I. — Derniers mois à Antioche. — Le Misopogon. Les livres de Julien contre les chrétiens sont, apparemment, de janvier ou février 363. L'abandon des travaux commencés à Jérusalem eut lieu vers le même temps, puisque cette décision forcée avait été prise avant que Julien quittât Antioche, ce qu'il fit le 5 mars. Entre cette dernière date et le commencement de l'année, plusieurs événements marquèrent encore son séjour dans la capitale de la Syrie. L'un est, le 1er janvier, sa prise de possession du consulat pour la quatrième fois. Julien rompit, à cette occasion, avec une coutume depuis longtemps établie, en se donnant pour collègue dans cette magistrature annuelle un simple particulier[1]. Son choix tomba sur l'un de ses plus intimes amis, Fl. Sallustius, préfet du prétoire des Gaules[2]. Julien avait demandé à Libanius de prononcer à cette occasion son panégyrique[3]. L'abondant rhéteur s'acquitta de cette tâche avec son zèle accoutumé[4]. Tu l'emportes, dit-il au prince, sur tous les orateurs par la connaissance de la philosophie, sur tous les philosophes par le talent de l'orateur, sur les uns et les autres par le génie poétique, et sur tous les poètes, parce que tu es non seulement poète, mais encore orateur et philosophe. Cette phrase suffit à donner le ton du discours, où la louange est sans mesure comme sans nuances. Libanius passe en revue toute la carrière de l'empereur, dépeint avec complaisance sa vie à Antioche, remplie par la dévotion et par l'étude, et termine le panégyrique par des prédictions et des souhaits, auxquels un très prochain avenir allait donner le plus triste démenti. Il annonce que Julien dépassera la longévité du législateur Solon ; puis, tournant ses regards vers l'expédition projetée, il donne libre cours aux illusions dont quelques-uns se berçaient dans l'entourage du prince. Bientôt, dit-il, notre armée soupera dans Suse, et les Perses captifs verseront à boire à nos soldats. Enflé tout à la fois de sa propre importance et de la grandeur des événements auxquels il croit déjà assister : Une solennité pareille à celle qui donne lieu à ce panégyrique, jamais, s'écrie-t-il, n'en ont vu avant ce jour ni les yeux des hommes, ni les regards des dieux ![5] Julien célébra sa prise de possession du consulat en visitant le temple de Jupiter Philius[6] et celui de la Fortune. Attentif comme il était aux présages, il dut, en arrivant à ce dernier temple, ressentir un moment d'effroi. Comme le cortège impérial gravissait les degrés, un des prêtres, qui était resté en arrière, tomba mort. Les assistants virent dans ce fait un signe tragique[7]. Mais les uns, dit Ammien, par sottise, les autres par flatterie, déclarèrent que le présage s'appliquait au plus âgé des consuls, c'est-à-dire à Salluste, dont il annonçait la mort prochaine[8]. Cependant d'autres événements attirèrent, presque aussitôt, l'attention publique, et parurent à quelques-uns un sombre avertissement. Deux des hommes les plus engagés dans la lutte contre les chrétiens moururent dans les premières semaines de 363. Le surintendant Félix, ce renégat auquel Libanius donne les épithètes de beau et courageux[9], mais que d'autres témoignages nous montrent sous un jour très différent, disparut le premier. C'est lui qui, faisant habilement honneur à l'éloquence impériale de sa conversion à l'hellénisme, s'était insinué dans la confiance de Julien[10]. On l'a vu, lors du pillage de la principale église d'Antioche, s'associer aux plus grossières profanations. Une hémorragie l'enleva subitement[11]. Ce fut presque tout de suite le tour d'un autre profanateur, l'oncle même de l'empereur, le comte Julien. Ammien fait mention seulement de sa mort, à la suite de celle de Félix[12]. Les écrivains chrétiens en racontent d'horribles détails. Il succomba, disent-ils, à une maladie longue et répugnante, le corps plein d'abcès, qui crevaient à l'intérieur, rendant des excréments par la bouche et dévoré vivant par les vers[13]. On dit qu'il éprouva le repentir des excès auxquels il s'était laissé entraîner[14], l'avoua à sa femme, qui était demeurée chrétienne[15], et fit demander à l'empereur de rouvrir les églises d'Antioche[16] ; mais on dit aussi que, trois jours avant sa mort, il prononçait encore la condamnation de chrétiens[17]. Quoi qu'il en soit du plus ou moins d'exactitude de ces détails, la fin du comte Julien, suivant de près celle du surintendant Félix, fut interprétée par tous, païens et chrétiens, comme un présage menaçant pour le prince. Le peuple, lisant sur les monuments élevés par l'empereur la formule habituelle : Julien, pieux, heureux, Auguste, Julianus, pius, felix, Augustus, disait : Félix et Julien sont déjà morts ; c'est maintenant le tour d'Auguste[18]. Et l'on avait le sentiment qu'un malheur tout proche planait sur celui-ci[19]. Le dernier acte de juridiction du comte Julien parait avoir été une sentence capitale prononcée contre deux soldats chrétiens, Bonose et Maximilien. Les détails rapportés dans leur Passion sont trop peu sûrs pour qu'il y ait lieu de l'analyser tout entière, bien qu'elle renferme vraisemblablement plus d'un trait historique[20]. Mais on en retiendra au moins la substance, à savoir que Bonose et Maximilien étaient les porte-étendards des deux cohortes des Joviens et des Herculiens, qu'ils avaient refusé, malgré l'ordre donné à toute l'armée, de supprimer le monogramme du Christ des drapeaux dont ils avaient la garde, et qu'en punition de ce refus ils furent mis à mort[21]. Leurs Actes disent que toute la population chrétienne d'Antioche, conduite par l'évêque orthodoxe Melèce, qu'entouraient ses suffragants, leur fit escorte jusqu'au lieu de l'exécution[22]. Deux autres militaires subirent le même sort, le 25 janvier. Ils se nommaient Juventin et Maximin, et appartenaient à la garde impériale. C'étaient de fervents chrétiens. Dans un repas de soldats, il leur arriva de blâmer tout haut la politique religieuse de Julien. On était plus heureux autrefois, dirent-ils. Mais aujourd'hui, à quoi bon vivre, voir le soleil, quand les plus saintes lois sont foulées aux pieds, la piété outragée, le Maitre de toutes les créatures méprisé ? Tout est rempli de la fumée noire et immonde des sacrifices ; on ne peut même plus respirer un air pur ![23] Ce propos de table était imprudent. Il suffisait qu'il tombât dans l'oreille d'un délateur pour être transformé en crime de lèse-majesté. C'est ce qui advint. Tous les convives n'étaient pas sûrs : l'un d'eux fit sa cour en dénonçant, et probablement en aggravant, les paroles échappées à la pieuse colère de Juventin et de Maximin. Julien les trouva séditieuses. A ce moment, il se défiait d'une partie de son armée. Il savait que si certains corps lui étaient aveuglément dévoués, d'autres, même dans la garde impériale, se montraient moins favorables à sa politique. On a vu que les Joviens et les Herculiens avaient supporté que leurs porte-étendards conservassent pendant toute une année sur les drapeaux le monogramme du Christ, malgré les ordres de l'empereur. Les scutaires ne paraissaient pas plus sûrs. Deux de leurs tribuns, Romain et Vincent, venaient d'être envoyés en exil, sous prétexte qu'ils agitaient des desseins plus hauts que leurs forces[24], c'est-à-dire apparemment qu'ils conspiraient. Peut-être cet exil se rattache-t-il à un complot, vrai ou faux, dont parle Libanius : des soldats de la même arme auraient, dans les fumées du vin, annoncé le projet d'enlever ou de tuer Julien lors d'une prochaine revue[25]. Le complot ne parut sans doute pas très sérieux, car ces soldats furent seulement exilés, comme l'avaient été leurs chefs Romain et Vincent[26]. Mais, venant après ces faits, les paroles échappées à Juventin et à Maximin, qui étaient aussi des scutaires[27], purent faire croire que le complot avait eu des ramifications plus étendues, et que des conspirateurs plus dangereux restaient à découvrir. Julien voulut interroger lui-même les deux militaires. Leur réponse à ses questions ne fut guère que la confirmation et la reproduction du propos incriminé. Empereur, lui dirent-ils, nous avons été élevés dans la vraie piété, sous le régime des lois excellentes portées par Constantin et ses fils ; nous déplorons aujourd'hui de voir que tout est rempli par toi d'abomination, au point que ce qu'on mange et ce qu'on boit est souillé par l'impureté des sacrifices. C'est là ce dont nous nous sommes plaints, et ce dont nous gémissons aujourd'hui devant toi, car c'est la seule chose que nous ayons à blâmer dans ton gouvernement[28]. Ce langage indépendant n'était pas pour satisfaire Julien : avant même d'avoir instruit le procès, il prononça contre les deux soldats la peine de la confiscation. Leurs biens furent vendus aux enchères, et eux-mêmes mis en prison[29]. Ils y demeurèrent quelque temps, pendant lequel se poursuivait l'instruction de l'affaire. Mais alors se produisit une manifestation inattendue. On sait que, dans l'antiquité romaine, l'accès des prisons était facile. L'histoire des persécutions a montré les accusés ou les condamnés chrétiens visités par la foule de leurs coreligionnaires[30]. La coutume était ici plus forte que toutes les consignes. Ce qui s'était vu aux siècles précédents se produisit pour Juventin et Maximin. Toute la ville, dit saint Jean Chrysostome, les visita, en dépit des défenses. On priait et l'on chantait avec eux ; si bien que, alors que l'église était fermée, c'est la prison qui devenait l'église[31]. Si des hommes d'un caractère si ferme, et qu'entourait une telle popularité, pouvaient être déterminés à une astasie publique, ce serait pour la cause des dieux, pensa Julien, un éclatant succès. Il mit tout en œuvre pour l'obtenir. Des agents secrets reçurent l'ordre de se mêler aux visiteurs, et d'essayer de convaincre les deux accusés. Si vous vous convertissez, leur dirent-ils, non seulement vous apaiserez la colère de l'empereur, mais encore vous obtiendrez un plus haut grade. N'avez-vous pas vu d'autres de votre profession agir ainsi ? — C'est là pour nous, répondirent les deux militaires, une raison de plus de résister virilement ; il nous faut expier la chute de ceux-ci par notre sacrifice[32]. Les tortures n'eurent pas plus de succès que les promesses et les menaces[33]. Vaincu par la résistance courageuse de Juventin et de Maximin, Julien se décida à prononcer leur sentence. Il les condamna à mort. Bien entendu, le jugement fut motivé, non par la profession de foi chrétienne qu'ils avaient faite à plusieurs reprises, mais par l'inculpation d'avoir prétendu à la tyrannie[34], c'est-à-dire d'avoir conspiré. Comme le remarque ici saint Jean Chrysostome[35] après saint Grégoire de Nazianze[36], Julien n'avait rien tant à cœur que d'éviter de faire des martyrs, mais il saisissait avec empressement les occasions que le droit commun offrait de frapper des chrétiens. Dans la population civile, quiconque, sous les précédents empereurs, avait démoli des autels, détruit des temples, pillé des offrandes, ou fait quelque acte de ce genre, était traduit devant les tribunaux et mis à mort, soit qu'il ait commis réellement ces actions, soit qu'il 'il en ait été accusé[37]. A plus forte raison en était-il ainsi dans l'armée, où, pour une désobéissance à quelque ordre blessant leur conscience ou pour une manifestation trop vive de leurs sentiments, les soldats chrétiens étaient frappés sans miséricorde, comme coupables d'innovations contraires aux institutions romaines, comme ayant oublié la soumission due au gouvernement et le respect dû à l'empereur[38]. Ce fut le cas de Juventin et de Maximin. Il semble cependant que, cette fois, on ait eu honte de la disproportion entre l'énormité du châtiment et la légèreté de l'offense, car on les décapita pendant la nuit. Mais on ne réussit pas à écarter les témoins. Des chrétiens bravèrent tous les périls pour recueillir les reliques des martyrs. On dit qu'au moment de les mettre au tombeau, ils remarquèrent la beauté de ces corps étendus, de ces têtes coupées, sur lesquels semblait planer déjà une immortalité radieuse[39]. Le supplice des soldats chrétiens acheva d'aigrir contre Julien la population d'Antioche. C'est un sentiment religieux sans doute, mais aussi un mouvement d'opposition et de réprobation qui avait porté la ville entière, selon le mot de saint Jean Chrysostome, à visiter Juventin et Maximin dans leur prison. On se disait qu'ils étaient coupables seulement d'avoir exprimé ce qui était dans la pensée et dans le cœur de beaucoup de leurs concitoyens. L'indulgence excessive de Julien pour d'autres soldats qui s'étaient donnés corps et âme à sa fortune rendait plus révoltante encore sa cruauté pour ceux qui avaient réclamé, même avec hardiesse, les droits de la conscience. Plus approchait le moment du départ pour la Perse, plus il multipliait le nombre des victimes sacrifiées devant les autels des dieux. C'est alors que tombaient quotidiennement ces centaines d'animaux de tout poil et de tout plumage dont parle Ammien Marcellin[40]. A la suite de ces sacrifices, les soldats appartenant aux cohortes privilégiées des Pétulants et des Celtes, demeurés tout-puissants parce qu'ils avaient eu la principale part dans la révolution de Paris, passaient leur temps à se gorger, dans les temples, de la chair des victimes et à remplir les sanctuaires païens d'une orgie continuelle. Quand ils en sortaient, alourdis par l'ivresse, ils forçaient les passants à les reporter sur leur dos à la caserne[41]. Ces excès, cette oppression des citoyens, ce gaspillage de viandes, alors qu'Antioche souffrait encore de la famine[42], augmentaient l'impopularité de Julien, et, par contraste, rendaient plus chère et plus touchante la mémoire des hommes courageux qu'il avait frappés avec une sévérité implacable. Sous le coup d'une juste indignation, l'humeur frondeuse des habitants d'Antioche ne gardait plus de mesure. La vue du prince leur devenait insupportable. Chacun de ses actes, chacune de ses paroles, provoquait la comparaison et les regrets. A sa vie étrange, tantôt passée dans la retraite au fond du palais, en compagnie de quelques hommes de lettres, tantôt exposée au public dans des cérémonies religieuses qu'il rêvait pures, mais qui mêlaient trop souvent les exhibitions de mauvais lieu aux scènes de boucherie, la malignité syrienne comparait la cour splendide du précédent empereur, les églises de marbre et d'or bâties par lui, les manifestations de sa piété : ce que celle-ci avait eu d'intempérant et de tyrannique s'effaçait de la mémoire du peuple, qui se souvenait seulement du souverain magnifiquement agenouillé dans sa pourpre devant l'autel chrétien. Le nouveau prince, presque toujours affublé d'un habit de philosophe ou d'une robe de pontife païen, paraissait à ses sujets d'Antioche un être malfaisant, chétif et ridicule. En quelques mois de séjour dans leur ville, il n'avait, malgré ses efforts pour se rendre populaire, réussi qu'à blesser tout ensemble leurs sentiments et leurs intérêts. Les dix ou onze années que Constance, pendant son règne, passa dans la capitale de la Syrie leur semblaient, en comparaison, avoir été un âge d'or. Aussi prenaient-ils plaisir à exaspérer Julien en se déclarant, en toute occasion, dévoués au X et au K, — initiales grecques du nom du Christ et de celui de Constance[43]. Ils avaient une autre manière encore de le blesser au vif. C'était de railler son extérieur. On s'amusait tout haut de le voir marcher en élargissant ses épaules étroites, en tendant son menton orné d'une barbe de bouc, en redressant sa petite taille, comme s'il eût été l'un des géants de la mythologie[44]. On l'appelait le bouc[45], le Cyclope[46]. On parlait de faire des cordes avec sa barbe[47]. On raillait le profil hirsute que lui donnaient ses monnaies[48]. On le chansonnait en vers anapestes[49], dont le refrain était : Fais-toi raser ![50] Puisqu'il ne voulait pas suivre les conseils d'une sage politique, qui l'eût engagé — comme il le reconnaissait lui-même[51] — à ne pas choquer toute une ville par sa négligence corporelle, Julien n'avait sans doute qu'un moyen de mettre encore les rieurs do son côté : c'était de ne pas entendre. Mais au lieu de laisser tomber autour de lui, comme des traits sans force, les injures et les épigrammes, il commit une autre maladresse, qui fut de les relever. C'était donner à ses ennemis la satisfaction de dire, comme ils disaient en effet : Nos traits d'esprit ont atteint le but ; nous t'avons percé de nos sarcasmes comme de flèches. Comment feras-tu, ô brave, pour affronter les projectiles des Perses, toi qui t'émeus de nos moqueries ?[52] Mais Julien ignorait l'art de se taire à propos. Son tempérament batailleur lui mettait sans cesse la plume à la main, dès qu'il apercevait un adversaire. Il avait écrit contre les faux cyniques, contre le libre penseur Héraclius, contre les chrétiens : il lui parut tout naturel d'écrire contre les habitants d'Antioche, contempteurs de sa politique, de ses, dieux et de sa barbe. Le sens du ridicule, qui lui manqua toujours, ne l'avertit pas de la figure malséante que faisait un souverain composant un pamphlet contre une des principales villes de son Empire. Il redevint homme de lettres, nous dirions volontiers journaliste, pour se venger d'elle. Du palais d'Antioche, d'où venaient d'être jetés au public les trois livres Contre les Chrétiens, sortit presque en même temps l'étrange brochure[53] intitulée Misopogon (l'ennemi de la barbe) ou l'Antiochique[54]. L'analyser en détail serait superflu : comme dans cet écrit Julien, selon son habitude, parle sans cesse de lui-même, j'ai eu l'occasion d'en tirer déjà un grand nombre de traits d'histoire ou de caractère, que l'on a trouvés répandus en beaucoup de pages de mon récit. Il reste seulement à faire connaître le plan du Misopogon, si l'on peut parler de plan à propos d'un ouvrage de Julien. L'impérial pamphlétaire prend, et ne quitte pas, le ton de l'ironie. Il feint d'entrer dans la pensée des habitants d'Antioche, et d'enchérir sur les railleries qu'ils faisaient de lui. La nature m'avait donné un visage ni beau, ni agréable, ni séduisant : moi, par une humeur sauvage et quinteuse, j'y ai ajouté cette énorme barbe, pour punir, ce semble, la nature de ne m'avoir pas fait plus beau. J'y laisse courir les poux, comme des bêtes dans une forêt. Je n'ai pas la liberté de manger avidement ni de boire la bouche béante, car il faut que je prenne garde d'avaler, à mon insu, des poils avec mon pain. Il continue sur ce ton, se déclarant impropre aux baisers, parlant de ses cheveux, de ses ongles, de ses doigts noircis. Voulez-vous des détails plus secrets ? J'ai la poitrine poilue, velue, comme les lions, rois des animaux ; je ne l'ai jamais rendue lisse, soit par bizarrerie, soit par petitesse d'esprit : et de même, dans le reste de mon corps, il n'y a rien de lisse et de doux[55]. Après s'être peint de cette étrange façon, Julien décrit ses habitudes morales. Ce lui est une occasion d'opposer aux vices des habitants d'Antioche les vertus qu'il pratique. C'est d'abord son aversion pour le théâtre, dont il fait honneur aux leçons de son précepteur Mardonius[56]. C'est ensuite sa sobriété, repas qui calment à peine l'appétit, nourriture exclusivement composée de légumes ; guerre déclarée à son ventre, à qui il ne permet pas de se remplir d'aliments, ce qui fait que, depuis son élévation au rang de César, il ne lui est arrivé qu'une fois de vomir[57]. C'est encore son endurance à l'égard du froid, qu'il se plut à braver dans les plus rigoureux hivers de Lutèce[58]. C'est son amour de l'étude et de la retraite[59]. C'est sa dévotion envers les dieux[60]. C'est son horreur du libertinage, et son exacte continence[61]. Julien se donne ici les éloges qu'il se plaisait à entendre de ses panégyristes, de Mamertin louant son lit pur comme celui d'une vestale, de Libanius le félicitant de l'innocence de ses mœurs et lui faisant compliment de manger comme une cigale. Ce portrait moral de Julien est probablement très ressemblant, plus ressemblant même que le portrait physique, dont, par une sorte de bravade, il a volontairement outré les traits jusqu'à la caricature. Cependant, tracé de sa main, il choque plus encore, peut-être, nos habitudes modernes. Nous comprenons à peine qu'on fasse louer en public ses vertus, et qu'on assiste à son propre panégyrique : nous comprenons encore moins qu'on les loue soi-même, à la façon du pharisien de l'Évangile. Le pharisaïsme de Julien ne s'arrête pas à ce trait : comme le sectaire de la parabole, il joint au contentement de soi-même la satisfaction de ne pas ressembler aux autres hommes[62]. Les autres hommes sont ici ses sujets d'Antioche. Au physique et au moral, il nous les montre comme sa vivante antithèse. Chez eux, dit-il, tout le monde est beau, grand, épilé, fraîchement rasé, jeunes et vieux jalousent le bonheur des Phéaciens, et préfèrent à la vertu le luxe des vêtements, les bains chauds et les lits[63]. Ils s'adonnent à la bonne chère, et ne comprennent même pas le sens du mot tempérance[64]. Ils sont incapables de suivre une règle[65]. Ils ont un tel amour de la liberté, qu'ils ne font point la police des rues, et laissent ânes et âniers cheminer à leur aise sous les portiques[66]. A eux comme à leurs ancêtres s'applique en toute exactitude ce vers de l'Iliade : Menteurs, danseurs, parfaits à marquer la cadence[67]. Leurs boutiquiers ne cherchent qu'à s'enrichir par des gains illicites ; leurs magistrats, propriétaires fonciers qui trafiquent des produits du sol, poursuivent le même avantage ; leur populace ne songe qu'à s'enivrer, et à danser l'obscène cordace[68]. A Antioche, on ne s'occupe que de courses, de jeux et de spectacles : au lieu de quelques jours, on y fête toute l'année[69]. La ville compte plus de danseurs, de joueurs de flûte, de mimes, que de citoyens[70]. Sur les places publiques, dans les théâtres, on n'entend que des cris de joie, des applaudissements de spectateurs[71]. Les dignitaires de la cité sont plus glorieux d'avoir payé les frais d'un spectacle que d'avoir fait une action d'éclat[72]. Les jeunes gens d'Antioche se livrent à une continuelle débauche[73]. Les femmes sont absolument libres et sans frein[74]. Les frères et les maris abandonnent à celles-ci l'éducation des enfants : au lieu d'en faire des hommes tempérants, réglés, modestes, elles en font des chrétiens[75] ! La plus grande partie du peuple professe l'athéisme[76]. Chacun affecte l'indépendance vis-à-vis des dieux, vis-à-vis des lois, et vis-à-vis du prince, qui en est le gardien[77]. Les dieux et le prince sont chaque jour insultés ensemble[78]. En s'abstenant de ressembler à ces riverains de l'Oronte, dissolus, impies et rebelles, Julien demeure fidèle aux traditions des paysans du Danube, ses ancêtres[79] : qu'ils suivent donc leur voie, comme il suivra la sienne[80] ! Mais le principal reproche que Julien adresse aux Antiochiens, c'est de ne vouloir pas reconnaître sa bonne volonté à leur égard et les bienfaits dont il a comblé leur cité. Il rappelle, en divers endroits du Misopogon, les faveurs par lui accordées à Antioche : remise de l'arriéré des impôts[81], diminution d'un cinquième sur la totalité des contributions[82], complément de la curie par la nomination de deux cents nouveaux membres[83], attribution à la cité de trois mille lots de terres domaniales[84], approvisionnement en blé[85] et (ce qu'il s'obstine à considérer comme une mesure avantageuse) taxe des denrées[86]. Pour tant de bienfaits, il n'a recueilli qu'opposition, injures et sarcasmes. J'en atteste les dieux, et Jupiter, protecteur de l'agora et de la cité, vous êtes des ingrats ![87] Cette ingratitude mérite d'être punie. Mais Julien n'usera
pas de mauvais traitements. Pas de tête coupée, de
fouet, de fers, de prison, d'amende[88]. Il châtiera les
habitants d'Antioche en les privant de sa présence. Puisqu'à
vivre en sage avec mes amis je vous offre un spectacle importun et
désagréable, j'ai résolu d'abandonner la ville et de vous quitter[89]. Il le répéta,
dans une phrase où l'on peut voir tout ensemble de la mélancolie, de la
rancune et du défi : Nous avions cru beau de
gouverner avec une sage modération, et nous nous imaginions que ce dessein
nous ferait paraître nous-mêmes suffisamment beaux. Mais puisque vous
déplaisent la longueur de notre barbe, la négligence de notre chevelure,
notre éloignement du théâtre, notre respect pour les choses sacrées,
par-dessus tout notre zèle à juger, notre volonté de mettre un terme aux
exactions du marché, bien volontiers nous sortons de votre ville[90]. C'était la
rupture définitive signifiée aux habitants d'Antioche. Les contemporains paraissent avoir jugé assez sévèrement le Misopogon. Tant que Julien vécut, les flatteurs exaltèrent cet opuscule comme un chef-d'œuvre. Mais, dès que la pourpre cessa de protéger son auteur[91], on en aperçut les défauts et l'on en sentit l'inconvenance. Ammien Marcellin, qu'il faut sans cesse consulter si l'on veut connaître l'opinion moyenne, à la fois équitable envers Julien et indépendante de toute coterie, appelle cet écrit un volume d'invectives et dit que le prince, énumérant dans un esprit hostile les défauts de la cité, ajouta beaucoup de choses à la vérité[92]. Saint Grégoire de Nazianze est surtout frappé du manque de goût avec lequel Julien parle de sa tempérance et raconte, comme un fait merveilleux, que jamais chez lui excès de nourriture ne causa une indigestion[93]. Il semble qu'en réunissant les jugements de ces deux écrivains dissemblables de situation et de croyance, dont l'un, qui recherche la vérité avec scrupule, blâme Julien d'y avoir manqué dans ses invectives, dont l'autre, habitué à pratiquer humblement les plus austères vertus, le raille de s'être vanté lui-même, on soit bien près d'avoir la note juste et complète. Cela dit, on se sent plus à l'aise pour reconnaître dans le Misopogon des détails pittoresques, des traits piquants, une verve d'autant plus naturelle qu'elle est animée de colère et de passion. Mais il est difficile d'y voir, avec Sozomène, un écrit tout plein de beautés et d'esprit[94]. A une méritoire impartialité l'historien chrétien du cinquième siècle joint ici un excès d'indulgence. II. — La préparation de la guerre. L'activité intellectuelle de Julien, pendant le dernier mois de son séjour à Antioche, parait avoir eu quelque chose de fébrile. A la veille de partir pour la plus hasardeuse expédition, il semble avoir voulu, sur tous les points[95], donner sa mesure, avancer son œuvre, et, si l'on peut dire, régler ses comptes. Il vient de le faire avec les chrétiens, par le livre de polémique dirigé contre leur religion. Il l'a fait avec les Juifs, par la tentative de restauration de leur nationalité et de leur temple. Il l'a fait avec les habitants d'Antioche, par le pamphlet dans lequel il leur rend raillerie pour raillerie. Avec plus de sérénité, il consacre maintenant les loisirs qui lui restent à mettre la dernière main à la réforme du paganisme. De février 363 sont plusieurs écrits sur lesquels nous ne nous étendrons pas, puisque nous les avons longuement analysés dans le chapitre sur cette partie capitale de l'œuvre de Julien, mais qu'il importe au moins de noter à cette date : la circulaire ou encyclique sur les devoirs des prêtres, connue sous le nom de Fragment de lettre[96], l'épître 62, par laquelle le souverain pontife frappe disciplinairement l'un de ceux-ci[97], l'édit sur les sépultures, destiné à réformer dans le sens païen les coutumes des funérailles[98]. Julien était encore à Antioche, quand vint le trouver une députation du sénat romain. On sait si peu de chose des rapports de Julien avec ce grand corps politique et aristocratique, si peu de chose en général de ses relations avec l'Occident depuis la mort de Constance, que ce fait, peu important en apparence, mérite l'attention. Aussi Ammien Marcellin a-t-il soin de nous le faire connaître. Il ne dit pas l'objet de la députation, mais il en nomme les membres, qui étaient parmi les premiers personnages de Rome[99]. Julien les reçut avec empressement, et les combla d'honneurs. Il fit l'un d'eux, Turcius Rufus Apronianus, préfet de Rome. Le choix était bon, car Apronianus se montra juge intègre et sévère[100]. Mais peut-être ne fut-il pas un juge selon le cœur de Julien, car on cite surtout sa haine pour les devins et les sorciers, qu'il poursuivit avec ardeur : il attribuait à des sortilèges un accident qui lui arriva en Syrie et lui fit perdre un œil, pendant qu'il se dirigeait vers Antioche avec les députés du sénat[101]. Un autre de ceux-ci, Octavius, fut nommé proconsul d'Afrique. Venustus, le père de Nicomaque Flavien, devint vicaire d'Espagne. Enfin Julien promut Aradius Rufinus à la dignité de comte d'Orient, que la mort de son oncle venait de laisser vacante[102]. Malgré son engouement pour les magistrats improvisés, pour les rhéteurs ou les philosophes élevés subitement aux fonctions administratives, Julien sentait probablement la nécessité de confier à un administrateur de carrière un gouvernement aussi considérable que celui de l'Asie romaine. Délivré d'un souci réel par cet acte de sagesse, Julien poussait avec une ardeur croissante les préparatifs de l'expédition de Perse. Il achevait de concentrer à Antioche et faisait manœuvrer sous ses yeux une partie de ses troupes, donnait au reste, réparti dans les garnisons d'hiver, les instructions en vue d'une mobilisation prochaine, et attendait avec impatience que les chantiers établis au bord de l'Euphrate aient mis à flot la flotte de transport et la flotte de guerre qu'à l'imitation de Trajan il faisait construire en vue de la navigation sur les fleuves et les canaux du pays ennemi. Cependant, si avancée que parût la préparation de la guerre, la paix était encore possible. Il ne tenait qu'à Julien de traiter, et, dit-on, avec avantage. A en croire Libanius, l'état où la mort de Constance laissa l'Orient romain avait d'abord exalté l'orgueil des Perses. Ils se voyaient déjà conquérants de la Syrie et maîtres d'Antioche. Mais la rapidité avec laquelle Julien prit possession du pouvoir impérial, sa grande renommée militaire, brisèrent vite ces espérances. Au lieu de songer à l'invasion des provinces romaines, le roi sassanide trembla de voir l'offensive hardie de Julien le chercher dans ses États. Il sentit qu'à la tactique expectante de Constance, à un courage réel, mais sans élan et sans entrain, allait succéder cette marche en avant, cette incursion immédiate en territoire ennemi, qui avait dompté par la terreur les peuplades du Rhin. Il ne vit plus de salut que dans une négociation pour la paix. Vers la fin de 362, il écrivit à Julien pour lui demander de recevoir ses ambassadeurs[103]. Prêter l'oreille à ces propositions eût sans doute été
sage. L'histoire cite plus d'une armée romaine allant se perdre dans les
sables de la Mésopotamie ou de l'Assyrie : et l'on sait la terrible vengeance
que le premier Sapor avait tirée de Valérien. La matière ne manquait pas à un
traité. Il semble qu'il y eût, entre les Romains et les Perses, assez de
territoires vagues, sans cesse disputés, pris et repris, jamais assimilés,
pour former entre leurs deux ambitions une barrière naturelle, si de part et
d'autre on avait une fois la volonté sincère de la respecter. Mais s'accorder
avec Sapor eût été pour Julien l'abandon d'un rêve longtemps caressé, le plus
cher de ses rêves après celui de la destruction du christianisme. La fièvre belliqueuse
l'avait ressaisi. Il était, dit Ammien, dévoré de l'ardeur de combattre, d'abord parce que, maintenant
fatigué du repos, il n'aspirait plus qu'au bruit du clairon et au fracas des
batailles, ensuite parce qu'ayant, dans la fleur de sa jeunesse, affronté les
armes des peuples les plus sauvages, reçu les supplications de rois et de
princes, qu'on aurait cru plus facile encore de vaincre que de contraindre à
demander grâce, il brûlait maintenant d'ajouter à tous les titres qu'il avait
déjà conquis celui de Parthique[104]. Une pensée
moins personnelle et plus patriotique se joignait à ce désir de gloire. Julien
se disait que depuis soixante ans une race
indomptable avait rempli l'Orient de meurtres et de pillage, et plus d'une fois
détruit des armées romaines[105]. Fort de ses
succès passés, il se croyait en état de lui infliger un châtiment qui la
réduirait pour longtemps, peut-être pour toujours, à l'impuissance. Trop
brave pour redouter et trop léger pour prévoir le péril, le sort de Valérien
en Mésopotamie ne l'inquiétait pas plus que ne l'avait effrayé en Germanie le
souvenir de Varus. Le sentiment en somme peu favorable que la future expédition excitait dans le public, et particulièrement parmi les habitants d'Antioche, plus exposés que d'autres, en cas de défaite, à un retour offensif de l'ennemi, ne pouvait que l'affermir dans son dessein, en excitant son obstination naturelle. Aux yeux de Julien, tous les hésitants, tous ceux qui, dans une affaire aussi grave, pesaient avec soin le pour et le contre, étaient des adversaires de sa personne et de sa politique, qui craignaient de le voir acquérir, par des succès nouveaux, une force irrésistible. Sans doute les chrétiens redoutaient (et peut-être avec raison) que s'il revenait de Perse en triomphateur, il ne se tournât aussitôt contre eux pour leur faire une guerre à mort, comme, dit-on, il l'avait annoncé[106]. Ils priaient Dieu de détourner le danger : leurs femmes allaient dans ce but en pèlerinage aux tombeaux des martyrs[107]. Mais, en dehors de la population chrétienne, beaucoup de ses sujets orientaux appréhendaient l'issue du conflit. Parmi ceux qui s'efforçaient de retarder son départ[108], il y avait les timides, émus par la pensée que le déplacement d'un seul homme suffirait à déchaîner les plus terribles tempêtes[109]. Mais il y avait aussi les sages, qu'effrayait sa tendance aux illusions, et qui répétaient devant ses amis, avec l'espoir que ces propos lui seraient rapportés : Il ne faut jamais tenter la fortune, mais se défier, au contraire, de l'excès de prospérité, comme de ces luxuriantes récoltes qui se renversent et s'écrasent sous le poids d'épis trop lourds[110]. Julien confondait tous ces modérés avec les opposants de parti pris, les détracteurs obstinés et lâches[111]. Plus leurs sentiments se répandaient dans le peuple et pénétraient jusqu'au palais, plus il se raidissait contre toute concession. Il prenait un orgueilleux plaisir à opposer une résolution immuable à ces aboiements de Pygmées[112]. Sa volonté s'exaltait jusqu'au défi[113]. Dans ces dispositions, la réponse aux ouvertures de Sapor n'était pas douteuse. Il les rejeta sans examen. Déchirant la lettre que lui tendait le messager du monarque persan[114] : Vous me verrez bientôt en personne, dit-il, sans qu'il soit besoin d'ambassadeurs[115]. Cependant, si assuré qu'il partit de vaincre, Julien se crut obligé de consulter les oracles avant de se mettre en route. Il sollicita la réponse de ceux qui étaient encore en activité dans le monde grec, et fit interroger non seulement la source fatidique de Daphné, rouverte par ses soins, mais encore les grands oracles de Delphes, de Délos et de Dodone, avec d'autres moins célèbres. Tous, dit-on, donnèrent une réponse favorable, et promirent le succès de l'entreprise[116]. Le texte d'une de ces réponses a été conservé. Nous, tous les dieux, dit un oracle, sommes prêts à porter des trophées près du fleuve féroce[117]. Je serai leur chef, moi, le violent et belliqueux Mars[118]. Cette phrase d'une rare platitude, et qui donne une idée médiocre de l'inspiration des devins et des pythies au temps de Julien, a déridé le grave Tillemont : la poésie n'en est pas moins ridicule, dit-il, quoiqu'on l'attribuât à Apollon, chef des Muses, que la prophétie s'en trouva peu véritable[119]. Mais il importe encore de remarquer ici la prudence de l'oracle : il dit que les dieux porteront des trophées au bord du Tigre, mais il ne dit pas clairement auquel des deux belligérants seront destinés ces trophées. Les réponses de ce genre étaient presque toujours ambiguës, quoique le consultant les entendit ordinairement dans le sens de ses désirs. En même temps que ces consultations officielles[120] étaient demandées au nom de l'empereur, d'autres lui furent offertes spontanément. Une foule de prétendus devins, empressés à flatter les désirs du prince, mettaient en œuvre tous les moyens de connaitre l'avenir, s'adressaient en leur propre nom aux oracles, et, comme on devait s'y attendre, rapportaient de ces multiples recherches de nouveaux encouragements à ses desseins[121]. Mais ce fut surtout dans son entourage intime, dans sa petite cour de néoplatoniciens et d'occultistes, que Julien rencontra l'impulsion déterminante. Les philosophes, comme les appelle Ammien avec une nuance de dédain toute romaine, lui révélaient sans hésitation la volonté des dieux, et le poussaient à marcher en avant, vers cet Orient qui les attirait et les fascinait autant que lui-même, vers le pays des mages, vers la mystérieuse Chaldée, vers l'Inde brahmanique, pleine de secrets et de prestiges. Maxime parlait en leur nom, et Julien, comme toujours, subissait son ascendant[122]. Aux espérances illimitées que leurs prédictions et leurs promesses éveillaient en lui se joignait une pensée de propagande religieuse, assez étrangère à l'esprit antique[123], mais que Julien tenait peut-être, à son insu, de ses origines chrétiennes : Libanius parle de son désir d'élever chez les Perses des autels à ses dieux, et d'enseigner les sacrifices à des peuples qui avaient horreur du sang des victimes[124]. De l'Occident, cependant, lui arrivaient presque à la même heure des avertissements significatifs. Dans le monde aristocratique et religieux de Rome, on voyait avec inquiétude une expédition dont les dangers l'emportaient peut-être sur les avantages. Julien s'était illustré en Germanie par des guerres de défense plus que de conquête, et qui avaient eu pour unique but de rendre inviolable la ligne romaine du Rhin. La défense de l'Empire contre les incursions des Perses ne pourrait-elle être assurée de même en Orient, sans qu'il fût besoin de les aller chercher au cœur de leur pays, et peut-être de s'égarer témérairement sur des routes encore plus lointaines ? Les hommes politiques qui siégeaient au sénat romain ou occupaient les hauts postes administratifs de l'Occident avaient suivi de loin, sans s'y mêler beaucoup, les expériences de diverse sorte tentées par Julien : et probablement avaient-ils appris à le connaître assez pour se défier de son penchant aux chimères, comme de sa docilité aux plus médiocres et aux plus dangereux conseillers. Un sûr instinct les avertissait que s'il avait fait des merveilles pendant les six années de son gouvernement des Gaules, cela tenait en partie à ce qu'il n'avait joui alors que d'une demi-indépendance, et à ce qu'une surveillance méticuleuse et parfois tyrannique l'avait empêché d'y montrer autre chose que ses qualités. La toute-puissance mettait maintenant en lumière ses défauts, et cela faisait trembler. Divers faits nous portent à croire que l'aristocratie païenne de Rome, maîtresse des grands sacerdoces et de nombreux instruments divinatoires, fit jouer, pour entraver des desseins qui l'inquiétaient, tous les ressorts religieux qu'elle gardait sous la main. Julien avait près de lui, faisant partie de sa maison, des représentants de l'haruspicine officielle. Ceux-ci étaient des occidentaux, qui se vantaient de conserver les traditions de la science étrusque. Organisés en collèges, ils demeuraient soumis, dans l'exercice de leur art, à des règles précises. Leurs réponses, empreintes de tout le formalisme latin, n'avaient rien de commun avec la libre inspiration et les audacieuses fantaisies des adeptes de la théurgie néoplatonicienne. Aussi étaient-ils avec ceux-ci en rivalité continuelle[125]. Ils représentaient auprès de Julien l'esprit de Rome et de l'Italie, par opposition à l'esprit asiatique. Il est tout naturel qu'ils aient reçu le mot d'ordre des dignitaires du paganisme romain, et suivi les directions de ceux-ci. Leur rôle, à la veille de l'expédition de Perse, fut vraisemblablement de se faire les interprètes des idées prudentes, des craintes et des hésitations de l'Occident. C'est bien de la sorte qu'ils paraissent avoir agi. Les haruspices étrusques, comme les appelle Ammien, se montrent, dans toutes les circonstances où ils sont interrogés, défavorables à l'expédition de Perse, à laquelle poussent, au contraire, les philosophes. La première fois qu'ils eurent à émettre sur ce sujet un avis formel, ce fut à la suite d'un tremblement de terre qui agita Constantinople, quelque temps avant la date que Julien avait choisie pour quitter Antioche. Julien s'émut de la nouvelle, et, comme il était d'usage quand se produisait un phénomène insolite, il leur demanda un rapport sur la signification de celui-ci. Le présage, répondirent les haruspices, est défavorable pour un souverain qui se prépare à envahir une terre ennemie[126]. La réponse allait trop contre le désir de Julien, pour qu'il n'essayât pas de tourner les difficultés qui naissaient de cet avis[127]. Sur le conseil des asiatiques, il fit des sacrifices à Neptune, et se flatta d'avoir détourné la colère de ce dieu[128]. Une autre réponse semble montrer plus clairement encore l'intervention des chefs du parti païen de Rome et leurs efforts pour entraver l'expédition projetée. En même temps que les oracles orientaux, Julien avait prescrit de consulter les livres sibyllins. La réponse de ceux-ci fut l'interdiction pour l'empereur de sortir cette année du territoire romain[129]. Comme les livres sibyllins étaient mystérieusement interrogés dans le temple d'Apollon Palatin, en dehors de toute assistance du public, par le collège des quindécemvirs, composé des plus grands personnages de l'aristocratie romaine[130], il ne sera pas téméraire de croire que l'avis négatif envoyé par eux correspondait de tout point à leurs propres sentiments. Ammien ne nous dit pas par quels raisonnements ou par quelles pratiques Julien et ses conseillers neutralisèrent l'autorité du plus célèbre des oracles de la vieille Rome. Ce que nous savons, c'est que cette réponse ne modifia pas les projets de l'empereur et ne retarda pas son départ. Quand tous les préparatifs eurent été achevés, il donna l'ordre de marche. Les troupes, tant d'Antioche que des diverses garnisons où elles avaient été établies pour l'hiver, furent averties de se mettre en route, pour se trouver réunies à Hiérapolis, près de l'Euphrate[131]. L'opération devait être faite avec autant de célérité que de secret. Il importait à Julien d'arriver sur le territoire de l'ennemi sans que celui-ci eût l'éveil. Aussi, avant les troupes, avait-il envoyé des éclaireurs, moins pour être renseigné sur les mouvements des Perses, qui étaient encore loin de l'Euphrate, que pour garder tous les chemins par où les nouvelles de son approche eussent pu parvenir jusqu'à eux[132]. La suite des événements montrera que Julien n'avait point, avant de partir, conçu de plan d'ensemble. Il s'attendait à finir la campagne avant l'hiver[133], par quelque coup d'éclat. Les événements le conduiraient, plutôt qu'il n'essaierait de les conduire et de les prévoir. Fondre sur le pays ennemi, pousser hardiment sa pointe en avant, surprendre par la promptitude de son arrivée et par la brusquerie de son attaque, telle avait été sa tactique au milieu des forêts de la Germanie ou dans les plaines de la Campine. Il se figurait que, grâce à la vaillance personnelle et à la bravoure de ses troupes, les mêmes moyens, qui étaient d'un partisan plus que d'un général, vaincraient encore sur les bords du Tigre. Peut-être l'habitude qu'il avait eue jusqu'à ce jour de combattre des tribus barbares, intrépides mais indisciplinées, portant sur les champs de bataille leur turbulence et leur indépendance natives, et aussi promptes au découragement qu'a l'enthousiasme, avait-elle peu préparé Julien à lutter contre toutes les ressources d'un vaste Empire, protégé par des places fortes, gouverné par un seul monarque, défendu par des armées régulières, et au milieu duquel la guerre pourrait durer longtemps, parmi des fortunes diverses. A défaut d'un plan de campagne concerté d'avance, et qui lui eût permis de faire mouvoir avec précision toutes les parties de l'instrument excellent qu'il avait préparé, armée, flotte de transport, flotte de combat, machines de siège[134], équipages de pontonniers, Julien avait-il préparé les alliances sans lesquelles il est difficile d'entreprendre avec succès une grande guerre ? Il semble avoir montré, sur ce point encore, peu de prévoyance. Ce n'est pas que les occasions lui aient manqué. Confiantes dans son habileté et croyant à ses victoires, beaucoup des tribus indépendantes qui, au nord et au sud, avoisinaient la Perse lui avaient fait des offres de concours[135]. Toujours il les avait poliment éconduites. Le sens invariable de ses réponses avait été celui-ci : Il n'est pas de la dignité de l'Empire de recourir à un secours étranger, et de se faire des amis et des alliés qu'il serait peut-être obligé un jour de payer par des subsides[136]. Ammien admire cette belle confiance ; mais une politique plus réaliste l'eût peut-être jugée imprudente. Constance, dont Julien méprisait la diplomatie sans peut-être l'égaler, avait été plus prévoyant. Il n'avait pas dédaigné, en 338, de négocier avec des brigands arabes pour se faire d'eux des alliés contre les Perses[137] ; et se croyant, en 361, à la veille d'en venir aux mains avec Sapor, il avait essayé de gagner à sa cause les princes et les satrapes indépendants des contrées situées au-dessus du Tigre, en particulier les rois d'Arménie et d'Ibérie[138]. Au seul roi d'Arménie Julien rappela l'alliance alors conclue. D'un ton un peu fier, et qui eût mieux convenu vis-à-vis d'un vassal que d'un allié, il le fit inviter à tenir prêtes de bonnes troupes, et à attendre les ordres qu'il lui enverrait prochainement pour lui dire dans quelle direction marcher et où porter son attaque[139]. En plus de cette seule alliance, Julien semble avoir compté sur la diversion politique que produirait la présence dans son armée du prince persan Hormisdas. Hormisdas jouait, à la cour des empereurs du quatrième siècle, un rôle analogue à celui des Stuarts dans la France du dix-septième. C'était le prétendant que l'on comblait d'égards et d'honneurs et que l'on tenait en réserve pour le tourner, à l'heure opportune, contre l'ennemi héréditaire. S'étant vu préférer par les grands du royaume son frère Sapor, il s'échappa, se réfugia d'abord près du roi d'Arménie, puis se rendit auprès de Constantin. Cela se passait en 323. Depuis cette époque, il vécut sous la protection de l'autorité impériale, traité en prince, et recevant un commandement toutes les fois que recommençaient les hostilités avec la Perse[140]. Au reste, Hormisdas parait avoir tenu dignement sa place. Il usait volontiers de la liberté de parole que lui assurait son rang. On l'a vu, en 357, lors du voyage triomphal de Constance à Rome, rappeler d'un mot tantôt spirituel, tantôt mélancolique, à une juste mesure des choses la vanité exaltée de l'empereur. Son regard accoutumé aux éblouissements du luxe oriental regardait avec calme les splendeurs plus sobres de l'Occident. Il se consolait de la beauté de Rome en songeant qu'on mourait là comme ailleurs[141]. Sa philosophie douce et un peu ironique s'éclairait peut-être d'une lumière plus haute. Il semble s'être converti au christianisme. On assure que, se trouvant à Antioche en même temps que Julien, il visita Bonose et Maximilien dans la prison et se recommanda à leurs prières[142]. Julien l'avait amené, avec le dessein de l'employer dans l'expédition de Perse. Il comptait sur les relations qu'Hormisdas conservait avec ses compatriotes et sur les moyens qu'il pourrait avoir de se former parmi eux un parti et de susciter peut-être une révolution. Comme tous les Persans d'un rang élevé[143], Hormisdas était un cavalier accompli : Julien lui réservait le commandement d'un corps de cavalerie. Tout étant ainsi réglé, Julien se prépara lui-même à partir. Il ne voulut pas le faire sans dire adieu à ceux de ses amis qu'il n'emmenait pas. Le préfet du prétoire Salluste, le maitre des offices Anatole, le médecin Oribase, les philosophes Maxime et Priscus, avaient été désignés pour l'accompagner : seul ou presque seul du groupe des intimes restait Libanius. Julien ne pouvait songer à lui faire, comme à d'autres, un vulgaire présent. Libanius était désintéressé : il le dit trop, mais il ne dit, en cela, que la vérité. Je te ferai, lui avait annoncé Julien, un grand cadeau, mais tel que, cette fois, tu ne puisses pas le refuser. L'ayant obligé à dîner avec lui : Mon ami, dit-il, il est temps que je t'offre mon cadeau. Libanius se demandait de quoi il pouvait être question ; mais Julien, élevant la voix, lui dit : Je t'ai inscrit sur la liste des orateurs, à cause de ton éloquence, et sur celle des philosophes, à cause de tes vertus[144]. Libanius avait le cœur assez haut pour estimer comme une suffisante récompense cette parole royale. Avant de quitter Antioche, Julien pourvut à un dernier
soin d'administration. La Syrie était à ce moment sans gouverneur. Il fit
consulaire de cette province, dit Ammien, un
personnage originaire d'Héliopolis, nommé Alexandre. Julien déclarait que
celui-ci n'était pas digne d'un tel poste, mais ajoutait qu'un juge de cette
sorte convenait à des gens avares et injurieux comme étaient les habitants
d'Antioche[145]. Libanius, qui
connut beaucoup cet Alexandre, confirme le témoignage d'Ammien : dans une
lettre à Julien lui-même il peint le caractère âpre et cruel du nouveau
gouverneur, qui tout de suite terrorisa Antioche et de la ville brillante et
joyeuse dont s'irritait Julien fit une ville
spartiate[146]. C'était bien
ce que voulait Julien, surtout quand Alexandre tourna cette dureté contre les
chrétiens. Il employait tous les moyens pour les contraindre à sacrifier.
Libanius, toujours prêt à plaider la cause des malheureux, et qui avait, à
plusieurs reprises, recommandé à Alexandre la modération envers les villes de
sa province[147],
vit le caractère immoral et tyrannique de cette propagande. Sois zélé envers les dieux, écrivait-il à
Alexandre, et accrois autant que tu pourras le
nombre de leurs adorateurs. Mais ne t'étonne pas s'il s'en trouve qui, après
avoir sacrifié, regrettent ce qu'ils viennent de faire. En public ils
t'obéissent : de retour chez eux, leurs femmes, les larmes, la nuit les
conseillent autrement. Et comme un de ceux-là Eusèbe, était menacé
d'une condamnation : Il vient, continue
Libanius, de s'échapper des cha1nes et des mains des
soldats, et de se réfugier chez moi. Déclare qu'il est libre, ou viens
l'arracher de ma maison. Et, si tu choisis cette dernière alternative, sache
que tu ne me trouveras pas plus lâche qu'Admète[148]. Ce choix extraordinaire, et probablement sans précédent, d'un magistrat capable, non de bien gérer sa charge, mais de rendre malheureux ses administrés[149], montre combien était tenace et profonde la rancune de Julien contre les habitants d'Antioche. Ceux-ci, le voyant partir, craignirent d'autres effets encore de sa colère. Ils se souvinrent de la menace contenue dans le Misopogon. La présence d'une cour, même aussi peu luxueuse que celle de Julien, est toujours une source de profits pour une ville : ils craignirent d'en être privés à l'avenir. Ils redoutèrent de voir transféré à une autre ville ce rang de capitale de l'Orient que leur cité occupait sinon officiellement, du moins en fait, et qu'avait consacré la longue résidence de Constance. Aussi essayèrent-ils de réparer leurs fautes par les hommages dont ils entoureraient son départ. Quand il sortit de la ville, le 9 mars, par un radieux soleil de printemps[150], une foule énorme lui fit cortège. On lui souhaitait à grands cris un prompt et glorieux retour. On le suppliait de s'apaiser et de regarder Antioche d'un œil favorable. Mais lui conservait un air sévère[151]. Un incident récent, sur lequel nous manquons de détails, venait de porter au comble son mécontentement. Il n'avait pu, avant de partir, offrir un sacrifice. Je sais pourquoi, dit Zosime, mais je ne veux pas le dire[152]. Cette singulière réticence de l'historien païen permet de supposer soit quelque empêchement de mauvais présage, qui aurait assombri Julien, soit quelque opposition de parti pris, qui l'aurait exaspéré. En tout cas, les citoyens d'Antioche portèrent le poids de sa mauvaise humeur. A toutes leurs prières il répondait durement : Jamais vous ne me reverrez. La campagne terminée, je me rendrai en Cilicie par le plus court chemin, et je m'établirai à Tarse pour l'hiver : déjà j'ai donné à Memorius, préfet de la province[153], l'ordre d'y préparer ma demeure[154]. Il disait encore : Je fuis une ville remplie de toute espèce de vices, d'injure, de turbulence, d'impiété, d'avarice, d'audace, je condamne ses mœurs et je me tourne vers une plus petite[155]. Repoussé par ces dures paroles, le peuple finit par se disperser : seuls les sénateurs, en grand nombre, persistèrent à accompagner Julien, afin de lui présenter de nouveau les doléances de la ville à la première étape. Avant de le suivre nous-mêmes sur le chemin qui l'emporte loin d'Antioche, il nous faut relater un bruit qui, après son départ, courut dans les milieux chrétiens. On raconta que des cadavres avaient été trouvés dans l'Oronte, soit de chrétiens secrètement égorgés, soit de victimes humaines immolées aux dieux. Dans des chambres écartées du palais, disait-on, dans des puits, dans des fosses, furent rencontrés des débris de corps de jeunes garçons et de jeunes filles, qui avaient été mis à mort dans des cérémonies d'évocation, dans des rites divinatoires, dans des sacrifices illégitimes[156]. Non seulement saint Grégoire de Nazianze se fait l'écho de ces bruits, mais encore saint Jean Chrysostome, qui habitait Antioche au moment où y résida Julien, et pouvait avoir de dix-huit à vingt ans en 363, les reproduit dans un discours prononcé dans cette ville : Qui compterait, dit-il, les nécromancies, les immolations d'enfants ?[157] Il attribue à des pratiques secrètes de Julien lui-même ces meurtres rituels. Malgré l'autorité de ceux qui les rapportent, l'histoire n'accueillera pas sans hésitation d'aussi épouvantables rumeurs. On sait combien vite s'échauffe l'imagination populaire, et avec quelle facilité se créent les légendes. Mais il faut reconnaître aussi que les légendes, quand elles sont tout à fait contemporaines, supposent ordinairement un fait, plus ou moins altéré et grossi, qui en a été l'occasion. Ce que l'on sait du caractère de Julien rend difficile de le croire personnellement coupable de crimes aussi monstrueux. Mais, à une époque où l'on avait peu le respect de la vie humaine, ils n'étonneront qu'à demi, s'ils eurent pour auteurs quelques-uns de ces fanatiques, adonnés aux pratiques les plus secrètes de l'occultisme, qui se rassemblaient autour de Julien. Il y a bien des ténèbres dans le paganisme. On peut admettre qu'à une époque de crise suprême comme celle où il était arrivé, à la veille d'une tentative dernière dans laquelle son sort allait se jouer, au milieu de la fièvre de curiosité où se trouvaient ses adeptes les plus exaspérés, il eut ses messes noires. Ces horreurs ont pu se couvrir du nom de Julien, sans l'aveu et à l'insu de celui-ci. III. — De l'Oronte à l'Euphrate. La première ville où Julien se soit arrêté est Litarbe, à quinze lieues environ d'Antioche. On y accédait par une route encaissée entre une montagne abrupte et un marais semé de grosses pierres : elles débordaient jusque sur la voie, qui présentait parfois des passes difficiles à franchir. Il était neuf heures du soir quand Julien arriva à Litarbe. A peine était-il installé dans la maison qui lui avait été préparée, qu'il fut obligé de donner audience à la députation du sénat d'Antioche[158]. Libanius n'était point avec elle, parce que Julien, avant de partir, lui avait interdit de lui adresser jamais la parole en faveur de l'ingrate cité[159]. On devine la réception qui fut faite aux sénateurs, et la réponse que leur adressa Julien. Prévoyant la suprême tentative qu'ils feraient encore auprès de lui : Je sais, dit-il, que vous mettez votre confiance en celui que vous allez m'envoyer maintenant comme ambassadeur (c'est-à-dire en Libanius) ; mais lui aussi, à mon retour, je l'emmènerai avec moi à Tarse[160]. Malgré ces décourageantes paroles, les sénateurs, renvoyés à Antioche, supplièrent Libanius d'intercéder à son tour. La défense que lui avait faite Julien pesa peu auprès de l'occasion de composer une belle harangue, et par elle de rendre service à ses concitoyens. D'ailleurs, Julien lui avait interdit de parler pour eux, mais non d'écrire en leur faveur. Libanius, entrant tout à fait dans son rôle de médiateur, écrivit deux harangues, l'une à Julien, l'autre aux citoyens d'Antioche. Dans la première[161], Libanius accable Julien des éloges accoutumés. Il l'adjure au nom de Minerve, au nom de l'autel de la Pitié que Julien, dans sa jeunesse, a pu encore voir à Athènes. Il lui prédit qu'un jour on lui élèverait aussi des autels, on lui offrirait des sacrifices et des prières, comme à Hercule. Il le supplie de maintenir à Antioche le privilège de l'abriter pendant l'hiver, et le met en garde contre les gens de Tarse, qu'il représente comme turbulents et insupportables. Cette pièce de rhétorique fut peut-être envoyée à Julien ; à coup s'Ir elle ne lui fut point récitée, car Libanius ne revit point celui-ci[162]. L'autre harangue prêchait aux Antiochiens la contrition et la sagesse[163]. Elle leur demandait de manifester à l'empereur leur repentir en fermant les théâtres, en diminuant les courses de chevaux, en modérant l'illumination des bains. Corrigeons-nous nous-mêmes, afin de n'être pas jugés, concluait-il avec un accent presque apostolique[164]. Il n'est pas probable que cette harangue ait été non plus prononcée en public. La rapidité avec laquelle se précipitèrent les événements retira vite leur à-propos et leur utilité aux deux compositions sur lesquelles s'exerça la rhétorique laborieuse et la sincère bonne volonté de l'excellent sophiste. De Litarbe, Julien se rendit à Bérée. Un peu avant
d'entrer dans cette ville, il vit un jeune homme venir à lui en suppliant.
C'était le fils du principal magistrat de Bérée. Le jeune homme, par entraînement,
faiblesse ou ambition, s'était fait récemment païen. Son père, qui était un
chrétien zélé, l'en avait puni en le chassant de sa maison et en le
déshéritant. Julien fit bon accueil au suppliant, et lui promit d'apaiser la
colère paternelle[165]. Julien raconte
lui-même son séjour à Bérée, dans une lettre, véritable relation de voyage,
adressée à Libanius. Dans cette ville, dit-il, Jupiter
nous montra tous présages favorables. J'y séjournai un jour entier : je
montai à l'Acropole, et j'immolai un taureau à Jupiter, selon le rite royal.
J'eus ensuite quelques moments d'entretien avec le sénat sur les affaires de
religion[166]. Cet entretien
eut lieu dans un festin, où Julien avait convié tous les décurions[167]. Il avait fait
asseoir l'un près de l'autre, sur le lit où lui-même était assis, le
président du sénat et le fils déshérité. Au milieu du repas, il dit au père :
Il me semble qu'il n'est pas juste de contraindre
l'inclination de personne. Laisse à ton fils la liberté de suivre une autre
religion que la tienne, comme je vous laisse la liberté de suivre une autre
que la mienne, bien qu'il me fût très facile de vous priver de cette liberté.
— Tu me parles, seigneur, répondit le père, en faveur d'un scélérat qui s'est rendu digne de la haine
de Dieu et qui a préféré le mensonge à la vérité. — Laissons là je te prie, dit Julien, les injures et les invectives ; puis se ruant vers
le jeune païen : Puisque, malgré ma prière, ton père
ne veut plus s'occuper de toi, c'est moi en prendrai soin[168]. Julien s'était
montré tout ensemble habile et modéré ; cependant ce dialogue était e
mauvaise préface pour le discours de propagande 'il adressa ensuite aux sénateurs
de Bérée. Tous, raconte-t-il, ont applaudi à mes paroles, mais peu ont été convaincus,
et c'étaient précisément ceux qu'avant de parler je savais déjà bien
pensants. Sous prétexte de franchise, les autres se sont laissé aller à dépouiller
et perdre tout respect[169]. Julien fut désolé de cet insuccès. J'en atteste les dieux, écrit-il à Libanius, ce qui l'emporte chez les hommes, c'est de rougir du bien, de la grandeur d'âme, de la piété, et de se glorifier, au contraire, des choses les plus honteuses, le sacrilège, la mollesse de l'esprit et du corps[170]. On remarquera qu'en trouvant chrétiens les principaux habitants de Bérée, Julien leur adresse les mêmes reproches et leur impute les mêmes vices qu'aux habitants d'Antioche. Cette phrase de sa lettre semble, en deux mots, une réplique du Misopogon. La seconde étape de Julien fut Batné. Il trace de cette ville un joli portrait. Située dans une plaine semée de jeunes cyprès — Julien, auquel, comme à beaucoup d'anciens, manqua le sens du pittoresque, remarque avec éloge qu'on n'y voit pas de vieux arbres —, Batné lui rappela le faubourg enchanteur de Daphné, avant l'incendie[171]. La résidence royale n'a rien de magnifique : c'est une maison construite de terre et de bois, sans aucun ornement. Le jardin, plus modeste que celui d'Alcinoüs, est comparable au jardin de Laërte ; il renferme un tout petit bois de cyprès : le long de la clôture sont beaucoup d'arbres de même essence, bien venus et bien rangés : au milieu, des carrés, plantés de légumes et de toute espèce d'arbres fruitiers[172]. Non moins que l'aspect du lieu, l'accueil des habitants fut pour réjouir le cœur de Julien. Le nom de Batné est barbare, dit-il, mais le pays est grec. Julien, qui à Bostra s'était trouvé si désagréablement en contact avec des chrétiens, ne rencontra à Batné que des hellènes. De toute la contrée montaient les vapeurs de l'encens, et partout on voyait de pompeux sacrifices[173]. Les démonstrations de zèle paraissaient si grandes, que Julien en ressentit quelque embarras. Il se demanda si tout était sincère dans une dévotion si étalée. Tout en me causant, dit-il, un vif plaisir, cet empressement me parut un peu trop chaud, et comme une exagération du culte dû aux dieux. Car il convient que les cérémonies pieuses et sacrées soient accomplies hors de la foule, en silence, par ceux-là seuls qui sont venus dans ce but, non par ceux qu'y attire un autre motif. Mais Julien ne désespère pas de mieux instruire de l'esprit du paganisme, tel qu'il le conçoit, les gens de bonne volonté : on leur apprendra bientôt à garder la mesure convenable. Quant à lui, il a continué, à Batné, ses dévotions accoutumées, offrant un sacrifice le soir de son arrivée, et un autre le lendemain de grand matin, selon la règle qu'il s'était faite. Et il a eu la satisfaction de trouver, dans ce sacrifice, des signes de bon augure[174]. De Batné, Julien se dirigea vers Hiérapolis. Avant d'y arriver, il parait avoir traversé le territoire de Cyr. La Chronique d'Alexandrie raconte que, passant dans cette région, Julien aperçut une grande foule de pèlerins, assemblés devant une caverne. Là vivait un ermite, nommé Domitius, très vénéré dans la contrée. Julien l'envoya inviter, par un fonctionnaire chrétien de sa suite, à demeurer dans la retraite, sans chercher à plaire aux hommes en recevant tout ce monde. Le saint homme répondit qu'ayant depuis longtemps consacré à Dieu son corps et son âme, il s'était enfermé dans ce lieu, mais qu'il ne pouvait pas chasser ceux que la foi lui amenait. Irrité de cette réponse, voyant peut-être quelque chose de séditieux dans la popularité de l'ermite, Julien commanda, dit-on, de murer l'entrée de la caverne. La Chronique ajoute que Domitius y périt, et fut honoré comme martyr[175]. Le séjour d'Hiérapolis, grande ville[176] riveraine de l'Euphrate, fut encore plus agréable à Julien que celui de Batné. Cependant un funeste présage sembla l'attrister d'abord. Tous les citoyens, qui étaient accourus à sa rencontre[177], en furent témoins. Au moment où il passait sous une des portes de l'enceinte, un portique, situé à gauche, s'écroula, écrasant sous un amas de poutres et de tuiles cinquante soldats : la plupart furent tués, quelques-uns seulement blessés[178]. Mais l'impression fâcheuse que Julien ressentit de cet accident se dissipa vite. Il avait accepté l'hospitalité d'un néoplatonicien en renom, qu'il aimait depuis longtemps, bien qu'il ne l'eût pas encore vu. C'était Sopater, élève et gendre du divin Jamblique, c'est-à-dire de celui de tous les représentants de la troisième période du néoplatonisme que préférait Julien[179]. Entendre Sopater parler de son maitre et de son beau-père, l'un des néoplatoniciens qui avaient contribué à créer, autour de doctrines jadis sobres et sévères, l'atmosphère de rêves, le monde de fantômes et de prestiges où Julien se plaisait à vivre, fut pour celui-ci plus doux que le nectar. Julien avait une autre raison encore d'aimer l'hospitalité de Sopater. Ce philosophe était à ses yeux un confesseur de l'hellénisme. Il habitait déjà Hiérapolis, lorsque Constance, puis Gallus, visitèrent cette ville. Comme il en était probablement l'un des citoyens les plus en vue, il avait eu l'honneur de les recevoir dans sa maison. Tous deux avaient essayé de le gagner au christianisme. Mais, pressé souvent par eux, comme cela devait être, dit Julien, de renoncer au culte des dieux, il avait su se préserver, chose difficile, de cette maladie[180]. Cependant Julien eut, à Hiérapolis, autre chose à faire que de parler de philosophie et de religion avec Sopater. A cause de la proximité de l'Euphrate, cette ville avait été désignée pour être le lieu de concentration de l'armée et de la flotte, et le principal entrepôt des approvisionnements. Ses rues étaient pleines de chevaux et de mulets destinés aux bagages : le long de ses quais mouillaient des navires de guerre, des bateaux de transport chargés de blé, de biscuits et de vinaigre[181]. Julien passa trois jours à Hiérapolis, occupé de surveiller et de diriger ces préparatifs. Je ne puis dire, écrit-il, combien de lettres j'ai dictées, combien de registres j'ai remplis[182]. Une partie de cette correspondance parait avoir été employée à réparer une première faute. On se souvient du mouvement de fierté qui fit repousser par Julien les offres de concours venues de l'étranger. De meilleurs conseils prévalurent : il se décida à revenir sur son premier avis, et à envoyer des messagers aux Sarazins, dont les tribus habitaient au sud-ouest de l'Empire des Perses, pour leur dire qu'il était prêt à les accueillir, s'ils voulaient venir à lui[183]. Mais il semble que quelques-unes seulement de ces tribus acceptèrent l'invitation tardive qu'il leur adressait : car on verra, dans la guerre qui va suivre, des Sarazins combattre du côté des Romains, d'autres, que ses premières hauteurs avaient sans doute rebutés, prêter secours aux Perses. Rendant compte des multiples soins auxquels il dut encore vaquer pendant son séjour à Hiérapolis, Julien écrit à Libanius : J'ai jugé un différend relatif à l'armée, avec beaucoup de douceur et d'équité, il me semble[184]. Peut-être convient-il de voir dans cette phrase une allusion à un incident rapporté par saint Jean Chrysostome. L'orateur sacré raconte qu'au moment de traverser l'Euphrate, Julien voulut faire une nouvelle expérience sur ses soldats, c'est-à-dire probablement mettre encore en demeure d'abjurer ceux qui étaient restés fidèles à la religion chrétienne : un petit nombre céda aux flatteries et aux promesses, mais l'empereur pardonna à ceux qui lui résistèrent, craignant, s'il les chassait, d'affaiblir l'armée qu'il menait contre les Perses[185]. La partie sérieuse de l'expédition allait commencer. Le 13 mars, toute l'armée romaine, renforcée de Goths auxiliaires, passa l'Euphrate sur un pont de bateaux, et entra en Osrhoène avant que les Perses eussent connu sa marche, que Julien avait habilement dérobée[186]. |
[1] Videbatur novum, adjunctum esse Augusto privatum, quod post Diocletianum et Aristobulum (anno 285) nullus meminerat gestum. Ammien Marcellin, XXIII, 1. — Ammien se trompe, car en 288 Maximien Auguste est aussi un particulier pour collègue.
[2] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[3] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 85.
[4] Libanius, Ad Julianum consulem
; Reiske, t. I, p. 306.
[5]
Libanius, Ad Julianum consulem, in fine. — Saint Grégoire de
Nazianze a probablement lu ce discours et semble y faire allusion, quand il
s'écrie : Où est la Babylone tant vantée ?... où les Perses et les Mèdes, que l'on croyait déjà captifs ?
où ces dieux, qui marchaient devant et combattaient pour lui ?... Tous ces emphatiques discours des impies se sont évanouis
comme des rêves. Oratio V, 25.
[6] Libanius, Legatio ad Julianum.
[7] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[8] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[9] Libanius, Ad Julianum consulem
; Reiske, t. I, p. 436.
[10] Libanius, Ad Julianum consulem
; Reiske, t. I, p. 436.
[11] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[12] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[13] Philostorge, VII, 10 ; Théodoret, III, 9 ; Sozomène, V, 8 ; Passio S. Theodoriti, 4 ; Passio SS. Bonosi et Maximiliani, 5, dans Ruinart, p. 661 et 667. — Mort semblable du persécuteur Galère ; la Persécution de Dioclétien, 2e édit., t. II, p. 153.
[14] Passio S. Theodoriti, 4.
[15] Passio SS. Bonosi et Maximiliani, 5.
[16] Passio S. Theodoriti, 4.
[17] Passio SS. Bonosi et Maximiliani, 6.
[18] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[19] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[20] Par exemple la présence du prince persan Hormisdas, la modération du préfet du prétoire Sallustius Secundus.
[21] La Passion de ces saints, reproduite par Ruinart, est intitulée : Passio SS. Bonosi et Maximiliani militum, de numero Herculianorum seniorum sub Juliano imperatore et Juliano comite ejus, sub die XII Kalendas octobres. — Sur les motifs, tirés du texte même de la Passion, qui font préférer à cette indication chronologique, et à d'autres différentes, la fin de décembre 362 ou le commencement de janvier 363, voir Ruinart, p. 663, et surtout Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 739-740, note XXV sur la persécution de Julien. — Dans le dernier paragraphe de la Passion se lit cette phrase : Tunc Julianus comes dixit ad Jovianum et Hercolianum : Mutate signum quod habetis in labaro, etc. Il semble qu'il y ait ici une confusion dans le texte, car nulle part ailleurs il n'y est question de ce Jovianus et de cet Hercolianus : très probablement Bonosus et Maximilien, ex numero Herculianorum (et Jovianorum), sont désignés par ces mots, dont un copiste ignorant aura fait des noms propres. Ammien Marcellin, XXII, 3, fait allusion aux cohortes des Joviani et des Herculiani, qui datent de Dioclétien et de Maximien Hercule. D'après Sozomène (VI, 6), Valentinien avait été tribun d'une de ces cohortes.
[22] Meletius episcopus cum fratribus suis et cœpiscopis lætantes eos ad campum usque prosecuti sunt, quæ universa tunc civitas lætata est, quæ sibi martyres provenire gaudebat. Passio SS. Bonosi et Maximiliani, 5. — Les cœpiscopi dont parle le texte me paraissent devoir être assimilés aux chorévèques ou évêques de la campagne. Dès le troisième siècle, on voit à Antioche des chorévèques autour de Paul de Samosate ; Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 30. 10 ; cf. Les dernières persécutions du troisième siècle, 2e éd., p. 217.
[23] Saint Jean Chrysostome, In
SS. martyres Juventinum et Maximinum, 2.
[24] Ammien Marcellin, XXII, 11.
[25] Libanius, Legatio ad Julianum
; Ad Antiochenos de regis ira ; Epitaphios Juliani ; Reiske, t.
I, p. 399, 491, 589.
[26] Libanius, Legatio ad Julianum ; Ad Antiochenos de regis ira ; Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 399, 491, 589. A cette répression bénigne fait peut-être allusion Ammien, quand il dit de Julien : Constat eum in apertos aliquos inimicos insidiatores suos ita consurrexisse mitissime, ut pœnarum asperitatem genuina lenitudine castigaret. Ammien Marcellin, XXV, 4.
[27] Théodoret, Hist. ecclés., III, 15.
[28] Saint Jean Chrysostome, In SS. Juventinum et Maximinum, 2.
[29] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., p. 187-189 ; Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., p. 108, 343, 314, 405 ; Les dernières persécutions du troisième siècle, 2e éd., p. 116, 126 ; La persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 205, 263 ; t. II, p. 103.
[30] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., p. 187-189 ; Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., p. 108, 343, 314, 405 ; Les dernières persécutions du troisième siècle, 2e éd., p. 116, 126 ; La persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 205, 263 ; t. II, p. 103.
[31]
[32]
[33] Théodoret, Hist. ecclés.,
III, 15.
[34]
[35] Saint Jean Chrysostome, In SS. Juventinum et Maximinum, 2.
[36] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 58 ; Oratio VII, 11.
[37]
[38] Sozomène, V, 17. — Au rapport du même historien, quand le tribun Valentinien fut exilé pour s'être déclaré chrétien, on donna pour prétexte à l'ordre d'exil une négligence dans l'instruction de ses soldats. Car, continue Sozomène (VI, 6), Julien ne voulait pas paraître l'avoir puni pour cause de religion, de peur qu'on ne l'honorât comme martyr et confesseur.
[39]
[40] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[41] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[42] Encore en janvier et mars 363, Libanius signale à Antioche πενία άγοράς (Ép. 695) et σπάνις τών ώνίων (Ép. 712) : la disette dure encore pendant la guerre de Perse (Ép. 1439).
[43] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 460.
[44] Ammien Marcellin, XXII, 14.
[45] Zonaras, Ann., XIII.
[46] Ammien Marcellin, XXII, 14.
[47] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 435.
[48] Misopogon ; Hertlein, p. 459. J'entends ainsi le reproche fait aux Antiochiens, έξυβρίζοντας τούς άρχοντας καί τούτων είς τάς γενείου τρίχας καί τά έν νομίσμασι χαράγματα (Hertlein, p. 459). Les historiens Socrate (III, 17) et Sozomène (V, 19) disent que les Antiochiens raillaient aussi le revers des monnaies de Julien, qui portait gravé un taureau, et prétendaient que Julien renversait de fond en comble le monde, comme on abattait les taureaux en les immolant.
[49] Cf. Libanius, Ad Antiochenos de regis ira ; Reiske, t. I, p. 495.
[50] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 415, 471. — Par surcroît de malice, on attribuait les épigrammes et les satires aux habitants des villes les plus dévouées en paganisme, comme Émèse ; mais Julien ne s'y laissait pas prendre. Ibid. ; Hertlein, p. 466.
[51] Misopogon ; Hertlein, p. 450.
[52] Misopogon ; Hertlein, p. 443.
[53] Écrite dans le septième mois du séjour de Julien à Antioche (Misopogon ; Hertlein, p. 443), c'est-à-dire en février 363 (Schwarz, De vita et scriptis, p. 14).
[54] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 41.
[55] Misopogon ; Hertlein, p. 435.
[56] Misopogon ; Hertlein, p. 436, 454.
[57] Misopogon ; Hertlein, p. 437, 452.
[58] Misopogon ; Hertlein, p. 439.
[59] Misopogon ; Hertlein, p. 457, 463.
[60] Misopogon ; Hertlein, p. 443, 446, 466, 467.
[61] Misopogon ; Hertlein, p. 446, 450, 471. — Cf. Hertlein, p. 445.
[62] Saint Luc, XVIII, 11.
[63] Misopogon ; Hertlein, p. 441. Cf. Odyssée, VIII, 249.
[64] Misopogon ; Hertlein, p. 441.
[65] Misopogon ; Hertlein, p. 441.
[66] Misopogon ; Hertlein, p. 448.
[67] Misopogon ; Hertlein, p. 450. Cf. Iliade, XXIV, 261.
[68] Misopogon ; Hertlein, p. 451.
[69] Misopogon ; Hertlein, p. 459.
[70] Misopogon ; Hertlein, p. 441.
[71] Misopogon ; Hertlein, p. 441.
[72] Misopogon ; Hertlein, p. 441.
[73] Misopogon ; Hertlein, p. 459.
[74] Misopogon ; Hertlein, p. 459.
[75] Misopogon ; Hertlein, p. 459.
[76] Misopogon ; Hertlein, p. 481.
[77] Misopogon ; Hertlein, p. 460.
[78] Misopogon ; Hertlein, p. 460.
[79] Eutrope, père de Constance Chlore, et bisaïeul de Julien, était d'origine mésienne.
[80] Misopogon ; Hertlein, p. 449.
[81] Misopogon ; Hertlein, p. 471.
[82] Misopogon ; Hertlein, p. 471.
[83] Misopogon ; Hertlein, p. 475.
[84] Misopogon ; Hertlein, p. 479.
[85] Misopogon ; Hertlein, p. 476.
[86] Misopogon ; Hertlein, p. 476.
[87] Misopogon ; Hertlein, p. 471.
[88] Misopogon ; Hertlein, p. 470.
[89] Misopogon ; Hertlein, p. 470.
[90] Misopogon ; Hertlein, p. 472.
[91] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 41.
[92] Ammien Marcellin, XXII, 14.
[93] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 41.
[94] Sozomène, V, 19.
[95] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[96] Hertlein, p. 371-392.
[97] Hertlein, p. 583.
[98] Hertlein, p. 600-602 ; Code Théodosien, IX, XVII, 5.
[99] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[100] Ammien Marcellin, XXVI, 3.
[101] Ammien Marcellin, XXVI, 3.
[102] Ammien Marcellin, XXVI, 3. — Sur Aradius Rufinus, voir Sievers, Das Leben des Libanius, p. 273-274.
[103] Libanius, Monodia super Julianuni.
[104] Ammien Marcellin, XXII, 12. — Le titre de Parthicus, Parthicus maximus, avait été porté par Trajan (Cagnat, Cours d'épigraphie latine, p. 182), Verus (ibid., p. 187), Septime Sévère (ibid., p. 189), Carus (Vopiscus, Vita Cari, 8).
[105] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[106] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 9, 25 ; saint Jean Chrysostome, In Sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 22 ; Théodoret, III, 16. — Orose prétend que Julien avait commandé de construire à Jérusalem un amphithéâtre, pour y exposer aux bêtes, à son retour de Perse, les évêques et les moines (VII, 30) ; mais il faut évidemment voir dans ce détail une déformation légendaire de la tradition.
[107] J'entends ainsi l'allusion du Misopogon aux vieilles qui rôdent autour des tombeaux. Hertlein, p. 443.
[108] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[109] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[110] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[111] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[112] Ammien Marcellin, XXII, 12. — Ammien, si modéré d'ordinaire, partage ici la passion de Julien.
[113] Est-ce alors qu'il prononça ou écrivit ce mot rapporté par un manuscrit : au tribun Euthumeles : La guerre est le plaisir du roi ? Bidez et Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite des lettres de l'empereur Julien, p. 47.
[114] Libanius, Monodia super Julianum.
[115] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 577. Cf. Socrate, III, 19.
[116] Libanius, Epitaphios Juliani ; Philostorge, VII, 15 ; Théodoret, III, 16. — Saint Grégoire de Nazianze raille ces réponses des oracles, Oratio V, 25.
[117] Le fleuve féroce est ici mis pour le Tigre, Théodoret, III, 16. — Cette étymologie donnée par l'oracle est toute grecque, car, d'après Quinte-Curce (Alex., IV, 9), Tigris en persan voudrait dire flèche, et le fleuve aurait été ainsi appelé à cause de l'impétuosité de son cours.
[118] Théodoret, III, 16.
[119] Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 531.
[120] Deux autres réponses d'oracles sont rapportées par Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 26, 27 ; Müller, Fragm. hist. grec., t. p. 25. L'une (faite sans doute après coup) prédit qu'après avoir subjugué l'Empire des Perses jusqu'à Séleucie, Julien sera enlevé vers l'Olympe dans un char de fer, délivré de tous les maux corporels, et rendu à sa céleste origine.
[121] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[122] Théodoret, III, 28.
[123] Contraire même à la théorie des dieux nationaux professée par Julien.
[124] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 617. Mais Libanius voit dans son rêve de lettré autre chose encore : les sophistes et les rhéteurs instruisant, par de grands discours, les fils des Persans. Ibid.
[125] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[126] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[127] D'après Libanius, Julien était tellement versé dans la science des présages, que, lui présent, les augures étaient contraints de dire la vérité, parce que ses yeux savaient découvrir toute feinte ; Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 582. Il est probable que, dans la circonstance, il aperçut clairement la mauvaise volonté des Occidentaux.
[128] Libanius, Epitaphios Juliani.
[129] Ammien Marcellin, XXIII, 1.
[130] Sur la manière de consulter les livres sibyllins, voir les Dernières persécutions du troisième siècle, 2e éd., p. 225, note 1.
[131] Ammien Marcelin, XXIII, 2.
[132] Ammien Marcellin, XXIII, 2. ; Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 519.
[133] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[134] Voir la description de ces machines dans Ammien Marcellin, XXIII, 4.
[135] Ammien Marcellin, XXIII, 5.
[136] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[137] Julien, Oratio I ; Hertlein,
p. 25.
[138] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[139] Ammien Marcellin, XXIII, 2. — La lettre de Julien à Arsace, publiée dans le recueil de sa correspondance (65 de l'édition Hertlein), est manifestement apocryphe. Sozomène (VI, 1) résume une lettre de Julien à Arsace, peu différente de celle-ci, et qui n'est probablement pas plus authentique.
[140] Sur Hormisdas, détails dans Jean d'Antioche, fr. 177 ; Müller, Fragm. hist. grec., t. IV, p. 605.
[141] Ammien Marcellin, XVI, 10.
[142] Passio SS. Bonosi et Maximiliani, 3.
[143] Ammien Marcellin, XXIII, 6.
[144] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 89.
[145] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[146] Libanius, Ép. 722.
[147] Libanius, Ép. 1448, 1450.
[148] Libanius, Ép. 1059. — Sur l'allusion à Admète, voir Thucydide, I, 136, 137.
[149] Saint Grégoire de Nazianze pense peut-être à cette nomination, quand il reproche à Julien des gouvernements de provinces livrés non aux plus équitables, mais aux plus inhumains, Oratio V, 19.
[150] Apricante cœlo.
[151] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[152] Zosime, III.
[153] Sur Memorius, voir Julien, Oratio VII ; Hertlein, p. 223. C'était un des correspondants de Libanius, Ép. 1444.
[154] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[155] Libanius, Legatio ad Julianum
; Reiske, t. I, p. 469.
[156] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 92. Il semble faire encore allusion à ces sacrifices impies, Oratio V, 28.
[157] Saint Jean Chrysostome, In
Sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 14.
[158] Julien, Ép. 27 ; Hertlein,
p. 515.
[159] Libanius, Legatio ad Julianum
; Reiske, t. I, p. 469.
[160] Libanius, De Vita sua ;
Reiske, t. I, p. 90.
[161] Legatio ad Julianum ; Reiske, t. I, p. 451-483.
[162] Socrate, III, 17.
[163] Ad Antiochenos de regis
ira ; Reiske, t. I, p. 484-506.
[164] Cf.
[165] Théodoret, III, 17.
[166] Julien, Ép. 27 ;
Hertlein, p. 516.
[167] Théodoret, III, 17.
[168] Théodoret, III, 17.
[169] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 516.
[170] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 516.
[171] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 516.
[172] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 516.
[173] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 516.
[174] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 518.
[175] Chronique d'Alexandrie ; Migne, P. G., t. XCII, p. 297-298. — Tillemont dit à ce propos : L'autorité de la Chronique d'Alexandrie, et la conformité de cette histoire avec la manière d'agir de Julien, semblent des preuves suffisantes pour nous assurer de la vérité de ce récit, quoique nous n'en trouvions rien dans Théodoret ni dans les autres auteurs de ce temps-là Mémoires, t. VII, p. 423. Cependant le silence de ces auteurs, qui rassemblent avec soin les faits relatifs à la persécution de Julien, peut laisser des doutes sur les détails de cette histoire.
[176] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[177] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 518.
[178] Ammien Marcellin, XXIII, 2.
[179] Ne pas confondre ce Sopater avec le philosophe du même nom, également disciple de Jamblique, qui vécut à la cour de Constantin et fut mis à mort à Constantinople à la suite d'une famine produite, disait le peuple, par ses maléfices (cf. Eunape, Vitæ soph., Ædesius, p. 462-463).
[180] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 518. — Je dois dire que Schwarz (p. 25) et Cumont (p. 9) considèrent le passage de l'Ép. 27 où il est question de Sopater comme interpolé ou au moins corrompu.
[181] Julien, Ép. 27 ; Zosime, III.
[182] Έπιστολαΐς δέ όσαις ύπέγραψα καί βίβλοις. Ép. 27 ; Hertlein, p. 519. (Passage obscur, traduit autrement par Talbot.)
[183] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 519.
[184] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 519. — C'est apparemment d'Hiérapolis que fut écrite à Libanius l'Épître 27 de Julien, à laquelle il répondit par son Épître 712. Libanius dit que Julien lui écrivit des frontières de l'Empire (De Vita ; Reiske, t. I, p. 90) ; si ces paroles font allusion à la lettre 27, elles n'ont qu'une exactitude approximative, car Hiérapolis n'était pas ville frontière.
[185] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 23.
[186] Ammien Marcellin, XXIII, 2.