I. — L'émeute d'Alexandrie. La nouvelle de la mort de Constance et de l'entrée triomphale de Julien à Constantinople n'excita pas seulement la joie des païens : en Orient, où ils s'étaient sentis plus comprimés, elle fit éclater le fanatisme. Cela parut d'abord à Alexandrie. L'édit ordonnant la réouverture des temples n'y parvint que le février 362[1]. Quand la promulgation solennelle en fut faite, il y avait déjà un mois que l'évêque arien Georges de Cappadoce et deux fonctionnaires chrétiens avaient été massacrés avec d'horribles raffinements de cruauté. Si le crime était atroce, on est obligé de reconnaître que la première victime des colères païennes était peu recommandable. Georges fut un des intrus qui, après la déposition et l'exil de saint Athanase, en 356, prirent successivement sa place. Saint Grégoire de Nazianze, avec quelque exagération oratoire, l'appelle le monstre cappadocien[2] ; en termes plus modérés, Ammien Marcellin porte de lui un jugement remarquable sous la plume d'un païen : ce qu'il reproche surtout à Georges, c'est d'avoir oublié l'esprit de sa profession, laquelle ne conseille rien que de doux[3]. Georges s'était attiré la haine de tous : des catholiques, pour son usurpation et ses cruautés ; des païens, pour son arrogance ; du peuple entier, qui se plaignait de son avarice, de ses exactions, et l'accusait de faire auprès de Constance le métier de délateur[4]. Les plaintes des catholiques n'étaient que trop fondées. L'intronisation de Georges par la force sur le siège épiscopal avait causé l'exil ou la fuite de nombreux prélats[5]. On le vit administrer l'Église d'Alexandrie moins en évêque qu'en tyran. Comme, dans cette ville, les orthodoxes étaient aussi turbulents que leurs adversaires, ils finirent, en 358, par le chasser et par reprendre possession des églises[6] : mais bientôt l'autorité impériale les leur enleva de nouveau[7], et le fameux secrétaire Paul la Chaîne vint, en 359, exercer contre eux de cruelles vengeances[8]. Les païens n'avaient pas été moins maltraités. Tant que Georges, bravant l'impopularité, put se maintenir à Alexandrie, il mit un zèle aveugle à servir contre eux la politique de Constance, en faisant appliquer à la rigueur les lois qui interdisaient les sacrifices. C'est à son instigation que le duc Artemius envahit avec des soldats le Sérapéum et enleva les images, les offrandes et les ornements sacrés : peu s'en fallut que cet attentat, qu'aucune loi ne commandait, n'amenât dès lors la guerre civile[9]. Georges ne cachait pas son espoir de voir bientôt démolir tous les temples. Passant un jour, avec une suite nombreuse, devant celui de la Fortune : Jusques à quand, s'écria-t-il, laissera-t-on debout ces sépulcres ?[10] Un incident porta au comble l'exaspération des idolâtres. Constance avait fait don à l'évêque d'Alexandrie d'un ancien sanctuaire de Mithra, qui se trouvait abandonné. Georges entreprit de le transformer en église. Mais, au lieu d'accomplir sans ostentation ce travail, il prit plaisir à blesser les tenants de l'ancien culte en exposant à la risée publique les objets plus ou moins bizarres qui avaient été découverts dans la caverne des initiations[11]. Il s'ensuivit une bagarre sanglante, où beaucoup de chrétiens furent tués[12]. Après être demeuré près de trois ans éloigné d'Alexandrie, Georges s'était risqué enfin à y rentrer, le 26 novembre 361[13]. Il ne pouvait choisir un plus mauvais moment, car, dès le 30 du même mois, Gerontius, préfet d'Égypte, annonçait officiellement à la population la mort de Constance[14]. Ce fut le signal d'un terrible soulèvement contre l'évêque impopulaire, dont le retour inopportun semblait braver l'opinion publique. La haine longtemps comprimée des païens fit explosion. Une foule furieuse s'empara de Georges et le jeta en prison. Le 25 décembre, au matin, elle l'en tira pour le massacrer. Son malheureux sort fut partagé par un haut fonctionnaire de Constance, le comte Dracontius, qui avait aussi excité le mécontentement des idolâtres. D'après un récit, Dracontius aurait pris part, avec Georges, à la construction d'une église, probablement substituée à un temple païen. D'après une autre version, celle d'Ammien Marcellin, il aurait, étant directeur de la monnaie, renversé l'autel placé dans ses ateliers. Après le massacre de Georges et de Dracontius, on transporta leurs corps à travers toute la ville jusqu'au rivage, celui de Georges placé sur un chameau, celui de Dracontius traîné avec des cordes : on les brûla ensuite[15]. Un autre fonctionnaire de l'ancien gouvernement, le comte Diodore, fut victime de la même émeute, si l'on en croit Ammien : les idolâtres lui reprochaient de s'être, un jour qu'il présidait à, la construction d'une église, amusé à tondre de nombreux enfants, en prétendant que leur longue chevelure était un indice de paganisme. Les cendres de ces malheureux furent jetées à la mer, de peur, ajoute Ammien, que des églises ne se construisissent sur leurs tombeaux, et qu'on ne les honorât comme des martyrs[16]. La précaution était sans doute superflue. Les chrétiens n'intervinrent pas. Peut-être eussent-ils pu, dit encore Ammien, sauver les trois victimes : mais la haine que tous indistinctement ressentaient pour Georges les empêcha de prendre parti[17]. L'autorité militaire n'intervint pas davantage. Elle était alors représentée par Julien, oncle de l'empereur, et renégat comme lui, qui venait d'être nommé duc d'Égypte, c'est-à-dire commandant de toutes les forces militaires de la province, en remplacement d'Artemius[18] : probablement ne voulut-il pas engager la lutte avec des coreligionnaires. C'est lui que les habitants d'Alexandrie chargèrent de plaider leur cause quand, leur ivresse sanglante s'étant dissipée, les païens prirent conscience du crime qu'ils avaient commis et de la responsabilité que leur barbarie faisait encourir à la cité. Il n'eut point de peine à obtenir la grâce des coupables, ou plutôt une amnistie complète. Julien l'annonça par un message officiel, envoyé vers la fin de janvier 362 au peuple des Alexandrins[19], et destiné à être affiché, comme une proclamation ou un édit. Le ton est celui d'une sévère réprimande. Si vous ne respectez pas, — écrit Julien, — Alexandre votre fondateur, et par-dessus lui encore le
dieu grand et très saint Sérapis, comment n'avez-vous tenu aucun compte de
l'intérêt commun, de l'humanité, du devoir, j'ajouterai et de nous-mêmes, que
tous les dieux, et avant tous le grand Sérapis, ont jugé digne de gouverner
l'univers, et à qui il appartient de prendre connaissance de vos griefs ?
Mais, sans doute, vous avez cédé à l'emportement, et la colère, comme il
arrive, vous a fait commettre des actes criminels, et vous a jetés hors du
bon sens : au moment où, réprimant votre fougue, vous alliez suivre les
conseils de la prudence, elle vous a entraînés : et vous, peuple, vous n'avez
pas rougi d'oser des forfaits pour lesquels vous aviez justement haï les
autres ! On remarquera que Julien, par une tactique habile,
s'adresse ici à tout le peuple, comme si le meurtre de Georges et de ses
compagnons était imputable aux Alexandrins sans distinction de religion ou de
parti. Mais on remarquera en même temps que, dans un document officiel, il affecte
de parler en souverain païen et à des sujets païens. On croirait, à
l'entendre, que la ville d'Alexandrie, où la moitié peut-être de la
population était chrétienne, ne contenait que des adorateurs des dieux et des
dévots à Sérapis. Rappelant, pour y chercher des circonstances atténuantes,
les griefs des Alexandrins contre Georges, il fait surtout allusion aux actes
dont les païens avaient eu à se plaindre. Voilà
pourquoi, continue-t-il, irrités contre cet
ennemi des dieux, vous avez souillé une fois de plus la ville sainte, au lieu
de le traduire devant les tribunaux. Si vous aviez agi de la sorte, il n'y
aurait pas eu de meurtre, les lois n'auraient pas été violées, et l'exercice
régulier de la justice, en vous mettant à l'abri de tout reproche, aurait
puni l'auteur du sacrilège et rendu sages tous ceux qui méprisent les dieux,
ne comptent pour rien les grandes cités et les peuples florissants, et font
consister leur puissance à les traiter cruellement[20]. Julien rappelle alors aux Alexandrins une première lettre qu'il leur avait adressée, probablement celle dont nous avons parlé, relative au transport à Constantinople d'un de leurs obélisques. Quels éloges je vous écrivais alors ! Et maintenant, au nom des dieux, si je voulais vous louer, je ne le pourrais pas, à cause de votre forfait. Un peuple ose, comme des chiens, déchirer un homme, et ne rougit pas de tendre ensuite vers les dieux des mains souillées de sang ! Georges, dira-t-on, méritait ce qu'il a souffert. Il méritait même de pires souffrances, j'en conviens ; mais ce n'était pas à vous de les lui infliger. Vous avez des lois ; il vous faut les observer par-dessus tout et les chérir. Si un particulier les enfreint, la communauté, elle, doit rester dans l'ordre et la légalité, et ne point transgresser ce qui a été bien établi dès le commencement. Suivent des paroles de clémence. Vous
êtes bien heureux, habitants d'Alexandrie, qu'un tel acte ait été accompli
par vous sous mon règne, à moi qui, par vénération pour le dieu, et à cause
de mon oncle et homonyme, qui gouvernait alors l'Égypte et votre ville, vous
conserve une amitié paternelle. Car une autorité qui veut être respectée, un
gouvernement sévère et juste ne verrait pas ce forfait de tout un peuple sans
appliquer au mal difficile à guérir un remède plus rigoureux. Moi cependant,
pour les raisons que je vous ai dites, je me contente de vous donner des
conseils bienveillants et de vous adresser des paroles par lesquelles
j'espère que vous vous laisserez d'autant mieux persuader que vous êtes, je le
sais, d'ancienne race hellénique, et qu'aujourd'hui encore, par le fait de
cette illustre origine, votre esprit et vos habitudes ont conservé une
empreinte de noblesse et de générosité. Ainsi la lettre sévère s'achève par des compliments. Il est visible que le mécontentement de Julien, si sincère qu'il ait été à l'origine, a duré peu, et l'on ne se trompera peut-être pas en pensant que si le souverain soucieux de l'ordre public a vu avec peine l'émeute ensanglanter Alexandrie, en même temps le restaurateur de l'ancien culte n'a pu considérer sans une certaine complaisance un réveil d'énergie et de passion dans la population païenne de la grande ville. Le message de Julien aux Alexandrins eut deux appendices confidentiels, que l'on est bien aise de rencontrer dans le recueil de sa correspondance, car ils jettent un jour assez révélateur sur son caractère. Julien avait autrefois connu Georges. Il le rencontra en Cappadoce, où celui-ci résidait pendant que le futur César poursuivait ses études littéraires dans la demi-captivité du château de Macellum. Georges, qui était un grand amateur de livres, avait commencé dès lors à se former une riche bibliothèque. Il prêta beaucoup de manuscrits au studieux adolescent, qui en copia de sa main un grand nombre. Quand le malheureux évêque d'Alexandrie eut été tué, Julien se souvint de ses richesses bibliographiques. S'il ne témoigna aucune pitié pour le sort d'un homme qui, avant de s'attirer l'animadversion des Alexandrins, avait été l'un des consolateurs et peut-être des amis de son adolescence solitaire, en revanche il manifesta tout de suite un violent désir de mettre la main, par tous les moyens, sur la bibliothèque du mort. De là une première lettre, écrite à l'un des administrateurs de l'Égypte, Ecdicius[21] : elle est trop curieuse pour n'être pas traduite tout entière : Les uns aiment les chevaux, les autres les oiseaux, d'autres encore les bêtes sauvages ; moi, dès mon enfance, j'ai eu la passion des livres. Il serait donc étrange que je les visse avec indifférence accaparés par des hommes dont l'or ne saurait satisfaire l'insatiable cupidité, et qui songent sournoisement à nous les ravir. Rends-moi donc le service personnel de faire retrouver tous les livres de Georges. Il en avait beaucoup sur la philosophie, beaucoup sur la rhétorique, beaucoup sur la doctrine des impies Galiléens. Ces derniers livres, je voudrais les faire entièrement disparaître ; mais afin qu'avec eux ne périssent pas de plus précieux, fais une recherche exacte de tous. Prends pour guide de cette recherche le secrétaire de Georges : s'il s'en acquitte avec fidélité, il sera récompensé par l'affranchissement ; mais s'il se montre fourbe dans cette affaire, il subira les tourments de la question. Je connais les livres de Georges, sinon tous, au moins beaucoup, car il me les a communiqués, pendant que j'étais en Cappadoce, pour en prendre copie, et les a repris ensuite. La bibliothèque de Georges avait-elle été pillée par ses meurtriers ? ou les ariens de sa communion s'étaient-ils empressés de mettre en sûreté ses livres ? Toujours est-il que les recherches ordonnées par Julien furent d'abord infructueuses. Quelques mois se passèrent, sans que les manuscrits convoités eussent revu le jour. Julien écrivit alors une nouvelle lettre à l'un de ses intendants, nommé Porphyre : celle-ci encore mérite d'être citée : Georges possédait une abondante et précieuse bibliothèque, composée de philosophes de toutes les écoles, de nombreux historiens, et de beaucoup de livres de tous genres écrits par les Galiléens. Fais rechercher toute cette collection, et aie soin de me l'expédier à An-floche. Sache que tu seras sévèrement puni, si tu ne mets le plus grand soin à la découvrir. Auprès des gens, quels qu'ils soient, que tu soupçonnerais de détenir de ces livres, use de tous les moyens, emploie tous les serments. Ne te lasse pas de mettre les serviteurs à la torture. Si la persuasion ne réussit pas, emploie la force pour faire tout rapporter[22]. En lisant ces lettres, on se demande vraiment si l'empereur philosophe était plus modéré dans ses désirs qu'aucun de ses prédécesseurs. Antoine a proscrit Verrès pour s'emparer de ses vases de Corinthe ; Tibère, Néron, Domitien, envoyaient à la mort les sénateurs dont ils convoitaient les villas : Julien ordonne de mettre à la torture des esclaves qui ne lui appartiennent même pas, et recommande de continuer ce traitement barbare jusqu'à ce qu'ils aient dénoncé le lieu où se cachent des livres sur lesquels il n'a aucun droit, mais qui ont excité son envie. Pour n'aller pas jusqu'au meurtre, l'abus du pouvoir absolu n'en est pas moins flagrant : il touche à la cruauté : le bibliophile, ici, se double d'un tyran. II. — Le rappel des exilés. On n'est pas renseigné sur l'impression éprouvée par la masse des chrétiens à la nouvelle des événements d'Alexandrie. Mais il est probable que les esprits prévoyants s'inquiétèrent de cette subite effervescence des païens, et de l'indulgence dont la couvrait la partialité évidente du gouvernement. Plusieurs durent apercevoir dans ces faits l'annonce d'un mouvement qui était dans la logique des choses et que nous verrons, en effet, se produire à son heure. Cependant les déclarations libérales que fit presque aussitôt Julien calmèrent, vraisemblablement, les craintes du plus grand nombre. Après avoir pris possession du palais de Constantinople, un de ses premiers soins, dit Ammien, fut d'y mander les chefs des diverses sectes chrétiennes de la ville, avec leurs partisans[23]. Ceux qui se rendirent à cet appel furent probablement Eudoxe, que les ariens avaient en 360 élu évêque de Constantinople à la place du semi-arien Macedonius ; Macedonius lui-même, devenu hérésiarque à son tour, et fondateur d'une secte qui niait la divinité du Saint-Esprit ; les chefs des novations, qui, séparés des catholiques par de simples nuances, avaient défendu vaillamment avec eux les doctrines de Nicée ; les débris du petit troupeau des catholiques, demeurés sans pasteur depuis l'exil et la mort violente de Paul, l'évêque légitime. Aux représentants de ces divers partis, reçus soit simultanément, soit successivement, Julien tint un langage rassurant en apparence. Les discordes civiles ont pris fin, leur dit-il ; personne ne s'oppose plus maintenant à ce que chacun suive en paix sa religion[24]. Si l'on en croit Ammien, l'entretien ne se serait pas toujours borné à ces brèves paroles. A un tempérament naturel de polémiste Julien joignait une ardeur de néophyte : plus d'une fois il semble être entré en discussion avec les chefs des sectes chrétiennes, comme s'il eût eu l'espoir de les amener à ses idées. Quelquefois il leur posait des questions captieuses sur des passages obscurs de l'Écriture Sainte : il a raconté sa controverse avec un des plus sages évêques au sujet du sacrifice de Caïn et d'Abel[25]. Mais souvent il soulevait des questions plus brûlantes. Quand la discussion s'échauffait, on l'entendait élever la voix et crier, en s'appropriant un mot de Marc-Aurèle : Écoutez-moi, comme m'ont écouté les Alemans et les Francs ![26] Mais ces controverses mêmes, en établissant entre les chrétiens et l'empereur une sorte de familiarité, semblaient confirmer plutôt que contredire ses déclarations libérales. Les actes étaient encore conformes aux paroles. Comme gage de sa bonne volonté, Julien permit aux novatiens de rebatir leur église, naguère démolie par l'ordre de Macedonius. Tous les membres de l'intrépide petite secte, hommes, femmes, enfants, avaient alors transporté eux-mêmes les matériaux de la basilique détruite, et avaient construit à la hâte dans un faubourg l'édifice provisoire. Maintenant, démolissant à son tour celui-ci, ils en rapportèrent les pierres au lieu où s'était élevé le sanctuaire primitif, et, dressant sur ses fondations rasées une nouvelle basilique, lui donnèrent le nom d'Anastasie, Résurrection[27]. Cependant les chrétiens qui auraient attendu des promesses
et des actes de Julien une résurrection véritable,
une ère de paix sous la garantie d'une liberté commune, se seraient
grandement mépris sur ses intentions. C'était un piège qu'il leur tendait. Son
but, dit Ammien, était de consolider la
restauration de l'hellénisme[28], en la faisant
accepter de l'opinion publique, par l'apparence d'un traitement égal pour
toutes les religions. Il pensait, dit de même
Sozomène, qu'il affermirait d'autant mieux la
superstition païenne, qu'il se serait montré envers les chrétiens patient et
doux au delà de leur attente[29]. Mais à ce
dessein général se joignait une arrière-pensée plus malveillante. Julien
espérait mettre les chrétiens des diverses opinions aux prises les uns avec
les autres : il comptait réveiller ainsi parmi eux le feu des discordes
religieuses, et les affaiblir davantage par des dissensions nouvelles. C'est
ce que dit encore Ammien. L'empereur agissait de
telle sorte, que la liberté qu'il paraissait rendre dégénérât en licence, et
accrût les divisions : ce résultat obtenu, il n'aurait plus à craindre, pour
ses entreprises ultérieures, une résistance unanime du peuple chrétien[30]. L'expérience
d'un siècle déchiré par l'hérésie l'encourageait dans cet espoir mauvais. Il
avait remarqué, continue Ammien, citant sans nul doute un propos de Julien
lui-même, que les bêtes féroces ne sont pas plus
acharnées contre les hommes, que ne le sont les uns contre les autres la
plupart des chrétiens[31]. Il accordait
ainsi la liberté, non comme un fortifiant, mais comme un dissolvant et un
poison. La suite de cette histoire montrera s'il fut ou non trompé dans ses
prévisions. Toujours dans le même dessein, et aussi, selon la remarque d'un historien, afin d'étaler à tous les regards la dureté de Constance et de le diffamer auprès du peuple[32], Julien promulgua, dans les derniers jours de 361 ou les premiers mois de 362, un édit rappelant les évêques de toutes les opinions exilés par son prédécesseur, et restituant leurs biens confisqués[33]. Le plus grand nombre de ceux qui avaient été ainsi frappés, et qui devaient bénéficier de ce rappel, étaient des orthodoxes, coupables aux yeux de Constance d'avoir avec Athanase, Mélèce d'Antioche, Eusèbe de Verceil, Lucifer de Cagliari, défendu contre l'arianisme les définitions du concile de Nicée. Les évêques du tiers parti, ou semi-ariens, qui les uns par faiblesse, d'autres de bonne foi, essayèrent de tenir le milieu entre la stricte orthodoxie et l'arianisme, cédant sur la forme dans l'espérance de préserver le fond, comptaient aussi dans l'exil d'illustres représentants, comme Basile d'Ancyre, Eleusius de Cyzique, Silvain de Tarse, Eustathe de Sébaste. Des bannis d'une renommée très différente attestaient encore la sévérité de Constance : c'étaient des hérésiarques, Photin, qui avait renouvelé les erreurs du sabellianisme en niant la Trinité, et Aetius, devenu compromettant aux ariens eux-mêmes pour avoir poussé jusqu'à leurs dernières conséquences logiques les idées d'Arius. Toutes les nuances de doctrine et de conduite, les extrêmes aussi bien que les intermédiaires, se trouvaient, de la sorte, représentées dans l'exil. Rappelant indistinctement tous les bannis, Julien se donnait des apparences de libéralisme, mais, en réalité, préparait une suite interminable de conflits, car beaucoup d'exilés, à leur retour dans leurs églises, devaient trouver occupés par d'autres les sièges d'où ils avaient été chassés[34]. Il faut ajouter que, tout en prétendant et peut-être en croyant sincèrement tenir la balance égale, Julien favorisait néanmoins les hérétiques. L'un des exilés que son édit fit revenir était Aetius, dont nous avons déjà parlé. Mais Julien, en le rappelant de Pamphylie, où il était relégué, lui montra des égards extraordinaires. Sans doute, il se souvenait de l'affection que son frère Gallus avait eue pour Aetius, et des rapports personnels que lui-même entretint avec ce personnage lors de son séjour de jeunesse en Asie ; mais probablement aussi était-il prévenu en sa faveur par le rôle dissolvant qu'il le voyait jouer dans l'Église. Dès le mois de janvier 362[35], il l'invita, dans une lettre pressante, à venir à la cour. Un décret commun, lui écrivit-il, à tous ceux qui ont été bannis par le bienheureux Constance à cause de la folie des Galiléens, les a relevés de leur exil. Pour toi, je ne me borne pas à t'en relever, mais, me souvenant de notre ancienne connaissance et de notre liaison, je t'invite à te rendre près de nous. Tu te serviras de la poste publique jusqu'à mon armée, avec un cheval de renfort[36]. Le mot armée[37] ne doit pas nous induire en erreur, en nous faisant donner une date tardive à cette lettre : l'armée de Julien campait réellement au commencement de son règne à Constantinople ; d'ailleurs, les empereurs romains employaient cette expression pour désigner leur cour. Julien s'en est servi lui-même en parlant de celle de Constance[38]. Il donne dans la suscription de sa lettre le titre d'évêque à Aetius[39] : celui-ci parait cependant n'avoir reçu d'un concile hérétique la dignité épiscopale qu'après son retour[40]. L'historien Philostorge rapporte que Julien fit présent à Aetius d'un domaine dans Plie de Lesbos[41]. Julien envoya aussi une lettre élogieuse à l'hérésiarque Photin, le déclarant bien près d'être sauvé, et le louant d'avoir nié que celui qu'on avait cru Dieu ait pu prendre chair dans le sein d'une femme[42]. L'autorisation de se servir de la poste impériale, accordée spontanément par Julien à Aetius, marquait d'autant plus clairement son amitié pour celui-ci, qu'à peu près à la même époque, et au moment où il rappelait les évêques exilés, l'empereur ôtait à tous les chefs du clergé chrétien le même privilège. Ils en avaient joui sous les règnes précédents. Dès 314, rassemblant le concile d'Arles sur les affaires du donatisme, Constantin avait accordé aux évêques le secours des voitures publiques[43], c'est-à-dire le transport, aller et retour, aux frais de l'État. On a encore le texte d'un des diplômes délivrés à cet effet[44]. Les prélats convoqués de tous les points de l'Empire pour assister au concile de Nicée avaient reçu la même faveur[45]. L'usage s'était ainsi formé, et, sous le règne de Constance, qui vit, pour la question toujours ouverte de l'arianisme, un continuel va-et-vient d'évêques d'Orient, et même d'Occident, allant de synode en synode, l'emploi de la poste impériale pour les dignitaires ecclésiastiques avait été poussé probablement jusqu'à l'abus. Les vicaires des préfets du prétoire et les gouverneurs des provinces délivraient à tous les évêques qui leur en faisaient la demande les diplômes donnant droit d'emprunter les voitures de poste. L'usage continuel des chevaux de ce service par la foule des prélats qui, dans la pensée de faire triompher chacun son opinion, couraient de synode en synode avait, dit Ammien, énervé les transports publics[46]. Même les évêques favorisés par Constance le reconnaissaient : on lit dans une lettre de quelques-uns d'entre eux, écrite en 344, après le concile de Sardique, que les peuples se plaignent de voir, par les fréquents voyages des prélats appelés à des réunions de ce genre, le cursus publicus brisé et comme anéanti[47]. C'est ce que répète Julien, dans le préambule d'une loi adressée, le 22 février 362, au préfet du prétoire Mamertin. Le service du cursus publicus, écrit l'empereur, a été désorganisé par les exigences indiscrètes de quelques-uns et la fréquence des transports accordé[48]. Il n'est pas douteux que les quelques-uns dont Julien parle avec ce dédain ne soient les ecclésiastiques favorisés sous les règnes de ses deux prédécesseurs. Julien retire, par la loi nouvelle, aux divers magistrats administratifs qui l'avaient eu jusque-là le droit d'accorder l'evectio, c'est-à-dire l'usage des voitures, des hôtels et des relais, et se réserve ce droit à lui-même : il donnera seulement chaque année aux vicaires et aux gouverneurs les diplômes nécessaires à eux et à leurs agents, signés de sa main. Très probablement les abus auxquels Julien veut remédier[49] furent réels, au moins sous le règne de Constance : le témoignage ordinairement impartial d'Ammien Marcellin, le témoignage des évêques sur eux-mêmes, confirment ici le dire de Julien. Mais il est curieux de voir celui-ci offrir à l'hérésiarque Aetius, et aussi aux philosophes qu'il mandait à sa cour[50], les voitures qu'il refuse aux évêques pour les réserver désormais aux seuls services de l'État. Cependant les prélats exilés profitaient partout de la permission qui leur avait été donnée de rentrer dans leurs villes. On vit ainsi Mélèce revenir à Antioche, Basile à Ancyre, Eustathe à Sébaste, Silvain à Tarse, Eleusius à Cyzique, saint Cyrille remonter sur le siège épiscopal de Jérusalem[51]. Pour plusieurs de ces bannis le retour dut être triste. Ils trouvaient leurs Églises désorganisées, non seulement par un long abandon ou par des discordes intestines, mais encore par l'effet de récentes mesures de Julien. Les villes venaient de reprendre possession de terrains non vendus que le fisc s'était jadis appropriés ; ce qui comprenait aussi divers immeubles, d'abord possédés par des temples, et sur lesquels avaient été construites des basiliques chrétiennes[52]. Une mesure plus fâcheuse, car elle ne causait pas seulement des ruines matérielles, portait le trouble au sein du clergé lui-même : par une loi[53], Julien avait ramené de force à la curie tous les ecclésiastiques que leur vocation en avait exemptés. Outre le texte de la loi[54], on possède un des rescrits qui en assurèrent l'exécution : c'est une lettre de Julien, réintégrant de ces exempts dans la curie de Constantinople[55]. Comme la plèbe des villes était intéressée à voir un plus grand nombre de riches rendus responsables des charges publiques, et comme les riches eux-mêmes avaient avantage à ce que le fardeau qui pesait sur leurs épaules s'allégeât en se divisant, Julien se faisait ainsi facilement une popularité aux dépens du clergé chrétien. Il prêtait dans ce but l'oreille à toutes les délations. Il suffisait qu'on lui dénonçât un citoyen comme étant apte par sa fortune à devenir curiale : il ne s'inquiétait ni de son origine, ni des exemptions ou des privilèges qui militaient en sa faveur, et le faisait entrer de force dans la curie de sa ville[56] ; Libanius, qui approuve tout, admire cette façon d'agir, surtout quand il la voit atteindre les impies[57]. Ammien Marcellin, plus politique, fait ressortir ce qu'elle a d'inique et d'amer[58]. Il ne lui échappe point que ces mesures étaient particulièrement dirigées contre les chrétiens, car c'est après avoir raconté, dans un sentiment de blâme, une autre décision de l'empereur à leur égard, que l'équitable historien ajoute : Cela aussi était difficile à supporter, de le voir adjoindre contre toute justice à la liste des curiales soit des étrangers, soit des hommes que leurs privilèges ou leurs origines en eussent dû tenir éloignés[59]. D'autres mesures de l'empereur achevèrent de rendre difficile la situation de certains évêques, retrouvant leurs sièges après un bannissement plus ou moins long. On rapporte que Julien, à ce moment, rappela expressément à Antioche, pour y reprendre les fonctions épiscopales, et par conséquent y tenir tête à saint Mélèce, nouvellement rentré, un personnage décrié, nommé Étienne, que les ariens eux-mêmes avaient été contraints de déposer treize ans auparavant[60]. Surtout il manifesta toute sa mauvaise humeur quand saint Athanase remonta dans la chaire d'Alexandrie. Le 4 février 362, l'édit ordonnant la réouverture des temples avait été publié dans la métropole égyptienne, à la grande joie des païens[61] : quatre jours plus tard, l'allégresse était parmi les catholiques, apprenant que l'ordre de rappeler les évêques qui vivaient en exil venait d'arriver au préfet Gerontius et au vicaire Modestus[62]. Nombreux étaient en Égypte les bannis que cet ordre concernait. En 356, lors de la prise de possession du siège d'Alexandrie par l'intrus Georges de Cappadoce, seize évêques partisans d'Athanase avaient été condamnés à l'exil, et trente autres avaient pris la fuite[63]. Quant au grand champion de l'orthodoxie, contre qui toute cette persécution était dirigée, il vivait depuis six ans dans les solitudes inaccessibles de la Haute Égypte, passant de monastère en monastère, sous la protection des milliers de moines qui campaient au désert comme l'armée de la prière et de la pénitence. Mais, demeuré en communication constante avec ses fidèles d'Alexandrie, il était informé à temps de tous les événements qui intéressaient l'Église. Sans peut-être que le secret de sa retraite eût été dévoilé, il fut averti comme les autres de l'ordre de rappel[64]. Douze jours après avoir reçu cet avertissement, le 21 février, il arrivait à Alexandrie[65]. Sa rentrée fut un triomphe. Les habitants, rangés par sexe, par âges, ou enrôlés sous les bannières des corporations, vinrent à sa rencontre. On était accouru pour le voir de tous les points de l'Égypte : la vénération du peuple était si grande, que, sur son passage, on essayait d'être touché de son ombre, dans la persuasion qu'elle guérissait comme celle de saint Pierre[66]. Lui, cependant, s'avançait, monté sur un âne, à l'exemple du Sauveur entrant dans Jérusalem. Dès qu'il passait dans une rue, les applaudissements éclataient, on versait ou l'on faisait brûler des parfums. Le soir, toute la ville fut illuminée : il y eut des festins dans les maisons, des repas de corps sur les places[67]. Avec la modération d'une âme supérieure à toutes les fortunes, et que les succès n'exaltaient pas plus que les revers ou les périls ne l'avaient abattue, Athanase reprit tranquillement l'administration de son Église, sans aucun acte qui pût soit irriter les païens, soit inquiéter un gouvernement ombrageux. Mais il ne pouvait empêcher celui-ci d'être jaloux de l'immense popularité dont les manifestations avaient accueilli dans Alexandrie le retour de l'évêque légitime. Julien crut pouvoir, après coup, exclure Athanase de l'amnistie. Il s'appuya, pour le faire, sur deux prétextes. L'un était que le cas d'Athanase, successivement banni par plusieurs sentences, et qui s'était soustrait par la fuite aux peines prononcées contre lui, se distinguait de celui des autres évêques : il eût fallu, pour effacer les condamnations qui pesaient sur lui, un édit spécial. L'autre, d'une portée plus générale, disait que le retour dans leurs foyers avait été permis aux prélats exilés, mais non la reprise des fonctions épiscopales. Il ne semble pas, cependant, que le gouvernement ait, ailleurs qu'à Alexandrie, inquiété de ce chef les évêques amnistiés qui avaient, après leur retour, recommencé de gouverner leurs Églises. Un empereur païen dit difficilement justifié cette prétention de s'immiscer dans les affaires intérieures des communautés chrétiennes. D'ailleurs, elle aurait été en contradiction avec les assurances de libéralisme religieux données aux chefs des diverses sectes convoqués dans le palais de Constantinople. Mais, si arbitraire qu'elle nous semble, l'interprétation subtile et tardive ainsi donnée de la loi de rappel laissait peser une menace sur tous les évêques rentrés, et permettait d'atteindre tout de suite ceux que l'on voudrait éloigner de nouveau. C'est ce que Julien tenta de faire, pour Athanase, par l'édit dont voici le texte : Il convenait qu'un homme frappé
souvent par les ordonnances royales, et atteint par les sentences de
plusieurs empereurs, attendit un édit pour rentrer dans ses foyers, au lieu
de pousser l'audace et la folie jusqu'à se moquer des lois comme si elles
n'existaient pas. Nous avions récemment permis aux Galiléens exilés par le
bienheureux Constance, non le retour dans leurs églises, mais seulement le
retour dans leurs foyers. J'apprends cependant que l'audacieux Athanase,
emporté par sa fougue accoutumée, a repris ce qu'ils appellent le trône
épiscopal, et que cela n'est pas médiocrement insupportable au peuple
religieux d'Alexandrie. C'est pourquoi nous lui signifions de sortir de la
ville dès le jour où il aura reçu les lettres de notre clémence : s'il reste
à l'intérieur de la ville, nous prononcerons contre lui des peines plus fortes
et plus rigoureuses[68]. Si dur et si menaçant que fût cet édit, Athanase avait, dans sa longue carrière, supporté sans faiblir de bien autres orages. Avec une audace tranquille, il résolut de ne pas tenir compte du nouvel ordre d'exil, et de demeurer à Alexandrie jusqu'à ce qu'on l'en arrachât par la force. Il se sentait soutenu par l'amour des Alexandrins, et jugeait avec raison que le gouvernement hésiterait avant d'engager un conflit avec l'irritable population de la métropole égyptienne. Pendant plusieurs mois, quoique banni nominalement, il continua de remplir sans trouble apparent ses fonctions épiscopales. Comme toujours, sa volonté resta tendue vers le but unique de sa vie : arracher le monde chrétien à l'arianisme, restaurer la foi proclamée à Nicée. Profitant du retour de nombreux évêques, maintenant réinstallés dans leurs Églises, il convoqua un concile à Alexandrie. Deux illustres confesseurs de la foi y furent spécialement invités. C'étaient les évêques occidentaux Eusèbe de Verceil et Lucifer de Cagliari, exilés l'un et l'autre par Constance dans les lointains déserts de la Haute Thébaïde. Alexandrie était l'une des étapes naturelles de leur retour en Europe, et leur présence devait apporter un surcroit d'autorité aux délibérations du concile. Mais Eusèbe accepta seul l'invitation d'Athanase : Lucifer préféra partir pour Antioche, dans l'espoir de faire cesser le schisme qui divisait cette Église depuis l'élection de Mélèce. Malheureusement son intervention ne put qu'aggraver le désordre. A Alexandrie, au contraire, non seulement la vraie doctrine fut de nouveau proclamée, mais d'utiles décisions, empreintes d'un grand esprit de charité, furent prises afin de réconcilier les évêques et les prêtres ariens qui abjureraient leurs erreurs. Les résultats obtenus par le zèle d'Athanase accrurent l'irritation de Julien. Non seulement la présence de l'intrépide champion du Verbe servait à la cause de l'orthodoxie, mais encore elle donnait dans Alexandrie une vigueur nouvelle au mouvement qui entraînait les païens vers le christianisme. Des convertis, parmi lesquels plusieurs femmes de haut rang, avaient reçu le baptême des mains de l'évêque : chaque jour les vides faits par la défection de chrétiens peureux se comblaient par l'accession de nouvelles recrues conquises sur l'idolâtrie[69]. Ce n'était plus seulement l'arianisme, c'était l'hellénisme qui rencontrait dans l'indomptable volonté d'Athanase l'obstacle contre lequel se brisait son flot. Julien fut d'autant plus irrité, que ces nouvelles lui parvenaient par des voies indirectes, tandis que les administrateurs officiels de l'Égypte semblaient s'être entendus pour ne nommer Athanase dans aucun de leurs rapports. Sa patience était à bout, quand il envoya au préfet Ecdicius, successeur de Gerontius, la lettre suivante[70] : Si tu ne nous écris rien au sujet des autres affaires, au moins aurais-tu dû écrire au sujet de l'ennemi des dieux, Athanase, d'autant plus que, depuis longtemps, tu dois avoir eu connaissance de nos ordres. Je jure donc par le grand Sérapis que si, avant les calendes de décembre, l'ennemi des dieux, Athanase, n'est pas sorti de la ville, ou plutôt de toute l'Égypte, je frapperai d'une amende de cent livres d'or la population que tu commandes. Tu sais que si je suis lent à condamner, je suis plus lent encore à revenir sur une condamnation prononcée. Ce qu'on vient de lire avait été dicté à un secrétaire : mais Julien ajouta de sa propre main un dernier paragraphe : Ce mépris est pour moi un grand chagrin. Par tous les dieux, je ne verrais, je n'apprendrais de toi aucun acte plus agréable que l'expulsion hors de tous les lieux de l'Égypte d'Athanase, le misérable qui a osé, moi régnant, baptiser des femmes hellènes de rang distingué. Qu'il soit proscrit[71]. Cette fois, l'ordre était trop formel pour ne pas être obéi. Résolu à ne provoquer aucun désordre, Athanase quitta la ville, le 23 octobre, au moment où les magistrats publiaient l'édit lancé contre lui[72]. Soyons sans crainte, dit-il à ceux qui l'accompagnaient ; c'est un petit nuage, il passera vite[73]. Quelques jours après, le préfet Olympus, qui remplaçait à son tour Ecdicius disgracié, bannit, sur les instances du philosophe Pythiodore et de quelques ardents sectaires, deux des partisans les plus dévoués d'Athanase, les prêtres Paul et Astericius[74]. Le nouvel exil d'Athanase contrista ses concitoyens. Des pétitions demandant son retour se couvrirent aussitôt de signatures. Le mouvement de protestation réunit des personnes de toutes les opinions et même de toutes les croyances, C'est au nom de la ville d'Alexandrie que la requête fut présentée à l'empereur, car celui-ci, dans sa réponse, s'indigne que la partie malade ose se donner le nom de cité. Il ne s'en crut pas moins obligé de répondre par une lettre collective adressée aux Alexandrins sans distinction. Cette lettre[75] est une des plus curieuses qui soient sorties de sa plume. Ce n'est pas un document composé avec la brièveté impérative d'un acte officiel : c'est un écrit de controverse, un plaidoyer en faveur de l'idolâtrie et contre le culte chrétien : c'est à la fois un mandement et un édit, où le souverain pontife et l'empereur parlent ensemble, ce qui forme une bizarre cacophonie. Julien déclare d'abord aux Alexandrins que, quand même le fondateur de la ville eût été un homme couvert de crimes, ils seraient néanmoins sans excuse de réclamer Athanase. Mais comment former une pareille demande, quand on a pour fondateur Alexandre, pour dieu tutélaire le roi Sérapis, avec Isis, sa jeune compagne, reine de toute l'Égypte ? Par tous les dieux ! je rougis de honte, Alexandrins, si un seul habitant d'Alexandrie s'avoue Galiléen. Les pères des Hébreux furent autrefois esclaves des Égyptiens : vous maintenant, Alexandrins, vous dominez sur les Égyptiens, puisque votre fondateur a conquis l'Égypte : et voilà qu'aujourd'hui vous vous soumettez volontairement au joug de vos captifs d'autrefois, des adversaires de vos anciennes croyances ! Suit une leçon d'histoire, si incohérente dans les termes, qu'il faut la traduire intégralement, afin de montrer une fois de plus le vague de pensée et l'obscurité de langage fréquents chez Julien. Vous avez perdu la mémoire de
l'ancienne prospérité, au temps où l'Égypte, en communion avec les dieux,
jouissait de tous les biens. Mais ceux qui vous ont apporté aujourd'hui cette
croyance nouvelle, quel bien ont-ils fait à votre ville, dites-le-moi ? Votre
fondateur fut un homme plein de vénération pour les dieux, Alexandre le
Macédonien, qui ne ressemblait guère, par Jupiter ! ni à quelqu'un de ces
hommes, ni à aucun des Hébreux, quoique ceux-ci leur soient très supérieurs.
Ptolémée, fils de Lagus, valait aussi beaucoup mieux, et quant aux Romains,
si Alexandre avait eu à les combattre, il leur aurait bien tenu tête[76]. Après votre fondateur, que vous ont fait les Ptolémées ?
ils ont soigné votre ville comme une fille chérie. Ce n'est point par les
paroles de Jésus qu'ils l'ont rendue florissante, et ce n'est pas par la
doctrine des odieux Galiléens qu'ils ont organisé le gouvernement qui la rend
heureuse aujourd'hui. En troisième lieu, lorsque nous, Romains, nous en
sommes devenus les maîtres, l'enlevant aux Ptolémées qui la traitaient mal,
Auguste, visitant votre ville et s'adressant à vos concitoyens : Alexandrins, dit-il, je
pardonne à cette ville toutes ses fautes, par respect pour le grand Sérapis,
et à cause du peuple et de la grande cité : un troisième motif de ma
bienveillance pour vous est mon ami Areus. Cet Areus était votre
concitoyen, intime ami de César Auguste, et philosophe. Telles sont, en
quelques mots, les faveurs spéciales que votre ville a reçues des dieux
olympiens, et j'en omets beaucoup, pour ne pas m'étendre. La partie théologique de la lettre ne paraîtra pas
beaucoup plus forte que la partie historique. Quant
aux bienfaits répandus chaque jour avec tant d'évidence par les dieux non
plus seulement sur une race ou sur une ville, mais sur tout l'univers,
comment les méconnaîtriez-vous ? Seuls êtes-vous insensibles à la splendeur
émanée du Soleil ? Seuls ignorez-vous qu'il produit l'été et l'hiver ? Seuls
ignorez-vous que de lui proviennent tous les animaux et toutes les plantes ?
Et la Lune, qui est aussi de lui, ne reconnaissez-vous pas que par son aide elle
est cause de toute sorte de biens pour votre cité ? Et vous n'avez le courage
d'adorer aucun de ces dieux ! Et vous croyez que ce Jésus, que ne virent ni
vous, ni vos pères, est le Dieu Verbe ! Celui, au contraire, que de toute
éternité la race humaine contemple et adore, heureuse par son culte, je veux
dire le grand Soleil, l'image vivante, animée, bienfaisante du Père intelligible,
vous ne l'adorez pas ![77] Julien continue, par un de ces souvenirs autobiographiques comme il y en a dans beaucoup de ses écrits. Vous ne vous écarterez pas de la voie droite en vous laissant conduire par celui qui a suivi la même route que vous jusqu'à vingt ans, et qui depuis douze ans suit avec l'aide des dieux la route opposée[78]. Cela reporte, comme nous l'avons dit ailleurs, à l'année 350 l'apostasie de Julien et son adhésion encore secrète au paganisme. Après ces longs détours, il arrive enfin à l'objet précis
de sa lettre, la réponse aux pétitions des Alexandrins. S'il vous est agréable de m'obéir, dit-il, vous me causerez une grande joie. Que si vous aimez mieux
persévérer dans la superstition et la doctrine des hommes fourbes, mettez en
commun vos pensées, mais ne demandez pas Athanase. Beaucoup de ses disciples
vous restent, capables de chatouiller vos oreilles par leurs discours impies.
Plût au ciel qu'au seul Athanase se bornât l'influence de sa pernicieuse
école ! Vous n'avez nul embarras à trouver parmi vous une multitude de gens distingués.
Dans cette multitude vous avez choisi pour vous enseigner les Écritures le
plus mauvais, qui est celui que vous réclamez aujourd'hui. Si c'est pour ses
autres talents que vous demandez Athanase — car
je sais que c'est un habile homme — et que
vous faites de telles instances, sachez que c'est pour cela même qu'il a été
banni de la ville. Car c'est naturellement une chose dangereuse de placer à
la tête du peuple un homme fertile en intrigues ; pas même un homme, mais un
être de rien, comme ce prétentieux personnage qui se croit grand, s'imagine
qu'on en veut à sa tête, et donne ainsi le signal de l'insurrection. Aussi,
afin qu'il n'arrive chez vous rien de tel, nous lui avons commandé naguère de
sortir de la ville, et maintenant nous le bannissons de toute l'Égypte.
— Que ceci soit mis sous les yeux de nos concitoyens
d'Alexandrie. Chasser Athanase de l'Égypte était difficile. Il était sorti d'Alexandrie, mais il avait résolu de demeurer à portée de sa ville épiscopale, pour y faire des apparitions furtives[79], et y rentrer définitivement aussitôt que le petit nuage aurait été balayé par le vent du ciel. Comme toujours, les monastères lui ouvrirent de secrets asiles, où il put déjouer les recherches des émissaires de Julien[80], et passer inaperçu les quelques mois qui précédèrent la fin de son persécuteur. Pendant que Julien se montrait ainsi intraitable pour le plus illustre des évêques orthodoxes, dont, de son propre aveu, il redoutait l'influence et les talents, il prêtait une oreille favorable à la pétition d'une secte de schismatiques. Exilés depuis 348 par l'empereur Constant, les prélats donatistes n'étaient pas visés par la loi qui rappelait les bannis de Constance. On pourrait dire qu'ils n'avaient pas été punis seulement pour cause religieuse, puisque dans la première moitié du siècle l'Afrique romaine avait été saccagée par les enfants perdus du donatisme, les circoncellions, qui transformèrent le schisme en une sorte de guerre sociale. La dispersion depuis quatorze ans des chefs et des principaux soldats de la secte maintenait seule la paix dans les provinces africaines. Cette opération de police un peu rude était autant, semble-t-il, dans l'intérêt de l'État que dans celui de l'Église. Mais le retour des évêques donatistes serait pour celle-ci un nouvel élément de désordre. Aussi Julien, sans rechercher si ce désordre ne s'étendrait pas à la société civile, accueillit-il tout de suite la requête par laquelle ils lui demandèrent de les faire profiter du bénéfice de l'amnistie, en leur permettant de rentrer dans les villes d'où Constant les avait expulsés. Cette requête était rédigée en des termes qui ont excité l'indignation des écrivains orthodoxes. L'empereur qui venait d'abjurer le christianisme et de rouvrir les temples y était célébré comme le seul homme qui ait fait enfin triompher la justice[81]. A l'aide de ces flatteries, on osait lui demander plus qu'il n'avait accordé aux évêques bannis par Constance. Tandis que ceux-ci, de retour dans leurs Églises, n'avaient pas la faculté de réclamer contre la situation dans laquelle ils les trouvaient, et de reprendre les lieux de culte passés en d'autres mains, les donatistes revendiquaient les basiliques qui, sous Constant, avaient été reprises par les catholiques. Julien leur octroya toutes leurs demandes. Lui qui contestait à Athanase le droit d'exercer de nouveau les fonctions épiscopales, concédait aux évêques donatistes une véritable restitutio in integrum, les rétablissant dans l'état d'où Constant les avait fait déchoir en 348. Les termes du rescrit de Julien furent aussi bienveillants pour eux que ceux de leur requête avaient été flatteurs pour le prince. Quand l'empereur Honorius, en 400, voudra perdre les donatistes dans l'opinion de tous les chrétiens, il ordonnera de tirer ces pièces des archives provinciales et de les afficher[82]. Julien ne s'était pas trompé dans ses prévisions. La rentrée des évêques donatistes ralluma la guerre religieuse en Afrique. Avant même d'avoir fait enregistrer dans les greffes des diverses villes l'édit qui les rappelait, les prélats schismatiques et leur clergé, autour desquels s'était réunie de nouveau la tourbe des gens sans aveu, des colons ruinés, des esclaves fugitifs, qui formaient avec les fanatiques de bonne foi l'armée de la secte, avaient tenté de chasser les catholiques et de s'emparer de leurs églises. En Numidie, dans les deux Mauritanies, dans la province proconsulaire, on vit d'affreux carnages et des profanations épouvantables. Autels brisée, calices mis en pièces, catholiques maltraités ou tués, vierges outragées, cimetières envahis[83], il n'est pas un des attentats par lesquels avaient été déshonorés les temps de persécution qui ne se soit renouvelé dans ces tristes jours. Les gouverneurs de plusieurs provinces se crurent obligés de dénoncer ces crimes à Julien[84]. Mais d'autres, plus habiles, les virent avec complaisance, ou même y aidèrent. A Tipasa, — petite ville de la Mauritanie Césarienne, célèbre par le martyre de sainte Salsa[85], — deux évêques donatistes vinrent de Numidie pour chasser les catholiques des basiliques qu'ils occupaient. Le gouverneur de la province, Athenius, leur prêta main-forte, leur fournit des soldats, et assista, avec ses officiers, à des violences et à des sacrilèges dont le récit fait horreur[86]. Ainsi, remarquèrent les catholiques, la même main qui rouvrait les temples déchaîna en même temps sur l'Église d'Afrique une épouvantable tempête[87]. Comprimée une première fois par Constant, destinée à une répression énergique sous Valentinien et Gratien, l'anarchie donatiste eut sa reprise la plus violente et probablement atteignit son apogée sous le règne de Julien. III. — L'exclusion des emplois civils et militaires. Il était dans le caractère et dans la tactique de Julien de commencer par la douceur, et de passer ensuite aux mesures rigoureuses. On l'a vu rappeler de l'exil les évêques des divers partis, puis prononcer contre le plus illustre des chefs de l'orthodoxie une nouvelle sentence d'exil, qui sera une menace pour les autres. On va le voir agir ainsi d'une manière générale pour tous les chrétiens, et s'efforcer de les séduire avant d'entreprendre de les vaincre. Les historiens le montrent multipliant pour eux les flatteries et les caresses. Auprès d'un trop grand nombre ces moyens réussirent. La douceur apparente de l'empereur les gagnait peu à peu. Julien mettait, clins son entreprise de séduction, une extrême dextérité. Il ne pressait pas trop vivement ceux près de qui il avait accès. Un premier refus ne le décourageait pas. La moindre hésitation suffisait à lui donner de l'espoir. Il laissait agir le temps[88]. Puis, par des promesses[89], par l'octroi d'une charge[90], même par de l'argent offert à propos[91], il hâtait, au moment décisif, le résultat patiemment attendu. Il étalait, dit saint Grégoire de Nazianze, devant tous les yeux les honneurs et les profits, par un marchandage plus digne d'un esclave que d'un roi[92]. Et l'on finissait par voir, ajoute triomphalement Libanius, ceux qui avaient d'abord opposé un refus aux avances de Julien, conduisant, eux aussi, le chœur autour des autels des dieux[93]. Cette persécution douce, alléchante plutôt que contraignante, selon l'expression de saint Jérôme[94], fit de nombreuses victimes, surtout parmi les gens en place. On cite, entre les apostats les plus en vue, le comte Julien, oncle de l'empereur, dont nous avons déjà parlé[95] ; le trésorier Elpidius, à qui la ferveur affectée de son zèle païen valut le surnom de sacrificateur[96] ; le surintendant Félix, récent ami des dieux, et qui t'a pris pour guide dans la connaissance des immortels[97], écrit Libanius à Julien. Beaucoup de chrétiens, soit par ambition, soit par faiblesse, allèrent d'eux-mêmes au-devant de la tentation, et, comme dit encore saint Jérôme, tombèrent volontairement[98]. Il en est qui se détachèrent sans aucun effort du tronc chrétien, auquel ils ne tenaient que par une fibre déjà rompue. Tel cet évêque d'Ilion, Pégase, dont nous avons parlé ailleurs. L'empressement de ces transfuges était vite récompensé[99]. Pégase reçut un rang élevé dans le clergé païen réorganisé : à un adorateur des dieux, que scandalisait cette rapide fortune, Julien répondit par une lettre où il racontait le passé du renégat, et se portait garant de sa sincérité. Si tu veux m'obéir, écrit-il, tu honoreras non seulement celui-ci, mais encore tous les autres convertis, afin que les uns écoutent volontiers l'appel que nous leur adressons pour les ramener au bien, et que nos ennemis aient moins lieu de se réjouir. Si nous repoussons ceux qui viennent d'eux-mêmes à nous[100], personne ne répondra de bonne grâce à nos invitations[101]. Au nombre de ces ralliés de la première heure fut un sophiste de Constantinople, dont le nom a paru aussi dans l'histoire de la jeunesse de Julien. Quand celui-ci eut été autorisé par Constance à continuer ses études dans cette ville, il suivit les cours d'un professeur de rhétorique, plus remarquable peut-être par le zèle qu'il affectait alors pour le christianisme que par sa valeur littéraire, Ecebole. Mais dès que Julien, dix ans après, reparut en vainqueur à Constantinople, Ecebole se sentit subitement ébranlé dans ses premières croyances. Non seulement il se fit païen, mais il se distingua entre tous par la ferveur de son paganisme, et passa au premier rang des idolâtres, — en attendant le jour où, Julien ayant à son tour disparu, Ecebole se prosternera de nouveau sur le seuil de l'église, en criant à ceux qui entraient : Foulez-moi aux pieds, comme un sel qui a perdu sa saveur ![102] Mais Julien était trop pressé d'enrôler des convertis, pour examiner de très près les motifs et la solidité de leur conversion : si celle de ses lettres qui porte l'adresse d'Ecebole est authentique[103], elle le montre en coquetterie littéraire avec son ancien maitre, et lui ayant rendu toute sa faveur. Julien mettait un grand prix à la conversion des gens de lettres ou des savants de profession. Parmi ceux qu'il essaya de gagner était un médecin attaché à la cour et déjà célèbre, Césaire, le frère de Grégoire de Nazianze. Selon l'usage alors trop répandu, Césaire n'était pas encore baptisé[104] : mais il professait ouvertement les croyances chrétiennes. Julien lui conserva néanmoins ses fonctions. Ce fut pour sa famille, pour ses amis de Nazianze, la cause d'un grand trouble. On se doutait que Julien livrerait à la fidélité religieuse de Césaire de fréquents et d'insidieux assauts. Son père, le vieil évêque de Nazianze, avait cessé de prononcer son nom : on n'osait parler de lui à sa mère, l'austère chrétienne Nonna. Grégoire, son frère, lui écrivait des lettres éloquentes, pour le presser de quitter la cour, tremblant de le voir tomber dans la catégorie méprisée des chrétiens qui tolèrent et se laissent tolérer, ou dans les rangs plus méprisés encore de ceux qui, par ambition, font des choses indignes de leurs croyances[105]. Mais Césaire parait avoir été de ces hommes qui, tout en demeurant fidèles à la foi de leurs familles et de leur enfance, ne s'arrachent qu'avec peine à la servitude dorée de la cour. Selon une spirituelle expression de son frère, s'il évitait de se brûler au feu, il se laissait sans trop de répugnance noircir par la fumée[106]. On doit croire aussi que, médecin renommé pour sa science, et toujours avide de savoir, Césaire trouvait à Constantinople plus qu'ailleurs les ressources nécessaires à l'observation et à l'étude. Il resta donc, aussi longtemps que Julien ne le mit pas en demeure d'abjurer. Ce jour-là seulement, et avec une singulière vigueur, il se ressaisit. Le dénouement vint, après une discussion en règle entre l'empereur et le savant. Si l'on en croit saint Grégoire de Nazianze, Césaire parait les coups de son adversaire, repoussait ses attaques avec l'adresse et la facilité d'un beau joueur : il déchirait sans effort toutes les mailles de l'argumentation dans laquelle le royal controversiste essayait de l'enlacer. Le moment vint, cependant, où Césaire se lassa du combat de paroles dont son âme même était l'enjeu : et il termina brusquement la controverse, en s'écriant : Je suis chrétien, et le resterai toujours. Julien, qui reconnut en lui la ténacité des deux Grégoire, ne put, à cette parole, s'empêcher de dire : L'heureux père ! mais les malheureux enfants ! Ne voulant pas, cependant, lâcher encore prise, et ne se résignant pas à se séparer de Césaire, il renvoya la suite de la discussion à une future audience : mais Césaire ne l'attendit pas, et, exilé volontaire, alla rejoindre sa famille en Cappadoce[107]. Césaire est peut-être un des derniers fonctionnaires chrétiens qui soient sortis du palais. Sa retraite parait être du milieu de 362, un peu avant le départ de Julien pour l'Asie. Il y avait plusieurs mois que Julien, achevant l'épuration commencée dès son arrivée à Constantinople, avait mis tous ceux qu'il avait d'abord conservés dans la maison impériale en demeure de sacrifier ou de perdre leur emploi[108]. Cette mesure fut la préface d'une autre plus générale, étendant cette mise en demeure aux magistrats civils et aux chrétiens de l'armée. Aux yeux de Julien, il n'y avait rien là qui ressemblât à, un acte de persécution. Julien croyait avec sincérité être tolérant. J'en atteste, les dieux, écrivait-il, je ne veux ni massacrer les Galiléens, ni les maltraiter contrairement à la justice, ni leur faire subir aucun mauvais traitement[109]. Son libéralisme n'allait pas plus loin que cette tolérance, qui d'ailleurs était à peu près forcée. Comme le dit un historien du cinquième siècle, Julien n'ignorait pas qu'il eût été d'une souveraine imprudence d'essayer de contraindre par des supplices à sacrifier des hommes qui ne le voulaient pas. C'est à peine si, dans chaque ville, ses magistrats et ses juges eussent suffi à dénombrer et à inscrire les chrétiens. Il ne pouvait donc les empêcher de se réunir et de prier à leur guise. Il savait d'ailleurs que la violence est de nul effet dans les choses qui dépendent de la libre volonté[110]. Mais cette tolérance toute négative n'avait rien de commun avec l'impartialité. Julien déclarait tout haut son intention d'être partial. Je dis qu'il faut leur préférer des hommes qui respectent les dieux, et cela en toute rencontre. Car la folie des Galiléens a pensé tout perdre, tandis que la bienveillance des dieux nous a sauvés tous[111]. C'est en vertu de ce principe que Julien à la fois consentait à laisser les chrétiens vivre et suivre leur religion, mais les excluait du service de l'État. En cela, il rétrogradait de plus d'un demi-siècle, car Constantin et ses successeurs avaient admis indifféremment aux fonctions publiques les adhérents des deux cultes[112]. Julien n'était point persécuteur, si l'on n'est persécuteur qu'a, condition de répandre du sang ; mais il l'était vraiment, si le fait d'un persécuteur est de tendre des pièges aux consciences, et de les placer entre l'intérêt et le devoir. Persécuteur des chrétiens, mais non jusqu'au sang, a dit un historien païen[113] : cette parole d'Eutrope, qui fut contemporain de Julien, et servit sous ses ordres, est le vrai jugement de l'histoire sur des mesures comme celle que nous rappelons. Si l'on en croit les historiens Rufin et Socrate, Julien aggrava encore d'un sarcasme l'ordonnance relative aux magistrats civils. A quoi bon, dit-il, — et ce qu'on connaît de son style officiel permet de croire que ce propos fut répété dans les considérants de celle-ci, — confier l'administration des provinces à des chrétiens, quand leur loi leur défend d'user du glaive pour punir les délinquants ?[114] L'assertion est fausse, et Julien connaissait trop bien la doctrine chrétienne pour ne pas ignorer qu'une telle défense n'y fut jamais contenue. Mais, en le supposant contre toute bonne foi, il réveillait un préjugé païen, et se rattachait à la lignée des adversaires du christianisme qui, dès l'origine, s'étaient plu à représenter les fidèles comme impropres aux devoirs de la vie publique[115]. On a peu de détails sur l'effet produit par l'ordonnance interdisant les emplois civils aux chrétiens. On ne saurait même dire si elle fut restreinte aux magistratures élevées, aux gouvernements des provinces, aux grandes charges de judicature qui conféraient le droit de glaive[116], on si elle s'étendit aux charges moindres et aux petits emplois. Les expressions dont se servent Rufin et Socrate favorisent la première hypothèse[117]. Elles expliqueraient, dans ce cas, que Libanius, oubliant volontairement l'exclusion des hautes fonctions, et ne voulant songer qu'aux emplois secondaires, ait dit, dans une pièce adressée, vingt-cinq ans plus tard, à l'empereur Théodose, que Julien n'interdit pas aux chrétiens les fonctions publiques[118]. Socrate raconte que beaucoup de fonctionnaires ne résistèrent pas à, l'épreuve ; mais que celle-ci fut comme le creuset où les chrétiens de bon aloi furent distingués des autres[119]. Il y eut donc, du côté des magistrats civils, des résistances et des chutes, des démissions généreusement données, des faveurs achetées lâchement, sans que l'on puisse dire qui l'emporta en nombre, ceux qui se tinrent debout ou ceux qui succombèrent. Ce que l'on sait, c'est que l'opinion publique jugea sévèrement ces derniers. Un contemporain, Asterius d'Amasée, le dit en termes énergiques. Il montre les renégats portant un stigmate au front, et errant dans les villes comme des objets d'horreur. On les désignait du doigt, comme des traîtres qui avaient renié le Christ pour un peu d'argent. Le nom de prévaricateur s'imposait sur eux, comme des chevaux sont marqués au fer rouge[120]. On conne avec plus de détails l'effet de l'ordonnance de Julien sur l'armée, et l'accueil qu'elle reçut tant des officiers que des soldats chrétiens. Des militaires de tout ordre Julien devait croire qu'il aurait facilement raison. Il était l'élu des soldats. L'armée avait été associée à tout ce qu'il y avait de pur dans sa gloire et dans ses services. Une partie de l'armée lui tenait par un autre lien, celui de la complicité dans la révolution militaire à laquelle il devait le souverain pouvoir. Ces sentiments, communs au chef et à ses troupes, fortifiés encore par la discipline, semblaient promettre un succès rapide à toute tentative de l'empereur pour paganiser les soldats. Déjà, semble-t-il, l'œuvre était plus qu'à moitié faite, au moment où Julien s'établit à Constantinople et commença la restauration officielle de l'hellénisme. Depuis le pronunciamento de Paris, au printemps de 360, jusqu'à l'entrée des troupes à Constantinople, en décembre 361, Julien avait, par degrés, s'enhardissant à mesure que se dessinait la victoire, introduit dans l'armée le culte des dieux. Tout d'abord, il avait usé de ménagements, et procédé avec une extrême prudence, Dans les harangues qu'il adresse à ses soldats, il n'emploie que ce style neutre, familier à la fois aux chrétiens et aux païens, dans lequel chacun reconnaît aisément ses propres opinions. Au moment de quitter la Gaule pour se lancer dans son aventureuse entreprise contre Constance, il sacrifie en secret à Bellone, mais devant ses troupes il parle de Dieu, et non des dieux[121]. Il est encore, dit Ammien, incertain de la foi des soldats[122]. Il semble même les croire en majorité chrétiens, et avoir peur d'une manifestation de leurs sentiments[123]. C'est longtemps après son départ de Gaule, pendant son séjour en Illyrie, dans l'automne de 361, qu'il sacrifie publiquement en présence de l'armée, et se conduit devant elle en prince païen[124]. Cependant le labarum de Constantin flotte encore en tête des légions, le chrisme orne comme autrefois la hampe et le voile de leurs enseignes. Seulement après la mort de Constance et l'entrée à Constantinople, quand il a été reconnu par tous, et est devenu souverain incontesté, Julien supprime le labarum, et remplace par des emblèmes païens les croix qui brillaient sur les drapeaux[125]. Sans doute les chrétiens, nombreux dans l'armée, virent avec souffrance ces changements progressifs, aboutissant à la profanation des étendards. Mais, pour ceux mêmes d'entre eux dont la foi était la plus délicate, il n'y avait là aucune raison de quitter le service. Aux siècles précédents, officiers et soldats avaient, sans distinction de croyances, combattu sous des drapeaux ainsi décorés. Tant qu'on ne leur demanda aucun acte positif d'idolâtrie, les militaires chrétiens demeurèrent sans répugnance, à toute époque, dans les troupes romaines. Pour les en faire sortir, il avait fallu, soit les mesures d'intolérance qui amenèrent en divers temps le martyre de plusieurs d'entre eux, soit une épuration de l'armée comme celle qu'entreprirent, à la fin du troisième siècle, Galère et Dioclétien[126]. C'est ce dernier exemple que suivit Julien. Comme ces deux persécuteurs, il déclara, par une loi, l'incompatibilité de la profession militaire et du christianisme. On ne put garder son grade ou sa situation dans l'armée qu'à la condition d'avoir pris part à un sacrifice et abjuré de fait la qualité de chrétien[127]. Ici encore, les chutes furent nombreuses[128]. Parmi les militaires chrétiens, il y en avait beaucoup qui ne l'étaient guère que de nom. Ceux-ci professaient, avant tout, la religion du souverain. Sous Constantin et Constance, ils avaient jugé commode ou avantageux de croire ce que croyaient ces empereurs : ils n'éprouvèrent pas une grande répugnance à, suivre la consigne nouvelle que leur proposait Julien. De ceux-là, soit par lui-même, soit par les magistrats qui se firent les interprètes de ses désirs[129], Julien eut facilement raison. Attachés aux honneurs, simples d'esprit, n'ayant d'autre loi que la volonté du prince[130], esclaves, aujourd'hui comme hier, du temps et des circonstances[131], ils se laissèrent aisément persuader, et, selon le mot de Libanius, coururent aux autels, se disputant à qui offrirait l'encens[132]. Il faut dire, pour être complet, que nul appât ne fut négligé. Julien ne craignit pas d'acheter ces consciences grossières. Ce n'est pas un adversaire comme Grégoire de Nazianze qui l'affirme, c'est Libanius, avec la pensée d'en faire gloire à son prince. Julien, dit-il, pensait que ni le nombre des soldats, ni la force des glaives, ni la solidité des boucliers ne valent, tant que les dieux ne combattent pas avec l'armée ; aussi, là où ne suffirent point les paroles, il employa l'or et l'argent comme moyens de persuasion[133]. Sur plus d'un, cependant, ces amorces honteuses restèrent
sans effet. Il y en eut, dit un contemporain, qui repoussèrent les efforts de
Julien, et se montrèrent aussi inébranlables qu'un
ferme rempart vainement battu par une frêle machine de guerre[134]. Ces fidèles
chrétiens ne se trouvèrent pas seulement dans les rangs des petits, de ceux qui font nombre, et dont on ne sait
pas le nom[135] ; on compta parmi
eux beaucoup de chefs illustres et d'hommes élevés
en dignité, de ceux qu'on se fût attendu à voir céder par attachement aux
honneurs ou par crainte de la disgrâce[136]. Malheureusement
leurs noms, certainement connus de tous au moment où saint Grégoire écrivait
ces lignes, n'ont pas été conservés par les historiens. Parmi les officiers
qui, mis en demeure de sacrifier, aimèrent mieux
déposer les insignes de leur grade que d'abandonner leur religion[137], on en cite
deux que l'éclat de leur fortune future maintint plus que les autres dans le
souvenir de la postérité, puisqu'ils devinrent empereurs. L'un est
Valentinien, tribun dans la garde impériale[138]. Théodoret[139] et Sozomène[140] racontent
qu'ayant reçu sur son manteau militaire une goutte d'eau lustrale, un jour
que son service l'obligeait à escorter Julien au temple, il coupa
publiquement le pan d'étoffe souillé par cette aspersion païenne, et le jeta
à terre avec horreur. On ajoute qu'il fit de vifs reproches au prêtre des
idoles, et s'emporta jusqu'à le frapper. Son indignation, que peut-être
quelque complaisant avait fait remarquer au prince[141], le trahit : on
le somma de sacrifier. Il refusa. Sa dégradation fut prononcée[142]. L'autre
officier dont la dégradation pour refus de sacrifice est racontée est Jovien,
qui appartenait aussi à la garde de l'empereur[143], et avait été,
en 361, chargé de conduire à Constantinople le convoi funèbre de Constance[144]. Dans les paroles empruntées tout à l'heure de saint Grégoire, il est question des petits, de ceux qui font nombre, c'est-à-dire, pour le sujet qui nous occupe, des simples soldats ou au moins des officiers inférieurs. L'historien Socrate, qui parle en deux endroits de l'alternative imposée par Julien aux militaires, semble indiquer, en effet, qu'elle s'appliquait sans distinction à tous ceux qui servaient dans l'armée, gradés ou non gradés. A première vue, on ne le comprend pas très bien pour ces derniers. Que la démission forcée soit pour un officier la plus cruelle des extrémités, nul n'y contredira ; et l'on comprend que Julien, comme avant lui Dioclétien et Galère, ait pu spéculer sur le combat qui devait se livrer dans le cœur de l'homme épris du métier des armes, en ayant fait toute sa carrière, y ayant mis tous ses rêves d'avenir et de gloire, et contraint d'y renoncer s'il veut demeurer fidèle à ses devoirs religieux. Mais il semble que la question se pose autrement pour les simples soldats, auxquels le service militaire semble le plus souvent un fardeau. Peut-être, cependant, en était-il autrement au quatrième siècle. Le service militaire durait alors pendant la plus grande partie de la vie d'un homme : après la libération, il engendrait encore, pour les légionnaires, des obligations et des avantages : c'était vraiment une profession. Le temps n'était plus des séditions comme celle qui éclata, sous Tibère, parmi les légions de Germanie[145] : le camp avait cessé de paraître au soldat un lieu d'exil : il était devenu une patrie, une ville, un foyer, où toutes ses affections comme tous ses intérêts avaient fini par se concentrer. Recruté désormais par des engagements volontaires plutôt que par la conscription, le soldat romain avait reçu la permission de se créer une famille : sa femme et ses enfants vivaient aux environs du camp, où lui-même n'était plus appelé qu'aux heures de service : des esclaves prenaient soin de ses armes et de ses bagages : des sociétés de plaisir ou de secours mutuel, dont la trace est fréquente dans les inscriptions, s'étaient formées entre militaires, et leur avaient fait connaître les charmes comme les avantages de l'association, si goûtés dans le monde romain. Peu à peu, autour de chaque castrum, avaient grandi de vraies cités, pourvues de tous les agréments de la civilisation. La vie se passait presque tout entière pour le soldat, soit dans les garnisons de l'intérieur, soit dans ces camps permanents, établis aux frontières comme de véritables citadelles, d'où il était tiré quelquefois pour des expéditions lointaines, mais où il revenait comme à son centre naturel, domicile invariable de sa cohorte ou de sa légion. Vétéran, à la sortie du service il recevait ordinairement des terres, et les moyens de les cultiver. Le soldat de carrière trouvait donc, dans la profession des armes, des avantages supérieurs à ceux que, dans bien des cas, lui eût offerts la vie civile[146]. On comprend que placé, lui aussi, entre la crainte de perdre ces avantages et la fidélité qu'il devait à sa religion, plus d'un chrétien, simple soldat, ait eu besoin d'une véritable force d'âme pour refuser, comme le firent un grand nombre au témoignage de saint Grégoire de Nazianze, l'apostasie demandée par l'empereur. Julien employait la ruse pour obtenir celle des soldats, même à leur insu. La ruse était un des moyens préférés par son esprit compliqué. Ce qu'il cherchait, c'était moins de contraindre les chrétiens que de les faire tomber comme par hasard, et de profiter de cette chute accidentelle pour leur persuader qu'ils ne pouvaient plus se relever. Il excellait à tendre des pièges. C'est ainsi qu'auprès de ses portraits exposés, sous forme de statues ou de tableaux, dans les lieux publics, il ne plaçait point, selon l'usage, des figures allégoriques de villes offrant des dons, de captifs enchaînés, de magistrats agenouillés, de Victoires tenant des couronnes, mais bien des images de divinités, afin qu'après avoir salué, selon l'usage, l'effigie impériale, les chrétiens parussent avoir adoré celle de quelque dieu. Ceux qui, avertis, passaient sans saluer étaient punis pour avoir manqué de respect à l'empereur : ceux qui saluaient étaient considérés comme ayant abjuré[147]. Un moyen de ce genre fut employé pour compromettre de la même manière les soldats. Julien faisait un jour à son armée une de ces distributions extraordinaires par lesquelles on célébrait les fêtes nationales, les anniversaires impériaux ou les victoires. Près du tribunal où il était assis fut placé un autel, sur lequel on avait allumé du feu. Chaque soldat reçut l'ordre de jeter dans le feu un grain d'encens, quand il s'approcherait de l'empereur pour recevoir l'argent de sa main. C'était, disait-on, le vieil usage romain, restauré comme tant d'autres choses de la discipline traditionnelle. Plusieurs soldats chrétiens ne virent pas le piège, et firent sans hésitation ce qui leur était commandé. D'autres sentirent qu'en obéissant ils sacrifiaient à la manière païenne : mais la cupidité, la peur, l'entraînement de l'exemple, les firent passer outre. Il y en eut de plus braves qui refusèrent de briller l'encens, et renoncèrent au présent de l'empereur. Quelques-uns feignirent d'être malades, pour ne pas assister à la distribution. On raconte qu'après celle-ci, plusieurs soldats chrétiens,
prenant leur repas avec des camarades, firent, selon leur coutume, le signe de
la croix avant de boire. Comment, leur
dit-on, pouvez-vous encore invoquer Jésus-Christ ?
vous n'êtes plus chrétiens. Ils demandèrent l'explication de cette
parole. En jetant l'encens sur l'autel, répondirent
leurs camarades, vous avez fait acte de paganisme et renié le Christ.
Furieux d'avoir été joués, les soldats se levèrent, et coururent sur la place
publique, protestant tout haut de leur foi. On les entendait crier : Nous sommes chrétiens ; nous voulons que tout le monde le
sache, et que Dieu l'entende. Nous n'avons pas renié Jésus-Christ et abjuré
notre baptême. Si notre main a failli, la volonté n'y a point eu de part.
L'empereur nous a trompés. Non contents de protester ainsi, d'exhorter
leurs amis à les imiter, les soldats se rendirent au palais, pénétrèrent
jusqu'à Julien, et jetèrent à ses pieds l'argent qu'ils avaient reçu. Immole-nous, lui dirent-ils, à Jésus-Christ, notre seul roi, qui nous tient lieu de
toutes choses. Si l'on en croit l'historien Théodoret[148], Julien les
condamna à avoir la tête tranchée. Ils furent conduits hors de la ville,
suivis d'une grande foule, qui témoignait hautement de sa sympathie pour les
condamnés[149].
Le moment de l'exécution étant arrivé, le plus âgé des soldats demanda au
bourreau de commencer par le plus jeune, nommé Romain : il craignait que la
vue du supplice des autres n'ébranlât le courage de celui-ci. Au moment où
Romain, les yeux bandés, attendait le coup mortel, survint un messager de
l'empereur, annonçant une commutation de peine. Hélas
! Romain n'était pas digne de porter le nom de martyr de Jésus-Christ !
s'écria en se relevant le jeune condamné. Théodoret ajoute que les soldats
furent relégués à l'une des extrémités de l'Empire, avec défense d'entrer
dans les villes. On ne sait de quel document Théodoret a tiré ces détails.
Saint Grégoire de Nazianze dit seulement que l'empereur
ne voulut cependant pas les mettre à mort, pour ne pas faire d'eux des
martyrs, et les punit de l'exil[150]. Sozomène
s'exprime un peu autrement : L'empereur,
dit-il, quoique gravement offensé, ne prononça pas
la peine capitale, afin de ne pas leur accorder l'honneur du martyre ; mais,
après les avoir déclarés exclus de la milice, il les chassa du palais[151]. L'exclusion de la milice, telle était la peine de tous les soldats qui se déclaraient chrétiens. Pour les autres, l'apostasie était facilement présumée : il suffisait d'avoir accompli une formalité comme celle qui avait accompagné la remise du donativum pour être classé parmi les païens. Un peu de feu, un peu d'or, un peu d'encens, défirent, dit saint Grégoire, une armée qui avait vaincu tout l'univers, sans que la plupart s'aperçussent même du coup qui les frappait[152]. Julien se contentait volontiers des apparences, et prenait souvent ses désirs pour des réalités. |
[1] Methyr X die mensis post cons. Tauri et Florenti... Historia acephala, 9.
[2] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XXI, 16.
[3] Ammien Marcellin, XXII, 11.
[4] Ammien Marcellin, XXII, 11 ; saint Épiphane, Hæres, LXXVII.
[5] Saint Athanase, Apol. ad
Constant., 32 ; Hist. arian. ad monach., 70-72.
[6] Saint Athanase, Ép. Heort.
(dans Migne, Patr. græc., t. II, p. 1357) ; Hist. acephala, 6.
[7] Hist. acephala, 6.
[8] Hist. acephala, 7.
[9] Julien, Ép. 10 ; Hertlein, p. 490.
[10] Ammien Marcellin, XXII, 11.
[11] Sozomène, Hist. ecclés., V, 7. — Socrate, III, 2, dit que l'on exhiba des crânes humains, anciens et nouveaux. Le récit de Sozomène est à préférer, car, ainsi que le remarque F. Cumont (Textes et monuments, t. I, p. 69 ; t. II, p. 42, 45), Socrate se fait ici l'écho du préjugé populaire, qui imputait sans preuves aux mithriastes des sacrifices humains.
[12] Socrate, III, 2 ; Sozomène, V, 7.
[13] Hist. acephala, 6.
[14] IIII die mensis ejusdem (cyaci) prf. Gerontius nuntiavit mortem Constantii imperatoris et quod solus Julianus tenuit universum imperium. Hist. acephala, 8.
[15] Ammien Marcellin, XXII, 11 ; Historia acephala, 8 ; Chronique d'Alexandrie, ad ann. 362 ; Philostorge, VII, 2 ; Socrate, III, 2 ; Sozomène, V, 7 ; saint Épiphane, Hæres., LXVI. — Les détails donnés par Ammien (assez mal renseigné sur les faits d'Alexandrie, car il place la mort de Georges après l'exécution d'Artemius, qui lui est postérieure de plusieurs mois) diffèrent de ceux que rapporte le document le plus sûr pour les affaires d'Égypte, l'Historia acephala. Je reproduis ici le récit de l'Acephala faisant suite au texte donné dans la note précédente : Quo audito, cives Alexandrini et omnes contra Georgium clamaverunt eodemque momento sub custodia illum constituerunt. Et fecit in carcere vel ferro vinctus ex prædicto die cyac IIII usque ad XXVII ejuadem mensis diebus XXIIII. Nam XXVIII die ejuadem mensis mane pene omnis populus illius civitatis produxit de carcere Georgium necnon etiam comitem qui cum ipso erat insistentem fabricæ dominicæ, qua dicitur Cæsariana. Et occiderunt ambos et eorum corpora circumduxerunt per mediam civitatem, Georgii quidem super camelum, Dracontii vero homines funibus trahentes, et sic injuriis adfectos circa horam VII diei utriusque corpora combusserunt. Je cite (en corrigeant l'orthographe) l'édition du ms. de Vérone donnée par Mgr Batiffol, dans Mélanges de littérature et d'histoire religieuse, publiés à l'occasion du jubilé épiscopal de Mgr de Cabrières, 1899, p. 102.
[16] Ammien Marcellin, XXII, 11.
[17] Ammien Marcellin, XXII, 11. — Les ariens accusèrent les partisans d'Athanase d'avoir été les meurtriers de l'évêque intrus. (Socrate, III, 2 ; Sozomène, V, 7.) Le récit d'Ammien réfute suffisamment cette accusation, qui se trouve également contredite par la lettre 10 de Julien. Celui-ci eût sans doute mieux aimé, dit à ce propos Sozomène, que les païens fussent les auteurs de la mort de Georges, mais il ne put cacher la vérité. Cependant saint Grégoire de Nazianze semble imputer le meurtre de Georges au peuple entier (Oratio XXI, 27), ce qui impliquerait les chrétiens aussi. Mais le rôle de ceux-ci est indiqué avec une plus grande précision par Ammien, qui les montre n'agissant pas, laissant faire. Cette responsabilité atténuée suffit à expliquer les paroles, d'ailleurs vagues et oratoires, de Grégoire de Nazianze.
[18] Julien, Ép. 10 ; Hertlein, p. 490.
[19] Le message se termine par cette clause officielle : Que ceci soit notifié à mes concitoyens d'Alexandrie. Julien, Ép. 10 ; Hertlein, p. 489-490.
[20] Hertlein, p. 489.
[21] Julien, Ép. 9 ; Hertlein, p. 487.
[22] Julien, Ép. 36 ; Hertlein, p. 532.
[23] Ammien Marcellin, XXII, 5.
[24] Ammien Marcellin, XXII, 5.
[25] Julien, Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, Contra Julianum, X ; Neumann, p. 228.
[26] Ammien Marcellin, XXII, 5.
[27] Socrate, II, 38 ; Sozomène, IV, 20.
[28] Ammien Marcellin, XXII, 5.
[29] Sozomène, V, 4.
[30] Ammien Marcellin, XXII, 5.
[31] Ammien Marcellin, XXII, 5.
[32] Socrate, III, 1.
[33] Julien, Ép. 52 ; Hertlein, p. 560 ; Socrate, III, 1 ; Rufin, I, 27.
[34] Voir les exemples cités par Tillemont, Mémoires, t. VI, p. 497-498.
[35] Schwarz, De vita et scriptis, p. 38.
[36] Julien, Ép. 31 ; Hertlein, p. 522.
[37] Julien, Ép. 31 ; Hertlein, p. 522.
[38] Cf. saint Luc, XXIII, 11.
[39] Cette suscription est peut-être l'œuvre d'un des premiers éditeurs de la correspondance.
[40] Voir Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 508.
[41] Philostorge, IX, 4.
[42] Le fragment de cette lettre, publié en latin par Facundus, Pro defens. trium capit., IV, 7, a été reproduit par Hertlein, sous le n° 79 de la correspondance de Julien, p. 605-606. — Sur les doctrines de Photin, voir Tillemont, Mém., t. VI, p. 828-329. — Autre allusion de Julien à Photin, dans saint Cyrille, Contra Julianum, VIII ; Neumann, p. 214.
[43] Mansi, Concilia, t. II, p. 463.
[44] Publié par Baronius, et reproduit par Humbert, art. Cursus publicus, dans Dict. des antiquités, t. I, p. 1665, note. Il est accordé à trois évêques donatistes, mandés au concile.
[45] Eusèbe, De vita Const., III, 6.
[46] Ammien Marcellin, XXI, 16.
[47] Saint Hilaire, Fragm. III, 25.
[48]
... Cursum publicam fatigavit quorumdam immoderata
præsumptio et exactionum frequentia. Code Théod., VIII, V, 12. — Cf. Libanius, Epitaphios
Juliani ; Reiske, t. I, p. 569.
[49] A en croire Libanius, il y remédia si bien, que l'on tomba dans l'excès contraire. On vit, chose incroyable ! les muletiers obligés d'exercer les mules, les cavaliers de faire trotter les chevaux, parce que mules et chevaux, qui avaient souffert autrefois de l'excès de fatigue, succombaient maintenant à l'abus de l'oisiveté. Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 570. Il est probable que nous nous trouvons ici en présence d'un autre abus, celui de la rhétorique.
[50] Julien, Ép. 31 ; Hertlein, p. 522. — Quand il manda Maxime et Chrysanthe, il poussa les prévenances jusqu'à leur envoyer une escorte. Eunape, Vita soph., Maximus, p. 476.
[51] Socrate, IV, 1.
[52] Ammien Marcellin, XXV, 4 ; Libanius, Epitaphios Juliani (Reiske, t. I, p. 584) ; Ép. 624 ; Code Théodosien, X, III, 1 ; cf. X, I, 8. — Voir le Christianisme et l'Empire romain, 4e édit., p. 240-243.
[53] Sozomène, V, 5.
[54] Code Théodosien, XII, I, 50.
[55] Julien, Ép. 11 ; Hertlein, p. 491.
[56] Ammien Marcellin, XXII, 9.
[57] Libanius, Epitaphios Juliani.
[58] Ammien Marcellin, XXII, 9.
[59] Ammien Marcellin, XXV, 4.
[60] Saint Jean Chrysostome, In S. Babylam contra Julianum et Gentiles, 22.
[61] Proximo autem die methyr X die mensis post cons. Tauri et Florenti, Juliani imper. præceptum propositum est quod jubebatur reddi idolis et neochoris et publicæ rationi quæ præteritis temporibus illis ablata sunt. Historia acephala, 9. — A cette même date le consulat de Mamertin et Nevitta n'était probablement pas connu à Alexandrie, puisque le document auquel se réfère ici l'Historia acephala nomme le post-consulat de Taurus et Florentius.
[62] Post
dies autem III methyr XIIII datum est præceptum Gerontio prf. ejusdem Juliani imp.
nec non etiam vicarii Modesti præcipiens episcopos omnes functionibus antehac
circumventos et exiliatos reverti ad suas civitates et provincias. Eæ autem
litteræ sequenti die methyr XV propositas sunt. Historia
acephala, 10.
[63] Saint Athanase, Apol. ad Const.,
32 ; Hist. arian. ad monach., 70-72.
[64] Postmodum
autem et prf. Gerontii edictum propositum est per quod vocabatur episcopus
Athanasius ad suam reverti ecclesiam. Hist.
aceph., 10.
[65] Et post dies XII hujus edicti propositionis Athanasius visus est apud Alexandriam ingressusque est ecclesiam eodem m. methyr die XXVII. Hist. aceph., 10.
[66] Actes des Apôtres, V, 15.
[67] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XXI, 27-29.
[68] Julien, Ép. 26 ; Hertlein, p. 514. La lettre porte pour titre : Édit aux Alexandrins. Rödes (Geschichte der Reaction Kaiser Julians gegen die christliche Kirche, p. 80) la croit contemporaine de la lettre 6, qui est du mois d'octobre. Schwarz (De vita et scriptis, p. 38), avec plus de raison, la place peu de temps après le retour d'Athanase, vers la fin de mars. F. Cumont (Sur l'authenticité de quelques lettres de Julien, p. 20) la croit dictée par l'empereur même, et non rédigée, comme d'autres édits, par des secrétaires.
[69] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XXI, 32.
[70] Julien, Ép. 6 ; Hertlein, p. 484.
[71] Cette lettre a indigné les chrétiens ; on trouve à la suite, dans l'un des manuscrits, cette exclamation, reproduite probablement d'après l'un des plus anciens copistes : celui-ci était un bienheureux, chien impur, prévaricateur trois fois maudit et trois fois malheureux ! » Bidex et Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite des lettres de l'empereur Julien, p. 25, note 2.
[72]
... Die phaoph
XXVII proposuit Julianus imperator edictum ut Athanasius episcopus recederet de
[73] Sozomène, V, 15. Cf. Socrate, III, 14 ; Rufin, I, 32.
[74] Quo mox egresso Olympus prf. obtemperans eidem Pythiodoro et his qui cum ipso erant hominibus difficillimis, misit ad exilium Paulum et Astericium presb. Alexandriæ et direxit eos habitare Andropolitanam civitatem. Hist. acephala, 11.
[75] Julien, Ép. 51 ; Hertlein, p. 556.
[76] Hertlein, p. 557. Cette phrase, que l'ordre logique de la pensée n'aurait pas dû amener ici, est étrange de la part d'un empereur romain.
[77] Il y a ici dans le texte une lacune.
[78] Hertlein, p. 558.
[79] Théodoret, Hist. ecclés., III, 1.
[80] Théodoret, Hist. ecclés., III, 1.
[81] Saint Optat, De schism. donat., II, 16 ; Saint Augustin, Ép. 105 ; Contra litt. Petil., II, 83.
[82] Code Théodosien, XVI, V, 37.
[83] Saint Optat, De schism. donat., II, 16-19 ; VI, 2, 5, 7.
[84] Saint Optat, De schism. donat., II, 16.
[85] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. II, p. 398-400.
[86] Saint Optat, De schism. donat., II, 18.
[87] Saint Optat, De schism. donat., II, 16.
[88] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 564.
[89] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio VII, 11.
[90] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio VII, 11.
[91] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio VII, 11. — Socrate, III, 13.
[92] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio VII, 11.
[93] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 564.
[94]
[95] Sur l'apostasie du comte Julien, Passio S. Theodoreti, 1, dans Ruinart, p. 658 ; cf. Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 735, note XXVII sur la persécution de Julien.
[96] Théodoret, III, 12 ; Philostorge, VII, 10 ; Acta S. Basilii Ancyrani, dans Ruinart, p. 652.
[97] Libanius, Pro Aristophane ;
Reiske, t. I, p. 436.
[98] In qua (persecutione) multi ex nostris voluntate propria corruerunt. Saint Jérôme, Chron., ad olymp. 288.
[99] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 19.
[100] Julien, Ép. 78 ; Hertlein, p. 605. — Rapprocher de ces expressions de Julien celle de saint Jérôme, citée plus haut, et celles de saint Grégoire de Nazianze sur les renégats qui couraient d'eux-mêmes à l'apostasie. Oratio V, 51.
[101] Julien, Ép. 78 ; Hertlein, p. 603-605.
[102] Socrate, III, 13.
[103] Julien, Ép. 19 ; Hertlein, p. 499.
[104] Cf. Saint Basile, p. 24-25.
[105] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 7.
[106] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 7.
[107] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio VII, 13. — Sur Césaire, voir Saint Basile, p. 63-65.
[108] Socrate, III, 13.
[109] Julien, Ép. 7 ; Hertlein, p. 485.
[110] Sozomène, V, 15.
[111] Julien, Ép. 7 ; Hertlein, p. 485.
[112] C'est ce que dit saint Grégoire de Nazianze : Quand nous étions puissants, qui avons-nous exclu des gouvernements et des honneurs, qui sont dus à tous les gens de mérite ? Oratio IV, 98.
[113] Eutrope, Brev., X, 16.
[114] Rufin, Hist. ecclés., I, 32.
Socrate, III, 13.
[115] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., p. 92.
[116] Le jus gladii, c'est-à-dire la juridiction capitale, le pouvoir de condamner à mort, n'appartenait, au quatrième siècle, qu'aux préfets du prétoire, aux gouverneurs des provinces, et, depuis Constantin, au préfet de l'annone. Voir Willems, le Droit public romain, p. 442, 476 ; Beurlier, au mot Gladius, dans Dict. des antiquités, t. II, p. 1608.
[117] Celles aussi de Grégoire de Nazianze, citées plus haut, qui parlent seulement d'άπχών et de τιμών, de gouvernements et d'honneurs, et ne font pas allusion aux petits emplois.
[118] Libanius, Pro templis ; Reiske, t. II, p. 203. — Cf. Sievers, Das Leben des Libanius, p. 108, note 31.
[119] Socrate, III, 13.
[120] Asterius, Hom. III.
[121] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[122] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[123] Théodoret, III, 1.
[124] Julien, Ép. 38 ; Hertlein, p. 536.
[125] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 66.
[126] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., p. 111 et suiv.
[127] Socrate, III, 22. Cf. Théodoret, III, 4.
[128] Saint Éphrem, Hymne III contre Julien ; Zeitschrift für katholische Theologie, 1878, p. 349.
[129] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 64.
[130] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 64.
[131] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 65.
[132] Libanius, Ad Julianum consulem
; Reiske, t. I, p. 399.
[133] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 578.
[134] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 65.
[135] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 65.
[136] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 65.
[137] Socrate, IV, 1.
[138] Les historiens rapportent différemment son grade, et le font soit tribun des lancearii, soit tribun des Joviens, soit tribun des scutaires, soit tribun des cornuti.
[139] Théodoret, III, 12.
[140] Sozomène, VI, 8.
[141] Zosime (IV) dit que le philosophe Maxime l'accusa (peut-être dans cette circonstance) d'avoir manqué de respect aux dieux.
[142] Socrate (IV, 1) ne parle que de dégradation, et dit même que pour Valentinien (comme pour Jovien) Julien s'en tint à la menace. Philostorge (VII, 7), Théodoret (III, 12), Sozomène (VI, 8) disent, au contraire, qu'il fut exilé, soit à Thèbes en Égypte, soit à Mélitène en Arménie, d'où on le rappela lors de la guerre de Perse. Il se peut que les historiens qui parlent d'exil (surtout Sozomène, qui place contre toute vraisemblance le fait à l'époque où Julien était encore en Gaule) fassent une confusion avec une disgrâce éprouvée sous Constance, qui, en 357, rapporte Ammien Marcellin (XVI, 12), avait déjà ôté à Valentinien un commandement qu'il exerçait en Gaule, et, selon Philostorge (VII, 7), l'avait alors envoyé servir en Mésopotamie. — Saint Ambroise (Ép. 13 ; Sermo de diversis, 2),loue la constance avec laquelle Valentinien confessa Jésus-Christ, et méprisa pour lui la cour et les honneurs du tribunat.
[143] Ammien (XVI, 16) le qualifie de protector domesticus. Rentré en grâce, comme on le verra, il deviendra en 363 domesticus ordinis primi (ibid., XXV, 5). — Sur les gardes du corps connus sous le nom de protectores domestici, voir Code Théodosien, VI, XXV. Une loi de Julien (ibid., I) a trait à cette milice.
[144] Socrate (IV, 1) dit que Valens fit le même refus que son frère Valentinien et fut aussi dégradé. Mais aucun autre historien, pas même Philostorge, si favorable cependant à Valens, ne rapporte ce fait, que l'on doit tenir pour douteux.
[145] Tacite, Ann., I, 16 et suiv.
[146] Il ne faut pas oublier que depuis Dioclétien l'enrôlement dans la milice était interdit aux fils de décurions et à tout homme capable de supporter les charges municipales, c'est-à-dire à toute la bourgeoisie riche. Code Justinien, XII, XXXIV, 2.
[147] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 80-81.
[148] Théodoret, III, 12.
[149] Ce détail, s'il est exact, indiquerait que les faits se sont passés dans une ville où la majorité de la population était chrétienne. Nous pensons qu'on doit les placer pendant le séjour de Julien à Constantinople ; si l'on croyait devoir (comme Goyau, Chronologie de l'Empire romain, p. 195) les mettre beaucoup plus tard, à la fin de 862, le même détail s'entendrait facilement du peuple d'Antioche, qui, pris en masse, était sympathique aux chrétiens.
[150] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 84.
[151] Sozomène, V, 17.
[152] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 83.