I. — Le rétablissement du culte. Quoique depuis l'enfance, écrit Ammien Marcellin, Julien eût été favorable au culte des dieux, et, à mesure qu'il grandissait, eût chaque jour plus ardemment désiré le voir renaître, la crainte l'avait jusque-là contraint de n'en accomplir les actes que dans le plus grand secret. Mais dès que tous les motifs de crainte eurent disparu, et qu'il se sentit le maitre de faire ce qu'il voudrait, il déclara ouvertement ses intentions, et, par un édit formel, ordonna d'ouvrir les temples et d'offrir des sacrifices[1]. L'édit dont parle l'historien fut rendu à Constantinople, dans les premières semaines qui suivirent la prise de possession du pouvoir par Julien. Depuis plusieurs mois, sans doute, il ne dissimulait plus ses sentiments religieux. On l'avait vu, en Illyrie, sacrifier devant son armée[2]. Tout le monde savait que, pendant sa marche vers l'ouest, et surtout durant son séjour dans les provinces danubiennes, il s'était livré avec ferveur aux pratiques de haruspicine et de l'art augural[3]. Libanius[4] et Socrate[5] s'accordent à dire que dans les villes où il passait, il faisait ouvrir les temples et immoler des victimes. Ses lettres, ses discours, attribuaient clairement aux dieux le succès de son aventureuse entreprise[6]. La longue épitre adressée par lui aux Athéniens disait sa reconnaissance et sa dévotion pour Minerve, et racontait l'assistance qu'il croyait avoir reçue des immortels dans les circonstances les plus importantes de sa vie[7]. Mais, s'il avait pris plaisir à laisser ainsi voir à tous son changement de religion, il ne l'avait pas encore affirmé par un acte officiel. On pouvait se demander dans quelle mesure ses croyances et ses pratiques personnelles influeraient sur sa politique. L'édit de Constantinople, en abrogeant toutes les lois rendues par Constance contre l'idolâtrie, en commandant de rouvrir partout les temples dont celui-ci avait ordonné la fermeture, en prescrivant d'offrir les sacrifices que celui-ci avait interdits, et aussi en rendant de nouveau licites les pratiques divinatoires qu'il avait condamnées, marquait sans équivoque possible l'orientation religieuse du nouveau règne. La joie des païens fut immense. La restauration de leur culte représentait pour eux non seulement la liberté, mais la victoire. Ils en apercevaient les conséquences sociales aussi bien que religieuses. C'était tout ensemble le triomphe d'une religion et d'un parti. On remarquera, cependant, que leurs sentiments, à ce moment de renaissance, nous sont surtout connus par des écrivains orientaux. Ammien lui-même était alors en Orient : il décrit ce qui s'est passé sous ses yeux. Libanius, Himère, vivaient en Grèce ou en Asie. Mamertin était de la suite de Julien. On n'a pas le témoignage direct d'écrivains restés en Occident. Il ne semble point que l'ordre de rouvrir les temples et de reprendre les sacrifices interrompus ait causé parmi les païens de cette partie de l'Empire l'explosion d'enthousiasme qui se fit au sein des populations idolâtres du monde hellénique et asiatique. C'est que les lois de Constance avaient produit beaucoup moins d'effet en Occident qu'en Orient. Le paganisme était encore trop puissant en Italie, et même en Gaule et en Espagne, pour que dans ces contrées elles aient pu être exécutées à la lettre. Beaucoup de temples y étaient demeurés ouverts : les fêtes du calendrier païen avaient presque toutes continué d'être célébrées : on se souvient que Constance, se pliant aux nécessités du moment, poussa l'esprit de conciliation, et aussi l'illogisme, jusqu'à nommer lui-même des titulaires aux sacerdoces du culte qu'il venait de proscrire. Aussi l'édit de Julien, tout en fortifiant la position du parti païen de Rome, et en aidant la fraction pateline du sénat romain à y maintenir sa prépondérance, ne produisit-il probablement pas, dans les contrées occidentales, beaucoup de ces changements extérieurs qui attirent l'attention des historiens et qui frappent les yeux des peuples. Il est probable que le plus considérable et le plus significatif fut le rétablissement, dans la curie, de l'autel de la Victoire, que Constance, en 357, en avait fait enlever. Parmi les innombrables inscriptions latines qui ont été retrouvées, une seule fait allusion à l'abrogation des lois dirigées par cet empereur contre le paganisme : c'est un marbre d'une petite ville de Numidie, sur lequel Julien est qualifié de restaurateur de la liberté et de la religion romaine[8]. En Orient, au contraire, où les chrétiens étaient beaucoup plus nombreux, et où le paganisme n'avait pas l'appui d'une aristocratie puissante, les lois de Constance avaient été partiellement obéies : dans beaucoup de villes, les temples avaient été fermés et les cérémonies interrompues : en certains lieux, les habitants eux-mêmes avaient démoli les sanctuaires : les biens des temples détruits ou abandonnés avaient même été distribués à des particuliers : on se souvient que certains officiers de Constance s'étaient plus ou moins légitimement enrichis des dépouilles de l'idolâtrie. L'édit abrogeant cet état de choses donnait le signal de toute une révolution. La loi qui avait ordonné la cessation des sacrifices était de 341 : celle qui avait commandé la fermeture des temples porte la date de 346[9] : dans les villes où elles avaient été observées, le culte païen avait cessé depuis vingt ans, et depuis presque aussi longtemps les idolâtres n'avaient pu même franchir le seuil clos de leurs sanctuaires. L'immense population qui vivait des sacrifices, du service des temples, de la vente des victimes, de l'art divinatoire, avait perdu ses emplois. Des sources multiples d'influence et de profit s'étaient trouvées fermées à la fois. En les rouvrant, Julien comblait d'allégresse les dévots sincères, offrait à tout un parti humilié la plus complète revanche, faisait renaître la multitude des industries et des commerces qui vivaient de l'autel païen. On s'explique les cris de joie dont Libanius, Himère, Mamertin, plus tard Eunape et Zosime, nous ont fait entendre l'écho. Il semble bien, cependant, que, pour flatter les sentiments ou la mémoire de Julien, et pour rendre plus merveilleuse la soudaine renaissance de l'ancien culte, ces écrivains aient exagéré la ruine d'où l'édit de Constantinople tira subitement l'hellénisme. Quand on se souvient des impressions éprouvées par saint Basile et par saint Grégoire de Nazianze durant leur séjour à Athènes, peu d'années avant la mort de Constance, on a peine à croire que le culte des dieux y eût tout à fait disparu, comme l'affirment Mamertin et Libanius. Il y a, dit saint Grégoire, plus d'idoles à Athènes que dans tout le reste de la Grèce, et il faut du courage pour n'y pas céder à la contagion du paganisme[10]. Cependant, au dire de Mamertin, Athènes, la créatrice des beaux-arts, avait perdu tout culte public et privé[11]. Libanius dit de même qu'Athènes put de nouveau, après une longue interruption, offrir des sacrifices[12]. Apparemment ces paroles ne doivent pas être prises à la lettre. Mamertin ajoute qu'Éleusis était devenue une misérable ruine[13] : il est certain, cependant, que la célébration des mystères n'y avait jamais cessé, pas plus qu'il n'y avait eu de lacune dans la lignée des hiérophantes : celui qui présidait au culte des grandes déesses pendant le règne de Constance[14] fut même un des guides religieux de Julien, qu'il connut à Athènes et qu'il visita en Gaule. L'hiérophante d'Éleusis était à Paris, l'on s'en souvient, quand Julien y fut proclamé Auguste par les soldats : il s'attacha dès lors à sa fortune, et l'accompagna pendant sa marche vers l'Orient. Après la mort de Constance, il fut renvoyé en Grèce, comblé d'honneurs et de présents, avec mission d'y rétablir tous les temples[15]. Si Éleusis avait connu quelque abandon et quelque décadence, c'était apparemment pendant l'absence de ce prêtre, que l'amitié ou l'intérêt avaient retenu près de Julien. Mais, en faisant ainsi la part d'erreurs peut-être volontaires, on doit reconnaître avec tous les historiens, tant païens que chrétiens, la rapidité avec laquelle, en Grèce et en Asie, les temples se rouvrirent dans la plupart des villes. Partout, écrit Libanius, partout des autels, et du feu, et du sang, partout l'odeur et la fumée des sacrifices : sur le sommet des montagnes retentissent lès trompettes sacrées : les bœufs servent à la fois au culte des dieux et à la nourriture des hommes[16]. Les anciennes fêtes sont célébrées, ajoute Mamertin, et l'on en crée de nouvelles en l'honneur du prince[17]. Tous les anciens rites, dit Sozomène, furent remis en vigueur et chaque ville reprit ses solennités locales[18]. Cependant le décret de Julien n'eût pas été complètement obéi, sinon dans sa lettre, au moins dans son esprit, si l'on s'était contenté de rouvrir les temples et de recommencer le culte païen là où il avait été suspendu. Pour donner pleine satisfaction à l'opinion de ses coreligionnaires et à ses propres désirs, Julien devait faire quelque chose de plus. S'il y avait un point de l'Empire où les dieux n'eussent pas eu d'autels et de sanctuaires, où jamais l'encens n'eût fumé en leur honneur, il était urgent de combler une aussi surprenante lacune. A vrai dire, la seule ville où celle-ci se rencontrât était précisément la seconde capitale du monde romain. On sait que, fondée par le premier empereur chrétien, agrandie et embellie par un second empereur plus ennemi encore de l'idolâtrie, Constantinople ne contenait dans sa vaste enceinte aucun édifice consacré aux dieux. Les statues de ceux-ci qui s'y rencontraient en assez grand nombre, chefs-d'œuvre empruntés aux sanctuaires célèbres de la Grèce propre ou de l'Asie hellénique, ornaient ses monuments et ses places comme des œuvres d'art, mais ne s'offraient dans aucun temple et près d'aucun autel à la dévotion des adorateurs. Julien se hâta de doter Constantinople de sanctuaires païens. Notre divin Auguste, dit le sophiste Himère, ne s'est pas contenté d'orner cette ville de somptueux édifices : le premier il a dissipé les nuages qui vous empêchaient d'élever vos mains vers le Soleil et vos regards vers les cieux. Il a bâti des temples et ordonné des sacrifices aux dieux dans la cité jusqu'alors étrangère à leur culte[19]. C'est probablement à la porte des temples neufs de sa capitale qu'il mit des sentinelles, chargées d'en écarter la nuit les gens de mauvaises mœurs[20]. Mais, malgré la rapidité avec laquelle construisaient les architectes et les maçons, auxquels Julien communiquait sans doute quelque chose de sa fiévreuse impatience, Constantinople ne put voir sortir de terre en quelques semaines les édifices commandés par l'empereur. Bien qu'accoutumée aux bâtisses improvisées[21], il lui fallait, comme les autres villes, compter avec les forces humaines et avec le temps. Julien, cependant, ne voulait pas attendre l'ouverture des nouveaux sanctuaires pour faire dans la grande ville, qui n'avait jamais vu de sacrifices[22], un acte officiel de culte . La principale basilique de Constantinople, située dans sa quatrième région, et consacrée, comme tous les édifices de ce genre, à la promenade et aux affaires, avait été ornée par Constantin d'une statue de la Fortune, que recommandait probablement sa valeur d'art. Julien vint lui-même, en grande pompe, immoler des victimes au pied de cette statue[23]. Pendant ce sacrifice eut lieu, si l'on en croit Sozomène[24], une scène émouvante. Un vieillard aveugle, qu'un enfant menait par la main, s'avança vers l'empereur, et le traita d'impie, d'apostat, d'homme sans religion. Tu es aveugle, lui répondit Julien ; ce n'est pas ton dieu galiléen qui te rendra la vue. — Je rends grâces à Dieu, dit le vieillard, de me l'avoir enlevée, pour que je ne puisse voir ton impiété. Julien garda le silence, et, sans sévir contre l'audacieux interrupteur, continua le sacrifice. Le vieillard était un évêque, Maris de Chalcédoine. Arien passionné, Maris s'était montré, au concile de Nicée, l'un des adversaires de la définition orthodoxe, et ne l'avait signée que par peur de Constantin : on le trouve ensuite mêlé à toutes les entreprises de l'arianisme, et l'un des plus ardents adversaires de saint Athanase[25]. Mais les erreurs de doctrine ou de conduite n'avaient pas étouffé en lui le sentiment chrétien, puisque, dès que la nouvelle de la restauration officielle du paganisme eut passé le détroit, il accourut à Constantinople, malgré son âge et son infirmité, pour protester publiquement contre l'apostasie de Julien. Il eût été contraire à la dignité impériale d'exposer souvent celui-ci à de pareilles scènes, ou même de le donner fréquemment en spectacle. L'étiquette voulait que le prince sacrifiât dans son propre palais. La dévotion de Julien, qui le conduisait à être, dit Libanius, en conversation fréquente avec les dieux, le porta à faire de la résidence des empereurs de Constantinople un véritable panthéon. Chaque dieu, ajoute le panégyriste, y eut son autel[26]. Il en est même un qui y eut son temple. Soit par la démolition, soit par l'adaptation de quelque construction antérieure, on ménagea, au centre du palais impérial, l'emplacement d'un sanctuaire dédié au dieu qui amène le jour, c'est-à-dire au Soleil, sous la figure du dieu persique Mithra, et probablement au-dessous construisit-on le spelæum nécessaire aux initiations[27]. Rouvrant ou relevant partout les temples, en édifiant même de nouveaux, Julien se préoccupa naturellement aussi de rendre la vie aux oracles. Ceux-ci avaient, au cours des siècles, subi des fortunes diverses. Les oracles du monde latin n'eurent jamais l'éclat des grands oracles helléniques. On y pratiquait surtout une divination mécanique, par les sorts, par les dés, par l'eau, par les animaux, par les statues. Il est difficile de dire ce qui demeurait des oracles italiques, illyriens ou gaulois à l'avènement de Julien. Probablement les statues mouvantes d'Antium existaient encore, car elles sont citées par Macrobe au cinquième siècle comme étant toujours visibles, et rendant les réponses accoutumées[28]. Mais on a, sur l'ensemble, peu de renseignements. Dans le monde grec ou oriental, nous savons que beaucoup d'oracles avaient depuis longtemps cessé de parler[29]. Les uns étaient tombés en désuétude, délaissés par leurs prêtres ou abandonnés par les fidèles : on voit, dit Julien, des oracles vaincus par les ans[30]. Il y en avait eu, chose plus étrange, d'abolis par les empereurs païens eux-mêmes, comme la source prophétique du bois de Daphné, qu'Hadrien avait fait combler de grosses pierres, de peur qu'elle ne promit l'empire à quelque prétendant, et que rouvrira Julien[31]. D'autres avaient été supprimés par Constantin, comme ceux d'Aphaque et d'Égée[32], ou pillés par lui, comme Delphes et Dodone[33]. C'est du jour où le trépied de Delphes fut porté à Constantinople que la Pythie perdit la voix. Où est aujourd'hui le temple de Delphes, si renommé chez les Grecs ? où le dieu Pythien ? où le dieu de Claros ? où le dieu de Dodone ? s'écrie un contemporain de Constantin, l'historien Eusèbe[34]. Cependant, protégés par leur éloignement ou par le fanatisme des populations, d'autres oracles persistèrent sous le règne des empereurs chrétiens. On en voit en activité au temps de Constance. Ammien Marcellin nous montre un temple fatidique[35] consulté en 353 par un des officiers de Gallus. L'oracle du dieu Besa, à Abydos en Thébaïde, répond encore en 359[36]. Celui du dieu Marnas, à Gaza, en Phénicie, durera jusqu'à la fin du quatrième siècle[37]. Nous ne savons comment s'y prit Julien pour rendre la parole aux oracles qui avaient entièrement cessé. Nous ignorons ceux qu'il tenta de ranimer, ceux qu'il désespéra de faire revivre. Probablement ses efforts furent souvent infructueux. H fallait un véritable entrainement, résultat d'une longue éducation, peut-être de traditions de famille et d'habitudes héréditaires, pour former ces prophètes et ces prophétesses que saisissait l'extase, et dont les poétiques improvisations semblaient tomber de bouches inspirées. Reconstituer ce personnel de choix, si différent de celui des devins ordinaires, était sans doute fort difficile. Julien dut plus d'une fois y échouer. On raconte[38] que son confident Oribase fut envoyé par lui à Delphes, pour engager les prêtres à rouvrir, là aussi, la source prophétique, et à relever le trépied. Ils répondirent en langage d'oracle, mais pour exprimer leur peu de foi : Allez, dites ceci au roi : ma maison avec ses décors est tombée par terre ; Phébus n'a plus de grotte, plus de laurier prophétique, plus de source parlante : l'onde murmurante elle-même a séché. Julien vint au secours de Delphes en exemptant la ville d'impôts[39]. L'oracle recouvra la voix, et s'en servira même pour faire, lors de l'expédition de Perse, une prophétie que démentiront les événements. Il est probable qu'à l'encontre de celui de Delphes, l'oracle d'Apollon Didyméen, à Milet, appartenait au petit nombre de ceux qui n'avaient pas interrompu leurs consultations. Il avait été de tout temps fort hostile aux chrétiens. Sous Dioclétien, on voit ses prêtres les dénoncer, en se lamentant de leur propre déchéance, et en l'attribuant à des justes répandus sur la terre[40]. Leur réponse en ce sens à un message impérial fut une des causes de la dernière et de la plus terrible des persécutions[41]. De tels souvenirs n'étaient pas pour rendre moins cher à Julien le temple fatidique de Milet. Aussi ne dédaigna-t-il pas d'y accepter une charge sacerdotale, en se soumettant à l'élection par le sort. J'ai été désigné par le sort pour prophétiser au nom du Didyméen, dit-il dans une de ses lettres[42]. Il était familier avec le recueil des oracles rendus dans le temple de Milet : par deux fois, dans sa correspondance, il cite l'un de ceux-ci[43]. Ce que nous venons de dire du personnel spécial aux
oracles ne s'applique pas à celui, beaucoup plus nombreux, que le
rétablissement du culte païen remit tout à coup et très facilement en
activité. Tout un clergé ressuscite, en quelque sorte, autour des temples
dont les portes longtemps fermées viennent de se rouvrir. Mystes, prêtres, flamines, hiérophantes, serviteurs des
idoles, néocores[44], reparaissent à
la lainière, comme des survivants d'un autre âge ou des émigrés rapatriés
après un long exil. Leur premier soin est de réclamer de la munificence du
prince leurs anciens honneurs, leurs anciens
privilèges, leurs anciennes exemptions, leurs anciennes rentes[45]. Julien alla
lui-même au-devant de ces requêtes en rétablissant tout le passé. Cela était
d'autant plus facile, qu'aucune loi ne l'avait aboli. Même en interdisant les
pratiques du culte païen, Constance n'avait touché ni aux immunités de ses
ministres ni aux biens ou aux dotations de ses temples. Les domaines des
sanctuaires idolâtriques étaient demeurés la propriété des villes auxquelles
ceux-ci appartenaient. En quelques lieux seulement, ils avaient été aliénés,
soit par des abus de pouvoir, pour enrichir quelques favoris du prince, soit
par le fait des villes elles-mêmes quand (ce
qui arriva plus d'une fois en Orient) la majorité des citoyens avait
passé au christianisme. Julien ordonna la restitution de tous les biens et
revenus communaux illégalement aliénés, ce qui comprenait et probablement
visait surtout les biens des temples[46]. Malheureusement pour le bon renom du culte païen, s'il était relativement facile de le remettre en possession de sa fortune, de ses honneurs et de ses privilèges, et si ce qui demeurait de ses anciens desservants pouvait maintenant reprendre en toute liberté l'exercice des fonctions religieuses, de nombreux vides s'étaient faits, en vingt ans, dans les rangs de son clergé, beaucoup de temples fermés depuis ce temps n'avaient plus de ministres, et, pour l'accomplissement des desseins de Julien, il était urgent d'en recruter dans le plus bref délai. Il fallait que le culte des dieux recouvrât tout de suite son ancien éclat, non seulement dans les lieux où il n'avait pas entièrement cessé, mais encore dans ceux où il était tout à fait tombé en désuétude. De là l'invasion, à tous les étages du sacerdoce païen, d'une foule d'hommes nouveaux, que l'on était bien forcé d'accepter sans choix. Des gens qui auparavant mouraient de faim, des échappés de la prison ou du bagne, des hommes qui hier encore avaient peine à gagner leur vie par les métiers les plus ignobles, deviennent tout à coup prêtres, haruspices, et se voient entourés des plus grands honneurs[47]. Il peut y avoir quelque exagération dans cette phrase de saint Jean Chrysostome : cependant, les circonstances poussaient évidemment dans le clergé païen une foule d'aventuriers peu recommandables : Julien se plaindra bientôt des sacrificateurs qui ne savent pas leur métier[48], des prêtres tièdes, négligents, qu'on trouve à la taverne et au théâtre, qui exercent des professions mal famées[49], et sera obligé de punir un prêtre qui battait ses collègues[50]. Mais la plaie du paganisme était moins dans la mauvaise composition de son clergé officiel que dans l'existence, à côté de lui, d'un clergé exotique, bizarre, désordonné, de confréries étranges, qui faisaient une partie nécessaire de certains cultes. Sensible même en Occident, où les religions orientales jouissaient depuis le IIe siècle d'une grande popularité, cet élément d'immoralité et d'orgie était, naturellement, plus puissant encore dans l'Asie romaine, berceau de divinités qu'on honorait par des processions honteuses, des danses indécentes, de scandaleuses bouffonneries. Les cultes de Cybèle, d'Attis, de la déesse syrienne, de la Bellone de Comane, de la Majuma d'Antioche, avaient leurs prêtres eunuques, leurs fanatiques, leurs hiérodules, leurs mignons, leurs cortèges de danseuses, de musiciens et de musiciennes, une tourbe de gens sans loi et sans mœurs, attachés au service des temples, voués encore, peut-être, à la prostitution sacrée. Saint Jean Chrysostome parle d'une procession suivie par Julien dans laquelle figurèrent, à Antioche, de jeunes garçons efféminés, et des courtisanes tirées de leurs bouges, et fait allusion aux propos honteux que tenaient en public ces étranges serviteurs des dieux[51]. On serait, encore une fois, tenté de trouver de l'exagération dans ces paroles de l'orateur chrétien ; mais il a répondu d'avance à ce reproche, en faisant appel à tous ceux qui, dans son auditoire, avaient vu passer cette procession, et en les défiant d'opposer leur témoignage au sien[52]. Saint Grégoire de Nazianze parle aussi de repas sacrés auxquels Julien prit part en compagnie de courtisanes, de coupes vidées avec elles dans la célébration de rites mystiques[53]. Les païens sérieux souffraient de voir leur prince accepter de telles promiscuités, auxquelles, malgré la sévérité de ses mœurs, il se croyait obligé par sa religion. Ammien Marcellin fait en termes plus brefs, mais à peine moins méprisants, que Grégoire et Chrysostome, allusion aux femmelettes, mulierculæ, dont Julien se faisait assister dans les cérémonies du culte[54]. Une autre sorte de personnel religieux se reconstitua promptement à la suite de l'édit de Constantinople. Avec les prêtres et leurs acolytes des deux sexes rentrèrent en foule les devins, — non les desservants des temples à oracles, dont nous avons déjà parlé, et qui formaient une caste à part, mais les autres interprètes de l'avenir. Plus encore, peut-être, que l'idolâtrie proprement dite, les empereurs chrétiens avaient proscrit l'art divinatoire. Constantin avait dirigé contre lui plusieurs lois qui en atteignaient surtout l'exercice privé, jugé plus dangereux que l'exercice public. Constance, tout en s'abstenant comme son père de toucher au collège des augures et à l'haruspicine officielle, avait interdit en termes généraux, sous les peines les plus sévères, les pratiques qui avaient pour objet la recherche de l'avenir. De nombreux et terribles procès de sorcellerie avaient eu lieu sous son règne[55]. Il semble que les devins, en particulier, aient été, tant qu'il vécut, frappés de terreur. Si les néoplatoniciens dégénérés se livraient encore à leurs expériences théurgiques, au moins s'abstenaient-ils prudemment de sortir du champ limité des évocations et des prestiges. Le rétablissement du culte païen, dont la divination était une partie essentielle, puisqu'elle formait l'accompagnement presque obligé des sacrifices, rendit toute liberté aux adeptes de cet art dangereux. Julien lui-même était un occultiste trop passionné pour avoir eu la pensée de formuler, sur ce point, aucune réserve. Aussi toutes les espèces de divination, depuis celles qui pouvaient paraître relativement innocentes jusqu'à celles qui cachaient peut-être de honteux ou sanglants secrets, reprirent-elles immédiatement leur cours. Mamertin a fait entendre le soupir de délivrance des chercheurs d'avenir, rendus au libre exercice de leur art. Il nous est maintenant permis de contempler le ciel, de suivre d'un œil tranquille l'évolution des astres, nous qui, auparavant, étions obligés de tenir comme des animaux nos regards abaissés vers la terre. Car qui eût osé, naguère, observer le lever ou le coucher du soleil ? Les agriculteurs eux-mêmes, dont les travaux exigent l'examen continuel des signes célestes, ne notaient plus l'annonce des changements de temps : les navigateurs, qui dirigent leur course d'après les astres, s'abstenaient de nommer les étoiles : sur terre et sur mer, on vivait comme au hasard, sans se guider par la science du ciel[56]. Il y a sans doute bien du parti pris et de la déclamation dans ces paroles, car Constance ne défendait pas aux laboureurs de prévoir les orages et aux matelots de consulter les étoiles. Mais le langage ampoulé de Mamertin laisse voir, par son exagération même, l'effet produit sur les esprits par les lois qui interdisaient la divination et par les procès qui en furent la conséquence. Et l'on comprend l'ardeur joyeuse avec laquelle les adeptes de cet art en reprirent l'exercice. Les devins se sentirent affranchis de toute crainte, écrit Libanius[57]. Les mages, les faiseurs de prestiges, les devins, les haruspices, les métagyrtes, tous les artisans de prodiges accoururent des divers points du monde, dit saint Jean Chrysostome ; bientôt le palais se trouva rempli de ces gens auparavant infâmes et fugitifs[58]. Si, de ce chef encore, le personnel que le rétablissement du paganisme fit affluer près de Julien parut étrangement mêlé, cependant plusieurs des hommes adonnés aux sciences occultes, que le prince admit dans son intimité, ne méritaient pas ces épithètes. Beaucoup des philosophes et des sophistes en renom, qu'il invita à le rejoindre et qui prirent place à sa cour, comptaient, comme lui, parmi les adeptes de l'occultisme. Au premier rang de ceux-ci était Maxime d'Éphèse, dont nous avons dit l'influence déterminante sur l'esprit de Julien, pendant ce séjour en Asie Mineure où le futur César acheva de se détacher du christianisme pour entrer dans une nouvelle voie religieuse. On se souvient que Julien avait essayé, sans succès, de l'attirer en Gaule, et avait même, un jour, éprouvé une fausse joie en croyant apercevoir Maxime, près de Besançon[59]. Il n'avait pas cessé d'être en correspondance avec ce dangereux maître de sa jeunesse. Devenu Auguste, il l'appela avec de nouvelles instances à Constantinople[60]. La même invitation fut adressée à un autre Éphésien, qu'il avait aussi rencontré en Asie, le néoplatonicien Chrysanthe, beau-père de l'historien Eunape. Julien poussa la prévenance jusqu'à envoyer à Éphèse une escorte de soldats, chargée d'amener à la cour les deux philosophes. Mais ceux-ci ne faisaient rien sans consulter les dieux. Les présages interrogés leur parurent funestes. Chrysanthe résolut de demeurer. Poussé par l'ambition, ou par le désir de revoir son ancien élève, Maxime passa outre. Il ne faut pas, dit-il, s'en tenir à la première réponse des dieux : il faut les forcer, jusqu'à ce qu'on obtienne d'eux ce qu'on demande. C'est la définition de la magie néoplatonicienne, la théurgie, littéralement l'art de contraindre la divinité. Maxime s'y prit si bien qu'il obtint enfin des indications favorables. Laissant à Éphèse le prudent Chrysanthe, il partit pour Constantinople[61]. Julien l'y reçut avec un empressement que Libanius trouve
admirable, mais qu'Ammien Marcellin juge un peu ridicule. Le prince assistait
à une séance du sénat, quand fut annoncée l'arrivée du philosophe. Interrompant
les affaires en cours, et bondissant de sa place,
contrairement aux convenances[62], il courut à toutes jambes, franchit le vestibule de la curie,
s'élança au dehors[63], et alla très
loin au-devant de Maxime. Il se jeta dans ses bras,
le couvrit de baisers, comme ont coutume de faire les particuliers, ou plutôt
les rois, quand ils se rencontrent[64]. Puis, avec toute sorte de marques de respect[65], il l'introduisit
dans la curie, bien que Maxime ne fit pas partie du
sénat[66].
Attaché désormais à la personne de Julien, Maxime semble être redevenu son
inspirateur et son guide, comme au temps de leur vie commune en Asie. Ses
amis devinrent ceux de l'empereur, et s'ouvrirent ainsi un chemin vers la
fortune : c'est le cas pour Théodore, que Julien fit grand prêtre d'Asie, à
cause de l'affection que lui portait Maxime[67]. On voit Maxime
servir d'intermédiaire entre son ancien élève et d'autres ministres du culte[68]. Il le conseille
même dans ses affaires de politique et de guerre, et par ses avis mystiques l'entraîne
aux pires hasards : Où sont donc tes prophéties, fou
de Maxime ? s'écrieront les chrétiens d'Antioche après le désastre de
Perse[69]. On devine la
main de Maxime dans plusieurs des réformes religieuses ou des écrits
polémiques de Julien. Mais l'autorité que celui-ci lui laissait prendre ne
tarda pas à enfler outre mesure l'orgueilleux directeur de la conscience
impériale, Malgré sa partialité pour les sophistes asiatiques, dont il a
écrit l'histoire, Eunape raconte que Maxime acceptait avec avidité les
honneurs et les richesses dont le combla Julien, et montrait une vanité
puérile devant les marques de déférence qu'à l'exemple du prince lui
prodiguaient les courtisans. Devenu hautain, dédaigneux, il affecta une
magnificence qui con venait peu à un cynique et à un néoplatonicien et
rappelait plutôt le luxe des anciens serviteurs de Constance, si récemment
bannis du palais par Julien[70]. Chrysanthe montra plus de réserve. En vain l'empereur lui écrivit-il de nouveau, en vain écrivit-il de sa propre main à la femme du philosophe, rien ne put décider celui-ci à venir. Désespérant de l'attirer à la cour, Julien le nomma grand pontife de la Lydie, et donna à sa femme le titre de grande prêtresse. Chrysanthe reçut la mission de rétablir l'idolâtrie dans la province. On dit qu'il exerça cette charge avec une extrême modération, qu'il ne rebâtit aucun temple, et que les chrétiens s'aperçurent à peine de sa présence[71]. Cet homme prévoyant semble avoir eu conscience de la fragilité de l'œuvre de Julien. Mais beaucoup d'autres furent tout à la joie du moment présent. Ils crurent, par l'élévation de Julien, avoir à jamais cause gagnée. Ceux même qui hésitaient naguère à l'aller voir en Gaule, comme Priscus, accouraient avec empressement à Constantinople[72]. A tous, Julien faisait bon accueil, bien qu'il ne leur tint pas toujours ses promesses, si l'on en croit saint Grégoire de Nazianze[73]. Nombreux, néanmoins, furent les philosophes, les sophistes, les gens de lettres, qui reçurent de lui soit une place permanente à la cour, soit une charge politique ou religieuse. Si l'on se met au point de vue des contemporains, c'était là un grand changement dans les habitudes traditionnelles du gouvernement impérial. En Occident, les hautes magistratures étaient, ordinairement, l'apanage des grandes familles. L'aristocratie romaine et provinciale se les partageait. En Orient, les fonctions publiques étaient généralement données à des magistrats de carrière, qui avaient suivi, dès leur jeunesse, la filière administrative. Constance lui-même, que Julien accusait d'avoir livré l'État à ses favoris, avait été, dit Ammien, d'un scrupule excessif dans la nomination aux emplois civils et aux charges palatines, s'abstenant toujours d'élever quelqu'un qui n'avait pas fait ses preuves par un long stage dans les carrières inférieures[74]. Julien ne s'embarrassa jamais de ces scrupules. Être attaché à sa cause, partager sa religion et ses goûts littéraires, était un titre suffisant aux plus hautes fonctions. Quiconque lui plaisait en franchissait parfois les degrés avec une rapidité extraordinaire. On se souvient qu'une année avait suffi pour faire du rhéteur Mamertin un surintendant des finances, un gouverneur de province, un préfet du prétoire, un consul. Un autre rhéteur gaulois, Aprunculus, qui était bon haruspice, et avait lu dans le foie d'une victime la mort de Constance, fut nommé gouverneur de la Narbonnaise[75]. Le rhéteur Bélée devint gouverneur d'Arabie[76]. Le sophiste Himère eut une place à la cour. Priscus fut attaché à la personne de Julien, et le suivit dans ses voyages. On a vu la grande situation qui fut faite à l'occultiste Maxime. Nous avons dit la charge conférée à l'ami de celui-ci, Théodore : néoplatonicien fervent, il entra si avant dans la faveur de Julien, que l'empereur le comparait aux deux célèbres martyrs de la philosophie, Socrate et Musonius, et entretenait avec lui un commerce régulier de lettres, où chacun donnait à l'autre des conseils[77]. Sous ce règne, tout rhéteur, tout philosophe, tout beau parleur parut avoir les qualités nécessaires pour administrer. Il a donné comme gouverneurs aux cités des hommes éloquents, dit Libanius[78], croyant faire l'éloge de Julien, et s'imaginant qu'on gouverne ou qu'on administre avec des phrases. Libanius lui-même fut appelé à des fonctions publiques, au moins à titre honoraire ; Julien lui écrit une lettre avec cette suscription : A Libanius, sophiste et questeur[79]. La conformité des sympathies religieuses ne fut pas étrangère à une nomination, qui rentrait mieux dans.les traditions anciennes. En arrivant à Constantinople, après la mort de Constance, Julien y avait trouvé, de passage, un sénateur romain, Vettius Agorius Prætextatus. C'était, dit Ammien, un homme de haute intelligence et de mœurs antiques[80]. Ses affaires l'avaient conduit en Orient[81]. On sait que les grandes familles romaines possédaient souvent des biens en diverses provinces. Il n'était pas rare qu'un patricien eût une partie de sa fortune territoriale non seulement en Italie ou en Gaule, mais encore en Afrique, en Grèce, en Asie. Probablement, la nécessité de visiter de lointains domaines avait obligé Prétextat au voyage qui le mit en rapports avec Julien. Il semble qu'à ce moment il se trouvât libre de toute charge publique. Bien que touchant à l'âge mûr, il n'avait encore occupé que les emplois ordinairement réservés aux débutants. La ferveur affichée de ses sentiments païens avait peut-être empêché Constance de lui ouvrir tout grand l'accès de la vie politique, et de lui en laisser suivre le cours avec la rapidité à laquelle sa naissance lui aurait donné droit. Non seulement Prétextat était, comme Symmaque et beaucoup d'aristocrates de vieille roche, attaché à l'ancienne religion de Rome, mais encore, dans une fiévreuse recherche d'émotions religieuses, assez analogue à celle de Julien lui-même, il se fit initier à tous les mystères, y fit initier sa femme, s'affilia aux diverses religions orientales[82]. Macrobe l'appelle le président de tous les sacrifices, sacrorum omnium præsul, et raille amicalement son ardeur à tout adorer et à tout croire[83]. Il professait une dévotion particulière pour Cybèle et pour Mithra[84]. Il était de plus philosophe, et avait traduit du grec en latin un traité d'Aristote[85]. Julien fut heureux de rencontrer un tel homme, et lui donna tout de suite sa confiance. Il le consulta sur ses réformes administratives et politiques. Prétextat fut présent aux graves mesures qui marquèrent à Constantinople le début du règne de Julien[86]. Celui-ci se hâta de lui rouvrir la carrière des honneurs, en le nommant proconsul d'Achaïe[87]. C'était lui donner à gouverner la terre classique de Prétextat s'acquitta de ses fonctions en magistrat intègre et en païen zélé : après la mort de Julien, il demeurera près des successeurs de ce prince l'avocat du paganisme, et obtiendra le maintien des mystères d'Éleusis, menacés par de nouvelles lois, en déclarant que s'ils étaient supprimés, la vie ne vaudrait plus d'être vécue[88]. Les diverses mesures prises par Julien pour préparer le rétablissement du culte païen occupèrent probablement plusieurs semaines, car on sait qu'à Alexandrie l'édit ordonnant la réouverture des temples fut connu le 4 février 362[89]. Bien que personnellement Julien fût surtout dévot aux dieux grecs et aux dieux asiatiques, il montra le plus grand zèle à remettre aussi en honneur les divinités égyptiennes. Dans ses lettres aux Alexandrins, il parle toujours avec une extrême révérence du grand Sérapis, du très saint Sérapis, du roi Sérapis, d'Isis, sa jeune compagne, reine de toute l'Égypte[90]. Un de ses premiers soins fut d'abolir un acte de Constantin, qui semblait attentatoire à leur culte. Le premier empereur chrétien avait ordonné de retirer du temple de Sérapis, — ce centre intellectuel et moral, cette citadelle de l'idolâtrie égyptienne, qui aura, quelques années plus tard, un si grand rôle dans les dernières convulsions du paganisme, — la mesure servant chaque année à marquer le niveau atteint par la crue du Nil. Par son ordre, on l'avait déposée dans la principale basilique chrétienne d'Alexandrie. Julien la fit reporter au temple de Sérapis[91]. Il attachait aux plus superstitieux détails de la religion égyptienne une grande importance. Au mois d'août 362, le gouverneur de la province crut devoir l'avertir de la découverte d'un bœuf Apis : l'insistance avec laquelle Ecdicius lui explique que l'animal sacré a été cherché avec le plus grand soin[92], et n'a pu être trouvé qu'après beaucoup de temps[93], montre que l'empereur s'intéressait vivement à l'affaire, et partageait l'anxiété des Égyptiens, pour qui la mort d'un Apis était la cause d'un deuil public, et l'invention d'un nouvel Apis un présage d'abondance et de félicité[94]. II. — La réforme du culte. Julien était trop intelligent pour se contenter de la restauration matérielle du culte. Relever les autels d'une multitude de dieux d'origine et de nature très diverse, parfois rivaux, répandre les mêmes faveurs sur les adorateurs des divinités latines, grecques, égyptiennes, africaines, asiatiques, accorder les mêmes privilèges aux cultes formalistes présidés à Rome par le majestueux collège des pontifes, aux cultes esthétiques de la Grèce, aux cultes orgiastiques de la Syrie, de la Phrygie et de la Commagène, n'était point suffisant pour donner à ce paganisme disparate, frit-il même soutenu par la puissance impériale, les moyens de reprendre l'avantage contre l'Église chrétienne qui l'avait une première fois vaincu. Élevé par des prêtres de cette Église, Julien avait connu de trop près celle-ci pour n'être pas frappé du contraste. Même en un temps de luttes intestines comme celles qui divisèrent si malheureusement les enfants d'une même foi, subsistait dans la hiérarchie ecclésiastique un principe d'unité qui devait tôt ou tard y ramener les âmes. Julien crut pouvoir superposer au paganisme anarchique qu'il venait de relever une hiérarchie imitée de celle qu'il voyait chez les chrétiens. Moins dégagé qu'il ne croyait l'être de ses souvenirs d'enfance, il fit le rêve de fonder une Église païenne. A vrai dire, le rêve n'était pas nouveau. Un homme beaucoup moins intelligent que Julien avait essayé de le réaliser un demi-siècle plus tôt. Ce que l'helléniste raffiné qui venait de supplanter Constance allait entreprendre l'avait été déjà quelques mois avant la victoire de Constantin, par le demi-barbare Maximin Daïa. Le successeur de Galère dans la souveraineté de l'Orient s'était flatté de créer en Asie un clergé païen, uni et discipliné sur le modèle du clergé chrétien. A la tête de chaque province il avait mis un grand prêtre, sorte de métropolitain de qui dépendrait le flamine de chaque cité, lui-même copie de 'l'évêque, et chargé de régir les prêtres et les ministres inférieurs de sa circonscription. Le chef suprême du culte ainsi organisé était l'empereur, souverain pontife : on a conservé un long message adressé en cette qualité par Maximin Daïa au peuple païen[95]. La défaite de son auteur par Licinius mit fin, après quelques mois, à cette tentative. Elle avait eu à peine un commencement d'exécution. Julien en reprit le plan presque trait pour trait. Il est probable qu'il trouva facilement les documents nécessaires dans les archives de l'Orient romain, en particulier dans celles d'Antioche, qui avait été la capitale de Maximin Daïa. Quand même la révolution politique ou la réaction chrétienne auraient fait disparaître toute trace des instructions envoyées ou des correspondances échangées à cette époque, il eût suffi à Julien d'ouvrir les livres de deux écrivains du IVe siècle, l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe[96] et le traité de Lactance sur les Morts des persécuteurs[97], pour y retrouver dans ses grandes lignes le plan d'organisation du culte païen élaboré par les conseillers de Maximin. Je suis porté à croire que Julien lui emprunta beaucoup ; mais, comme on le verra, il essaya d'y ajouter quelque chose, dont ni Maximin ni les hommes de son entourage n'avaient eu l'idée. Au sommet du grand corps religieux qu'il essaie
d'organiser, Julien met l'empereur, investi déjà par la constitution romaine
du titre de souverain pontife, pontifex maximus.
Mais au lieu que, pour la plupart des princes qui se succédèrent depuis
Auguste, ce titre impliquait surtout des attributions politiques, donnant un
droit de surveillance sur tout ce qui touchait au paganisme officiel, —
attributions que des empereurs peu bienveillants pour l'idolâtrie, comme
Constantin et Constance, pouvaient, dans un certain sens, tourner contre
elle, — dans la pensée de Julien il confère de véritables fonctions sacerdotales,
qui font du chef de l'État une sorte de prêtre-roi, de l'État romain lui-même
une théocratie. Le pontifex maximus
devient la tête pensante et agissante de l'Église païenne. A lui appartient
la désignation de ses principaux dignitaires, le pouvoir de les destituer et
de les punir, le droit de fixer la théologie et d'enseigner la religion, la
solution de toutes les questions relatives au culte des dieux. On a les
lettres par lesquelles Julien institue un grand prêtre d'Asie[98], donne des
instructions au grand prêtre de Galatie[99], nomme une
prêtresse à Pessinonte[100], suspend un
prêtre pendant trois mois[101]. Ce sont de
véritables lettres pastorales, comme les
appelle un historien[102] : Julien y
parle, selon sa propre expression, en pontife
suprême, conformément aux coutumes nationales[103]. Quand il
assiste à une fête, le peuple doit attendre, dans une attitude respectueuse,
qu'il donne comme souverain pontife le signal
du sacrifice[104].
Si une ville omet de faire les frais d'une solennité religieuse, il adresse,
avec l'autorité du chef du culte, un sermon de réprimande au sénat municipal[105]. Le long
mandement, malheureusement incomplet, que les éditeurs de Julien ont publié
sous le titre de Fragment de lettre[106], est une
véritable encyclique sur les devoirs des prêtres, écrite par le pontifex maximus[107]. Au second degré de la hiérarchie est le grand prêtre de la province. Ceci encore n'est pas une création de Julien, ni même de Maximin Daïa. Le grand prêtre provincial existait depuis l'établissement du culte de Rome et d'Auguste, c'est-à-dire depuis les premiers temps de l'Empire. C'était un riche citoyen, chargé d'offrir les sacrifices en l'honneur de ces deux divinités, de présider l'assemblée provinciale, de donner des jeux annuels[108]. Mais, dans la nouvelle Église païenne, il devient quelque chose de plus. C'est désormais un vrai prêtre, chargé de gouverner le clergé de toute la province. Ses pouvoirs émaneront directement du pontifex maximus : car il semble bien n'être plus, comme autrefois, l'élu de l'assemblée provinciale. Au moins avons-nous vu Julien conférer motu proprio au philosophe Chrysanthe la dignité de grand prêtre de la Lydie. Julien octroie même quelquefois cette charge à un simple prêtre, appartenant à une autre province, sur le rapport du grand prêtre de celle-ci[109], qui l'a jugé digne d'une telle promotion. Quant aux fonctions qui en découlent, elles sont définies dans une lettre de Julien. Je te donne, écrit-il à l'asiarque Théodore, l'autorité sur tout ce qui concerne la religion en Asie, la surveillance des prêtres des villes, le droit de juger les actes de chacun[110]. Cette juridiction s'étend aux prêtres de la campagne[111]. Une seconde lettre indique la portée des pouvoirs disciplinaires du grand prêtre. Tous les prêtres de Galatie doivent être irréprochables comme toi, écrit Julien au galatarque Arsacius... S'ils ne donnent pas, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs serviteurs, l'exemple du respect envers les dieux, destitue-les de leur ministère sacré[112]. Il semble même que les attributions du grand prêtre de la province aillent plus loin, et qu'il ait un certain droit de coercition sur les simples citoyens. C'est encore Julien qui l'écrit à Théodore : Quiconque est injuste envers les hommes manque aux lois envers les dieux : celui donc qui se montre insolent envers tous, doit être repris avec liberté ou châtié avec rigueur[113]. Il ne faut pas oublier que Maximin avait déjà donné aux prêtres des pouvoirs de police, et le droit de requérir les soldats contre les ennemis des dieux[114]. Au-dessous du grand prêtre de la province est celui de chaque ville. Il est probable que le haut personnage municipal chargé du culte des empereurs[115] fut investi, dans la nouvelle constitution du clergé, de l'hégémonie immédiate sur les prêtres des divers temples locaux. C'est au moins ce qui semble résulter d'une lettre de Julien. Dans une cité dont on ne nous dit pas le nom un prêtre s'était oublié jusqu'à frapper un de ses collègues. Le pontife ou, littéralement, l'archiprêtre de la ville[116] en fit rapport à Julien. Celui-ci prononça contre le coupable la peine de la suspense durant trois périodes lunaires ; si, après ce délai, un nouveau rapport de son chef le déclare digne de reprendre ses fonctions, Julien consultera les dieux pour savoir s'il y doit être réintégré. Il semble que l'archiprêtre municipal ait omis ici un degré de juridiction, puisque le grand prêtre provincial avait reçu le droit de destituer ses subordonnés[117], et que, selon toute apparence, c'est à ce premier supérieur qu'il eût fallu s'adresser d'abord, sans recourir directement à l'autorité suprême du pontifex maximus. Mais peut-être les règles de la hiérarchie si nouvellement instituée étaient-elles encore flottantes, ou, dans la province où les faits se passèrent, la charge de grand prêtre était-elle alors vacante, ou enfin le prêtre municipal voulut-il faire sa cour à Julien, en soumettant au jugement de celui-ci une cause de discipline ecclésiastique. Julien semble avoir emprunté à un double modèle l'organisation de son Église païenne. Il imite la hiérarchie chrétienne, en donnant au grand prêtre de la province une juridiction analogue à celle de l'évêque métropolitain, au grand prêtre de la cité une juridiction analogue à celle de l'évêque local ; mais en même temps il se sert des cadres et des fonctionnaires du culte rendu officiellement à Rome et Auguste pour former les cadres et recruter le haut personnel du clergé païen. Sur un point, cependant, il n'emprunte rien à l'institution chrétienne : c'est en ce qui concerne les prêtresses. L'Église n'admet point les femmes au partage du sacerdoce. Elles jouent au contraire un rôle considérable dans le culte païen. Certaines divinités ne veulent être servies que par des prêtresses : d'autres divinités ont des prêtres et des prêtresses tout ensemble. Julien conserva à la femme ce rôle sacerdotal. Nous avons même vu que, dans l'exercice de ses fonctions de souverain pontife, il se plaisait à être assisté par des femmes. Il semble même s'être préoccupé du recrutement ou de la formation des prêtresses, en ouvrant ou en projetant d'ouvrir, nous apprend saint Grégoire de Nazianze, des lieux de retraite et des monastères de vierges[118], sur lesquels malheureusement nous n'avons aucun détail. Quand il donne à Chrysanthe le titre de grand prêtre de Lydie, il donne en même temps à l'épouse de ce philosophe celui de grande prêtresse. Ce titre conférait à la femme du prêtre provincial des privilèges et des honneurs, le droit de porter une robe blanche ou une robe de pourpre[119] : on peut supposer que, dans la pensée de Julien, elle reçut également une juridiction sur les diverses prêtresses attachées aux temples de la province. Julien, du reste, communiquait directement avec celles-ci sans se servir de l'intermédiaire de leur provinciale ; qu'on lise ses lettres à la prêtresse Théodora[120], et surtout sa lettre à la prêtresse Callixène. Pour honorer sa vertu, et pour récompenser le courage avec lequel, en un temps d'épreuves, elle est demeurée fidèle au culte des dieux, il lui confère un nouveau titre. Callixène était déjà desservante d'un temple de Cérès ; Julien lui donne, de plus, la prêtrise du temple de Cybèle à Pessinonte[121]. Il est singulier de voir la même femme honorée ainsi d'un double sacerdoce ; il est plus singulier peut-être de la voir prendre tour à tour une part active au culte de la Grande déesse hellénique et à celui de la Grande mère phrygienne : l'un étroitement apparenté aux mystères spiritualistes d'Éleusis, l'autre demeuré un foyer d'exaltation grossière, de fanatisme et d'orgie. Julien, cependant, poursuivait un projet dont la réalisation, si elle avait été possible, eût dans une certaine mesure atténué ce contraste. Il se proposait de discipliner et de rendre uniforme le culte païen, en organisant l'intérieur des temples d'après le modèle offert par les églises chrétiennes. Comme dans le presbyterium de celles-ci, il y aurait des gradins ou des stalles, sur lesquels les ministres prendraient place suivant l'ordre des préséances[122]. Ils devraient y réciter, à l'imitation des prêtres chrétiens, des offices aux diverses heures du jour[123], particulièrement le matin et le soir[124]. On psalmodierait à deux chœurs ces matines et ces vêpres païennes[125]. Il y aurait tout un psautier, composé d'hymnes anciennes et nouvelles[126], dont les unes ont été directement révélées par les dieux et d'autres composées par des hommes inspirés de l'esprit divin[127]. Les prêtres devaient les apprendre par cœur[128]. Pour soutenir leur voix, des écoles de chanteurs étaient instituées dans toutes les villes[129]. On a le rescrit ordonnant au préfet d'Égypte, Ecdicius, de créer à Alexandrie une sorte de conservatoire de musique sacrée[130]. Cette divine musique, qui purifie les âmes[131], était appelée à remplacer, dans le culte des dieux, les réjouissances grossières et les exhibitions sensuelles. L'imitation du culte chrétien eût été incomplète, si à la célébration régulière et à la solennité musicale des offices on n'avait joint un enseignement capable d'agir sur l'intelligence du peuple idolâtre. Julien conçut le plan d'une série de lectures et de discours exposant les explications morales et le sens caché des dogmes helléniques[132]. Dans les beaux temps du paganisme, personne n'eût eu la pensée de telles leçons[133]. On admettait alors que le culte parlât aux yeux, non à l'intelligence et au cœur. Le prêtre priait et sacrifiait pour tous, selon un rituel formaliste et compliqué : le peuple se contentait de le suivre du regard. Il ne connaissait guère des mythes païens que ce que pouvaient lui apprendre les peintures et les sculptures des sanctuaires, les récits des prêtres, les représentations souvent irrévérencieuses du théâtre. Seuls, les gens qui aspiraient à une vie religieuse plus complète allaient la demander aux initiations et aux mystères. Mais la grande masse païenne avait fini, en fait de religion, par ne rien savoir et ne rien croire : les enfants mêmes rient quand on parle des enfers et de la vie future, écrivait déjà Juvénal. C'est au milieu de ce monde sceptique, de ce peuple indifférent, qu'avait retenti la voix du semeur de paroles[134], l'apôtre, le missionnaire, le prêtre chrétien. La religion où l'on prêche refoula peu à peu la religion où l'on ne prêche pas. Elle révéla une doctrine et une morale à des foules qui n'avaient jamais entendu parler de morale ou de doctrine. L'église, où l'évêque était en même temps le docteur, et où la chaire était placée en face du peuple, derrière l'autel, vainquit le temple, dont le pontife muet n'a qu'un autel, et pas de chaire. Julien, qui avait abandonné l'église pour le temple, essayait maintenant de transporter de l'église dans le temple la chaire et le prédicateur, la doctrine et la morale. Cette tentative, qui eût été irréalisable cent ou deux cents ans plus tôt, lui semblait possible maintenant, puisqu'il dépendait de lui de donner les sacerdoces, non, comme autrefois, à des nobles et à des politiques, mais à ses amis les néoplatoniciens, dont le conciliant éclectisme essayait de faire de la mythologie une théologie, en épurant par des commentaires allégoriques ce que les fables traditionnelles offraient de bas, d'absurde ou de licencieux. Tirer de ce chaos un dogme, une éthique, et les faire goûter au peuple, voilà ce que le novateur attendait maintenant du nouveau clergé qu'il venait d'instituer ; voilà l'œuvre colossale qu'il lui demandait de faire sans délai, d'improviser en quelque sorte sous ses yeux. Ici apparaît tout de suite le point faible de la réforme païenne. C'est ce que saint Grégoire de Nazianze n'a pas eu de peine à montrer, à la fin de son premier discours contre Julien[135]. Pour appuyer le dogme et la morale, une religion a besoin de témoignages, soit oraux, soit écrits. Il lui faut alléguer des livres sacrés ou une tradition orale. De tradition orale, le paganisme n'en avait point, puisqu'il n'essayait même pas de rattacher ses origines à des faits historiques ; de livres sacrés, il n'en pouvait offrir d'autres que les écrits des poètes. C'est bien, du reste, la pensée de Julien ; et la manière dont lui-même cite si souvent, comme des autorités indiscutables, comme des écrivains inspirés, Hésiode et surtout Homère[136], marque clairement que, pour lui, leurs œuvres sont appelées à jouer dans le paganisme officiel un rôle presque analogue à celui de la Bible et de l'Évangile dans l'Église chrétienne. Saint Grégoire fait aisément voir combien une telle assimilation serait mensongère et combien une telle base serait fragile. Ni une doctrine suivie, formant corps, capable de rivaliser avec les grandes constructions logiques du dogme chrétien, ne peut se tirer des fables incohérentes que recueillit ou inventa le génie des poètes, ni une morale digne d'être mise en parallèle avec la pure morale de l'Évangile ne saurait découler des querelles, des cruautés et des adultères des dieux, qui forment la matière de leurs ouvrages. Même interprétées par l'allégorie, et filtrées par la philosophie la plus subtile, de telles aventures ne seront jamais propres à porter les âmes au bien : on aura beau les expliquer et les atténuer, elles enseigneront toujours la passion plus que le devoir. Un guide prudent ne ferait pas traverser un cloaque de boue pour conduire un voyageur vers la ville ; un sage navigateur ne prendrait pas le chemin des écueils et des récifs pour entrer au port[137]. Tandis que les nouveaux docteurs et lecteurs de l'hellénisme[138] dérouleront devant le peuple leurs commentaires allégoriques[139], les auditeurs lèveront les yeux sur les peintures et les statues qui ornent les temples, et, oubliant les hypothèses[140], s'attacheront seulement au sens naturel des fables licencieuses qu'ils y verront figurées. Quelque effort que l'on tente, le paganisme demeurera une religion des yeux et des sens : on travaillerait vainement à en faire une religion de l'esprit[141]. C'est pour ce motif qu'il lui fut toujours impossible de s'étendre ou de réparer ses pertes en faisant de la propagande. Pendant les trois siècles qui précédèrent la réforme de Julien, le paganisme n'essaya pas de reconquérir par le raisonnement ou la persuasion le terrain que lui avait enlevé la prédication chrétienne. Seuls quelques philosophes, un Celse, un Porphyre, un Hiéroclès, luttèrent contre elle tantôt par la discussion, tantôt par le sarcasme[142] : mais les prêtres des dieux demeurèrent étrangers à ce mouvement d'attaque ou de défense. Ils n'essayèrent jamais d'opposer des contre-missions aux missionnaires de l'Évangile qui allaient répandant leurs idées par les rues et par les chemins, sur les places publiques et dans les maisons. Ils laissèrent le gouvernement romain défendre les dieux : mais à ceux qui s'étaient détachés des antiques croyances, et qu'ils voulaient y ramener, les magistrats, soucieux de discipliner et non de convaincre, n'avaient trouvé à dire, et ne pouvaient guère trouver, que ce mot : Crois, ou meurs. Bien qu'il eût aussi, à sa manière, l'esprit de persécution, Julien était trop intelligent pour ne pas sentir l'infériorité d'une religion qui n'aurait pour garder ou pour regagner des adhérents d'autre moyen que le recours à la force matérielle. Comme il se flattait d'amener l'hellénisme à donner à ses fidèles un véritable enseignement religieux, il devait se croire capable de lui communiquer en même temps le désir et la volonté de faire des conquêtes au dehors. Pour correspondre tout à fait à l'idéal sur lequel Julien voulait modeler le paganisme nouveau, ses prêtres furent invités à avoir désormais, autant que les prêtres chrétiens, soif des âmes, à ne souffrir autour d'eux aucun étranger à leurs croyances, à répandre celles-ci avec ardeur. Cela encore, pour eux, était nouveau. Beaucoup, satisfaits de jouir paisiblement de leurs prébendes, s'inquiétaient peu de la religion professée par leurs concitoyens, et même par leurs amis ou par leurs proches. Non seulement ils la laissaient attaquer sans la défendre, mais ils acceptaient la défection de leur entourage le plus intime. Il fallut user de la menace pour les ramener au sentiment de leur devoir ou de leur rôle. Julien écrit au grand prêtre de Galatie de destituer les prêtres de sa province qui ne donneraient pas avec leurs femmes, leurs enfants et leurs serviteurs l'exemple du respect pour les dieux, mais supporteraient que leurs esclaves, ou leurs fils, ou leurs femmes se montrent impies envers les dieux et au culte de ceux-ci préfèrent l'athéisme[143]. En un autre endroit, Julien leur demande nettement non plus seulement de maintenir, mais de propager leur religion : C'est la marque d'un prêtre aimant les dieux, s'il amène tous ceux de sa famille à pratiquer leur culte[144]. Dans une de ses lettres à la prêtresse Théodora il exige plus encore : il voudrait que les prêtres s'interdisent tout commerce d'amitié avec les infidèles : Je le dis expressément : si tu aimes un homme ou une femme, soit libre, soit esclave, qui ne vénère pas les dieux ou qui n'offre du moins pas d'espérance de conversion, tu commets une faute... Pour moi, je ne pourrais me plaire à être aimé de gens qui n'aiment pas les dieux[145]... Julien donnait l'exemple de ces sentiments : il avait pour principe, dit Libanius, de considérer comme ami quiconque était l'ami de Zeus, mais de refuser son amitié à tout ennemi de Zeus et des dieux, surtout s'il n'avait pas l'espoir de le convertir[146]. Il justifiait cette manière d'agir par une comparaison que nous trouvons dans la lettre déjà citée à la prêtresse Théodora : Si quelque esclave aimé de toi s'unit à ceux qui t'outragent et te dénigrent, et se détourne de tes amis, ne souhaiteras-tu pas sa perte, et ne le châtieras-tu pas toi-même ? Quoi donc ! les dieux sont-ils moins que les amis ? Ce sont eux qui sont les maîtres, et nous les esclaves. Si donc quelqu'un de nous, qui nous disons les serviteurs des dieux, aimait un esclave qui les aurait en horreur et se détournerait de leur culte, celui-là ne serait-il pas obligé, en conscience, de travailler à la conversion de cet esclave, ou, en cas d'insuccès, de le chasser de la maison et de le vendre ?[147] C'est ainsi que Julien s'efforce de guérir ses coreligionnaires, et surtout ceux qui sont revêtus du sacerdoce, de ce mal qu'il constate avec effroi, la profonde indifférence que nous montrons pour les dieux[148]. Il leur inculque même un devoir nouveau, celui de convertir leurs esclaves, c'est-à-dire ou de les retenir sur la pente du christianisme, s'ils paraissent y glisser, ou de les ramener aux dieux, s'ils les ont déjà quittés. Ce souci de la religion de l'esclave est nouveau dans le monde païen. Quelques stoïciens paraissent l'avoir eu, au moins en théorie[149], mais leurs paroles n'avaient aucun écho. Au temps où le paganisme était florissant, ses chefs s'inquiétaient peu de ce que croyaient les esclaves. On punissait ceux d'entre eux qui s'étaient faits chrétiens, quand les édits commandaient de punir tous les chrétiens ; mais personne n'eût eu la pensée d'engager les maîtres à faire de la propagande, et moins encore les prêtres à faire acte de sacerdoce en travaillant à la conversion de ces humbles. L'apostolat domestique n'existait que dans les maisons chrétiennes[150]. C'est encore un trait que Julien essaie d'emprunter au christianisme, pour le transporter dans son paganisme renouvelé. Julien s'était évidemment nourri d'illusions, en s'imaginant qu'il serait possible de tirer de l'hellénisme un enseignement doctrinal et une règle des mœurs. Ses efforts pour lui insuffler l'esprit de propagande ne furent pas moins vains. Il ne parvint pas à secouer, chez les prêtres, l'indifférence dont il se plaignait amèrement. En vain avait-il donné, dans ses discours sur le Roi Soleil et sur la Mère des dieux, des exemples et, dans sa pensée, des modèles de la prédication dogmatique telle qu'il la comprenait : il ne semble pas que ces morceaux d'éloquence, plus abstraite d'ailleurs que pratique, et véritablement ennuyeuse, aient suscité beaucoup d'imitateurs. Si quelque réel travail de propagande avait répondu, de la part du clergé païen, à ses exhortations et à ses désirs, il en serait évidemment resté trace. Libanius, dont la mémoire fidèle n'oublie rien de ce qui peut servir à la gloire de Julien, n'aurait pas manqué de nous renseigner sur ce succès partiel de son œuvre. La correspondance du célèbre sophiste fait une seule fois allusion à un sermon prononcé dans un temple. C'est un sermon laïque. Son auteur n'est pas un prêtre, mais un rhéteur, qui, parlant dans un sanctuaire d'Esculape, naguère dévasté par les chrétiens, aujourd'hui rendu au culte, célèbre ce changement. Il se hâta d'envoyer ensuite à l'approbation de Libanius ce morceau de rhétorique, ce qui lui valut une lettre élogieuse, où le discours qu'il vient de prononcer est comparé au miel des Muses. Rien dans tout ceci ne sent l'apostolat. Cependant Libanius dit aussi que dans les temples d'Antioche on commenta Platon ou Pythagore. Mais il ajoute que ces discours n'eurent aucun succès, et que pas un chrétien n'en fut ébranlé dans ses croyances déjà antiques[151]. S'il en fut ainsi dans une cité où alors résidait Julien, on peut juger de ce qui dut se passer ailleurs. Il est probable que les paroles prononcées dans la chaire païenne[152] furent rarement autre chose que des invectives contre les évêques, les prêtres, les apôtres, les prophètes et le Christ lui-même[153] ; c'est du moins l'idée que saint Grégoire de Nazianze nous donne de cette prédication, plus faite pour flatter les passions de Julien que pour satisfaire son orgueil. Sans doute, Julien se trompa plus complètement encore, si vraiment il essaya d'introduire dans la religion païenne la discipline pénitentielle de l'Église, comme l'affirme le même contemporain[154]. L'Église était une assez vieille maitresse de morale, et gouvernait les consciences avec assez d'autorité, pour faire accepter de ses fidèles des peines graduées selon le péché, et destinées tout ensemble à la punition et à l'amendement du pécheur. Mais on ne pouvait raisonnablement espérer qu'on trouverait parmi les prêtres de l'idolâtrie beaucoup d'hommes ayant une notion précise du péché et de ses remèdes, l'art de diriger les âmes, l'intelligence des délicats problèmes de la casuistique, et moins encore qu'on persuaderait à la foule païenne de les accepter dans cet emploi nouveau de juges des consciences, et de se soumettre docilement aux pénitences imposées par eux. Nous hésiterions à croire que Julien ait conçu une semblable pensée, et en ait commencé l'exécution, si nous n'avions sur ce point le témoignage d'un contemporain aussi sérieux et aussi bien informé. Sur un point, Julien ne s'est pas trompé : c'est dans l'énumération des qualités que doit avoir un prêtre digne de ce nom. Si quelque part l'imitation du christianisme poussée jusqu'au plagiat se rencontre dans son plan de réforme religieuse, c'est quand il trace, d'une plume singulièrement experte et délicate, l'idéal du prêtre. Dans aucun de ses écrits, Julien ne s'est montré aussi élevé, et en même temps aussi ému, que dans les deux ou trois lettres qu'il a consacrées à ce sujet : nulle part aussi il n'a eu d'aussi vives réminiscences de la pensée chrétienne. Saint Grégoire prononce le mot de singerie[155] : l'intention de Julien me parait plus haute que cela. Il songe sérieusement à doter son clergé d'un personnel rivalisant de zèle et de moralité avec les membres les plus exemplaires du clergé chrétien. Il voudrait que les ministres appelés à officier dans ses temples et à parler du haut de leurs chaires ressemblassent vraiment à certains hommes dont il ne pouvait se rappeler sans envie les vertus. C'est à former des Athanase, des Grégoire et des Basile païens qu'il applique tout son esprit. Pour que Julien ne s'aperçût pas de la révolution qu'il
opérait ainsi dans l'idée que jusque-là les anciens s'étaient faite du
sacerdoce, il fallait qu'il fût encore, à son insu, bien dominé par ses
souvenirs chrétiens. Le prêtre qu'il se propose de mettre au service du
nouveau paganisme ne ressemblera ni au dignitaire politique ou municipal qui,
à Rome et dans le monde latin, honore au nom de l'État les dieux nationaux,
ni au desservant quelquefois très peu estimable des cultes fanatiques ou
sensuels de l'Orient. Aucune condition de naissance, mais les plus strictes
conditions de moralité sont exigées par Julien des aspirants à la prêtrise.
Maximin Daïa n'avait osé aller jusque-là. Il choisissait les prêtres parmi les premiers des cités[156], parmi les magistrats ayant figuré avec éclat dans l'administration
de leur ville[157]. Novateur
incomplet, il restait encore fidèle au vieux principe païen. Julien y
substitue le principe chrétien, qui, effaçant les distinctions sociales, va
chercher le plus digne pour lui confier les fonctions sacrées. Je dis que l'on doit choisir dans les villes les
meilleurs, les plus religieux, les plus humains, sans examiner s'ils sont
pauvres ou riches. Peu importe encore qu'ils soient obscurs ou célèbres ; car
celui que sa douceur a laissé dans l'obscurité ne doit pas pour cela être
exclu du sacerdoce. Quand même il serait pauvre et plébéien, pourvu qu'il ait
en lui deux choses, l'amour des dieux et l'amour des hommes, qu'on le fasse
prêtre[158]. Rarement païen
a prononcé des paroles aussi peu païennes. Choisi avec cette unique préoccupation du mérite et de la vertu, le prêtre doit se montrer digne de sa vocation, non seulement quand il est dans l'exercice de ses fonctions sacrées, mais aussi dans toutes les circonstances de la vie. Ceci encore est nouveau, ou du moins est introduit dans le paganisme par l'imitation d'une morale qui ne vient pas de lui. Jusqu'à ce jour, la pureté exigée du prêtre païen s'étendait seulement au temps où il remplissait sa charge, où il était de service à l'autel : quand il avait déposé le vêtement sacerdotal, il redevenait un citoyen pareil aux autres, et n'était pas tenu à se montrer plus vertueux que la masse de ses contemporains. Les plus dissolus des Romains ont pu être pontifes, flamines, quindécemvirs, augures, sans que personne se soit inquiété de ce qu'ils faisaient hors du temple. Pour Julien, le prêtre reste prêtre à toutes les heures de sa vie. Il est présumé saint jusqu'à preuve du contraire et destitué s'il ne donne pas l'exemple de toutes les vertus[159]. Pendant la période de l'année où il est de service, il doit accomplir, avec le plus grand scrupule, toutes les cérémonies du culte, prier trois fois le jour, offrir chaque jour un sacrifice, observer une exacte continence, se nourrir de lectures et de méditations philosophiques, s'abstenir de rentrer dans sa maison, de se promener sur les places publiques, de rendre visite aux magistrats[160]. Quand son temps est accompli, et qu'il a cédé le service au prêtre qui le remplace, il reprend le droit de se mêler à la vie commune, de visiter ses amis, de fréquenter le forum, d'aller voir les magistrats. Mais, dans ces occupations mêmes, il doit se souvenir toujours de son caractère sacerdotal. Aller au forum, mais rarement ; visiter le gouverneur de la province ou le préfet de la ville, mais seulement s'il a une requête à lui présenter en faveur des indigents. Pour tout le reste, il lui faut s'imposer une tenue, qui fait penser à ce que Bossuet appelle le grand sérieux de la vie chrétienne. Non seulement ne rien faire de mal, mais encore ne rien entendre d'indécent ; s'abstenir des plaisanteries équivoques et des entretiens licencieux ; s'interdire absolument les lectures qui offenseraient les dieux ou les mœurs ; s'habiller avec modestie, en réservant toute la magnificence pour les vêtements sacerdotaux ; ne point revêtir par vanité ceux-ci hors du temple ; éviter le théâtre ; défendre même à ses enfants de fréquenter l'amphithéâtre[161] ; s'il se donne des jeux sacrés, combats ou spectacles, n'assister qu'à ceux-là seuls où les femmes ne figurent point ; ne pas boire dans les tavernes ; ne fréquenter ni acteurs, ni cochers du cirque, ni danseurs, ni mimes ; ne point exercer un métier bas ou honteux[162] ; en un mot, qui dit tout, vivre hiératiquement[163]. Si telle est la dignité du prêtre qu'elle le suive dans tous les actes de la vie, sans qu'il ait le droit de la jamais oublier, on comprend la place éminente qu'il doit occuper non seulement dans la société religieuse, mais même dans la société civile. La raison veut que l'on honore les prêtres comme ministres et serviteurs des dieux, comme destinés à nous représenter auprès d'eux et à nous attirer leurs bienfaits, car ils offrent des sacrifices pour le salut de tous. Il est donc juste de leur rendre les mêmes honneurs ou de plus grands encore qu'à ceux qui exercent des fonctions politiques[164]. Non seulement on doit avoir pour eux autant de respect qu'on en montre aux plus hauts magistrats[165], mais encore les prêtres sont dispensés de rendre à ceux-ci les honneurs exigés des autres citoyens. Le prêtre ne doit jamais aller à la rencontre du gouverneur faisant son entrée dans la ville[166]. Si celui-ci vient au temple, le prêtre doit le recevoir à l'intérieur du vestibule[167] ; une fois le seuil franchi du lieu saint, le gouverneur est un simple particulier : dans le temple, le prêtre commande seul et a droit à l'obéissance de tous[168]. Telle est la grande place tenue par le prêtre dans la réforme religieuse de Julien. Il le veut savant, vertueux, honoré. Mais, ce résultat obtenu, quelque chose restera à faire. Julien est trop intelligent pour ne pas voir ce qui manquera encore à l'hellénisme. Sur cette religion, à laquelle les siècles ont donné le poli, mais aussi la dureté et le froid du marbre, ne brille plus aucun rayon de pitié. L'un de ses caractères est l'absence de sympathie pour les petits, pour les faibles, pour ceux qui ont besoin de secours. Si dans ses poètes, dans ses philosophes, se rencontrent des paroles humaines et tendres, il y a longtemps qu'on ne les comprend pas. La corruption invétérée des mœurs, le pouvoir absolu des maîtres sur les esclaves, l'habitude des spectacles sanglants, ont étouffé la miséricorde. Comme le remarquait déjà saint Paul, les païens, pris en masse, sont sans affection[169]. C'est contre cette insensibilité du cœur que Julien sent le besoin de réagir. Il voudrait faire du pauvre, aux yeux de ses coreligionnaires, un être respectable, et attacher à la misère une sorte de caractère religieux. Nous faisons injure aux dieux, dit-il, quand nous négligeons les pauvres qui mendient. Il en est de mœurs irréprochables, qui n'ont pas reçu d'héritage paternel, et qui supportent avec grandeur d'âme la privation des richesses. Quand la plupart d'entre nous méprisent les pauvres, ce sont les dieux que nous outrageons[170]. On s'attend presque à entendre Julien proclamer l'éminente dignité des pauvres dans l'Église païenne. Mais il est le seul à la voir, prédisposé comme il l'a été par une éducation chrétienne à des pensées et à des habitudes de bienfaisance[171]. Autour de lui nulle détresse n'excite la compassion. Nous invoquons Jupiter hospitalier, s'écrie-t-il, et nous sommes plus inhospitaliers que les Scythes ![172] Il ajoute : Comment entrerons-nous dans le temple de ce dieu pour lui offrir un sacrifice ? comment nous redirons-nous les vers du poète : Les pauvres et les étrangers sont envoyés par Jupiter ; tout don, si petit qu'il soit, lui est agréable ?[173] Comment un adorateur de Jupiter, dieu des amis, qui voit ses voisins[174] dans la détresse, et leur refuse même une drachme, pourra-t-il croire avoir bien servi le dieu ?[175] Ce ne sont pas de simples adorateurs, ce sont des prêtres eux-mêmes qui donnent cet exemple d'insensibilité. Je pense, dit Julien, que l'indifférence de nos prêtres pour les indigents a suggéré aux impies Galiléens la pensée de pratiquer la bienfaisance[176]. Quelle que soit l'explication, l'aveu est formel. Les circonstances présentes[177] exigent que cette indifférence cesse. Jusqu'alors, pas un indigent ne se présentait aux temples[178]. Il faut désormais que le prêtre s'accoutume à partager avec les indigents le peu qu'il possède, et qu'il essaie de faire du bien au plus grand nombre possible de personnes[179]. Les ministres des dieux doivent imiter la charité des prêtres chrétiens. Le moment est venu pour le paganisme de fonder un système d'assistance publique calqué sur celui qui existe dans l'Église depuis les premiers temps de la prédication évangélique. L'évêque, avait dit saint Paul, a le devoir d'être à la fois hospitalier et docteur[180]. Contrairement aux traditions et presque à l'essence du paganisme, Julien a essayé de faire des docteurs : il continue d'innover, ou plutôt de copier, en cherchant à transformer en hospitaliers les membres du clergé païen. Ses idées sur ce sujet sont exprimées dans une lettre au grand prêtre de Galatie, et dans ce fragment d'encyclique auquel nous avons fait déjà de nombreux emprunts. Car la réforme charitable de Julien n'est que la suite et le complément de sa réforme religieuse. Il l'entreprend comme pontife, plutôt que comme empereur. Réduit à emprunter, puisque le monde antique n'avait rien créé d'efficace et de durable pour la portion souffrante de l'humanité, Julien ne songe pas à enrichir de ses emprunts la société civile, à faire de l'assistance des pauvres un service de l'État, une institution officielle et laïque. S'il s'occupe des malheureux, c'est dans la pensée de corriger un des vices les plus apparents de l'hellénisme, et de donner à ses prêtres une occasion de rivaliser avec les prêtres chrétiens. Établis dans chaque ville, écrit-il au grand prêtre de Galatie, de nombreux hospices, afin que les étrangers y jouissent de notre humanité, et non seulement ceux de notre culte, mais tous ceux qui auront besoin de secours[181]. En étendant ainsi les aumônes à ceux-là même qui n'honorent pas les dieux, Julien fait preuve d'un louable libéralisme : mais ici encore il imite les chrétiens. Après avoir rappelé que les Juifs n'ont pas un mendiant, parce que la communauté juive pratique généreusement l'assistance mutuelle, il se voit contraint d'ajouter que les chrétiens font plus et mieux encore. Les impies Galiléens, dit-il, nourrissent tout ensemble leurs pauvres et les nôtres[182]. C'est l'exemple qu'il propose aux adorateurs des dieux. Mais il est obligé ici à un nouvel aveu. Les chrétiens font l'aumône aux indigents de tous les cultes, à l'aide de leurs seules ressources. Ce sont leurs évêques qui, de leurs propres deniers ou avec les revenus des Églises, construisent les hospices destinés aux voyageurs et aux malades. Demander une telle générosité aux prêtres ou aux fidèles du paganisme serait prématuré. Julien les invite à créer des établissements hospitaliers ; mais il ajoute que ceux-ci seront entretenus par l'État. De cette manière, la religion aura le mérite extérieur de l'œuvre, et le trésor public l'aidera à faire bonne figure à côté de sa rivale. J'ai pourvu aux fonds nécessaires, écrit Julien. J'ai assigné annuellement pour toute la Galatie trente mille boisseaux de blé à répartir et soixante mille setiers de vin : tu en feras toucher le cinquième aux pauvres qui servent les prêtres, et tu distribueras le reste aux étrangers et aux mendiants qui sont chez nous[183]. Mais Julien comprend que la lutte sur le terrain de la charité ne deviendra possible que le jour où les païens se seront accoutumés à faire des sacrifices personnels pour le soulagement des malheureux. Il prie le grand prêtre de Galatie d'enseigner à ceux de sa province ce devoir nouveau pour eux. Apprends aux sectateurs de l'hellénisme à fournir leur part de ces contributions, et aux bourgades helléniques à offrir ces prémices aux dieux ; accoutume les Hellènes à ces actes de bienfaisance. Il espère que l'exemple et le désir de l'empereur les entraîneront. Fais-leur savoir que depuis longtemps cette œuvre m'occupe. Et, citant l'Odyssée comme un Père de l'Église eût cité la Bible, il ajoute : Homère fait dire à Eumée : Étranger, il n'est pas juste de laisser sans accueil un hôte, fût-il moins bon que toi ; car de Jupiter viennent tous les hôtes et tous les pauvres. Tout don, même petit, lui est agréable[184]. Nous ne devons pas laisser à d'autres le zèle du bien, mais, rougissant de notre indifférence, il nous faut marcher les premiers dans la voie de la piété[185]. Puis, s'adressant encore une fois au grand prêtre : Si j'apprends que tu as agi ainsi, dit-il, je serai rempli de joie[186]. Ce qui frappait surtout Julien dans l'hospitalité chrétienne, c'était la manière dont elle était organisée. L'Église primitive ne fut pas seulement une admirable maîtresse de charité : elle eut au plus haut degré l'esprit d'organisation. Les cœurs chrétiens se livraient d'autant plus librement aux impulsions de l'amour et de la pitié, qu'ils étaient défendus contre toute imprudence par des instructions précises. Les fidèles, on le sait déjà par l'aveu même de Julien, assistaient avec leurs pauvres les indigents de tous les cultes : cependant, dans cette large pratique de l'hospitalité, qui leur faisait recevoir non seulement dans les établissements fondés spécialement à cet effet, mais, là où il n'en existait pas, dans leurs propres maisons les étrangers de passage, ils étaient tenus à observer des règles de prudence. En temps de persécution surtout, il eût été dangereux d'admettre toute espèce de voyageurs dans l'intimité des foyers chrétiens. De là les lettres de recommandation, les tessères d'hospitalité, délivrées par les évêques aux voyageurs appartenant réellement à la communauté chrétienne, et méritant d'être accueillis par les fidèles[187]. Qu'il y eût encore, malgré ces précautions, des dangers et des méprises, l'histoire de Pérégrinus dans Lucien permet de le croire. Mais les cas analogues devaient être rares, et les chrétiens, qui secouraient indifféremment tous les pauvres, et probablement recevaient tous les malades et tous les étrangers dans leurs établissements publics, étaient avertis de ceux à qui ils pouvaient donner une hospitalité plus intime, des voyageurs partageant réellement leur foi, et garantis par l'évêque du lieu qu'ils venaient de quitter. Cette organisation de l'hospitalité chrétienne excitait l'envie de Julien. Il admirait surtout, dit Sozomène, les lettres par lesquelles les évêques ont coutume de se recommander les étrangers les uns aux autres : afin que, d'où qu'ils vinssent, et chez quelque fidèle qu'ils se présentassent, ils fussent reçus comme des connaissances et comme des amis, grâce au témoignage de cette tessère[188]. Saint Grégoire de Nazianze, qui avait parlé dans les mêmes termes de l'admiration de Julien pour des lettres[189] par lesquelles nous nous recommandons, de pays en pays, les indigents, laisse entendre que celui-ci eut le temps d'établir quelque chose d'analogue. L'une des épîtres déjà citées de Julien à Théodora semble en effet faire allusion à des tessères de ce genre, envoyées à Julien par la prêtresse[190]. L'émulation que les pratiques chrétiennes inspirent au pontife couronné ne s'arrête pas à la charité envers les vivants : il voudrait encore que les prêtres des dieux imitassent le soin apporté par les chrétiens à la sépulture des morts[191]. De cette recommandation, il semble résulter que ce soin était, chez les païens, fort négligé. D'autres témoignages, cependant, nous montrent très puissante, dans le monde romain, la religion des tombeaux. Dès les temps les plus reculés, les petits, les humbles, se groupaient pour s'assurer mutuellement une sépulture honorable : de là les nombreuses associations funéraires, dont les inscriptions nous ont conservé le souvenir, et où les esclaves eux-mêmes pouvaient trouver place[192]. Mais les pauvres gens sans famille, ou n'appartenant à aucune mutualité de ce genre, avaient, dans la société païenne, de lamentables funérailles. La fosse commune, l'enfouissement anonyme, les attendait[193]. Julien savait, pour l'avoir vu de près, qu'il en était autrement des chrétiens. Chez eux les étrangers, les indigents, les esclaves étaient sûrs de trouver une tombe décente, un souvenir pieux, des prières, dans un des dortoirs[194] où les membres de l'Église attendaient ensemble, sans distinction de rang et de condition sociale, le grand réveil de la résurrection. Le sentiment chrétien avait horreur de la promiscuité des cadavres, et aucun baptisé n'était livré à la fosse commune. La sépulture des pauvres était considérée par le clergé et les fidèles comme une des meilleures œuvres de miséricorde. Mais ce respect pour les plus humbles morts tenait à tout un ensemble de croyances, auxquelles le paganisme était et resterait toujours étranger. Sur aucun point, peut-être, Julien n'avait moins de chances d'amener ses coreligionnaires à l'imitation des mœurs chrétiennes. Il semble que Julien ait eu l'instinct confus de son impuissance à cet égard, car, investi comme empereur, et aussi comme souverain pontife, du droit de réglementer les funérailles et les sépultures, il ne prit aucune mesure formelle dans le sens de ses désirs. Constantin, dont il raille avec tant d'âpreté l'inertie et la mollesse, avait montré, à cet égard, une bien autre prévoyance. Entrant dans les vues de l'Église, qui donnait aux fossoyeurs le rang de clercs, il constitua, parmi les corporations qu'il créait à Constantinople, une association d'hommes chargés du soin des sépultures : ces travailleurs, comme on les appela, atteignirent le chiffre de neuf cent cinquante, et jouirent de toutes les exemptions d'impôt accordées aux clercs[195]. Les seules mesures prises par Julien sur la question des funérailles furent inspirées par un esprit tout contraire. Au lieu du respect chrétien pour la dépouille mortelle qui a été sanctifiée par les sacrements, et qui est destinée à ressusciter glorieuse, il professait l'idée païenne qui considérait comme impurs la vue et le contact d'un cadavre[196]. C'est elle qui lui fit interdire par deux édits, — ou plutôt par un édit dont la rédaction latine, telle que nous l'a transmise le Code Théodosien, est plus sobre[197], et la rédaction grecque plus délayée et plus mystique[198], — de faire les funérailles en plein jour. Elles auront lieu désormais la nuit, afin de ne pas souiller les regards des vivants et des dieux. C'est l'heure des sacrifices offerts aux divinités infernales et aux mânes : il convient que ce soit aussi l'heure où les morts seront conduits à leur dernière demeure. Ainsi le jour ne sera pas troublé par des signes funestes, et les gens pieux qui se rendent aux temples ne seront pas exposés à contracter des souillures avant d'y entrer. Un châtiment sévère menace quiconque oserait, avant la dixième heure, transporter un cadavre à travers la ville : les obsèques ne sont permis désormais qu'après le coucher du soleil, afin que la pureté du jour soit réservée aux œuvres pures et aux dieux olympiens. On voit, par le dispositif comme par les considérants de cet édit, la différence radicale qui séparait la conception chrétienne et la conception païenne de la vie et de la mort. C'est comme une fissure, qui révélerait tout à coup la fragilité de l'œuvre entreprise par Julien. Mais celui-ci, assurément, a raison quand il déclare que les succès extérieurs du culte païen, la réouverture des temples, la construction de nouveaux sanctuaires, le recrutement du clergé, la pompe des cérémonies, la musique et les discours, seront de peu d'effet sur le peuple, tant qu'on ne parviendra pas à arracher des mains de l'Église le sceptre de la charité. L'hellénisme, écrit-il, ne fait pas les progrès que nous attendions, par la faute de ceux qui le professent. Les dieux nous accordent des dons brillants et magnifiques, dépassant tous nos vœux et toutes nos espérances... Qui eût osé se promettre en si peu de temps un changement si prompt et si merveilleux ? Mais croyons-nous que cela suffise ? et ne voyons-nous pas que ce qui a propagé surtout l'athéisme, c'est l'humanité envers les étrangers, les soins donnés à la sépulture des morts, l'apparente sainteté de la vie ?[199] L'athéisme, dans le langage de Julien comme dans celui des païens de tous les temps[200], c'est la religion chrétienne, ennemie des dieux ; et la vertu qui l'a surtout rendue populaire, c'est celle-là même qui manque le plus au culte des dieux. Nous avons dit quel désir Julien avait de la lui donner. Ce que nous n'avons pas encore assez indiqué, c'est la timidité qui se mêle parfois, dans son langage, à l'expression de ce désir. Dès que Julien dépasse un peu le cercle des sentiments habituels aux païens et s'avance sur ce qui semble le terrain réservé aux vertus chrétiennes, on s'aperçoit que son pied hésite. Ce serait un acte saint d'accorder même à des ennemis le vêtement et la nourriture, dit-il[201], répétant l'enseignement du Christ lui-même[202] ; mais Julien s'empresse d'ajouter : Je dis cela, au risque d'énoncer un paradoxe[203]. De même, quand il conseille à ses prêtres d'assister les prisonniers[204], autre pratique jusque-là exclusivement chrétienne, il s'exprime avec une sorte d'hésitation : Je pense, dit-il, que ce serait bon[205]. C'est que, il le sent bien, la charité ne s'improvise pas. Il est plus facile de bâtir un temple qu'un hôpital, et de former un sacrificateur qu'un infirmier. Les documents disent ce que Julien a voulu, ce qu'il a demandé avec instance, avec ardeur, à ses coreligionnaires : ils ne montrent pas les résultats obtenus, et très probablement il n'y en eut pas. Pendant son court règne, Julien a pu relever le décor du culte païen : il a pu même réorganiser et, dans une certaine mesure, renouveler les cadres de ce culte ; mais lui infuser un esprit nouveau, emprunté à l'esprit même du christianisme, dépassait le pouvoir du réformateur. Vingt ans après la mort de Julien, saint Ambroise, répondant à Symmaque, le défiait de dire combien les temples avaient racheté les captifs, combien d'aliments ils avaient distribué aux indigents, combien de secours ils avaient fait passer aux infirmes[206]. |
[1] Ammien Marcellin, XXII, 5.
[2] Julien, Ép. 38 ; Hertlein, p. 538.
[3] Ammien Marcellin, XXII, 1.
[4] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 564.
[5] Socrate, Hist. ecclés., III,
1.
[6] Julien, Ép. 13 ; Hertlein, p. 493.
[7] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes ; Hertlein, p. 350, 354, 355, 356, 366, 370.
[8] Corpus Inscr. lat., t. VIII, 4326. — La célèbre inscription d'Acerenza (Reinach, dans Revue archéologique, t. XXXVIII, 1901, p. 352, fig. 4) donne à Julien le titre de Reparator orbis romani, mais ne parle pas de la religion.
[9] Ou de 353.
[10] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 21.
[11] Mamertin, Gratiarum actio, p. 166.
[12] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 562.
[13] Mamertin, Gratiarum actio,
p. 166.
[14] Eunape, Vita soph. ; Maximus
(éd. Didot, 1849, p. 476).
[15] Eunape, Vite sophist. ; Maximus, p. 476.
[16] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 564.
[17] Mamertin, Gratiarum actio,
p. 187.
[18] Sozomène, Hist. ecclés., V,
3.
[19]
Himère, Oratio VII, 9 (éd. Didot, p. 02).
[20] Libanius, Epitaphios Juliani.
[21] Si improvisées qu'elles ne duraient pas : l'église où avait été enterré Constantin menaçait ruine sous Constance, et l'on dut reporter ailleurs son tombeau. Socrate, Hist. ecclés., II, 38.
[22] Cf. Sozomène, Hist. ecclés., II, 8.
[23] Socrate, Hist. ecclés., III, 11. — Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 326, entend du palais impérial l'expression έν τή βασιλική employée ici par Socrate. Henri Valois, dans sa note sur ce passage (reproduite dans Migne, Patr. Græc., t. LXVII, col. 410, note 57), reconnaît au contraire dans ce mot la principale basilique de Constantinople. Il résulte, en effet, de Libanius que Julien sacrifiait d'une manière privée dans le palais, tandis que Socrate le montre, ici, sacrifiant publiquement, δημοσία, ce qui n'eût pas été possible au palais, et ce qui était facile dans une basilique ouverte au peuple. — On pourrait encore admettre que le sacrifice eut lieu ailleurs, dans un petit édicule que Constantin, au dire de Zosime (II, 10), éleva sur un côté du Forum de Constantinople, pour abriter une statue de la Fortune de Rome, et qui faisait pendant à un autre édicule abritant de même la Rhéa du mont Dindyme, mutilée de manière à lui donner l'attitude d'une suppliante. Voir mon livre sur l'Art païen sous les empereurs chrétiens, p. 185-186.
[24] Sozomène (V, 4) place cette scène έν Κωσταντινουπόλεως τειχίω. Évidemment il faut lire τυχείω. Cf. Socrate, III, 11.
[25]
Saint Athanase, De synod., 17, 25 ; Apol. contra Arian., 13, 72 ;
saint Hilaire, Fragm. II,
2 ; Philostorge, IV, 12 ; Théodoret, I, 28 ; II, 6 ; Socrate, I, 35 ; II, 18, 41
; Sozomène, I, 21 ; III, 10 ; IV, 24.
[26] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 564.
[27] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 564.
[28] Macrobe, Saturnales, I, 22. — Beugnot se trompe (Destruction du paganisme en Occident, t. II, p. 145) en citant la fontaine d'Apon comme ayant été encore o consultée n à la même époque par les habitants de la Vénétie, et en renvoyant sur ce sujet à Claudien, Eydillia VI. Claudien célèbre, dans cette pièce, les vertus merveilleuses d'une source thermale, et non d'une source fatidique.
[29] Eusèbe, alléguant le témoignage de Porphyre, dit que tous les oracles cessèrent de parler à la naissance de Jésus-Christ (Præp. evang., III, 1). Comme l'a très bien remarqué Beugnot (Destr. du paganisme en Occident, t. I, p. 208), a l'erreur d'Eusèbe est évidente ; mais on doit conclure de cette assertion que peu d'oracles jouissaient encore du don de la parole dans le quatrième siècle, puisque les chrétiens ne craignaient pas de dire qu'ils avalent complètement cessé de parler depuis trois cents ans.
[30] Julien, Contra christianos, cité par saint Cyrille, Contra Julianum, VI ; Neumann, Juliani imperatoris librorum contra christianos qua supersunt, p. 197.
[31] Ammien Marcellin, XXII, 12.
[32] Eusèbe, De vita Constantini, II, 26 ; Socrate, 1, 8 ; Sozomène, IV, 10.
[33] Eusèbe, De vita Const., II, 45.
[34] Eusèbe, Præp. evang., IV, 2.
[35] Templum fatidicum. Ammien Marcellin, XIV, 7.
[36] Ammien Marcellin, XIX, 12.
[37] Vita S. Porphyrii, 9, dans Acta SS., février, t. III, p. 655.
[38]
Cedrenus (éd.
[39] Y a-t-il encore ici un écho des Mémoires d'Oribase, connus soit directement, soit par l'intermédiaire d'Eunape ? Voir à l'Appendice, les Sources de l'histoire de Julien.
[40] Eusèbe, De vita Constantini, II, 50, 51 ; Lactance, De mort. pers., 11.
[41] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 154-155.
[42] Julien, Ép. 62 ; Hertlein, p. 584.
[43] Fragm. d'une lettre, 9 ; Ép. 62 ; Hertlein, p. 382, 584.
[44] Sozomène, Hist. ecclés., V, 3.
[45] Sozomène, Hist. ecclés., V, 3.
[46] Vectigalia civitatibus restituta cura fundis. Ammien Marcellin, XXV, 4. — Possessiones publicas civitatibus jubemus restitui. Loi du 13 mars 382. Code Théod., X, III, 1, — Præsceptum propositum est, quo jubebatur reddi idolis et neochoris et publicæ rationi, quæ præteritis temporibus illis sublata sunt. Historia acephala arianorum, 9.
[47] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et gentiles, 14.
[48] Julien, Ép. 4 ; Hertlein, p. 483.
[49] Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[50] Ép. 62 ; Hertlein, p. 583.
[51] Saint Jean Chrysostome, In sanctam Babylam contra Julianum et gentiles, 14.
[52] Saint Jean Chrysostome, In sanctam Babylam contra Julianum et gentiles, 14.
[53] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 22.
[54] Ammien Marcellin, XXII, 14.
[55] Ammien Marcellin, XIX, 12.
[56] Mamertin, Gratiarum actio, p. 178.
[57] Libanius, Epitaphios Juliani.
[58] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et gentiles, 14.
[59] Julien, Ép. 38 ; Hertlein, p. 535.
[60] Julien, Ép. 15 ; Hertlein, p. 494. Schwarz admet l'authenticité de cette lettre, qu'il place avec vraisemblance à la fin de décembre 381 ou au commencement de janvier 362 (De vita et scriptis, p. 38). F. Cumont la rejette pour des raisons de style, qui la lui font croire de la même main que les lettres apocryphes à Jamblique et à Sopater (Sur l'authenticité de quelques lettres de Julien, p. 17).
[61] Eunape, Vitæ soph. ; Maximus, p. 478-477.
[62] Ammien Marcellin, XXII, 7.
[63] Ammien Marcellin, XXII, 7.
[64] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 573.
[65] Reverenter. Ammien Marcellin, XXII, 7.
[66] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 573.
[67] Julien, Ép. 83 ; Hertlein, p. 585. — Le καθηγεμών dont il est question dans cette lettre est très vraisemblablement Maxime. C'est l'opinion de La Bletterie, de Heyler, de Talbot, d'Amos. Voir dans l'article de ce dernier, Zeitschr. f. Kirchengeschichte, 1895, p. 235, les raisons de repousser Jamblique proposé par Hertlein, p. 585, note.
[68] Julien, Ép. 2*., dans Revista di filologia, 1899, p. 298.
[69] Théodoret, Hist. ecclés., III, 22.
[70] Eunape, Vita soph. ; Maximus.
[71] Eunape, Vita soph. ; Maximus, p. 477.
[72] Eunape, Vitæ soph. ; Maximus, p. 478. — Libanius, De vita.
[73] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 20.
[74] Ammien Marcellin, XXI, 16.
[75] Ammien Marcellin, XXII, 1.
[76] Libanius, Ép. 672, 673, 730.
[77] Julien, Ép. 3* ; dans Revista di filologia, 1889, p. 301. — Schwarz (De vita et scriptis, p. 30-33) doute de l'authenticité des lettres 1*, 2*, 3* nouvellement découvertes ; cependant il les croit plutôt interpolées qu'inventées. Sa critique, du reste, est ici bien pointilleuse ; ainsi, l'une des raisons qui lui rendent suspecte la lettre 3* est l'exagération des éloges donnés à la science philosophique de Théodore. Ces louanges excessives sont bien dans le caractère de Julien. — MM. Bidez et Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite des lettres de l'empereur Julien, p. 125, note, admettent l'authenticité des trois lettres.
[78] Libanius, Epitaphios Juliani.
[79] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 515. — L'Ép. 72 de l'éd. Hertlein (74 d'Heyler) porte la même suscription, mais est considérée comme apocryphe. — Eunape dit même que Libanius reçut les insignes et le titre honoraire de préfet du prétoire ; mais Libanius n'en parie point, et aucune des lettres de Julien ne lui donne ce titre.
[80] Ammien Marcellin, XXII, 7.
[81] Ex negotio proprio forte repertus. Ammien Marcellin, XXII, 7.
[82] Corpus Inscr. lat., t. VI, 1779.
[83] Macrobe, Saturnales, I, 17.
[84] Corpus inscr. lat., t. VI, 1779.
[85] Voir Seeck, Symmachus, p. LXXVII.
[86] Aderat his omnibus. Ammien Marcellin, XXII, 7.
[87] Ammien Marcellin, XXII, 7.
[88] Zosime, IV, 3.
[89] Chronique d'Alexandrie ; Hist. acephala, 9.
[90] Julien, Ép. 6, 10, 51 ; Hertlein, p. 484, 488, 556.
[91] Sozomène, V, 3.
[92] Ammien Marcellin, XXII, 14.
[93] Ammien Marcellin, XXII, 14.
[94] Ammien Marcellin, XXII, 14.
[95] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. II, p. 176.
[96] Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 14.
[97] Lactance, De mort. pers., 36.
[98] Julien, Ép. 68 ; Hertlein, p. 585.
[99] Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[100] Ép. 21 ; Hertlein, p. 501.
[101] Ép. 62 ; Hertlein, p. 583.
[102] Gibbon, Decline and Fall of the
rom. Emp., ch. XXIII.
[103] Ép. 62 ; Hertlein, p. 584.
[104] Misopogon ; Hertlein, p. 467.
[105] Misopogon ; Hertlein, p. 467.
[106] Fragmentum epistolæ ; Hertlein, p. 371-392. — Ce Fragment ne fait probablement qu'un tout avec la lettre 63, qui, selon toute apparence, en forme l'exorde : la partie intermédiaire reliant les deux morceaux, et consacrée apparemment à une discussion théologique, manquerait : peut-être aurait-elle été supprimée par les chrétiens, comme l'ont été certaines parties trop polémiques de l'œuvre de Julien. Voir Hertlein, p. 588, note 12, et Asmus, Ein Encyklika Julians des Abtrünnigen, dans Zeitschrift, f. Eirchengeschichte, 1895, p. 60.
[107] Άρχιερέα μέγίστον. Hertlein, p. 383.
[108] Voir Beurlier, Essai sur le culte rendu aux empereurs romains, p. 120-154.
[109] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 382.
[110] Julien, Ép. 63 ; Hertlein, p. 588.
[111] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 383.
[112] Julien, Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[113] Ép. 63 ; Hertlein, p. 586.
[114] La Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. II, p. 187.
[115] Sacerdos, flamen, dans le monde latin ; άρχιερεύς τής πολέως, νεωκόρος ou même άρχινεωκόρος, dans le monde grec.
[116] Ép. 62 ; Hertlein, p. 584.
[117] Julien, Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[118] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111. Sozomène me parait étendre contrairement à toute vraisemblance l'assertion de saint Grégoire, quand il dit (V, 18) que Julien fonda des monastères d'hommes et de femmes.
[119] Beurlier, Essai sur le culte rendu aux empereurs romains, p. 163.
[120] Julien, Ép. 5 ; Hertlein, p. 484 ; Ép. 2*, Revista di filologia, 1889, p. 298.
[121] Julien, Ép. 21 ; Hertlein, p. 501.
[122] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111.
[123] Sozomène, V, 16.
[124] Julien, Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 387.
[125] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111.
[126] Julien, Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 387.
[127] Julien, Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 387.
[128] Julien, Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 387.
[129] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111.
[130] Julien, Ép. 56 ; Hertlein, p. 566.
[131] Julien, Ép. 56 ; Hertlein, p. 566.
[132] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111.
[133] Une seule exception : le philosophe Dion Chrysostome, au second siècle, qui, en Scythie, dans un temple de Jupiter, explique l'origine du monde, et en Grèce, aux jeux olympiques, prononce un discours sur les attributs de Jupiter, devant la statue de Phidias. Ce sage, qui voulait faire de l'éloquence sacrée, est un exemple unique dans l'histoire de la philosophie païenne. Voir Martha, les Moralistes dans l'Empire romain, p. 215 et suiv.
[134] Actes apost., XVII, 18.
[135] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111-124.
[136] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 194.
[137] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 119.
[138] Sozomène, V, 16.
[139] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 119.
[140] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 119.
[141] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 119.
[142] Aubé, la Polémique païenne à la fin du IIe siècle, Paris, 1878. — Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 76-80.
[143] Julien, Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[144] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 391.
[145] Julien, Ép. 2* ; dans Revista di filologia, 1889, p. 298.
[146] Libanius, Epitaphios Juliani
; Reiske, t. I, p. 564 ; cf. p. 617.
[147] Julien, Ép. 2*.
[148] Ép. 63 ; Hertlein, p. 587.
[149] Senserunt hoc stoici, qui servis et mulieribus philosophandum esse dicebant. Lactance, Div. Inst., III, 23.
[150] Voir dans les Esclaves chrétiens, 3e éd., le chapitre intitulé : l'Apostolat domestique.
[151] Libanius, Ad Antiochetios de Regis ira ; Reiske, t. I, p. 503.
[152] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 29.
[153] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 29.
[154] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111.
[155] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 112.
[156] Lactance, De mort. pers., 36.
[157] Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 14, 5 ; IX, 4, 6. — Cf. la Persécution de Dioclétien, t. II, 2e éd., p. 187.
[158] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 390-391.
[159] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 381.
[160] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 388.
[161] Julien est plus sévère pour les prêtres que la coutume romaine ne l'était pour les vestales elles-mêmes, qui n'avaient pas le droit d'assister aux luttes d'athlètes (Suétone, Octav., 44 ; Nero, 129), mais pouvaient voir les combats des gladiateurs dans l'amphithéâtre, non seulement au temps de Cicéron (Pro Murena, 35, 73), mais au quatrième siècle (Prudence, Contra Symmachum, II, 1090 et suiv.).
[162] Fragm. d'une lettre ; Ép. 49 ; Hertlein, p. 385, 390, 553.
[163] Hertlein, p. 389.
[164] Fragment d'une lettre, 8 ; Hertlein, p. 380.
[165] Hertlein, p. 382.
[166] Ép. 49.
[167] Ép. 49 ; Hertlein, p. 554.
[168] Ép. 49 ; Hertlein, p. 554.
[169]
Sine affectione,... sine misericordia.
[170] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 373.
[171] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 374.
[172] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 374.
[173] Cf. Odyssée, VI, 207.
[174] Τούς πέλας. C'est presque l'expression chrétienne, le prochain.
[175] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 37.
[176] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 391.
[177] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 391.
[178] Misopogon ; Hertlein, p. 468.
[179] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 391.
[180]
[181] Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[182] Ép. 49 ; Hertlein, p. 553. — Dans un passage bizarre du Misopogon, Julien se plaint que les femmes des Galiléens, en nourrissant les pauvres avec l'argent de leurs maris, donnent aux indigents un grand spectacle d'athéisme ; Hertlein, p. 468.
[183] Ép. 49 ; Hertlein, p. 554.
[184] Odyssée, XIII, 56-58. Cf. VI, 207-208.
[185] Ép. 49.
[186] Ép. 49.
[187] Cet usage existait dès les temps apostoliques ; saint Paul y fait allusion, II Cor., III, 1.
[188] Sozomène, V, 16.
[189] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 111.
[190] Πάντα όσα σύβολα διά τής εορτής ημΐν έπέμπτετο. Ép. 2* ; Revista di filologia, 1889, p. 298. Voir la note d'Asmus, dans Zeitschr. für Kirchengeschichte, 1895, p. 244. Il fait remarquer que σύβολα a le même sens que έπιστολιμαΐα γράμματα de saint Grégoire de Nazianze, et que Sozomène emploie, avec une signification semblable, comme synonymes συνθήματα et συμβόλα. Nous voyons dans la lettre 71 de Julien (Hertlein, p. 593) συνθήμα avoir un sens analogue à σύμβολον, pris dans l'acception de mandat de réquisition sur la poste impériale. Consulter le Thesaurus d'Estienne, aux mots συνθήμα et σύμβολον, et l'article d'Harnack, Litteræ formatæ, dans Herzog, Real-Encykl., 2e éd., t. VIII, p. 700. — Julien était en correspondance régulière avec la prêtresse, qui lui envoyait aussi des livres ; voir encore Ép. 5 (Hertlein, p. 234).
[191] Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[192] Voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., p. 465 et suiv., appendice A : les Domaines funéraires des particuliers et des collèges.
[193] Voir dans De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 408-409, la description des puticoli de l'Esquilin.
[194] Κοιμητήριον, cœmeterium.
[195] Chacun des collèges industriels de la ville devait fournir un homme, pour former ce corps de fossoyeurs. Cf. sur cette association, De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 534 ; Waltzing, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, t. II, p. 130.
[196] Une anecdote, racontée par Eunape (Vitæ soph., Jamblichus, éd. Didot, p. 459), montre bien l'horreur des païens pour les rencontres de funérailles. Le philosophe Jamblique revenait, avec plusieurs amis, d'offrir un sacrifice. Tout à coup, les regardant : Il nous faut prendre une autre route, dit-il, car un cadavre vient d'être levé non loin d'ici. Il se détourna, et prit un chemin plus pur. Les autres, parmi lesquels était Edesius, s'obstinèrent à suivre leur route, désireux de voir si leur maître avait prédit juste. Peu de temps après, ils aperçurent les gens qui portaient le cadavre.
[197] Code Théodosien, IX, XVII, 5.
[198] Ép. 77 ; Hertlein, p. 600. — Publiée d'abord par Hertlein dans l'Hermes, t. VIII, p. 167, et commentée par Mommsen, ibid., p. 172.
[199] Julien, Ép. 49 ; Hertlein, p. 553.
[200] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., p. 104. Cf. Arnould, De apologia Athenagoræ, p. 33 et 39.
[201] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 374.
[202] Saint Matthieu, v. 43-49. Cf. saint Paul, Rom., XII, 20. Cet amour du chrétien pour ses ennemis fait précisément une des différences entre lui et le païen : Si salulaveritis fratres vestros tantum, nonne et ethuici hoc faciunt ?
[203] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 374.
[204] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 374.
[205] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 374.
[206] Saint Ambroise, Ép. 18.