I. — Les négociations. J'ai raconté la première partie de la vie de Julien. — Avant l'âge de vingt-neuf ans, il a connu toutes les extrémités des choses humaines. Né au pied d'un trône, presque aussitôt privé de son père par un crime, lui-même menacé de mort dès le berceau, traité en suspect pendant des années d'éducation et de jeunesse, puis, par un brusque retour de la fortune, élevé soudain à la demi-souveraineté du César, et se révélant alors tout ensemble administrateur et homme de guerre, il vient enfin de recevoir de ses soldats révoltés, non probablement sans quelque connivence de sa part, la plénitude du pouvoir impérial. Mais il lui reste à faire reconnaître ou à conquérir le pouvoir, et surtout il lui reste à l'exercer. — Comment il s'est acquitté de cette double tâche, quelles qualités et quels défauts il y a montrés, quelle fut la situation de l'Empire romain pendant les trois années, remplies par la guerre civile, la guerre religieuse et la guerre étrangère, qui vont de la révolution de Paris à la mort tragique de Julien, et aussi quelle part l'homme privé, le croyant, le littérateur et le philosophe, inséparables en Julien de l'homme politique, ont eue dans la direction de ce règne si court et si agité : voilà ce que je dois exposer maintenant. Reprenons, où nous l'avons laissé, le récit des faits. On se souvient qu'au printemps de 360, quelques jours avant l'insurrection militaire qui proclama Julien Auguste, l'écuyer Sintula avait eu le temps d'obéir, en ce qui le concernait, aux ordres reçus de Constance, et avait quitté Paris à la tête d'un petit corps de Scutaires et de Gentils[1]. Mais cette avant-garde n'alla pas loin. Dès que leur parvint la nouvelle des graves événements qui venaient de s'accomplir, les soldats et leurs chefs rebroussèrent chemin, et revinrent se joindre au gros de l'armée. Il est probable que, partant à contrecœur, ils n'avaient pas fait beaucoup de route dans la direction de l'Orient, car ils étaient déjà de retour à Paris quand Julien convoqua toutes les troupes pour une revue sur le Champ de Mars[2]. Ce fut une cérémonie solennelle. Bien qu'ennemi du faste, Julien se présenta aux soldats dans tout l'éclat de sa récente dignité. L'estrade d'où il avait coutume de leur parler avait été exhaussée. Derrière lui étaient portés tous les drapeaux des légions et des cohortes. En face se tenaient les troupes en armes. Julien demeura quelques instants en silence, regardant de son siège élevé les visages animés et joyeux des soldats. Puis, d'une voix retentissante, en un style aussi simple[3] que le permettaient la rhétorique du temps et la nature même de son esprit, il prononça une harangue dont Ammien rapporte peut-être les termes exacts, assurément le sens général. C'est le tableau de la situation présente, vu de l'angle particulier d'où il s'offrait aux regards de Julien et de ses soldats, auteurs ou complices de la révolution dont il s'agissait maintenant de calculer les effets et de prévoir les suites. Courageux et fidèles défenseurs
de moi et de la République, — dit Julien, — vous
qui, en ma compagnie, avez tant de fois exposé votre vie pour la défense des provinces,
l'état difficile de nos affaires exige que, élevé par votre ferme volonté du
rang de César au pouvoir suprême, je recherche brièvement avec vous les
remèdes qui conviennent à cette crise. Depuis l'heure où, tout jeune, j'eus
été revêtu de la pourpre et confié à votre protection par une providence
divine, vous savez que je ne me suis jamais écarté de la voie droite : vous
m'avez toujours vu travailler avec vous, alors que l'ennemi se répandait
partout avec arrogance, au lendemain de la ruine de nos villes, du massacre
de tant de milliers de nos concitoyens, quand, dans l'immensité du désastre,
presque rien ne semblait plus intact. Et je crois superflu de vous rappeler
combien de fois, dans la rigueur des hivers, sous un ciel glacé, à l'époque
où habituellement sur terre et sur mer cessent les combats, nous avons
ensemble repoussé et vaincu les Alemans jusque-là indomptés. Mais il est au
moins un souvenir qu'il serait injuste de taire : c'est celui de la
bienheureuse journée qui brilla sur Strasbourg et rendit pour jamais la
liberté aux Gaules. Je parcourais alors le champ de bataille, au milieu des
traits volant de toutes parts, et vous, forts de votre courage et de votre
persévérance, vous vous précipitiez sur les ennemis comme un torrent, les frappant
de votre glaive ou les jetant dans le Rhin. Bien peu des nôtres périrent :
nous avons célébré leurs obsèques en exaltant leur gloire plutôt qu'en les
pleurant. Après de si beaux et de si nombreux exploits, la postérité
proclamera que vous avez bien mérité de la République, si, complétant votre
œuvre, vous défendez avec la même vaillance contre tous ses adversaires celui
que vous avez revêtu de la plus haute majesté. Julien conclut son discours par un ferme rappel à la discipline. Afin, dit-il, que tout rentre désormais dans l'ordre, que les braves aient sans faute leur récompense, et que les ambitieux ne s'emparent pas clandestinement des honneurs, devant votre respectable assemblée, je déclare ceci : Personne, ni magistrat civil, ni chef militaire, ne sera promu au grade supérieur pour aucune autre raison que son mérite personnel ; et celui qui essaiera de solliciter pour autrui ne le fera pas impunément. Nulle parole ne pouvait plaire davantage aux soldats et aux officiers subalternes, que la brigue avait, parait-il, tenus longtemps à l'écart de l'avancement et des récompenses. Aussi leur enthousiasme se traduisit-il par des applaudissements, des cris, le bruit des boucliers frappés en cadence. Ammien Marcellin ajoute que Julien eut presque aussitôt l'occasion de tenir parole : les Pétulants et les Celtes — ces corps d'élite qui avaient été les principaux agents de la révolution — ayant demandé pour quelques intendants militaires[4] la nomination à des postes de gouverneurs de provinces, ne purent l'obtenir. Ils comprirent la sagesse de ce refus, et n'en montrèrent point de mécontentement. Julien, cependant, n'était pas sans inquiétudes. Même appuyé sur l'armée des Gaules, il sentait la faiblesse de l'établissement nouveau. La fortune de Constance avait toujours fait, jusqu'à ce jour, triompher ce souverain des rivaux et des compétiteurs. Magnence, Vétranion, Népotien, Décence, Silvain, Gallus, tous ceux qui, durant son long règne, prirent ou reçurent la pourpre, avaient péri misérablement[5]. Par les armes, par la diplomatie, par la ruse, il avait toujours eu raison. Julien se savait à la merci d'un hasard. Ce que des soldats avaient fait, d'autres soldats pouvaient le défaire. Sans doute, les chefs qu'il redoutait le plus étaient maintenant éloignés. L'envoyé de Constance, Decentius, avait quitté Paris[6]. Loin de mettre obstacle à la fuite du préfet du prétoire, Florentins, Julien l'avait laissé partir de Vienne, et avait même autorisé sa femme et ses enfants à se servir, pour le rejoindre, des voitures publiques[7]. Le retour du maître de la cavalerie, Lupicin, pouvait être plus inquiétant. Celui-ci avait été envoyé en Bretagne, au commencement de l'année, pour repousser une invasion de Pictes et de Scots. Il avait emmené d'excellentes troupes, deux légions et les deux cohortes auxiliaires qui portaient les noms d'Hérules et de Bataves. Celles-ci n'avaient point été mêlées à la révolte militaire d'où Julien sortit Auguste. Lupicin était un chef redouté, cruel, disait-on, avare, impérieux, un peu théâtral dans ses allures, mais habitué à la guerre, à la fois habile et brave[8]. Ce qu'on savait de lui faisait croire qu'il n'accepterait pas facilement le nouvel ordre de choses. Soit fidélité pour Constance, soit aversion pour Julien, on s'attendait qu'à la première annonce de la révolution il mettrait à la voile, et rentrerait dans les Gaules pour la combattre. Heureusement pour Julien, les nouvelles, en ce temps, voyageaient lentement, surtout quand il leur fallait franchir les mers. Rien n'était plus facile que d'intercepter les communications entre la Gaule et la Bretagne. Un fonctionnaire de la maison impériale fut envoyé à, Boulogne, avec ordre de ne laisser personne s'embarquer[9]. Lupicin, tenu ainsi dans l'ignorance, ne revint en Gaule qu'après que le pouvoir de Julien se fut affermi : il débarqua sans prendre de précautions, et, dès qu'il eut mis le pied sur le rivage, fut arrêté et conduit en prison, avec trois de ses officiers[10]. Mais il restait Constance, éloigné sans doute, toujours redoutable cependant, et Julien se demandait avec angoisse ce que ferait celui-ci. Il tremblait, dit Ammien, à la pensée des suites que la révolution récente pourrait avoir : il vivait dans les transes : il ne cessait de rouler dans son esprit les motifs qui lui faisaient croire que jamais Constance n'accepterait les faits accomplis[11]. Bien qu'il supposât que l'empereur connaissait déjà le détail de ceux-ci, soit par le retour de Decentius, soit par le rapport de chambellans qui, envoyés d'Orient pour quelque message, s'étaient par hasard trouvés à Paris au moment de la révolution[12], il crut prudent d'informer par lettre Constance de ce qui s'était passé et de lui faire part de ses intentions. Ammien nous a conservé le sens de cette lettre[13]. Bien des fois, écrit
Julien, j'ai prouvé ma fidélité à mes engagements.
Depuis le jour où, m'ayant créé César, tu m'as exposé à l'affreux tumulte des
combats, satisfait du pouvoir que tu m'avais octroyé, je n'ai cessé de
t'envoyer des nouvelles heureuses, sans jamais me targuer des périls que
j'avais courus. D'innombrables documents me montrent, en face des Germains
répandus partout, le premier toujours au travail et le dernier au repos.
Mais, soit dit sans t'offenser, si tu penses qu'aujourd'hui quelque chose a
été innové, songe que le soldat, consumant infructueusement sa vie au milieu
de guerres pénibles et continuelles, ne pouvait, sans indignation, supporter
plus longtemps d'avoir pour chef un César incapable de récompenser ses sueurs
quotidiennes et ses fréquentes victoires. Déjà irrité de n'obtenir point
d'avancement, et même de ne pas toucher sa solde annuelle, il a tout à coup
appris l'ordre imprévu qui envoyait dans l'extrême Orient, sans argent, sans
ressources, les séparant de leurs femmes et de leurs enfants, des hommes
accoutumés au climat des pays froids. Exaspérés, les soldats ont assiégé de
nuit le palais, appelant à grands cris Julien Auguste. J'ai été saisi
d'horreur, je l'avoue, et je me suis caché : me tenant autant que je l'ai pu
hors de leur portée, j'ai cherché mon salut dans la dissimulation et dans les
ténèbres. Cependant, comme on ne m'accordait aucune trêve, exposant sans abri
ma poitrine au péril, je me suis enfin montré dans l'espoir d'apaiser le
tumulte par l'autorité ou par la persuasion. Mais la colère des soldais alla
croissant : ils en vinrent à ce point, qu'au moment où je m'efforçais de
combattre leur obstination par mes prières, ils me menaçaient moi-même de
mort. Vaincu enfin, et luttant contre moi-même, ce que peut-être, quand je ne
serai plus, reconnaîtra hautement un autre prince, j'ai cédé, dans l'espoir
d'apaiser la violence armée. Tel est le récit des faits : accueille-le, je te
prie, avec calme. Ne crois point qu'il ait été fait quelque chose de mal, et
n'écoute pas les insinuations de ceux qui cherchent à mettre la discorde
entre les princes : mais écarte l'adulation, qui nourrit les vices, regarde
la justice, reine des vertus, et accepte de bonne foi les conditions
équitables que je te propose, considérant qu'elles sont à l'avantage de
l'État romain et de nous, qui sommes unis et par la parenté et par le commun
exercice du pouvoir suprême. Pardonne donc : les choses que je demande avec
raison, je désire moins encore les voir accomplies que les voir approuvées
par toi comme utiles et justes : j'attendrai ensuite avec impatience tes
ordres. Ce qu'il est nécessaire de faire à présent, je le dirai brièvement.
Je te fournirai des chevaux de trait venus d'Espagne, et des Lètes, qui
pourront être adjoints aux Gentils et aux Scutaires, jeunes barbares nés de
ce côté-ci du Rhin ou provenant de peuplades émigrées sur nos terres[14]. Et je jure que jusqu'à la fin de ma vie je te fournirai
ces contingents, non seulement de bonne grâce, mais avec le vif désir de te
servir. Ta clémence me nommera des préfets du prétoire, connus pour leur
équité et pour leur mérite : mais il est juste que tu me laisses choisir les
magistrats ordinaires, les commandants de troupes, et les officiers de mes
gardes. Car il serait déraisonnable qu'un prince eût à son côté des hommes
dont il ignore le caractère et les dispositions. Mais j'affirme sans
hésitation ceci : on ne pourra jamais envoyer, de leur plein gré ou de force,
loin de la Gaule, parmi les fatigues et les périls, des recrues, dont la
jeunesse serait exposée à une mort certaine par le regret du passé et
l'appréhension de l'avenir. Il ne convient pas de tirer d'ici des contingents
à opposer aux Perses, quand les invasions des Barbares ne sont pas encore
arrêtées, et que (permets-moi de dire
la vérité) nos provinces, souffrant de maux
continuels, ont besoin elles-mêmes de secours extérieurs. Voilà, ce que j'ai
écrit, utilement, je le pense : voilà ce que je te demande et ce dont je te
supplie. Car je sais, pour ne rien dire qui ne convienne à notre dignité, je
sais combien de situations poussées à, l'extrême, et déjà compromises et
perdues, ont été améliorées par l'accord de princes qui se faisaient des
concessions réciproques. L'exemple de nos ancêtres montre que ceux qui ont
gardé cette modération ont trouvé le secret de vivre heureux et paisibles, en
laissant de bons souvenirs à la plus lointaine postérité. Cette lettre était digne, et surtout habile : il est visible qu'en l'écrivant Julien, effrayé de ses actes, satisfait de sa fortune, et n'ayant nul intérêt à pousser plus loin le conflit, cherchait à amener un arrangement. Si ses paroles ne contenaient pas le désaveu impossible de la révolution faite à Paris, elles offraient cependant des concessions de détail, qui atténuaient, dans une certaine mesure, la portée de celle-ci. La promesse d'envoyer à Constance des contingents barbares, l'offre d'accepter de sa main un préfet du prétoire, maintenaient entre les deux empereurs une apparence de hiérarchie[15]. Julien signa seulement sa lettre du titre de César, pour faire encore preuve d'égards envers le premier Auguste, et montrer qu'il soumettait à sa ratification le titre plus élevé que lui avaient conféré les soldats[16]. Le choix des ambassadeurs chargés de porter ce message à Constance s'inspirait des mêmes pensées de conciliation. L'un, Pentadius, maître des offices, avait été jusque-là en Gaule le représentant de Constance auprès de Julien, plutôt que le serviteur de celui-ci. L'autre était le chambellan Euthère, qui était venu à Milan, en 359, plaider avec succès devant Constance la cause de Julien accusé par Marcel, et avait laissé à sa cour un excellent souvenir. Cette fois, ce n'était pas à Milan que devaient se rendre les envoyés. Il leur fallait, faisant aussi rapidement que possible un long et pénible voyage, aller chercher Constance en Asie. Le souverain avait passé l'hiver à Constantinople, occupé à recruter des soldats pour s'opposer aux progrès chaque jour plus menaçants du roi de Perse Sapor, qui venait de prendre en Mésopotamie Singare et Bezabde. Ne recevant pas de Gaule les renforts qu'il avait demandés, il avait fait en Orient de grandes levées d'hommes, et obtenu des Scythes qui occupaient les bords de la mer Noire l'envoi de corps alliés et de mercenaires. Ayant ainsi renforcé son armée, il s'était, à la tête de ces nouvelles troupes, rapproché de la frontière menacée. Il se trouvait, vers la fin du printemps, à Césarée, métropole de la Cappadoce, — tout près de ce château de Macellum, où s'était écoulée une partie de la jeunesse de Julien. Dès qu'ils furent sortis des États du César, les députés s'aperçurent que les espérances de celui-ci étaient mêlées d'illusions, et que la mission dont il les avait chargés serait difficile. Les gouverneurs des provinces qu'ils traversaient les accueillaient mal. On les regardait avec défiance. A mesure qu'ils approchaient des contrées où résidait Constance, ils sentaient grandir l'hostilité et se multiplier les obstacles. Ce n'est qu'à la suite de longues instances qu'ils obtinrent la permission de sortir de l'Italie, puis de l'Illyrie. Quand, après la traversée du Bosphore, ils eurent abordé en Asie, leur route fut particulièrement lente et contrariée[17]. Il était visible que les fonctionnaires, connaissant ou devinant la pensée du maître, n'acceptaient pas les faits accomplis, et considéraient la révolution de Gaule comme non avenue. L'attitude des subordonnés montrait d'avance que l'empereur n'était point disposé à une transaction, où il lui faudrait céder quelque chose de ses droits. Parvenus enfin à Césarée, Euthère et Pentadius furent reçus à la cour de Constance, plutôt en envoyés d'un adversaire qu'en représentants d'un allié ou d'un collègue. Il semble même qu'ils aient été considérés comme les agents d'un rebelle, sur lesquels ne s'étendait plus la protection du droit des gens. Ils obtinrent cependant une audience de l'empereur, et purent lui présenter la lettre de Julien. Lecture en fut donnée. Mais, dès les premières phrases, Constance ne put se contenir. Sa colère, dit Ammien, éclata au-dessus des bornes ordinaires[18]. Il lança aux ambassadeurs un tel regard, que ceux-ci crurent y voir leur arrêt de mort[19]. Puis, refusant d'en entendre davantage, il leur commanda de sortir. Ce ton de maître cachait cependant des hésitations. Constance se demanda d'abord quel parti il suivrait. Ferait-il avec les Perses une paix provisoire, pour se tourner sans retard contre Julien, à la tête des troupes qu'il avait levées en Orient et qui lui inspiraient confiance ? Certains de ses conseillers recommandaient cette solution : ils lui rappelaient que c'était pendant les années où régnait la paix extérieure qu'il avait pu triompher de la compétition de Vétranion et de la révolte plus dangereuse de Magnence. Mais d'autres, plus prévoyants ou plus patriotes, le pressaient de continuer ses préparatifs contre les ennemis du dehors, en essayant de négocier avec Julien. Il hésita longtemps, et tint plusieurs conseils, où les deux alternatives furent examinées[20]. Enfin, l'avis des gens sages prévalut : Constance domina son ressentiment, et résolut de poursuivre sa marche vers la frontière menacée par Sapor. C'était accepter implicitement d'entrer en pourparlers avec le César. Sans répondre directement aux envoyés de celui-ci, mais sans les maltraiter, comme ils l'avaient pu craindre d'abord, Constance les laissa libres de retourner vers leur maître. En même temps il désigna, pour faire part de ses intentions à Julien, un fonctionnaire de sa cour, le questeur Léonas. Léonas était un personnage considérable par sa charge comme par la confiance dont l'honorait son souverain. Il avait obtenu celle-ci en se faisant l'un des agents les plus actifs de la politique religieuse qui tenait une si grande place dans la pensée souvent mal inspirée du fils de Constantin. L'année précédente, il représentait l'empereur au concile de Séleucie : on l'y avait vu, abdiquant toute impartialité, favoriser contre le parti modéré des semi-ariens les fauteurs de l'extrême arianisme[21]. Cet interprète autorisé des volontés de Constance eut l'ordre de se rendre en Gaule par les voies les plus rapides, et d'y remettre entre les mains de Julien la réponse impériale au message qu'avaient porté à Césarée Euthère et Pentadius. Cette réponse était vive et hautaine. Oubliant que, cinquante ans plus tôt, Constantin avait tenu aussi son pouvoir d'une acclamation des soldats, Constance reprochait au César, avec le ton d'un prince né dans la pourpre, d'avoir pris le titre d'Auguste, non à la suite d'une victoire, mais en conséquence des volontés irrégulières et illégales de son armée[22]. Il déclarait en même temps à Julien qu'il n'accepterait aucun changement dans l'ordre de choses précédemment établi : il l'invitait à laisser les pensées ambitieuses, s'il avait quelque souci de son salut et de celui de ses proches[23]. Julien recevait l'ordre de rentrer dans son rang de César[24]. Joignant l'exemple aux paroles, Constance le traitait aussitôt comme tel, et changeait par ordonnance le haut personnel administratif de la Gaule. Non seulement il prenait acte de l'offre de Julien de recevoir de sa main un préfet du prétoire, et nommait à ce poste Nebridius, questeur du César ; mais encore il affectait de pourvoir à beaucoup d'autres emplois, dont Julien, dans sa lettre, s'était réservé le droit exclusif de désigner les titulaires. Le secrétaire Félix était nommé maître des offices à la place de Pentadius, disgracié probablement pour avoir accepté d'être un des ambassadeurs de Julien : quelques autres officiers ou fonctionnaires étaient changés. Constance donnait Gumohaire comme successeur au maître de la cavalerie Lupicin, qui n'était pas encore revenu de Bretagne, et dont il ignorait les dispositions. Tel était le sens de la réponse confiée à Léonas. Celui-ci arriva à Paris vers le mois de juin ou de juillet 360. Il remit tout de suite à Julien le message impérial. Bien qu'il ait été reçu avec les égards que lui assuraient son rang et ses qualités personnelles[25], deux incidents, l'un privé, l'autre public, ne lui permirent pas de conserver de longues illusions sur le résultat de son voyage. S'exagérant peut-être la liberté de langage autorisée par le caractère d'envoyé de Constance, Léonas avait cru pouvoir, dans une première conversation avec Julien, lui reprocher son ingratitude envers le prince qui avait pris soin de son éducation et l'avait fait César. Mais, interrompit violemment Julien, qui donc m'a fait orphelin ? Constance n'est-il pas le meurtrier de mon père ? ne sait-il pas que, quand il rappelle ces souvenirs, il ne fait qu'élargir ma blessure et la rendre plus douloureuse ?[26] Après de telles paroles, les sentiments et la résolution de Julien n'étaient plus douteux. Cependant il s'abstint de donner lui-même sa réponse. Il jugea plus habile d'en rejeter la responsabilité sur d'autres, en ménageant à ses électeurs, dont on venait de contester les droits, l'occasion de lui conférer, sous les yeux mêmes de l'envoyé de Constance, une nouvelle investiture. Léonas fut convoqué, le surlendemain de son arrivée, non à une conférence politique au palais, mais à une assemblée presque révolutionnaire au Champ de Mars. Là était rangée l'armée, mêlée à une nombreuse populace, que les agents de Julien avaient été chargés de recruter[27]. Julien occupait la tribune impériale. Il ordonna de lire au peuple et à l'armée la lettre à e Constance. Le parchemin fut déroulé, et la lecture de l'exorde entendue sans incident. Mais quand le lecteur fut arrivé à l'endroit où Constance déclarait non avenus les faits accomplis à Paris, et commandait à Julien de se contenter du titre de César, des cris furieux l'interrompirent : Nous voulons Julien Auguste ; ainsi l'ont décidé les soldats, les provinciaux, la République elle-même, restaurée par ses soins, mais encore exposée aux incursions des Barbares ![28] Léonas put considérer dès lors sa mission comme terminée. En sa présence Julien, par un tour d'une rare dextérité, venait de se faire de nouveau octroyer le titre d'Auguste. Si l'envoyé de Constance, battu sur l'objet principal, crut devoir insister sur les points secondaires, afin de rapporter au moins à son maître une demi-satisfaction, il ne fut pas plus heureux dans cette partie accessoire de ses efforts. Aucun compte ne fut tenu des nominations de magistrats qu'il avait été chargé de notifier à Julien. Celui-ci en accepta un seul, Nebridius, préfet du prétoire : encore eut-il soin de marquer que la promotion était faite de son propre choix. Il rejeta la candidature de Félix au poste de maître des offices, qu'il venait de donner à Anatole, l'un de ses secrétaires. Il nomma lui-même aux autres charges, sans s'inquiéter des choix de son collègue[29]. Quand, après ce complet échec, Léonas vint prendre congé, Julien lui remit une nouvelle lettre pour Constance. Cette seconde missive était écrite d'un tout autre ton que la première. Ammien Marcellin la qualifie d'injurieuse et mordante[30]. Il n'en parle que par ouï-dire, car, dit-il, on n'en a pu avoir communication, et, si l'on en avait connu le texte, il est été impossible de le publier[31]. Un historien très postérieur, Zonaras, qui eut peut-être pour cet épisode des documents qui avaient échappé à Ammien[32], croit pouvoir donner sur elle des détails plus précis. D'après lui, la lettre reproduisait, en les aggravant encore, les propos tenus par Julien lors de sa première entrevue avec Léonas. Julien reprochait amèrement le passé à Constance, l'accusait de cruauté envers les membres de sa famille, et le menaçait de tirer un jour vengeance de leur mort[33]. La conduite de Julien à ce moment parait inexplicable, s'il n'est pas décidé à rompre tout de suite avec Constance. Mais précisément la rupture totale n'était alors ni de son intérêt, ni dans ses désirs. La suite des événements le montrera temporisant pendant de longs mois encore, et ne perdant que peu à peu, et à regret, l'espoir d'arriver à une entente. Dans une semblable situation, la lettre confiée à Léonas, comme les propos tenus à cet ambassadeur, révèlent un esprit d'une singulière inconséquence. Il semble qu'on voie commencer ici, dans une âme peu maîtresse d'elle-même, l'effet malsain du pouvoir absolu. Tant qu'il fut placé au second rang, obligé de surveiller chacun de ses actes et de peser chacune de ses paroles, Julien avait appris à pousser la prudence jusqu'à la dissimulation. Mais aujourd'hui que la fortune l'a élevé au rang suprême, il perd l'empire qu'il avait eu jusque-là sur sa volonté. Il ne sait plus résister à un premier mouvement. Il devient incapable de retenir l'expression de sa haine et de ses colères, au risque de nuire à ses intérêts, de compromettre ce qu'il voudrait sauver, et de se mettre en travers de sa propre diplomatie. Chose singulière, en effet, l'ambassade manquée de Léonas, l'épître insultante de Julien, ne mirent pas fin aux négociations. L'état de demi-paix, demi-rupture, se prolongea pendant toute l'année 360, sans que ni Julien ni Constance ne se décidât à rendre infranchissable le fossé qui les séparait. On voyait partir de Gaule, avec l'aveu de Julien, et probablement inspirées par lui, des suppliques que les légions adressaient à Constance, pour lui demander de maintenir le bon accord entre les deux princes[34]. Ceux-ci n'avaient pas cessé de correspondre, soit que Constance remit sous les yeux de Julien des griefs particuliers, comme l'arrestation de Lupicin et de ses compagnons[35], soit que Julien fit de nouveau l'apologie de sa conduite, en exaltant la fidélité presque filiale avec laquelle, disait-il, il avait rempli envers Constance ses devoirs de César[36]. Dans l'espoir, peut-être, d'effacer le souvenir de récentes injures, il continuait à signer ses lettres de ce seul titre[37], tandis que Constance, intraitable dans son orgueil, persistait à lui écrire comme à un simple César, sans jamais lui donner le titre plus élevé dont l'avaient salué ses soldats[38]. Il semble que la modération de langage et l'apparente modestie que montrait maintenant Julien ait fait illusion à Constance, au point de lui laisser oublier le mortifiant échec de l'ambassade de Léonas. C'est au moins ce que donne à croire la nouvelle mission confiée par lui à un envoyé tout différent. Se méprenant singulièrement sur les sentiments de son rival, Constance s'imagina qu'un personnage ecclésiastique saurait acquérir sur l'esprit de Julien un plus grand pouvoir de persuasion qu'un fonctionnaire civil, et que là où un questeur avait échoué, un évêque aurait des chances de réussir. Il se flattait que l'éloquence évangélique éveillerait chez le César un sentiment de repentir, comme sa propre éloquence avait naguère, dans un jour mémorable, fait tomber les armes des mains de Vétranion. Le personnel de prélats ariens, qui accompagnaient plus souvent la cour qu'ils ne résidaient dans leurs diocèses, ou au moins qui se tenaient toujours prêts à servir la politique de Constance, lui fournirait aisément le diplomate dont il aurait besoin pour cette suprême tentative. Son choix tomba sur un évêque, appelé Épictète, probablement le titulaire du siège de Centumcelles, connu par son zèle pour l'arianisme[39]. Constance le députa en Gaule, avec la mission de confirmer de vive voix à Julien les promesses de pardon contenues dans toutes les lettres qu'il lui avait envoyées jusqu'à ce jour, et d'obtenir en échange sa soumission. Mais pas plus par la bouche de cet envoyé que dans les diverses pièces de sa correspondance antérieure, Constance n'indiquait l'intention de laisser Julien en possession de la dignité que lui avait conférée l'armée des Gaules. Se considérant comme offensé, et par l'usurpation de Julien, et probablement aussi par le langage et les procédés qui avaient suivi, il lui garantissait sa grâce, mais demeurait intentionnellement muet sur tout le reste[40]. Il ne promettait même pas la vie sauve aux amis de Julien, qui s'étaient plus ou moins compromis pour sa cause, et ce silence paraissait au prince et à son entourage être gros de menaces[41]. C'était, encore une fois, négocier dans le vide. Les pourparlers repris de la sorte n'eurent aucun résultat. L'été et l'automne de 360 ne furent pas seulement, pour Julien, remplis par une infructueuse correspondance et de vaines ambassades : au milieu de ces occupations, il trouva le temps de remporter sur les Barbares une nouvelle victoire[42]. Vers le mois de juillet, une tribu franque, établie entre l'Ems et la Lippe, les Attuaires, avait fait des incursions en territoire gaulois. Julien saisit avec joie cette occasion de recommencer la guerre. Ce n'est peut-être pas qu'il sentit, à ce moment, le désir de chercher pour lui-même de nouveaux sujets de gloire ; mais il était heureux d'avoir un prétexte pour arracher à l'oisiveté les troupes encore réunies, et pour faire cesser un séjour prolongé sur les bords de la Seine qui pouvait n'être pas sans inconvénients. L'inaction ne valait rien pour des hommes accoutumés à une existence active pendant l'été, et au séjour des villes pendant l'hiver seulement. Quand des soldats ont pris conscience de leur force pour faire ou défaire des empereurs, et se sont une fois érigés en pouvoir révolutionnaire, il est dangereux de les laisser trop longtemps sans un emploi plus régulier de leur intelligence et de leur courage. La guerre devient alors le dérivatif nécessaire, rend l'autorité au chef et rétablit la discipline. Julien n'eut pas de mal à rassembler ses soldats puisqu'il les avait à Paris sous sa main : et il les entraina sans peine par l'appât d'une facile victoire. Traversant rapidement tout l'est de la Gaule, il franchit, au mois d'août, le Rhin près de Kellen[43], et entra à l'improviste sur le territoire des Attuaires. Ceux-ci, que les difficultés des chemins, l'épaisseur des forêts, avaient jusqu'à ce jour défendus de l'invasion, et qui n'avaient jamais vu leurs villages occupés par des troupes romaines, ne se gardaient pas : ils furent défaits presque sans coup férir. On tua beaucoup de monde : on fit de nombreux captifs : enfin Julien accorda la paix. Il descendit ensuite le long du Rhin, rétablissant la domination romaine là où elle avait été ébranlée[44], inspectant et réparant les postes de la frontière[45], c'est-à-dire la ligne de châteaux élevés de place en place, en face de la Germanie, et reliés les uns aux autres soit par le cours du Mein ou du Neckar, soit par une muraille continue[46]. Arrivé à Bâle[47] après une campagne de trois mois[48], il rentra en Gaule par Besançon[49]. L'aspect de Besançon frappa Julien. Posée sur une montagne, au bord du Doubs, la ville lui apparut, dans son isolement, comme une roche au milieu de la mer, inaccessible aux oiseaux mêmes[50]. Mais, de même que beaucoup d'autres villes de ce temps, elle était déjà entourée de ruines. Vaste autrefois, elle avait été nouvellement réparée, c'est-à-dire fortifiée à la manière des cités du quatrième siècle, qui, sacrifiant les faubourgs impossibles à défendre, se hérissaient et se resserraient dans une étroite ceinture de murailles. Comme on approchait de ces remparts, Julien eut un moment de vive émotion. Un homme, portant besace et bâton, marchait vers lui. Julien tressaillit, en reconnaissant le costume d'un philosophe cynique. Il crut voir son ancien maître, l'éphésien Maxime, qui, pareil à, d'autres néoplatoniciens, revêtait habituellement, malgré ses goûts fastueux, la livrée du cynisme. Le rêve de Julien, pendant tout son séjour en Gaule, avait été d'attirer à sa cour les philosophes. Ceux-ci, généralement prudents, avaient mal répondu à son appel. Priscus, malgré de pressantes invitations, s'était dérobé[51] : en dépit de tous ses efforts, Julien n'avait point encore réussi à faire venir Maxime. Sa joie fut grande en croyant l'apercevoir. Un second regard lui montra son erreur. L'homme à la besace n'était pas Maxime. Ce n'était point, cependant, un inconnu pour Julien. C'était un ami, dit-il dans une lettre où il raconte à Maxime lui-même cet incident de voyage ; mais non pas celui que j'attendais[52]. A défaut de Maxime, Julien fut heureux de retrouver un adepte de cette philosophie étrange, qui confinait d'une part au stoïcisme, en l'exagérant, et d'autre part se rattachait, du moins pendant le quatrième siècle, au néoplatonisme, puisqu'elle comptait parmi ses admirateurs le divin Jamblique lui-même[53]. S'il savait flétrir les faux cyniques, à qui un manteau troué, une besace et un bâton tenaient lieu de vertus, Julien aimait les vrais cyniques, et se faisait gloire de leur ressembler[54]. Il était heureux de leurs visites, trop rares à son gré. Il en était même jaloux, car il avait des mots très durs pour les philosophes errants qui, dans les années précédentes voyageant en Italie, s'arrêtaient à la cour de Constance, et, soit par prudence, soit par indifférence, s'abstenaient d'aller saluer, de l'autre côté des Alpes, le néoplatonicien qui régnait sur la Gaule[55]. Après avoir traversé Besançon, dont il admira et probablement visita les temples autrefois magnifiques[56], Julien redescendit le cours du Rhône d'abord, puis celui de la Saône, pour aller prendre ses quartiers d'hiver à Vienne, la ville qui avait vu sa première entrée solennelle, cinq ans plus tôt. Elle devait redevenir, peu après son arrivée, le théâtre de nouvelles fêtes. Le 6 novembre, Julien y célébra le cinquième anniversaire de sa promotion à la dignité impériale, ses quinquennalia. Il donna, de parti pris, un grand éclat à cette célébration. C'est comme Auguste qu'il voulut commémorer solennellement le jour où lui avait été conféré le titre de César. Dans les cérémonies civiles et militaires qui eurent lieu à cette occasion, on ne le vit point paraître la tête ceinte, comme autrefois, d'un simple ruban ou d'un étroit cercle d'or, qui le faisait ressembler à un gymnasiarque couronné dans quelque concours : il portait comme Constance un lourd diadème, où étincelaient les pierreries[57]. On s'explique aisément pourquoi, rompant avec une habitude déjà établie, Julien avait préféré, pour l'hiver de 360-361, Vienne à Paris. Sans doute il voulut se rapprocher des Alpes pour être prêt à tout événement, dans la situation tendue où il se trouvait vis-à-vis de Constance. De Vienne mieux qu'ailleurs il serait à portée de la frontière, soit pour repousser une attaque, soit au contraire pour prendre l'offensive. Sans que ses résolutions fussent encore arrêtées, cette dernière pensée se présentait souvent à son esprit. Il l'examinait sous toutes ses faces, pesant le pour et le contre. Nuit et jour, dit Ammien, il formait des projets[58]. Mais ses pensées revenaient toujours à se demander si la réconciliation avec Constance, qu'il avait longtemps désirée, était encore possible, ou s'il ne vaudrait pas mieux l'attaquer sans retard. Toujours aussi il se répondait que cette réconciliation, au cas où elle pût se faire, resterait peu solide, et que Constance, même apaisé en apparence, ne serait jamais qu'un dangereux ami. Il se rappelait avec inquiétude que jusque-là, dans les discordes civiles, Constance était toujours demeuré victorieux ; mais en même temps il songeait avec effroi à son frère Gallus, s'abandonnant par inertie à la trahison qui l'avait perdu[59]. Ses réflexions l'acheminaient peu à peu à une solution belliqueuse. La guerre ouverte lui semblait maintenant moins à craindre qu'une paix semée de pièges. Ou cette guerre, en inspirant à Constance une salutaire terreur[60], l'amènerait à reconnaître sans arrière-pensée la souveraineté de Julien, ou elle se terminerait par la défaite, peut-être par la mort de l'orgueilleux suzerain, et laisserait ainsi à son vainqueur l'empire sans partage. La superstition l'encourageait à cette criminelle espérance. Dans les pratiques divinatoires auxquelles il se livrait secrètement encore, mais avec une ardeur croissante, Julien trouvait un aiguillon continuel à son ambition. Tous les présages, recueillis avec soin, s'interprétaient dans un sens favorable à celle-ci. Un songe qu'il eut à Vienne acheva de fixer ses résolutions. Une nuit, pendant son sommeil, un génie, resplendissant de lumière, apparut à Julien, et lui récita, à plusieurs reprises, un quatrain de vers grecs, où était annoncée la mort prochaine de Constance[61]. Dans ce rêve de son esprit préoccupé, Julien vit sans hésiter une manifestation surnaturelle. Il lui sembla avoir entendu un oracle des dieux. Ses dernières agitations s'apaisèrent. Il reprit son sang-froid, et, irrévocablement décidé, ne s'occupa plus que d'augmenter ses forces et de se préparer à l'action, en homme qui ne doute plus du succès[62]. Mais cette assurance ne lui fit pas négliger ses précautions accoutumées. S'il cessait de ménager Constance, il croyait encore utile de ménager l'opinion publique. Les chrétiens, surtout dans les villes, étaient nombreux et influents. L'Église des Gaules commençait à se remettre des maux causés par l'arianisme. Saint Hilaire était revenu d'exil. En même temps que les épreuves souffertes pour l'orthodoxie avaient accru son autorité, la connaissance qu'il avait, durant son séjour en Asie, acquise des hommes de l'Orient lui faisait voir sous un jour plus conciliant certains de ses adversaires, en lui montrant la possibilité de les ramener par la douceur et par une discussion calme à la vérité. La position prise par lui vis-à-vis des semi-ariens, parmi lesquels se trouvaient des hommes de bonne foi et de bonne volonté, avait été celle d'un docteur mûri par l'âge, par la souffrance, par l'étude, enclin à rechercher ce qui rapproche plus que ce qui divise. C'est dans cet esprit qu'en 358 ou 359, répondant de Phrygie à des questions posées par ses collègues de Gaule et de Bretagne, il leur avait adressé son livre des Synodes. Rentré en Gaule, il avait continué son œuvre tout à la fois d'apaisement et de fermeté, en provoquant la réunion d'assemblées d'évêques où bien des malentendus furent dissipés, tandis que les tenants obstinés des doctrines ariennes, comme son ancien adversaire Saturnin d'Arles, s'y voyaient formellement désavoués[63]. C'est le moment aussi où le plus illustre des disciples de saint Hilaire, l'ancien soldat Martin, fondait dans les environs de Poitiers le premier établissement monastique de Gaule. L'état du christianisme se trouvait trop affermi ou trop florissant dans les Églises gallo-romaines pour que Julien, dans la situation encore critique de ses affaires, ne se sentit tenu vis-à-vis des fidèles à une grande prudence. En laissant voir dès lors le fond de ses sentiments, il eût craint de mécontenter non seulement une partie considérable de la population civile, mais même beaucoup de ses soldats[64]. Aucun intérêt politique ne le pressait de s'attacher, par un acte précipité, la masse des païens, qui d'instinct Sentaient en lui un ami, et se montreraient de toute façon favorables à quiconque se déclarerait contre Constance. C'est avec l'opinion chrétienne qu'il lui fallait encore compter. Aussi Ammien nous dit-il que, durant son séjour à Vienne, Julien, afin de gagner la faveur de tous, et de ne trouver point d'opposants, feignait d'adhérer au culte chrétien dont il s'était secrètement détaché[65]. Le 6 janvier était la fête de l'Épiphanie. Julien se rendit à l'église avec les fidèles, pria en leur compagnie, participa peut-être aux sacrements[66]. Ce sacrilège fut son dernier acte de christianisme. On se rappelle la relation faite par Julien des circonstances de son usurpation. Écrivant, en 361, aux Athéniens, il raconte qu'au moment où des troupes investirent le palais, il se trouvait dans une chambre de l'appartement de sa femme, encore vivante[67]. Cette seule allusion à son veuvage se rencontre dans ses écrits, pourtant si prolixes. Hélène mourut à Vienne, avant la fin de 360. Ammien rapporte cette mort en passant, comme un événement de nulle importance[68]. Il ne dit point à quelle maladie la princesse succomba. Des bruits de diverse sorte coururent alors. Les uns racontèrent qu'elle était morte en couches. D'autres prétendirent que Julien l'avait répudiée, ou même l'avait fait empoisonner[69]. La répudiation est invraisemblable, et l'empoisonnement est certainement une calomnie. On en parlait encore, cependant, quelques années plus tard. Un ancien gouverneur de Phénicie, Polyclète, nommé, puis révoqué par Julien, prétendait l'avoir entendu affirmer par Elpidius, qui fut préfet du prétoire d'Orient sous Constance, en 361. D'après le récit prêté par Polyclète à Elpidius, Julien aurait donné de riches parures, héritage de sa mère, aux médecins qui soignaient Hélène pour les décider à l'empoisonner[70]. Considérons ce récit comme une fable, mais ajoutons : il suffit que de telles rumeurs aient trouvé créance, et aient eu besoin d'être réfutées[71], pour montrer l'opinion que le public s'était faite de l'amour conjugal de Julien. Dans une lettre de Julien, récemment découverte, se rencontre une phrase, qui laisse le champ ouvert à bien des conjectures : Je prends à témoin tous les dieux et toutes les déesses, que je n'aurais pas supporté que quelqu'un fit connaître au public quels étaient mes rapports avec ma femme[72]. Nous n'essaierons pas de deviner ce que signifient ces paroles, et nous leur attribuerons, comme le plus probable, un sens tout à fait anodin[73]. Mais, jetant un dernier regard sur la pâle figure de l'épouse de Julien, ombre légère qui passe à l'horizon de l'histoire, enveloppée de l'auréole d'un lent et secret martyre, nous nous figurerons assez aisément ce que dut être sa vie. Mariée, déjà mûre, à un homme qui ne l'aimait pas, chrétienne, ayant grandi dans une cour, étant restée apparemment fermée à toute influence hellénique, elle ne pouvait comprendre son mari, ni être comprise de lui. Aucune union d'esprit et de cœur n'exista entre ces deux êtres que, la politique avait liés ensemble. Les consolations de la maternité, qui eussent ramené le sourire sur les lèvres d'Hélène, lui furent refusées, peut-être traîtreusement enlevées. Elle vécut cinq ans, séparée de toutes ses habitudes, sans connaissances et sans amis, dans l'isolement d'une petite ville de Gaule encore à demi barbare. Elle vit, pendant ce temps, se creuser chaque jour davantage entre son frère et son époux cet abîme de ressentiments et de haine, que le sacrifice de sa personne avait paru destiné à combler. On s'imagine cette délaissée aimant malgré tout Julien, tremblant à chacune de ses expéditions, tremblant quand il fut proclamé Auguste, tremblant quand il rompit définitivement avec Constance. Et on la voit se consumer ainsi, jusqu'au jour où elle disparut tout à fait d'un monde où elle avait tenu si peu de place. Parmi les soucis qu'à ce moment l'ambition causait à Julien, on peut affirmer que la mort de sa femme passa pour lui presque inaperçue. Hélène ne laissa pas dans son souvenir plus de trace qu'elle n'en a laissé dans ses écrits. Julien se crut apparemment quitte envers elle quand il eut envoyé son corps à Rome, pour y être enterré dans un mausolée de la famille de Constantin[74]. Ce mausolée est un charmant édifice de forme circulaire, construit sur la voie Nomentane, près de la basilique et de la catacombe de sainte Agnès. A la fois monument sépulcral et baptistère, il contenait au milieu, sous une coupole ornée de belles mosaïques, d'une grâce à la fois classique et chrétienne, la vasque destinée à l'administration du baptême ; au fond, une niche abritait, en face de la porte d'entrée, un grand sarcophage de porphyre. Dans ce sarcophage reposait déjà Constantina, femme de Gallus, et probablement fondatrice de la basilique de Sainte-Agnès : c'est près d'elle que sa sœur Hélène vint dormir son dernier sommeil. Le sarcophage, orné de bas-reliefs représentant des scènes de vendanges, est aujourd'hui au musée du Vatican[75] II. — L'expédition de Julien. Rempli d'événements et d'inquiétudes pour Julien, l'hiver de 360-361 n'avait pas été moins agité pour Constance. Pendant que le César rebelle célébrait à Vienne ses quinquennalia, l'Auguste luttait en Orient contre les Perses. Constance avait toujours su à la fois négocier et combattre. Aussi son premier soin, avant d'entrer en campagne, avait-il été de se faire un allié. L'amitié des rois d'Arménie était sans cesse disputée par les Romains et par les Perses. Dans ce duel entre les deux peuples, l'appui ou au moins la neutralité du prince qui, de ce massif montagneux, dominait tous leurs champs de bataille formait un précieux appoint. Presque toujours les maîtres de l'Arménie étaient demeurés fidèles à l'Empire. Sapor, cependant, s'efforçait depuis quelque temps de circonvenir le roi Arsace. Il mettait tout en œuvre, promesses et menaces, pour le détacher des Romains. Constance manda à Césarée ce douteux allié. Reçu avec de grandes démonstrations d'amitié, comblé de présents, Arsace se trouva bientôt enchaîné à la cause romaine par un lien nouveau. Il semble que Constance ait tenu toujours en réserve quelque princesse de la famille impériale dont l'alliance devait entrer dans les combinaisons de sa politique. C'est ainsi que ses deux sœurs, Constantine et Hélène, furent données en même temps que le titre de César à Gallus et à Julien. Cette fois, il pouvait disposer de la main d'Olympiade, fille du préfet Ablave, naguère fiancée toute jeune à son frère Constant. Il paya de ce mariage l'alliance du roi d'Arménie, à l'indignation de saint Athanase, qui, dans sa fierté romaine, ne put voir sans frémir celle qui avait été destinée à un empereur devenir l'épouse d'un roi barbare[76]. Ayant acheté ainsi l'amitié de l'Arménie, Constance quitta Césarée, et, suivant la voie qui traverse l'Anti-Taurus, se rendit à Mélitène ; de là il passa l'Euphrate à Samosate, et vint à Édesse, où devait se faire la concentration de son armée. L'objet de la campagne était la reprise de Bezabde, conquise quelques mois plus tôt par Sapor. Après un assez long séjour en Osrhoène, les troupes romaines se mirent en marche. Passant devant les ruines d'Amide, que naguère ses soldats n'avaient pu défendre, Constance fondit en larmes. On arriva à Bezabde. Le siège commença, et pendant plusieurs jours fut mené avec une véritable furie ; puis, désespérant d'emporter la place de vive force, Constance résolut d'en faire le blocus : enfin, dérangé par de fréquents orages et des pluies continuelles, qui rendirent le sol argileux de la Mésopotamie intenable pour ses troupes, il se décida à s'avouer vaincu, par les éléments plus encore que par les hommes, et, battant en retraite, vint prendre ses quartiers d'hiver à Antioche[77], à peu près au même moment où Julien, vainqueur des Attuaires, prenait les siens à Vienne. Constance trouva à Antioche le préfet du prétoire de Julien, Florentins, qui avait, comme nous l'avons dit, quitté la Gaule sans être inquiété, malgré ses démêlés avec le César. Constance écouta favorablement la relation que lui fit ce magistrat : puis il le nomma préfet du prétoire d'Illyrie, et, voulant lui donner une marque plus éclatante encore de son approbation, le choisit pour être un des consuls de 361 ; l'autre consul devait être Taurus, préfet du prétoire d'Italie[78]. L'année 361 s'ouvrit à Antioche par une fête. Constance se remaria en troisièmes noces[79]. Il avait porté peu de temps le deuil d'Eusébie. Celle-ci était morte l'année précédente, probablement quelques mois avant Hélène. C'était, dit Ammien, une femme supérieure par la beauté comme par la vertu, et demeurée bonne dans ce comble de la fortune[80]. Cette phrase de l'historien semble détruire les calomnies dont en un autre endroit de son livre il s'était fait l'écho. On sait l'influence bienfaisante et discrète exercée par Eusébie sur la carrière de Julien. Sa mort acheva de précipiter les événements, en rompant le dernier lien qui unissait Julien à Constance. Avec elle disparaissait la seule personne qui, ayant naguère sauvé le jeune prince, puis ayant été le principal auteur de son élévation, eût peut-être eu encore assez d'adresse et d'autorité pour faire accepter par l'un et par l'autre sa médiation conciliante. La nouvelle impératrice, Faustine, était probablement une inconnue pour Julien : elle ne pouvait avoir acquis assez d'expérience politique ou assez d'empire sur l'esprit de son époux pour jouer le rôle de pacificatrice, que seule Eusébie eût été capable d'assumer. Aussi voyons-nous maintenant les préparatifs de la guerre entre les deux souverains se poursuivre ostensiblement. L'attitude de plus en plus décidée et hostile de Julien rend celle-ci désormais inévitable, et il est visible qu'elle va éclater à brève échéance. Dans l'antiquité comme de nos jours, l'argent est le nerf de la guerre. Il fallut, de part et d'autre, recourir à des mesures financières préalables. A en croire Julien, sa popularité était alors si grande en Gaule, que tous les habitants de cette vaste contrée firent une souscription pour lui venir en aide[81]. Probablement y a-t-il beaucoup à rabattre de cette assertion ; mais il est vraisemblable que les partisans les plus déclarés du César s'imposèrent volontairement, afin de mettre à sa disposition les sommes nécessaires à une expédition lointaine. Julien ne s'en contenta point : il demanda aussi des subsides, beaucoup d'or et d'argent, aux nations barbares qu'il avait vaincues[82]. Restait à augmenter son armée, et aussi à pourvoir au service des nombreuses garnisons qu'il était nécessaire de laisser dans un pays aussi exposé que la Gaule aux incursions du dehors. Julien accepta des enrôlements volontaires[83] : à la même date, probablement, doit être rapportée une mesure dont parle Libanius, sans en marquer l'époque précise. Julien, raconte ce panégyriste[84], rappela sous les drapeaux d'anciens soldats de Magnence, qui avaient été cassés de leurs grades ou licenciés après la défaite de celui-ci, et dont un grand nombre, réduits depuis huit ans à la misère, infestaient les grands chemins, brigands ou vagabonds. Il leur ouvrit de nouveau les cadres de son armée, et de ces désespérés se fit des partisans, que ne devait retenir aucun scrupule. Les mêmes soins s'imposaient à Constance, mais dans des proportions et avec des difficultés plus grandes. Installé, à ce moment, aux extrémités de l'Orient romain, Constance était très loin des contrées où armait Julien : de plus il se trouvait, à l'heure même, engagé dans une guerre active avec les Perses. Il lui fallait à la fois garder la ligne de l'Euphrate et celle des Alpes, la première contre Sapor, la seconde contre Julien. Pour subvenir, dit Ammien, tout ensemble à la guerre extérieure et à la guerre civile[85], Constance fut obligé d'établir, dans les contrées qui lui étaient soumises, un impôt spécial, frappant indistinctement chaque citoyen : tous les rangs, toutes les professions étaient taxés et contraints de fournir des uniformes, ou des armes, ou des machines de guerre, ou des vivres, ou des chevaux, ou de l'argent[86]. En même temps il fit en Orient de grandes levées d'hommes, à la fois pour créer de nouveaux régiments de cavalerie et pour renforcer l'effectif des légions, qui étaient à cette époque réduites à moins d'hommes que ne comportait l'état normal de chacune[87]. Cependant, comme la nécessité immédiate de ses affaires le contraignait d'ajourner tout envoi de soldais en Occident, au point qu'il était même obligé d'appeler en Orient les garnisons de l'Illyrie[88], il ne put munir de troupes romaines les passages des Alpes. Il fut obligé de demander aux tribus barbares les plus voisines du nord de l'Italie de défendre ces passages contre les milices de Julien, si celles-ci tentaient de les franchir[89]. Mais peu confiant apparemment dans de tels auxiliaires, et prévoyant une occupation prochaine de la péninsule par les troupes de Julien, il envoya en même temps par mer en Afrique le notaire Gaudentius, jadis brouillé avec le César. Gaudentius reçut l'ordre de mettre en état de défense les côtés qui faisaient face aux rivages italiens, afin d'intercepter toute communication entre les deux pays, et d'empêcher Julien, soit, en cas de succès, d'étendre sa domination à l'Afrique, soit, en cas d'échec, d'y chercher un refuge[90]. En même temps, pour ne rien négliger, et en prévision du cas où quelque grande victoire en Orient, toujours espérée, le mettrait en position de prendre un jour l'offensive, Constance fit d'avance préparer de grands approvisionnements de blé, en deux endroits, à Bregentz, sur le lac de Constance[91], et dans le voisinage des Alpes Cottiennes, peut-être à Turin[92]. Comme tout l'indiquait, Julien, qui avait pacifié les frontières des Gaules, et n'avait plus que quelques Barbares à châtier, fut prêt le premier. Un acte hardi, où il entrait bien quelque violation du droit des gens, puis une rapide expédition, achevèrent de le dégager de ce côté, et de laisser pour tout le reste le champ libre à son ambition. Au commencement de 361, il avait appris que des bandes, sorties des États de Vadomaire, dévastaient les confins de la Rhétie[93]. Vadomaire était ce chef germain, établi aux environs de Bâle, qui en 359 avait eu une entrevue avec Julien. Il était depuis longtemps l'allié des Romains, mais un allié peu sûr, toujours prêt à flatter et à trahir. Quand il écrivait à Julien, il lui donnait le titre de Seigneur, d'Auguste, et poussait l'adulation jusqu'à le traiter de dieu. Mais on saisit une lettre de lui à Constance, où se lisaient ces mots : Ton César est insubordonné[94]. Julien envoya contre les pillards le comte Libino, avec un détachement de Celtes et de Pétulants. Libino attaqua trop vite, et fut tué : dans le combat qui suivit, les Barbares avaient la supériorité du nombre : il y eut du côté des Romains des tués et des blessés. La situation eût pu devenir périlleuse, et peut-être la Germanie vaincue eût-elle relevé la tête, si Vadomaire, jetant le masque, avait pris le commandement de ses soldats et déclaré la guerre. Julien résolut de lutter de ruse avec l'astucieux Barbare. Feignant de le considérer encore comme un ami et un allié, il lui envoya le secrétaire Philagre. Celui-ci était porteur d'un pli cacheté : il avait l'ordre de ne l'ouvrir qu'après avoir attiré Vadomaire sur la rive gauche du Rhin. Le Barbare passa le fleuve avec assurance, et vint au-devant de l'envoyé de Julien. Il accepta même de souper le soir avec lui chez le commandant du poste romain le plus proche. Philagre ouvrit alors le pli, y vit ses instructions, et vint prendre place parmi les convives. A la fin du repas, il fit arrêter Vadomaire, et donna en sa présence lecture des ordres dont il était porteur. Prisonnier, Vadomaire fut conduit à Bâle, où était Julien : les gens qui l'avaient accompagné furent renvoyés dans leurs foyers. Julien reprocha à Vadomaire sa duplicité, et le relégua en Espagne. Délivré ainsi, par une vraie ruse de Barbare, d'un des plus dangereux parmi les chefs barbares, Julien résolut de frapper un dernier coup. Au mois de mai 361, une rapide expédition le porta au bord du Rhin, dans les parages où avait été tué Libino. Julien traversa le fleuve, la nuit, en grand silence, avec quelques cohortes auxiliaires, choisies parmi les plus agiles. On tomba à l'improviste sur les peuplades germaines, épouvantées par le bruit inattendu des armes, par les glaives tirés du fourreau, par les traits lancés de tous côtés. Quelques Alemans furent tués. Beaucoup demandèrent grâce, abandonnèrent ce qu'ils possédaient, et se rendirent prisonniers. Julien accorda enfin, à ceux qui furent laissés dans le pays, une paix qu'ils promirent de ne jamais troubler[95]. Julien était désormais rassuré sur la Germanie. Il était certain d'y laisser après lui la terreur. Revenu à Bâle, il n'eut plus qu'une pensée : gagner de vitesse son adversaire. Une déclaration de guerre nettement formulée lui parut valoir mieux que la prolongation d'une situation ambiguë, où ses forces s'usaient sans résultat[96]. Son parti étant ainsi irrévocablement pris, la superstition eut son tour. Il voulut appeler les dieux à son aide, et mettre sous leur protection l'entreprise hasardeuse où il allait se jeter. Son désir eût été d'offrir publiquement un sacrifice, en présence de l'armée. Mais il n'était point encore sûr de la religion de ses soldats[97]. Parmi eux, beaucoup étaient chrétiens. Une profession de foi païenne eût peut-être ébranlé d'une manière dangereuse leur fidélité. Julien se résolut à dissimuler pendant quelque temps encore, et à ne se déclarer païen que quand, l'armée étant en marche, et chacun se trouvant déjà compromis pour sa cause, il n'y aurait plus pour personne moyen de reculer. Pour le moment il se contenta d'un acte de dévotion privée. J'ai d'abord, dit-il, offert mes résolutions aux dieux qui voient et entendent toutes choses[98]. A la prière il joignit l'immolation des victimes. Je sacrifiai pour le succès de mon voyage, et trouvai les présages favorables[99]. Ammien donne ici plus de détails que ne voulut, peut-être, en donner Julien. Dans ce sacrifice, auquel furent seuls admis les intimes confidents des sentiments religieux du prince, Bellone, dit l'historien, fut apaisée selon un rite secret[100]. Il semble faire entendre, par cette expression laissée à dessein vague et mystérieuse, que Julien immola des victimes moins à la Bellone italique, honorée à Rome dès les origines de son histoire, qu'à la Bellone de Comane, l'étrange et farouche déesse orientale dont le culte orgiastique jouissait d'une grande faveur au quatrième siècle. Le culte de celle-ci avait probablement fourni à celui de Cybèle la cérémonie sanglante du taurobole[101] : il se peut que ce soit là le rite secret dont parle Ammien : Julien, à l'insu de ses soldats, se serait préparé à la guerre en se baignant dans le sang d'un taureau. Ayant ainsi satisfait sa dévotion, Julien fit, le même jour[102], convoquer, au son des trompettes, toute son armée. Assis sur un siège de pierre, d'une voix plus claire que d'habitude[103], dit Ammien, il adressa aux soldats un discours que l'historien rapporte en ces termes[104] : Je pense que depuis longtemps, mes braves compagnons, animés par la grandeur de vos exploits, vous vous êtes mis tacitement d'accord sur l'urgence de prévoir et de préparer les événements que nous espérons. Car le soldat, fort de ses actions glorieuses, doit plus écouter que parler : de même qu'un chef digne de ce nom doit désirer les seules choses qui méritent l'approbation et les louanges. Afin donc que j'expose en moins de mots ce que j'ai décidé, accordez, je vous prie, une attention bienveillante à mon bref discours. Uni à vous, par la volonté du Dieu
du ciel, dès les premières années de ma jeunesse, j'ai arrêté les irruptions
continuelles des Alemans et des Francs, et mis un terme à leurs ravages :
grâce à nos communs efforts, j'ai fait que les armées romaines peuvent
librement parcourir le Rhin : j'ai opposé un front inébranlable aux menaces
et aux attaques de nations puissantes, appuyé que j'étais sur votre intrépide
courage. Témoins des travaux que nous avons accomplis, les Gaules, relevées
après tant de deuils et de si longues épreuves, rediront notre œuvre à la
postérité. Maintenant que par l'autorité de vos suffrages, et cédant à la nécessité, j'ai été élevé au rang d'Auguste, je veux, avec l'aide de Dieu et avec votre concours, accomplir de grandes choses, si la Fortune favorise mes desseins : fort de ce qu'une armée si juste et si vaillante m'a jugé sage et modéré dans la paix, prudent et réfléchi dans la conduite de guerres fréquentes contre des nations coalisées. Afin donc de prévenir, par notre étroite union, les difficultés qui nous attendent, suivez la voie que je crois bonne pendant que les circonstances sont favorables à nos désirs. Les provinces illyriennes ne sont point défendues : marchons-y sans retard : occupons les extrêmes limites de la Dacie : l'événement nous montrera ensuite ce qu'il faut faire. A l'exemple des chefs qui ont foi dans leurs hommes, je vous demande de me jurer obéissance et fidélité. Pour moi, je mettrai mon soin accoutumé à ne rien faire de téméraire ou de timide, et je prouverai à qui le demandera mon incorruptible volonté de travailler en toute chose pour le bien commun. Mais, ce que je vous recommande avant tout, veillez à ce que votre ardeur ne vous entraîne pas à nuire aux intérêts des particuliers : souvenez-vous que nous nous sommes illustrés moins encore en taillant en pièces d'innombrables ennemis qu'en assurant la tranquillité et le salut des provinces[105]. Ce discours — où le nom de Dieu est deux fois prononcé, d'une manière qui ne pouvait ni blesser les païens ni inquiéter les chrétiens — fut, ajoute l'historien, reçu de tous comme un oracle. L'émotion parut générale. Les soldats frappaient sur leurs boucliers, et, poussant des cris, saluaient Julien des titres de grand général, de vainqueur des nations et des rois. Chacun prêta le serment demandé : les soldats le prononcèrent d'abord, touchant leur tête de leur glaive, et accompagnant de terribles imprécations la promesse de sacrifier, s'il le fallait, leur vie pour Julien. Tous les officiers, puis tous les fonctionnaires de la cour et de la maison du prince, répétèrent la même formule. Un seul refusa courageusement ; c'était le nouveau préfet du prétoire, Nebridius. Jamais, dit-il, je ne pourrai me lier par serment contre Constance, qui m'a comblé de bienfaits. Des soldats, furieux, se jetèrent sur Nebridius, et voulurent l'égorger mais Julien le sauva, en le couvrant d'un pan du manteau impérial. Rentré dans le palais, le César y retrouva Nebridius, qui se jeta à ses pieds, et le supplia de lui tendre la main en signe de pardon. Que restera-t-il donc à mes amis, répondit Julien, si je te permets de toucher ma main ? mais va, en sûreté, où tu voudras. Nebridius se retira dans ses terres, en Toscane[106]. Pendant que Julien se préparait ainsi à faire le pas décisif, Constance, à l'autre extrémité de l'Empire, attendait de pied ferme l'attaque des Perses. Il faut avouer que le beau rôle, à ce moment, parait être de son côté, et que, vu de loin, avec les idées du patriotisme moderne, celui de son rival se présente sous un assez vilain jour. Julien, rompant la paix qui, si précaire qu'elle fût, avait depuis un an maintenu la tranquillité du monde romain, va se jeter brusquement sur Constance, au risque de l'empêcher de défendre les provinces orientales contre un ennemi plus redoutable pour celles-ci que ne l'avaient été pour la Gaule les Francs et les Germains : car eux cherchaient surtout à piller, et les Perses voulaient conquérir. Non seulement cette pensée ne l'arrête pas, mais elle ne semble pas même s'être présentée à son esprit. II accuse Constance de soudoyer contre lui les Barbares, et ne craint pas de profiter des embarras que les Perses causent à Constance. Celui-ci est obligé de se garantir de toutes parts, et de se défendre à la fois contre l'ennemi du dedans et contre l'ennemi du dehors. La guerre civile éclate sur ses derrières au moment où il est obligé de faire face, devant lui, à la guerre étrangère. On va voir jusqu'où, dans cette dernière, ses mouvements s'en trouvèrent paralysés, et comment, par le péril où le mettait l'hostilité de Julien, il fut privé, vis-à-vis des Perses, d'une partie de ses moyens. Toujours confiant dans les ressources de sa diplomatie, Constance avait depuis quelque temps déjà essayé de tourner contre ceux-ci les satrapes et les petits princes indépendants établis au-dessus du Tigre. Il avait achevé de s'attacher par des présents Arsace, roi d'Arménie, et aussi Méribane, roi des Ibères[107]. Ces précautions prises, il était parti d'Antioche, vers le commencement de mai, avait passé l'Euphrate, et s'était établi à Édesse. De ce poste d'observation il attendait, non sans incertitudes, les mouvements de Sapor. Il eût aimé à tenter, en cette saison plus favorable, un nouveau siège de Bezabde ; mais il craignait, s'il s'avançait trop en Orient, de laisser la Mésopotamie dégarnie de troupes. Il redoutait surtout d'exposer ses soldats, dont il aurait besoin tout à l'heure contre Julien[108]. Cette pensée lui interdisait de s'engager trop avant. Obligé de suivre les conseils de la prudence, et de ménager des forces qui, même victorieuses des Perses, auraient à combattre ensuite un ennemi nouveau, il dut se contenter d'envoyer en avant le maître de l'infanterie, Arbetio, et le maître de la cavalerie, Argilo, en leur donnant pour instructions de ne point exposer leurs troupes, d'éviter tout combat sérieux, et de battre en retraite dès que l'ennemi aurait fait irruption au delà du Tigre. Lui-même, avec le gros de l'armée, restait en seconde ligne, appuyé sur les places fortes de la Mésopotamie[109]. Constance passa l'été dans cette situation purement défensive, l'œil fixé sur les Perses, et en même temps l'oreille attentive à tous les bruits venant de l'Occident. Bientôt il reçut la nouvelle des premiers mouvements et des premiers succès de Julien. Le passage de l'état de paix à l'état de guerre officielle se marque dans l'intitulé des lois promulguées pendant cette période de 361 : une loi du 18 juin l'est encore au nom de Constance Auguste et de Julien César[110] : une loi du 29 août ne porte plus que le nom de Constance seul[111]. C'est qu'à ce moment le doute n'existait plus : Julien, depuis plusieurs semaines, était déjà en route pour l'Orient avec son armée. Dès le lendemain du jour où, ayant passé la revue de ses troupes et reçu leur serment, il avait tout à fait jeté le masque, Julien hâta les derniers préparatifs. L'administration et le commandement furent entièrement réorganisés. L'un des amis de la première heure, Salluste, qui, dès la révolution de Paris, était accouru du fond de la Thrace, où l'avait naguère relégué Constance, fut nommé préfet du prétoire des Gaules. Mais le même titre fut aussi donné à Germanianus, choisi pour succéder à Nebridius. Il y eut ainsi deux préfets des Gaules, dont L'un, Salluste, reçut la mission de confiance de gouverner le pays après le départ de l'empereur, et dont l'autre, Germanianus, devait suivre celui-ci à la guerre. Nevitta fut nommé maître de la cavalerie, en remplacement de Gumohaire, dont se défiait Julien ; Jovius fut nommé questeur, Mamertin intendant des finances, Dagalatphe préfet des domestiques : d'autres grades civils ou militaires furent distribués à des hommes d'une fidélité ou d'une compétence éprouvées[112]. Ces soins pris, l'armée, dont l'itinéraire jusqu'en Pannonie avait d'avance été réglé par écrit[113], put se mettre en marche. Elle était forte de vingt-trois mille hommes[114]. Sans doute, les armées romaines ne furent jamais très nombreuses ; sans doute encore les garnisons de l'intérieur et surtout de la frontière de la Gaule retinrent une quantité relativement considérable de soldats : cependant l'on s'étonne que Julien, après tous les efforts dont il nous a entretenus, n'ait pu mettre sur pied que ce petit nombre de combattants. Afin de donner l'illusion d'une armée plus considérable, il divisa ses troupes en deux corps, qui devaient suivre des chemins différents : l'apparition simultanée de ses soldats en divers lieux frapperait l'esprit des populations et ferait croire à la marche de forces imposantes[115]. L'un de ces corps fut mis sous le commandement du questeur Jovius et du général de cavalerie Jovinus il devait s'avancer par la Haute Italie. L'autre, conduit par Nevitta, dut longer le versant opposé des Alpes, par la Rhétie et le Norique. L'un et l'autre reçurent pour consigne de marcher avec la plus grande vitesse, en se gardant avec soin le jour et la nuit, comme s'ils eussent été toujours en présence d'un ennemi prêt à les surprendre[116]. Le lieu désigné pour la concentration, et vers lequel ils devaient tendre chacun de leur côté, était Sirmium, capitale de la Pannonie. Les deux corps se composaient apparemment d'environ dix mille hommes chacun ; car Zosime nous apprend que Julien se réserva trois mille soldats choisis, avec lesquels il se proposait d'opérer séparément[117]. Son dessein était de remonter par la Forêt Noire, avec cette troupe d'élite, une escorte plutôt qu'une armée[118], et de gagner tout de suite le Danube. J'ai à raconter maintenant l'une des expéditions les plus extraordinaires dont les annales militaires aient gardé le souvenir, l'aigle volant sinon de clocher en clocher, au moins de ville en ville[119] à travers toute la partie centrale, la plus peuplée et la mieux fortifiée, de l'Empire romain, et conduisant en six mois Julien et sa petite armée des Alpes jusqu'à Constantinople. Malheureusement l'expédition de Julien contre Constance ne nous a été contée que par ses panégyristes ou ses admirateurs, Mamertin, Libanius, Zosime : Ammien lui-même, qui n'en fut pas témoin, puisqu'à cette époque il était en Asie, n'en a probablement écrit le récit que d'après des renseignements donnés avec partialité. On aurait besoin de savoir si, dans cette marche prodigieuse, il n'y eut pas plus de bonheur encore que de génie ; si la hardiesse de Julien ne fut pas avant tout servie par la situation de son rival, qui était à ce moment obligé de tenir presque dégarni de troupes le centre de l'Empire romain, afin de concentrer la totalité de ses forces vers l'est ; et si, au cas où une fortune plus clémente eût laissé à Constance, délivré à temps des Perses, le loisir de se retourner, avec toutes ses légions, contre Julien, celui-ci n'eût point payé cher son audace[120]. Ammien Marcellin, qui, même en relatant les faits dans le sens le plus optimiste, conserve la liberté de son jugement, semble le faire entendre. Julien, dit-il, se livra avec témérité aux hasards d'une fortune douteuse[121]. Servi par un concours inouï de circonstances qui le fit triompher sans combattre, il laisse derrière lui la trace lumineuse d'un grand général et d'un héros : vaincu, l'histoire n'eût peut-être vu en lui qu'un aventurier. Ces réserves faites, on peut suivre avec moins de scrupule les seuls narrateurs qui nous aient fait connaître la promenade de Julien et de ses généraux à travers l'Europe mal défendue. Il convient d'ajouter que nous sommes surtout renseignés sur la marche du petit corps de trois mille hommes que l'empereur menait avec lui. Mamertin, qui l'accompagnait, l'a racontée avec l'enthousiasme d'un panégyriste officiel, Ammien en termes plus sobres et avec une admiration qui n'exclut pas le sang-froid. Des deux corps plus importants confiés à Jovius et à Nevitta, on ne sait à peu près rien jusqu'à leur arrivée en Pannonie. On voit seulement que, conformément aux espérances de Julien, ils répandirent devant eux la terreur. C'est ainsi qu'après l'entrée de Jovius dans sa province, Taurus, préfet d'Italie, partit en poste, franchit les Alpes Juliennes, et, prenant au passage le préfet d'Illyrie, Florentins, son collègue dans le consulat, s'enfuit avec lui vers Constance, de toute la vitesse de chevaux réquisitionnés à chaque relai[122]. Jovius eut la chance de saisir une correspondance politique de Taurus avec son maître[123], et de s'emparer des approvisionnements réunis au pied des Alpes Cottiennes[124] ; c'est probablement entre les mains de Nevitta que tombèrent les dépôts de blé formés à Bregentz[125]. Mais pour les détails de la marche, pour les épisodes du voyage, pour les dangers courus ou évités, ces deux corps n'ont pas eu d'historien. Tous les regards de l'histoire se sont portés sur Julien et son escorte. Parti de Bâle après ses lieutenants, il avait suivi d'abord la rive droite du Rhin, puis il s'était dirigé par les voies militaires qui coupaient le limes de la Rhétie. La renommée volait en quelque sorte devant sa petite troupe, annonçant aux populations l'arrivée d'un prince célèbre par ses victoires, et grossissant au delà de toute mesure le nombre de ses soldats[126]. Les habitants de toutes les cités, dit Mamertin, sortaient des murs pour regarder le César : femmes, enfants, jeunes filles, vieillards, se groupaient sur son passage, se montrant les uns aux autres le jeune général qui, le front en sueur, la barbe et les cheveux blancs de poussière, mais les yeux étincelants, semblait ne pas connaître la fatigue[127]. Il allait à marches forcées[128] : cependant, si l'on en croit Mamertin, il trouvait le temps, sur sa route, de donner des ordres et de faire des réformes d'administration. La seule annonce de son approche mettait en fuite les Barbares voisins de la frontière[129]. Il arriva ainsi, sans rencontrer de résistance, à la première station qu'il s'était marquée, c'est-à-dire au point où le Danube commence à être navigable[130]. Julien n'avait pas de navires ; mais il comptait qu'un coup de main heureux le rendrait maître de la flottille de guerre qui évoluait sur le Danube. La fortune, peut-être la trahison, la lui livrèrent tout de suite. Il est probable qu'il avait noué des intelligences avec quelques-uns au moins de ses chefs, car il se trouva, comme par hasard, qu'un grand nombre de navires étaient mouillés à l'endroit où il atteignit le fleuve, et il n'eut, en quelque sorte, qu'à étendre la main pour les prendre[131]. Comme de la capture de ces navires dépendait en grande partie le succès de son entreprise, on croira volontiers que le hasard ne les avait pas seul assemblés en ce lieu. Julien s'y embarqua aussitôt avec ses soldats. Au rapport d'Ammien Marcellin, on navigua sans bruit, rapidement, ne s'arrêtant devant aucune ville, soit pour s'y ravitailler, soit pour la conquérir, et l'on put ainsi, en quelques jours, arriver à l'improviste au cœur de la Pannonie[132]. Mamertin, qui était de l'expédition, mais qui, panégyriste, avait intérêt à embellir et à amplifier toute chose, raconte la navigation d'une manière bien différente. Il montre la flottille s'avançant noblement sur le fleuve, avec le vent dans les voiles, au bruit des rames qui frappent l'eau en cadence. Debout à la poupe de son navire, le prince reçoit les députations des villes que l'on traverse, et leur distribue les faveurs, les richesses, les privilèges[133]. Pendant qu'il passe ainsi, comme une sorte de dieu tutélaire, béni par les Romains de la rive droite, les Barbares de la rive gauche restent immobiles, ou même s'agenouillent comme frappés de terreur[134]. Un autre contemporain, saint Grégoire de Nazianze, a décrit aussi la navigation de Julien, mais en termes moins épiques, qui se rapprochent plus du langage d'Ammien que de celui de Marnertin. En grande vitesse, dit-il, le prince traversa son territoire d'abord, puis côtoya la rive barbare, et dévora l'espace, cherchant à passer inaperçu plutôt qu'à vaincre[135]. Le débarquement se fit, par une nuit presque sans lune[136], à Bononia, petite ville pannonienne que dix-neuf milles, c'est-à-dire environ six heures de marche, séparaient de Sirmium[137]. Cette importante cité, l'une des principales de la Pannonie, et même de ce qu'on appelait alors le diocèse d'Illyrie, était un des rares points stratégiques où Constance avait laissé des troupes. Un camp se trouvait près d'elle, sous les ordres du beau-père du futur empereur Jovien, le maître de la cavalerie Lucilianus. C'était un vieux et glorieux serviteur de l'État. Il avait débuté dans la maison militaire de Constance, où il avait obtenu le grade de comte des domestiques. En 350, pendant un siège mémorable, que Julien lui-même a célébré[138], il avait défendu victorieusement Nisibe contre les Perses. Quand, en 351, Gallus avait été nommé César, Constance l'avait attaché à la personne du jeune prince, comme commandant de ses troupes. En 358, il avait été chargé par l'empereur d'une ambassade auprès de Sapor. Il était maintenant commandant militaire de la Pannonie. Un tel homme eût peut-être été difficile à vaincre en rase campagne et surtout derrière les murs de Sirmium : Julien résolut de le supprimer, par un de ces coups d'audace dont il était coutumier. A peine eut-il mis le pied sur le rivage de Bononia, qu'il détacha de sa petite armée Dagalalphe, avec quelques-uns de ses meilleurs marcheurs[139]. Celui-ci avait ordre d'amener, de gré ou de force, Lucilianus. Le maître de la cavalerie fut saisi dans son lit, au moment où, croyant Julien encore bien loin, il ne songeait point à se garder. Réveillé brusquement, il se vit tout à coup entouré de soldats inconnus et menaçants. Il fut obligé de céder, et de les suivre. On le mit sur un cheval, et on l'amena au prince, comme un captif vulgaire, dit Ammien, c'est-à-dire sans observer aucun des égards dus à son rang et à son grade. Lucilianus se prosterna en tremblant devant Julien ; mais il fut bientôt rassuré par son accueil. Il s'enhardit alors jusqu'à lui dire : Tu as été bien téméraire, empereur, d'entrer avec si peu d'hommes sur le territoire d'autrui. — Garde pour Constance ces conseils de la prudence, répondit Julien ; je t'ai donné ma pourpre à baiser, non pour solliciter tes avis, mais pour calmer tes frayeurs[140]. Ayant enlevé le seul chef qui lui partit à redouter dans ces parages, Julien marcha vers Sirmium, qu'il considérait maintenant d'avance comme une ville prise[141]. Se présenter avec une petite troupe devant cette grande ville, qui avait été l'une des capitales de l'Empire au temps de la tétrarchie, et que protégeaient de vastes faubourgs, semblera cependant encore un coup d'audace. Mais dans les circonstances critiques, dit Ammien, Julien se montrait toujours audacieux[142]. Il faut ajouter qu'il savait que le corps d'armée de Nevitta était maintenant tout proche : cela rendait son audace plus facile. La fortune, du reste, continuait à lui sourire, et à aplanir sous ses pas tous les obstacles. Comme il était en vue de Sirmium, il aperçut la garnison et le peuple venant à lui, avec des flambeaux et des fleurs. On le conduisit en triomphe au palais. Séjournant dans une ville, pour la première fois depuis son départ de Bâle, Julien donna un jour de repos à ses soldats. Ce repos même ne fut pas oisif, car, afin de se rendre populaire, Julien offrit des courses de chars aux habitants de Sirmium. C'est à ce moment que, fidèle au rendez-vous, le rejoignit Nevitta[143]. Julien se remit en marche le troisième jour. Il avait la confiance que, entraînées par l'exemple de Sirmium, toutes les villes près desquelles il passerait s'ouvriraient devant lui et l'accueilleraient comme un sauveur[144]. Profitant des derniers beaux jours d'octobre, il traversa rapidement la Mésie, et, sans que personne osât lui résister, arriva au Pas de Sucques, défilé qui sépare le Rhodope de l'Hémus, formant la limite des contrées illyriennes et de la Thrace, ou plutôt de l'Occident et de l'Orient romains. De ces chaînes de montagnes, facilement accessibles du côté de l'Illyrie, abruptes et presque inaccessibles du côté de la Thrace, le regard s'étend à l'ouest jusqu'aux Alpes Juliennes, à l'est jusqu'à la Propontide et au Bosphore[145]. Julien arrêta en ce point sa marche victorieuse, et n'essaya pas de franchir le défilé. Il ne se souciait pas de déboucher en Thrace, où il trouverait des villes fortes comme Serdica et Philippopolis[146], et où Constance, afin de couvrir les abords de Constantinople, avait laissé des troupes[147]. Il jugea suffisant, pour le moment, d'occuper fortement le Pas de Sucques, et y mit une garnison sous le commandement de Nevitta[148]. Puis, revenant en arrière, il alla s'établir, pour l'hiver, dans la riche et populeuse ville de Naïsse, dont il fit provisoirement son quartier général et le siège de son gouvernement. III. — La mort de Constance. Ces nouvelles arrivèrent à Constance pendant que celui-ci était à Édesse, observant toujours les Perses. Ce fut un coup terrible. Constance avait rempli son devoir de souverain en faisant face à l'ennemi du dehors avant de se tourner contre un rebelle : mais il semble, à première vue, avoir montré une négligence singulière, ou plutôt une confiance poussée jusqu'à l'aveuglement, en ne fermant pas à celui-ci les routes par où il pouvait passer. Ce jugement, que l'on porte malgré soi, après un examen superficiel des faits, serait, je crois, exagéré. Puisque Constance avait pris la résolution de défendre l'Empire contre les Perses avant de défendre son trône contre Julien, il lui avait fallu masser d'abord des troupes sur les points menacés par ceux-ci. Il s'y était résigné au point, on l'a vu, de faire venir les garnisons de l'Illyrie, ne laissant guère, dans l'Europe centrale, de soldats qu'à Sirmium. Mais il avait cependant essayé, quoique sans succès, de faire garder par des Barbares les passages des Alpes. Il avait si bien réussi à mettre l'Afrique romaine en état de défense, que bien que Julien se fût rendu maître de la Sicile, les garnisons de cette île, formées en corps de débarquement, ne purent trouver un point de la côte africaine où l'on ne fût prêt à les repousser[149]. Il avait rassemblé en Thrace des forces suffisantes pour arrêter Julien au seuil de cette province. S'il n'avait point, comme on le lui a reproché[150], placé des soldats au Pas de Sucques, c'est sans doute parce que cette position, imprenable pour qui venait de Thrace, était au contraire, d'après Ammien, presque impossible à défendre contre qui venait d'Illyrie[151]. On devra donc, pour être juste, écarter de Constance le reproche d'imprévoyance. Mais on l'excusera malaisément de celui d'illusion. Il parait certain que Constance considérait Julien comme une quantité négligeable. Il se tenait pour assuré de le vaincre, et cette opinion était partagée par tout son entourage[152]. Il n'attendait que l'heure où il aurait eu raison des Perses, sûr qu'il trouverait ensuite amplement le temps de se porter contre le César et, traversant l'Illyrie, puis l'Italie, de l'aller écraser en Gaule, occupé des préparatifs de son entreprise[153]. C'eût été alors, dans sa pensée, moins une expédition qu'une partie de chasse : on aurait surpris le gibier au gîte[154]. Or les choses se trouvaient complètement retournées : c'était Julien qui avait franchi l'Italie et l'Illyrie, et, vainqueur sans combat, paraissait tout à coup aux portes de l'Orient. Heureusement une autre nouvelle vint faire diversion à ces inquiétudes, et, dans une certaine mesure, les calmer ; le lendemain du jour où on lui avait annoncé que Julien était maître du Pas de Sucques, Constance apprit la retraite de Sapor. La superstition jouait un grand rôle dans les guerres de ce temps, parmi les païens de toutes les religions. On verra bientôt, lors de l'expédition de Julien contre les Perses, la marche de son armée entravée à chaque instant par des présages contraires ou des réponses ambiguës des devins. Les Perses n'étaient pas moins crédules. Il suffit que les auspices se déclarassent défavorables, pour que Sapor délivrât Constance d'inquiétude à son sujet, et rentrât précipitamment dans ses États, emmenant l'armée qu'il avait massée au bord du Tigre[155]. On remarquera que les princes chrétiens ne connurent point ces terreurs superstitieuses. Constantin le premier avait donné l'exemple de les mépriser[156] : dans les récits de ses guerres et de celles de Constance il n'est jamais question de présages consultés, d'oracles jouant un rôle quelconque dans la direction d'opérations militaires. Allégées de tout le bagage de la superstition, les armées, où ne domine plus l'idée païenne, pourraient avoir pour mot d'ordre cette parole raisonnable et fière d'un poète du quatrième siècle : Veux-tu savoir qui donne la victoire ? un bras fort, et le Dieu tout-puissant[157]. La retraite de Sapor rendait à Constance sa liberté d'action. L'assurance lui revint. Il s'encouragea par le souvenir de tant de guerres civiles qu'il avait heureusement terminées. Laissant seulement en Mésopotamie les garnisons ordinaires, il résolut d'aller combattre Julien en Thrace, et réquisitionna toutes les voitures publiques pour transporter ses soldats. Selon l'usage, il voulut les haranguer. Au son des clairons, toute l'armée fut convoquée, et, en présence des troupes rangées en bataille, Constance, de la tribune impériale, prononça un discours plus ou moins fidèlement rapporté par Ammien : Toujours soucieux de ne rien faire ou dire qui ne soit conforme à la plus irréprochable honnêteté, et jaloux de tenir au milieu des flots agités le gouvernail en pilote prudent, je suis obligé aujourd'hui, très chers amis, de vous confesser mes erreurs, ou plutôt (à dire vrai) un excès de bonté, que j'avais cru profitable à, l'intérêt public. Afin de comprendre plus aisément l'objet de cette réunion, prêtez-moi, je vous prie, une juste et favorable attention. Au temps où Magnence, qui fut
vaincu par votre courage, persistait à troubler l'Empire, je revêtis Gallus,
mon cousin germain, de la dignité de César, et l'envoyai garder l'Orient.
Mais, convaincu d'actions criminelles, il fut puni selon les lois. Plût au
ciel que l'envie, qui répand partout la discorde, se fût contentée de ce
malheur, dont le souvenir, tout en m'affligeant, me laissait au moins en
repos ! Mais aujourd'hui survient un mal plus triste encore, que le secours
céleste réprimera, à l'aide de votre courage. Pendant que vous repoussiez les
nations étrangères qui menaçaient les provinces illyriennes, j'avais préposé
Julien à la défense des Gaules : aujourd'hui, enflé par de légères victoires
remportées sur des Germains à peine armés, il a appelé au secours de son
orgueil quelques cohortes auxiliaires, que leur férocité disposait aux actes
téméraires, et il s'est armé pour la ruine publique, foulant aux pieds la
justice, mère et nourrice du monde romain. Mais celle-ci, vengeresse des
crimes, — toute l'antiquité le montre, et je le sais par expérience, —
écrasera comme de la cendre ces superbes desseins.
Qu'avons-nous donc à faire, si ce n'est de courir au-devant de la tempête et
de dompter par une répression rapide la fureur de cette guerre naissante,
avant qu'elle ait grandi ? Car il n'est pas douteux que, par la faveur du
Dieu très haut, le fer préparé par des mains impies se retournera contre ceux
qui, non pas maltraités, mais comblés de bienfaits, se sont insurgés pour
mettre les innocents en péril. Comme mon âme le prévoit, comme le promet la
justice, toujours favorable aux intentions droites, je jure que, si l'on en
vient aux armes, ils auront une telle peur, qu'ils ne pourront supporter ni
l'éclat de nos yeux, ni le premier son de notre barrit[158]. La confiance que montrait l'empereur se communiqua à ses soldats. Ils manifestèrent bruyamment leur approbation, et, agitant leurs lances, demandèrent à être conduits sans retard à l'ennemi. Cet empressement rendit Constance tout heureux. Ses dernières craintes s'évanouirent[159]. Il reprit confiance dans la victoire. En attendant que l'armée entière fût prête à être mise en mouvement, il envoya, pour ressaisir le Pas de Sucques, ou au moins pour barrer la route de la Thrace, une avant-garde composée de lanciers et de Mattiarii[160], avec quelques bataillons d'infanterie légère, et des Lètes : les troupes romaines étaient conduites par Arbetio, que la retraite de Sapor rendait disponible, et dont Constance avait déjà apprécié l'habileté exempte de scrupules dans les guerres civiles[161]. Les auxiliaires barbares avaient pour chef Gumohaire, de qui Julien, on s'en souvient, avait refusé les services, et s'était fait par là un ennemi acharné[162]. En même temps, les garnisons éparses dans la Thrace furent formées en un corps d'armée, et, sous le commandement du comte Marcien, se dirigèrent vers les montagnes[163]. C'était maintenant au tour de Julien de s'inquiéter. Pendant que de Naïsse, sa résidence d'hier[164], il voyait ainsi les soldats de Constance se masser devant lui en Thrace, sous la conduite de chefs habiles, une nouvelle plus alarmante encore vint tout à coup lui apprendre que, de l'autre côté, sa ligne de retraite menaçait d'être coupée, et que peut-être les populations qu'il croyait avoir soumises allaient se soulever derrière lui. On sait qu'à Sirmium sa fortune eût pu sombrer déjà une première fois, si, par un coup d'audace, aidé d'une chance incroyable, il n'avait surpris et arrêté le commandant militaire de la Pannonie. Déconcertés par la perte de leur chef, les soldats s'étaient joints aux habitants de la ville pour faire leur soumission, et recevoir Julien comme un vainqueur. Mais la fidélité à leurs premiers serments n'avait été ébranlée qu'en apparence. Il y avait parmi eux deux légions et une cohorte de sagittaires dont l'adhésion à un nouveau chef paraissait peu solide[165]. En dépit de la force numérique qu'elles eussent ajouté à sa petite armée, Julien reconnut, à la réflexion, qu'il trouverait plus d'avantage à les éloigner que de profit à les y adjoindre. Il résolut de se défaire de ces soldats douteux, en les envoyant en Gaule. Les peuples barbares qui avoisinaient la Gaule, disent ses panégyristes et ses historiens, n'avaient pas bougé depuis son départ, et la terreur de son nom avait suffi à les maintenir en repos[166]. Julien prétexta cependant d'une urgente nécessité de défense[167] pour envoyer au delà des Alpes les légions et la cohorte de Sirmium. Celles-ci se mirent en route avec répugnance. Elles redoutaient la longueur du voyage, et n'avaient pas plus le désir de se trouver, sous un climat nouveau, en contact avec les Barbares de la Germanie, que les soldats gallo-romains n'avaient eu, l'année précédente, celui d'abandonner leurs foyers pour marcher en Orient contre les Perses. Les officiers, dévoués à Constance, leur soufflaient l'esprit de rébellion. L'un d'eux surtout, Negrinus, tribun de cavalerie, né en Orient, les excitait à désobéir. Il y eut, entre les chefs et les soldats, de secrets colloques, sur lesquels le silence fut bien gardé[168]. Mais quand — après avoir, depuis Sirmium, suivi d'un pas lent et comme paresseux[169] la voie stratégique qui longe le cours de la Drave, puis, bifurquant à Petau, conduit par Celeia et Emona aux Alpes Juliennes, — ils arrivèrent enfin devant Aquilée, ils s'installèrent dans cette ville au lieu de la traverser, fermèrent ses portes, armèrent ses tours, protestèrent de leur fidélité à Constance. Cette révolte militaire contre l'autorité usurpée de Julien ne se présentait pas seule : elle s'appuyait sur une révolte populaire. Le peuple d'Aquilée fit cause commune avec les soldats ; car, dit Ammien, il aimait encore Constance[170]. Ce fait était d'une extrême gravité. L'étincelle partie d'Aquilée pouvait embraser toute l'Italie. Il eût suffi d'un moment pour révéler aux populations surprises le peu de solidité des conquêtes improvisées par Julien ou ses lieutenants, rendre courage aux partisans de Constance, plus nombreux qu'on n'aurait cru, boucher à Julien toute voie de retour, l'enfermer en Pannonie, entre l'Italie soulevée derrière la barrière des Alpes Juliennes et la Thrace en armes devant celle du Rhodope et de l'Hémus. Julien sentit le péril[171]. Il comprit la nécessité de reprendre tout de suite, et coûte que coûte, Aquilée. Mais il n'avait pas de troupes sous la main. Seul jusqu'ici, le corps de Nevitta avait rejoint. Celui de Jovius et de Jovinus était encore en route, la cavalerie en avant, l'infanterie demeurée en arrière. Julien apprit que la cavalerie de Jovinus, après avoir franchi les Alpes Juliennes, venait enfin d'entrer en Norique. Aussitôt il commanda à ce général de rebrousser chemin avec ses escadrons, et de se replier sur Aquilée, avec ordre de retenir au passage sous les murs de cette ville l'infanterie de Jovius, soldats de la garde impériale et légionnaires, qui y passerait nécessairement[172]. Dans le courant de novembre commença ainsi, pour le compte de Julien, le siège de la redoutable place d'Aquilée, qui se glorifiait d'avoir été plusieurs fois attaquée sans qu'on ait pu jamais ni la prendre d'assaut, ni la contraindre à capituler[173]. A ce moment critique de sa fortune, Julien retrouva toute sa puissance de dissimulation. Malgré les anxiétés qui le torturaient, il se posa à Nasse en souverain incontesté. Il distribuait l'es faveurs, nommait aux fonctions, comme si l'Empire eût appartenu à lui seul. On le voit accorder dei grâces aux sujets de Rome résidant sur les bords de l'Adriatique, sur les plages de la mer Tyrrhénienne ou du Pont-Euxin : il concède aux Dalmates une diminution dans le nombre des chevaux qu'ils devaient fournir aux armées : il allège les impôts qui frappaient l'Épire[174]. En même temps il cherche à s'attacher les hommes distingués que le hasard a mis sur son passage. Il avait rencontré à Sirmium l'historien Aurelius Victor[175] : il le mande à Naïsse, le fait consulaire de la Seconde Pannonie, et ordonne de lui élever une statue d'airain[176]. Cela était habile, et de nature à donner le change à l'opinion publique. Mais bientôt Julien gâta cette attitude à la fois hardie et politique par de nouvelles intempérances de langage, que sa situation encore si peu assurée rend inexplicables. Il se préoccupait, avec raison, de gagner l'adhésion des Italiens, pour lesquels il redoutait l'exemple d'Aquilée. Dans ce but, il adressa un message au sénat. C'est ici que le sang-froid l'abandonna encore une fois. Ce que Julien envoie à la haute assemblée n'est pas un écrit purement politique, contenant un essai de justification de son entreprise et une démonstration de la légitimité des droits que lui ont conférés à Paris les soldats révoltés. On a vu, par un exemple récent, combien il lui était maintenant difficile de se contenir en écrivant, et comment, dès qu'il avait la plume à la main, il se laissait entraîner aux pires personnalités. Le message adressé au sénat romain fut comme une seconde édition de la lettre confiée naguère au questeur Léonas. Julien en fit une invective violente, pleine d'outrages et de calomnies contre Constance[177]. Rien ne pouvait are plus antipathique aux illustres représentants de l'aristocratie romaine. A ces hommes élevés dans le respect de l'autorité, les injures dont Constance était l'objet semblaient d'autant plus blessantes, que, depuis le voyage de 357, celui-ci était resté populaire parmi eux. Le grand monde de Rome avait oublié quelques ridicules pour ne se souvenir que des égards montrés à tous ses membres par l'impérial visiteur, de son admiration pour les beautés de la ville éternelle, de sa tolérance religieuse. Aussi, quand le préfet Tertullus eut donné lecture au sénat de la lettre de Julien, celle-ci produisit-elle un véritable scandale. La protestation fut unanime. Respecte celui à qui tu dois tout ! s'écrièrent les sénateurs[178]. Il est évident qu'à ce moment, si la révolte avait gagné l'Italie, le sénat se serait gardé de la combattre, ou même se serait prononcé ouvertement pour Constance. La leçon fut cependant perdue pour Julien. Quand la réponse des sénateurs lui eut été rapportée, il ne parut pas la comprendre. Oublieux des convenances, et de sa propre parenté, il fit à Naïsse un discours public, dans lequel il attaqua la mémoire de Constantin. Avec la rancune du païen contre le premier empereur chrétien, il accusa le chef de la famille régnante d'avoir innové, en bouleversant les lois primitives et les antiques mœurs[179] ; il lui imputait en plus d'avoir le premier prostitué à des Barbares les faisceaux et les insignes consulaires : imputation qui témoignait, dit Ammien lui-même, d'un esprit singulièrement inconséquent et léger, car peu de semaines s'écouleront avant que Julien fit consul un Barbare que ne recommandaient ni la naissance, ni les services, ni la gloire de ceux auxquels Constantin déféra cette première des magistratures[180]. La diatribe contre Constantin contenait (on vient de le voir) une allusion transparente à la réforme religieuse dont ce prince fut l'auteur. Julien ne craignait plus de manifester ses sentiments à ce sujet. Depuis sa sortie de Gaule, il avait cessé d'en faire mystère. A mesure qu'il entrainait plus loin ses soldats, il achevait de détacher le masque dont pendant tant d'années il s'était couvert. On l'entendait attribuer aux dieux les succès qu'il remportait. Nous nous sommes aperçus de la bonté des dieux, écrivait-il de Naïsse au philosophe Maxime, et c'est grâce à eux que nous avons échappé à une foule de traîtres, sans en tuer, sans en dépouiller un seul de ses biens, nous bornant à enfermer ceux que nous prenions en flagrant délit[181]. Il ajoute : Nous adorons publiquement les dieux, et toute l'armée qui me suit est dévouée à leur culte. Nous immolons des bœufs en public, et nous rendons grâces aux dieux par de nombreuses hécatombes. Ces dieux m'ordonnent de tout maintenir, autant que possible, en parfaite sainteté. Ils disent qu'ils m'accorderont de grands fruits de mes efforts, si je ne faiblis point[182]. Le prestige d'une aventure jusque-là réussie avait fait taire les répugnances des soldats : l'autorité était venue avec le succès : Julien osait en Pannonie ce qu'il n'avait pas osé en Gaule. Pourtant cette audace, on le sait maintenant, couvrait bien des inquiétudes. Malgré les promesses que Julien prétendait avoir reçues des dieux avant et pendant le voyage, le terme lui apparaissait quelquefois douteux, ou même menaçant. Le vent avait jusqu'à ce jour enflé ses voiles, mais pouvait changer tout à coup, et le briser contre un écueil. Cet écueil semblait même aujourd'hui apparaître à fleur d'eau, sous la forme d'une ville rebelle et de deux légions mutinées. Julien ne cessait plus d'interroger les' dieux. Il cherchait par tous les moyens à leur arracher le secret de l'avenir. Il interrompait les plus graves affaires pour fouiller, sans relâche, les entrailles des victimes[183]. Il suivait d'un œil perplexe le vol révélateur des oiseaux[184]. Mais il n'entendait plus que des réponses ambigües, et ses incertitudes s'en augmentaient[185]. Ses amis et lui-même essayaient pourtant de le rassurer. Il fallait parfois bien peu de chose pour y réussir. Voici des exemples curieux de cette mobilité d'esprit. Julien avait dans son armée, parmi les rhéteurs dont il aimait à se faire accompagner, et à qui il réservait déjà les grandes charges de l'administration et de la politique, un Gaulois, nommé Aprunculus, orateur de profession, mais très versé aussi dans les pratiques de l'haruspicine. Examinant un jour, avec Julien, un animal qu'on venait d'immoler, Aprunculus fit remarquer à l'empereur que le foie était entouré d'une double membrane, présage d'événements heureux pour lui, funestes pour ses ennemis[186]. C'était enfin[187] la réponse précise impatiemment attendue par Julien. Celui-ci, cependant, conservait quelque défiance. Il craignait toujours qu'on abusât de sa crédulité. Sa tristesse n'était pas encore dissipée[188], quand un nouveau signe vint tout à fait le rassurer. Julien avait aussi sa manière d'interroger le sort. Il sollicitait doucement non les textes, mais les moindres incidents. Un jour, un soldat, sur lequel il venait de s'appuyer pour monter à cheval, glissa, et s'étendit tout de son long sur le dos. L'auteur de mon élévation est par terre, s'écria Julien devant les assistants. Ce dernier présage le remplit de joie : c'était l'annonce assurée de la mort de Constance. C'était aussi la justification d'Aprunculus, qui reçut, pour récompenser son talent d'haruspice, le gouvernement de la Narbonnaise[189]. Personne, dans l'entourage du prince, ne songeait encore à rire de cette superstition immodérée que les païens raisonnables blâmeront plus tard en lui. Son ardeur à faire acte d'idolâtrie, à manifester à tout propos sa croyance aux dieux, sa dépendance de leur volonté, était certainement sincère, mais elle avait de plus, à ce moment, l'avantage de servir sa politique. Elle l'aidait à faire, sans sortir d'Illyrie, la conquête morale de la Grèce. De toute la péninsule hellénique, si attachée encore à l'ancien culte, venaient à Julien des députés. Il en arriva des principales villes de la Macédoine, de l'Attique, du Péloponnèse[190]. Les cités de l'Illyrie lui envoyèrent aussi leurs félicitations et leurs doléances[191]. Il mit un grand empressement à prêter l'oreille à toutes les plaintes, à redresser les torts contre lesquels réclamaient les municipalités, à leur alléger les charges publiques[192], à réparer les murs et les aqueducs, à rétablir les fêtes supprimées[193]. Il adressa même aux villes les plus influentes des lettres, parfois répétées[194], dans lesquelles il racontait à sa manière son histoire et plaidait sa propre cause contre Constance. Des lettres écrites dans ce but furent reçues par Athènes, Corinthe et Lacédémone[195]. Une seule[196] a été conservée dans le recueil de ses œuvres[197] : c'est celle qui a le sénat et le peuple d'Athènes pour destinataires : long message, auquel nous avons fait déjà de très nombreux emprunts, car il est rempli de détails biographiques. Après un exorde plein de louanges à l'adresse des anciens Athéniens, ces hommes nourris sous les regards de la plus sage des déesses, Julien fait le récit de son enfance et de celle de Gallus, et rappelle son séjour d'étudiant à Athènes. Il dit son désespoir, sa prière ardente à Minerve, ses mains tendues vers l'Acropole, quand il eut reçu l'ordre de revenir en Italie. La déesse elle-même sait combien de fois je lui demandai de mourir avant de quitter Athènes. Elle ne trahit pas son serviteur, elle ne le livra pas à ses ennemis, mais elle me guida partout, partout elle m'envoya comme gardiens les anges du Soleil et de la Lune[198]. Suit le récit du séjour de Julien à Milan, de son élection comme César, de ses campagnes de Gaule et de Germanie, de la révolution de Paris. J'ai déjà eu l'occasion de citer ou de résumer ces divers endroits de sa lettre. La fin est curieuse : elle contient, dans un singulier mélange, des invectives contre Constance, l'expression de l'espoir que garde encore Julien de s'accorder avec lui, celle en même temps de la crainte qu'il a d'être vaincu, et l'aveu du danger qu'il aurait couru si Constance, le gagnant de vitesse, et s'entendant avec les Barbares, l'avait bloqué dans les Gaules. Je me suis, dit Julien, soumis aux dieux, qui voient et entendent toutes choses.
Je leur ai offert des sacrifices pour le succès de ma cause. Haranguant mes
soldats avant le départ pour l'expédition présente, je leur ai fait
comprendre qu'il s'agissait moins de ma propre vie que du salut de l'État, de
la liberté du genre humain, et surtout de l'existence des Gaulois que
Constance avait deux fois livrés à leurs ennemis[199]. Mais un homme qui n'a pas respecté les tombeaux de ses
pères ne devait pas avoir d'égards pour ceux des étrangers. Pour moi, j'ai
jugé nécessaire de réduire les nations les plus puissantes, de lever des
tributs d'or et d'argent, espérant qu'il consentira à s'accorder avec nous et
à reconnaître le présent état de choses. Si cependant il a dessein de
continuer la guerre sans rien céder de ses anciennes prétentions, je suis
prêt à faire ou à souffrir tout ce qu'il plaira aux dieux. Je me croirais
plus déshonoré d'avoir le dessous par insuffisance de courage ou défaut
d'intelligence que par la force des armes. Et s'il me faut succomber à la
force, je ne serai pas vaincu par lui, mais par la supériorité du nombre.
Mais si j'étais demeuré dans les Gaules par amour de la vie ou crainte du
danger, il lui eût été facile de me fermer toute issue, en enveloppant mes
flancs de Barbares, et en m'opposant en tête la masse de ses troupes :
j'aurais pu être réduit à l'extrémité, et subir le pire des affronts aux yeux
des sages. Telles sont, Athéniens, — conclut Julien, — les réflexions que j'adresse à mes frères d'armes et tous les citoyens de la Grèce. Que les dieux, maîtres de l'univers, m'accordent la protection qu'ils m'ont promise ! qu'ils fassent jouir Athènes de tous les bienfaits qu'il sera en mon pouvoir de répandre sur elle ! qu'ils lui donnent d'avoir toujours des empereurs animés des mêmes pensées et des mêmes affections ! Cette lettre est curieuse à lire en entier, et à cause des détails qu'elle donne, et à cause du caractère agité, nerveux, du plaidoyer qu'elle contient. Si Julien écrivit de ce ton au sénat de Rome, on comprend l'accueil qu'y reçut son message. Les hommes d'État parlaient encore, en Occident, un tout autre langage. Même au sein d'une profonde décadence politique, la gravité romaine avait gardé ses traditions. Le style dans lequel étaient traitées les grandes affaires demeurait concis et majestueux. Que l'on compare à la lettre de Julien aux Athéniens les célèbres relations composées vingt ans plus tard par Symmaque. Entre ces ouvrages il y a la différence qui séparera toujours un patricien romain d'un rhéteur grec. Une telle différence n'était pas, ici, une chose de pure forme. Elle touchait au fond des pensées. Julien, décidé à restaurer le paganisme, n'aperçut jamais le point d'appui que l'Occident et en particulier l'aristocratie romaine auraient pu lui offrir. Lâchant la proie pour l'ombre, il se tourna seulement vers le monde grec. Mais le monde grec, dans lequel il s'obstinait à voir une réalité, ne vivait plus que de souvenirs. Athènes, devenue une ville de professeurs et d'étudiants, un centre universitaire, avait perdu toute influence politique. Corinthe montrait à peine quelque reste effacé de son antique splendeur. Lacédémone n'était qu'une bourgade historique. Saccagée à plusieurs reprises par les invasions, la Grèce paraissait maintenant, à tout observateur impartial, l'une des contrées les plus faibles et les plus dépeuplées de l'Empire. Cependant Julien, négligeant les pays dont la sympathie eût été pour lui une force, ou même ne craignant pas de froisser par son langage leurs représentants les plus autorisés, semble préoccupé avant tout de faire approuver sa conduite par des cités mortes, dont ses yeux de rêveur, éblouis de la glorieuse auréole du passé, refusent de reconnaître le présent misérable. On aperçoit ici une inaptitude à saisir la juste proportion des idées et des faits, un défaut de sens pratique, que la suite des événements mettra de plus en plus en lumière. Pendant que Julien écrivait des manifestes, Constance avait quitté Édesse, traversé Hiérapolis, et s'était arrêté à Antioche, d'où il se préparait à suivre avec le gros de son armée l'avant-garde envoyée sous la conduite d'Arbetio et de Gumohaire. C'est là qu'il reçut les envoyés du sénat romain, Symmaque le père, Maxime, et quatre autres sénateurs. On ne voit pas clairement quel avait été le motif de leur mission, et si elle avait trait à l'usurpation de Julien, à l'approvisionnement de Rome, ou à quelque autre affaire. Mais une lettre de Libanius au second Symmaque nous apprend que son père attira à Antioche l'attention de tous, au détriment même de ses collègues, éclipsés par son mérite et par ses talents[200]. De Syrie, les sénateurs, ou au moins Symmaque et Maxime, revinrent par l'Illyrie, et allèrent à Naïsse voir Julien. Cette démarche semble avoir impliqué de leur part, et de la part de l'assemblée dont ils étaient les représentants, l'acceptation des faits accomplis : ils avaient à Antioche rendu hommage au souverain de l'Orient romain, ils allaient en Occident saluer le nouveau maître de l'Italie. Mais, si l'on en juge par le temps que demandait alors un voyage de Rome en Syrie, et de Syrie en Illyrie, on reconnaîtra qu'au moment où ils s'étaient mis en route, le malencontreux message de Julien n'avait pas encore été envoyé au sénat : et peut-être reflétaient-ils les dispositions de l'assemblée avant, et non après, la réception de cette lettre. Quoi qu'il en soit, Julien les reçut avec de grands honneurs. Faisant tout de suite, selon son habitude, acte d'autorité, il nomma Maxime préfet de Rome à la place de Tertullus, dont l'attitude lors de la lecture de son message lui avait déplu. Ammien se montre surpris qu'il n'ait pas de préférence choisi Symmaque, qui était un plus grand personnage. Mais Symmaque, quoique l'un des membres les plus notables du parti païen de Rome, n'était pas un païen selon le cœur de Julien : en fait de sacerdoces, il n'était que pontife mineur et que décemvir[201] : les dieux romains lui suffisaient, et il manquait de dévotion pour les divinités exotiques auxquelles Julien s'était voué. Maxime avait un titre particulier à la faveur du prince : il était neveu de Vulcatius Rufinus, qui avait été l'oncle de Gallus[202]. Si l'on en croit Mamertin, Julien traita tout de suite de l'approvisionnement de Rome avec le nouveau préfet. Depuis que, appauvrie par l'abus du travail servile, qui en avait peu à peu chassé la vieille race des cultivateurs autochtones, et transformé les champs en pâturages, l'Italie ne produisait plus de céréales en quantité suffisante, les habitants de la ville éternelle recevaient des provinces tributaires le blé nécessaire à leur nourriture[203]. L'Égypte et surtout l'Afrique étaient devenues les greniers de Rome. Quand la flotte frumentaire n'apparaissait pas en vue d'Ostie aux époques accoutumées, le peuple s'agitait. En dépit des lois de Constance, le préfet même que Julien venait de révoquer, Tertullus, avait été, en 359, contraint par une émeute d'offrir un sacrifice dans le temple des Castors, afin d'obtenir des dieux protecteurs de la navigation la prompte arrivée des navires[204]. Rome, en 361, traversait de nouveau une crise semblable. Nous avons dit que l'une des mesures de précaution prises par Constance contre Julien avait été l'envoi en Afrique de Gaudentius, avec ordre d'intercepter toute communication entre cette partie de l'Empire et l'Italie. Gaudentius avait réussi dans sa mission, et, avec l'aide du comte Cretio et de divers gouverneurs, garnissant de soldats toutes les côtes africaines, avait mis, en quelque sorte, l'Italie à l'état de blocus[205]. Une des conséquences de ces dispositions fut la cessation des envois réguliers de blé à Rome. Peut-être est-ce pour porter à Constance les réclamations du sénat contre cet état de choses que Symmaque et ses collègues étaient allés jusqu'à Antioche. Quoi qu'il en soit, Julien apprit bientôt que la flotte d'Afrique, au lieu de voguer vers l'embouchure du Tibre, venait d'être dirigée par Gaudentius dans les eaux grecques, et, après avoir doublé la pointe de l'Achaïe, allait porter à Constantinople l'approvisionnement ordinaire de Rome. Comme s'il eût été déjà maître de la seconde capitale de l'Empire : Ce n'est pas perdu pour nous, dit tranquillement Julien, d'une parole ambiguë, où son entourage vit à la fois une marque de son amour pour sa ville natale[206] et une prophétie de l'avenir[207]. Mais en même temps, il prit, de concert avec les délégués du sénat et particulièrement avec Maxime, les mesures nécessaires pour parer à la détresse de la ville éternelle. Les blés des provinces dont Julien était devenu maître furent consacrés à la nourriture de Rome : les contributions levées en nature, les récoltes achetées, en partie sur la cassette particulière de Julien, allèrent nourrir ses habitants, dit Mamertin[208] : Ammien Marcellin ajoute que durant la préfecture de Maxime on n'eut jamais à souffrir de la disette[209]. S'attribuant, à ce moment, le choix des consuls, comme s'il eût été déjà seul empereur, Julien désigna, pour donner leur nom à l'année suivante, deux des compagnons de son aventureuse expédition, le rhéteur Mamertin, qu'il avait déjà fait en quelques mois intendant du trésor et préfet du prétoire d'Illyrie, et le maître de la cavalerie Nevitta. Celui-ci était un Barbare : Julien avait déjà oublié les reproches qu'il venait d'adresser avec tant de violence à la mémoire de Constantin[210]. Si ces nouvelles parvinrent à Constance, elles expliquent peut-être la hâte qu'il montra de quitter Antioche et de marcher contre son insolent rival. La situation, à première vue, était loin d'être perdue pour lui. Il avait déjà une armée en Thrace, peut-être plus nombreuse que celle de Julien, puisqu'une partie de cette dernière était occupée autour d'Aquilée ; il en amenait une autre avec lui, qui depuis plusieurs mois tenait tête aux Perses, et par conséquent était suffisamment aguerrie. Cependant tous les gens de son entourage le dissuadaient de se mettre si tôt en route. Ce n'était pas la difficulté de l'entreprise, mais l'état de sa santé, qui causait leurs alarmes. Il n'avait que quarante-quatre ans[211] ; cependant, si l'on en croit Ammien, la fatigue, les soucis, causés par la double guerre civile et étrangère dont il venait d'avoir tout ensemble à soutenir le poids, avaient ébranlé son intelligence, jusque-là très nette et très lucide. On pouvait apercevoir maintenant dans ses propos, dans ses manières, des signes de dérangement d'esprit. Depuis quelque temps il avait, la nuit, des songes effrayants. Même avant de s'endormir, il devenait la proie du cauchemar. Un soir, en se couchant, il crut voir son père, qui lui présentait un bel enfant : et quand il eut pris celui-ci dans ses bras, l'enfant lui arracha de la main le globe impérial et le jeta au loin. On essaya de donner à ce rêve une interprétation rassurante ; mais chacun, et Constance lui-même, y vit l'annonce d'une révolution. Les amis de l'empereur durent être encore plus inquiets quand il leur raconta qu'il avait cessé d'apercevoir un être mystérieux, qu'autrefois il voyait toujours auprès de lui : ils se demandèrent si la disparition de ce génie tutélaire n'était pas le signe de sa fin prochaine : quelques-uns, probablement, pensèrent que cette bizarre confidence indiquait le cerveau affaibli d'un halluciné. C'est avec toute sorte d'appréhensions que ses plus intimes confidents le virent, vers la fin de l'automne, donner l'ordre du départ, et quitter Antioche à la tête de l'armée[212]. La rencontre d'un cadavre, au sortir de la ville, le remplit lui-même d'une terreur superstitieuse. Arrivé à Tarse, il fut pris de fièvre. Croyant que le mouvement du voyage lui ferait du bien, il se remit en route, et, par des chemins difficiles, arriva à Mopsucrène, la dernière ville de la Cilicie, au pied du Taurus. La fièvre le reprit : voulant, le lendemain, se lever pour continuer sa route, il ne put tenir debout. Bientôt il fut en danger. Il envoya chercher l'évêque arien d'Antioche, Euzoius, et reçut de lui le baptême in extremis[213]. Ce dernier détail rend peu croyable ce que saint Grégoire de Nazianze avait entendu raconter de Constance mourant : celui-ci aurait exprimé son repentir de trois choses : d'avoir fait tuer ses proches ; d'avoir nommé Julien César ; d'avoir suivi des dogmes nouveaux[214]. Peut-être le bruit dont Ammien se fait l'écho sans l'affirmer n'est-il pas plus exact : Constance aurait, avant de mourir, désigné Julien pour son successeur[215]. Constance expira le 3 novembre[216], après trente-sept (ou trente-huit) ans de règne[217], dont onze comme seul Auguste[218]. Julien, que sa mort tirait des plus grands embarras, peut-être des plus grands périls, lui succéda sans difficulté. Ratifiée ou non par la dernière volonté de Constance, cette solution était inévitable. L'élu de l'armée des Gaules, maître en fait de la plus grande partie de l'Empire, ne devait, selon les idées romaines, rencontrer aucun compétiteur. Le sentiment dynastique, qui depuis le commencement du quatrième siècle avait pris de la force, se trouvait ici d'accord avec la volonté des soldats et le fait accompli. Il y avait soixante-neuf ans que le chef de la famille des Flaviens avait reçu la pourpre des mains de Dioclétien[219], et, depuis ce temps, elle avait passé sans interruption à ses descendants. Julien était le dernier. Il est vrai que Constance laissait enceinte la femme qu'il avait épousée quelques mois auparavant ; mais, dût-elle même donner le jour à un enfant mâle, les Romains n'eussent pas été d'humeur à faire, dans un Empire sans cesse menacé par les Barbares, l'expérience d'une longue minorité, quand ils avaient sous la main un homme de guerre comme Julien ; et, de fait, l'impératrice Faustine accoucha d'une fille, qui devint plus tard la femme de l'empereur Gratien[220]. Aussi Julien recueillit-il sans aucune difficulté le pouvoir suprême. Quelques intrigues s'agitèrent bien autour du lit de mort de Constance : le chambellan favori Eusèbe, qui redoutait la haine de Julien, essaya de susciter d'autres candidatures ; mais les gens avisés ne se prêtèrent à aucune combinaison de ce genre, dont ils apercevaient tout de suite l'inanité. Ils répandirent, au contraire, le bruit vrai ou faux dont nous avons parlé, et dirent partout que Constance avait appelé Julien à lui succéder. Et ils se hâtèrent de séparer leur cause de celle des rares opposants, en envoyant vers Julien les comtes Théolaïphe et Agilide (tous deux d'origine barbare) pour lui annoncer le décès de l'empereur, lui protester que l'Orient tout entier le reconnaissait pour maître, et l'inviter à se rendre sans retard à Constantinople[221]. On raconte que, dans l'entourage de Julien, ces nouvelles rencontrèrent d'abord des incrédules. Peut-être ses amis voyaient-ils dans l'annonce de la mort de Constance un piège pour le faire sortir de Niasse, et l'entraîner au-devant des troupes de son adversaire. Julien, cependant, les rassura : il prit un livre, de divination probablement, et leur montra un passage qui confirmait à ses yeux l'exactitude du fait annoncé. Puis, ajoute Libanius, quand il vit la guerre si promptement et si heureusement finie, et quand il fut sûr que son ennemi n'était plus, la nature reprit ses droits : Julien versa d'abondantes larmes, qui coulèrent jusque sur le livre qu'il tenait à la main ; il s'informa avec intérêt de la maladie de Constance, s'enquit du lieu où était son corps, demanda si on lui avait rendu les honneurs suprêmes[222]. Sentiment sincère, ou même impression purement nerveuse, ce mouvement spontané fait honneur à Julien, et jette une lueur d'humanité sur cette tragique histoire. Julien n'avait plus d'ennemis à redouter. Il est vrai qu'Aquilée, refusant aussi de croire à la mort de Constance, résistait toujours, et les assiégés infligeaient même aux assiégeants de sanglantes défaites[223] ; mais l'exemple de ses défenseurs ne gardait plus aucune chance de devenir contagieux, et l'on pouvait attendre sans inquiétude le moment où ceux-ci consentiraient à être détrompés. Assuré désormais de ne rencontrer devant lui aucun obstacle, Julien sortit triomphalement de l'Illyrie. Son armée suivit, enseignes déployées, le défilé du Pas de Sucques, et parcourut sans arrêt la longue voie romaine qui coupait toute la Thrace en ligne droite[224]. Julien jouissait avec délices d'une sensation de sécurité, qui était pour lui toute nouvelle. Nous vivons, nous sommes sauvés, grâce aux dieux ! écrit-il en route au chambellan Euthère. Offre-leur pour moi des actions de grâces. Tu sacrifieras, non pour un seul, mais pour l'universalité des Grecs. Si tu as le temps de venir jusqu'à Constantinople, j'attacherais un grand prix à ta présence[225]. On remarquera, dans cette lettre, que Julien parle déjà au nom de l'hellénisme, et considère sa victoire non comme une victoire personnelle, mais comme celle d'une cause et d'un parti. Cependant il sentait encore le besoin de l'affermir. Au milieu même de la rapidité de la marche, il se préoccupait de l'opinion publique. Il tenait à se justifier de toute pensée d'usurpation et de toute hostilité préméditée contre Constance. Il s'efforçait de rejeter sur celui-ci la responsabilité d'une entreprise heureusement terminée par la faveur des dieux, mais dans laquelle lui, Julien, tout en prenant l'offensive, n'avait fait en réalité que se défendre. Tel est le thème développé dans une autre lettre, adressée, pendant cette dernière étape, à son oncle Julien, soit que celui-ci n'eût pas déjà pris parti, ce qui est peu vraisemblable, soit que la lettre, chose beaucoup plus probable, fût destinée à être montrée par lui aux gens scrupuleux qui auraient encore hésité à se rallier. La troisième heure de la nuit commence, écrit Julien, et comme je n'ai pas de secrétaire à mes ordres, parce que tous sont occupés, j'ai beaucoup de peine à t'écrire ce peu de mots. Nous vivons, grâce aux dieux, délivrés de la nécessité de souffrir ou de faire des maux irrémédiables. Je prends à témoin le Soleil, celui de tous les dieux que j'ai supplié le premier de me venir en aide, je prends à témoin le roi Jupiter, que je n'ai jamais souhaité la mort de Constance, et que j'aurais plutôt souhaité le contraire. Pourquoi donc suis-je venu ? Parce que les dieux me l'ont formellement ordonné, me promettant le salut si j'obéissais, et, si je demeurais, ce que puissent-ils ne jamais faire ! Et d'ailleurs, déclaré ennemi public, je songeais seulement à effrayer, afin d'amener ensuite les affaires à un meilleur accommodement. Cependant, s'il avait fallu en décider par un combat, confiant mon sort à la Fortune et aux dieux, j'aurais attendu ce qu'il eût plu à leur clémence[226]. Mais Julien vit tout de suite que le sentiment public, toujours favorable au succès, n'avait pas besoin de longues plaidoiries pour être gagné. L'armée était arrivée par Philippopolis et Périnthe jusqu'à Constantinople. Quand il fit son entrée, le 11 décembre, dans cette seconde capitale, entouré des membres du sénat, suivi de ses troupes, escorté de tous les magistrats, la foule, rangée sur son passage, croyait, dit Ammien, assister à un rêve, et le regardait avec des yeux émerveillés, comme un être descendu du ciel[227]. La mort de Constance excita dans l'Empire des sentiments divers. Le mélange de bonnes et de mauvaises qualités était tel dans Constance, qu'il donnait prise aux jugements les plus opposés. Comme il arrive souvent, on lui rendit surtout justice quand il eut disparu de la scène du monde. Vivant, il blessait les uns par un orgueil poussé jusqu'à la puérilité, il irritait les autres par la docilité avec laquelle il se laissait conduire à ses femmes, à ses eunuques, à ses flatteurs, il affligeait les honnêtes gens par la cruauté dont il faisait preuve, sur le plus léger soupçon, envers ceux qu'il soupçonnait d'attenter, même en pensée, à son pouvoir ou de manquer de respect à sa majesté. Les peuples souffraient de l'âpreté avec laquelle ses agents faisaient rentrer les impôts, âpreté qui valait plus de haines à l'empereur que de profit à l'État, à cause des détournements que facilitait une mauvaise administration financière. Mais, tout compte fait, les qualités l'emportaient peut-être chez Constance sur les défauts. Il prenait au sérieux son métier de roi. Dans un Empire où tant de fois les soldats firent et défirent les souverains, il tint toujours l'armée subordonnée au pouvoir civil, tout en mettant le plus grand soin au choix des chefs militaires, et en s'appliquant à n'avancer que les plus expérimentés et les plus dignes. La nomination et l'avancement des magistrats étaient aussi pour lui l'objet d'une attention portée souvent jusqu'au scrupule[228]. Il semblait n'avoir jamais de balance assez délicate pour peser les mérites des gens appelés aux grandes charges[229]. Personne, sous son règne, n'y arriva tout d'un coup ; mais il tenait un grand compte de la durée des services. Un des traits qui le distinguent le plus de son successeur, c'est le dédain qu'il montra toujours pour la popularité : et Ammien Marcellin, pourtant si sévère pour Constance, ne peut s'empêcher de reconnaître dans ce dédain la marque d'une grande âme[230]. Enfin, pour l'homme qui avait tout pouvoir sur les personnes et sur les choses ce n'est pas un petit mérite d'avoir évité quelques-uns des écueils les plus fréquents de la toute-puissance, en demeurant toujours maître de ses passions, d'une chasteté que nul soupçon n'effleura jamais, ennemi du luxe, sobre, dur polir son corps, et d'avoir arraché cet éloge non seulement à des historiens d'une impartialité relative, comme Ammien et Aurelius Victor, mais encore à un ennemi déclaré comme Julien. La tache dont il est le plus difficile de laver Constance, c'est son ingérence funeste dans les affaires ecclésiastiques. Qu'il se soit laissé prendre aux subtilités des ariens, cela n'étonnera pas d'un prince d'intelligence moyenne, qui n'avait pas reçu sans doute une très forte éducation théologique. Mais qu'il ait mis la toute-puissance impériale au service de l'arianisme, et persécuté, pour complaire à ses flatteurs ecclésiastiques, les plus hauts et les plus purs représentants de la doctrine et de la sainteté chrétiennes, c'est ce dont on ne saurait défendre sa mémoire. Quelques orthodoxes, comme Grégoire de Nazianze, l'ont jugé, à ce point de vue, avec une indulgence que l'on pourrait trouver excessive[231], bien qu'ils l'aient mêlée de quelques réserves[232] ; il est visible qu'ils savaient gré à Constance d'une certaine droiture d'intentions, et peut-être aussi qu'ils lui étaient reconnaissants des lois, plus théoriques apparemment que pratiques, rendues par lui contre le paganisme. Mais d'autres, plus fermes, ont prononcé sur le protecteur avoué de l'arianisme de dures sentences. Saint Hilaire de Poitiers, malgré son amour de la conciliation, a marqué Constance comme d'un fer rouge. Au lendemain de sa mort, le vétéran des luttes pour la divinité du Verbe, saint Athanase, déclare que Constance est demeuré dans l'impiété des ariens jusqu'à la fin[233]. Quelques années plus tard, saint Jérôme écrit dans son rude langage : Le Seigneur se réveille ; il commande à la tempête qui semblait prête à abîmer l'Église ; la bête meurt, et la tranquillité revient[234]. Il est curieux de rapprocher de ces jugements celui d'un païen, qui regarde du dehors, et est plus sensible aux ridicules ou aux inconvénients extérieurs qu'aux ravages faits dans les âmes ; il nous montre comment toute une fraction de l'opinion publique, aussi éloignée des passions ariennes que du juste ressentiment des catholiques, appréciait le rôle religieux de Constance. Celui-ci gâtait, dit Ammien Marcellin, par une superstition de vieille femme la droiture et la simplicité de la religion chrétienne. Plus inquiet d'y raffiner que sérieusement appliqué à la conserver dans la paix, il excita de nombreuses discordes, dont il nourrit ensuite les progrès par des disputes de mots : au point d'énerver la poste impériale par la continuelle réquisition de chevaux et de voitures pour les évêques, obligés de courir sans cesse de synode en synode, comme ils appellent leurs assemblées, parce qu'il voulait tout ramener à son opinion[235]. Les obsèques de Constance furent très solennelles. Le corps du prince défunt fut conduit à Constantinople, avec une pompe royale, à laquelle présidait Jovien, qui avait alors le grade de protecteur, et qui deviendra empereur après Julien. Partout, sur le passage du cercueil à travers la Cappadoce et la Bithynie, on rendait à l'empereur mort les mêmes honneurs que s'il avait été vivant. On lui offrait l'essai de blé déposé dans les magasins pour la subsistance des troupes : on lui présentait les animaux entretenus pour le service des postes et des voitures publiques[236]. L'imagination des foules, émue de la mort rapide de Constance, et frappée de la grandeur du spectacle, créa tout de suite de gracieuses légendes : en dépit de ses sentiments ariens, Constance devint l'objet d'une sorte de canonisation populaire : on raconta qu'à l'heure où le cortège funèbre et triomphal franchissait la cime du Taurus, des voix furent entendues. dans les airs, comme une psalmodie angélique[237]. Dès qu'après avoir traversé le Bosphore, le cercueil eut été débarqué à Constantinople, toutes les troupes prirent les armes. Julien, revêtu de la pourpre, mais sans diadème, suivit à pied le cortège jusqu'à l'église des Saints-Apôtres. On y célébra, à la lueur des torches, un office solennel, qui dura toute la nuit. Puis le corps de Constance fut placé dans le mausolée impérial, que lui-même avait construit pour son père, et où avait été, l'année précédente, déposée l'impératrice Eusébie[238]. Le sénat lui décerna les honneurs de l'apothéose : il fut compté parmi les divi[239]. Julien ne songea point à s'offenser de cet hommage posthume. Malgré sa dévotion pour toute idolâtrie, il prenait peu au sérieux les apothéoses impériales, et prétendait qu'elles fabriquaient des dieux comme les faiseurs de jouets fabriquent des poupées[240]. |
[1] Ammien Marcellin, XX, 4, 5.
[2] In Campo. Ammien Marcellin, XXI, 5.
[3] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[4] Actuarii. Ammien Marcellin, XX, 5.
[5] De tous ceux-ci, Vétranion seul obtint sa grâce.
[6] Ammien Marcellin, XX, 8.
[7] Ammien Marcellin, XX, 8.
[8] Ammien Marcellin a fait deux fois son portrait XX, 1, et 9.
[9] Ammien Marcellin, XX, 9.
[10] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 11, Hertlein, p. 361.
[11] Ammien Marcellin, XX, 3.
[12] Ammien Marcellin, XX, 3.
[13] Ammien Marcellin, XX, 3. Il ne faut probablement pas entendre le mot sensus comme si Ammien avait reconstitué de mémoire ou d'imagination le message de Julien. Il est beaucoup plus vraisemblable qu'il en donne une reproduction textuelle.
[14] On remarquera que Julien offre ici de renvoyer à Constance les mêmes auxiliaires barbares qui étaient partis d'abord avec Sintula, puis revenus à Paris.
[15] Aurelius Victor résume ainsi ces propositions de Julien : Julianus mandatis mollioribus refert se sub nomine celsi imperil multo officiosius pariturum. Épitomé, 42.
[16] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 367.
[17] Ammien Marcellin, XX, 9.
[18] Ammien Marcellin, XX, 9.
[19] Ammien Marcellin, XX, 9.
[20] Ammien Marcellin, XX, 9.
[21] Théodoret, Hist. ecclés., II, 26 ; Socrate, Hist. ecclés., II, 39-40.
[22] Zonaras, Ann., XIII, 10. Zonaras semble dépendre ici d'un écrit perdu d'Oribase ; voir l'Appendice sur les Sources de l'histoire de Julien. — Dans un sentiment à peu près semblable, saint Grégoire de Nazianze reproche à Julien de tenir le diadème d'Auguste d'un brigandage de la fortune, tandis que les princes légitimes l'ont gagné par leur vertu, ou possédé héréditairement, ou reçu du choix de leur prédécesseur, ou, comme autrefois, en ont été investis par une décision du sénat, Oratio IV, 46. Cette énumération des conditions qui font le pouvoir légitime, et particulièrement cet hommage historique aux anciens droits électoraux du sénat romain, sont curieux sous la plume d'un écrivain grec du quatrième siècle.
[23] Ammien Marcellin, XX, 9.
[24] Ammien Marcellin, XX, 9.
[25] Ammien Marcellin, XX, 9.
[26] Zonaras, XIII, 10.
[27] Ammien Marcellin, XX, 9.
[28] Ammien Marcellin, XX, 9.
[29] Ammien Marcellin, XX, 9.
[30] Ammien Marcellin, XX, 8.
[31] Ammien Marcellin, XX, 8.
[32] Les Mémoires d'Oribase. Pour cette raison, l'assertion de Zonaras, qui place à la suite de l'ambassade de Léonas l'envoi de la lettre injurieuse, parait préférable à celle d'Ammien, qui dit que cette lettre fut envoyée en même temps que la première missive annonçant l'élévation de Julien au rang d'Auguste. Mais le témoignage d'un contemporain tel qui Ammien rend impossible d'admettre l'hypothèse de Koch (Kaiser Julian der Abtrünnige, Leipzig, 1899, p. 466), d'après laquelle la lettre injurieuse de 360 serait une invention des ennemis de Julien, suggérée par ses épîtres de 361 au sénat de Rome et aux Athéniens.
[33] Zonaras, XIII, 10.
[34] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 367.
[35] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 361.
[36] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 361.
[37] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 367.
[38] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 368. Voir Koch, Kaiser Julian der Abtrünnige, p. 467, note 23.
[39] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 368. La correction de Patin est approuvée par Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 454. Sur l'évêque arien Épictète, voir saint Athanase, Ad solit.
[40] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 363.
[41] C'est ce qu'indiquent ces mots de Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 363.
[42] Je pense qu'Épictète ne fut reçu par Julien qu'après l'expédition contre les Attuaires, c'est-à-dire dans les derniers mois de 360. Mais je ne vois pas de motifs suffisants pour reculer cette mission, comme le fait Koch (Kaiser Julian der Abtrünnige, p. 467), jusqu'en 361 : le moment des négociations était alors passé.
[43] Tricesimæ.
[44] Ammien Marcellin, XX, 10.
[45] Ammien Marcellin, XX, 10.
[46] Voir la description de ces præsidia du limes de la Germanie, dans Mommsen, Römische Geschichte, t. V, p. 140-141.
[47] Rauracos.
[48] Julien, Ép. 38, Hertlein, p. 535.
[49] Ammien Marcellin, XX, 10 ; Julien, Ép. 38.
[50] Julien, Ép. 38, Hertlein, p. 535.
[51] Outre l'épître 71 (Hertlein, p. 593), envoyée de Gaule à Priscus, l'épître 44 (ibid., p. 548), indiquée comme adressée à Libanius, a été probablement écrite à Priscus, peut-être aussi pendant le séjour de Julien en Gaule.
[52] Julien, Ép. 38, Hertlein, p. 535.
[53] Julien, Oratio VI, contre les chiens ignorants, Hertlein, p. 243-244.
[54] Voir Oratio VI, contre les chiens ignorants, et Oratio VII, contre le cynique Héraclius.
[55] Oratio VII, Hertlein, p. 289.
[56] Julien, Ép. 38, Hertlein, p. 535
[57] Ammien Marcellin, XX, 1 ; saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 46.
[58] Ammien Marcellin, XX, 1.
[59] Ammien Marcellin, XX, 1.
[60] Ammien Marcellin, XX, 1. Cf. Julien, Ép. 13, Hertlein, p. 493.
[61] Voici ce singulier quatrain, tel qu'Ammien Marcellin le rapporte : Lorsque Jupiter sera près de sortir du Verseau, et que Saturne sera monté an vingt-cinquième degré de la constellation de la Vierge, Constance, empereur d'Asie, verra terminer ses jours par une mort triste et douloureuse.
[62] Ammien Marcellin, XXI, 2.
[63] Voir Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, t. VII, p. 444.458.
[64] Zonaras, Ann., XIII.
[65] Ammien Marcellin, XXI, 2.
[66] Ammien Marcellin, XXI, 2.
[67] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 366.
[68] Ammien Marcellin, XXI, 1.
[69] Zonaras, XIII.
[70] Libanius, Ad Polycletem,
Reiske, t. II, p. 316-327.
[71] Libanius parait avoir écrit son discours contre Polyclète en 365, deux ans après la mort de Julien : voir Sievers, Das Leben des Libanius, p. 133, 203.
[72] Julien, Ép. 1* ; Revista di filologia, 1889, p. 293.
[73] Voir une note de Largajolli, ibid., p. 296, note 4.
[74] Sievers (Das Lebel des Libanius, p. 223) se trompe en disant que Julien fit porter à Constantinople, le 6 novembre 360, le corps de sa femme Hélène. Le 6 novembre est la date de la célébration des quinquennalia de Julien ; et le corps d'Hélène fut porté, non à Constantinople, mais à Rome, sur la voie Nomentane, comme le dit Ammien (XXI, 1).
[75] Ammien Marcellin, XXI, 1. — Sur le mausolée, connu sous le nom d'église de Santa Costanza, voir Armellini, le Chiese di Roma, p. 672, et Il cimitero di S. Agnese, p. 362. La notice du pape Silvestre, au Liber pontificalis (éd. Duchesne, t. I, p. 180), parlait d'un baptistère construit en ce lieu. M. Duchesne avait émis la conjecture (ibid., p. 197, note 181) que ce baptistère était identique au mausolée constantinien. Cette conjecture est devenue une certitude depuis les fouilles de 1888, qui ont fait découvrir la vasque baptismale (Bull. della comm. arch. com., 1888, p. 233). D'après le Liber pontificalis, Constantina y fut baptisée par le pape Silvestre, ainsi que Constantia, sœur de Constantin et femme de Licinius. Une inscription en vers, existant autrefois dans l'abside de la basilique de Sainte-Agnès (De Rossi, Inscr. christ., t. II, p. 44), attribue la fondation de cette basilique à Constantin. — Cette sépulture dans une église indique qu'Hélène était demeurée chrétienne.
[76] Ammien Marcellin, XX, 11 ; saint
Athanase, Ad solit.
[77] Ammien Marcellin, XX, 11. — Sur la date de la retraite de Constance à Antioche, voir Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 447 et 689.
[78] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[79] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[80] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[81] Julien, Misopogon, Hertlein, p. 465.
[82] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 369.
[83] Misopogon, Hertlein, p. 465.
[84] Libanius, Ad Julianum consulem.
[85] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[86] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[87] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[88] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[89] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 368.
[90] Ammien Marcellin, XXI, 7.
[91] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 368. On s'accorde généralement à traduire Βριγαντία par Bregentz : quelques-uns cependant y voient Briançon, en Dauphiné : cf. Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 460. Talbot a traduit ici Briançon.
[92] Cf. Koch, Kaiser Julian der Abtrünnige, p. 469. Le même auteur fait observer que le nombre de a médimnes e indiqué par Julien est soit altéré dans le texte, soit fortement exagéré. La même remarque avait déjà été faite, sur cet endroit, par le traducteur français Talbot.
[93] On répandit le bruit que Vadomaire avait agi ainsi en vertu d'instructions de Constance, qui lui avait écrit d'envahir les provinces voisines, afin que Julien, retenu par cette diversion, n'osât sortir des Gaules (Ammien Marcellin, XXI, 3). Rapportant ce bruit, Ammien ajoute que nulle preuve positive ne le corroborait. Probablement celui-ci provint d'une affirmation qui se trouve dans la lettre de Julien aux Athéniens. Julien accuse Constance non seulement d'avoir, comme nous l'avons raconté, et comme il est vraisemblable, fait surveiller par des auxiliaires ou par des alliés barbares les passages des Alpes, mais encore d'avoir payé des Barbares pour ravager le territoire des Gaules. Julien assure avoir saisi les lettres de Constance à ces Barbares (Hertlein, p.368). Libanius (Epitaphios Juliani, Reiske, t. I, p. 558) reproduit la même assertion. L'histoire impartiale hésite à l'admettre. Ce pouvoit bien estre une fiction et un mensonge de Julien, écrit Tillemont (Histoire des Empereurs, t. IV, p. 460). Il est probable, en effet, que si Julien avait saisi de telles lettres, il en eût reproduit le texte dans quelqu'un de ses écrits, et les historiens postérieurs l'auraient connu. Ammien, cependant, l'ignore, et se réfère seulement au bruit public. Les historiens modernes Becker (Kreusnacher Programm, 1886, p. 28-29) et Koch (Kaiser Julien der Abtrünnige, p. 470-472) ont, comme Tillemont, mis en doute l'assertion de Julien : Koch la traite même de faux témoignage, et déclare qu'elle rend suspecte la véracité de ses récits.
[94] Ammien Marcellin, XXI, 4. C'est peut-être cette lettre insignifiante qui fit inventer à Julien une correspondance compromettante entre Constance et Vadomaire.
[95] Ammien Marcellin, XXI, 5 ; Jean d'Antioche, fragm. 177 (dans Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 605).
[96] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[97] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[98] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 368-369.
[99] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 369.
[100] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[101] Voir F. Cumont, le Taurobole et le culte de Bellone, dans Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1901, p. 97 et suiv.
[102] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 369.
[103] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[104] Il semble que la version donnée par Ammien de ce discours ait été écrite après coup. Elle ne ressemble pas au court résumé que Julien a fait de ses paroles dans la lettre aux Athéniens (Hertlein, p. 389) ; mais surtout on trouve dans le dernier paragraphe du texte d'Ammien le programme de l'expédition future dessiné avec trop de précision pour n'avoir pas été rédigé après son accomplissement.
[105] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[106] Ammien Marcellin, XXI, 6.
[107] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[108] Ammien Marcellin, XXI, 13.
[109] Ammien Marcellin, XXI, 13.
[110] Code Théodosien, II, XX, 1 ; Code Justinien, III, XXIX, 9.
[111] Code Théodosien, VIII, IV, 7 ; Code Justinien, I, III, 4.
[112] Ammien Marcellin, XXI, 8.
[113] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[114] Zosime, III, 10.
[115] Ammien Marcellin, XXI, 8.
[116] Ammien Marcellin, XXI, 8.
[117] Zosime, III, 10.
[118] Ammien Marcellin, XXI, 8.
[119] Ammien Marcellin, XXII, 2.
[120] Si partial que soit saint Grégoire de Nazianze, son opinion ici mérite d'être soulignée. Oratio IV, 48.
[121] Ammien Marcellin, XXI, 5.
[122] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[123] Cf. Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 388.
[124] Cf. Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 388.
[125] Cf. Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 388.
[126] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[127] Mamertin, Gratiarum actio pro consulatu (dans Panegyrici veteres, éd. 1604, p. 164).
[128] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[129] Mamertin, Gratiarum actio pro consulatu (dans Panegyrici veteres, éd. 1604, p. 164).
[130] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[131] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[132] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[133] Mamertin, Gratiarum actio, p. 165.
[134] Mamertin, Gratiarum actio,
p. 165.
[135] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 47.
[136] Ammien Marcellin, XXI, 9. La pleine lune ayant été le 29 septembre, Schwarz (De vita et scriptis Juliani imperatoris, p. 8) place le débarquement au 10 octobre.
[137] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[138] Julien, Oratio I, Hertlein, p. 33.
[139] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[140] Ammien Marcellin, XXI, 9.
[141] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[142] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[143] Ammien est ici très peu net. Quand on le lit avec attention, on voit clairement que la prise de la flottille, la navigation sur le Danube, l'enlèvement de Lucilianus, l'entrée dans Sirmium, sont des actes accomplis seulement par Julien et ses trois mille hommes. Mais Ammien le montre ensuite quittant Sirmium et allant occuper le Pas de Sacques, qu'il confie à la garde de Nevitta. Celui-ci a donc rejoint, soit à Sirmium même, soit pendant le trajet de Sirmium à Sucques.
[144] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[145] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[146] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[147] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[148] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[149] Ammien Marcellin, XXI, 7.
[150] Duruy, Histoire des Romains, t. VII, p. 292.
[151] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[152] Ammien Marcellin, XXI, 7.
[153] Ammien Marcellin, XXI, 7.
[154] Ammien Marcellin, XXI, 7.
[155] Ammien Marcellin, XXI, 13.
[156] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. II, p. 217.
[157] Prudence, Contra Symmachum, II, 35.
[158] Ammien Marcellin, XXI, 13.
[159] Ammien Marcellin, XXI, 13.
[160] Cum Lanceariis, Ammien Marcellin, XXI, 13. Zosime, III, cite aussi ces deux corps. Ils sont nommés tous deux dans la Notitia Dignitatum. La mattium ou mattiobarbulum était une sorte de trait ou de flèche ; les Mattiarii paraissent avoir été un corps d'archers : voir Végèce, I, 17. Les Lanciarii appartenaient à la milice palatine. Ils y formaient une schola, ou corps spécial, divisé en numeri, compagnies, et composé de fantassins et de cavaliers ; voir Corpus inscr. lat., t. III, 6194 ; t. VI, 2759, 2789 ; t. XI, 830 ; t. XII, 673 ; Corp. inscr. grec., 4004 ; Ephem. epigr., t. IV, 911 ; t. V, p. 124 ; l'inscription d'un eques ex numero lanceariorum, dans Bull. della comm. arch. com. di Roma, 1889, p. 88.
[161] Ammien Marcellin, XXI, 13. Il est probablement fait allusion ici aux intrigues dirigées par Arbetio, en 355, contre le malheureux Silvain ; voir Ammien Marcellin, XIV, 11 ; XV, 2. Ad insidiandum acer et flagrans, dit Ammien, XIV, 11.
[162] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[163] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[164] Mamertin, toujours porté à l'exagération, dit que Julien passa l'hiver sur les sommets nus et neigeux de la Thrace. La vérité est que Julien hiverna dans la ville bien abritée de Naïsse.
[165] Ammien Marcellin, XXI, 11.
[166] Ammien Marcellin, XXV, 4.
[167] Ammien Marcellin, XXI, 11.
[168] Ammien Marcellin, XXI, 11.
[169] Ammien Marcellin, XXI, 11.
[170] Ammien Marcellin, XXI, 11.
[171] Ammien Marcellin, XXI, 11, 12. Saint Grégoire de Nazianze montre aussi Julien, à ce moment, presque enfermé entre l'armée de Constance, qui marchait vers lui, et les légions d'Aquilée qui lui fermaient le retour. Oratio IV, 48. Seul Libanius affirme qu'à aucun moment la victoire de Julien ne fut douteuse (Ad Julianum consulem, Reiske, t. I, p. 45).
[172] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[173] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[174] Mamertin, Gratiarum actio, p. 186. Mamertin semble dire que Julien conféra ces bienfaits pendant qu'il naviguait sur le Danube, Istrum adhoc navigans. Cela est invraisemblable, quand on se rappelle ce que disent Ammien Marcellin et Grégoire de Nazianze de la rapidité et presque de la clandestinité de cette navigation.
[175] Le De Cæsaribus parait avoir été écrit en 360 ou 361 ; voir Sievers, Das Leben des Libanius, p. 85, note 2.
[176] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[177] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[178] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[179] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[180] Ammien Marcellin, XXI, 10.
[181] Julien, Ép. 38, Hertlein, p. 536.
[182] Julien, Ép. 38, Hertlein, p. 536.
[183] Ammien Marcellin, XXII, 1.
[184] Ammien Marcellin, XXII, 1.
[185] Ammien Marcellin, XXII, 1.
[186] Ammien Marcellin, XXII, 1. — Sur l'inspection des exta, foie, fiel, poumons, membrane intestinale, etc., voir Marquardt, Römische Staatsvertvallung, trad. française, XII, le culte, t. I, p. 21-22.
[187] Tandem. Ammien Marcellin, XXII, 1.
[188] Ammien Marcellin, XXII, 1.
[189] Ammien Marcellin, XXII, 1. D'après Ammien, cette chute opportune aurait eu lieu le jour noème de la mort de Constance. — Saint Grégoire de Nazianze (Oratio IV, 47) se fait l'écho d'un bruit, d'après lequel Julien aurait fait donner à Constance un poison qui devait produire son effet vers cette époque, si bien qu'il put prédire d'avance la mort de son adversaire, non par prescience, mais par science. Cette hypothèse, que rien ne prouve, est peu compatible avec le récit d'Ammien.
[190] Mamertin, Gratiarum actio,
p. 166, 167 ; Zosime, III, 10.
[191] Mamertin, Gratiarum actio, p. 166, 167.
[192] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[193] Mamertin, Gratiarum actio, p. 166, 167.
[194] Unis aut binis epistolis. Mamertin, Grat. actio., p. 166, 167. — Libanius (Ad Julianum consulem, Reiske, t. I, p. 389) dit qu'il écrivit à tous les Grecs, envoyant des lettres dans toutes leurs cités, grandes et petites. Il y a dans ces mots une exagération manifeste. Koch dit avec raison : Libanius more suo rem verbis auxisse videtur, De Juliano imperatore scriptorum, qui res in Galliaab eo gestas enarrarunt, auctore disputatio, Arnheim, 1890, p. 15.
[195] Zosime, III, 10.
[196] Épître au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 346-370.
[197] Quelques mots de l'épître aux Lacédémoniens ou de celle aux Corinthiens paraissent avoir été cités par Zosime, III, 3 ; un court fragment de celle aux Corinthiens est cité par Libanius, Pro Aristophane, Reiske, t. I, p. 434.
[198] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 354.
[199] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, Hertlein, p. 369. On remarquera que ce résumé d'un discours de Julien à son armée ne concorde pas avec le texte des deux discours prononcés à Paris et à Bâle, tels que les donne Ammien Marcellin (XX, 5 ; XXI, 5). L'allusion à la nation gauloise deux fois livrée aux ennemis a trait à l'imputation discutée plus haut, et à une accusation analogue portée contre Constance par Julien et ses amis à propos des guerres de 357 (voir Ammien Marcellin, XVI, 12 ; Libanius, Epitaphios Juliani, Reiske, t. I, p. 559 ; Socrate, III, 1 ; Sozomène, V, 1 ; ces deux derniers dépendant ici de Libanius). Sur l'accusation relative aux faits de 357, voir Hecker, Zur Geschichte der Kaiser Julianus, dans Kreusnacher Programm, 1886, p. 29, et Koch, Der Kaiser Julian der Aberünfige, p. 376-377.
[200] Libanius, Ép. 923.
[201] Corpus Inscr. lat., t. VI, 1698.
[202] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[203] Voir mon livre sur les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 97.
[204] Ammien Marcellin, XIX, 40.
[205] Ammien Marcellin, XXI, 7.
[206] On se souvient que Julien était né à Constantinople.
[207] Quum Romani populi victus et exercitus commeatus esset in navibus, in medio expediendæ annonæ trepidatione nuntius venit plurimas naves Africano tritico graves littus Achaicum prætervectas, Constantinopolim pervolasse : permoti omnes, et advenus eos qui oram maritimam tuebantur irati, venimus ad principem, desidia judicum tantum periisse frumenti certatim pro se quisque conquerimur. At maximus imperator serenum renidens, nihil esse peccatum, non sibi periisse quæ ad hanc urbem frumenta venissent. Nos vocem illam noti amoris in patriam putavimus, quum proditorem futuri ambago celaret. Mamertin, Grat. actio, p. 170.
[208] Mamertin, Grat. actio, p. 170.
[209] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[210] Ammien Marcellin, XXI, 12.
[211] Constance était né en 317. Voir Corpus inscr. lat., t. I, p. 389 ; la Chronologie du Code Théodosien, p. XIII ; Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 171 et 638. Ammien Marcellin (XXI, 15) se trompe en lui donnant seulement quarante ana et quelques mois, anno quadragesimo et mensibus paucis. Aurelius Victor (Épitomé, 42) dit plus exactement : Anno ævi quarto et quadragesimo.
[212] Ammien Marcellin, XXI, 15.
[213] Philostorge, VI, 6 ; Chronique d'Alexandrie. — Socrate (II, 47) dit qu'il avait été baptisé par Euzoius avant de quitter Antioche : le témoignage de Philostorge, toujours bien renseigné de ce qui regarde les ariens, doit être préféré.
[214] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XXI, 36.
[215] Ammien Marcellin, XXI, 15.
[216] III non. novembr., dit la Chronique d'Idace, d'accord avec Socrate (Hist. ecclés., II, 47), la Chronique d'Alexandrie, Cedrenus, Théophane. Ammien Marcellin dit : III non. octobr., 5 octobre ; mais ou il y a là une faute de copiste, ou Ammien a commis une erreur, comme il lui arrive quelquefois en matière chronologique (voir XIV, 5). Pour la date de la mort de Constance, voir la note de Valois sur Ammien, XXI, 15 (éd. 1681, p. 288) ; Schwarz, De vita et scriptis Juliani imperatoris, p. 27 ; Koch, Kaiser Julian der Abtrünfige, p. 482.
[217] Constance avait été créé César le 8 novembre 323 ou 324 ; voir Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 645.
[218] Seul Auguste depuis l'assassinat de son frère Constant par Magnence en 350.
[219] Constance Chlore avait été fait César le 1er mars 292 ou 293.
[220] Ammien Marcellin, XXI, 15.
[221] Ammien Marcellin, XXI, 15. — Zosime, III, 11, ne nomme pas les deux comtes, mais dit que vint vers Julien, à Naïsse, une grande troupe de cavalerie, pour lui annoncer la mort de Constance et lui porter l'adhésion de l'armée d'Orient. Le récit d'Ammien semble préférable, bien que l'un et l'autre se puissent concilier, les cavaliers dont parle Zosime étant peut-être l'escorte de Théolaïphe et d'Agilide.
[222] Libanius, Epitaphios Juliani,
Reiske, t. I, p. 561.
[223] Ammien Marcellin, XXI, 12. — Saint Grégoire de Nazianze rappelle aussi combien Julien, même devenu seul empereur, eut de mal à s'emparer de cette place. Oratio IV, 45.
[224] Ammien Marcellin, XXII, 2.
[225] Julien, Ép. 69, Hertlein, p. 592. — Talbot se trompe évidemment en croyant cette lettre écrite après une maladie et une guérison de Julien ; Schwarz (De vita et scriptis, p. 39) parait beaucoup plus exact en la datant du commencement de décembre 361.
[226] Julien, Ép. 13 ; Hertlein, p. 493.
[227] Ammien Marcellin, XXII, 2.
[228] Ammien Marcellin, XXI, 16.
[229] Ammien Marcellin, XXI, 16.
[230] Ammien Marcellin, XXI, 16.
[231] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 3, 21, 31 ; Oratio V, 16, 17.
[232] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XXI, 28.
[233] Saint Athanase, De synod.
[234] Saint Jérôme, In Lucif., 7.
[235] Ammien Marcellin, XXI, 16.
[236] Ammien Marcellin, XXI, 16.
[237] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 16.
[238] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 17 ; Libanius, Epitaphios Juliani ; Mamertin, Grat. actio ; Philostorge, VI, 6 ; Zonaras, XIII ; Cedrenus, éd. Bonn, p. 529.
[239] Eutrope, Brev., X, 15 ; Symmaque, Relat., III (éd. Seeck, p. 281) ; Orelli, Inscr., 1104 ; Eckhel, Doctr. numm. vet., t. VIII, p. 463.
[240] Julien, Cæsares, Hertlein, p. 427.