I. — L'entrée en Perse. La première ville d'Osrhoène que Julien ait atteinte est Batna, différente de Batné, qu'il avait traversée au sortir d'Antioche, et située à dix lieues environ d'Hiérapolis. C'était un municipe assez peu étendu[1], mais que rendait important la grande foire qui s'y tenait au commencement de septembre, et où l'on voyait des marchandises et des gens de tous les pays, même de la Chine et de l'Inde[2]. Ammien, sans cesse attentif aux présages, remarque qu'à son entrée dans cette ville, Julien vit encore un signe de mauvais augure : en voulant extraire de la paille d'une très haute meule, comme on en construisait dans ces contrées, des valets d'armée[3] ébranlèrent celle-ci, qui chancela sur ses bases, et s'écroula tout entière, écrasant de son poids cinquante de ces malheureux[4]. Cet accident attrista Julien. Ammien dit que sans s'arrêter à Batna, il se dirigea en droite ligne sur Carrhes[5]. Le récit de Zosime est différent. Cet historien rapporte que les habitants de la principale ville de l'Osrhoène, Édesse, située à un jour de marche de Batna[6], envoyèrent une députation chargée d'offrir à l'empereur une couronne d'or et de solliciter sa visite. Il ajoute que Julien fit droit à leur demande et se rendit à Édesse[7]. Théodoret donne de ces faits la version la plus vraisemblable, et qui s'accorde au fond avec le récit d'Ammien : d'après lui, Julien aurait refusé de visiter Édesse, et laissé cette ville à gauche pour se rendre directement à Carrhes[8]. Le motif d'une disgrâce aussi marquée aurait été la foi chrétienne professée par tous les habitants d'Édesse[9]. On sait que la conversion au christianisme d'Édesse et d'une partie de l'Osrhoène remonte aux temps les plus reculés. L'Évangile parait y avoir été prêché dès le premier siècle. Avant la fin du second, on trouve dans le pays des Églises constituées. Au commencement du troisième siècle, les Abgar ont fait de l'Osrhoène un royaume chrétien. L'annexion de celui-ci à l'Empire, sous Caracalla, ne changea pas la religion des habitants[10]. Il y eut plusieurs fois des martyrs à Édesse. Au quatrième siècle, les enfants apprenaient, dans cette ville, à lire l'Écriture Sainte avant de commencer l'étude des auteurs profanes : c'était, nous dit un historien, la coutume traditionnelle[11]. Julien avait déjà eu l'occasion de montrer son mauvais vouloir envers cette ville chrétienne. Malgré l'attachement à l'orthodoxie, dont elle devait donner des preuves éclatantes sous Valens[12], Édesse possédait, sous Julien, une communauté arienne et une secte de valentiniens. Les ariens s'étaient vraisemblablement emparés, au temps de Constance, de la principale église, et en avaient usurpé les biens. En 362 ou 363, ils eurent une querelle avec les valentiniens. Julien en profita pour saisir le patrimoine ecclésiastique et le faire servir aux dépenses de la guerre. Il écrivit, à ce sujet, une lettre curieuse au premier magistrat de la cité, Écébole. Elle commence par la plus tolérante des professions de foi. Je veux traiter tous les Galiléens avec équité et douceur, de telle sorte qu'aucun d'eux n'ait à souffrir de violence, ne soit traîné dans un temple, ou contraint à quelque action contraire à sa volonté[13]. Suit un ordre de confiscation. Ceux de l'église arienne, enflés de leurs richesses, en sont venus aux mains avec les sectateurs de Valentin, et ont commis à Édesse des actes tels qu'on n'en saurait voir dans une ville policée. Voulant donc, comme le porte leur admirable loi, qu'ils entrent plus facilement dans le royaume des cieux, nous avons ordonné que tous leurs biens provenant de l'église d'Édesse leur soient enlevés, pour être donnés aux soldats, et que leurs propriétés soient ajoutées à notre domaine privé, afin que la pauvreté les rende sages, et qu'ils ne soient pas exclus du royaume des cieux, objet de leur espérance[14]. Ce chef-d'œuvre d'ironie se termine par des menaces à la ville tout entière. Aux habitants d'Édesse nous recommandons de s'abstenir de toute sédition et de toute querelle, afin que vous ne vous exposiez pas, en irritant notre clémence, à supporter la peine des excès communs, et à les expier par l'épée, par l'exil, par le feu[15]. L'auteur d'une telle lettre devait être peu disposé à rendre visite à la ville d'Édesse. Carrhes, au contraire, était une cité selon son cœur. Le paganisme y dominait. Au temps même de Julien, le poète syriaque saint Éphrem encourage par ses hymnes l'évêque de Carrhes à tenter la conversion de ses concitoyens[16]. Mais ceux-ci résistèrent longtemps. En 381, Carrhes demeure, selon Théodoret, un champ sauvage, tout hérissé des épines de l'idolâtrie[17]. Quelques années plus tard, excepté un petit nombre de clercs et quelques moines, on ne rencontre dans la ville presque aucun chrétien : tout le monde y est idolâtre[18]. Le paganisme y a poussé de si profondes racines qu'au milieu du sixième siècle la plupart des habitants de Carrhes sont encore païens[19] : c'est peut-être le point de l'Orient romain d'où l'idolâtrie disparut le plus tard. Carrhes possédait un célèbre temple de la Lune, déesse particulièrement honorée dans ces contrées[20]. Julien, dit Ammien, y sacrifia selon le rite du lieu[21]. Ce sacrifice fut tout à fait secret. Il n'eut d'autre témoin qu'un parent de Julien, ce beau, grand et triste Procope, à la taille toujours courbée, au regard constamment fixé à terre, que personne ne se souvenait d'avoir jamais vu rire[22]. D'étranges récits en furent faits. On raconta que, devant l'autel, Julien avait détaché. son manteau de pourpre et l'avait remis à Procope, en lui ordonnant de prendre sans hésiter le pouvoir suprême, si lui-même venait à périr chez les Perses[23]. On raconta encore que Julien, en sortant, fit sceller les portes du temple, avec défense d'y entrer avant son retour. Quand, après sa mort, les sceaux furent brisés, on trouva une femme pendue par les cheveux, les mains étendues et le ventre ouvert : le foie avait été extrait pour interroger l'avenir[24]. Quelle que soit la valeur de ces anecdotes[25], elles montrent au moins que l'imagination des contemporains avait été frappée du culte mystérieux rendu par Julien à la déesse de Carrhes[26]. Le séjour à Carrhes fut triste. Julien y souffrit d'insomnies. Il vit dans ce mal un funeste présage. Les haruspices ou les devins furent interrogés. Le 18 mars, ils firent, dit-on, cette réponse : Que l'on prenne garde à demain. Quelques jours plus tard, on apprenait que, le 19 mars, le temple d'Apollon Palatin avait, à Rome, été détruit par le feu : c'est à grand'peine que les livres sibyllins purent être sauvés des flammes[27]. Les préoccupations superstitieuses n'empêchaient pas Julien de remplir son devoir de soldat. Il préparait l'ordre de marche et le service des approvisionnements, quand des éclaireurs, revenant à toute bride, annoncèrent que les Perses commençaient à faire le dégât sur les terres des Romains[28]. Ces nouvelles lui arrivèrent, dit Zosime, au moment où il délibérait sur le chemin qu'il devait prendre : irait-il par le Tigre et par Nisibe, ou par l'Euphrate et par Circesium ?[29] Ces routes menaient également au cœur de l'Empire de Sapor, à ce confluent des deux fleuves où s'élevait Ctésiphon[30]. La première avait l'avantage de garder longtemps le contact de l'Arménie, pays allié. Mais elle avait l'inconvénient de rendre indisponible la flotte rassemblée à grands frais. Entre Carrhes et le Tigre, il y avait une longue route de terre : de plus, la partie supérieure du Tigre, vers l'ancienne Ninive, était difficilement navigable, tandis que l'Euphrate le restait sur tout son parcours[31]. Julien se décida à prendre la seconde route : de Carrhes il descendrait avec son armée jusqu'à Callinicum, ville située sur l'Euphrate, où le rejoindraient ses navires. Mais le fait seul de l'hésitation entre les deux lignes montre qu'aucun plan n'avait présidé à la campagne. Probablement même Julien avait eu d'abord la pensée de prendre la première voie, sans quoi, au lieu de monter de Bérée à, Batné, à Hiérapolis et à Carrhes, en s'élevant toujours vers le nord, il eût franchi l'Euphrate un peu plus bas, et marché en ligne droite d'Antioche à Callinicum. Puisque cette dernière ville devenait le rendez-vous de l'armée et de la flotte, la marche jusqu'à Carrhes, qui obligeait ensuite à redescendre, avait été inutile. La résolution à laquelle s'arrêta Julien avait l'avantage de permettre de se servir de la flotte, l'Euphrate étant partout navigable, et de faire ainsi accompagner l'armée par les transports flottants, les navires chargés d'équipages et de machines, et les galères armées pour le combat, qui dans certains cas coopéreraient avec elle. Jusqu'aux approches de Ctésiphon la flotte devenait ainsi, pour les troupes de terre, un appui permanent et comme une base mobile d'opérations. Mais cette route, bien que la plus pratique, avait un inconvénient : si l'on y engageait toute l'armée, on laissait le nord de la Mésopotamie exposé sans défense aux incursions des Perses. Les éclaireurs venaient de dire que ces incursions étaient déjà commencées. Restait un seul moyen de préserver cette partie à la fois si nécessaire et si vulnérable de l'Empire romain : diminuer l'armée d'invasion, et en détacher un corps de troupes chargé de suivre la seconde route, c'est-à-dire de marcher par le nord de l'Euphrate au Tigre, en combinant, si cela était possible, ses mouvements avec ceux du roi d'Arménie. Julien confia dans ce but une force considérable—trente mille hommes d'infanterie, selon Ammien[32], dix-huit[33] ou vingt mille[34], selon d'autres, — à deux généraux, son intime confident Procope et le comte Sébastien : ce dernier, ancien commandant militaire de l'Égypte, et manichéen de religion, avait, sous Constance, violemment persécuté les catholiques. D'après les instructions de Julien, ce corps d'armée, qu'il avait composé de soldats d'élite[35], devait se réunir au roi Arsace, traverser la Corduène et la Moxène, soumettre la Haute Assyrie, pénétrer en Médie, et descendre la rive gauche du Tigre, en repoussant les diversions que les Perses tenteraient de ce côté, et en dévastant sur son passage leurs plus riches contrées. On le tiendrait toujours prêt à donner la main à Julien, si celui-ci, arrivé à la jonction de l'Euphrate et du Tigre, avait besoin de secours[36]. Cette fois, un plan se dessinait : des circonstances fortuites l'avaient fait na1tre : autant qu'il est possible d'en juger maintenant, il acquérait d'elles l'ampleur et la précision qui avaient fait défaut au début. La brusque incursion sur le territoire des Perses devenait une invasion méthodique. C'était, en sens inverse, le plan de Trajan : prenant pour lui le rôle que Julien confiait à ses lieutenants, l'empereur du second siècle était entré par le haut Tigre, avait soumis l'Adiabène, conquis Ninive et l'Assyrie, et rejoint sa flotte, qui, elle, avait descendu l'Euphrate pour passer dans le Tigre en face de Ctésiphon. Avant de se séparer en deux corps, l'armée de Julien comptait soixante-cinq mille hommes[37]. C'était, dit-on, la plus nombreuse que jamais empereur romain ait menée contre les Perses. Du sommet d'une colline, Julien la passa en revue[38]. Puis il partit de Carrhes, le 25 mars. Toujours occupé de donner le change à l'ennemi, il feignit de suivre lui-même la direction du Tigre, où il avait ostensiblement fait préparer ses étapes[39] : mais, laissant Procope et Sébastien s'éloigner par ce chemin avec leurs troupes, il infléchit brusquement à droite, emmenant le gros de l'armée, dès que la nuit couvrit son mouvement. On campa jusqu'au matin. Le jour levé, Julien demanda un cheval. Celui qu'on lui amena s'appelait Babylone. Pris d'un mal subit, l'animal s'abattit, semant autour de lui l'or et les pierreries de son harnais. Babylone est par terre, dépouillée de tous ses ornements, s'écria Julien, au comble de la joie[40]. On prit le temps d'offrir un sacrifice, afin d'obtenir des dieux la confirmation de cet heureux présage. Puis on se mit en route, pour s'arrêter à Davanne. C'était un de ces postes fortifiés[41], que l'Empire entretenait sur ses frontières. Il était situé sur le Bélias, un des affluents de l'Euphrate. L'armée s'y reposa pendant une journée. Le lendemain, on partit pour Callinicum, grande ville commerçante[42], assise au confluent du Bélias et de l'Euphrate et munie d'excellents remparts[43]. Julien y arriva le 27 mars, jour consacré à la Mère des dieux. Sans doute il songea avec regret à la procession célèbre qui se faisait alors à Rome, et qu'il n'avait jamais vue : sa pensée se représenta les grands et le peuple de la ville éternelle conduisant en pompe, sur un char, le simulacre de la déesse jusqu'au ruisseau de l'Almone, pour le bain sacré. La mention qu'en fait Ammien en cet endroit montre que ce souvenir revint alors à plus d'un païen de l'armée, et que des rives lointaines de l'Euphrate bien des regrets volèrent jusqu'aux bords du Tibre[44]. Ne pouvant honorer la déesse par de semblables cérémonies, Julien se contenta de célébrer sa fête à la manière antique[45], c'est-à-dire probablement par un sacrifice. Il dormit bien la nuit suivante, et se réveilla joyeux. Dès l'aube, il se remit en route, longeant le bord du fleuve, et des rivages élevés admirant l'abondance de ses eaux[46]. Il arriva jusqu'au lieu où avait été dressé son camp. Il y reçut, sous la tente, plusieurs chefs de tribus sarazines, qui venaient lui offrir une couronne d'or. Abandonnant, vis-à-vis des Barbares, sa simplicité accoutumée, lui qui ne souffrait pas, ordinairement, qu'on l'appelât seigneur[47], consentit à ce que ceux-ci l'adorassent à genoux, comme le maitre du monde[48]. Il répondit à leurs hommages par de gracieuses paroles, et commanda que les contingents qu'ils avaient amenés fussent joints à l'armée, pour y faire le service d'éclaireurs et surtout de maraudeurs[49]. Pendant qu'il parlait aux princes sarazins, on vint dans sa tente lui annoncer l'arrivée de la flotte, commandée par le tribun Constantin et le comte Lucilien. Celle-ci descendait orgueilleusement l'Euphrate, dont elle remplissait le vaste lit, forte de mille navires de transport, construits en bois ou en cuir, chargés de vivres, d'armes, de machines de guerre, cinquante galères armées pour le combat, et autant de bateaux devant servir à supporter les ponts pour le passage des fleuves ou des canaux[50]. L'armée romaine, renforcée des Sarazins, continua de longer le fleuve, d'un pas alerte[51]. On arriva, dans les premiers jours d'avril, à Circesium. C'était une place très forte. Elle commandait le confluent de l'Abora et de l'Euphrate, et occupait une sorte de presqu'île formée par leur réunion. Jadis petite et faible, elle avait été entourée par Dioclétien de murailles épaisses, de hautes tours, d'une enceinte construite avec un soin d'artiste[52], dit Ammien Marcellin. Elle était devenue imprenable[53]. Selon sa coutume, Dioclétien l'avait établie, non à l'intérieur de la frontière romaine, mais en avant de la frontière ennemie : c'était, du reste, la tradition établie depuis Probus, qui pour garder les villes romaines posait ses forts sur le sol barbare[54]. Ainsi dressée en ouvrage avancé, la place de Circesium protégeait de loin la Syrie contre les incursions des Perses[55]. Elle couvrait en particulier Antioche, qu'elle préservait de surprises comme celle que rapporte Ammien, alors que, sous Valérien, l'ennemi fondit des crêtes du Silpius sur la ville en fête[56]. Julien demeura quelques jours à Circesium, dont il renforça la garnison[57]. Il y fut surtout occupé à la construction du pont de bateaux sur lequel son armée, avec tous les équipages et les convois qui la suivaient[58], devait traverser l'Abora. Pendant ce séjour, il reçut une lettre de son collègue dans le consulat, Salluste, préfet des Gaules. Ce haut fonctionnaire, qui partageait l'avis de tous les gens sages de l'Occident, et qui connaissait mieux que tout autre les défauts comme les qualités de Julien, lui écrivait avec tristesse et inquiétude[59]. Il le suppliait de renoncer, pendant qu'il était temps encore, à l'expédition de Perse. Il l'adjurait de ne pas marcher, à contretemps, et malgré la volonté des dieux, à une mort certaine[60]. Mais Julien, plus confiant que jamais, ne tint aucun compte des conseils de ce fidèle ami. Quand il eut, le dernier, passé le pont jeté sur la rivière, il ordonna de le rompre aussitôt, afin que personne dans l'armée n'eût l'idée d'un retour possible en arrière. Nulle force ou nulle sagesse humaine, écrit le fataliste Ammien, ne peut retenir un homme qui marche où l'appelle sa destinée[61]. L'Abora franchi, on était en territoire persan[62]. II — La descente de l'Euphrate. Cependant, remarque Ammien, les mauvais présages se multipliaient. Soit au sortir de Circesium, soit après la traversée de la rivière, on avait aperçu, gisant, le cadavre d'un employé de l'armée, exécuté de la main du bourreau. Le préfet du prétoire venait de condamner à mort ce malheureux, parce qu'un convoi d'approvisionnements dont il était responsable n'était point arrivé par eau dans le délai fixé : sentence hâtive et cruelle, car le surlendemain on reconnut, voguant sur l'Euphrate, la flottille de blé promise par lui. La rencontre de ce corps sanglant fut jugée de mauvais augure. L'armée, cependant, continuant sa marche, parvint d'abord à Zaïtha, localité plantée d'oliviers, comme, dans la langue du pays, l'indiquait son nom[63]. Quelques milles plus loin, un monument d'architecture romaine frappa les regards. C'était le tombeau de l'empereur Gordien, mort en 244, à dix-neuf ans, assassiné par le préfet Philippe, au cours d'une expédition glorieuse contre la Perse[64]. Julien s'arrêta quelque temps près du mausolée, et y célébra une cérémonie funèbre. Comme il rejoignait l'armée, il aperçut un groupe de soldats, chargé d'un lourd fardeau. C'était le corps d'un lion énorme, qu'ils avaient criblé de flèches. L'augure parut heureux à Julien. Il y vit l'annonce de la mort d'un roi, et ne douta point qu'il ne s'agit du roi de Perse. Cependant les haruspices furent interrogés. Ces connaisseurs en prodiges, comme les appelle Ammien, ne cessaient de dissuader de l'entreprise commencée : ils ouvrirent une fois encore leurs rituels, et déclarèrent que le signe était prohibitoire, c'est-à-dire interdisait au prince d'envahir, même avec juste motif, le territoire d'autrui. Mais les philosophes, dont l'influence était toute puissante, s'élevèrent avec indignation contre cet avis. Peu versés dans ces matières, et persévérant avec trop d'opiniâtreté dans leur erreur[65], ils jugèrent dans un sens opposé à celui des haruspices. Comme argument en faveur de leur opinion, et preuve de leur science, ils rappelèrent qu'en 297, lorsque Galère, encore César, marchait contre le roi de Perse Narsès, les cadavres d'un lion et d'un énorme sanglier lui furent de même présentés, et qu'il revint de l'expédition vivant et victorieux. Mais ils oubliaient, dit Ammien, que le présage était contraire à l'envahisseur, et que c'était Narsès qui alors avait envahi l'Empire romain[66]. Le lendemain, 7 avril, nouvelle lutte entre les haruspices et les philosophes au sujet d'un présage. Comme le soleil s'inclinait à l'horizon, on avait vu monter une petite nuée : très rapidement le ciel s'était obscurci, un orage épouvantable, avec éclairs et tonnerre, avait éclaté : et un soldat, nommé Jovien, avait été frappé de la foudre, avec deux chevaux qu'il venait d'abreuver au fleuve. Les haruspices furent aussitôt mandés. Aux questions qu'on leur posa, ils répondirent que la foudre avait été conseillère, c'est-à-dire de la nature de celles qui conseillent ou dissuadent : ajoutant qu'elle avait prédit un grand danger, puisqu'elle avait frappé un soldat portant un grand nom (Jovien, de Jovis, Jupiter) et conduisant deux chevaux de guerre ; les livres fulguraux, concluaient-ils, défendent de regarder et de fouler aux pieds le sol ainsi touché par le feu du ciel[67]. C'était encore l'ordre de ne pas marcher plus avant. Mais les philosophes apportèrent une explication toute différente. La blancheur du feu sacré ne signifie rien, dirent-ils, mais indique la descente d'un esprit plus vif, entraîné du ciel par une force quelconque vers les éléments inférieurs : ou s'il annonce quelque chose, c'est une augmentation de gloire pour l'empereur qui a commencé une illustre entreprise, puisqu'il est certain que par sa nature le feu vole en haut, quand nul obstacle ne s'y oppose[68]. Dans cet échange de subtilités, ou plutôt dans ce conflit répété entre les conservateurs obstinés qui s'appuyaient sur la divination officielle et les audacieux interprètes du mysticisme oriental, Julien, comme toujours, donna raison aux derniers. Le soin qu'il avait eu de couper le pont, après le passage de l'Abora, montrait que sa résolution était désormais inébranlable. C'était une réponse indirecte à la lettre de Salluste, une réponse anticipée aux prohibitions des haruspices et aux avis de ceux qui, dans l'armée ou ailleurs, partageaient leurs inquiétudes. Quant aux soldats, ils gardaient la confiance dans l'étoile de leur chef et dans leur propre courage. Cependant, après la première étape faite sur le territoire ennemi, Julien crut nécessaire d'enflammer encore leur ardeur par une de ces harangues que les généraux de l'antiquité faisaient entendre à leurs troupes dans les circonstances solennelles. L'armée fut convoquée par une sonnerie de clairons : devant les centuries, les cohortes et les manipules assemblés, l'empereur, debout sur un tertre, et entouré d'un brillant état-major, prononça d'une voix calme, au milieu d'un profond silence et parmi les marques d'assentiment, un discours qu'Ammien Marcellin a reproduit en ces termes : Témoin de votre force et de votre
entrain, courageux soldats, j'ai voulu vous adresser la parole, pour vous
apprendre que ce n'est pas la première fois que les Romains entrent dans le
royaume des Perses, comme l'insinuent les malveillants. Sans parler de Lucullus
et de Pompée, qui, après avoir traversé les Albanais et les Massagètes, que
nous appelons maintenant Alains, pénétrèrent aussi à travers ces peuples
jusqu'à la mer Caspienne, nous savons que Ventidius, lieutenant d'Antoine, a
fait, dans les contrées où nous allons, d'immenses carnages. Mais, laissant
l'antiquité, je rappellerai des faits récents. Trajan, Verus et Sévère en
sont revenus chargés de victoires et de trophées : le jeune Gordien, dont
nous contemplons respectueusement le mausolée, fût rentré avec une gloire
pareille, après avoir à Résène vaincu et mis en fuite le roi des Perses :
mais la faction du préfet du prétoire Philippe, assisté d'un petit nombre de
complices, l'enterra en ce lieu, après l'avoir frappé d'un coup impie. Ses
mânes n'errèrent pas longtemps sans vengeance : la justice divine fit périr
dans d'affreux supplices tons ceux qui avaient conspiré contre lui. L'amour
de la gloire avait fait accomplir à ces héros des actes mémorables : pour
nous, c'est le malheur des villes récemment conquises, les ombres des armées
vaincues sans représailles, la grandeur des pertes, la destruction des
forteresses, qui nous poussent à notre entreprise. Les vœux de tons nous
accompagnent : ils nous exhortent à remédier aux maux passés, à assurer de ce
côté la sécurité de la République, et à laisser à la postérité un souvenir
digne de ses louanges. Avec l'aide da Dieu éternel, je serai donc partout
avec vous, votre empereur, votre porte-étendard, votre compagnon d'armes,
sous de favorables auspices, j'en ai la confiance. Mais si un retour de la
fortune devait m'abattre dans le combat, qu'il me suffise de m'être dévoué au
salut du monde romain, comme les antiques Curtius et Mucius, et la glorieuse
lignée des Decius. Il nous faut abolir cette nation funeste, dont les glaives
sont encore humides du sang de nos proches. Au temps des ancêtres, de longs
âges furent consacrés à extirper de pareils fléaux jusqu'à la racine.
Carthage fut vaincue après des fortunes diverses et un persévérant effort :
le glorieux général qui lui porta le dernier coup ne voulut pas 'qu'elle
survécût à la défaite. A la suite d'un siège laborieux, Scipion détruisit
Numance de fond en comble. Rome renversa Fidènes, afin de n'avoir pas de
rivale : elle écrasa de même Falisque et Véies, et il est besoin du
témoignage de l'histoire pour nous apprendre que là s'étendaient jadis
d'importantes cités. Voilà ce que ma connaissance de l'antiquité m'a rappelé
pour vous. Il vous reste à réprimer cet amour de la rapine, qui tendit
souvent des pièges au soldat romain, et à marcher en rangs serrés. Quand le
moment de combattre sera venu, que chacun se rallie à son propre étendard :
qu'il sache que s'il s'attarde en arrière, il aura les jambes coupées : car
il n'est rien tant à craindre que les ruses, les embûches, l'extrême astuce
de nos ennemis. Et je promets à tous qu'après l'heureux achèvement de nos
travaux, laissant de côté l'arbitraire des princes, qui estiment juste tout
acte de leur autorité, je récompenserai ou, s'il le faut, je punirai chacun
dans l'exacte mesure de ses mérites. C'est pourquoi je vous demande d'élever
vos courages, d'avoir confiance dans le succès, mais aussi d'être prêts à
affronter avec nous toutes les difficultés. Croyons que la victoire accompagne
toujours les causes justes[69]. Ce discours sort de la banalité ordinaire à ces sortes de harangues. Il a même un caractère particulier entre toutes les productions de Julien. Celui-ci s'y montre familier avec l'histoire romaine, dont il fait mention si rarement dans ses ouvrages. Il remonte, dans la dernière partie, jusqu'aux plus vieux souvenirs de Rome. On dirait que Julien a voulu montrer aux adeptes de la science étrusque, aux représentants de l'ancienne Italie, aux interprètes de l'opposition occidentale, que lui aussi est capable de parler, quand il le veut, au nom de l'histoire ou même de la légende romaine. Mais, en même temps, à ses déclarations pleines d'ardeur et d'espérance, à sa foi dans le succès, se mêle quelque mélancolie : les prédictions découragées qu'il a refusé d'entendre ont, bien qu'il s'en défende, jeté leur ombre dans son âme. Il s'encourage par la pensée du devoir, et se console par celle d'un trépas glorieux, si la fortune venait à trahir ses efforts. Les soldats ne semblent pas avoir aperçu ces nuances. Seuls, les accents belliqueux frappèrent leurs oreilles. Ils se fiaient encore aveuglément à celui qui les conduisait. Élevant leurs boucliers au bout de leurs bras tendus : Nous n'avons rien à craindre, criaient-ils, et rien ne nous sera difficile sous un général qui travaillera plus que le dernier d'entre nous ![70] Plus enthousiastes encore, d'autres s'écriaient : Nous en prenons Dieu à témoin, un tel prince est invincible ![71] Ceux qui avaient fait avec Julien les campagnes des Gaules l'acclamaient plus fort et plus joyeusement que les autres : il leur semblait revoir les foules de Barbares tombant sous leurs glaives, ou demandant grâce à genoux[72]. Une distribution de cent trente deniers par homme mit au comble l'enthousiasme des soldats[73]. Aussi quand, après le repos de la nuit, les trompettes sonnèrent le réveil, toute l'armée fut-elle promptement sur pied. Comme on était maintenant sur le territoire ennemi, Julien avait réglé avec le plus grand soin l'ordre de ses troupes. Elles marchaient en quatre carrés, précédés et flanqués de quinze cents éclaireurs. Lui-même se tenait au centre, avec la plus grosse force d'infanterie. La droite, formée de plusieurs légions, sous le commandement de Nevitta, longeait immédiatement le cours de l'Euphrate. La gauche, composée d'escadrons de cavalerie que conduisaient Arinthée et le prince Hormisdas, suivait une plaine unie, propice au mouvement des chevaux : afin d'en imposer à l'ennemi, et de faire paraître l'armée plus nombreuse, les cavaliers devaient marcher très espacés, sur une longueur de dix milles. L'arrière-garde avait pour chefs Dagalaïphe et Victor[74], et une extrême arrière-garde, sous la conduite de Secundinus, duc de l'Osrhoène, couvrait les derrières de l'armée, ramassant les traînards. Les munitions, les bagages, les non combattants, s'avançaient en deux files, entre le centre et chacune des ailes, à l'abri de tout coup de main de l'ennemi[75]. Julien les avait réduits au strict nécessaire : ayant vu parmi ces impedimenta une caravane de chameaux, porteurs d'outres pleines d'excellents vins, il les fit renvoyer, en disant que ce luxe n'était pas bon pour des soldats, et que lui-même ne voudrait pas d'autre ordinaire que celui d'un soldat[76]. La flotte marchait de concert : malgré les nombreuses sinuosités du fleuve, elle devait se tenir toujours au niveau de l'armée, sans la devancer ni rester en arrière[77]. On s'avança dans ce bel ordre jusqu'à Dura, où l'on parvint en deux jours. Ce n'était plus qu'une cité en ruines, dont les édifices abandonnés, restes de l'occupation macédonienne, s'élevaient au bord de l'Euphrate. Mais, dans ces parages déserts, les soldats eurent la joie de rencontrer, errant librement à travers les solitudes, d'immenses troupeaux de cerfs. Beaucoup furent tués à coups de flèches, d'autres, qui s'étaient jetés dans l'Euphrate, furent assommés à coups de rame par les matelots : un grand nombre, cependant, passèrent le fleuve à la nage, échappant à toute poursuite. Pendant deux jours, l'armée romaine se nourrit de viande de cerf. Après quatre autres journées de marche, l'armée se trouva à la hauteur d'une lie de l'Euphrate, sur laquelle s'élevait la puissante forteresse d'Anathan. Julien manda, dans la soirée, le comte Lucilien, qui reçut l'ordre d'embarquer mille soldats, et de profiter des ténèbres pour investir nie. Au point du jour, un Persan de la garnison, qui était sorti pour puiser de l'eau, vit l'île et la forteresse complètement entourées de navires romains. Ses cris éveillèrent ses camarades, qui s'armèrent à la hâte. Pendant ce temps, Julien, d'un point élevé du rivage, observait les ouvrages ennemis. Puis il s'embarqua à son tour sur un navire de guerre, suivi d'un second vaisseau, et de nombreux transports où étaient des machines de siège. Il arriva ainsi sous les murs d'Anathan, qu'il jugea assez forts pour opposer une longue résistance. Essayant alors, tour à tour, de la persuasion et de la menace, il somma la garnison de se rendre : Hormisdas, demandé comme interprète, exhortait ses compatriotes et se portait garant de la douceur des Romains. Enfin, chassant devant eux en signe de paix, selon l'usage du pays, un bœuf couronné de fleurs, les défenseurs d'Anathan sortirent de la forteresse et firent leur soumission. Parmi eux marchait un vieillard presque octogénaire, entièrement courbé par l'âge, mais exultant d'avoir, grâce à ses conseils et à son influence, déterminé cette démarche. Son histoire était tout un roman. Il avait fait partie, en 297, de l'expédition de Galère. Abandonné, après une blessure, il avait été recueilli par les indigènes et s'était fixé à Anathan. Là, jeune encore, il s'était marié à plusieurs femmes, selon l'usage persan, et avait vu grandir autour de lui de nombreux enfants. Depuis soixante-dix ans il vivait à la manière des Perses, mais annonçant à tous qu'il reverrait ses compatriotes et serait enseveli en terre romaine. Maintenant ses vœux étaient accomplis. Il fut conduit, avec les autres défenseurs d'Anathan, leurs femmes, leurs enfants et leur mobilier, tout près d'Antioche, dans la ville syrienne de Chalcis, que Julien leur assigna comme résidence. Dès que tous eurent quitté la forteresse, on y mit le feu. Quant à l'officier qui l'avait commandée et livrée, Pusée, il passa au service des Romains, et fut récompensé immédiatement par le grade de tribun : sous l'un des règnes suivants il deviendra commandant militaire de l'Égypte[78]. Le lendemain de la reddition d'Anathan, Julien eut la joie de voir des éclaireurs sarazins amener plusieurs prisonniers persans. Mais, le même jour, l'armée fut très éprouvée par une bourrasque, qui arracha une partie des tentes : le vent soufflait si fort que les soldats ne pouvaient se tenir debout. L'Euphrate s'enfla, et comme les écluses, qui, de place en place, réglaient le cours du fleuve et des nombreux canaux qui y aboutissaient, avaient été arrachées soit par la violence du courant, soit, comme le croit Libanius[79], par une ruse de l'ennemi, plusieurs bateaux de blé furent noyés[80]. Les soldats, les animaux, les convois, défilèrent avec une extrême difficulté dans des plaines à demi submergées, franchissant les cours d'eau sur des ponts jetés à la hâte, glissant sur la berge mouillée du fleuve, parfois se noyant dans les canaux dont le lit disparaissait sous l'inondation[81]. Malgré ce contretemps, l'armée était plus enthousiaste que jamais. La capture facile d'Anathan l'avait exaltée. On était sûr de la victoire finale ; on acclamait le prince ; on voyait en lui le protégé du ciel[82]. Julien, cependant, ne relâchait rien de sa vigilance accoutumée. Quand les troupes se remirent en marche, il fit lui-même le métier d'éclaireur. On le voyait, avec une petite escorte, courir sur le front des bataillons, fouiller les fourrés suspects ou les vallons, de peur qu'il ne s'y cachât quelque embuscade, empêcher par des paroles affectueuses ou par des menaces les soldats de s'écarter du rang. L'armée traversait en ce moment des régions fertiles et peuplées : l'ordre était donné aux soldats de faire main basse sur les denrées qu'ils rencontreraient, et de vivre aux dépens du pays, de manière à affamer ensuite l'ennemi et à épargner la nourriture transportée par la flotte : puis, quand on avait pris tout ce qui pouvait être consommé ou emporté, on mettait le feu aux récoltes et aux maisons. Mais, au milieu de cette abondance, les soldats étaient avertis de se garder des excès de vin : l'un d'eux, surpris en état d'ivresse par une troupe de Persans, avait été égorgé sous les yeux de l'armée[83]. Les Romains arrivèrent bientôt en vue d'une autre île fortifiée, Tilutha, dont la citadelle, perchée sur une montagne, comme un nid d'aigle, paraissait imprenable. On la somma néanmoins de se rendre. Ses défenseurs répondirent qu'ils suivraient le sort des armes et livreraient la place au vainqueur : en attendant l'issue de la campagne, ils s'engageaient à ne commettre aucun acte d'hostilité. En conséquence, ils laissèrent la flotte romaine passer librement devant leurs murailles. Un troisième fort, Achaiacala, défendu également par un bras du fleuve et par l'escarpement de ses rochers, fit la même réponse. Continuant à descendre l'Euphrate, les Romains trouvèrent d'autres places moins bien fortifiées, et que l'ennemi avait abandonnées, ne croyant pas les pouvoir défendre : ils les incendièrent. Jusque-là, c'est-à-dire après avoir descendu plus de la moitié du cours du fleuve, et cheminé pendant près de trois semaines en territoire persan, les Romains n'avaient ni rencontré une grande ville, ni vu une armée ennemie. Ils aperçurent enfin une vaste cité, dominée par un acropole, que couronnait un temple magnifique. C'était Diacira. Julien résolut de l'occuper. Mais elle était située sur la rive droite du fleuve. Il fallut traverser de nouveau celui-ci, en un point qu'Ammien appelle Baraxmalcha, et longer son cours pendant quelques milles, l'aile gauche de l'armée étant maintenant appuyée à l'Euphrate. Quand on entra dans Diacira, on trouva la ville abandonnée. Tous les hommes avaient fui. Seules restaient quelques femmes, que les soldats égorgèrent sans pitié. On trouva des magasins remplis de blé et de sel. Quand on eut tout pillé, on mit le feu aux édifices et aux maisons. Le même sort fut, un peu plus loin, celui d'une autre ville également abandonnée, Ozogardama, voisine d'une source de bitume, comme il s'en trouvait tant dans ce pays[84], et près de laquelle aussi était un ancien camp de Trajan, avec les restes de la tribune d'où il avait harangué ses troupes. L'armée prit en ce lieu deux jours de repos. A l'aurore du troisième jour, les Romains virent pour la première fois briller au soleil les casques et les cottes de mailles de la cavalerie persane. Les troupes de Sapor étaient commandées par le généralissime ou surena : des auxiliaires sarazins, célèbres par leur férocité, et appartenant à la tribu des Assanites, y servaient sous la direction de Malachus Podosaces, leur phylarque. Un premier engagement faillit amener la capture du prince Hormisdas. Celui-ci, qui s'était avancé loin des lignes romaines, pour faire une reconnaissance, serait tombé aux mains de ses compatriotes, si les cavaliers qui le poursuivaient n'eussent été arrêtés par un des canaux d'irrigation, si nombreux dans le pays. Les deux armées parurent sur le point d'en venir aux mains. Les cavaliers persans bardés de fer, qui semblaient des statues animées, l'infanterie armée d'arcs immenses, intimidèrent d'abord les Romains. Ceux-ci, cependant, irrités d'avoir eu un moment d'hésitation, marchèrent en avant en s'abritant de leurs boucliers. Ce mouvement suffit à décider les Perses à la retraite, et Julien demeura maitre du champ de bataille sans avoir combattu[85]. Animée par ce succès, l'armée continua sa marche. Mais elle ne perdait plus le contact de l'ennemi. Celui-ci la harcelait sans cesse. On arriva au bourg de Macepracta, où se voyaient encore les ruines d'une Grande Muraille, que les Assyriens avaient élevée pour défendre leur pays des incursions du dehors. A cet endroit, l'Euphrate, disent Ammien et Zosime, se divise en deux bras, dont l'un fait une courbe dans la direction de Ctésiphon, dont l'autre se dirige en ligne droite vers Babylone : ce dernier devait être, non un bras naturel du fleuve, mais le canal parallèle à celui-ci, et attribué à Nabuchodonosor, qui descend jusqu'à la mer, sur un parcours de huit cents kilomètres, et n'a été dépassé, dit un géographe, par aucun travail moderne du même genre[86]. C'est le premier de ces deux bras, dominé par une haute tour en forme de phare, que devait traverser l'armée romaine pour continuer sa route dans la direction du Tigre. L'infanterie le passa assez aisément sur des ponts : une partie de la cavalerie aborda la rive à la nage ; mais plusieurs escadrons furent criblés de flèches, et eussent péri dans les eaux, si des auxiliaires légèrement armés et prompts à la course n'avaient mis en fuite les archers persans. La résistance commençait. Quand l'armée fut arrivée sous les murs de Pirisabora, on vit plus clairement encore que le temps des succès faciles était passé. C'était une ville grande et populeuse, dont presque tous les habitants avaient fui ; mais il y restait près de trois mille hommes, décidés à vendre chèrement leurs vies. Julien fit, à cheval, le tour de ses remparts, interpellant ses défenseurs, leur promettant la vie sauve ou les menaçant des plus cruels traitements ; mais ils refusèrent de l'entendre. A Hormisdas, qui revendiquait près d'eux sa qualité de compatriote et sa prérogative de prince royal, ils répondirent en l'appelant traître et déserteur. Ils avaient tendu le long des créneaux des étoffes de poil de chèvre, contre lesquelles s'émoussaient les traits ; eux-mêmes, vêtus de peaux de bêtes, que recouvraient des lames de fer, paraissaient invulnérables. Julien dut faire avancer l'artillerie de siège, et combler de fascines les fossés. Ce fut seulement quand, pendant la nuit, une des tours d'angle eut été ébranlée par un violent coup de bélier, que les assiégés se décidèrent à évacuer l'une après l'autre les deux enceintes de la ville ; mais ils se retirèrent dans la citadelle, vaste édifice circulaire dominant la cité et l'Euphrate. Ses murs, dit Ammien, étaient construits de briques et de bitume, avec une solidité que rien n'égale[87]. De là, les Perses accablaient de traits les soldats romains, qui s'avançaient à découvert dans les rues désertes. Cette seconde journée de siège fut terrible. D'un côté, les catapultes et les balistes faisaient pleuvoir les projectiles, de l'autre, les grands arcs persans lançaient avec une sûreté effrayante les flèches de roseau garnies de fer. Depuis l'aurore jusqu'au soir on lutta de la sorte, avec un égal acharnement. Quand le troisième jour se leva, rien n'était changé dans la situation des combattants. N'écoutant que son courage, Julien essaya une attaque de vive force. Il s'avança jusqu'à l'une des portes de la citadelle, entouré de soldats qui tenaient leurs boucliers au-dessus de leurs têtes afin de se préserver des flèches. Sous une grêle de traits, de pierres, de balles de plomb, les Romains essayèrent d'enfoncer ou de démolir la porte, dont les ais massifs revêtus de fer défiaient tous leurs efforts. Ils ne se retirèrent, entraînant l'empereur, qu'au moment d'être accablés par les projectiles de toute sorte et de tout poids, jusqu'à des fragments de rochers, que jetaient les assiégés.. Devant une telle résistance, les machines ordinaires, mantelets, échafaudages, restaient sans effet. Julien se résolut à un dernier effort. Il commanda de construire en toute hâte un ouvrage immense, connu sous le nom d'hélopolis. L'effet fut plus prompt qu'on n'eût osé l'attendre. A la vue de la tour mobile à plusieurs étages, recouverte de peaux de bœufs nouvellement écorchés et de claies d'osier enduites d'argile, qui s'avançait vers eux, chargée d'hommes et dépassant de son faite les plus hautes tours de la citadelle, les défenseurs de celle-ci se sentirent tout à coup glacés d'effroi. Leur courage les abandonna en un instant. Ils cessèrent de tirer : on les vit courir sans armes sur les remparts, tendant les mains, et demandant la permission de conférer avec Hormisdas. Julien accorda à leur chef un sauf-conduit. Celui-ci, descendu par une corde, fut amené devant l'empereur. Julien lui promit, pour lui et pour tous ses compagnons d'armes, la vie et l'impunité. Rentré dans la citadelle, le chef persan annonça à ceux qui y étaient renfermés la grâce obtenue. Les portes alors s'ouvrirent : hommes, femmes et enfants, au nombre de deux mille cinq cents, sortirent en invoquant les dieux et en criant : Vive le grand et bon César, auteur de notre salut ![88] Ce siège est le premier auquel assista Julien, puisque les guerres contre les tribus barbares de la Germanie ne comportaient point d'opérations de ce genre. Il y montra de la vaillance, de la décision et de l'humanité. C'est un des épisodes de sa vie militaire qui lui font le plus d'honneur. Mais la victoire avait coûté cher, et le soldat ne gardait plus tout son entrain. Si le chef avait gagné aux yeux des connaisseurs et peut-être à ses propres yeux, en faisant montre de qualités nouvelles, il avait perdu à ceux de ses soldats un peu de ce prestige que lui avaient donné les trop faciles et trop heureux commencements de la campagne. On sentait que la marche triomphale était finie, que les villes n'ouvriraient plus leurs portes, et qu'il n'y aurait plus de victoires sans adversaires. Le lendemain de la reddition de Pirisabora, comme Julien prenait son repas, on vint lui annoncer que trois escadrons de cavalerie légère, faisant office d'éclaireurs, avaient été surpris par les troupes du suréna : quelques Romains avaient été tués, et les Perses s'étaient emparés d'un drapeau, après avoir massacré le tribun qui le portait. Julien, ne pouvant contenir sa colère, prit une escorte, et courut au lieu de l'escarmouche : il repoussa les assaillants, destitua les deux tribuns qui avaient survécu, et, selon les anciennes lois, dit Ammien, fit décimer les fuyards. Il donna ensuite l'ordre d'incendier la ville et la citadelle de Pirisabora, puis promit aux soldats, pour les encourager, cent pièces d'argent par tête. On a pu le remarquer à plusieurs reprises en lisant nos récits, l'argent était nécessaire pour exciter ou entretenir le dévouement des soldats romains. Un des reproches les plus graves adressés par Julien à Constance, c'était de l'avoir privé de ce moyen de s'attacher les troupes qui servaient en Gaule. Devenu maitre absolu, il multiplia les distributions, faisant d'elles, parfois, des pièges tendus aux soldats chrétiens. C'est là un des côtés par où les armées antiques, toujours plus ou moins mercenaires, se distinguent des armées modernes, où le culte du drapeau ne se mêle d'aucun sentiment sordide, et où les officiers et même les soldats rougiraient de recevoir une gratification en argent. Les armées romaines n'avaient pas honte même de la marchander. La jugeaient-elles trop faible, elles le faisaient sentir à leurs chefs. Il en fut ainsi au lendemain de la prise de Pirisabora. Les soldats de Julien, déjà aigris par l'effort, ne se trouvèrent pas suffisamment payés de leur peine. Le présent de l'empereur— qui ne devait même pas être payé sur-le-champ — leur parut mesquin. Julien les vit sur le point de se mutiner[89]. Il lui fallut quelque énergie pour les maintenir dans l'ordre. Debout sur son tribunal, il les harangua d'un ton sévère. Avec un accent où perçait l'indignation, il s'efforça de relever leurs âmes, sans négliger de faire vibrer chez eux la corde de l'intérêt. Voici, leur dit-il, les Perses, chez qui tout abonde : leur opulence vous enrichira, si d'un effort unanime vous savez la conquérir. L'État romain a possédé, lui aussi, des biens immenses : il a été ruiné par ceux qui, pour augmenter leur propre richesse, ont persuadé aux princes d'acheter la paix aux Barbares. Aujourd'hui le trésor est à sec, les villes épuisées, les provinces dépeuplées. Ni ma fortune personnelle, ni celle de ma famille ne sauraient y suppléer, bien que je sois de race illustre et de cœur intrépide. Mais un empereur habitué à estimer les seules richesses de l'âme ne rougira pas d'avouer une honnête pauvreté. Les Fabricius étaient pauvres : ils ont conduit de grandes guerres et amassé de la gloire. Vous pourrez tout gagner en abondance, si, obéissant à Dieu et à moi qui, autant que le permet l'humaine raison, m'efforce de vous conduire sagement, vous rentrez dans le calme ; mais si vous vous rebellez, si vous renouvelez d'anciennes et déshonorantes séditions, à votre aise ! Comme il convient à un empereur, moi, après avoir rempli seul tout mon devoir, je saurai mourir debout, méprisant la vie, qu'aussi bien un petit accès de fièvre pourrait me ravir. Ou bien simplement je m'en irai : je n'ai pas vécu de telle sorte que je ne puisse rentrer aisément dans la condition privée. Je me console et me réjouis par la pensée que vous pourrez trouver, à défaut de moi, des chefs éprouvés, qui ne le cèdent à personne dans la science de la guerre. Ce langage touchant et bizarre émut les soldats. Ammien Marcellin, qui connaît si bien la psychologie de l'armée romaine, nous les montre provisoirement apaisés[90], reprenant confiance par l'espoir de temps meilleurs, promettant de se laisser conduire, puis s'échauffant par degrés, et finissant par exalter dans les termes les plus élogieux l'autorité et la grandeur d'âme de l'empereur. Dans ce langage symbolique des armes, qui était encore un de leurs traits caractéristiques, ils ne heurtèrent pas bruyamment leurs boucliers contre leurs genoux, en signe d'approbation enthousiaste ; mais ils firent entendre un léger cliquetis du fer, pour marquer la sincérité et la cordialité de leur consentement[91]. L'armée rentra sous ses tentes, et passa une nuit tranquille. Puis elle reprit sa route. Julien animait ses soldats par son ardeur. On l'entendait s'écrier avec impatience : Puissé-je soumettre la Perse au joug, et raffermir le monde romain ébranlé ! Mais, après quatorze milles, la marche devint malaisée. On était arrivé dans une plaine fertile, plantée de vignes, d'arbres fruitiers de toute sorte, et de grands bois de palmiers. Sa fertilité était due en partie à de nombreux canaux d'irrigation, ouvrages admirables des Assyriens, dont profitait encore le pays. Les Perses, avertis par leurs espions du chemin que suivaient les Romains, avaient submergé la plaine, par l'enlèvement des barrages qui retenaient les eaux ; ce n'était plus qu'un immense marais, d'où émergeaient les arbres. L'armée dut s'arrêter. Pendant plusieurs jours elle campa dans l'eau et dans la boue. On employa ce repos forcé à construire des radeaux, soit avec des outres liées ensemble, soit avec des troncs de palmiers ; on saisit quelques-uns de ces bateaux de cuir, dont se servaient les habitants[92], on combla certains canaux, on jeta des ponts sur d'autres ; on parvint enfin à vaincre pour la seconde fois cet auxiliaire puissant des Perses, l'inondation. Rassasiés de dattes, mais épuisés par ces efforts, et harcelés par l'attaque incessante des archers persans, les Romains, longeant toujours l'Euphrate, parvinrent en un point où le fleuve se divise en bras nombreux[93]. On y brûla, en passant, la ville de Blithra[94], dont les habitants avaient pris la fuite. C'était la résidence d'une de ces colonies juives, si nombreuses encore au quatrième siècle dans les environs de Babylone, qui s'étaient formées de familles juives restées dans le pays après la captivité, et d'autres réfugiées en Perse, lors de la dévastation de la Judée par Vespasien et par Hadrien[95]. On passa ensuite, sans l'attaquer, en vue de la ville de Fissine[96]. Puis on s'arrêta devant la grande et populeuse cité de Maogamalcha. Celle-ci était très forte. Construite dans une plaine que bordait un bras de l'Euphrate, et que des canaux intérieurs divisaient en deux îles, elle était défendue par de solides remparts, et dominée par une citadelle bâtie sur un escarpement de rochers. Julien établit son camp près de la ville, en le fortifiant soigneusement, car on était sans cesse en contact avec les cavaliers ennemis. Puis, accompagné de quelques soldats d'infanterie légère, il fit le tour des murailles, afin d'en étudier les points faibles. Cette inspection manqua de lui conter la vie. Comme il passait devant une porte basse, des soldats de la garnison en sortirent, gravirent sur leurs genoux le revers du fossé, et s'élancèrent à l'improviste sur l'escorte de l'empereur. Deux d'entre eux reconnurent Julien à son costume, et l'assaillirent. S'abritant de son bouclier, Julien tua l'un d'eux, d'un seul coup ; ses soldats, se jetant sur l'autre, le criblèrent de blessures. Le reste des assaillants prit la fuite. Julien, rapportant les dépouilles enlevées aux morts, comme dans les combats chantés par les poètes, revint au camp, au milieu des cris de joie et des applaudissements. Mais bientôt il reconnut que ce camp était mal situé, et dans un endroit insalubre : il fit, le lendemain, passer à son armée sur des ponts les canaux qui avoisinaient la ville, et un peu plus loin établit un nouveau camp, garanti contre les incursions de la cavalerie persane par un double vallonnement. Avant que la ville fût complètement investie, beaucoup de ses habitants parvinrent à s'enfuir, les uns à travers bois, les autres par les canaux et les marais. Quelques-uns, surpris dans des barques, furent tués par les Romains : la plupart gagnèrent Ctésiphon, que seulement quatre lieues et demie séparaient de Maogamalcha. Ceux qui restèrent, soldats ou citadins, formaient encore une masse compacte : c'étaient tous gens résolus à ne pas se rendre. Contre de tels défenseurs il fallait procéder avec méthode. On entreprit un siège régulier. Double ligne de circonvallation, plates-formes destinées à recevoir les machines de guerre, tranchées, mines, furent construites à la fois, sous la direction de Nevitta et de Dagalaïphe. Dès que tout fut prêt, l'attaque commença. En présence se tenaient les Persans, debout sur les remparts, couverts de lames de fer adhérentes et serrées comme des plumes, et les Romains abrités dans leurs tranchées par la carapace des boucliers. Soudain celle-ci s'entr'ouvrit : se garant des flèches par une sorte de claie ou d'écran d'osier, les assiégeants s'avancèrent, au-dessus des fossés récemment comblés, jusqu'au pied des murailles. Les assiégés leur opposèrent les traits des archers, les balles des frondeurs, ou jetèrent sur eux des pierres, des torches enflammées, des masses de fer. Plusieurs fois repoussés, les Romains revinrent toujours en avant, sous la protection de l'artillerie, dont les décharges remplissaient l'air de sifflements et de fracas, les balistes lançant de leurs courroies flexibles les longs javelots, les scorpions faisant pleuvoir les boulets de pierre[97]. L'ardeur insupportable d'un soleil brûlant mit seule fin au combat. Celui-ci reprit le lendemain, sans amener d'abord plus de résultat. A la fin de la journée, les deux partis luttaient mollement, comme s'ils eussent été sur le point de se séparer, quand un dernier coup de bélier, lancé au hasard, ébranla contre toute attente une très haute tour, laquelle, en s'écroulant, entraîna dans sa ruine une partie du mur qu'elle surplombait. La brèche était ouverte : on s'y battit longtemps et avec acharnement. Mais la nuit vint, qui interrompit la lutte. Les Romains étaient rentrés dans leurs quartiers, quand, à la surprise de tous, retentit soudain le clairon, ordonnant un nouvel assaut. Voici ce qui s'était passé. Julien venait de recevoir la nouvelle que les légionnaires qui travaillaient à la mine avaient dépassé les fondations des remparts, et n'avaient plus que quelques coups de pioche à donner pour déboucher dans l'intérieur de la ville. Aussitôt il lança, de deux côtés à la fois, des colonnes d'assaillants, afin que les assiégés, occupés par cette nouvelle attaque, et se portant tous aux murailles, n'entendissent point le bruit de la sape, et en même temps laissassent tout autre point dégarni de défenseurs. C'est alors qu'à la faveur des ténèbres émergèrent du sol, d'abord le soldat Exupère, de la cohorte des Victorieux, puis le tribun Magnus, le notaire Jovien[98], suivis d'une troupe de hardis combattants. Ils égorgèrent d'abord les habitants de la maison dans laquelle débouchait la mine[99], puis, étouffant le bruit de leurs pas, ils firent main basse sur toutes les sentinelles. Alors seulement ils poussèrent un cri de victoire, et acclamèrent l'empereur. Surpris, attaqués à la fois par le dehors et par le dedans, n'ayant plus le temps de gagner la citadelle, les assiégés se virent perdus. Les Romains tuaient, sans distinction d'âge ou de sexe : les Persans fuyant le fer, fuyant l'incendie, se jetaient du haut des murailles. De tous les défenseurs de la ville, quatre-vingts soldats seulement survécurent, avec Nabdate, leur commandant. Julien fut modéré dans la victoire. Pensant à son panégyriste Libanius : Je viens, dit-il simplement, de préparer une belle matière à l'orateur de Syrie[100]. Il fit aux survivants de la garnison grâce de la vie. Quelques jeunes filles, belles comme toutes les femmes de Perse, dit Ammien, lui furent amenées : imitant la vertu d'Alexandre et celle de Scipion, il ne voulut pas même les regarder. Tout le butin fait dans la ville fut distribué entre les soldats : Julien garda pour sa part trois pièces d'or et un jeune enfant sourd-muet, dont le langage par signes l'avait amusé. Puis on procéda aux récompenses : ceux qui s'étaient distingués par leur vaillance reçurent la couronne obsidionale. On chercha vainement, pour la lui donner, un guerrier d'une taille gigantesque, qui avait été vu, au plus fort de la bataille, appliquant des échelles contre les murs : beaucoup demeurèrent persuadés que ce mystérieux combattant, disparu après la victoire, était le dieu Mars en personne[101]. La route paraissait maintenant ouverte vers Ctésiphon. Depuis plusieurs jours, l'un des généraux, Victor, envoyé en reconnaissance, avait annoncé que tous les chemins étaient libres. L'ennemi ne se montrait nulle part. Cependant, au moment de lever le camp, après avoir détruit tout ce qui pouvait l'être des fortifications de Maogamalcha, on vint avertir Julien que, dans des souterrains près des remparts, ouvrages de défense particuliers au pays, il y avait des Persans cachés, qui tomberaient à l'improviste sur l'arrière-garde, dès que l'armée serait en marche. Des soldats, envoyés par Julien pour les débusquer, ne purent ou n'osèrent pénétrer dans ces dangereuses cavernes : ils en bouchèrent l'entrée avec des sarments, et, mettant le feu à ceux-ci, enfumèrent les défenseurs. Des Persans périrent étouffés : d'autres, étant sortis pour fuir l'asphyxie, furent massacrés[102]. L'armée, au sortir de Maogamalcha, dut traverser sur des ponts plusieurs canaux ou bras de fleuve. En débouchant d'un de ces ponts, l'avant-garde, que commandait maintenant Victor, aperçut une armée qui venait de Ctésiphon dans le but de disputer le passage aux Romains : elle était commandée par le fils de Sapor, autour duquel se pressaient les plus nobles et les plus brillants cavaliers de la Perse. Mais dès que parurent les Romains, cette armée se replia. Continuant d'avancer, les Romains aperçurent un palais, construit dans le style de l'Occident. C'était une maison de plaisance des rois de Perse. Alentour s'étendaient de vastes parcs, où étaient gardés pour les chasses royales des fauves de toute espèce, lions, ours, sangliers. Heureux de rencontrer un édifice bâti à la romaine, Julien commanda d'épargner le palais ; mais les soldats, brisant les barrières, tuèrent à coups de flèches et de javelots le superbe gibier qui s'offrait à eux. Après s'être reposée pendant deux jours dans un pays fertile, où les chevaux trouvèrent un abondant fourrage, l'armée reprit sa route : Julien précédait, avec l'avant-garde. On rencontra une ville abandonnée, qui avait été, parait-il, détruite par Verus en i66., et que Zosime appelle Sabatha[103]. Près d'elle s'élevait une potence, à laquelle se balançaient encore des squelettes blanchis. C'étaient, dit-on, ceux des parents du traître qui livra Pirisabora, non à Julien (car celui-ci dut la prendre de vive force), mais, quatre-vingts ans plus tôt, à Cacus[104]. Une autre exécution eut lieu au même endroit, par l'ordre de Julien : on y brûla vif Nabdate, le commandant de Maogamalcha, à qui avait été fait d'abord grâce de la vie ; il parait que, enhardi par cette grâce, il s'était, depuis lors, montré insolent et n'avait cessé de poursuivre d'injures le prince Hormisdas. L'armée romaine ne s'arrêta point pour visiter la ville abandonnée ; mais, à peine eut-elle dépassé celle-ci, que les portes s'en ouvrirent, et que des cavaliers persans attaquèrent trois cohortes de l'avant-garde. D'autres, ayant traversé un bras de fleuve ou un canal, enlevèrent les chevaux que l'on menait à la suite de l'armée, et tuèrent les soldats qui les conduisaient. Partout se faisait sentir maintenant la présence de l'armée persane, qui évitait les batailles rangées, mais, à l'abri des villes, des forts, des canaux, des fleuves, multipliait les escarmouches. On approchait du Tigre, et l'on était presque en vue de Ctésiphon. Avant de songer aux moyens d'attaquer cette capitale, Julien, qui, ne voulant laisser derrière lui aucun point d'appui à l'ennemi, détruisait systématiquement toutes ses forteresses, alla reconnaître une petite place, très bien fortifiée, qui se trouvait sur la route. Selon sa coutume, il en faisait le tour, avec une faible escorte, quand, aperçu par la garnison, il fut assailli par une grêle de flèches : son écuyer fut blessé à ses côtés : lui-même ne dut son salut qu'au bouclier dont il s'abrita. Il fallut commencer un siège en règle. Mais, pendant qu'on plaçait devant les murs les machines destinées à les battre, la garnison, qui suivait à la clarté de la lune tous les mouvements des Romains, fit de nuit une sortie victorieuse : de nombreux assiégeants, dont un tribun, y périrent. En même temps un parti de Persans, ayant traversé le fleuve, fondit sur une troupe de cavalerie romaine, y tua beaucoup de monde, et y fit des prisonniers. Les soldats, persuadés que toute l'armée des Perses allait arriver, ne combattaient plus que mollement, et résistaient à peine : il fallut que Julien fit sonner le clairon, et mit toutes ses troupes sur pied, pour repousser l'attaque d'un petit nombre d'ennemis. Dans sa colère, il relégua parmi les fantassins, ce qui était une sorte de disgrâce, les restes de l'escadron qui avait mal soutenu l'honneur des armes romaines. Puis il pressa le siège, se montrant partout an premier rang, comme un soldat. Malgré l'énergie de ses défenseurs, la forteresse, que les Perses, se dérobant toujours à une bataille rangée, ne secoururent pas davantage, ne put résister à l'effort de toute l'armée romaine. Elle fut prise et incendiée. Julien donna un jour de repos à, ses troupes, qui étaient épuisées : on fit une abondante distribution de vivres : mais on eut soin d'entourer le camp de palissades, de fossés, selon les règles de la castramétation antique. Julien avait souvent négligé ces précautions, qui, au quatrième siècle, semblent être-tombées en désuétude : les Perses, par leurs incursions subites, leurs ruses et leurs embuscades, l'obligeaient à s'en souvenir[105]. Cependant un problème se posait à l'esprit de Julien. L'armée avait passé divers bras de l'Euphrate, et la flotte qui contenait ses approvisionnements et son artillerie évoluait sur le fleuve. Si petite que fût maintenant la distance entre l'Euphrate et le Tigre, puisqu'on était arrivé au point où les deux fleuves se rapprochent 4e plus dans leur cours parallèle, il était impossible de transporter par terre de l'un à l'autre onze cents navires. Julien avait lu, dit Libanius, qu'il existait, un peu au-dessus de Coché et de Ctésiphon, un canal, autrefois ouvert par Trajan, qui faisait communiquer l'Euphrate avec le Tigre[106]. Ammien ajoute que Septime Sévère s'en était aussi servi, lors de l'expédition de 198. Ce canal, d'une origine beaucoup plus ancienne, puisque Pline l'attribue à Seleucus Nicator[107], et qu'il portait le nom de courant du Roi, avait, à l'origine, été creusé assez profondément pour que le flot y passât en toute saison, et nettoyât son lit par sa force d'érosion[108]. C'était une grande voie navigable, longue de cinq kilomètres[109]. Elle avait été comblée par les Perses, depuis que les Romains s'en étaient servis comme d'un moyen d'invasion. Des gens du pays, faits prisonniers, en indiquèrent à Julien l'emplacement[110]. Julien le fit rouvrir. â première vue, on se demande comment un travail aussi considérable put être accompli en si peu de temps : mais il est probable que les deux extrémités du canal avaient été murées avec de grosses pierres[111] ; son lit, plus ou moins envahi par la végétation, n'avait besoin que d'être nettoyé[112]. Quand la double digue eut été démolie[113], l'eau de l'Euphrate, plus élevée de cinq mètres[114], se précipita, et, remplissant le lit desséché, arriva jusqu'au Tigre. Portée par ce flot puissant, la flotte passa, ou, pour employer l'expression d'Ammien, fut jetée d'un fleuve à l'autre[115], comme, deux cent cinquante ans plus tôt, celle de Trajan. Quand cette opération eut été heureusement accomplie, l'armée franchit sur des ponts le même canal[116], et marcha dans la direction de Coché, place très forte[117], probablement identique à Séleucie[118], et située en face de Ctésiphon, sur la rive droite du Tigre. A peu de distance elle rencontra un autre de ces jardins de plaisance, ou paradis, que les rois et les grands de la Perse multipliaient autour des grandes villes[119]. Parmi les vignes, les cyprès, les arbustes en fleurs, s'élevait un élégant pavillon, dont tous les appartements étaient ornés de fresques représentant des chasses royales : car les Perses, dit Ammien, ne peignent que des scènes de chasse, de guerre ou de massacre[120]. L'armée prit en ce lieu un jour de repos. Pendant ce temps Julien, dont l'esprit était toujours en travail, et que les premiers succès de l'expédition avaient exalté, conçut un audacieux dessein. C'était de traverser immédiatement le Tigre, sans s'attarder au siège de Coché ou de Séleucie, et d'aller tout de suite chercher les Perses à Ctésiphon. Il fit décharger de leurs approvisionnements les meilleurs transports de la flotte, partagea celle-ci en trois divisions, et commença à y embarquer des soldats, afin d'en faire passer une partie dès que la nuit serait venue. Moins confiants ou déjà fatigués, ses généraux le supplièrent de ne point tenter une aussi dangereuse traversée. Julien n'écouta pas leurs représentations. Probablement un esprit plus modéré se serait-il contenté d'avoir conquis tous les territoires situés entre les deux fleuves, et refoulé les Perses au delà du Tigre, devenu la frontière de l'Empire romain. Mais Julien, dit Ammien Marcellin, ne tenait plus compte des difficultés, il attendait tout désormais de la fortune, et ne mettait point de bornes à sa témérité[121]. Pendant qu'on amusait l'ennemi en donnant à sa vue, dans un hippodrome improvisé, des courses et des jeux militaires[122], il envoya secrètement à une partie de ses navires l'ordre d'appareiller. Mais la nuit ne put cacher leur manœuvre. Cinq d'entre eux, partis en avant, et portant chacun quatre-vingts soldats, furent assaillis par une pluie de matières incendiaires. De la rive droite, les Romains les virent brûler. Il y eût eu, probablement, une panique, si Julien, par un hardi stratagème, n'avait rassuré ses troupes. « Le feu qu'on aperçoit, fit-il dire, est le signal convenu : il annonce que notre avant-garde a débarqué. » En même temps, Julien commandait à.la première division de la flotte, sous la conduite de Victor, de traverser le fleuve à force de rames. Malgré les traits lancés par les Perses, ses navires purent aborder. En peu de temps la rive gauche du Tigre fut couverte de soldats romains, représentant à peu près un tiers de l'armée[123]. Au point du jour, une bataille s'engagea. A la vue des Perses massés en avant de Ctésiphon, sous la conduite du suréna et de deux de ses meilleurs généraux, Pigrane et Narsès, les nouveaux débarqués éprouvèrent quelque hésitation. C'était la première fois que les soldats de Julien se trouvaient aux prises, en bataille rangée, avec ceux de Sapor. Ces troupes qu'ils n'avaient encore aperçues que de loin les étonnaient par leur armement si différent du leur, par l'aspect étrange des cataphractaires qui semblaient ne faire avec leur cheval qu'une seule masse de fer, à la fois rigide et flexible, par la tenue de l'infanterie, abritée sous ses longs boucliers d'osier[124] et de cuir, et surtout par l'énormité des éléphants semblables à autant de collines mouvantes[125]. Mais la vaillance romaine prit vite le dessus. Le combat devint bientôt une mêlée, où le corps à corps mettait les soldats de Julien à l'abri des flèches des archers persans. La première ligne des Perses fléchit enfin : d'un pas lent d'abord, puis accéléré, toute leur armée recula vers Ctésiphon, serrée de près par les troupes romaines. Celles-ci, malgré la fatigue de la lutte et l'excessive chaleur, seraient peut-être entrées dans la ville à la suite de l'ennemi, si Victor, qui avait eu l'épaule percée d'une flèche, n'avait du geste et de la voix arrêté leur élan : il craignait qu'une fois introduits dans ses murs, les Romains ne s'y trouvassent renfermés et n'y périssent accablés par le nombre[126]. Tel est le récit d'Ammien ; cependant, à en croire Libanius et Rufus, ce ne fut pas seulement la prudence de leur général qui arrêta les Romains aux portes de Ctésiphon : ils s'attardèrent en route pour piller, et manquèrent l'occasion de s'emparer de la ville par surprise[127]. La victoire des Romains n'était pas complète ; mais elle avait été brillante, et leur avait relativement peu coûté. Soixante-dix seulement des leurs avaient péri, contre deux mille cinq cents Perses[128]. Le reste de leur armée passa le fleuve le lendemain, sans être inquiété. Le surlendemain, Julien fit la traversée[129]. Une fois arrivé au camp que ses troupes occupaient devant Ctésiphon, son premier soin fut de distribuer les récompenses. Comme tous les grands généraux, il se faisait gloire de connaître par leur nom ses soldats, et d'être renseigné sur leurs actions. C'est donc avec discernement, et en parlant à chacun, que, suivant la nature de leurs exploits, il décerna aux plus méritants des couronnes militaires, des couronnes navales, ou des couronnes civiques[130]. Ce devoir rempli, il voulut rendre grâce aux dieux, et particulièrement à Mars vengeur, le dieu de la guerre et de la victoire. Alors se produisit un épisode que l'on hésiterait à croire, s'il n'avait pour garant Ammien, témoin oculaire et narrateur impartial. Julien s'y montre non seulement superstitieux à l'excès, ce qui n'étonnera personne, mais encore bien peu maitre de son humeur : il semble offrir des indices de dérangement d'esprit. Dix superbes taureaux avaient été conduits, pour être immolés au dieu. Neuf tombèrent morts avant d'arriver à l'autel, et sans que personne les touchât. Le dixième, en se débattant, rompit ses liens et s'échappa : on le reprit à grand'peine : quand il eut été sacrifié, ses entrailles montrèrent des signes funestes. Julien se mit en colère, poussa des cris d'indignation, et prit Jupiter à témoin qu'il n'offrirait plus jamais de sacrifice à Mars. Il tint son serment, dit Ammien avec mélancolie, puisqu'il ne tarda pas à mourir[131]. L'armée demeurait campée devant Ctésiphon[132] ; mais, avec l'absence de plan qui se remarque dans toute cette guerre, ni Julien ni ses généraux ne savaient s'il était opportun de faire le siège de la grande ville sous les murs de laquelle on était arrivé avec tant d'efforts. Un conseil de guerre fut tenu. Beaucoup des chefs de l'armée romaine déconseillaient le siège. Ils objectaient les fortifications imprenables de la ville, et l'arrivée probable de Sapor lui-même avec une armée de secours. C'était, dit Ammien, l'avis le plus sage[133]. Il dénotait cependant, autant que l'on peut juger aujourd'hui, une timidité singulière, ou un découragement déjà bien grand. L'histoire des siècles passés montrait que Ctésiphon était loin d'être imprenable. Trajan s'en était emparé en 116, et Cassius en 164, Septime Sévère, la prenant de nouveau en 198, y avait fait cent mille prisonniers. Carus s'en était aussi rendu maitre en 283. A la capture de cette ville ils avaient chi ce titre de Parthicus, si fort ambitionné par Julien. Celui-ci, cependant, se rangea sans hésiter à l'opinion de ses généraux. Il somma, dit-on, les défenseurs de Ctésiphon de venir se mesurer en plaine avec ses légions[134] : ceux-ci, naturellement, n'acceptèrent pas cette proposition dérisoire, et demeurèrent à l'abri de leurs murailles. Julien alors décida en conseil que Ctésiphon ne serait pas assiégé : il se contenta d'envoyer quelques troupes, sous la conduite d'un vieux militaire, Arinthée, déjà connu sous Constance[135], piller les campagnes environnantes, riches en moissons et en troupeaux qui pourraient servir à l'approvisionnement de l'armée. Où, cependant, celle-ci se dirigerait-elle ensuite, en s'éloignant de Ctésiphon ? Telle était la question que chacun se posait avec angoisse. Les généraux opinaient tous pour la retraite[136]. Si l'on en croit saint Grégoire de Nazianze, Julien était fort anxieux. Selon l'expression de l'orateur, il ne savait de quel côté se tourner[137]. Comme si la Providence n'eût pu se décider à l'abandonner, une occasion de terminer heureusement et glorieusement la guerre lui fut encore offerte. Ammien, dont le texte offre, à cet endroit, une grande lacune[138], n'en parle pas ; mais Libanius la rapporte. Sapor parait avoir redouté Julien autant que les généraux de Julien redoutaient Sapor. S'il avait évité, jusqu'à ce jour, de se trouver personnellement aux prises avec l'empereur romain, ce n'était peut-être pas, comme le croit saint Grégoire de Nazianze, pour l'attirer toujours plus avant, et le défaire quand toute retraite lui serait devenue impossible[139] : on croira aussi facilement que le roi de Perse craignait lui-même d'être vaincu par un aussi redoutable adversaire, et hésitait à remettre le sort de son royaume au hasard d'une bataille. Ce qui est sûr, c'est que Sapor envoya des députés offrir la paix à Julien, pendant qu'il était encore campé devant Ctésiphon. Ils s'adressèrent à celui qui semblait désigné pour être médiateur, le prince Hormisdas. Aussitôt Hormisdas, plein de joie, fit part à Julien des ouvertures qu'il avait reçues. Mais Julien refusa de voir les députés : il commanda au prince de les renvoyer secrètement, en faisant croire que c'étaient seulement des amis particuliers qui étaient venus le visiter. Dans son orgueilleuse obstination, il ne voulut pas d'une paix dont Alexandre n'aurait pas voulu ; mais en même temps il connaissait assez ses officiers et ses soldats pour savoir que s'ils avaient appris le désir des Perses d'ouvrir des négociations, ils n'auraient plus pensé qu'à la paix et au retour, et auraient refusé de combattre[140]. |
[1] Procope, De Bello Pers., I, 11.
[2] Ammien Marcellin, XIV, 3.
[3] Calones.
[4] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[5] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[6] Procope, De Bello Pers., I, 11.
[7] Zosime, III.
[8] Théodoret, III, 21.
[9] Théodoret, III, 21 ; et Sozomène, VI, 1.
[10] Voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., p. 152, 172.
[11] Sozomène, III, 6.
[12] Sozomène, III, 6.
[13] Julien, Ép. 43 ; Hertlein, p. 547.
[14] Julien, Ép. 43 ; Hertlein, p. 547.
[15] Julien, Ép. 43 ; Hertlein, p. 548.
[16] Le Hir, Saint Éphrem et la poésie syriaque, dans Études bibliques, t. II, p. 396.
[17] Théodoret, IV, 18.
[18] Peregrinatio Silviæ, dans Studi e Documenti di Storia e Diritto, 1888, p. 135.
[19] Procope, De Bello Pers., I, 13.
[20] La Lune joue aussi un rôle dans la théologie de Julien.
[21] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[22] Ammien Marcellin, XXVI, 9.
[23] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[24] Théodoret, III, 21.
[25] La seconde a contre elle cette remarque d'Ammien, que Procope, malgré son aspect farouche, n'était pas cruel : et quod est mirandum, quoad vixerat, incruentus. Ammien Marcellin, XXVI, 9. Il y a lieu aussi de rappeler cette remarque de Le Beau (Histoire du Bas Empire, éd. 1819, t. II, p. 136) : On ne trouve rien (de cette anecdote) dans saint Grégoire de Nazianze, qui, dans les reproches de cruauté qu'il lance avec tant de force contre Julien, n'aurait eu garde de passer sous silence un fait si atroce.
[26] J'emprunte une autre note à l'article Julianus, de Wordsworth, dans le Dictionary of christian biography, t. III, p. 514. La critique de l'anecdote (rapportée par Théodoret) n'est pas très facile. Dans l'état présent de nos renseignements, et d'après l'affirmation de M. Sayce, il parait que le culte de la déesse Lune, la Sin assyrienne, n'était pas à Carrhes, ou même ailleurs, accompagné de sacrifices humains. Nous lisons cependant, dans beaucoup d'auteurs, qu'aux environs de cette ville des sacrifices humains étaient offerts, probablement à Mercure, dans un but de divination (Chwoblsohn, Die Ssabier ; cf. Döllinger, Heidenthum und Judenthum, p. 403-404). Il n'est pas absolument impossible que Julien ait accompli un rite local de cette sorte : il est certain qu'il fit, au nom de la religion, bien des choses qui, en toute autre circonstance, eussent répugné à son caractère. D'autre part, l'anecdote nous est venue par un auteur relativement récent, et de peu de critique : elle peut avoir été inventée ad invidiam, à cause des coutumes locales qui la rendaient vraisemblable. Je pense donc que l'histoire ne doit pas être absolument rejetée, mais qu'on ne peut la considérer comme prouvée d'une façon décisive. On peut ajouter que, au cas où le récit de Théodoret serait exact, il peut y avoir eu dissection superstitieuse d'un cadavre, sans qu'il y ait eu assassinat ou sacrifice humain.
[27] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[28] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[29] Zosime, III.
[30] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[31] Navigabilis per omnes est rivos. Ammien Marcellin, XXIII, 6.
[32] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[33] Zosime, III.
[34] Libanius, Epitaphios Juliani.
[35] Lectorum militum. Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[36] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[37] Zosime, III.
[38] Zosime, III.
[39] Quod iter etiam re cibaria de industria jusserat instrui. Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[40] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[41] Castra præsidialia. Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[42] Commercandi opimitate gratissimum. Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[43] Munimentum robustum. Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[44] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[45] Prisco more. Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[46] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[47] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 442.
[48] Ammien Marcellin, XXIII, 3.
[49] Ad
furta bellorum appositi. Ammien Marcellin, XXIII,
3.
[50] Ammien Marcellin, XXIII, 3 ; et Zosime, III.
[51] Agili gradu. Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[52] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[53] Munimentum tutissimum. Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[54] Vopiscus, Probus.
[55] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[56] Ammien Marcellin, XXIII, 5. — Cf. les Dernières persécutions du troisième siècle, 2e éd., p. 164.
[57] Magnus, dans Müller, Fragm. hist. græc., IV, p. 4.
[58] Exercitus et omnes sequelæ. Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[59] Litteras tristes. Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[60] ... Orantis suspendi expeditionem in Parthos, obtestantisque ne ita intempestive, nondum pace numinum exorata, irrevocabile subiret exitium. Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[61] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[62] Il ne faut pu se tromper sur ce mot. Toute la campagne de Julien se déroulera en dehors des frontières de la Perse actuelle, dans les contrées soumises aujourd'hui à l'Empire ottoman, dont font partie non seulement l'ancienne Chaldée avec Babylone, mais encore l'Assyrie avec Ninive, dans laquelle ne parvint même pas Julien.
[63] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[64] Voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., p. 235.
[65] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[66] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[67] On sait que les anciens considéraient comme sacré l'endroit que la foudre avait touché, et l'entouraient d'un mur, afin que personne ne le foulât. Un de ces emplacements consacrés, le Puteal Libonis, existait sur le Forum romain. Voir Thédenat, Le forum romain et les forums impériaux, p. 167-169.
[68] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[69] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[70] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[71] Ammien Marcellin, XXIV, I. — L'état d'esprit des soldats de Julien à ce moment de l'expédition a inspiré à Libanius des réflexions étranges. Ils avaient eu naguère, dit-il, une telle peur des Perses, fondée sur l'expérience de nombreuses années, qu'on pouvait dire qu'ils les craignaient même en peinture. Mais dès que ces hommes avilis furent conduits contre eux par notre héros, ils ne se souvinrent plus que de l'antique valeur, et seraient passés avec lui à travers le feu (Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 593). Cette confiance des soldats dans Julien, et le courage montré par eux dans la guerre de Perse, sont attestés aussi par Ammien ; mais le contraste institué par Libanius entre leurs sentiments antérieurs et ceux que leur inspira Julien manque de vérité comme de justice. Pendant le règne de Constance, l'armée romaine combattit les Perses avec courage, et rien, dans les récits d'Ammien, ne laisse voir chez les soldats les sentiments lâches dont parle le rhéteur. Qu'on lise la description du siège de Besabde en 360 (Ammien Marcellin, XX, 11) : le soldat y parait plein d'entrain, alacris miles : beaucoup de Romains périssent, parce qu'ils ont ôté leur casque, afin de combattre à visage découvert sous les yeux de Constance : les légions marchent d'un pas rapide et joyeux, legiones procinctæ celeri gradu venerunt : elles méprisent le péril, pericula contemnebant. Ce tableau n'a aucun rapport avec la peinture tracée par la plume partiale de Libanius.
[72] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[73] Zosime, III.
[74] Différent de l'historien Aurelius Victor, que Julien avait fait en 361 consulaire de la Seconde Pannonie (Ammien Marcellin, XXI, 10).
[75] Ammien Marcellin, XXIV, 2.
[76] Libanius, Epitaphios Juliani.
[77] Ammien Marcellin, XXIV, 1.
[78] Ammien Marcellin, XXIV, 1 ; Libanius, Epitaphios
Juliani (Reiske, t. I, p. 595) ; Zosime, III.
[79] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 596. — De même, à propos d'une inondation semblable, Xénophon, Anabase, Il, 3.
[80] Ammien Marcellin, XXIV, 1.
[81] Zosime, III.
[82] Ammien Marcellin, XXIV, 1.
[83] Ammien Marcellin, XXIV, 1.
[84] Cf. Quinte-Curce, Alexander, V, 1.
[85] Ammien Marcellin, XXIV, 2.
[86] Élisée Reclus, Nouvelle géographie universelle, t. IX, p. 405.
[87] Ammien Marcellin, XXV, 2.
[88] Ammien Marcellin, XXIV, 2.
[89] Ammien Marcellin, XXIV, 3.
[90] Ammien Marcellin, XXIV, 3.
[91] Ammien Marcellin, XXIV, 3.
[92] Il est de même question de radeaux faits de peaux dans l'Anabase, III, 4.
[93] Ammien Marcellin, XXIV, 3.
[94] Zosime l'appelle ainsi ; Ammien Marcellin ne la nomme pas. Les archéologues croient en retrouver les débris dans le village persan d'Akar-Kuf. Jurien de la Gravière, l'Empereur Julien et sa flottille de l'Euphrate, dans Revue des Deux Mondes, 1er avril 1890, p. 594.
[95] Ammien Marcellin, XXIV, 4.
[96] Zosime, III.
[97] Ammien Marcellin, XXIV, 4.
[98] Il ne faut pas confondre ce Jovien avec son homonyme, le futur empereur. Sur la mort tragique du notaire Jovien, voir Ammien Marcellin, XXV, 3.
[99] Une femme occupée à pétrir le pain, dit Zosime.
[100] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 603.
[101] Ammien Marcellin, XXIV, 4.
[102] Ammien Marcellin, XXIV, 4 ; et Libanius, Epitaphios Juliani.
[103] Zosime, III. — Ammien Marcellin, XXIV, 5, semble la confondre à la fois avec Séleucie et avec Coché ; mais son texte, en cet endroit, est très corrompu.
[104] Ammien Marcellin, XXIV, 5 ; Zosime, III.
[105] Ammien Marcellin, XXIV, 5.
[106] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 604.
[107] Pline, Nat. Hist., V, 26.
[108] Élisée Reclus, Nouvelle géographie universelle, t. IX, p. 405.
[109] Trente stades, exactement 5.550 mètres.
[110] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 604.
[111] Mole saxorum. Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[112] Valle purgata. Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[113] Avulsis cataractis. Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[114] Élisée Reclus, t. IX, p. 398.
[115] Undarum magnitudine classis secura stadiis triginta decursis, in alveum ejecta est Tigridis. Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[116] Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[117] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 10.
[118] Racontant l'expédition de Carus, en 283, Eutrope (Breviarium, IX) dit : Seleuciam et Ctesiphontem urbes nobilissimas cepit ; et Rufus (Breviarium, 28) : Cochen et Ctesiphontas urbes Persarum nobilissimas cepit. Sur l'identité probable de Coché et de Séleucie, voir Tillemont, Mémoires, t. VII, art. X sur saint Siméon de Perse, p. 97, et note VII sur le même saint, p. 664.
[119] Zosime, III. — Cf. Xénophon, Anabase, III, 4 ; Hist., IV ; Quinte-Curce, Alex., VII, VIII ; Dion Chrysostome, Orat. II.
[120] Ammien Marcellin, XXVI, 6.
[121] Ammien Marcellin, XXVI, 6.
[122] Libanius, Epitaphios Juliani. — Id., De Vita. — Ludos campestres... cum contra Ctesiphontem in Tigridis et Euphratis ripa castra haberet. Rufus, Brev., 28. — Voir encore Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 22 ; dans Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 23 ; Sozomène, VI, 1.
[123] Ammien Marcellin, XXVI, 6.
[124] D'après Eunape (fr. 21 ; Müller, t. IV, p. 22), les Perses portaient non seulement des boucliers d'osier, mais aussi des casques d'osier.
[125] Ammien Marcellin, XXVI, 6.
[126] Ammien Marcellin, XXVI, 6.
[127] Libanius, Epitaphios Juliani ; cf. Rufus, Brev., 28 : ni major prædarum occasio fuisset quam cura victoriæ. Eunape, fr. 22 (Müller, p. 23), dit que l'abondance du butin fait dans les faubourgs de Ctésiphon, amollit l'armée.
[128] Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[129] Libanius, Epitaphios Juliani ; Zosime, III.
[130] Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[131] Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[132] En un lieu que Zosime appelle Abuzatha.
[133] Ammien Marcellin, XXIV, 7.
[134] Libanius, Epitaphios Juliani.
[135] Cf. Ammien Marcellin, XV, 4.
[136] Ammien Marcellin, XXIV, 7.
[137] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 10.
[138] Voir la note de Valois, dans son édition d'Ammien Marcellin, p. 410.
[139] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 10.
[140] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 608. — Cf. Socrate, 21 ; mais Socrate se trompe en disant que Julien avait assiégé Ctésiphon et l'avait réduite à la dernière extrémité, quand cette ambassade lui fut envoyée. Socrate ne croit pas non plus que les offres de paix soient restées secrètes, car il dit que les Romains Mimèrent Julien d'avoir, par amour de la guerre, refusé un traité avantageux.