JULIEN L'APOSTAT

TOME SECOND. — JULIEN AUGUSTE. - JULIEN ET LE PAGANISME - JULIEN ET LES CHRÉTIENS : LA LÉGISLATION.

LIVRE V. — JULIEN AUGUSTE.

CHAPITRE II. — LA POLITIQUE.

 

 

I. — Les représailles.

L'enthousiasme qui accueillit Julien à Constantinople eut sans doute pour cause principale la grandeur de l'entreprise et l'éclat du succès. Mais les historiens ne nous laissent pas ignorer que d'autres motifs, probablement, contribuèrent à la joie du peuple. Il y avait d'abord ce mouvement instinctif, qui porte les foules à saluer le soleil levant, et à beaucoup attendre d'un changement de règne[1]. Il y avait ensuite le sentiment, plus réfléchi, d'une guerre civile, avec tout ce qu'elle trame de ruines et de périls, évitée contre toute attente[2]. Mais les premières mesures de Julien modifièrent un peu ces impressions favorables en montrant que l'ère nouvelle ne serait pas inaugurée sans représailles.

A peine, salué unanimement du titre d'Auguste, Julien se fut-il installé à Constantinople, qu'il forma une sorte de haute cour ou plutôt de commission mixte, composée de fonctionnaires civils et militaires, et chargée de juger les suspects. Ce premier usage du pouvoir absolu pouvait passer pour un acte révolutionnaire. Même dans les annales si chargées de l'histoire romaine, on lui trouvera difficilement un précédent. Le tribunal extraordinaire institué par Julien n'avait pas pour mission de punir un complot vrai ou imaginaire contre l'empereur régnant. Il devait jeter un regard en arrière sur le règne du précédent empereur, et juger les serviteurs de confiance de celui-ci, moins encore pour les méfaits. d'ordre général que pour les actes qui avaient été de nature à nuire à Julien et qui appelaient ses vengeances. C'était le contraire du mot célèbre : Le roi de France ne venge pas les injures du duc d'Orléans. Ici, l'Auguste commence son règne par venger les injures du César.

Le président du tribunal fut Secundus Sallustius, qui venait d'être nommé préfet du prétoire d'Orient[3]. En lui-même, le choix était bon. Salluste se montrera l'un des plus honnêtes fonctionnaires de Julien. C'était un homme absolument sûr, dit Ammien[4]. On le verra, quoique païen ardent, blâmer les violences exercées contre les chrétiens, et faire sur ce sujet des remontrances à l'empereur[5]. Investi par sa charge d'une compétence régulière en matière criminelle, il donnait à la nouvelle juridiction une apparence de légalité. Mais soit que ses occupations l'en tinssent souvent éloigné, soit qu'il ait vite répugné à la besogne qu'on attendait des juges, il laissa le plus souvent la direction des débats à un homme d'un tout autre caractère, le maître de la cavalerie Arbetio.

Celui-ci était un des anciens officiers de Constance. Tout récemment encore, il commandait l'avant-garde envoyée pour s'opposer à l'entrée de Julien en Thrace. De concert avec le chambellan Eusèbe, il avait contribué jadis à attirer le César Gallus dans le piège où l'infortuné devait périr[6]. C'est lui aussi qui, par ses intrigues, faillit perdre un des meilleurs généraux de ce temps, Ursicin, et contraignit le malheureux Silvain à la révolte[7]. Constance n'eut pas de flatteur plus empressé et plus dangereux qu'Arbetio. Sa nomination à la vice-présidence d'un tribunal où il eût dû paraître plutôt comme accusé que comme juge causa une grande surprise. Elle ne donna point, dit Ammien, une idée avantageuse de l'intelligence politique de Julien[8]. Mais Arbetio était de ces gens qui se retournent avec une promptitude extraordinaire, et passent d'un parti à l'autre sans honte comme sans embarras. Ils s'imposent à la fois par leur audace et par leur souplesse. Un pouvoir nouveau et encore mal affermi les accepte, sentant qu'il peut leur demander tous les services.

Auprès de lui siégeait un autre des anciens officiers de l'empereur défunt, l'allemand Agilo qui avait commandé de concert avec Arbetio le corps d'observation envoyé en 361 sur la frontière des Perses. Probablement s'était-il montré aussi prompt qu'Arbetio à donner des gages au pouvoir nouveau : mais il n'avait pas le mauvais renom de son collègue, et passait pour un homme honorable[9].

Les autres juges furent pris parmi les officiers ou les fonctionnaires venus avec Julien de Gaule à Constantinople. L'un était le rhéteur Mamertin, à qui Julien avait fait en quelques mois occuper les plus hauts postes, et qu'il venait de désigner pour le consulat : écrivain de talent, mais plat flatteur, dont le discours d'actions de grâces est un rare monument d'adulation. L'autre consul désigné, le Goth Nevitta, faisait également partie du tribunal. C'était lui, on s'en souvient, qui avait commandé le corps de l'armée d'invasion dirigé sur l'Orient par la Rhétie. Ammien Marcellin le représente comme un vrai Barbare, grossier, sans éducation, et abusant de son pouvoir et de sa fortune pour satisfaire sa cruauté[10]. Le commandant des troupes venues par l'Italie, le maître de la cavalerie Jovinus, était aussi l'un des juges. On nous le peint sous des couleurs plus favorables. Il passait pour un grand général[11], et, en effet, quelques années plus tard, il remportera en Gaule sur les Alemans plusieurs victoires, qui supportent sans désavantage la comparaison avec celles de Julien[12]. Probablement était-il chrétien, et est-il le même que le Jovinus, deux fois maître de la milice, qui, sous l'un des règnes suivants, fit construire à Reims l'église de Saint-Agricola[13].

Le tribunal était complété par les officiers de deux légions palatines, celle des Joviens et celle des Herculiens.

C'est à Chalcédoine que se tinrent les audiences. On ne nous dit pas pourquoi les juges durent ainsi franchir le détroit et s'établir sur la rive asiatique. Peut-être Julien craignait-il la turbulence du peuple de Constantinople. Il redoutait que la foule impressionnable d'une grande ville ne fût émue par tant de procès retentissants qui allaient se succéder sans interruption. Il appréhendait surtout qu'elle ne prit trop clairement parti pour quelques-uns des accusés. Cependant, à l'en croire, c'est l'opinion publique qui l'avait contraint à les poursuivre. Laisse-moi, écrit-il à l'un de ses amis, m'écrier avec les poètes : Ah ! que j'espérais peu me voir sauvé ! Et j'ajoute : Que j'espérais peu te voir échapper, toi aussi, à l'hydre aux mille têtes ! Par Jupiter, ce n'est pas mon frère Constance que je désigne ainsi. Il était ce qu'il était : mais autour de lui se tenaient des bêtes féroces, dont le regard menaçait tout le monde, et qui le rendaient plus cruel, bien que par nature il fut moins doux qu'il ne paraissait à quelques-uns. Pour lui, puisqu'il est maintenant au rang des bienheureux, que la terre lui soit légère, comme on dit ! Quant à eux, Jupiter sait que je ne veux pas qu'on les fasse souffrir injustement. Cependant, comme beaucoup d'accusateurs s'élèvent contre eux, un tribunal a été réuni[14].

Le premier qui comparut devant ce tribunal était un ancien fonctionnaire de Gallus, Palladius, qui avait occupé près du frère de Julien le poste de maître des offices. Il était soupçonné d'avoir envoyé à Constance des rapports défavorables au jeune César. Cela suffit à entraîner sa condamnation. Il fut exilé en Bretagne[15]. Le second accusé, Taurus, avait été presque sans interruption préfet du prétoire d'Italie de 353 à 361. Il s'était trouvé jadis assez mêlé aux affaires de l'arianisme, ayant fait partie, en 358, d'une commission nommée pour entendre les explications de l'hérésiarque Photin, puis ayant rempli, en 359, le rôle de commissaire impérial au concile de Rimini, où il exerça sur la liberté des évêques une coupable pression[16]. On l'inculpa d'avoir quitté l'Italie quand les troupes de Julien y entrèrent, et de s'être alors refugié à la cour de Constance, son souverain légitime. Il était, avec Florentins, consul de l'année 361 ; et comme on se trouvait encore aux derniers jours de celle-ci, le procès-verbal de l'audience commença par ces mots, dont l'ironie mécontenta beaucoup de monde : Sous le consulat de Taurus et de Florentins, les huissiers appelèrent la cause de l'accusé Taurus[17].... Il fut exilé à Verceil. Les vrais juges du juste et de l'injuste, dit Ammien, — c'est-à-dire l'opinion publique, — s'étonnèrent de voir condamner pour un fait qui n'offrait même pas l'ombre d'un délit[18].

Florentins, maître des offices, distinct de son homonyme le consul, fut exilé dans une fie de la côte dalmate ; Evagrius, receveur du domaine ; Saturnin, intendant du palais, et le notaire Cyrinus furent également punis de l'exil[19]. Ammien Marcellin ne nous dit pas l'inculpation produite contre eux. Libanius prétend qu'ils avaient tenu des discours injurieux contre Julien, et qu'après la mort de Constance ils avaient essayé de susciter un autre candidat à l'Empire[20].

Pentadius, l'un des secrétaires de Constance, fut accusé d'avoir interrogé Gallus et recueilli par écrit ses réponses ; mais il se défendit avec énergie, et prouva qu'il n'avait agi que par ordre. Son attitude en imposa aux juges, qui le renvoyèrent absous[21].

Le premier condamné à mort fut le collègue de Taurus dans le consulat, l'ancien préfet des Gaules, Florentins. On se souvient que celui-ci avait souvent mécontenté Julien. Il avait été en conflit avec le César à l'occasion de la levée des impôts. Depuis lors, Julien n'avait cessé de le considérer comme un ennemi[22]. A l'en croire, Florentius aurait été jusqu'à demander à Constance de lui ôter le commandement de l'armée des Gaules[23]. Tout entier à ses rancunes, Julien oubliait qu'au moment où il hésitait à livrer la bataille de Strasbourg, c'étaient les conseils de Florentius qui l'y avaient décidé, et qu'en une autre circonstance Florentins lui avait très opportunément amené en Germanie des convois de vivres. Mais il se rappelait avec amertume l'inexplicable inaction du préfet lors de la crise de 360, et son refus de quitter Vienne pour se rendre à Paris. Trop inquiet à ce moment de son propre sort pour songer à une vengeance immédiate, Julien l'avait laissé sortir de la Gaule et se réfugier près de Constance. Celui-ci nomma Florentins préfet d'Illyrie. L'approche de Julien l'avait décidé à s'enfuir en même temps que Taurus. Moins confiant que ce dernier, il s'était caché, avec sa femme : les agents de Julien ne purent découvrir sa retraite. On ne sait où il trouva un asile ; mais jamais il ne reparut, et la condamnation prononcée contre lui ne fut pas exécutée[24].

Moins heureux, l'ancien ministre des finances[25], Ursule, périt de la main du bourreau. De toutes les sentences prononcées par le tribunal, nulle plus que celle-ci n'excite l'indignation d'Ammien. C'était, dit-il, à faire pleurer la Justice elle-même[26]. L'empereur, ajoute l'historien, se conduisit en ingrat[27]. En effet, Julien devait beaucoup à Ursule. Quand il fut envoyé en Gaule avec le titre de César, il était, au début, surveillé de très près, et gêné dans tous ses mouvements. En particulier, il n'avait pas la libre disposition du trésor public. Les largesses à l'armée lui étaient ainsi rendues impossibles. Ursule comprit ce que cette situation avait de gênant et de blessant pour le jeune prince. Il prit sur lui de la faire cesser. Sous sa propre responsabilité il envoya au trésorier des Gaules l'ordre de laisser Julien puiser librement dans les caisses publiques. Aussi sa condamnation et son exécution indignèrent-elles tous les honnêtes gens. Julien sentit leur réprobation[28]. Il s'excusa sur le sentiment de l'armée. Les juges militaires, disait-il, avaient voulu punir Ursule d'un propos qui les avait blessés. On racontait que, lors de l'expédition de Constance au delà de l'Euphrate, quelques mois auparavant, Ursule, apercevant les ruines d'Amide, prise et détruite par Sapor l'année précédente, s'était écrié : Voici comment les villes sont défendues par les soldats ; et cependant le trésor de l'Empire s'épuise pour payer leur solde ![29] Cette défense assez piteuse de Julien ressemble assez à l'excuse donnée, vingt-quatre ans plus tôt, au meurtre de ses parents : Constance n'y était pour rien, les soldats avaient tout exigé ! Les amis de Julien enchérirent encore sur ses propos : Libanius raconta qu'Ursule fut sacrifié à la colère de toute l'armée, qu'il avait frauduleusement privée des largesses du prince[30]. C'était tout juste le contraire de la vérité, puisque c'est en partie à Ursule que l'armée, en Gaule au moins, avait dû de recevoir la solde et les distributions accoutumées. Julien, d'ailleurs, n'était pas lié par la sentence du tribunal,, ou par l'opinion des chefs militaires qui en faisaient partie : il avait, comme tout souverain, le droit de faire grâce. Il n'eut pas le courage d'en user[31]. Il se crut assez généreux en exemptant de la confiscation une partie du patrimoine du condamné, et en permettant à la fille d'Ursule de la recueillir[32]. Ce procès, qui fait peu d'honneur au nouvel Auguste, montre en même temps la valeur morale des tribunaux d'exception, créés pour une besogne politique : les hommes les plus considérables y sont condamnés sur un propos en l'air, par rancune, en l'absence de tout crime ou de tout délit. Le procès d'Ursule avait été présidé par Arbetio, qui avait conduit les débats, dicté la sentence, les autres juges paraissant se désintéresser du résultat et ne siéger que pour la forme[33].

Les dernières condamnations prononcées par le tribunal devaient être mieux reçues de l'opinion publique. Apodemius, l'un des auteurs de la mort de Gallus et de celle de Silvain, fut brûlé vif[34] : c'était, dit Ammien, un ennemi opiniâtre et persévérant de tous les gens de bien[35]. Le célèbre secrétaire Paul la Chaîne, dont les dénonciations avaient fait périr tant d'innocents, subit le même supplice : Libanius est peut-être, ici, le fidèle interprète des haines populaires, quand il s'écrie avec un accent féroce que tous ceux qui connaissaient le condamné regrettèrent, après son exécution, qu'on ne pût lui rendre la vie pour le tuer encore une seconde et une troisième fois[36]. Eusèbe fut également condamné à mort. Ce chambellan favori de Constance avait eu avec Apodemius une grande part à la mort de Gallus : il avait, de plus, été chargé de juger les amis du malheureux César, et s'était montré impitoyable[37]. Sans doute, la condamnation de l'eunuque maudit, comme l'appelle Julien[38], satisfaisait les rancunes personnelles du prince ; mais son orgueil et ses intrigues avaient rendu Eusèbe tellement insupportable, même aux amis de Constance, que son supplice parut juste.

Telle fut l'œuvre de la commission extraordinaire instituée par Julien. Onze accusés comparurent devant elle. Six furent exilés, cinq furent condamnés à mort, un seul fut acquitté. Les flatteurs du prince ou ses partisans les plus aveugles approuvèrent en bloc tous ces jugements. Quelques-uns même les estimèrent trop doux. Pour eux, la mort seule eût dû être prononcée. Parmi ces terroristes se trouvèrent des hommes de mœurs ordinairement paisibles, comme Libanius : Il y en a eu, s'écrie-t-il, de condamnés à des peines mitigées, quand ils auraient mérité la mort[39]. Ce qui console le rhéteur, c'est que les exilés seront privés du droit de parler en public, privation qui, à ses yeux, est le pire des châtiments. Au moins, dans les îles où on les relégua, ont-ils appris à tenir leur langue ![40] Les gens de bonne foi et de sens rassis apprécièrent autrement tous ces faits. Ils en reçurent une impression tantôt indignée, tantôt pénible. C'est encore Ammien, ce représentant si exact de l'opinion moyenne, qui nous l'a fait connaître. Aux fortes expressions que nous lui avons déjà empruntées à propos de quelques causes particulières, il convient d'ajouter ce jugement d'ensemble : Le tribunal, dit-il, se laissa emporter par la passion. Il dépassa les bornes du bon et du juste, excepté dans un petit nombre d'affaires, où les accusés étaient vraiment de grands coupables[41].

A peine la cour de Chalcédoine s'était-elle dispersée, qu'un de ses membres était appelé à prononcer, contre d'autres accusés, une nouvelle sentence. Comme préfet du prétoire d'Italie et d'Illyrie, Mamertin eut à juger les auteurs et les complices de la rébellion d'Aquilée.

On se souvient qu'à l'heure où expira Constance, Aquilée résistait encore, et combattait pour la cause de celui-ci, que ses habitants et ses défenseurs persistaient à regarder comme leur souverain légitime. On se souvient aussi que les uns et les autres considérèrent comme une fausse nouvelle l'annonce de sa mort. Dès son entrée à Constantinople, Julien avait rappelé Jovinus, dont il estimait les services plus utiles près de sa personne, et l'avait remplacé à la tête des assiégeants par le comte Immo. Celui-ci, conformément aux instructions reçues, renonça aux assauts et à l'espoir de prendre la ville de vive force, et transforma le siège en blocus. Dans l'espoir de réduire les habitants par le manque d'eau, il détourna le cours de l'Isonz, qui traversait la ville[42] ; mais les puits que renfermait celle-ci suffirent aux assiégés. Il semblait que rien ne fût capable de vaincre leur opiniâtreté et leur incrédulité, quand Julien se décida à envoyer vers eux le maître de l'infanterie Agilo, dont le renom d'honneur et de probité aurait peut-être raison de leur défiance. C'est ce qui arriva en effet : attestée par lui, la mort de Constance fut d'abord rejetée encore une fois par les habitants comme une fausse nouvelle ; mais après qu'avec leur autorisation il fut entré seul, sans escorte, dans la ville et eut renouvelé devant eux son affirmation, ils crurent enfin. Cessant alors une résistance poursuivie avec intrépidité pendant deux mois, ils firent, les derniers de tous, adhésion au nouveau règne ; mais, avec la mobilité habituelle aux foules, ils se tournèrent aussitôt contre ceux qui avaient jusque-là dirigé leurs efforts, et livrèrent aux officiers de Julien le tribun Nigrinus, avec quelques-uns de ses auxiliaires, parmi lesquels deux curiales, Romulus et Sabostius[43].

A d'autres époques, et sous d'autres régimes, ces prisonniers eussent probablement été déclarés innocents. Des soldats de Constance, que nul n'avait déliés de leur serment, se retranchant, du vivant de celui-ci, dans une ville de son Empire pour obéir au vœu des habitants en la lui gardant avec fidélité, ne remplissaient, semble-t-il, que leur devoir, et les personnages civils qui les aidaient faisaient acte, non de rebelles, mais de sujets loyaux et de bons citoyens. L'ignorance où ils étaient restés ensuite de la mort de Constance, leur incontestable bonne foi, les excusait d'avoir prolongé la résistance après le temps où Julien avait succédé régulièrement à celui-ci. Mais la philosophie du temps, celle même de Julien, eussent été incapables de s'élever à une conception aussi simple de la justice. A coup sûr, on n'eût pu l'attendre d'un flatteur du prince tel que Mamertin. Ce haut fonctionnaire déclara Nigrinus coupable de lèse-majesté, et le fit brûler vif. Les deux curiales furent condamnés à la décapitation. On crut donner beaucoup à l'humanité en acquittant les autres, comme ayant combattu par contrainte, et non de leur libre volonté. Ainsi, en toute équité, décida le clément et miséricordieux empereur, dit Ammien, sans aucune ironie[44].

Les représailles n'étaient pas terminées. Plusieurs des hauts magistrats ou des intimes conseillers de Constance avaient été frappés. Les plus compromis des défenseurs d'Aquilée venaient d'expier leur fidélité. Julien se tourna vers les palatins[45].

Ceux-ci étaient légion. Même en laissant de côté la maison militaire du souverain, sa maison civile formait une véritable armée. A la nuée des secrétaires, notaires, agents de police, courriers de cabinet, directeurs, chefs, sous-chefs et employés des divers bureaux de la chancellerie et de la trésorerie, sous la direction générale du maître des offices, s'ajoutait la foule, non moins nombreuse, des gens attachés au service personnel de l'empereur, chambellans, majordomes, pages, intendants, conservateurs de la garde-robe, architectes, médecins, auxquels présidait le grand chambellan[46]. On se préparait dès l'enfance, dans des écoles spéciales, aux emplois palatins[47] ; l'on y faisait toute sa carrière, montant de degré en degré[48] ; quelquefois on arrivait par cette filière aux plus hautes charges administratives et politiques[49]. L'administration palatine venait d'être deux fois décapitée, puisque le maître des offices, Pentadius, était exilé en Bretagne, et que le grand chambellan Eusèbe avait été mis à mort. Il restait à Constantinople, — à Rome aussi, où la résidence impériale du Palatin gardait tous ses services organisés, et où les empereurs possédaient un domaine immense[50], — la multitude des employés subalternes, plus ou moins associés à la politique de Constance : c'est eux que Julien entreprit maintenant d'épurer.

Beaucoup s'étaient rendus coupables de graves abus. Constance avait laissé les eunuques de sa cour prendre sur son esprit un grand empire. La direction de nombreuses affaires avait été abandonnée à des gens sans valeur intellectuelle et morale, devenus influents pour avoir su flatter la vanité du souverain. Ces favoris n'avaient vu dans leur pouvoir qu'un moyen de s'enrichir. A leur exemple, la plupart de ceux qui occupaient des emplois subordonnés avaient fait assaut de vénalité. On rencontrait ainsi, à tous les degrés de l'administration palatine, des gens partis de rien, mais ardents à saisir toutes les occasions de gain, qui avaient fait en peu d'années des fortunes énormes[51]. Leur patrimoine s'était arrondi aux dépens du public[52]. Quelques-uns, profitant de la défaveur où était tombé le culte païen, avaient obtenu la concession d'anciens domaines des temples : d'autres même s'étaient construit des maisons avec les pierres provenant de sanctuaires d'idoles confisqués ou abandonnés[53]. La présence, dans les bureaux du palais, d'hommes ainsi engraissés des dépouilles de l'idolâtrie[54], devait mettre au comble la colère de Julien. Il frappa à tort et à travers[55]. Jusqu'où allèrent les exécutions ? Y eut-il des disgraciés seulement, ou y eut-il aussi des suppliciés ? Dans une lettre écrite par Julien aux Juifs, il est question de barbares d'esprit et de cœur assis à la table de Constance que Julien fit saisir et jeter dans des fosses, où ils sont morts sans laisser trace de leur trépas[56]. Si ces barbares sont des palatins, il y aurait eu dans leurs rangs des exécutions sanglantes. Mais peut-être ces paroles ambigus font-elles allusion à d'autres exécutions, celles que commanda le tribunal extraordinaire réuni à Chalcédoine. Dans son premier discours contre Julien, saint Grégoire de Nazianze rappelle l'épuration du palais, en termes qui laissent supposer des condamnations capitales. Julien, dit-il, changea toute la cour, les uns ayant été d'abord mis à mort, les autres ayant été éloignés ou chassés[57]. Libanius parle seulement d'expulsions[58]. Ammien Marcellin ne s'explique pas clairement ; mais il s'exprime avec sévérité, quand il dit que, dans toute cette affaire, Julien ne se conduisit pas comme un philosophe qui ne recherche que la vérité[59]. Et il le blâme nettement de n'avoir pas distingué entre les palatins, mais de les avoir disgraciés en bloc. Julien eût agi d'une manière digne de louange, s'il en avait conservé quelques-uns, car il y avait parmi eux une minorité recommandable par la modération de sa conduite et l'honnêteté de ses mœurs[60].

Une conséquence de condamnations si nombreuses fut l'acquisition de biens immenses, qui devinrent l'apanage du fisc, c'est-à-dire du trésor du prince. La fortune des condamnés lui était dévolue. Constance, par des lois de 356 et 357, signées de lui et de Julien, avait restreint cette peine accessoire aux seuls crimes de lèse-majesté et de magie[61]. Mais, par une loi de 358, portant également son nom et celui du César, il avait supprimé presque aussitôt cette restriction, et restitué au fisc toute sa proie[62]. Dans une seule circonstance, Julien eut la pensée d'atténuer ses rigueurs : on a vu que, obligé de donner satisfaction à l'opinion publique, il rendit à la fille d'Ursule une partie des biens de son père. Mais, pour tous les autres cas, il songea plutôt à aggraver la législation de son prédécesseur. Tant de condamnés, par conséquent tant de familles dépouillées de leurs biens, tombant tout à coup du luxe et de l'opulence dans la plus noire misère, avaient ému beaucoup de gens. Des amis de toute condition, riches ou pauvres, peut-être d'anciens serviteurs, avaient aidé à dissimuler une partie de l'avoir, soit des accusés punis par la cour de Chalcédoine, soit des Césariens proscrits. Par une loi du 26 mars 362, adressée au trésorier Félix, Julien punit comme un crime ces actes d'humanité. Quelques-uns, dit-il, cachent avec scélératesse les biens des proscrits. Voici ce que nous ordonnons : s'ils sont riches, ils seront proscrits eux-mêmes ; si leur pauvreté les rejette dans la vile lie du peuple, ils encourront la peine capitale[63].

 

II. — Les réformes.

On s'étonne que la loi du 26 mars échappe aux historiens qui célèbrent les vertus philosophiques de Julien. Au moins ne l'ai-je jamais vue citée. Apparaissant ainsi presque au début du règne, au lendemain et comme sanction de ses premières rigueurs, elle jette une lueur sinistre sur le caractère et sur les actes futurs du prince. Hâtons-nous de dire que tout ne fut pas aussi blâmable dans les mesures précipitées qui marquèrent sa prise de possession du pouvoir. A côté des représailles, il y eut les réformes. Beaucoup de celles-ci, bien que faites avec trop d'ostentation, étaient probablement utiles. La population du palais dépassait toute mesure. A en croire Libanius (mais, en matière de chiffres, nul n'est moins précis que lui), il y avait à la cour de Constantinople mille cuisiniers, autant de barbiers, encore plus d'échansons : les eunuques y étaient aussi nombreux que les mouches en été[64]. Tous les gens qui voulaient être nourris sans rien faire achetaient quelque charge de la domesticité impériale[65]. Julien chassa résolument cet essaim d'inutiles[66]. Je n'ai pas besoin d'eunuques, dit-il, puisque je n'ai plus de femme et que je n'ai pas dessein de me remarier ; tous ces cuisiniers sont pour moi superflus, car je me contente de la nourriture la plus simple ; à quoi bon tant de barbiers, puisqu'un seul suffit au service de plusieurs personnes ?[67] On raconte que, lors de son arrivée à Constantinople, il avait voulu se faire couper les cheveux. Un personnage somptueusement vêtu se présenta. Je n'ai pas demandé un intendant des finances ou un sénateur, mais un barbier, dit Julien en le regardant avec surprise[68]. S'informant des gages de ce fonctionnaire, il apprit qu'on lui comptait la nourriture quotidienne de vingt hommes et de vingt chevaux, plus un traitement annuel, et de nombreux profits. Débarrasser le service du prince de tels parasites était certainement faire œuvre utile.

Peut-être Julien fut-il moins bien inspiré en supprimant, ou au moins en réduisant considérablement[69], les scholæ des secrétaires (notarii), des employés ordinaires de la police impériale (agentes in rebus), et de ces inspecteurs, les curiosi[70], devenus peu à peu dans les provinces des surveillants politiques en correspondance directe avec le prince. L'expédition des affaires et même la sécurité de l'État étaient exposées à souffrir d'une réforme qui aurait eu besoin au moins de n'être pas précipitée. Mais Julien mûrissait rarement ses décisions. Le coup dut être rude aux intéressés, car on voit qu'ils cherchèrent tous les moyens de recouvrer leurs emplois supprimés. Deux employés de police (agentes in rebus), désespérés de leur destitution, vinrent trouver Julien, lui offrant, s'il voulait leur rendre un grade dans la milice palatine, de lui découvrir la retraite de l'ancien préfet Florentius, condamné à mort par les juges de Chalcédoine. L'offre était audacieuse : la manière dont la reçut Julien lui fait honneur. Vous êtes des délateurs, dit-il aux agents. Il serait indigne d'un empereur d'employer la ruse pour connaître le lieu où se cache, par crainte de la mort, un homme auquel on fait une sorte de grâce en ne cherchant pas à le trouver[71].

Les réformes opérées par Julien dans les divers emplois palatins ne paraissent pas avoir produit sur l'opinion publique tout l'effet qu'il en attendait. Elles excitèrent des sentiments mélangés. Les uns approuvèrent : un plus grand nombre blâma, disant que, par une affectation de simplicité, le nouvel Auguste dépouillait la dignité souveraine de l'éclat extérieur dont elle a besoin pour s'imposer aux foules[72]. D'ailleurs, il en fut de ces réformes comme de tout ce qui est hâtif et mal conçu. Julien fut vite obligé de rétablir les services qu'il avait désorganisés. On trouve des lois de lui, accordant des privilèges aux employés de la secrétairerie impériale[73] et aux agentes in rebus[74]. Quant aux lois sévères qu'il rendit au sujet de certains agents du trésor, numerarii, les menaçant du bourreau en cas de malversations[75], elles ne dépassent pas en rigueur celles de Constantin et de Constance[76] ; elles renferment une disposition originale, ordonnant qu'après cinq ans de charge ils vaqueront pendant une année, afin de laisser aux gens qui auront été lésés par eux le temps de porter plainte ; mais elles ajoutent qu'après sept ans de gestion irréprochable ils seront élevés au grade de perfectissimes, afin que ce titre de noblesse efface ce qu'avait d'infime leur condition précédente[77].

Il est un point sur lequel l'esprit réformateur de Julien trouva à s'employer utilement. Ce que Julien savait le mieux, c'était la guerre. Il excellait à organiser une armée, à tirer parti de soldats même peu nombreux, et à mettre en état de défense des frontières menacées. Son récent voyage à travers l'Europe orientale, moitié par terre, moitié en descendant le cours du Danube, avait montré à son œil exercé les points faibles de la frontière couverte par le grand fleuve, depuis le Norique jusqu'à la Thrace. Cette dernière province lui paraissait insuffisamment protégée. Par son ordre, on releva les remparts des places dispersées le long du Danube, c'est-à-dire n'appartenant pas à la Thrace proprement dite, mais à l'étroite bande de Mésie inférieure resserrée entre le Danube et l'Hémus, et connue sous le nom de Ripa Thraciæ. Là étaient les villes militaires de Troesmis, de Dorostore et de Novæ. D'elles apparemment parle Ammien, quand il dit que Julien mit des gouverneurs connus et aimés des soldats dans les places de cette région les plus exposées aux incursions des Barbares, les munit d'armes, d'uniformes, de vivres, et y envoya de l'argent pour assurer aux garnisons le paiement régulier de leur solde[78].

Dans le même temps Julien, voulant combattre les habitudes de mollesse et de luxe que Constance avait laissé s'introduire dans l'armée[79], força les soldats à reprendre la coutume du travail. Un bon général, avait-il écrit quelques années auparavant, ne les souffre pas endormis, oisifs, mal aguerris ; de tels gardiens auraient besoin d'être gardés eux-mêmes ; mais il les accoutume à supporter tous les travaux, à se montrer endurants et sans mollesse, convaincu qu'il y a peu de secours à attendre d'un gardien qui fuit le travail, qui ne sait pas le supporter, et qui ne résiste pas à la fatigue[80]. Par application de ces principes, une loi du 6 janvier 362 ordonna que le fourrage fourni aux troupes par les provinces ne serait plus apporté que jusqu'à vingt milles du camp ou de la ville de garnison[81]. C'était obliger les soldats à faire au moins une journée de marche pour aller le chercher, et, selon une parole déjà ancienne de Julien, à reprendre les habitudes pratiquées en temps de paix pour servir de prélude aux luttes avec l'étranger[82].

Les conseillers militaires de Julien auraient voulu des décisions plus belliqueuses. Ils espéraient que, suivant la tactique qui lui avait si bien réussi aux bords du Rhin, il prendrait l'offensive pour aller chercher les Goths sur la rive gauche du Danube[83]. Ce n'est pas que l'Empire fût en ce moment en guerre avec leurs tribus. Elles étaient au contraire liées à lui par des traités, et, dépourvues d'industrie, achetaient aux commerçants de Mésie et de Thrace la plupart des objets nécessaires à la vie[84]. Mais on disait les Goths aussi trompeurs et perfides que les Germains[85]. A tort ou à raison, leurs masses agglomérées le long du Danube semblaient une menace perpétuelle. On s'imaginait qu'un coup de force, les frappant de terreur, les réduirait pour quelques années au moins à l'impuissance. C'est ce que Valens tentera avec succès en 367[86]. Mais Julien ne se contentait plus de victoires aussi modestes. Il commençait à subir la fascination de l'Orient. Déjà le projet d'une expédition grandiose en Perse se dessinait dans son esprit. L'émule de Marc-Aurèle rêvait aujourd'hui d'Alexandre le Grand. Je cherche des ennemis plus dignes de moi, répondit-il à ceux qui lui demandaient de renouveler au delà du Danube ses exploits de Germanie[87]. Et, faisant allusion aux nombreux Goths mis en vente par les trafiquants de Galatie, qui étaient au quatrième siècle les plus grands marchands d'esclaves du monde romain[88] : Ces gens-là, ajoutait-il, suffisent pour cette sorte d'ennemis[89].

Ce premier symptôme d'une politique inquiétante nous frappe, parce que nous connaissons la suite des événements. Mais il échappait encore aux contemporains. Les nations étrangères, chez lesquelles sa renommée s'était promptement répandue, ne voyaient en Julien que le victorieux digne, par son génie militaire et ses vertus privées, des plus grandes faveurs de la Fortune. Toutes celles qui avaient des rapports, même lointains, avec l'Empire romain pensèrent à lui demander la paix[90]. Soit en Thrace, soit à Constantinople, il reçut les envoyés de ces Goths qu'il avait dédaigné de combattre : il les menaça de la guerre, afin d'obtenir un traité plus avantageux[91]. Ammien cite, parmi les députations qui se mirent en route pour aller le saluer, les ambassadeurs du roi d'Arménie, les envoyés des satrapes de la Corduène et de l'Adiabène[92], des rajahs de l'Inde et de Ceylan[93], des princes de la Mauritanie, des montagnards du Caucase[94], des rois du Bosphore[95]. On croira difficilement que Julien soit demeuré insensible à de tels hommages. Cependant il ne semble pas en avoir conçu de vanité puérile. Ni dans ses écrits ni dans ses lettres, il n'y fait allusion. Son orgueil était de trempe plus solide. Les flatteries des Barbares le laissaient à peu près insensible. Ce qu'il recherchait avec ardeur, c'était la popularité[96]. Il se flattait de l'acquérir en affectant la simplicité d'un philosophe, et en outrant la déférence que les empereurs de l'ancien temps avaient montrée aux magistrats du peuple romain.

Cela parut le 1er janvier 362. Le rhéteur Mamertin et le Goth Nevitta prenaient possession du consulat. Dans le remerciement prononcé à cette occasion, Mamertin rappelle, avec une naïveté de parvenu, et en insistant lourdement sur les détails, les démonstrations de respect prodiguées par Julien aux deux consuls.

Mon collègue et moi, dit-il, nous redoutions quelque excès de bienveillance de la part de ce grand prince. Aussi, dès le point du jour, nous rendîmes-nous au palais[97]. C'était le moment où il donnait audience. On nous annonce. Alors il se précipite de son siège et s'élance, le visage bouleversé. Fendant à grand'peine les flots du peuple qui nous précédait, il s'avance le plus loin possible au-devant de nous. Là, ô divinité sainte ! de quelle bouche, de quel cœur, dans l'allégresse de tous, dit-il : Illustre consul ! Il daigna nous donner un baiser de sa bouche consacrée par le souffle de la divinité : il nous tendit la main, cette main, gage immortel de vertu et de foi... Quelle fut la joie du peuple, qui te voyait sourire à tes consuls ?... Porte-toi bien, disais-tu, consul très illustre ! Oui certes, je me porte bien, empereur, et je me porterai bien, puisque c'est toi, l'auteur de mon bien-être, qui m'en donnes l'ordre. Consul très illustre ! Oui, je suis vraiment consul, et très illustre, puisque c'est de toi que je tiens le consulat... Après les premières salutations échangées, il demande ce qui plaît à notre autorité consulaire, prêt à remplir son devoir de sénateur, soit que nous décidions de paraître au tribunal, de convoquer l'assemblée du peuple, ou de monter sur les rostres. Mais le programme de la solennité nous appelle à la curie. Alors il se place aux côtés des consuls, vêtu de la toge, à peine distingué des autres magistrats, et sans pourpre... Il commande d'ouvrir les portes du palais, et d'y faire entrer les litières des consuls : et comme, par respect pour lui, nous refusions de nous y asseoir, il nous y contraint de ses propres mains : puis, mêlé à la foule des magistrats, il nous précède à pied, réglant son pas sur celui du licteur[98]...

Ammien raconte la chose plus simplement. Le jour des calendes de janvier, dit-il, quand Mamertin et Nevitta inscrivirent leurs noms dans les fastes consulaires, on vit le prince marcher devant eux avec les magistrats : beaucoup l'en louèrent, mais d'autres le blâmèrent, trouvant dans son acte de l'affectation et un excès d'abaissement[99]. Quelques jours plus tard, ajoute l'historien, l'un des consuls, Mamertin, donna des jeux, selon l'usage. Julien était présent. La coutume était d'amener au cirque, en présence du nouveau consul, quelques esclaves, qu'il affranchissait. Se trompant, Julien prononça la formule légale de manumission. On lui fit observer que, ce jour-là, c'était au consul qu'il appartenait d'affranchir. L'empereur, alors, se déclara en faute, et se condamna à une amende de dix livres d'or, comme coupable d'avoir usurpé sur les droits d'un magistrat[100].

Julien ne se montra pas moins prévenant envers les sénateurs. Je me fais honneur d'appartenir à l'ordre sénatorial, et j'ai le devoir de défendre ses droits et son autorité, écrit-il au préfet Salluste, le 5 février 362[101]. Il fréquenta assidûment la curie de Constantinople[102]. Cette assemblée fut probablement sensible aux égards qu'il lui montra. Malgré l'éclat extérieur dont Constantin et Constance avaient voulu l'entourer, et bien qu'elle renfermât quelques personnages considérables, comme Themistius, elle demeurait, selon un mot déjà cité, un sénat de second ordre. Elle tenait le milieu entre le sénat vraiment aristocratique de Rome et les conseils municipaux des grandes villes. Libanius assure que, toutes les fois que Constance voulait s'occuper avec elle d'une affaire, il mandait ses membres au palais, et, devant les sénateurs debout, expliquait en quelques mots brefs ses intentions[103]. Peut-être ne faut-il pas prendre à la lettre cette assertion, car les messages ou les allocutions de Constance au sénat de Constantinople, que les documents législatifs nous ont conservés, paraissent au contraire d'un ton cérémonieux et courtois. Julien voulut toujours traiter cette assemblée comme il aurait traité le sénat romain : ce qu'explique en termes assez impropres l'historien Zosime, disant qu'il accorda à Constantinople d'avoir comme Rome un sénat[104]. Au lieu d'appeler les sénateurs au palais, Julien se rendait lui-même à la curie : il y prenait séance, se mêlait aux discussions, et veillait à ce que tous demeurassent assis en sa présence. Les Codes, cependant, ne gardent pas trace de privilèges nouveaux accordés par lui à l'assemblée de Constantinople[105]. Malgré les allures hautaines qu'on prête à Constance envers elle, c'est de ce prince qu'elle tient la plupart de ses attributions. Mais, de la part d'un souverain, les marques de déférence données à propos touchent quelquefois plus que des avantages solides. Mamertin a peut-être traduit avec exactitude ce que sentaient les pères conscrits de Constantinople, quand il félicite Julien non seulement d'avoir rendu au sénat son ancienne dignité, mais encore de l'avoir entouré de nouveaux honneurs[106]. Cependant les esprits plus libres ne pouvaient s'empêcher de reconnaître de l'affectation dans les rapports de Julien avec le sénat de sa seconde capitale. On souriait quand on avait appris qu'après avoir passé toute une nuit à écrire une harangue, il venait le lendemain la débiter devant les sénateurs. Depuis Jules César, disait-on, il est le seul empereur qui ait ainsi récité ses compositions dans la curie[107]. Aux yeux des gens que l'intérêt ou la passion n'aveuglaient pas, l'homme de lettres perçait ici sous le souverain.

Une mesure prise par Julien dans les premiers mois de son installation à Constantinople le rendit aisément populaire. A l'exemple d'Auguste, d'Hadrien, d'Antonin le Pieux, d'Alexandre Sévère, il atténua ce qu'avait de fâcheux pour les diverses classes de la société ce don de joyeux avènement que l'on appelait l'or coronaire[108]. Afin de subvenir aux dépenses des couronnes d'or que les villes et les provinces offraient au nouveau souverain, un tribut était levé par les magistrats sur tous les citoyens sans distinction. Comme les cités, jalouses de se concilier la faveur du prince, rivalisaient entre elles de luxe, afin de rendre leur couronne plus pesante et plus précieuse, cette contribution, qu'à première vue on aurait crue assez facilement supportable, représentait au contraire, en certaines contrées, une aggravation très sensible de l'impôt. Julien promulgua à cette occasion deux édits : l'un nous est conservé par Libanius, l'autre a été inséré au Code Théodosien. Par le premier, il interdit l'envoi de couronnes pesant plus de soixante onces[109]. Par le second, il déclare (bien qu'avec quelques restrictions) que l'or coronaire est un présent volontaire, qui ne doit être imposé comme obligatoire ni aux sénateurs, ni même au reste des citoyens[110].

Julien accueillait avec beaucoup de grâce les députations des diverses provinces, apportant des couronnes. Aux représentants de l'Ionie et de la Lydie, il accorda toutes les faveurs administratives ou fiscales qu'ils demandaient : il est vrai que les Lydiens avaient pour orateur Eunape, père ou parent du célèbre néoplatonicien de ce nom, et païen aussi ardent que celui-ci[111].

Julien reçut moins bien les envoyés d'Alexandrie, si à eux se rapporte un épisode raconté par Ammien. Avec la turbulence et l'esprit contentieux que les anciens reconnaissent aux habitants de l'Égypte[112], de nombreux délégués de ce pays demandèrent que les magistrats ou les fonctionnaires auxquels de l'argent avait été jadis versé soit pour obtenir des grâces ou des emplois, soit pour éviter des poursuites, fussent condamnés à restitution. Il y en avait qui faisaient remonter à soixante-dix ans en arrière l'origine de leur créance. Selon l'expression d'Ammien, ils assiégeaient le prince et le préfet du prétoire, importuns et stridents comme des geais. Afin de se délivrer d'eux, Julien leur commanda de se rendre à Chalcédoine, promettant de les y rejoindre bientôt pour statuer sur leur affaire. En même temps il défendit aux bateliers qui faisaient le service régulier d'une rive à l'autre du détroit, de transporter de nouveau à Constantinople aucun de ces Égyptiens. Ceux-ci, lassés d'attendre sur l'autre bord, finirent par retourner chez eux. Julien fit alors une loi pour rejeter leur demande. La législation romaine, y est-il dit, ignore des contrats déshonnêtes, et n'autorise pas la répétition de l'argent imprudemment ou criminellement versé[113]. Ammien (qui résume la loi en termes un peu différents) déclare qu'elle fut dictée par la Justice elle-même[114]. Avec l'ironie grave qu'il a quelquefois, Tillemont dit à ce propos : Ammien loue fort cette loi ; et il auroit peut-être encore eu autant de sujet de la louer, si elle avoit ordonné tout le contraire[115]. La vérité est que le cas était assez embarrassant, et que l'empereur, malgré le désir qu'il avait ordinairement de prendre en faute les fonctionnaires de son prédécesseur, ne pouvait, en bonne politique, ouvrir la porte à une série de procès, qui eussent probablement été aussi insolubles qu'interminables.

De tous les délégués des provinces d'Orient, les moins empressés paraissent avoir été les représentants d'Antioche. Julien leur reprochera plus tard de s'être laissés devancer même par les Alexandrins[116]. Il est visible que, dès ce moment, le nouvel empereur n'était pas populaire dans la capitale de la Syrie. Cependant il fit bon accueil aux porteurs de la couronne d'Antioche, accorda à leur ville d'importantes remises d'impôts, et permit de faire entrer dans son sénat deux cents nouveaux membres, désignant même, pour y prendre place, d'anciens fonctionnaires du trésor et de riches monétaires, dont l'expérience lui paraissait capable de relever les finances municipales, à ce moment fort obérées[117]. Il est probable que beaucoup de remises d'impôts, que les historiens nous disent avoir été consenties par Julien[118], le furent ainsi en réponse à des requêtes présentées par les députations des provinces ou des villes, lors de l'offrande des couronnes. C'est peut-être encore dans ces occasions, que Julien accorda à certaines cités le privilège de percevoir à leur profit les droits de douane[119], et termina par des décisions favorables aux contribuables des procès engagés par le fisc[120].

Si empressé de se concilier ainsi la faveur des villes et des provinces, si habile à flatter, à Constantinople, les magistrats et les sénateurs, Julien devait songer à s'attacher aussi le peuple de cette seconde capitale, devenue sa résidence. D'ailleurs, quoiqu'il s'efforçât ordinairement de secouer toutes les traditions politiques aussi bien que religieuses des princes de sa race, il partageait la prédilection de Constantin et de Constance pour la grande ville improvisée par le premier de ces empereurs et devenue l'œuvre préférée de la dynastie des Flaviens. Il professait même pour elle un sentiment presque filial. Constance aimait cette ville comme une sœur, disait-il ; moi, qui y suis né et qui y ai été nourri, je la chéris comme ma mère[121]. Aussi voulut-il, lui aussi, contribuer à sa beauté. Ammien nous apprend que Julien entreprit à Constantinople de grands travaux[122].

C'est par Zosime que nous connaissons ceux-ci avec détail[123]. Julien agrandit un des ports ou bassins de la ville, afin d'y mettre les navires à l'abri du vent du sud ; encore au cinquième siècle, on appelait ce nouveau havre le port de Julien[124]. En face du port, comme pour en encadrer somptueusement les perspectives, il construisit un portique semi-circulaire que, de sa forme, on nomma le Sigma. Sous un autre portique, dépendant du palais impérial, il établit une bibliothèque publique, dont les alentours devinrent bientôt un des endroits les plus animés de la ville. Il songea, enfin, à réaliser un projet de Constance, qui, après avoir ajouté un obélisque égyptien à ceux dont Rome était déjà ornée[125], avait formé le dessein d'en faire venir un autre d'Alexandrie pour être placé au milieu du Grand Cirque de Constantinople.

Cet obélisque était depuis de longues années couché dans le sable, sur le rivage de la métropole égyptienne. Constance avait frété un navire, qui devait amener au Bosphore la lourde masse de granit. Mais, depuis la mort de Constance, le navire attendait dans le port d'Alexandrie de nouvelles instructions. Les ordures s'étaient amoncelées autour du monolithe : il était devenu l'objet de pratiques singulières, qui paraissaient à Julien une véritable profanation : des thérapeutes, sorte de moines mendiants, y avaient établi leur demeure, et couchaient sur sa pointe[126]. Julien écrivit aux Alexandrins pour leur annoncer son intention de reprendre le dessein de Constance. Sa lettre a été conservée : elle est assez curieuse. Il leur accorde, en échange de l'obélisque, le droit d'élever une statue d'airain (car les villes n'avaient pas, à cette époque, le droit d'élever des statues sans l'autorisation de l'empereur). A en croire Julien, les Égyptiens, dont le blé nourrit Constantinople, seront heureux d'avoir encore l'occasion de l'embellir en lui cédant un de leurs monuments. Et eux-mêmes le retrouveront avec joie quand, traversant le détroit pour aller faire le commerce dans le Pont, ils apercevront parmi les édifices de la grande ville ce souvenir de leur pays[127]. Mais la courte durée du règne de Julien ne lui permit pas de mener à bout son projet. C'est Théodose qui fera dresser au milieu du Grand Cirque le monolithe alexandrin.

 

III. — Écrits politiques.

On eût cru Julien tout absorbé, durant ces premiers mois de règne, par les soins du gouvernement. Chose singulière, c'est le temps de sa plus grande production littéraire. Pendant les six ou sept mois qui suivirent la mort de Constance, il écrivit une partie considérable de ses ouvrages : les Saturnales, le Banquet ou les Césars, le Discours contre les chiens ignorants, le Discours contre le cynique Héraclius, le Mémoire sur la guerre de Germanie, la Lettre à Thémistius sur les devoirs de la royauté, le Discours sur la Mère des dieux[128]. On admire l'activité prodigieuse d'un esprit que les soucis d'un nouvel établissement politique, la prise de possession du pouvoir absolu, les représailles exercées sur ses ennemis, les réformes administratives, la réorganisation de la cour, les députations de l'intérieur et de l'étranger à recevoir, les pétitions ou les doléances à entendre, les traités à conclure, le commencement de grands travaux publics, ne purent distraire de ce besoin d'écrire, qui était devenu pour lui une seconde nature. Mais en même temps on se rend compte de la cause des imperfections nombreuses que renferment les ouvrages de Julien. On s'explique leur manque de plan, leur caractère improvisé, hâtif, fiévreux. Non que l'art y fasse défaut ; il est, au contraire, souvent trop visible ; mais il se remarque dans la forme, dans la recherche curieuse de l'expression, dans le pédantisme du détail : ce qui demande de la réflexion et des loisirs, la composition, l'ordonnance, fait presque toujours défaut. Dans les écrits de Julien brillent les réminiscences de l'écolier studieux, les connaissances acquises par le lecteur infatigable[129], les trouvailles heureuses de l'improvisateur : mais on sent qu'il pense en écrivant, plutôt qu'il n'a pensé avant d'écrire : rien dans ses ouvrages ne rappelle ces hautes constructions logiques, harmonieuses, bien proportionnées, qui ont immortalisé les maîtres de la pensée et du style.

Des écrits dont on vient de rappeler les noms, deux sont perdus, les Saturnales[130] et les Mémoires sur la guerre de Germanie[131]. D'autres, relatifs à des sujets philosophiques ou religieux, seront analysés ailleurs. Mais il en est trois que nous devons étudier ici, car ils reflètent les vues historiques, les rancunes familiales ou politiques, et l'idéal de gouvernement de Julien.

Distinct des Saturnales[132], le pamphlet d'histoire romaine qui a pour titre le Banquet ou les Césars[133] fut composé aussi à l'occasion des fêtes de Saturne, quelques jours après ce premier écrit, dans la dernière quinzaine de décembre 361[134]. C'est au lendemain des solennelles funérailles de Constance, et pendant que siégeait le tribunal extraordinaire de Chalcédoine, que Julien trouva les loisirs et la liberté d'esprit nécessaires pour composer une sorte de dialogue des dieux et des morts, à la façon de Lucien. La lecture en est piquante, bien que, diffus et touffu, ce dialogue ne rappelle que de loin la forme légère et concise où excellait le satirique du second siècle. La fable est assez enfantine. Romulus, offrant un sacrifice pour les Saturnales, invite tous les dieux à un banquet, auquel sont également conviés les Césars. Cela donne à l'écrivain l'occasion d'esquisser le portrait de chacun d'eux, depuis Jules César jusqu'à Constantin. Les dieux instituent un concours, et invitent les principaux Césars, auxquels est adjoint Alexandre le Grand, à lutter pour le prix. Plaidoyers contradictoires de Jules César, d'Alexandre, d'Auguste, de Trajan, de Marc-Aurèle et de Constantin, souvent interrompus par Bacchus, et surtout par Silène, qui joue le rôle de bouffon. Mercure est ensuite chargé d'interroger les concurrents : interrogatoires d'Alexandre, de César, d'Auguste, de Trajan, de Marc-Aurèle, de Constantin. Le prix est décerné à Marc-Aurèle. Chacun des autres concurrents, à l'exception de Constantin et de ses fils, va se consoler dans la compagnie de quelque dieu.

On devine les répétitions dont est plein ce morceau, où les mêmes personnages repassent trois fois sous les yeux du lecteur. Les détails sont souvent excellents : la composition est d'une extrême faiblesse. Mais cette longue excursion à travers l'histoire romaine est d'autant plus intéressante, que dans ses autres écrits Julien ne fait presque jamais allusion à cette histoire. Ici, par exception, elle lui fournit le cadre où il fera entrer ses prédilections et ses haines, les modèles qu'il se propose d'imiter, les souvenirs qu'il veut abolir ou déshonorer.

Ses haines s'attaquent, sans aucune retenue dans l'expression, aux princes chrétiens de sa famille. Pour eux, pas de justice : la condamnation est absolue et sans nuances. Constantin est un prince ami de la guerre, mais amolli par le plaisir. On lui permet seulement de se tenir à la porte de la salle du banquet. Lui-même se rend compte que comparées aux actions des autres, les siennes ne sont rien. Des deux tyrans qu'il a tués, l'un[135] était lâche et mou, l'autre[136] accablé par l'âge et la misère. Ses exploits contre les Barbares sont risibles. Il leur a presque payé tribut, pour se livrer tranquillement à ses plaisirs. Aussi ne restera-t-il rien de son œuvre. Ce sont, dit Silène, des jardins d'Adonis, tous les exploits dont tu nous parles, mon cher Constantin. —Que veux-tu dire, lui demande Constantin, avec tes jardins d'Adonis ?Ceux que les femmes, répond Silène, plantent pour l'amant de Vénus. Elles mettent dans des vases de terre des herbes qui verdoient un jour, et se fanent tout de suite. Mercure, à son tour, interroge Constantin. Et toi, que te proposais-tu de beau ?D'amasser beaucoup, et de beaucoup dépenser pour satisfaire mes désirs et ceux de mes amis. Silène lui reproche d'avoir eu un visage, une chevelure, de cuisinier et de coiffeuse. Quand le concours a été jugé, et que chacun est allé s'asseoir auprès d'un dieu, Constantin, qui ne trouve point chez les dieux de modèle de sa conduite, aperçoit la Mollesse, et va se ranger à côté d'elle. Celle-ci l'embrasse, le revêt d'étoffes brillantes, et le conduit à la Débauche. Il trouve là Jésus[137], criant à tout venant : Que tout corrupteur, que tout meurtrier, que tout sacrilège, que tout infâme, approche hardiment : je le rendrai tout de suite pur en le lavant dans cette eau ; et s'il retombe dans les mêmes crimes, je ferai que, en se frappant la poitrine et en se cognant la tête, il devienne pur de nouveau. Constantin, ravi, se place près de lui, et emmène ses enfants hors de l'assemblée des dieux. Mais les démons chargés de punir l'athéisme le tourmentent, lui et les siens, pour venger le sang de ses proches, jusqu'à ce que Jupiter lui fasse grâce, en considération de Claude (le Gothique) et de Constance (Chlore)[138].

Même en laissant de côté les inconvenantes allusions au christianisme et à ses dogmes, qui terminent ce morceau, on ne peut voir sans surprise, dans un écrit qui a des prétentions à l'exactitude historique, et qui est signé d'un empereur, une caricature aussi grossière d'un souverain qui commit des fautes, même des crimes, mais qui porta la pourpre avec gloire pendant trente ans. La surprise s'accroit, si l'on fait réflexion que ce souverain est le fondateur de la dynastie à laquelle appartient Julien, et que le principal titre de celui-ci à occuper le trône, c'est d'être le neveu de Constantin et de faire ainsi partie, selon sa propre expression, d'une famille régnante, qui domine sur tout l'univers[139]. Une peinture aussi maladroite, aussi impolitique, s'explique seulement par l'esprit inconséquent de Julien, et par la passion religieuse qui désormais l'aveuglera davantage chaque jour.

Au reste, Julien n'est guère indulgent pour ses prédécesseurs. Au risque d'avilir aux yeux des peuples la dignité impériale, dans chacun des Césars, même les plus glorieux, il prend plaisir à montrer le point faible, la tare plus ou moins cachée. Auguste est changeant comme le caméléon. Tibère, vieux satyre, porte les honteux stigmates de ses débauches. Caligula est précipité dans le Tartare, et Néron, qu'Apollon découronne, tombe dans le Cocyte. Vespasien offense par son avarice, Titus par le désordre de sa vie privée. Domitien mérite le carcan. Trajan marche chargé de trophées, mais, devant lui, Jupiter fera bien de surveiller son Ganymède. Hadrien a l'air de chercher partout Antinoüs. Antonin le Pieux est modéré en tout, excepté à l'égard de Vénus. Septime Sévère a le caractère chagrin et vindicatif. Alexandre Sévère est un niais. Valérien porte honteusement des fers. Gallien a la mollesse d'une femme. Aurélien a commis des meurtres. Probus même, qui servit si bien l'Empire, s'est montré dur pour les soldats. Seuls trouvent grâce devant Julien Marc-Aurèle (et encore fût-il trop faible pour sa femme et son fils) et Claude le Gothique, de qui les Flaviens se glorifient de descendre.

Sous les traits de Marc-Aurèle, c'est Julien même qui se peint. Dès le début de sa carrière impériale, il se l'était proposé pour modèle. A peine entré en Gaule, c'est vers cet idéal qu'il avait tenu ses yeux fixés. Il s'appliquait, dit Ammien, à l'imiter dans ses actes et dans ses mœurs[140]. Le Marc-Aurèle qui se présente au banquet, devant les dieux, ressemble trait pour trait à Julien. Le roi Saturne, regardant Jupiter, dit qu'il est surpris de ne voir appelés à concourir que des empereurs guerriers, et pas un philosophe. Et cependant, ajoute-t-il, ceux-ci ne me sont pas moins chers. Appelez donc Marc-Aurèle. On appelle Marc-Aurèle ; il arrive d'un air grave, les yeux creusés par le travail, la mine tirée, et cependant son incomparable beauté se rehaussait encore de sa négligence et de son abandon. Il portait une barbe épaisse, des habits simples et modestes : son corps, par suite de l'abstinence, était brillant et diaphane comme la plus vive et la plus pure lumière. C'est un peu le Marc-Aurèle des bustes et des médailles ; mais c'est surtout, peint en beau, le Julien du Misopogon. En couronnant l'empereur philosophe, les dieux couronnent tout ensemble Julien et Marc-Aurèle.

Le pamphlet des Césars eut comme un post-scriptum dans un passage d'un autre écrit, composé un ou deux mois plus tard. Il s'agit du discours Contre Héraclius, sur l'interprétation allégorique des fables de la mythologie[141]. Héraclius, philosophe cynique, qui se trouvait en même temps (union assez fréquente au quatrième siècle) être un libre penseur, venait de donner une conférence devant un nombreux auditoire. Julien y avait assisté[142] avec plusieurs de ses amis, entre autres le préfet Salluste, le maître des offices Anatole et le futur gouverneur de Cilicie, Mensurius[143]. Les témérités exégétiques du conférencier l'exaspérèrent. Il fut, dit-il, sur le point de se lever et de dissoudre l'assemblée[144]. Un sentiment de modération, et peut-être aussi quelque respect humain, l'empêchèrent de donner suite à ce premier mouvement. Je demeurai, dit-il, non par égard pour l'orateur, mais à cause de l'auditoire, plus encore, à parler franchement, par respect pour moi-même, et afin de ne pas paraître, cédant à un mobile superstitieux plutôt qu'à une pensée pieuse et raisonnable, avoir peur des paroles que j'entendais, et m'envoler à la façon des colombes effarouchées[145]. » Mais le polémiste qui sommeillait toujours en Julien s'éveilla à cette occasion. Après quelques jours remplis d'occupations et de soins d'autre nature[146], il composa un discours pour combattre les idées d'Héraclius et lui opposer les siennes propres.

La partie la plus importante de l'allocution impériale[147] traite de théologie païenne, et doit être analysée ailleurs. Mais en quelques pages Julien, selon son habitude, raconte aussi sa propre histoire. Sous couleur d'apprendre à Héraclius comment il est permis de traiter l'allégorie, et d'y mêler même la personne des dieux, il imagine un apologue, qui est en même temps une apologie et une satire, apologie de lui-même, satire des autres membres de la famille de Constantin.

Un homme riche, qui se souciait fort peu des dieux, possédait de grands biens, en partie hérités de son père, en partie acquis justement ou injustement par lui-même. II avait eu, de plusieurs femmes, des fils et des filles : il distribua ses biens entre ses héritiers. Mais il ne s'était pas inquiété que ceux-ci fussent bons : aussi, après sa mort, la discorde se mit entre les enfants : les biens du père furent partages par le tranchant du fer : il y eut une abominable tragédie, œuvre du démon[148]. Mais surtout les païens eurent à souffrir. Ses enfants renversèrent les temples nationaux, déjà méprisés par le père, et par lui dépouillés des offrandes de beaucoup d'autres, parmi lesquels ses propres aïeux. Sur les débris des temples, ils bâtirent d'anciens et de nouveaux sépulcres[149].

Tant de désordres et d'attentats émurent Jupiter. Il appela en consultation son fils le Soleil, dont le culte avait été autrefois abandonné[150] par le mortel téméraire, cause de tant de maux, si cruellement puni, d'ailleurs, dans sa personne, dans sa famille et dans ses enfants[151]. Jupiter appelle encore en consultation les Parques. Ces déités vénérables lui donnent le conseil de veiller à ce que ce zèle funeste d'impiété ne règne pas ainsi sur tous les hommes. — J'y veillerai, répond Jupiter. Il montre alors au Soleil un jeune parent délaissé et négligé, neveu de l'homme riche et cousin des héritiers[152]. Il charge le Soleil de prendre soin de cet enfant, de le nourrir, de le gouverner, et de le guérir de son mal[153]. Aidé de Minerve, la Vierge née sans mère, le Soleil préside à l'éducation du jeune garçon. Celui-ci, devenu homme, est sur le point de se jeter dans le Tartare, à la vue des malheurs qui frappent ses proches et ses cousins. Il serait trop long de raconter ici comment ce favori des dieux est sauvé et conseillé par le Soleil, par Minerve, par Mercure, comment il prie Jupiter, comment le grand Soleil l'initie, le purifie[154], et lui dévoile l'avenir. Vois-tu, dit le dieu, ton cousin, l'héritier de ta famille ?Je le vois, répond le jeune homme. — Et ces bouviers, et ces pasteurs ?Je les vois aussi. — Que te semble donc de cet héritier ? que dis-tu de ces bergers et de ces bouviers ? Alors le jeune homme : L'héritier me parait sommeiller beaucoup, et se cacher dans l'ombre pour prendre du bon temps. Quant aux bergers, un petit nombre d'entre eux est civilisé, la majorité est cruelle et féroce. Ils mangent et vendent les brebis, et font ainsi un double tort à leur maître. Ils dilapident son bétail qui, bien qu'ayant beaucoup de têtes, produit peu ; et ils se plaignent d'être mal payés. Certes, il eût mieux valu exiger de plus forts salaires que de gâter le troupeau. — Eh bien ! dit le Soleil, moi, aidé de Minerve, ici présente, je te placerai, par ordre de Jupiter, pour administrer tous ces biens à la place de l'héritier. Le jeune homme résiste, supplie qu'on le laisse où il est. Ne résiste pas davantage, répond le Soleil, de peur que je ne t'en veuille autant que je t'aime aujourd'hui[155]. Alors le jeune homme : Ah ! grand Soleil, et toi, Minerve, je vous prends à témoin, ainsi que Jupiter : servez-vous de moi pour ce que vous voudrez ![156] Minerve alors et Mercure lui prodiguent les sages conseils, mêlés de cruelles épigrammes à l'adresse de Constance, et le couvrent d'une armure. Va-t-en, revêtu de cette panoplie, par toute la terre, par toute la mer, irrévocablement soumis à nos lois ; et que jamais personne, homme, femme, domestique, étranger, ne t'engage à oublier nos commandements. Leur restant fidèle, tu seras aimé et honoré de nous, redouté des méchants et des pervers. Sache que ta chair t'a été donnée pour cette fonction. Nous voulons, par égard pour tes aïeux, purifier ta famille. Souviens-toi que tu as une âme immortelle, apparentée à la nôtre, et que, nous suivant, tu seras dieu, et tu verras avec nous notre Père[157].

Ainsi les dieux, par une élection spéciale, ont destiné Julien à réhabiliter la race d'où il sort, en détruisant l'œuvre qu'elle a fondée, et en effaçant la trace chrétienne qu'elle a laissée dans l'histoire. Par cette conclusion, la brillante allégorie où s'est jouée l'imagination de Julien, portée sur des ailes plus légères qu'elle n'en eut jamais, va rejoindre le lourd et laborieux pamphlet des Césars. Complété par elle, le sujet de celui-ci apparaît clairement. L'auteur a voulu flétrir les princes chrétiens, juger avec sévérité la masse des empereurs, qui n'ont pas connu la philosophie, exalter la philosophie sur le trône, en la personne de Marc-Aurèle et de Julien. Les Césars sont donc, à les bien entendre, un écrit critique, destiné à déblayer le terrain tout à la fois de l'idéal chrétien de gouvernement, qui avait commencé à se dessiner, bien qu'imparfaitement, sous Constantin et ses fils, et de la tradition politique romaine, telle que la représentait une longue lignée de souverains. Sur ces ruines accumulées, c'est l'idée du gouvernement philosophique, ou, si l'on veut, de l'hellénisme gouvernemental qui doit s'élever : à celui-ci, dans la pensée de Julien, appartient l'avenir. Il reste donc à l'impérial écrivain une chose à faire : donner la définition du régime destiné à supplanter tous les autres. Tel sera l'objet de l'épître à Themistius.

A cette époque, où la rhétorique menait à tout, le sophiste Themistius était devenu l'un des plus grands personnages de l'Empire. Nous avons eu plusieurs fois déjà l'occasion de le nommer. Sa fortune politique était bien antérieure à l'avènement de Julien. Elle datait du règne de Constance. Dès 347, il avait prononcé à Ancre un panégyrique de cet empereur. Huit ans plus tard, Constance l'avait appelé au sénat de Constantinople, par un rescrit très élogieux, qui y fut lu publiquement. Lors du voyage du prince à Rome, en 357, Themistius fut chargé d'apporter la couronne d'or offerte par la ville de Constantinople à l'occasion de la trente-cinquième année de son règne. Empêché par la maladie de se rendre à Rome, il envoya à l'empereur le discours qu'il aurait prononcé, et celui-ci le récompensa en lui élevant une statue. Entre le païen Themistius et le chrétien Constance il y eut comme une émulation de flatterie réciproque : le sophiste, probablement sans beaucoup de conviction, célébrait dans le souverain le plus grand philosophe de l'Empire[158], et le souverain louait le sénateur philosophe, chez qui le rang était rehaussé par la science[159]. Cependant, malgré la modération de ses sentiments religieux, qui l'éloignait de toute pensée de révolte et de réaction violente[160], et malgré les raisons personnelles qu'il avait de se louer de Constance, il est sûr que Themistius vit avec une grande joie celui-ci remplacé par Julien.

Dès la fin de 361, avant même que Julien fût entré à Constantinople, Themistius, qui à une époque antérieure avait déjà correspondu avec lui[161], lui adressa une lettre de bienvenue et de conseils. Le texte en est perdu ; mais l'analyse qu'en fait Julien dans sa réponse permet d'en reconstituer au moins certaines parties. Themistius lui disait les espérances que fondaient sur lui les amis des anciennes croyances et des anciennes mœurs. Ce qu'ils attendaient de son initiative, ce n'était rien moins que la réforme complète de l'Empire. Dieu, lui écrivait Themistius, t'a mis à la place d'Hercule et de Bacchus, qui, tout ensemble philosophes et rois, ont purgé la terre et la mer de tous les fléaux répandus à la surface. Le sophiste l'exhorte donc à bannir toute pensée de loisir et de repos, pour ne plus songer qu'aux moyens de vaincre le mal. Les anciens législateurs, Solon, Pittacus, Lycurgue, sont proposés à son imitation. Le monde espère que tu feras plus encore que ces grands hommes. Themistius semble avoir craint que, parvenu au faite de l'Empire, Julien ne ressentit l'amour du repos que donne parfois l'ambition satisfaite, et à la vie active, seule convenable pour un prince, ne préférât l'étude ou la pratique de la philosophie. Le bonheur est de bien faire, lui écrit-il, citant Aristote, et la vie des hommes d'action est au-dessus de celle des philosophes. Ce n'est pas tout à fait la pensée d'Aristote, qui, dans un parallèle entre la politique et la contemplation, semble donner la préférence aux contemplatifs ; mais le philosophe de Stagire loue aussi les architectes des grandes œuvres[162], et ce mot, dit Themistius, ne peut s'entendre que des rois.

Julien répondit par une longue épître, composée à Constantinople, pendant les premiers mois de 362. Celle-ci était évidemment destinée à la publicité, puisque Themistius se trouvait à Constantinople, et qu'il était facile à Julien de converser avec lui. La fortune du célèbre sophiste venait précisément de recevoir un accroissement nouveau : Julien l'avait nommé préfet de sa seconde capitale[163] ; et comme lui-même y résidait à ce moment, leurs rapports devaient être continuels. Dans ces conditions, une lettre à Themistius n'était qu'un prétexte. Elle offrait un cadre commode pour exposer à d'autres des idées. Le vrai destinataire était le public, ou plutôt la multitude des philosophes, seul public qui comptât vraiment aux yeux de Julien. C'est à eux, en réalité, qu'il adresse, par le moyen de cette lettre, une dissertation politique. C'est pour eux que, sous couleur de répondre à Themistius, il écrit un véritable manifeste, presque un programme de gouvernement.

Sans doute, il ne faut pas entendre ce mot à la façon moderne. On se tromperait en cherchant dans le nouvel écrit de Julien un programme précis et détaillé, tel qu'en écrirait un souverain de notre temps. Ni les habitudes littéraires du IVe siècle, ni le tour d'esprit de l'auteur, ni même celui de ses lecteurs, ne se prêtaient à une composition de cette sorte. La lettre à Themistius n'est pas beaucoup mieux ordonnée que les autres écrits de Julien. La pensée y suit toujours ces capricieux méandres qu'il est pour nous si fatigant de parcourir, et par lesquels elle semble toujours se dérober. Cependant, en l'étudiant de près, on parvient à découvrir les idées maîtresses. A travers beaucoup de phrases confuses, de réminiscences personnelles, de citations inutiles ou pédantes, il est possible de dégager une théorie du pouvoir souverain, ou du moins un aperçu des qualités qui conviennent à un prince et des devoirs qui lui incombent.

Julien dit d'abord quels princes il se propose d'imiter. Ce sont ceux qui se distinguèrent par leur vertu. Il en nomme deux, Alexandre et Marc-Aurèle. Le premier est le type du courage, l'autre celui de la vertu parfaite[164]. En réalité, sous les traits de ces personnages historiques, ce qu'il aperçoit, c'est le prince idéal, tel que l'ont peint Platon dans les Lois et Aristote dans la Politique. Celui-là doit être presque un dieu, ou du moins s'élever de toutes les manières au-dessus des faiblesses humaines.

Nous devons, dit Platon, nous rapprocher par tous les moyens possibles du genre de vie inauguré par Saturne, et confier à la partie immortelle de notre être la direction des affaires publiques, le gouvernement des familles et des États, en donnant le nom de lois aux préceptes émanés de la raison[165]... Commentant ce passage, Julien conclut qu'un prince, homme par sa nature, a besoin de devenir par les sentiments un être divin[166], et de bannir entièrement de son âme ce qu'elle a de mortel et d'animal, excepté ce qui est nécessaire à la conservation du corps. A ses yeux, le métier de souverain paraît excéder les forces de l'homme : il faut à un roi la nature d'un dieu[167]. En termes plus précis, et s'appuyant toujours sur Platon et sur Aristote, il importe, dit Julien, que le gouvernant soit meilleur que les gouvernés, — qu'il soit ainsi, non seulement par choix, mais par nature, ce qui est rare parmi les hommes, — et que, par tous les moyens et de toutes ses forces, il s'attache aux lois : non point à des lois de circonstance, œuvre de gens qui n'ont pas toujours vécu selon la raison, mais aux lois dictées par des hommes dont le cœur et l'esprit épurés n'ont pas limité leurs vues aux désordres présents et aux circonstances passagères, mais qui, après avoir approfondi la nature du gouvernement, l'essence du juste et celle de l'injuste, ont, dans la mesure du possible, fait passer leurs idées de la théorie dans la pratique, et donné des lois communes à tous les citoyens, sans avoir égard à la faveur ou à la haine, au voisin ou au parent : car il faut légiférer non pour ses contemporains, mais pour la postérité, pour des étrangers, pour des hommes avec qui l'on a et l'on n'aura jamais de rapports[168].

L'intérêt du sujet fera excuser la longueur des citations. Elles étaient nécessaires pour faire bien connaître la philosophie politique de Julien. Son idéal du prince est très grand et très noble. Le prince digne de ce nom doit être supérieur aux intérêts et aux passions, et prendre pour son seul guide la justice. Homme, il lui faut rivaliser de sagesse et de vertu avec les dieux. C'est la partie divine de l'art de gouverner, définie avec autant de force et en moins de mots par Bossuet. Sur ce point, tous les honnêtes gens, tous ceux qui savent rattacher à ses hautes sources l'idée d'autorité, tous ceux qui ont du prince une autre idée que Machiavel, se mettront facilement d'accord. Aristote parle ici comme Platon, et Julien comme saint Thomas, Suarez ou Bossuet. Mais, sur une autre partie des théories de Julien, beaucoup de bons esprits feront des réserves. Comme les encyclopédistes du XVIIIe siècle, Julien estime que le prince doit gouverner et légiférer, non pour les concitoyens, les contemporains, les parents, les voisins, c'est-à-dire pour un peuple et pour une époque, mais pour la postérité, pour des étrangers, pour des inconnus, c'est-à-dire, au nom de la raison abstraite, pour l'homme abstrait, et non pas au nom des traditions nationales, pour l'homme de son temps et de son pays. Julien se heurte ici à l'écueil où plus ou moins touchèrent les philosophes qui ont écrit sur la politique. Il se montre un de ces dangereux rêveurs auxquels les esprits les plus dissemblables, comme Joseph de Maistre, Le Play, Taine, Renan, ont reproché de substituer un fantôme décevant à la vérité concrète et vivante.

Il y a donc des parties très hautes et aussi des chimères dans l'idée que se fait Julien du, rôle et des devoirs du prince. Mais, par sa hauteur même, cet idéal le trouble. Que le prince modèle dont il s'est fait la conception puisse exister, cela lui parait douteux. Il pense, avec Aristote, que le souci de transmettre son royaume à ses enfants pourra l'entraîner à des actions basses ou à de fâcheux compromis[169]. Il se demande même, avec ce philosophe, si le gouvernement absolu, le pouvoir d'un seul sur tous, est conforme à l'égalité naturelle qui doit exister entre les hommes, et s'il est possible à celui qui peut tout de se maintenir constamment dans les bornes de la sagesse. Vouloir que la raison règne, répète-t-il avec Aristote, c'est vouloir le règne de la Divinité et des lois ; vouloir qu'un homme règne, c'est vouloir le règne d'une bête fauve. Car la passion et la colère dépravent les hommes les meilleurs, tandis que la loi, c'est la raison sans passion[170]. Mais, en admettant même, contrairement à l'opinion du Stagirite, que le prince capable de porter sans faiblesse le fardeau du pouvoir suprême, de sacrifier, s'il le faut, les intérêts de ses enfants au bien de l'État, de faire sous son nom régner la raison et la loi, puisse se rencontrer réellement, sur un point encore cet être d'exception demeurera vulnérable. Pour bien gouverner, il ne faut pas seulement de la vertu, des intentions fermes et droites. Il faut encore une chance toujours heureuse, et assez forte pour faire pencher les choses du bon côté[171]. L'homme de Diogène, sans cité, sans maison, sans patrie, se rira de la Fortune. Le pasteur de peuples ne peut se passer d'elle, et il en a tout à craindre, soit qu'elle l'accable de son hostilité, soit qu'elle le tente et le compromette par ses faveurs. Car elle est la vraie souveraine du monde[172].

Des motifs plus personnels se joignent encore à cette raison générale de craindre. Il semble qu'à ce moment Julien (au moins si l'on croit à la sincérité de ses paroles) ait porté sur lui-même un regard presque découragé. Les responsabilités du pouvoir lui font peur. J'ai la conscience, dit-il, de ne posséder aucun talent supérieur, ni naturel, ni acquis. J'aime seulement la philosophie[173]. La vie d'étude, la vie cachée, se pare en ce moment pour lui de tous ses charmes. Vivre dans la politique et ne respirer qu'elle lui est à charge[174]. Il se sent capable de supporter l'adversité avec courage[175], mais il se trouve petit et faible devant les faveurs de la Fortune[176]. Il souffre d'être envahi par la multitude des affaires[177]. Il regrette le temps passé[178]. Il reproche à Themistius de l'avoir engagé à sortir de sa retraite philosophique pour paraitre au plein soleil[179]. Ah ! combien peu de choses peuvent les rois pour l'amélioration de l'humanité ! Les conquêtes d'Alexandre ont enrichi bien des gens : elles n'ont rendu personne plus tempérant ni plus sage[180]. Un philosophe, en formant trois ou quatre autres philosophes, aura rendu plus de services au genre humain qu'un grand nombre de rois ensemble[181].

Une péroraison assez simple, où semble percer une émotion vraie, et où le langage a parfois les formules de l'humilité chrétienne, termine cette longue lettre :

Ce n'est ni la fuite du travail, ni la poursuite du plaisir, ni l'amour du loisir et du repos, qui me font détester la politique ; mais je ne trouve en moi, comme je l'ai dit au début, ni la science dont j'aurais besoin, ni une supériorité naturelle. Je crains, en outre, que la philosophie, dont l'amour m'avait éloigné du commerce des hommes, ne se trouve compromise par moi... Que Dieu m'accorde une heureuse fortune et une prudence digne de cette fortune ! Car j'ai besoin plus que jamais de l'assistance du Tout-Puissant, de votre appui et de celui de tous les philosophes. Il faut me venir en aide, car je vais combattre et m'exposer pour vous. Si Dieu se sert de nous pour accorder aux hommes plus de bien que n'en comporte l'idée que j'ai de moi-même, il n'y a pas à me reprocher mon langage. Car tout ce que je connais de bon en moi, c'est que, n'ayant rien, je ne crois pas avoir beaucoup, et que, comme tu vois, je vis conformément à cette pensée. Je te supplie donc de ne point me demander de grandes choses, mais de tout abandonner à Dieu. Je mériterai ainsi quelque indulgence, si je commets des fautes ; si, au contraire, tout va bien, je me montrerai reconnaissant et modeste, ne rapportant pas à moi-même des actions qui ne sont pas miennes, mais, comme il est juste, les attribuant à Dieu. C'est à lui que je rendrai grâces, et je vous prierai de lui rendre grâces avec moi[182].

Nous avons dit que cette lettre intéressante et singulière avait été écrite pour le public. On s'étonnera de voir un prince prendre la plume pour faire ainsi à ses sujets, ou au moins à ses confrères les philosophes, la confidence de ses théories sur la souveraineté même dont il est revêtu, sur les dangers de l'hérédité royale, sur les inconvénients du pouvoir absolu, la confidence aussi de ses craintes, de ses hésitations, de ses doutes, de ses retours en arrière, de ses regrets. Mais ce qui étonnerait de tout autre surprend moins à mesure que l'on connaît davantage Julien. Dans tous ses écrits déborde ainsi sa personnalité. La lettre aux Athéniens touche à de moins hautes questions, mais est plus abondante encore en confidences. Et nous verrons bientôt Julien se mettre en scène de la façon la plus bizarre dans le Misopogon.

 

 

 



[1] Utque solet fama novitates augere, properabat exinde sublimior. Ammien Marcellin, XXII, 2.

[2] Socrate, Hist. ecclés., III, 1.

[3] Il ne faut pas confondre ce Salluste avec le magistrat du même nom, ami intime de Julien, auquel avait été adressée la pièce intitulée Consolation à Salluste, et qui fut nommé préfet du prétoire des Gaules. Cf. Tillemont, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 507, 698-897.

[4] Summam quæstionum agitandarum ut fido commisit. Ammien Marcellin, XXII, 3.

[5] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 91 ; Sozomène, Hist. ecclés., V, 10.

[6] Ammien Marcellin, XIV, 11.

[7] Ammien Marcellin, XV, 2, 5.

[8] Ammien Marcellin, XXII, 3.

[9] Probe cognitum... honoratissimo viro. Ammien Marcellin, XXII, 12.

[10] Inconsummatum et subagrestem, et, quod minus erat ferendum, celsa in potestate crudelem. Ammien Marcellin, XXII, 10.

[11] Ammien Marcellin, XXV, 8.

[12] Ammien Marcellin, XXVII, 2.

[13] Frodoard, Hist. Rem. ecclés., I, 6 ; Edmond Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, n° 335, t. I, p. 413.

[14] Julien, Ép. 21 (à Hermogène, ancien préfet d'Égypte) ; Hertlein, p. 503.

[15] Ammien Marcellin, XXII, 3.

[16] Socrate, II, 30 ; Sozomène, IV, 13 ; saint Épiphane, LXXI, 15 ; saint Jérôme, In Lucifer. ; saint Athanase, De synod. ; Sulpice Sévère, Hist. sacr., II ; saint Hilaire, Fragm., II.

[17] Ammien Marcellin, XXII, 3.

[18] Ammien Marcellin, XXII, 3. — On remarquera qu'il n'est pas question ici de la correspondance entre Constance et Taurus, relative à la défense de l'Italie contre Julien, dont parle celui-ci dans la lettre aux Athéniens. Sans doute elle parut trop innocente ou trop légitime pour qu'on osa en faire un grief.

[19] Ammien Marcellin, XXII, 8.

[20] Libanius, Epitaphios Juliani.

[21] Ammien Marcellin, XXII, 3.

[22] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13 (Hertlein, p. 363).

[23] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13 (Hertlein, p. 363).

[24] Alter enim Florentius... ex præfecto prætorio consul etiam tum, rerum mutatione subite territus, cum conjuge periculis exemptus diu delituit, nec redire ante mortem potuit : capitis crimine tamen damnatus est absens. Ammien Marcellin, XXII, 3.

[25] Largitionum comes. Ammien Marcellin, XXII, 3.

[26] Ammien Marcellin, XXII, 3.

[27] Ammien Marcellin, XXII, 3.

[28] Cum maledicis exsecrationibusque multorum se Julianus sentiret expositum. Ammien Marcellin, XXII, 3.

[29] Ammien Marcellin, XX, 7.

[30] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 573.

[31] Ideoque timidus videbatur. Ammien Marcellin, XXII, 3.

[32] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 573.

[33] Specie tenus. Ammien Marcellin, XXII, 8.

[34] Ammien Marcellin, XXII, 8.

[35] Inimicus bonorum omnium diuturnus et gravis. Ammien Marcellin, XV, 5.

[36] Libanius, Epitaphios Juliani.

[37] Ammien Marcellin, XV, 3.

[38] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 6 (Hertlein, p. 353).

[39] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 573.

[40] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 573.

[41] Causas vehementius æquo bonoque spectaverunt præter paucas in quibus veritas reos nocentissimos offerebat. Ammien Marcellin, XXII, 3.

[42] Natiscone amni præterlabente. Ammien Marcellin, XXI, 12.

[43] Ammien Marcellin, XXI, 12.

[44] Ammien Marcellin, XXI, 12.

[45] Conversus post hæc princeps ad palatinos. Ammien Marcellin, XXII, 4.

[46] Voir Willems, Le Droit public romain, p. 571-575.

[47] Eumène, Oratio pro scholis instaurandis ; dans Panegyrici veteres, éd. 1604, p. 271.

[48] Voir Cuq, le Conseil des Empereurs, dans Mémoires présentés par divers savants à l'Acad. des Inscriptions, 1884, p. 470 et suiv.

[49] Cuq, ibid., p. 470, 475-477.

[50] Voir Homo, Le Domaine impérial à Rome, dans Mélanges de l'École française de Rome, 1899, p. 100-129 et pl. III.

[51] Lucra ex omni odorantes occasione, ab egestate intima ad saltum sublati divitiarum ingentium. Ammien Marcellin, XXII, 4.

[52] Aliena invadere semper adsuefacti. Ammien Marcellin, XXII, 4. — Julien ne fut pas le premier à s'en apercevoir : dispositions de Constantin au sujet des Cœsariani ; Code Théodosien, IX, XLII, 1, § 4 (année 321).

[53] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 565.

[54] Pasti enim ex his quidam templorum de spoliis. Ammien Marcellin, XXII, 4.

[55] Omnes omnino qui sunt, et qui esse possunt. Ammien Marcellin, XXII, 4.

[56] Julien, Ép. 25 ; Hertlein, p. 513. Voir, au sujet de cette lettre, Cumont, Sur l'authenticité de quelques lettres de Julien, p. 20.

[57] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 84.

[58] Libanius, Epitaphios Juliani.

[59] Non ut philosophus indagandæ veritatis professor. Ammien Marcellin, XXII, 4.

[60] Laudari enim poterat, si saltem moderatos quosdam, licet paucos, retinuisset, morumque probitate compertos. Ammien Marcellin, XXII, 4. — Si l'indication chronologique donnée par leur Passion est exacte, et si les grandes lignes de celle-ci doivent, malgré ses défauts, être conservées, les célèbres martyrs de Rome, Jean et Paul, dont le P. Germano a si heureusement retrouvé la maison et le locus martyrii, étaient de ces palatins. On vient de voir qu'il y en avait à Rome. Cf. Germano di S. Stanislao, la Casa celimontana dei SS. martiri Giovanni e Paolo (Rome, 1894), et l'analyse que j'ai donnée de ce livre dans Études d'histoire et d'archéologie, p. 159-220.

[61] Code Théodosien, IX, XLII, 2, 3.

[62] Code Théodosien, IX, XLII, 2, 3.

[63] Quidam scelerate proscriptorum facultates occultant. Hos præcipimas, si locupletes sint, proscriptione puniri ; si per egestatem abjecti sunt in fæcem vilitatemque plebeiam, damnatione capitali debita luere detrimenta. Code Théodosien, IX, XLII, 5. — On peut se demander si, dans les rigoureuses mesures relatives aux pauvres gens qui auraient aidé à dissimuler les biens des proscrits, il n'y aurait pas la pensée d'obvier à des distributions telles que celle que, si l'on en croit leur Passion, Jean et Paul, avant leur martyre, firent de leurs biens aux pauvres de Rome.

[64] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 565.

[65] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 565.

[66] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 565.

[67] Socrate, Hist. ecclés., III, 1.

[68] Ammien Marcellin, XXII, 4 ; Zonaras, III.

[69] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 565-568.

[70] Code Théodosien, VI, XXIX, 1, 2, 5.

[71] Ammien Marcellin, XXII, 7.

[72] Socrate, Hist. ecclés., III, 1.

[73] Code Théodosien, VI, XXVI, 1.

[74] Code Théodosien, XXVII, 2.

[75] Code Théodosien, VIII, I, 6, 7, 8.

[76] Code Théodosien, VIII, I, 1-5.

[77] Code Théodosien, VIII, I, 6 (17 janvier 362).

[78] Ammien Marcellin, XXII, 7.

[79] Ammien Marcellin, XXII, 4.

[80] Julien, Oratio II ; Hertlein, p. 111.

[81] Code Théodosien, VII, IV, 7.

[82] Julien, Oratio II ; Hertlein, p. 112.

[83] Ammien Marcellin, XXII, 7.

[84] Ammien Marcellin, XXVII, 5.

[85] Ammien Marcellin, XXII, 7.

[86] Ammien Marcellin, XXVII, 5.

[87] Hostes quærere se meliores aiebat. Ammien Marcellin, XXII, 7.

[88] Voir Mommsen, Römische Geschichte, t. V, p. 332, note, et les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 445.

[89] Illis enim sufficere mercatores Galatas, per quos ubique sine conditionis discrimine venumdantur. Ammien Marcellin, XXII, 7.

[90] Zonaras (III) prétend que quelques-unes de ces ambassades avaient eu d'abord Constance pour destinataire.

[91] Libanius, Epitaphios Juliani.

[92] C'est eux, apparemment, qu'Ammien désigne par le mot Transtigritanis. Il ne peut s'agir ici des Perses.

[93] Divis et Serindivis. Voir la note de Valois sur ce passage (dans son édition d'Ammien Marcellin, 1681, p. 306).

[94] Ab Aquilone et regionibus Solis, per quas in mare Phase accipitur. Cette métaphore désigne la Cholcide, sur la Mer Noire, au pied du Caucase.

[95] Ammien Marcellin, XXII, 7. — Sur les rapports des rois du Bosphore avec les Romains, et le protectorat exercé sur leurs contrées par l'Empire, voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., p. 174.

[96] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[97] Ils craignaient que Julien leur fît visite le premier.

[98] Mamertin, Grattarum actio, dans Panegyrici veteres, éd. 1601, p. 181-188.

[99] Quidam nt affectatum et vile carpebant. Ammien Marcellin, XXVII, 7.

[100] Ammien Marcellin, XXVII, 7.

[101] Jus senatorum et auctoritatem ejus ordinis, In quo nos quoque ipsos numeramus, necesse est ab omni injuria defendere. Code Théodosien, IX, II, I.

[102] Ammien Marcellin, XXVII, 1.

[103] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 73.

[104] Zosime, III.

[105] Les lois de Julien (Code Théodosien, IX, II, 1 et XI, XXIII, 2) ont trait aux privilèges généraux de l'ordre sénatorial.

[106] An metuenda tibi curia est, quum senatui non solum veterem reddideris dignitatem, sed plurimum etiam novi honoris adjeceris ? Mamertin, Gratiarum actio.

[107] Socrate, Hist. ecclés., III, 1.

[108] Aurum coronarium.

[109] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 586.

[110] Code Théodosien, XII, XIII, 1 (29 avril 382).

[111] Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 15 ; dans Müller, Fragmenta historicorum grœcorum, t. IV, p. 21.

[112] Cf. Lumbroso, l'Egitto al tempo dei Greci et dei Romani, p. 92-99.

[113] Code Théodosien, II, XXIX, 1 (1er février 362).

[114] Ammien Marcellin, XXII, 6.

[115] Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 511.

[116] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 474.

[117] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 475.

[118] Ammien Marcellin, XXV, 4. La lettre 47 de Julien (Hertlein, p. 551) est un rescrit accordant aux Thraces une remise de cette nature ; cette remise n'est que partielle, la moitié de l'arriéré d'impôts étant réservée pour être appliquée aux besoins des soldats. Voir cependant, sur les sentiments de Julien an sujet des remises d'impôts, t. I, p. 446.

[119] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[120] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[121] Julien, Ép. 58. Cf. noti amoris in patriam ; Mamertin, Grat. actio, p. 171.

[122] Ammien Marcellin, XXII, 9.

[123] Zosime, III, 2, 5.

[124] Divi Juliani portum. Code Théodosien, XIV, VI, 6 (loi de 419).

[125] Ammien Marcellin, XVII, 4.

[126] Ép. 53 ; Hertlein, p. 668.

[127] Julien, Ép. 58 ; Hertlein, p. 589.

[128] Ce discours (Oratio V) fut composé, soit lors du passage de Julien à Pessinonte en mal ou juin 362, soit plus probablement à l'équinoxe du printemps, 27 mars, de la même année. Voir une note de Wordsworth, art. Julian, dans Dict. of christian biography, t. III, p. 500-501. L'hypothèse de Mücke (Fl. Claudius Julianus, t. II, p. 171), qui place l'Oratio V au 27 mars 363, alors que Julien célébra à Callinicum la fête de la Mère des dieux (cf. Ammien Marcellin, XXIII, 3), ne concorde pas avec Libanius, Ad Julianum consulem (Reiske, t. I, p. 398), qui désigne clairement 362.

[129] J'ai lu, si je ne me trompe, autant de livres que n'importe quel homme de mon âge. Misopogon ; Hertlein, p. 447.

[130] Il y est fait allusion dans l'Oratio IV (Hertlein, p. 204).

[131] Voir Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 562 ; Schwarz, De vita et scriptis Juliani imperatoris, p. 11 ; Koch, De Juliano imperatore scriptorum, qui res in Gallia ab eo gestas enarrarunt, auctore disputatio ; id., Kaiser Julian der Abtrünnige, p. 335. — Voir à l'Appendice, les Sources de l'histoire de Julien.

[132] Voir Suidas v° Έμπεδότιμος. Cf. Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 563 ; Schwarz, De vita et scriptis, p. 19.

[133] Dans plusieurs manuscrits, le titre est : Συμπόσιον ή Κρόνια, ce qui indique que de bonne heure on confondit cet écrit avec les Κρόνια perdus. Dans d'autres manuscrits, le titre est Καίσαρες.

[134] Je dois, dire que Mücke (Flavius Claudius Julianus, t. II, p. 182- 183) et Koch (Kaiser Julian der Abtrünnige, p. 479, note 62) renvoient au mois de décembre de l'année suivante, c'est-à-dire en 362, la composition des Césars. J'ai adopté l'opinion qui m'a paru la plus vraisemblable, sans prétendre que cette question de date, après tout assez secondaire, soit résolue d'une manière absolument certaine.

[135] Maxence.

[136] Licinius.

[137] Τόν Ίησοΰν εύρών. D'autres manuscrits ont τόν υίόν. Talbot traduit : son fils (Constance). Cette version est évidemment fautive : les paroles qui suivent sur le baptême, à leur place dans la bouche de Jésus, n'auraient pas de sens dans celle de Constance.

[138] Claude le Gothique était grand-oncle de Constance Chlore, père de Constantin.

[139] Julien, Oratio IV (Hertlein, p. 169).

[140] Ammien Marcellin, XVI, 1.

[141] Julien, Oratio VII ; Hertlein, p. 264.

[142] Julien, Oratio VII ; Hertlein, p. 289.— Cf. Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 18, 3 ; Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 22.

[143] Cf. Ammien Marcellin, XXIII, 2.

[144] Oratio VII ; Hertlein, p. 264.

[145] Oratio VII ; Hertlein, p. 264.

[146] Oratio VII ; Hertlein, p. 280.

[147] Le discours fut-il prononcé ? Cela semble probable. Après avoir exhalé son indignation contre Héraclius, et énuméré, à la façon d'un prédicateur classique, les trois points de sa réfutation (Oratio VII ; Hertlein, p. 285), Julien continue ainsi : Tel est le motif qui nie fait paraître devant vous, quoique je ne sois point écrivain de profession, et que jusqu'ici j'aie toujours considéré le discours public comme un exercice désagréable et sophistique. Cette précaution oratoire indique bien qu'il y eut un orateur et un auditoire : seulement, il est vraisemblable que ce dernier fut trié sur le volet, composé seulement d'amis et de familiers du prince. On se figure difficilement l'empereur faisant une conférence dans un lien vulgaire et devant un auditoire de hasard.

[148] Hertlein, p. 295. Julien semble employer ici le mot démon, dans le sens où l'entendent les chrétiens.

[149] Hertlein, p. 298.

[150] Hertlein, p. 296.

[151] Hertlein, p. 298. — Le Soleil avait été particulièrement honoré par les princes de la famille de Constantin, Claude le Gothique et Constance Chlore. Dans un panégyrique prononcé en 310 devant Constantin, Eumène dit encore : Apollinem tuum (Paneg. vet., éd. 1604, p. 247).

[152] Hertlein, p. 297.

[153] Hertlein, p. 297.

[154] Hertlein, p. 300. Ces paroles confirment ce que nous dirons plus loin de l'initiation de Julien aux mystères de Mithra : la purification dont il parle est probablement celle dont il est question dans saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 52.

[155] Iliade, III, 415.

[156] Hertlein, p. 301.

[157] Hertlein, p. 303-304.

[158] Themistius, Oratio II.

[159] Themistius quoque philosophus, cujus auget scientia dignitatem. Code Théodosien, VI, IV, 12.

[160] Cf. le Christianisme et l'Empire romain, 4e éd., p. 251-252.

[161] Julien, Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 336.

[162] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 341. Cf. Aristote, Polit., VII, 3.

[163] Goyau, Chronologie de l'Empire romain, p. 490.

[164] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 228.

[165] Platon, Des lois, IV, 6.

[166] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 335.

[167] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 338.

[168] Ép. à Themistius, p. 338-339.

[169] Aristote, Polit., III, 5, cité par Julien, Ép. à Themistius, p. 337.

[170] Aristote, Polit., III, 16 ; Hertlein, p. 338.

[171] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 331.

[172] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 332.

[173] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 329.

[174] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 332.

[175] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 338.

[176] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 338.

[177] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 337.

[178] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 339.

[179] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 340.

[180] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 342.

[181] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 344.

[182] Ép. à Themistius ; Hertlein, p. 344-345.