bonheur de revoir la terre romaine. Mais le soin le plus pressant, c'était de trouver un chef capable de l'y ramener. Dès le matin du 27 juin, les généraux et les principaux officiers s'assemblèrent. Bien qu'on délibérât, en quelque sorte, sous les yeux de l'ennemi, les ambitions se firent jour. Tout de suite apparurent deux partis, et le débat, qui eût chi être calme et triste, se tourna en discussions passionnées.

L'armée comptait des officiers dont les sentiments, les traditions, les intérêts n'étaient pas les mêmes. D'un côté se trouvaient ceux qui devaient leur fortune à Constance, les tenants des anciennes idées et de l'ancienne cour, Arinthée, Victor et leurs amis ; de l'autre les hommes nouveaux, créatures de Julien, Nevitta, Dagalaïphe, tous ceux qui avaient fait leurs premières armes en Gaule et en Germanie sous les ordres du César et avaient été associés à son usurpation. Chacune de ces factions cherchait à imposer un candidat. Après avoir longtemps discuté sans parvenir à une entente, on convint de réunir les suffrages sur un homme qui se rattachait au parti de Julien, mais que son caractère conciliant avait fait agréable à tous, le préfet du prétoire Salluste Second. Mais celui-ci s'excusa sur sa vieillesse et ses infirmités. Alors un officier d'un rang honorable[104], qui pourrait bien être Ammien Marcellin, demanda que l'élection fût ajournée. Que feriez-vous, dit-il, si un empereur vous avait chargés de diriger la guerre en son absence ? ne mettriez-vous pas tout autre soin de côté, jusqu'à ce que vous ayez tiré l'armée des difficultés présentes ? Faites de même ; et s'il nous est donné de revoir la Mésopotamie, alors les suffrages associés des deux armées créeront un souverain légitime. Mais cet avis, peut-être prudent, et à coup sûr plus digne, n'était pas de ceux qui peuvent prévaloir dans les moments de crise. On n'avait pas eu le temps de le mettre aux voix, quand un nouveau nom fut jeté par quelques-uns, et, ainsi qu'il arrive souvent, emporta les suffrages moins à cause de la valeur personnelle du candidat improvisé qu'en raison de la lassitude de tous. Jovien, chef des domestiques, c'est-à-dire commandant des gardes du palais, fut proposé et acclamé. L'armée, qui se préparait déjà au départ, l'accepta sans objections comme sans enthousiasme. Il y en eut qui, trompés par la désinence du nom, crurent que l'on proclamait Julien, revenu à la santé. Et ce fut, dit-on, un désappointement pour beaucoup, quand on vit apparaître, sous un vêtement de pourpre qu'on avait eu peine à trouver assez grand pour sa taille, la stature longue et déjà courbée de Jovien[105]. Un observateur de bonne foi, dit Ammien, accusera justement des matelots qui, ayant perdu un vigoureux pilote, choisissent au milieu de la tempête le premier venu pour lui confier le gouvernail.

La parole est amère ; mais, dans cette partie de son histoire, Ammien, chose rare, cesse d'être impartial. Lui qui a pris jusque-là avec un regard si juste et si droit, la mesure de Julien, et qui s'est appliqué à mettre dans une lumière égale ses qualités et ses défauts, semble préoccupé maintenant d'écarter de l'empereur qui vient de mourir la responsabilité du lamentable échec où va se briser l'expédition de Perse. Il voudrait prouver que celui-ci est da à la médiocrité ou à la mollesse de Jovien, incapable de ces éclairs de volonté et de courage qui eussent pu encore, dit-il, sauver l'armée. La suite des événements, exposée d'après Ammien lui-même, permettra au lecteur de se faire une opinion à ce sujet.

Malgré la foi chrétienne professée par Jovien, l'armée vivait encore sous le régime païen. Aussi, dès le lendemain de l'élection, les prêtres officiels offrirent-ils pour le nouveau prince un sacrifice, à la suite duquel les entrailles des victimes furent examinées par les haruspices. Ceux-ci déclarèrent que l'armée était perdue, si elle prolongeait son séjour dans le camp, mais que la victoire était assurée, si elle en sortait[106]. Leur avis fut écouté : le 28 juin, les troupes se mirent en marche. Mais les Perses ne leur laissèrent plus un moment de tranquillité. Le remplacement de Julien par un nouveau prince, que des transfuges représentaient comme timide et sans vigueur[107], engageait Sapor à pousser plus vigoureusement que jamais l'offensive. Les premiers bataillons qui franchirent les limites du camp rencontrèrent une ligne d'éléphants, derrière laquelle s'abritaient des escadrons de cataphractaires. Comme toujours, la vue des gigantesques animaux produisit dans les rangs des Romains, sur les chevaux et les hommes, un moment de désarroi : mais des soldats intrépides, appartenant aux cohortes des Joviens et des Herculiens, tuèrent quelques éléphants, et continrent l'élan des cataphractaires. Bientôt sortirent les légions des Joves et des Victorieux ; deux éléphants périrent encore, avec beaucoup de Perses. Les Romains eurent de leur côté à déplorer la mort de quelques-uns de leurs officiers les plus renommés, Julien, Macrobe, Maxime, tribuns légionnaires. On les enterra à la hâte, et, par la route maintenant déblayée d'ennemis, on reprit la marche. Au bout de quelques pas, l'armée romaine reconnut le cadavre du maître des offices Anatole, tué dans le combat de l'avant-veille : elle lui rendit rapidement les derniers honneurs. C'est à ce moment qu'elle fut rejointe par les soixante braves qui, dans ce même combat, avaient occupé un château persan, le fort de Vacca[108].

Le lendemain, 29 juin, l'armée campa dans une vallée : tout alentour du campement furent dressés des pieux aiguisés en forme de piques, composant une muraille continue, dans laquelle s'ouvrait une seule issue. Des hauteurs voisines, les Perses jetaient des flèches : on les entendait injurier les Romains, et, répétant un propos des transfuges, les accuser d'avoir assassiné leur empereur[109]. L'audace des Perses croissant avec l'impunité, des troupes de leurs cavaliers forcèrent l'une des portes du camp[110], et arrivèrent tout près de la tente de Jovien : mais elles furent repoussées, laissant beaucoup de morts et de blessés. Au point du jour, l'armée romaine décampa.

Le 30 juin, vers le soir, elle s'établissait en un lieu appelé Chancha. Elle y fut relativement tranquille, parce que là les hauteurs qui bordent le fleuve et dominent la plaine avaient été naguère aplanies de main d'homme, afin d'empêcher des envahisseurs sarazins de les occuper : les Perses ne purent, de leurs crêtes, envoyer des flèches aux Romains. Le 1er juillet, les troupes quittèrent cet abri, et se dirigèrent vers la ville de Dura[111]. Elles y parvinrent, après avoir péniblement franchi trente stades, toujours suivies par l'ennemi. Cette fois, c'étaient des Sarazins passés au service des Perses, après avoir vu leurs offres d'alliance repoussées par Julien[112], qui se montraient les plus acharnés. Les chevaux et les convois, qui se trairaient à la suite de l'armée, eussent été capturés par les pillards, si l'infanterie et la cavalerie légères n'avaient constamment veillé.

Les Romains passèrent à Dura quatre jours fort agités. Les Perses les avaient suivis, et les entouraient. Si les troupes de Julien essayaient de se remettre en marche, de tous côtés ils fondaient sur elles : si elles s'arrêtaient pour leur livrer bataille, ils reculaient lentement, et se dérobaient au combat. Fatiguée, exaspérée, l'armée romaine n'avait plus qu'un désir : s'échapper en traversant le Tigre. On était tout près du fleuve, et les soldats s'imaginaient que de l'autre côté ils atteindraient vite les contrées soumises à l'Empire. A grands cris, ils demandèrent qu'on tentât le passage. Jovien et les généraux, effrayés par le cours impétueux et rapide du fleuve, résistèrent tant qu'ils purent aux désirs de leurs troupes, leur montrant les deux rives gardées par les Perses, les suppliant de ne pas exposer des milliers d'hommes, dont la plupart ne savaient pas nager, à être engloutis faute de bateaux et de ponts. Mais le soldat était parvenu à ce degré d'exaspération où il ne veut plus rien entendre. L'empereur dut céder à regret. Il permit que cinq cents hommes, choisis parmi les Sarmates et les Gaulois, excellents nageurs habitués à se jouer dans les eaux du Danube ou du Rhin, tentassent la traversée : s'ils y périssaient, leurs camarades n'insisteraient pas pour renouveler une aussi périlleuse épreuve ; s'ils réussissaient, ils auraient peut-être ouvert une voie de salut. Profitant du silence et des ténèbres de la nuit, ces braves se jetèrent à l'eau, sur une même ligne, et, avec une facilité inattendue, parvinrent à la rive opposée : ils égorgèrent les soldats persans chargés de la garder, qui, ne croyant pas pouvoir être attaqués, dormaient tranquillement ; puis, levant les mains, secouant leurs manteaux d'uniforme, ils annoncèrent de loin leur succès à leurs camarades. Ceux-ci n'eurent plus dès lors qu'une pensée : passer à leur tour le fleuve ; mais il leur fallut attendre que, à défaut d'un autre matériel, les ingénieurs eussent préparé le pont flottant qu'ils se faisaient forts de construire avec des outres faites de peaux écorchées[113].

Malheureusement, ceux-ci n'y purent réussir : pendant deux tristes jours, ils essayèrent d'établir des ponts : à chaque essai le flot, rapide et gonflé comme un torrent, emportait ou dispersait les frêles matériaux. Acculée à la rive infranchissable, l'armée souffrait dû manque de vivres : son impuissance et sa misère la mettaient en fureur : elle aspirait maintenant à reprendre sa marche, aimant mieux mourir par le fer que de succomber honteusement à la famine[114]. C'est à ce moment, dit Ammien lui-même, que l'éternel Dieu du ciel se déclara enfin pour nous, en permettant que, contre toute espérance, les Perses envoyassent les premiers le suréna et un autre de leurs grands nous offrir la paix[115].

Malgré les souffrances et l'affaiblissement des Romains, le prudent Sapor craignait, dans son intérêt, de pousser les choses à l'extrême. Les récits de ses lieutenants, confirmés par le témoignage des espions et des transfuges, lui avaient fait connaître les hauts faits de ses adversaires. Il avait été frappé du grand nombre de ses soldats tués, et plus encore, peut-être, d'avoir perdu dans les divers combats plus d'éléphants que n'en avait jamais perdu aucun de ses prédécesseurs[116]. Il se disait que l'armée romaine était maintenant aguerrie et acclimatée, qu'elle brûlait du désir de venger son empereur mort, et qu'elle tenterait quelque bataille désespérée, d'où sortirait pour elle la victoire définitive ou le complet désastre[117]. Il croyait à l'arrivée prochaine de l'armée de secours, demeurée intacte dans la Haute Mésopotamie, et dont la vue achèverait de démoraliser ses propres troupes, que leurs pertes avaient déjà découragées[118]. Mais, sans laisser voir les craintes que lui prête ici Ammien, il avait ordonné à ses plénipotentiaires de tenir aux Romains un langage hautain, de les traiter déjà en vaincus, et de leur offrir les conditions les plus dures.

Les restes de l'armée, dirent le suréna et son collègue, seront par humanité autorisés à se retirer, si l'empereur et les chefs acceptent les clauses imposées par le très clément roi[119]. Ces clauses étaient l'abandon de toute la haute vallée du Tigre, c'est-à-dire des cinq provinces, l'Arzanène, la Moxène, la Zabdicène, la Réhimène et la Corduène, conquises en 297 par Galère, plus la cession de quinze places fortes en Mésopotamie, parmi lesquelles les villes de Singare et de Nisibe et un château appelé le camp des Maures. C'était, pour ainsi dire, le démantèlement de la frontière de l'est, désormais ouverte aux Perses. Une autre clause pouvait paraître plus humiliante encore : l'abandon du seul allié que l'Empire conservât dans ces régions ; les Romains s'interdiraient de secourir Arsace, en cas de guerre des Perses avec l'Arménie. Bien que l'intervention de celui-ci n'eût été d'aucun secours pour l'armée de Julien, Sapor ne pouvait lui pardonner d'avoir dévasté le Chiliocorne[120].

Ces conditions terribles furent longtemps débattues. Au milieu des affres de la faim, pendant quatre mortelles journées, plus douloureuses que tout supplice, on marchanda pièce à pièce la rançon[121] exigée des Romains. Ammien dit que ces quatre jours eussent été mieux employés à marcher vers la Corduène, dont les premiers postes n'étaient, dit-il, qu'à cent milles de l'endroit où agonisait l'armée romaine. A la distance de temps et de lieu où nous sommes, il est malaisé de discuter cette opinion : cependant on peut se demander si, au cas où Jovien eût cru possible de se dégager par la force du cercle de fer qui l'enserrait, ses troupes, qui il y a quelques jours semblaient capables de cet acte de désespoir, eussent maintenant consenti à le suivre. On se souvient que Julien avait tenu secrètes les propositions de paix qui lui avaient été faites devant Ctésiphon, de peur que l'armée, si elle les avait connues, refusât de combattre davantage. Aujourd'hui, l'on négociait sous les yeux de celle-ci, qui, au dire d'Ammien, avait considéré comme une faveur inespérée du ciel la venue des plénipotentiaires persans. Libanius ajoute que l'armée soupirait ouvertement après la paix, et en réclamait à grand cris la conclusion[122]. D'ailleurs, réduite maintenant, à ce qu'on assure, au dixième de son effectif[123], lui eût-il encore été possible de trouer les troupes persanes, et de longer, sans approvisionnements et sans vivres, la rive gauche du Tigre, bordée de hauteurs d'où pouvait fondre à tout instant l'ennemi ? L'énorme difficulté avec laquelle, une fois la paix signée, les troupes romaines, obligées d'abandonner comme escarpés et impraticables[124] les bords du fleuve, opérèrent le passage de celui-ci, en y laissant beaucoup de noyés, puis traversèrent la Mésopotamie, mourant de faim et de soif, mangeant en route leurs chevaux et leurs bêtes de somme, et perdant presque tous leurs bagages[125], permet de croire qu'une telle retraite se fût changée en une défaite irrémédiable, en un anéantissement complet de l'armée, s'il avait fallu disputer à chaque pas le chemin à l'ennemi.

Ce qu'on doit retenir, c'est l'aveu non suspect de Libanius : l'armée exigeait que l'on traitât à tout prix. Le nouvel empereur fut obligé de se soumettre. Il signa le traité, le 10 juillet, sans avoir pu obtenir aucun adoucissement des Perses. Eutrope, présent sur les lieux comme Ammien, mais ayant peut-être plus que ce brave soldat gardé son sang-froid, déclare que cette paix, si honteuse qu'elle fût, était devenue nécessaire[126]. On ne saurait donc, semble-t-il, faire peser sur Jovien seul la responsabilité d'une capitulation devenue la condition forcée du retour de l'armée[127]. Si ce fut, selon le mot d'Ammien, un traité déshonorant[128], une large part de ce déshonneur doit peser sur la mémoire du prince qui le rendit inévitable par une guerre entreprise contre le sentiment d'un grand nombre de ses sujets, et, malgré la brillante valeur personnelle du chef et de ses troupes, beaucoup moins bien conduite[129] que les expéditions semblables de Trajan, de Septime Sévère et de Carus[130].

Procope, en qui Jovien eût pu redouter un rival, se rallia tout de suite au nouveau gouvernement. Commandant, avec Sébastien, l'armée qui manœuvrait dans la Haute Mésopotamie, il fit parvenir un convoi de vivres à celle qui revenait sous la conduite de Jovien : quand elle les reçut, épuisée par un voyage de six jours à travers des plaines désertes, où elle n'avait trouvé ni eau, ni pain, ni fourrage, elle était sur le point de succomber à la famine[131]. Mais dès que les provisions envoyées par Procope eurent été consommées, sa misère recommença, et, si l'on n'avait mangé une partie des chevaux, les soldats seraient morts de faim : les routes étaient semées d'armes et de bagages abandonnés[132]. Un boisseau de farine, quand par hasard on en trouvait, se payait dix pièces d'or[133]. C'est à la tête de troupes affamées qu'avant d'arriver à Nisibe, — dont il n'osa affronter la douleur patriotique, — Jovien reçut Procope et ses principaux officiers, venus pour le saluer. En souvenir de sa parenté avec Julien, Jovien donna à Procope la mission honorable que lui-même avait remplie deux ans plus tôt, lors des funérailles de Constance : il le chargea de conduire à Tarse, pour y être inhumé, le corps du défunt empereur.

 Ce fut une pompe païenne. Quand le convoi entra dans la capitale de la Cilicie, des mimes et des histrions, empruntés aux théâtres de la ville, firent l'office de pleureurs[134]. La tombe — enceinte funéraire[135], entourant un petit temple[136] dans lequel était le mausolée[137] — fut construite dans la banlieue de Tarse, au bord de la voie romaine qui montait vers le Taurus. La largeur de cette voie séparait la sépulture de Julien de celle d'un autre ennemi du christianisme, Maximin Daïa[138]. Quand Jovien, au mois de décembre, traversa Tyane, il ordonna de faire au monument funèbre des travaux d'embellissement[139]. Sur le marbre on grava un distique grec :

Du Tigre impétueux est venu dormir ici Julien,

à la fois bon roi et vaillant guerrier[140].

Mais, s'écrie Ammien, ce n'est pas au bord du Cydnus, fleuve charmant et limpide, que devraient reposer ses cendres : en mémoire de ses hauts faits, c'est ailleurs qu'il les faudrait, dans la ville éternelle, baignées par le Tibre en même temps que les temples des dieux et les monuments des vieux héros ![141] — N'en déplaise à Ammien, il semble que les cendres de Julien étaient mieux à leur place auprès d'une rivière d'Asie, qu'elles n'eussent été dans cette Rome qu'il ne connaissait pas, où il était médiocrement aimé, parmi les ombres des vieux héros dont il n'a presque jamais prononcé les noms, au sein d'un paganisme formaliste qui ressemblait si peu au sien.

On dit que les Perses eux-mêmes rendirent à leur façon hommage à Julien. Ils avaient naguère placé dans un de leurs temples, comme un trophée, la peau tannée et teinte en rouge d'un empereur vaincu, le malheureux Valérien[142]. Ils voulurent que la mort de Julien fit commémorée d'une manière moins tragique, par une peinture. Pour signifier à la fois sa vaillance impétueuse et les ravages de son invasion, ils tracèrent sur les murailles d'un temple une image de la foudre, près de laquelle ils écrivirent : Julien[143].

 

IV. — La pacification religieuse.

Les nouvelles de la mort de Julien, de l'élection de Jovien et du traité conclu avec les Perses arrivèrent simultanément, à Antioche d'abord, qui était la grande ville la plus rapprochée du théâtre de la guerre, puis dans les autres contrées de l'Empire[144]. Comme on devait s'y attendre, l'annonce de ces événements produisit, selon les milieux, des effets très divers.

Ce fut un coup terrible pour beaucoup de ces païens orientaux, dont le prince qui tombait ainsi en pleine jeunesse avait réveillé le fanatisme. La ruine de toutes leurs espérances excitait en eux un mélange de douleur et de colère. Il y eut des villes où l'on lapida, comme coupable de mensonge au sujet d'un dieu, le messager qui annonçait la catastrophe[145]. Les dévots sincères accusaient d'ingratitude les immortels. Comme Julien lui-même, ils s'étaient figurés que ceux-ci interviendraient en personne dans les batailles, à la façon des dieux d'Homère, et que du ciel des foudres et des tourbillons de feu, et tous les projectiles que peuvent lancer des dieux, tomberaient sur les Perses[146]. Aussi, déçus dans leur attente, s'écriaient-ils avec amertume : Une telle récompense pour tant de victimes, pour tant de prières, pour tant de parfums, pour tant de sang versé le jour et la nuit ![147]

Les amis particuliers de Julien furent atterrés. Celui qui l'aimait peut-être le plus sincèrement, Libanius, faillit tomber malade de douleur. Il eut des pensées de suicide. Je me serais, dit-il, précipité sur mon épée, si je n'avais été retenu par le souvenir des enseignements de Platon, et aussi par la pensée de consacrer le reste de ma vie à glorifier la mémoire du héros[148]. Il se mit tout de suite à l'œuvre, puisqu'il avait écrit, dès le mois de juillet, une courte lamentation sur la mort de Julien[149] : mais probablement la lut-il seulement dans un cercle d'intimes, car cette monodie contient l'expression d'une douleur si violente, d'un regret si passionné, des paroles si vives sur la perte irréparable faite par le monde romain, qu'il n'eût pas été prudent de la publier sous le nouveau règne. Plus à loisir, il commença aussitôt après la composition d'une seconde oraison funèbre, qui prit les proportions d'une véritable biographie[150]. Surtout il ne cessa d'épancher sa douleur dans le sein des amis demeurés fidèles au souvenir de Julien. Beaucoup de ses lettres de 363 sont adressées à ceux-ci, et leur rappellent les jours heureux qui sont maintenant passés pour toujours[151]. Mais, dès cette époque, une des peines les plus vives de Libanius fut de voir combien, parmi les anciens fonctionnaires ou les anciens compagnons d'armes de Julien, était petit le nombre de ceux qui honoraient encore le mort, et s'occupaient d'autre chose que de leur intérêt personnel[152]. Pour le discours qu'il composait, il avait, dit-il, grand'peine à tirer d'eux les renseignements dont il avait besoin[153].

Plusieurs, cependant, parmi ceux qui avaient suivi Julien dans ses guerres, le regrettèrent sincèrement. Mais on ne pouvait attendre de tous la douleur violente, bruyante, personnelle, dont Libanius donna l'exemple. Ammien, qui parait avoir été plutôt pour Julien un loyal serviteur qu'un ami, et qui, bien que moins impartial que d'habitude dans le récit des derniers épisodes de la guerre de Perse, représente généralement l'esprit modéré et le jugement demeuré libre du paganisme occidental, s'affligea surtout en voyant disparaître la personnification la plus brillante des anciennes idées, le seul des tenants de l'hellénisme qui depuis un demi-siècle ait vraiment remué le monde et fait figure de héros[154]. A Rome, où les diverses tentatives de Julien avaient excité autant de défiances que de sympathies, on rendit à sa mémoire les honneurs accoutumés : le sénat se hâta de lui décréter l'apothéose[155]. Mais quelques païens semblent avoir éprouvé de sa mort une impression singulière. Saint Jérôme, alors âgé de dix-sept ans, suivait, probablement à Rome, les cours d'une école de grammaire, quand il entendit un de ceux-ci dire, avec un accent railleur qui cachait apparemment quelque trouble : Comment les chrétiens prétendent-ils que leur Dieu est patient, et supporte longtemps le mal ? Rien n'est plus prompt que sa colère. Il n'a pu en retenir plus longtemps les effets[156].

Si tous les idolâtres n'échappèrent pas à cette impression, elle fut, naturellement, celle des chrétiens. Dans le coup qui abattit Julien, ils reconnurent la main divine. On dit que plusieurs d'entre eux en avaient eu le pressentiment, et annoncèrent l'événement à l'heure même où il s'accomplissait[157]. Quand la nouvelle en devint publique, leur joie fut unanime de voir un nouveau chapitre s'ajouter au livre déjà classique De la mort des persécuteurs[158]. Ils se sentaient d'autant plus le droit de maudire Julien, qu'ils faisaient retomber sur lui seul la responsabilité du désastre national. Il est juste, disaient-ils, que la moisson soit à celui qui a jeté la semence, non à celui qui a récolté les épis sanglants et humiliés[159]. Surtout ils éprouvaient un sentiment de délivrance à la pensée que la persécution qu'ils croyaient voir éclater le jour où Julien reviendrait de Perse, et que depuis de longs mois leurs prières suppliaient le ciel d'écarter de leur têtes, était conjurée à jamais[160]. Dans Antioche les églises, les chapelles, retentirent d'actions de grâces. La ville fut en fête. Il y eut des festins, des réjouissances dans les rues. Jusque sur les théâtres on proclamait la victoire de la croix. Où sont tes oracles, insensé Maxime ? criait-on. Dieu et son Christ ont vaincu[161]. Si la vivacité de ces démonstrations étonne ou choque, surtout au lendemain d'un des plus graves échecs qu'aient subis les armes romaines, il faut se souvenir que les partis ne voient souvent qu'un côté des choses, et que le fait ou la menace d'une persécution donne inévitablement à ceux qui y ont été exposés des sentiments de parti. Il faut se souvenir encore que, chez certains chrétiens d'Orient, ces sentiments se doublaient d'un deuil patriotique : saint Éphrem, qui maudira dans cinq hymnes enflammés la mémoire de Julien, venait de quitter, en compagnie de ses concitoyens exilés, la malheureuse Nisibe, que Julien vivant avait refusé de mettre en état de défense, et que la mort de Julien livrait aux Perses. Mais il convient d'ajouter que des membres influents du clergé chrétien s'efforçaient au même moment de ramener, sinon les paroles, au moins les pensées à une mesure convenable. Nulle part, certes, l'invective n'éclate plus âpre et plus puissante que dans les deux discours composés en 363 et 364 par saint Grégoire de Nazianze contre la mémoire de Julien. Mais, chose qui surprendra ceux qui connaissent seulement de réputation ces discours, et qui les citent sans les avoir lus, les conseils y sont aussi doux que paraissent dures les paroles. Grégoire accable sous les traits de son éloquence l'ennemi des chrétiens, et souvent nous serions tentés de demander grâce pour le vaincu. Mais il veut que la revanche soit toute oratoire, et ne passe pas dans les faits. Il recommande à ses auditeurs de modérer ce qu'il y aurait de trop bruyant dans leur joie : surtout, avec l'autorité de la chaire évangélique, il leur ordonne d'abandonner toute pensée de réaction politique ou religieuse. C'est le grand côté chrétien de ces discours, que l'on croirait, à première vue, insuffisamment pénétrés de l'esprit de l'Évangile.

Considérons avec sérieux, dit l'orateur, cette divine vengeance. Montrons que nous avons mérité non les souffrances passées, mais les bienfaits présents. Profitons de la calamité qui nous a frappés, non comme des malfaiteurs livrés justement aux gentils, mais comme des enfants purifiés par le châtiment. N'oublions pas la tempête au sein de la tranquillité, ni la maladie après que la santé est revenue... Ne faisons pas, par notre conduite, regretter dans la paix l'époque de nos troubles : il en serait de la sorte si, au lieu que nous nous montrions alors humbles et modérés, comme des gens qui mettent toute leur espérance dans le ciel, nous paraissons aujourd'hui à la fois orgueilleux et dissolus, et nous retombons dans les mêmes péchés qui avaient amené sur nous les malheurs auxquels nous venons d'échapper[162].

Grégoire s'élève ensuite contre les réjouissances inconvenantes qui ont accueilli, à Antioche et ailleurs, la mort de Julien. Soyons en fête, mes frères, mais non par l'ornement du corps, non par la magnificence des vêtements, non par les excès du manger et du boire, dont le résultat est l'impureté : n'ornons pas nos places de guirlandes de fleurs, ne brillons pas honteusement des parfums sur nos tables et dans nos vestibules, n'illuminons pas nos maisons, n'y faisons pas retentir le son des flûtes et le bruit des applaudissements, comme des païens célébrant la fête de la nouvelle lune... Saint Grégoire veut que ces démonstrations profanes soient remplacées par d'humbles et ferventes prières[163].

L'orateur sacré passe à la seconde partie de ses conseils. Il sent que, si on ne la retient, la revanche populaire sera terrible. Déjà ceux qui avaient pris part à la persécution, les magistrats qui, sous Julien, avaient condamné quelques chrétiens pour bris de statue ou d'autel, étaient depuis longtemps mis à l'index, repoussés avec horreur : on évitait leur rencontre : personne ne leur parlait, ne leur donnait ce baiser, qui était le salut antique[164]. Maintenant, la colère du peuple chrétien commence à se manifester autrement que par cette réprobation silencieuse : Grégoire voit avec inquiétude les persécuteurs d'hier au théâtre, à l'agora, dans les assemblées, poursuivis par les clameurs de la foule[165]. A Constantinople, le préfet nommé par Julien a manqué de périr dans une émeute[166]. Même les gens qui ont usé modérément de leur influence, comme Libanius, sont inquiétés. Sous prétexte qu'il avait, dans une lettre, dénoncé à Julien des amis de Constance, un complot est formé contre le sophiste : des gens armés devaient, au moment où il ferait visite à l'une de ses parentes, le saisir, l'entraîner dans le jardin de la maison, et le massacrer : un des conjurés, pris de remords, l'avertit et le sauva[167]. Aux passions ainsi déchaînées Grégoire oppose le devoir de la charité chrétienne.

Voilà ce qu'il faut entendre et accepter. N'usons pas insolemment des circonstances favorables, n'abusons pas de la puissance, ne nous montrons point durs à ceux qui nous ont fait du mal, n'imitons pas ce que nous blâmions autrefois. Du changement de régime profitons seulement en ceci, que nous avons échappé aux mauvais traitements, mais détestons toute pensée de les rendre... Puisque nous ne pouvons punir tous les coupables, pardonnons à tous ; nous nous montrerons ainsi meilleurs que ceux qui nous ont offensés, et nous ferons voir par là en quoi la loi du Christ l'emporte sur ce que leur avaient enseigné les démons[168]... A nous de vaincre par notre bonté ceux qui nous avaient opprimés... Ne songeons point à des confiscations, ne traînons personne devant les juges, n'exilons personne, ne fouettons personne, en un mot n'infligeons à personne ce dont nous-mêmes avons souffert. Rendons, s'il se peut, meilleurs par notre exemple ceux qui eurent des torts envers nous[169].

Quand on lit ces paroles, adressées à ceux qui soit par eux-mêmes, soit en la personne de leur fils, leur père, leur femme, un parent, un ami, ont souffert de la persécution[170], il est difficile de mettre celle-ci en doute, et de nier l'état misérable où furent réduits les chrétiens, au moins en Orient, sous le règne de Julien. Ce qui est remarquable, c'est l'absence de réaction soit politique, soit religieuse, après la disparition de celui-ci. Le premier mouvement populaire avait été vif. Des magistrats, des amis de Julien, avaient couru des dangers. Les habitants de certaines villes s'étaient soulevés contre les philosophes : quelques-uns de ceux-ci, soupçonnés de s'être enrichis outre mesure des dons de Julien et du pillage des églises, avaient même été jetés en prison[171]. Mais cette effervescence première n'avait pas duré. Loin d'y exciter, le clergé chrétien (on l'a vu par le langage de Grégoire de Nazianze) employa son autorité morale à la combattre. Le pouvoir civil ne se prêta pas davantage aux représailles. Même entre les mains d'anciens confesseurs de la foi, comme Jovien et Valentinien, il se refusa à montrer, en sens inverse, les passions religieuses dont avait été animé Julien, et tint à honneur de rester modéré.

H semble, cependant, que d'abord Jovien ait hésité sur la conduite à tenir. Si l'on en croit Libanius, celui-ci ayant été accusé « par un barbare » de pleurer sans mesure Julien et de trop vanter le dernier règne, l'empereur eut la pensée de le condamner à mort, et en fut détourné seulement par cette observation d'un de ses conseillers : A quoi bon faire périr un homme, dont les écrits resteront dans toutes les mains ?[172] Mais il se peut que, dans ce récit, l'imagination du sophiste, qui voyait partout des dangers, ait, de concert avec sa vanité, un peu exagéré les choses. Aucun ami de Julien ne fut puni pour des propos. Même ceux qui s'étaient, sous son règne, portés aux pires excès eurent la vie sauve. Les seuls païens punis de la peine capitale furent ceux qui avaient épousé des religieuses[173] : encore la loi qui prononce cette peine contre eux ne fut-elle que le retour à un principe déjà posé par Constance[174] : d'ailleurs, l'histoire ne marque nulle part qu'elle ait été appliquée. Les auteurs de dégâts contre les édifices, ou même de violences contre les personnes, ne furent pas autrement inquiétés : si un fonctionnaire prévaricateur, comme le comte Magnus, coupable d'avoir incendié l'église de Beyrouth, n'obtint sa grâce qu'à condition de rebâtir celle-ci[175], les Juifs qui, abusant de l'impunité que leur laissait Julien, avaient mis le feu à de nombreuses basiliques, ne furent condamnés à payer aucune indemnité aux chrétiens[176].

La première loi publiée par Jovien fut pour établir la liberté de religion[177]. Le labarum reparut sur les étendards et sur les monnaies[178] : les églises rentrèrent en possession des droits que leur avaient accordés Constantin et Constance, et que Julien leur avait enlevés[179] ; mais le culte païen ne fut l'objet d'aucune prohibition[180]. Il cessa seulement d'être le culte officiel, pour passer au rang de culte toléré. Les sacrifices cessèrent d'être offerts au nom de l'État[181]. Les temples commencés aux frais de l'État sous le règne de Julien, restèrent interrompus[182]. Mais ceux qui avaient été rouverts ne furent pas fermés. Les seules pratiques de l'idolâtrie qui aient été défendues sont les conjurations magiques et les sacrifices nocturnes[183]. Encore un magistrat naguère nommé par Julien, et demeuré en place sous ses successeurs, obtint-il que les mystères d'Éleusis, qui se célébraient pendant la nuit, fussent exemptés de cette interdiction[184]. Aucun professeur païen ne fut inquiété. Priscus, Maxime, conservèrent, tant que vécut Jovien, les biens et les dignités qu'ils avaient reçus du précédent empereur : s'ils éprouvèrent une disgrâce momentanée au commencement du règne de Valentinien, ce fut pour des faits nouveaux, non en représailles de leur faveur passée[185]. Mais une loi, rétablissant la liberté de l'enseignement, déclara que tout homme digne par ses mœurs et son talent d'instruire la jeunesse, reprenait le droit soit d'ouvrir une école, soit de réunir à nouveau son auditoire dispersé[186]. Si beaucoup de temples se fermèrent, si beaucoup de prêtres des dieux abandonnèrent leurs fonctions, si beaucoup de gens rasèrent la barbe ou dépouillèrent le manteau des philosophes, cela eut lieu par la force des choses, non par aucun ordre officiel. Dans son ensemble, le culte païen demeura libre, aussi libre qu'il avait été sous Constantin, plus libre qu'il ne fut sous Constance.

Les païens que n'aveuglait pas la passion surent le reconnaître. Ils se montrèrent reconnaissants aux successeurs chrétiens de Julien d'avoir évité toute réaction. Dans un discours prononcé en présence de Jovien, au commencement de 364., pour célébrer son consulat, le rhéteur Thémistius le remercie d'avoir, étant le maitre pour tout le reste, laissé ce qui concerne la religion au jugement de chacun[187] ; et il ajoute, probablement interprète, ici encore, de l'opinion publique, qui après tant de secousses aspirait surtout au repos : Ta loi de tolérance n'est pas moins précieuse pour l'Empire que ne l'a été ton traité avec les Perses ; car si ce dernier met fin à nos guerres extérieures, le premier éteindra nos discordes intestines[188]. Quand, onze années plus tard, mourra Valentinien, Ammien Marcellin lui donnera le même éloge : Ce qui fait la gloire de son règne, c'est qu'il se tint au milieu de toutes les diversités religieuses, n'inquiétant personne, n'obligeant personne à suivre tel ou tel culte. Il n'inclina pas par des lois menaçantes ses sujets vers ce que lui-même adorait. Mais il laissa les partis dans l'état même où il les avait trouvés[189].

Mais si le paganisme conserva jusqu'aux règnes de Gratien et de Théodose la situation légale qu'il avait eue avant Julien, il ne garda rien de la vie factice que celui-ci avait voulu lui rendre. La main partiale d'un empereur n'étant plus étendue pour le soutenir, il chancela, et recommença la décadence à peine interrompue. En Occident, où l'influence de Julien n'avait pas eu besoin de s'exercer en sa faveur, il se maintint assez longtemps encore, grâce à l'appui politique autant que religieux d'une aristocratie attachée aux anciennes traditions ; en Orient, il retomba tout de suite dans l'état d'où Julien avait essayé de le relever, ruine déjà couchée à terre, sorte d'épave que submergeait presque partout le flot montant de la population chrétienne.

 

 

 



[1] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 90.

[2] Je note ici, pour mémoire, l'opinion qui fait descendre le Philo-pat ris beaucoup plus bas, au dixième siècle, au temps de Nicéphore Phocas. Voir une communication de M. Salomon Reinach, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, 26 juillet 1901, p. 558.

[3] Sur le luxe qu'offraient quelquefois les appartements des étages supérieurs, voir mes Études d'histoire et d'archéologie, p. 193.

[4] Théodoret, Hist. ecclés., III, 2.

[5] Libanius, Ép. 1457. Cf. Ammien Marcellin, XXIV, 6.

[6] Libanius, Ép. 1429a. Cf. Ammien Marcellin, XXIV, 1 ; Libanius, Epitaphios Juliani (Reiske, t. I, p. 593).

[7] Libanius, Ép. 1439.

[8] Libanius, Ép. 1414.

[9] Un des oracles reproduits par Eunape (Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 27 ; Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 25) annonce l'arrivée de Julien devant Ctésiphon, et dit que l'empereur des Romains, semblable à un dieu, a dévasté le pays des Perses comme il dévasta et conquit celui des Alemans. Mais il est probable que cet oracle fut rendu au début de la campagne, alors qu'on pouvait prévoir le succès ; il n'indique pas que les nouvelles de l'armée de Julien parvinssent encore en terre romaine quand elle campa devant Ctésiphon.

[10] Socrate, III, 21, dit que Maxime avait persuadé à Julien qu'en vertu des lois de la métempsycose, l'âme d'Alexandre habitait en lui. Si crédule que fût Julien, et si audacieux charlatan que fût Maxime, on hésite à admettre que l'un ait été capable de croire et l'autre d'inventer une telle fable. Mais Libanius, Epitaphios Juliani (Reiske, t. I, p. 609), dit aussi qu'il se proposait d'imiter Alexandre, de soumettre tout l'Empire des Perses, et d'aller, comme le conquérant macédonien, jusqu'aux Indes.

[11] Ammien Marcellin, XXIV, 7. Rufus, Breviarium, 28, dit aussi : Cum de reditu a militibus admoneretur, intentioni suæ magis credidit.

[12] Increpitis optimatibus. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[13] Perfugæ. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[14] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 11.

[15] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 11 et Sozomène, VI, 1.

[16] Sozomène, VI, 1.

[17] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 11.

[18] Cependant Zonaras (Ann., XIII, 13) affirme qu'Hormisdas connut le conseil donné à Julien par deux transfuges, et supplia l'empereur de ne pu tomber dans le piège.

[19] Ammien, qui note toujours avec le plus grand soin les consultations de ce genre, et les avis souvent divergents auxquels elles donnaient lieu, n'aurait pas manqué d'en faire mention. Saint Ambroise (Ép. 18) dit à propos de l'incendie de la flotte par l'ordre de Julien : Cum responsis haruspicum male credulus esset, ademit sibi subsidia revertendi. Ce texte montre que le témoignage même d'un contemporain ne doit pas toujours lire accepté, quand il n'a pas été témoin du fait, et ne s'est pas trouvé à la source des renseignements. Julien, dans la campagne de Perse, fut toujours incrédule aux avis des haruspices, et ceux-ci, s'ils avaient été consultés au sujet de la flotte, auraient de toutes leurs forces dissuadé Julien de se priver de ce moyen de retraite.

[20] Peut-être se souvint-il d'Alexandre donnant, avant de s'enfoncer dans l'Asie Mineure, l'ordre de brûler la flotte sur laquelle il avait traversé l'Hellespont.

[21] Ammien Marcellin, XXIV, 7. Libanius, Epitaphios Juliani, parle de quinze, et Zosime de vingt-deux embarcations, au lieu de douze qu'indique Ammien.

[22] Élisée Reclus, Nouvelle géographie universelle, t. IX, p. 391.

[23] Dieulafoy, cité par Duruy, Histoire des Romains, t. VII, p. 384, note 2.

[24] Idque putabat utiliter ordinasse, ne relicta classis usui hostibus foret, aut serte, ut ab expeditionis primordio factum est, armatorum fere vinginti millia in trahendis occuparentur iisdem navibus et regendia. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[25] Voir dans ce sens Jurien de la Gravière, l'Empereur Julien et la flottille de l'Euphrate, dans Revue des Deux Mondes, 1er avril 1890, p. 593.

[26] Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[27] Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[28] Perspicua veritas. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[29] Zonaras, XIII, 13.

[30] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 12.

[31] Tortique perfugæ aperte faterent se fefellisse. Ammien Marcellin. XXIV, 7.

[32] Concursu maximo exstingui jussæ sunt flammæ. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[33] Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[34] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 12.

[35] M. Negri, ordinairement si favorable à Julien, dit que l'incendie de la flotte suffirait, à lui seul, à prouver combien, malgré son génie, était peu équilibré l'esprit du jeune empereur. L'Imperatore Giuliano l'Apostata, 2e éd., p. 104.

[36] En assyrien Hiddekel, Fleuve aux bords élevés.

[37] Rufus, Brev., 28 ; Aurelius Victor, Épitomé ; Sozomène, VI, 1 ; Zosime, III.

[38] Coruscus nitor. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[39] Ut procul conspicantibus viderentur advenisse jam Regis auxilia. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[40] Ob causas impedita prædictas. Ammien Marcellin, XXIV, 7.

[41] Libanius, Epitaphios Juliani.

[42] Amico nobis semper et fido. Ammien Marcellin, XXV, 7.

[43] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[44] Libanius, Epitaphios Juliani.

[45] Cibos... parcius victitans conservarat. Ammien Marcellin, XXV, 8.

[46] Captivos graciles suaque natura, ut pæne sunt Persæ... Ammien Marcellin, XXIV, 8. — Ailleurs, décrivant les Perses : Graciles pæne sunt omnes, subnigri vel livido colore patientes. XXIII, 6. — Il a cependant loué en un autre passage la beauté des femmes.

[47] Ammien Marcellin, XXIV, 8.

[48] Ammien Marcellin, XXIV, 8.

[49] Ammien Marcellin, XXIV, 8.

[50] Ammien Marcellin, XXIV, 8.

[51] Ammien Marcellin, XXIV, 8. Cette parole d'un témoin montre combien se trompe Eunape en attribuant la retraite de Julien à un plan arrêté d'avance et à un dessein préconçu. Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 22 ; Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 28.

[52] Il s'agit probablement de la Diyalah, grand cours d'eau qui rejoint le Tigre en aval de Bagdad.

[53] Ammien Marcellin, XXIV, 1 ; Zosime, III. — On voit combien exagère Eunape, disant que Julien était averti par son sens militaire ou par une inspiration divine de tous les mouvements des Perses, et les sentait de loin comme on sent l'approche d'une tempête. Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 22 ; Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 23.

[54] Ammien Marcellin, XXV, 1.

[55] Ultra spem. Ammien Marcellin, XXV, 1.

[56] Sedatius. Ammien Marcellin, XXV, 1.

[57] Ammien Marcellin, XXV, 1 ; Zosime, III.

[58] Ammien Marcellin, XXV, 1.

[59] Acerrimi bellatores, sed magis artifices quam fortes, eminusque terribiles. Ammien Marcellin, XXIII, 6. — Sæpe languidis in conflictu... pugnare fortiter eminus consuetis. Ammien Marcellin, XXV, 1.

[60] Eminuit tamen inter varios certaminum casus Vetranionis mors viri pugnacis, qui legionem Ziannorum regebat. Ammien Marcellin, XXV, 1. — Les Zianes ou Tzanes, peuplade voisine de l'Arménie, fournissaient une cohorte auxiliaire, que l'on trouve nommée dans la Notifia dignitatum et dans la Novelle 28 de Justinien.

[61] Persarum major, ut dictum est, apparuit strages, nostrorum admodum levis. Ammien Marcellin, XXV, 1.

[62] Ammien Marcellin, XXV, 2.

[63] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[64] Ammien Marcellin, XXV, 2.

[65] La phrase d'Ammien est peu claire : Cum somno (ut solebat) depulso, ad æmulationem Cæsaris Juni quædam sub pellibus scribens, obscuro noctis altitudine sensus cujusdam philosophi teneretur... Il faut probablement corriger : sententiis cujusdam philosophi... Voir la note de Valois sur ce passage.

[66] Cf. Macrobe, Sat., III, 7.

[67] Ammien Marcellin, XXV, 2.

[68] Nous ignorons les sources où saint Grégoire de Nazianze a pris les détails qu'il donne sur la guerre de Perse ; mais il est tout à fait d'accord avec Ammien sur la manière dont les Persans combattaient les Romains. Oratio V, 10.

[69] Ammien Marcellin, XXV, 3.

[70] Ammien Marcellin, XXV, 3.

[71] Ammien Marcellin, XXV, 3. — Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 589.

[72] Ammien Marcellin, XXV, 3 ; Libanius, Epitaphios Juliani ; Zosime, III ; Zonaras, XIII.

[73] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 13.

[74] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 13. — Le propos, très peu vraisemblable, est celui-ci : Julien, passant la revue de son armée, se serait écrié : Quel malheur si nous revenions tous au pays des Romains ! Mal interprétée, cette parole aurait allumé le ressentiment d'un soldat, qui aurait attendu et saisi l'occasion de s'en venger.

[75] Sozomène, VI, 1.

[76] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 614.

[77] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 614. — Peut-être faut-il voir dans ce mot une allusion au complot des sectaires.

[78] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 614. — Libanius avoue, d'ailleurs, qu'il n'a pas de renseignement précis : τό όνομα μηδέ ούκ οΐδα.

[79] Δόλος. Libanius, Pro templis ; Reiske, t. II, p. 188.

[80] Elle y persista longtemps ; vers 378, Libanius adresse à Théodose une requête De ultione Juliani (Reiske, t. II, p. 27-62), dans laquelle il exprime les mêmes idées. Julien, dit-il dans cette pièce, fut frappé par un certain Taianus, qui attendait une récompense de ceux qui avaient intérêt à ce que Julien mourût. L'allusion aux chrétiens est visible : il se peut même que ce nom inconnu, Ταιηνός, soit une altération d'un texte primitif, χριστίανος τις (Reiske, t. II, p. 32 ; cf. p. 48). Dix ans plus tard, les mêmes soupçons durent encore chez les païens, puisque le discours Pro templis, cité à la note précédente, est de 388.

[81] Sozomène, VI, 2.

[82] Ammien Marcellin, XXV, 5.

[83] Socrate, III, 21.

[84] Cui expeditioni ego quoque interfui. Eutrope, Brev., X, 16.

[85] Hostili manu. Eutrope, Breviarium, X, 16. — Ab hostium obvia equite. Rufus, Breviarium, 28. — Aurelius Victor dit aussi dans Épitomé : Ab uno ex hostibus, et quidem fugiente. Mais il est douteux que l'auteur de l'Épitomé, contemporain de Théodose et d'Arcadius, soit identique à l'auteur du De Cæsaribus, contemporain de Julien et appelé par lui, en 361, au gouvernement de la Seconde Pannonie. — Le contemporain Magnus de Carrhes, qui était de l'expédition, dit seulement : έτρώθη άδήλως, ce qu'on a traduit par : Il fut blessé par une main inconnue, mais ce qui me parait signifier plutôt : il fut blessé par surprise. Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 6.

[86] Libanius dit que le meurtrier ne peut être un soldat persan, car le roi de Perse ayant promis une récompense à celui qui avait blessé Julien, personne ne se présenta pour la réclamer. Même si l'anecdote est exacte, elle ne prouve rien, car le meurtrier peut avoir péri ensuite dans la bataille. — Une autre opinion, rapportée par saint Grégoire de Nazianze (l. c.). est que le trait fut lancé par un des auxiliaires sarazins qui servaient dans l'armée persane. — Je cite pour mémoire les récits poétiques comme celui du garde du corps Calliste, ami du préfet du prétoire Salluste (cf. Libanius, Ép. 1127), qui, chantant en vers épiques les exploits de Julien, dit qu'il tomba frappé par un personnage surnaturel, ύπό δαίμονος (cité par Socrate, III, 21), ou les récita légendaires comme celui de la Chronique d'Alexandrie, rapportant que Julien fut miraculeusement percé au flanc par le martyr Mercure. — Cette dernière légende est encore populaire à l'époque de la Renaissance : elle est mise en scène dans un drame de Laurent de Médicis, la Rappresentatione di santo Giovanni e Paulo e di santa Costanza, 1489. Voir Dufourq, Étude sur les Gesta martyrum romains, p. 402.

[87] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 11.

[88] Dans le récit donné par Jean Malalas, sous le nom du chronographe Eutychien de Cappadoce, qui avait pris part à l'expédition, ce cri est mis dans la bouche de Julien : Ώ ήλιε, άπώλεσας Ίουλιανόν (Malalas, XIII ; Migne, Patr. Græc., t. XCVII, p. 498 ; Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 6).

[89] Philostorge, VII, 15.

[90] Théodoret, III, 20 ; cf. Emmène, VI, 2.

[91] Zosime, III.

[92] Ammien Marcellin, XXV, 3.

[93] Ammien Marcellin, XXV, 3.

[94] Ammien Marcellin, XXV, 3. — D'après Zosime, XIII, 13, Julien, étant à Antioche, aurait vu en songe an jeune homme aux cheveux roux, qui lui avait prédit qu'il mourrait en Phrygie.

[95] Ammien Marcellin, XXV, 2.

[96] Ammien Marcellin, XXV, 3.

[97] Non clandestinis insidiis. Ce mot prêté par Ammien à Julien mourant indique que dans la pensée du prince, ou au moins dans celle de son historien, le coup mortel ne fut point l'œuvre d'un conspirateur ou d'un traître, et n'est dû qu'aux hasards de la guerre.

[98] Ammien Marcellin, XXV, 3. — Libanius, Epitaphios Juliani (Reiske, t. I, p. 614), dit que cette prudente réponse fut faite à ses amis, qui lui demandaient de désigner un successeur.

[99] Ammien Marcellin, XXV, 8.

[100] Auctoritate integra increpabat. Ammien Marcellin, XXV, 8.

[101] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 614. — Ammien rapporte ainsi le même propos : Humile esse cœlo sideribusque conciliatum lugere principem dicens.

[102] Perplexius disputans. Ammien Marcellin, XXV, 3.

[103] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 614.

[104] Honoratior aliquis miles. Ammien Marcellin, XXV, 5.

[105] Il n'avait cependant que rage de Julien, étant né comme lui en 381. Ammien Marcellin, XXV, 10.

[106] Ammien Marcellin, XXV, 8.

[107] Ammien Marcellin, XXV, 5.

[108] Ammien Marcellin, XXV, 6.

[109] Ammien Marcellin, XXV, 6.

[110] Ammien Marcellin, XXV, 6.

[111] Distincte de la cité mésopotamienne du même nom.

[112] Ammien Marcellin, XXV, 6.

[113] Ammien Marcellin, XXV, 6.

[114] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[115] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[116] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[117] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[118] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[119] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[120] Ammien Marcellin, XXV, 7.

[121] Pro redemptione nostra. Ammien Marcellin, XXV, 7. — Libanius dit que pendant les négociations les Perses firent passer des vivres aux Romains.

[122] Libanius, Epitaphios Juliani.

[123] Philostorge, VIII, 1. On ne sait d'où Philostorge tire ce renseignement, et quelle en est la valeur ; cependant il concorde assez avec l'expression employée par les plénipotentiaires persans : reliquias exercitus.

[124] Loca contigua flumini ut confragosa vitabantur et aspera. Ammien Marcellin, XXV, 7.

[125] Ammien Marcellin, XXV, 8 ; Zosime, III.

[126] Necessarium quidem, sed ignobilem. Eutrope, Brev., X, 16.

[127] Quelle que soit la partialité de saint Grégoire de Nazianze, il semble que le jugement trop absolu d'Ammien Marcellin trouve encore un utile correctif dans un passage du second discours contre Julien, où l'orateur chrétien exprime des idées contraires avec le calme et la précision d'un historien. Jovien, dit-il, ne pouvait pins ni en venir aux mains avec les Perses, ni marcher en avant. Comme il ne manquait ni de courage ni de magnanimité, il chercha, bien que le soldat eût également brisées les forces et les espérances, à ramener l'armée, et s'efforça d'y parvenir, puisqu'il était devenu l'héritier non d'un empire, mais d'un désastre. Si les Perses, se montrant modérés dans la victoire (c'est une loi chez eux de porter modérément le succès), ou éprouvant quelque crainte de ce qu'ils entendaient dire, n'avaient pris l'initiative de propositions vraiment inattendues et humaines, de l'armée il ne serait pas, comme on dit, resté un porte-feu : tant les Perses la tenaient entre leurs mains, combattant sur leur propre terrain, et exaltés par les résultats déjà acquis... Lui, comme je l'ai dit, ne pensait qu'à sauver l'armée, et à conserver une force aux Romains : car elle était une force, malgré l'échec dû plus à la témérité du chef qu'à la lâcheté des soldats. Les Perses traitèrent, imputant, pour le dire en un mot, des conditions honteuses, et indignes de la puissance romaine : mais si quelqu'un de celles-ci innocente l'un (Julien) et accuse l'autre (Jovien), à mon sens il juge très mal les événements. Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 15.

[128] Ignobili decreto. Ammien Marcellin, XXV, 7.

[129] Rufus reconnaît que la guerre fut mal conduite : Juliano in externos hostes apertæ felicitatis principi, adversus Perses modus defuit. Brev., 26.

[130] Quant à cette autre assertion d'Eutrope, X, 17, et d'Ammien, XXV, 9, répétée par Zosime, que depuis la fondation de Rome on ne peut trouver dans l'histoire un empereur on un consul ayant cédé à l'ennemi un pouce de terre romaine, c'est une erreur de fait : Hadrien, en 117, abandonna toutes les conquêtes faites en Asie par Trajan ; Aurélien, en 274, rendit aux Barbares une autre conquête de Trajan, la Dacie transdanubienne ; Dioclétien, en 296, céda aux Nubiens de vastes territoires au sud de l'Égypte.

[131] Ammien Marcellin, XXV, 8.

[132] Ammien Marcellin, XXV, 8, et saint Jean Chrysostome, In sanstum Babylam, 22.

[133] Ammien Marcellin, XXV, 8.

[134] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 18.

[135] Τέμενος. Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 18.

[136] Ναός. Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 18.

[137] Τάφος. Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 18.

[138] Philostorge, VIII, 1.

[139] Ammien Marcellin, XXV, 10. — Zonaras, XIII, 13, dit que le corps de Julien fut plus tard transporté à Constantinople. Il est seul à énoncer ce fait, très peu vraisemblable.

[140] Zosime, III.           Zonaras et Cedrenus donnent une autre épitaphe, en quatre vers : Près du Cydnus argenté, ayant par l'Euphrate conduit sur la terre de Perse son armée pour une œuvre immortelle, ici a son monument Julien, à la fois bon roi et vaillant guerrier.

[141] Ammien Marcellin, XXV, 10.

[142] Voir les Dernières persécutions du troisième siècle, 2e édition, p. 167.

[143] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 625.

[144] Le 20 août seulement à Alexandrie : Olympus autem idem prf. mense mensore XXVI d. consulibus Juliano Aug. IIII et Sallustio, nuntiavit Julianum imp. esse mortuum et Jovianum christianum imperare. Hist. acephala, 12.

[145] Libanius, Epitaphios Juliani ; Zosime, III.

[146] Libanius, Monodia super Julianum.

[147] Libanius, Monodia super Julianum.

[148] Libanius, De Vita (Reiske, t. I, p. 91, 92) ; Monodia (ibid., p. 521).

[149] Monodia super Julianum, Reiske, t. I, p. 507-521. — Dans ce discours, qui suivit de tout près la mort de Julien, Libanius n'impute pas encore celle-ci aux chrétiens : Quel dieu, dit-il, lança contre lui cet audacieux cavalier ? qui dirigea ce javelot contre ses flancs ?

[150] Epitaphios Juliani, Reiske, t. I, p. 521-626. — Ce discours ne fut terminé que vers 368 ou 369 ; Sievers, Das Leben des Libanius, p. 203.

[151] Libanius, Ép. 1030, 1059,1061, 1062, 1071, 1179, 1294, 1350, 1472, 1491.

[152] Ép. 1186.

[153] Ép. 1186.

[154] Vir profecto heroicis connumerandus ingeniis. Ammien Marcellin, XXV, 4.

[155] Inter divos relatus est. Eutrope, Brev., X, 17. Cf. Symmaque, Relat., XL (Seeck, p. 312) ; Corp. inscr. lat., t. I, p. 355 ; Code Théodosien, VI, IV, 17. Les chrétiens ne répugnèrent pas à employer cette expression consacrée par l'usage ; inscription funéraire de 383, DEP. XV KAL. NOS. DIVO IVLIANO CONSS. De Rossi, Inscr. christ. urbis Romæ, t. I, n° 164, p. 90.

[156] Saint Jérôme, In Habac., I, 10.

[157] Théodoret, III, 19 ; Sozomène, VI, 2 ; Palladius, Hist. Laus., 4 ; Chron. d'Alexandrie.

[158] Vita S. Athœnasii incerto auctore, 27.

[159] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 15.

[160] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 96.

[161] Théodoret, III, 22. — C'est à peu près ce que, vers le même temps chantait le lyrique syrien saint Éphrem : Qui croira désormais au destin et aux horoscopes ? qui donnera encore sa confiance aux oracles et aux prédictions des démons ? Hymne IV contre Julien, publié par Bickell, dans Zeitschrift für kath. Theologie, 1878, p. 356.

[162] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 34.

[163] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 35.

[164] Paroles de saint Ambroise, à propos du juge qui condamna le soldat Émilien, à Dorostore :... Cum meminerint tempore Juliani illum, qui aram dejecit, et turbavit sacrificium, damnatum a judice fuisse martyrium. Itaque nunquam alias judex qui audivit eum, nisi persecutor habitus est ; nemo illum congressu, nemo illum unquam osculo dignnum putavit. Saint Ambroise, Ép. 40, 17.

[165] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 37. Cf. Libanius, Ép. 1489.

[166] Libanius, Ép. 1071.

[167] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 92. Cf. Ép. 1186.

[168] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 36.

[169] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 37.

[170] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 37.

[171] Libanius, Epitaphios Juliani.

[172] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 93.

[173] Code Théod., IX, XXV, 2. La loi est adressée à Salluste Second, conservé sous Jovien comme préfet du prétoire. Elle est datée du consulat de Jovien et de son fils Varronianus, c'est-à-dire de 364 ; mais sa date, XI Kal. Mart., 19 février, doit être corrigée, puisque Jovien mourut dans la nuit du 16 au 17 février. De même, c'est par erreur qu'elle est indiquée comme donnée à Antioche, que Jovien quitta en décembre 383 ; peut-être faut-il lire Ancyre. Sur ces points de détail, voir les notes de Haenel, Code Théod., p. 900.

[174] Code Théod., IX, XXV, 1.

[175] Théodoret, IV, 22.

[176] Saint Ambroise, Ép. 40, 18.

[177] Promulguée à Alexandrie le 15 septembre ; Historia acephala, 18.

[178] Eckhel, Doctr. numm. vet., t. VIII, p. 147 ; Cohen, Descript. hist. des monnaies frappées sous l'Empire romain, t. VI, p. 384.

[179] Selon l'expression de Philostorge, VIII, 1. Cf. Théodoret, IV, 4 ; Socrate, III, 24 ; Sozomène, VI, 4.

[180] Expressions exagérées de Socrate, de Sozomène, de l'Hist. acephala, parlant de destruction des temples païens, d'ordre donné par l'empereur de ne plus adorer que le Dieu des chrétiens. C'est l'erreur historique déjà commise à propos de Constantin. Les faits les mieux établis, et le témoignage formel du païen Themistius, sont contraires à ces assertions. Quant à l'inscription du Corpus inscr. græc., t. IV, 8608, relative à une église chrétienne de Corfou, construite après avoir démoli les enceintes sacrées et les autels des Hellènes, si le Ίοβιανός qui y est nommé est bien l'empereur Jovien, il y a là une allusion à un fait local, à une transformation en église de quelque sanctuaire païen peut être abandonné, non à une mesure générale.

[181] Socrate, III, 24.

[182] Libanius, Epitaphios Juliani.

[183] Code Théodosien, IX, XVI, 7, 8.

[184] Zosime, IV, 3.

[185] Eunape, Vitæ soph. ; Maximus, p. 478.

[186] Si quis erudiendis adolescentibus vita pariter et facundia idoneus erit, vel novum instituat auditorium, vel repetat intermissum. Code Théod., XIII, III, 6. La loi est datée III id. Jan. divo Joviano et Varriano coss. S'il n'y a pas de faute dans le titre de divus donné à Jovien, il faut en voir une dans la date, car le 11 janvier, Jovien n'était pas encore mort. Peut-être au lieu de Jan. faut-il lire Jun. La loi serait du juin 364. Il est probable, du reste, qu'elle ne fit que régulariser une situation déjà existante, et que dès le lendemain de la mort de Julien les professeurs chrétiens avaient recommencé à enseigner.

[187] Thémistius, Oratio V, éd. Dindorf, p. 529.

[188] Thémistius, Oratio V, éd. Dindorf, p. 529.

[189] Ammien Marcellin, XXX, 9.