JULIEN L'APOSTAT

TOME PREMIER. — LA SOCIÉTÉ AU IVe SIÈCLE. - LA JEUNESSE DE JULIEN - JULIEN CÉSAR.

LIVRE IV. — JULIEN CÉSAR.

CHAPITRE PREMIER. — LES DÉBUTS DU RÈGNE.

 

 

I. — L'élection de Julien.

Julien reçut, au mois de septembre 355, l'ordre de quitter Athènes et de rentrer à Milan.

L'année précédente avait été marquée par la mort de son frère Gallus. Celle-ci ne parait guère moins fertile en événements tragiques. Peut-être même donne-t-elle encore mieux l'idée de ce que fut, dans son ensemble, le règne de Constance. Intrigues de cour, usurpations de généraux, invasions de Barbares, soulèvements populaires, persécution arienne, tout ce qui imprime à cette époque agitée son caractère se rencontre dans les mois qui précédèrent ou suivirent immédiatement le rappel de Julien. Il en faut tracer le tableau rapide, pour montrer ce qu'était l'Empire romain au moment où l'élève de Mardonius et de Maxime fut jeté brusquement dans la vie publique.

La facilité avec laquelle Constance s'était défait de Gallus, un an après avoir abattu Magnence, avait exalté son orgueil. Sans crainte du ridicule, il se donnait à lui-même les titres dont le nommaient ses courtisans ; on l'entendait parler sérieusement de son éternité ; de sa propre main, il écrivait à la suite de son nom des appellations comme celle-ci : le maître de toute la terre, dominus totius orbis[1]. Mais à un dieu nouveau il faut des victimes : les délateurs qui, après avoir déshonoré les règnes de Tibère, de Néron et de Domitien, puis avoir été réprimés sous les Antonins, reprenaient sous Constance un emploi presque officiel, se tenaient toujours prêts à lui en offrir. Ammien Marcellin, qui est ici un témoin, parle à plusieurs reprises d'un secrétaire de l'empereur, dont le rôle à la cour de Milan rappelle celui que jouèrent jadis au Palatin un Regulus, un Bébius Massa, un Métius Carus. Ce secrétaire, Paul, était surnommé la Chaîne, à cause de l'habileté perverse avec laquelle il enveloppait dans la trame de subtiles menées les gens qu'il voulait perdre[2]. Après la mort de Gallus, des représailles, justes parfois, mais souvent aussi d'une criante iniquité, furent exercées contre ses principaux serviteurs, accusés d'avoir été les agents ou les complices de sa tyrannie. Même les hommes les plus étrangers à Gallus se virent sacrifiés pour des causes futiles. On revenait à ces temps mauvais où il était dangereux de confier à l'oreille d'un ami un présage, un songe, et où l'on pouvait, en dormant, se rendre coupable de lèse-majesté[3]. Pour des propos imprudents tenus à la fin d'un repas par des convives un peu échauffés, Africanus, gouverneur de la Seconde Pannonie, et les amis qui s'étaient assis à sa table furent amenés à la cour chargés de fers : l'un d'eux, officier supérieur, trompa la surveillance de ses gardiens et se tua en route[4].

Pendant que l'orgueil, la haine, l'intérêt, menaient ainsi leur train à Milan, le peuple de Rome s'agitait. Les membres de l'aristocratie qui se succédaient dans la haute et lourde charge de la préfecture urbaine se trouvaient souvent en face de situations difficiles, exigeant d'eux tout à la fois de l'adresse et de l'énergie. Il était ordinaire qu'ils s'en tirassent, grâce à la forte éducation reçue au sein de familles où l'exercice des fonctions publiques était devenu héréditaire, et où, dès l'enfance, on s'y sentait destiné. Deux passions, à cette époque, dominaient la populace romaine, l'une aussi vile que l'autre était noble elle aimait jusqu'à la folie les jeux du cirque ; chrétienne en majorité, elle portait un vif attachement au successeur de saint Pierre et à l'orthodoxie dont il était le représentant. Leontius, préfet de Rome dans la seconde moitié de 355, eut l'occasion de heurter tour à tour ces deux sentiments. C'était un païen ; mais on reconnaissait en lui un excellent magistrat, renommé pour la promptitude et l'équité de ses jugements, et qui, d'une bienveillance naturelle, savait se montrer sévère quand les droits de l'autorité étaient en cause. Il fit, un jour, arrêter pour quelque délit un cocher du cirque, appelé Philorome, qui était le favori du peuple. La foule ameutée se rua contre la demeure du préfet, exigeant avec menaces la liberté du captif. Leontius, sans hésiter, fit saisir les principaux meneurs, et, après les avoir mis :à la torture, les exila. Quelques jours après, nouvelle émeute : cette fois, c'étaient la rareté et la cherté du vin qui la causaient. La populace s'était réunie aux environs du Septizonium de Sévère. On la savait très excitée contre le préfet. Tout l'entourage de celui-ci le supplia de ne pas paraitre. Dédaigneux de ces avis, Leontius monta en voiture et parcourut la foule, qui n'osa se livrer à aucune violence, mais le salua au passage d'injurieuses clameurs. Apercevant parmi ses insulteurs un séditieux notoire, il l'interpella, et comme celui-ci — une sorte de colosse aux cheveux roux, à la taille gigantesque, — répondait encore par des injures, il le fit arrêter et fouetter sous les yeux de la foule. Cet acte d'énergie dompta la populace, qui se dispersa en silence[5].

Leontius se mêla moins heureusement aux querelles religieuses. Le pape Libère était très aimé à Rome. On le savait fermement attaché aux définitions du concile de Nicée, et on le voyait avec une vive sympathie se compromettre chaque jour davantage pour la défense d'Athanase, contre qui se concentraient toutes les haines de Constance et des ariens. La partie chrétienne du sénat était en rapports intimes et fréquents avec Libère[6] et ne lui portait pas moins de dévouement que le peuple. Tous lui savaient gré des lettres publiquement envoyées par lui pour féliciter les évêques courageux, malheureusement en trop petit nombre, qui avaient refusé de pactiser avec les ariens au concile de Milan et avaient été par Constance punis de l'exil[7]. Le dédain avec lequel il venait de refuser audience à l'eunuque Eusèbe, porteur de présents de l'empereur, et le blâme dont il avait frappé le gardien de la basilique de Saint-Pierre, qui avait eu la faiblesse de les accepter, accroissaient encore sa popularité[8]. Vainement Constance, faisant appel à la juridiction universelle de l'évêque de Rome, lui demandait-il de déposer Athanase[9] ; vainement faisait-il répandre contre ce grand défenseur de la divinité du Christ d'absurdes rumeurs, dont Ammien Marcellin s'est fait l'écho, l'accusant tantôt de rébellion, tantôt de sortilège[10] : à toutes les prières comme à tous les ordres, Libère répondait : Il ne me convient pas de commettre une injustice et de condamner un homme sans l'entendre[11]. Constance résolut de s'emparer de sa personne. Il donna dans ce sens des ordres au préfet. On commença par bloquer le pape dans sa demeure du Latran, en interdisant l'entrée de Rome aux députations de catholiques qui, de divers côtés, venaient lui apporter le tribut de leurs encouragements ou de leur admiration[12]. Puis Leontius le fit arrêter et conduire à Milan ; mais il dut commettre cette mauvaise action de nuit, et avec toutes sortes de précautions, car on craignait le peuple, qui avait un amour ardent pour Libère[13].

La passion théologique n'empêchait pas, cependant, Constance de veiller aux intérêts de l'Empire. Il savait, au besoin, payer de sa personne. On le voit, au milieu de 355, combattre en Germanie, sur les bords du lac qui, de cet exploit, prit son nom, une incursion d'Alemans. Après un premier échec, qui mit les troupes romaines en péril, la victoire fut rétablie par l'initiative de trois tribuns : beaucoup d'ennemis furent tués, et Constance revint à Milan triompher d'un succès où la résolution de ses lieutenants semble avoir eu plus de part que ses talents militaires[14]. Mais, arrêtée sur un point, l'invasion recommençait sur d'autres. La Gaule surtout était en proie. Les ennemis de l'Empire y pénétraient sans rencontrer de résistance. Prospère au temps de la tétrarchie, sous l'équitable et ferme gouvernement de Constance Chlore, la Gaule avait connu ensuite les débuts glorieux du règne de Constantin. Son fils Constant avait su aussi la faire respecter des Barbares[15]. Mais le meurtrier de Constant, l'usurpateur Magnence, s'était plus occupé de la tyranniser que de la défendre[16]. Après la défaite de celui-ci, on voit Constance à Lyon et à Autun en 353 et dans les premiers mois de 354 ; cependant, il parait avoir pris, pour cette contrée si vulnérable du côté de l'est, peu de mesures défensives, car Ammien Marcellin, à propos des événements de 355, parle de la longue incurie dont elle était victime[17]. Peut-être le souvenir de la révolte de Magnence faisait-il craindre au cauteleux souverain d'y placer un chef influent et de bonnes troupes, et, dans son égoïsme, aimait-il mieux la laisser piller aux Alemans ou aux Francs que de donner à un général l'occasion de s'y rendre trop puissant par des victoires. Cependant, l'état de la malheureuse province devint si critique, et peut-être son cri de détresse si pressant, que Constance se sentit obligé d'y porter remède. Il mit à la tête des légions de Gaule un bon militaire, d'origine franque, dont le père avait bien servi sous Constantin, et qui portait le nom très romanisé de Silvain. C'était, nous dit-on, un homme instruit, doux, timide même dans la vie civile, mais brave sur les champs de bataille, sachant se servir du soldat et lui inspirer confiance[18].

Dans ce foyer d'intrigues, de cupidité et de jalousie qu'était la cour de Constance, l'élévation de ce nouveau général déplut à quelques-uns. On fit jouer contre lui les plus dangereuses machines, jusqu'à inventer de fausses lettres et créer de toutes pièces un faux complot. A la nouvelle qu'un commissaire enquêteur, choisi parmi ses ennemis, était envoyé dans les Gaules, et déjà confisquait ses biens, maltraitait ses serviteurs, Silvain, ignorant qu'à ce moment même des amis courageux plaidaient avec succès sa cause devant le prince, et désespérant de convaincre de sa loyauté l'esprit soupçonneux de Constance, ne vit qu'un moyen d'échapper au péril : c'était de commettre le crime même dont il était accusé. A Cologne, où il résidait alors, il se fit proclamer Auguste par ses soldats, qui arrachèrent, pour l'en revêtir, les voiles de pourpre pendus aux enseignes des légions[19].

Avant que cet acte de rébellion fût connu, Constance avait député vers Silvain un militaire de valeur, Ursicin, qui avait commandé en Orient au temps de Gallus, avait passé ensuite par des alternatives de disgrâce et de faveur, et de qui, à la fois, on attendait beaucoup et l'on se défiait. Il était chargé de prendre le commandement des troupes de Gaule, et de persuader à Silvain de venir à la cour, où justice lui serait rendue. Les plus intimes conseillers de Constance avaient été heureux de faire donner à cet officier une mission aussi délicate, qui, en cas de succès, supprimerait Silvain, en cas d'échec perdrait Ursicin. Celui-ci apprit en route la révolte qui venait d'éclater ; mais, au lieu de s'arrêter, il vint à Cologne, feignit de prendre le parti du nouvel Auguste, de s'associer à ses griefs, et s'insinua dans sa confiance. En même temps, il gagnait sons main quelques soldats, qui se soulevèrent, forcèrent l'entrée du palais, et tuèrent Silvain alors que celui-ci s'enfuyait pour aller chercher un refuge dans la basilique chrétienne de Cologne. Au moment où il avait intérêt à flatter Constance, Julien raconta que Silvain avait péri à la suite d'un soulèvement général de toute son armée, dont l'affection envers l'empereur légitime n'avait pu être ébranlée[20] ; mais le récit plus véridique d'Ammien Marcellin, qui accompagnait Ursicin à Cologne et parle en témoin oculaire, montre qu'il y eut seulement un guet-apens, organisé par l'envoyé de Constance, et auquel l'armée, qui vingt-huit jours auparavant avait acclamé Silvain, demeura étrangère[21].

La rébellion fut ainsi étouffée presque à son origine. Constance, qui par nature, dit Ammien, haïssait les vaillants[22], s'applaudit d'être délivré à si bon compte d'un dangereux rival. Son orgueil s'accrut encore, et devint tout à fait insupportable. Il se considérait comme un être presque céleste, ayant dompté la fortune, et gouvernant à son gré les choses humaines[23]. On doit reconnaître qu'il n'abusa pas cette fois de sa victoire. Il y eut des représailles, mais elles atteignirent peu de personnes. Les principaux amis de Silvain furent épargnés. On traita avec égards son jeune fils, qu'il avait laissé en otage à Milan avant de partir pour la Gaule[24].

Cependant la joie de Constance n'allait pas sans quelque mélange. Avec Silvain, il semblait que le dernier boulevard de la puissance romaine dans la Gaule et la Germanie fût tombé. Ursicin avait, il est vrai, pris le commandement des troupes : mais, soit que, mis en défiance par les récents événements, Constance lui mesurât l'autorité et les moyens, soit que les soldats n'eussent pas confiance dans un homme qui ne s'était révélé à eux que par une trahison, aucune résistance utile n'était plus faite aux Barbares. Les courriers qui parvenaient l'un après l'antre à Constance lui peignaient l'état déplorable des Gaules[25]. Ils lui montraient ces belles et riches contrées ouvertes aux envahisseurs. Ils nommaient quarante villes ruinées le long du Rhin par les Francs, les Alemans et les Saxons[26]. Ils racontaient le siège et la prise de Cologne[27], tout à l'heure la capitale de l'éphémère empire de Silvain, hier encore le siège d'un autel provincial de Rome et d'Auguste et d'une colonie de vétérans[28]. Constance, on l'a vu, n'était pas ménager de sa personne. S'il n'avait pas les qualités d'un grand général, il avait l'habitude de tous les exercices du corps, était sobre, endurant, bon cavalier, habile au maniement de l'arc et du javelot, très expert surtout aux manœuvres de l'infanterie[29]. Sa cavalerie lui devait une armure nouvelle, imitée des Perses[30]. Il s'occupait lui-même du choix des chefs militaires, et savait s'entourer de vieux capitaines[31]. Il ne redoutait ni les responsabilités du commandement ni le contact de l'ennemi. Mais, à défaut d'une pusillanimité personnelle, dont on ne pourrait l'accuser sans injustice, une prudence politique exagérée lui faisait craindre de quitter l'Italie[32]. Il lui semblait qu'en s'éloignant du centre de son Empire, il perdrait les moyens de communiquer à la fois avec le sénat romain et avec les provinces orientales, et cesserait de pouvoir surveiller d'une part le paganisme, dont il méditait toujours la ruine, d'autre part les adhérents d'Athanase et du concile de Nicée, qui ne lui étaient guère moins odieux. Probablement aussi craignait- il, s'il se portait de sa personne sur la ligne du Rhin, de se trouver trop loin de celle du Danube, sans cesse menacée par d'autres envahisseurs. Telles sont apparemment les raisons qui lui firent prendre une résolution soudaine, imprévue, le bon parti, dit Ammien Marcellin[33], à coup sûr celui auquel l'opinion publique était le moins préparée.

Ce parti n'était autre que le rappel immédiat de Julien et son élévation prochaine au rang de César, avec mission de pacifier les Gaules. Nous avons dit l'émotion mêlée de frayeur que ressentit celui-ci, quand l'ordre lui fut donné de quitter Athènes pour revenir à Milan. On lui enjoignait de voyager vite, avec une suite peu nombreuse : quatre serviteurs seulement furent autorisés à l'accompagner[34]. Pour un prince de sang royal, accoutumé dès l'enfance à un grand train de maison[35], c'était presque voyager incognito. Mais cela même, en le débarrassant des nombreux impedimenta que tramaient en route les riches Romains, lui rendait le voyage plus facile et lui permettait même d'y mêler quelque imprévu et quelque agrément. C'est ainsi que le fervent disciple d'Homère put, avant de quitter les pays classiques, traverser la mer Égée pour faire une excursion en Troade. Cela montre que, si forcé que fût son voyage, Julien y jouissait encore d'une assez grande liberté et demeurait maître d'en régler l'itinéraire.

Il a raconté, dans une lettre, un épisode fort inattendu de ce pèlerinage aux champs où fut Troie. S'étant arrêté dans la ville moderne qui s'élevait, au IVe siècle, sur l'emplacement de l'ancienne Ilion, il demanda à visiter les monuments antiques. C'était, dit-il, le détour que j'employais pour visiter les temples. L'évêque de la ville, Pégase, s'offrit à lui servir de guide. Il le conduisit au tombeau d'Achille, entretenu avec le plus grand soin, et s'inclina lui-même devant la sépulture du héros. Puis il mena le voyageur au tombeau d'Hector. , raconte Julien, comme je m'aperçus que le feu brûlait presque sur les autels et qu'on venait à peine de l'éteindre, que la statue d'Hector était encore toute brillante des parfums qu'on y avait versés, je dis, les yeux fixés sur Pégase : Eh quoi ! les habitants d'Ilion font donc des sacrifices ! Je voulais connaître, sans en avoir l'air, quelles étaient ses opinions. Il me répondit : Qu'y a-t-il d'étonnant qu'ils adorent le souvenir d'un grand homme, qui était leur concitoyen, comme nous faisons pour nos martyrs ? Sa comparaison n'était pas bonne, mais, eu égard au temps, sa réponse ne manquait pas de finesse. Il me dit ensuite : Allons visiter l'enceinte sacrée de Minerve troyenne, et, heureux de me conduire, il ouvrit la porte du temple. Il me fit voir alors les statues et me prit à témoin qu'elles étaient tout à fait intactes. Je remarquai qu'en me les montrant, il ne fit rien de ce que font d'ordinaire les impies dans des circonstances pareilles ; il ne traça pas sur son front le signe de la croix et ne siffla pas dans ses dents ; car c'est le fond de leur théologie de siffler quand ils sont en présence de nos dieux et de faire le signe de la croix[36].

On peut, sans un trop grand effort d'imagination, se figurer l'état d'esprit des deux personnages que le hasard avait ainsi mis en présence. Julien, aux allures de l'évêque, a surpris ses pensées secrètes : il attache sur lui un regard pénétrant et lui pose des questions captieuses. Pégase connaissait sans doute par la renommée les vrais sentiments de Julien : Troie était trop rapprochée d'Éphèse et de Pergame pour que les espérances fondées sur le jeune prince par les néoplatoniciens de ces deux villes, leurs efforts pour l'attirer à eux, les gages qu'il leur avait déjà donnés, fussent ignorés de lui. Aussi se laissa-t-il volontiers deviner à Julien par son maintien, par l'abstention de certaines pratiques, sans se trahir cependant par aucune parole compromettante. Cet évêque d'Ilion est un type singulier, sans doute rare au IVe siècle, mais non sans exemple. On a l'épitaphe d'une Romaine qui se montra parmi les fidèles, fidèle, et parmi les païens, païenne[37]. Celle-ci se prêtait aux circonstances changeantes d'une époque de transition, mais nous laisse dans le doute sur sa véritable croyance, si vraiment elle en eut une. Pégase nous est mieux connu. Julien raconte que, averti par son attitude, il se renseigna sur place et apprit de gens bien informés que cet étrange ministre de l'Évangile priait en cachette les dieux et adorait le Soleil[38]. C'était, selon toute apparence, un païen qui était entré dans l'Église, avait monté les degrés de la hiérarchie cléricale, moins encore peut-être pour flatter les puissants du jour que pour acquérir le pouvoir de protéger et d'entretenir secrètement les sanctuaires idolâtriques. Déguisé en évêque chrétien, il se faisait ainsi le gardien de la Troie homérique, le sacristain mystérieux de ses temples. Nous retrouverons ce Pégase dans un autre endroit de l'histoire de Julien ; mais alors, les temps auxquels il aspirait étant venus, il aura jeté le masque et échangé publiquement les insignes de l'évêque contre les bandelettes du pontife païen.

Les circonstances suspectes de cette excursion en Troade étaient sans doute ignorées de Constance, quand il attendait, non sans impatience, l'arrivée de Julien en Italie. Il ne dévoila pas tout de suite à ses conseillers le dessein qu'il s'était proposé en rappelant celui-ci. Une seule personne parait en avoir été la confidente, et probablement l'inspiratrice[39] : c'était l'impératrice Eusébie, qui avait naguère tiré Julien du péril et n'avait cessé de croire en lui. Quand Julien arriva à Milan, incertain du sort qui l'attendait, Constance était absent : les affaires de Silvain, raconte Julien, l'avaient appelé au dehors[40]. Il est difficile de déterminer à quel incident de cette tragique aventure le narrateur fait ici allusion, puisque nous savons qu'il n'y eut point de guerre contre Silvain, et que Constance reçut à Milan la nouvelle de sa mort. Peut-être Constance fut-il obligé à quelque voyage militaire, à quelque inspection de troupes, moins à cause du favorable dénouement de l'affaire de Silvain qu'en raison des désastres qui suivirent. Julien se montre ici le narrateur peu précis, l'écrivain obscur et embrouillé qu'il est souvent. Quoi qu'il en soit, la réception qui lui fut faite à Milan fut de nature à le rassurer. Eusébie envoya au-devant de lui ses eunuques, chargés de le complimenter. Constance, revenu bientôt après, l'accueillit en ami et en parent : il lui donna ses libres entrées à la cour, et lui offrit de loger au palais, ce que Julien refusa. Mais il lui fallut se soumettre à une cérémonie pénible : les eunuques du palais lui rasèrent sa barbe philosophique, le revêtirent de la chlamyde militaire, et ne le laissèrent sortir de leurs mains que transformé en soldat et en homme de cour[41].

Julien s'accuse — ou se vante — d'en avoir porté gauchement l'habit. Au milieu des courtisans, la tête haute, les regards toujours en éveil, il errait dans les antichambres et les salles du palais, tenant ses yeux baissés, comme le lui avait appris son précepteur[42]. Les eunuques, ignorant encore la fortune à laquelle il était réservé, riaient sur son passage : à leurs railleries, Julien répondait par une haine[43] dont ils sentiront un jour les effets. Je ne tairai point ici, dit-il, jusqu'à quel point je poussai les concessions, et comment je consentis à vivre sous le même toit que des hommes que je savais être les bourreaux de ma famille, et que je soupçonnais de vouloir bientôt me traiter comme ils avaient traité les miens[44]. Cette fois, cependant, il se trompait dans ses soupçons. Pendant qu'il vivait à la cour, dans cet état de réserve et d'anxiété, Constance se préparait à l'élever jusqu'au trône.

Quand l'empereur, ayant rassemblé son conseil, s'ouvrit de ce dessein, tous demeurèrent frappés de stupeur. Le langage de Constance avait été empreint d'une sincérité inaccoutumée. Il déclarait que le fardeau dépassait ses forces, et — ce qu'il n'avait jamais avoué, dit Ammien, — qu'il ne pouvait plus le porter seul. Accoutumés à tout approuver, les courtisans essayèrent, cette fois, de cacher leur désapprobation sous la flatterie. Il n'y a point, dirent-ils, de situation si ardue que la force toute-puissante de Constance, sa fortune si voisine des astres, ne puisse, comme toujours, la surmonter. Plusieurs ajoutaient qu'un César était bien dangereux, et rappelèrent Gallus. Une seule personne appuya les paroles de Constance : ce fut Eusébie. Dans son amour conjugal, qui parait avoir été sincère, elle craignait peut-être pour Constance les périls et les hasards d'un séjour en pays éloigné. Peut-être aussi son regard perspicace, aidé de sa sympathie pour Julien, avait-il discerné le véritable intérêt public. Pour une raison ou pour une autre, elle réfuta les objections, et, puisqu'il fallait un César, déclara que mieux valait prendre le plus proche par la parenté. La délibération dura longtemps, mais l'avis de l'empereur et de l'impératrice finit par être accepté de tous : l'accession de Julien à l'empire fut décidée[45].

Julien parut consterné à cette nouvelle. Si elle flattait son ambition, en revanche, elle dérangeait tous ses plans de vie studieuse. Son esprit, toujours porté aux alarmes, ne pouvait d'ailleurs oublier ce qu'une faveur semblable avait coûté à Gallus. La bonté maternelle d'Eusébie semble avoir deviné les sentiments qui se pressaient dans l'âme du jeune prince. Tout d'abord, l'impératrice avait joui sans mélange du changement de fortune de son protégé : la déclaration officielle de l'empereur fut pour elle, dit Julien, comme une douce musique[46]. Mais bientôt elle comprit les hésitations de Julien, et combien il avait besoin d'appui. Il vit un jour venir, dans le faubourg de Milan où il avait sa demeure, des serviteurs de confiance d'Eusébie, qui le prièrent d'écrire à celle-ci et de lui demander sans crainte tout ce qu'il voudrait. Le premier mouvement de Julien fut de répondre à la bonté de l'impératrice par un refus motivé du titre de César. Il rédigea dans ce but une lettre suppliante, qui se terminait par ces mots, bien propres à toucher le cœur d'Eusébie, désolée de sa stérilité : Puissiez-vous avoir des enfants, héritiers de vos biens ! puisse Dieu vous combler de ses faveurs ! Je vous en supplie, renvoyez-moi chez moi le plus tôt possible. Puis il retomba dans ses incertitudes et n'osa envoyer la lettre, craignant, dit-il, qu'il y eût danger à correspondre ainsi avec la femme de l'empereur[47].

Ces détails sont dans l'épître adressée, six ans plus tard, par Julien au sénat et au peuple d'Athènes. Il n'y a pas de raison pour les révoquer en doute, car ils semblent tout à fait en situation ; mais probablement trouvera-t-on quelque arrangement artificiel et quelque mise en scène dans le reste du récit. Nous le rapporterons tel que le fait Julien, qui tient à se montrer comme étant, dès cette époque, le favori des dieux, à qui il pose des questions et de qui il reçoit des réponses.

Hésitant, comme on vient de le voir, à envoyer une lettre à Eusébie, il leur demanda de lui révéler, pendant son sommeil, s'il devait le faire. La réponse fut que l'envoi de sa lettre serait suivi d'une mort ignominieuse. Julien n'avait plus qu'à se soumettre ; mais, à l'en croire, il eut besoin de longues réflexions pour s'y décider.

Eh quoi ! se dit-il, je pourrais m'opposer aux dieux ! je croirais pouvoir me diriger mieux que ceux qui savent tout ! La prudence humaine embrasse à peine le présent et n'est infaillible que pour les objets de peu de valeur. Personne ne délibère ni sur les choses qui doivent arriver dans trente ans ni sur celles qui sont déjà passées, mais seulement sur les choses dont nous tenons, en quelque sorte, les commencements et les germes. Seul le regard des dieux perce plus loin ; ils voient tout, conseillent et font ce qui est le meilleur. Auteurs de tout ce qui est et sera, ils ne peuvent se tromper sur ce qui nous convient.

Ce raisonnement convainquit Julien que le plus sage était d'accepter ce qu'on lui offrait et de le croire ménagé par une providence divine. Mais d'autres réflexions lui persuadèrent que là était aussi le devoir. Tu te fâcherais, se dit-il à lui-même, si quelqu'un de tes esclaves, si ton cheval, ta brebis, ton bœuf te refusait le service et ne venait pas à ton appel. Mais toi, qui te prétends au-dessus du vulgaire et te ranges parmi les justes et les sages, tu te refuserais aux dieux ! tu ne te prêterais pas à ce qu'ils veulent de toi ! Prends garde d'agir en insensé et de mépriser leurs droits. Que fais-tu de ton courage ? Tes hésitations sont ridicules. Tu sembles prêt à ramper et à flatter par crainte de la mort. Abandonne-toi plutôt à la volonté des dieux, leur déléguant la conduite de ta vie, selon la maxime de Socrate, prêt à faire tout ce qui leur plaira, sans te rien réserver, et acceptant tout de leurs mains avec confiance[48].

Il est impossible de savoir si Julien fit réellement ces réflexions, et se laissa guider par ces motifs mystiques, qui ne seraient pas sans grandeur. Ce que l'on voit clairement, c'est qu'après avoir écrit une lettre de refus, il renonça à l'envoyer, et trouva sage de n'opposer aucune résistance au choix de l'empereur. Ammien Marcellin, ordinairement bien informé de ce qui regarde Julien, n'a pas entendu parler des hésitations dont celui-ci nous fait la confidence. Son parti étant pris, Julien se rendit docilement à la cérémonie de l'investiture.

Elle eut lieu le 6 novembre[49], en présence de l'armée, devant les aigles et les drapeaux des légions. L'empereur monta sur une tribune très élevée. Julien était auprès de lui. Se levant, et tenant par la main le jeune prince, comme pour le présenter aux assistants, Constance prit la parole. Il aimait à parler en public, et s'en tirait ordinairement très bien. Faire l'énumération des harangues qu'il a prononcées dans toute espèce de réunion, devant l'armée, le peuple ou le sénat, exigerait un trop long discours, a dit Julien, qui ajoute : Il est bon artisan de paroles, non qu'il taille ou qu'il polisse des mots ou qu'il arrondisse ses périodes à la façon des rhéteurs ; mais sa diction est grave et pure, il sait user à propos d'expressions qui pénètrent dans l'âme non seulement des gens instruits et éclairés, mais même des ignorants, pourvu qu'ils soient capables d'entendre et de comprendre ce qu'on leur dit[50]. Bien que ce jugement soit extrait d'un panégyrique, et par conséquent suspect, cependant il n'étonnera pas ceux qui se souviennent d'un épisode de l'histoire de Constance, où son talent d'orateur lui fit remporter une victoire peu commune : en 350, il prononça, en présence de ses troupes et de celles de son rival Vétranion, un discours si persuasif, que les soldats de celui-ci l'abandonnèrent pour passer du côté de l'empereur[51]. La harangue qu'il fit pour l'intronisation de Julien n'est point indigne de sa réputation oratoire. Elle a cette simplicité élégante et grave que loue le panégyriste. Je ne crois pas qu'Ammien Marcellin, qui la donne tout entière[52], l'ait inventée, à la manière des historiens antiques : elle porte, autant qu'on en peut juger, la marque de Constance.

Nous sommes devant vous, dit-il, excellents défenseurs de la République, pour traiter ensemble de l'intérêt de tous : je vous exposerai brièvement, comme à des juges équitables, ce que je veux faire. Après la mort de tyrans et de rebelles, qu'une rage furieuse poussa à la révolte, les Barbares, comme pour offrir de leurs mains impies un sacrifice expiatoire arrosé de sang romain, parcourent en tous sens les Gaules, ayant rompu la limite que leur imposaient les traités. Ils s'encouragent à la pensée des devoirs très étroits qui nous retiennent loin d'eux. A ce mal, qui croit chaque jour, si d'un commun accord nous portons remède pendant qu'il en est temps, ces orgueilleuses nations seront domptées, et les frontières de l'Empire demeureront intactes. Il vous appartient de m'aider à réaliser cet espoir. Voici Julien, mon cousin germain. Vous connaissez sa modestie, qui nous le rend non moins cher que la parenté. Il a bonne réputation. Jeune, il possède déjà les talents les plus brillants. Je désire l'élever au rang de César, et je vous demande de confirmer par votre consentement ce dessein, si vous le jugez utile.

Une rumeur favorable interrompit l'orateur. Ce sont les pensées d'un dieu, non d'un homme, disait-on, dans ce langage de la flatterie que savaient parler même les foules. Mais Constance, sans faire un mouvement, selon sa coutume, continua, sûr désormais des sentiments de tous :

Puisque ce joyeux murmure me témoigne votre approbation, que ce jeune homme, doué d'une force tranquille, et dont les mœurs sont plus encore à imiter qu'à louer, monte au faite des honneurs. De sa nature, de son excellente éducation, je ne dirai qu'un mot : elles l'ont fait digne de mon choix. En présence, donc, et avec le consentement du Dieu tout-puissant, je le revêtirai du manteau impérial.

Il mit alors sur les épaules de Julien la pourpre des Dieux, et, l'ayant proclamé César, aux applaudissements de l'armée, il poursuivit, avec une solennité plus grande :

Tu viens de recevoir, jeune, l'éclat qui appartient à ta naissance, ô frère très aimé ! Ma gloire s'en est accrue ; en déférant à ta noblesse, si proche de la mienne, une partie de ma puissance, je me sens moi-même plus élevé. Deviens donc l'associé de mes travaux et de mes périls : prends la charge de la Gaule, relève par tes bienfaits son affliction. S'il faut combattre l'ennemi, marche d'un pas ferme au milieu des porte-étendards, inspire l'audace en temps opportun, enflamme les combattants, en te mettant à leur tête, sans négliger les précautions nécessaires ; réconforte ceux qui seraient troublés ; montre que tu seras un témoin véridique des courageux et des lâches. Donc, poussé par la grandeur de l'entreprise, en avant, homme brave, que les braves suivront. Nous serons avec vous, de toute la force d'un fidèle amour, nous combattrons ensemble, et, plaise à Dieu d'exaucer nos prières ! nous gouvernerons avec une égale modération et une piété égale le monde pacifié. Tu me seras toujours présent, et je ne ferai défaut à aucune de tes actions. Monte, monte vers les sommets, hâte-toi, les vœux de tous te suivent ! C'est la République elle-même qui te confie le poste que tu vas défendre.

A ces paroles enflammées, vibrantes, l'émotion de la foule ne put se contenir. Les soldats heurtaient avec un bruit de tonnerre leurs boucliers contre leurs genoux, ce qui était chez les Romains un présage de félicité[53]. A l'exception de quelques-uns, plus perspicaces ou plus défiants, tous les assistants approuvèrent le choix du prince et en ressentirent une joie profonde. On contemplait le nouveau César, charmant sous la pourpre, avec ses yeux d'une beauté terrible[54], son visage auquel une émotion inaccoutumée donnait de la grâce[55]. Tous les regards s'attachèrent sur lui, quand il s'assit près de Constance dans le char impérial ; mais personne ne l'entendit se murmurer à lui-même ce vers d'Homère :

La Mort empourprée et le tout-puissant Destin l'ont saisi[56].

 

II — Le mariage de Julien. - Le panégyrique de Constance.

L'empereur voulut que la première visite du César fût pour Eusébie. Dans le palais, où régnait l'étiquette orientale, les femmes étaient déjà très séparées des hommes, et les princesses vivaient surtout en compagnie de leurs suivantes et de leurs eunuques : Julien laisse voir qu'être admis près de l'impératrice était une faveur rare et une marque signalée de confiance. Ce n'était pas la première fois, sans doute, que le jeune prince se trouvait en présence de la femme intelligente. et ambitieuse dont la protection lui avait été si utile ; mais elle ne l'avait jamais reçu officiellement, entourée de sa cour, dans cette situation presque hiératique que prenaient alors les impératrices. Dès que j'eus été introduit près d'elle, dit Julien, je crus voir assise, ainsi que dans un temple, la statue de la Sagesse. Un sentiment de respect me pénétra l'âme, et tint mes yeux fixes vers la terre durant assez longtemps, jusqu'à ce qu'elle m'eût engagé à, prendre courage : Tu tiens de nous, dit-elle, une partie de ta grandeur, tu recevras l'autre dans la suite, avec l'aide de Dieu, pourvu que tu nous sois fidèle et loyal. Voilà quel fut à peu près son langage ; elle n'ajouta rien de plus, quoique son éloquence ne le cède point à celle des meilleurs orateurs. Au sortir de cette entrevue, je demeurai profondément ému ; je croyais entendre retentir à mes oreilles la voix même de la Sagesse, tant le son en était doux et suave comme le miel[57].

Julien n'oubliera que trop, plus tard, cet appel à la reconnaissance et à la loyauté. Mais il semble en avoir été d'abord vraiment touché. Eusébie, à ce moment, lui prodigua les marques de sa faveur. Lui-même cite, parmi les bienfaits dont elle se plut à le combler, l'alliance qu'elle lui fit contracter dans la famille de l'empereur[58]. C'est le seul passage de ses écrits où il soit fait (en termes assez froids) allusion à son mariage avec Hélène, sœur de Constance, célébré peu de jours après son élévation au rang de César[59]. Rien, semble-t-il, n'avait préparé cette union. Nul penchant réciproque n'y inclinait les deux époux. Très probablement ils ne se connaissaient point avant le brusque rappel de Julien à Milan. Le mariage parait avoir été imposé à Julien, ou du moins décidé pour lui, par Constance, à l'instigation d'Eusébie, comme une conséquence de son élection. Ce fut un de ces tristes marchés faits par la politique, et où le cœur n'a point de part. Nous ne savons à peu près rien d'Hélène. Aucun renseignement ne nous est venu ni sur sa figure, ni sur son intelligence, ni sur son caractère. Les médailles qui semblent la représenter, à côté de Julien, lui donnent des traits réguliers, assez insignifiants, et, autant qu'on en peut juger, sans jeunesse[60]. Hélène était, en effet, plus âgée que son mari. Fille de l'impératrice Fausta, que Constantin épousa en 307 et qui mourut tragiquement au milieu de 326, elle avait au moins six ans de plus que Julien. Probablement avait-elle dépassé la trentaine, quand ce jeune César de vingt-trois ans l'épousa. Eusébie, devenue la femme de Constance en 353, dans la fleur de l'âge et de la beauté, était, selon toute vraisemblance, plus jeune qu'elle. On ne s'étonnera pas du rôle sacrifié que joue dans l'histoire de Julien la pauvre princesse.

Deux semaines au plus s'écoulèrent avant que Julien, décoré de la pourpre impériale et devenu le beau-frère de Constance, allât prendre au delà des Alpes son poste de combat ; ces quelques jours furent assurément bien remplis.

On sait que Constance se piquait de belles-lettres. Il avait une éloquence naturelle, dont le lecteur a pu juger. Mais il aimait aussi cette éloquence artificielle, que les rhéteurs avaient mise à la mode. Son grand regret était de n'y pas réussir, et il s'en consolait en faisant des vers, qui n'étaient pas meilleurs que ses essais de déclamation ou ses exercices de rhétorique[61]. Autant que le laissent voir et les écrits de Julien et les harangues qu'Ammien lui attribue, Julien réunissait les deux genres d'éloquence. Il savait, comme Constance, parler aux soldats le langage à la fois majestueux et bref qui convient à un prince, et en même temps, rompu dès l'enfance à toutes les finesses de la rhétorique, il pratiquait à merveille le genre faux où son impérial cousin désespérait d'atteindre. Ce genre convenait même mieux que tout autre à son esprit compliqué, qui avait besoin de faire effort pour être simple, et d'où, au contraire, les pensées obscures et les phrases ambiguës coulaient comme de source.

Aussi Julien ne dut-il éprouver aucun embarras, lorsque Constance lui demanda de prononcer son panégyrique avant de partir pour la Gaule. Un délai probablement très court lui fut accordé pour préparer ce morceau oratoire : mais, comme la plupart des rhéteurs et des sophistes du IVe siècle, Julien avait beaucoup de l'improvisateur. Il écrivait habituellement très vite. Le traité de la Mère des dieux, qu'il fit à Pessinunte en 362, et où il versa une grande partie de sa confuse théologie, fut composé en moins d'une nuit[62]. Ce qu'il y avait de forcé et de peu naturel dans le panégyrique n'était pas pour lui déplaire. Il avait appris à amplifier toute espèce de sujets, et à broder des variations sur toute sorte de thèmes : louer sans mesure un homme que l'on craint et que l'on méprise, et transformer en héros un prince médiocre, n'est pas plus difficile que d'écrire l'éloge des figues ou du nombre cent[63]. De tout temps, le panégyrique fut une des branches les plus cultivées de la littérature romaine. On a remarqué que les harangues de Cicéron, Pro lege Manilia et Pro Marcello, sont de véritables panégyriques de César et de Pompée[64]. Celui de Trajan par Pline le Jeune passa longtemps pour le chef-d'œuvre de l'élégant écrivain du IIe siècle. Celui d'Antonin le Pieux par Fronton était encore au IVe siècle fort admiré[65]. A cette époque, dans la décadence presque universelle des lettres profanes, ce genre eut une recrudescence de vogue. La Gaule semble s'y être distinguée, si vraiment des douze panégyriques que l'on possède encore de Dioclétien et de ses successeurs, six appartiennent, comme on l'a pensé, à des professeurs de l'université d'Autun. Le latin des professeurs d'Autun est excellent, dit un bon juge, et c'est merveille de voir qu'au IVe siècle on savait encore quelque part si fidèlement reproduire les expressions et les tours de Cicéron[66]. Bien que d'origine latine, le panégyrique devait tenter l'esprit courtisan des Grecs : Themistius[67], Libanius lui-même[68], firent celui de Constance. Julien, qui partageait les croyances païennes de ces deux orateurs, et particulièrement la passion religieuse du second, ne pouvait avoir de scrupule à les imiter.

Si rapidement qu'il l'ait écrit, son discours est composé avec soin. Si l'on met une sourdine aux louanges trop éclatantes, et si l'on tient compte de la situation difficile où était placé l'orateur, on reconnaît qu'il a produit un morceau d'histoire à quelques égards excellent. Comme il arrive souvent, la contrainte qui pesait sur lui a moins nui que servi à ses qualités littéraires. Obligé de se surveiller davantage, Julien ne se laisse point encore aller à ces écarts de plume et de pensée qui donneront des allures si bizarres aux ouvrages composés par lui alors que, devenu tout-puissant, il se croira le droit de tout dire. L'œuvre suit un plan simple, logique, dont on ne retrouvera guère l'équivalent dans les élucubrations personnelles et capricieuses de son âge mûr.

Puisqu'il faut tout louer, Julien commence par faire l'éloge de Rome, qui vit naître la mère de Constance. C'est peut-être le seul endroit de ses écrits où il parle de la ville souveraine du monde, — qu'il ne visita jamais, — avec les sentiments d'un Romain[69]. Puis il célèbre les ancêtres de l'empereur, depuis Claude le Gothique, de qui les Flaviens se faisaient gloire de descendre, jusqu'à ses aïeuls paternel et maternel, Constance Chlore et Maximien Hercule[70]. Vient ensuite un bel éloge de Constantin[71], — dont il déchirera la mémoire dans son pamphlet des Césars. Il n'a garde d'oublier la noblesse, la beauté, la vertu de cette femme sans égale, fille d'un empereur, femme d'un empereur, sœur d'un empereur, mère non d'un seul, mais de plusieurs empereurs, l'impératrice Fausta, qui donna le jour à Constance[72] : il passe prudemment sous silence l'épouvantable tragédie où elle périt.

Suit le tableau de l'éducation de Constance, dont il fait honneur à la prévoyance et à la sagesse de Constantin. Ce que Julien dit du résultat de cette éducation, l'amour des lettres, l'habileté aux exercices corporels, à l'équitation, au maniement des armes, l'endurance, la sobriété, la grande pureté de mœurs[73], est confirmé par le témoignage impartial et véridique d'Ammien Marcellin[74], de même que les louanges données par le panégyriste au respect de Constance pour son père sont attestées par le jugement conforme d'Aurelius Victor et d'Eutrope. Julien, suivant pas à pas la carrière de son héros, le montre, tout jeune, régnant d'abord dans les Gaules, puis appelé par Constantin au gouvernement de la partie orientale de l'Empire, où il devra faire face aux Perses[75]. A raconter les guerres que Constance mena contre ces éternels ennemis du nom romain est employée une grande partie du discours. Mais ces guerres eurent lieu surtout quand Constance fut devenu, par la mort de son père, puis par les décès successifs de ses frères, seul maître de l'Empire : le discours de Julien se heurtera ici contre un écueil, qu'il ne franchira pas sans avarie.

On n'a pas oublié les meurtres qui ensanglantèrent Constantinople au lendemain de la mort de Constantin. Sous les yeux de Constance, avant l'arrivée de ses frères, furent massacrés le père et le frère aîné de Julien, un de ses oncles, et six de ses cousins. Julien ne cessa de faire peser sur Constance la responsabilité de ce crime. Il les fit tous mettre à mort sans jugement, écrit-il aux Athéniens, ajoutant : Il voulait me tuer aussi, avec mon autre frère, mais il se contenta de nous exiler[76]. C'est avec ces ressentiments dans le cœur qu'il prononçait, en 355, le panégyrique de Constance. Il semble qu'il lui eût été facile de laisser dans l'ombre ces lamentables souvenirs. Personne ne pouvait désirer qu'il en parlât. Par un singulier oubli de toutes les convenances morales, Julien crut faire sa cour à Constance en cherchant publiquement une excuse au meurtre de sa famille. Violenté, dit-il, par les circonstances, l'empereur ne put empêcher les autres de commettre des crimes[77]. On se figure aisément l'embarras des vieux courtisans, entendant ces paroles maladroites. Ils se gardèrent sans doute de lever les yeux vers le souverain, qui assistait debout, selon l'usage, à ce discours d'apparat[78]. Peut-être une ombre passa-t-elle à ce moment sur le visage ordinairement impassible[79] de Constance. Pour nous, qui essayons de comprendre le caractère du nouveau César, nous ne nous étonnons pas trop de voir, au milieu d'un morceau jusque-là irréprochable, éclater tout à coup une note fausse. Malgré tout son esprit, peu d'hommes eurent dans les choses de l'intelligence et du cœur le jugement aussi peu mir que Julien.

La suite du panégyrique est le récit de la vie extérieure de Constance pendant les dix-huit années qui se sont écoulées depuis son avènement.

Julien n'y prend, comme il convient, que les faits saillants. L'année 338 est racontée avec détails : elle s'ouvre par un nouveau partage de l'Empire entre Constance et ses frères, dans lequel le panégyriste vante la modération de son héros[80] ; puis viennent la première campagne de Constance contre les Perses[81], son alliance avec les tribus arabes, dont il se fait d'utiles auxiliaires[82], le rétablissement sur le trône d'Arménie d'un prince ami des Romains que les Perses avaient chassé[83]. Sautant dix années, Julien fait ensuite le tableau de l'année 348, qui vit la sanglante bataille de Singara entre les Romains et les Perses[84], et de l'année 350, où ceux-ci furent contraints de lever le siège de Nisibe[85]. Cette partie du discours est d'autant plus intéressante, qu'il est un des rares documents à consulter sur ces événements historiques[86]. Nous ne possédons pas, en effet, le commencement d'Ammien Marcellin, où ils étaient racontés, puisque dans son état actuel le volume de cet historien ne s'ouvre qu'au livre XIV et à l'année 353. On remarquera en lisant, par exemple, le récit de la bataille de Singara ou celui du siège de Nisibe, l'aisance avec laquelle, dès ce moment, et sans en avoir encore acquis l'expérience, Julien parle des choses militaires. Il s'y complaît visiblement : la narration est pleine de mouvement et de couleur : on sent qu'un attrait naturel l'entraîne de ce côté, et que celui dont une éducation mal dirigée a fait un sophiste était né véritablement homme de guerre.

Les Perses avaient été encouragés à l'expédition contre Nisibe par les dissensions intérieures de l'Empire. Le trône de Constance paraissait ébranlé par l'usurpation de Vétranion en Pannonie et par celle de Magnence en Gaule. Comment Constance triompha de ces deux rivaux : tel est le sujet de la dernière partie du panégyrique. Julien raconte d'abord cette curieuse journée (dont nous avons déjà parlé) où, par la force persuasive de sa parole, Constance décida les soldats de Vétranion à passer de son côté[87]. Puis il retrace, en un tableau rapide, ce qu'il appelle la guerre sacrée, entreprise par Constance pour abattre Magnence, tyran des Gaules et meurtrier de son frère Constant. Celle-ci se termina en 353 par la victoire de Myrsa[88]. C'est encore, dans le panégyrique, un beau récit de bataille. On remarque l'estime que Julien a dès lors pour la solidité de ces Gallo-Romains, qu'il sera tout à l'heure appelé à commander. Peignant la résistance désespérée des troupes de Magnence, qui, rompues, se reforment pour combattre encore, il l'attribue surtout au contingent levé en Gaule, qui refusait d'être vu en fuite et de donner le spectacle, inconnu jusqu'à ce jour, d'un Celte, d'un soldat de Gaule, tournant le dos à l'ennemi[89]. Parmi les causes de la victoire, Julien cite l'intervention d'un corps de cavalerie, hardé de fer, dont l'armure était une des inventions personnelles de Constance[90]. Dans tout ce récit, le témoignage de Julien est d'autant plus intéressant que le principal historien du règne, Ammien Marcellin, manque encore pour cette époque.

Julien félicite Constance d'avoir consacré par des monuments et des trophées le souvenir de cette victoire[91]. Ammien, dans un sentiment meilleur, lui reprochera d'avoir voulu éterniser ainsi des souvenirs de guerre civile[92]. Certaines délicatesses auxquelles était sensible le vieux soldat échappaient facilement à Julien. D'autres choses sont laissées de côté par lui de parti pris. Après avoir lu le panégyrique que nous venons d'analyser, on serait, même si tout autre document avait disparu, renseigné sur des faits importants de l'histoire de Constance. On aurait une idée à peu près juste de deux des occupations principales de son règne, la guerre contre les Perses et la guerre contre les usurpateurs du pouvoir impérial. Mais on ignorerait la religion d'un souverain qui fit des questions religieuses la grande affaire de sa vie. On ignorerait par là presque tout de l'histoire intérieure de l'Empire sous Constance. L'extrême prudence de Julien lui a fait écrire un discours où les païens n'auraient rien trouvé qui choquât leurs idées, tandis que les chrétiens n'auraient pu y découvrir aucune marque formelle d'apostasie. Nulle allusion aux uns et aux autres, comme aussi nul mot rappelant la foi que professe Constance et les querelles religieuses qui remplirent son règne. Une couleur de vague déisme est partout répandue. Quand Julien parle de l'Être suprême[93], de la Divinité[94], du Dieu propice qui dès la naissance de l'empereur forma sa vertu pour gouverner l'univers[95], il emploie des expressions communes à tous les cultes. On doit reconnaître que Constantin avait donné l'exemple de ce style neutre dans l'édit de Milan, alors qu'il cherchait à octroyer la liberté aux chrétiens sans se déclarer encore clairement contre les païens[96]. Par une convention tacite, ceux-ci employèrent le même style pour le louer. Quand les sénateurs voulurent célébrer par un monument durable sa victoire sur Maxence, ils n'osèrent passer tout à fait sous silence le caractère miraculeux que lui reconnaissait Constantin, et, par une expression acceptable à tous, l'attribuèrent à l'inspiration de la Divinité[97]. Les panégyristes officiels, pour la plupart païens, adoptèrent les mêmes formules : célébrant Constantin, ils parlent des rapports qu'il entretient avec l'intelligence divine[98], des avertissements qu'il reçoit de l'inspiration divine[99], du Dieu créateur et maître du monde[100], en termes qui pourraient se rencontrer à la fois sous la plume d'un Père de l'Église et sous celle d'un Themistius ou d'un Symmaque. Mais les noms du Christ, des apôtres, des martyrs, de quelqu'un des personnages historiques de l'Ancien ou du Nouveau Testament, sont absents de leurs discours, comme de celui de Julien. C'est la parfaite neutralité du langage, à une époque où la principale question posée est la question religieuse, et où personne n'est neutre au fond du cœur.

Cette manière de parler était devenue tellement de style pour les ouvrages comme celui que Julien venait de composer, que Constance, malgré ses soupçons toujours en éveil, ne parait point y avoir pris garde. Les préparatifs du départ furent poussés avec activité. L'ingénieuse bonté d'Eusébie ne demeurait pas oisive. Soit à l'occasion de ses noces, soit en vue de son prochain voyage en des pays que peut-être elle se représentait (bien à tort) comme dépourvus de culture intellectuelle et de ressources littéraires, elle fit à Julien un présent qui lui causa un plaisir extrême. Je n'avais apporté de chez moi, raconte-t-il, qu'un très petit nombre de livres, œuvres de bons philosophes et de bons historiens, avec celles de plusieurs orateurs et de plusieurs poètes, tant j'avais au fond de l'âme l'espoir de retourner promptement dans mes foyers. Eusébie m'en donna une telle quantité, que j'eus de quoi satisfaire pleinement mon désir, quelque insatiable que fût mon avidité pour ce commerce de l'esprit, et que, ainsi, la Gaule et la Germanie devinrent pour moi un musée de livres grecs[101]. On remarquera qu'il n'est pas question de livres latins ; ou Eusébie, connaissant les goûts de Julien, n'en fit pas entrer dans la bibliothèque préparée pour lui, ou il les tient en trop mince estime pour se donner la peine de les rappeler.

Cependant, à en croire les confidences qu'il fera plus tard, les égards et les cadeaux prodigués au nouveau César étaient destinés surtout à dorer pour lui les chaines de la servitude. Il restait comme emprisonné dans le palais, en attendant l'ordre du départ. Constance le séquestrait du reste du monde. Les portes étaient closes, et gardées par des geôliers ; les mains de mes domestiques étaient surveillées, de peur qu'il ne me parvint quelque billet de mes amis[102]. Pour ne compromettre personne, Julien se crut obligé, dit-il, de refuser toutes les visites[103]. Il y a probablement de l'exagération dans ces plaintes. Sans doute, Constance put prendre à ce moment quelques précautions. Les relations suspectes que Julien avait eues en Asie Mineure ne lui étaient pas inconnues. Il n'ignorait rien des espérances que depuis longtemps l'opposition païenne avait fondées sur son jeune parent, sinon en Occident, où l'on n'avait guère entendu parler de lui[104], du moins en Orient, où son nom était populaire dans certains milieux, et où des coteries inquiétantes l'avaient déjà pris comme signe de ralliement. Puisque Constance jugeait utile maintenant de se servir de Julien, c'était un Julien tout neuf, sans liens avec le passé, qu'il prétendait avoir sous la main. Dans ce but, on put exercer sur lui et sur son entourage une surveillance assez naturelle. Mais, selon son habitude, Julien grossit considérablement les faits, et plusieurs des détails qu'il donne paraissent difficiles à comprendre.

Ainsi, il se plaint qu'on lui ait imposé des serviteurs étrangers[105]. Comment en eût-il été autrement, puisque, de son propre aveu, il était arrivé d'Asie avec quatre serviteurs seulement ? On ne lui ôta, du reste, aucun de ces derniers, bien que les deux plus âgés fussent ses plus intimes confidents. L'un d'eux, dit-il, partageait seul mes croyances religieuses, et, aussi secrètement que possible, mes pratiques à l'égard des dieux[106]. De celui-ci, l'africain Évhémère[107], il avait fait son bibliothécaire ; à lui fut confiée la riche collection de livres offerte par Eusébie. L'autre était un jeune médecin, Oribase, originaire de Pergame[108] ignorant son affection pour moi, dit Julien, on lui avais permis de m'accompagner dans mes voyages[109]. Une suite de quatre personnes, un bibliothécaire, un médecin, et deux jeunes pages[110], qui pouvait suffire à un voyageur, était sans doute insuffisante pour un César : il n'est pas surprenant que Constance y ait joint d'autres domestiques, et peut-être ne commit-il pas un abus d'autorité en les choisissant lui-même.

Quant aux amis, dont Julien se plaint d'avoir été systématiquement et presque violemment isolé, on cherche qui ils pouvaient être. Il n'avait, sans doute, que peu de connaissances intimes à Milan, où ne le rattachait aucun souvenir d'enfance, et où il avait seulement passé quelques mois, au commencement de l'année, dans une demi-captivité. Et même les rares amis qu'il y possédait furent, dit-il, comblés de faveurs par Eusébie[111].

Ce qui est plus vraisemblable, c'est que la suite politique du nouveau César — sa maison civile et militaire, comme on dirait aujourd'hui — ne fut pas très heureusement composée. Il avait demandé à Constance de ne lui donner pour officiers que des hommes bons et capables[112]. A l'en croire, on l'entoura des gens de la pire espèce[113]. Il est certain que Julien aura beaucoup à se plaindre de Marcel, nommé commandant de l'armée des Gaules, et de Florentins, envoyé dans ce pays en qualité de préfet du prétoire[114]. Un autre des conseillers qu'on lui donna, Pentadius, parait avoir été un agent suspect et malhonnête[115]. De tous ceux qui furent ainsi adjoints à Julien, un seul, Salluste, méritera sa confiance et gagnera son amitié. Mais Julien ne le connaissait pas encore, et probablement ne le reçut qu'après être arrivé en Gaule, et en remplacement d'un autre dont il avait demandé l'éloignement[116]. Si les paroles qu'il affirme avoir adressées à l'empereur, avant de quitter Milan, sont exactes, elles le montrent peu satisfait des hommes dont on lui imposait ainsi la collaboration. Prenant la main droite de Constance, et lui touchant le genou, à la manière des suppliants : Pas un de ces hommes, lui dit-il, n'est et ne fut jamais dans ma familiarité. Je ne les connais que de réputation, et, puisque tu l'exiges, je les regarde comme des amis, des intimes, et je les honore comme de vieilles connaissances. Cependant il n'est pas juste que je m'en rapporte complètement à eux, et que je risque leur fortune et la mienne. Que te demandé-je ? Donne-moi des espèces de lois écrites, qui m'indiquent ce que tu me défends et ce que tu m'ordonnes de faire. Il est évident que tu applaudiras à ma docilité et que tu châtieras ma désobéissance, quoique je pense que je ne te désobéirai point[117].

Les préparatifs de voyage étant achevés, Julien partit, le 1er décembre[118], pour la Gaule. Constance voulut l'accompagner jusqu'à Pavie. Mais, en se retirant, il ne lui laissa qu'une faible escorte[119]. Julien s'en plaint avec amertume. Je reçus, dit-il, l'ordre de me rendre, avec trois cents soldats, chez la nation des Celtes, qui s'était soulevée[120]. Il oublie (et après lui Libanius[121], Zosime)[122] qu'il devait trouver en Gaule une armée et des généraux[123] ; qu'il était envoyé, non chez une nation soulevée, mais au secours d'une nation menacée d'invasion, ce qui est fort différent ; et enfin qu'une escorte de trois cents hommes était bien suffisante pour le conduire de l'autre côté des Alpes, par une route sûre, fréquentée par les voyageurs et les convois de marchandises, gardée par des postes romains, et où il ne pouvait rencontrer aucun ennemi. Une fois de plus, on saisit sur le fait la manière d'écrire l'histoire habituelle à Julien, quand il met en cause les gens qu'il déteste. Il décourage, par ce manque de sincérité, ceux qui seraient quelquefois tentés de lui donner raison.

Des sujets de plainte plus sérieux ne lui manquaient pas, cependant. II avait le droit d'être mécontent du manque de confiance et d'égards que lui montra Constance, en le quittant sans l'avertir de la prise de Cologne, connue depuis assez longtemps déjà, mais qu'on avait réussi à tenir secrète. Julien n'en fut informé qu'en arrivant à Turin[124]. Ce n'était pas sans doute, comme il le dit avec son exagération accoutumée, l'envoyer à la mort sans autre changement à sa fortune qu'un titre plus pompeux[125] ; mais c'était ne le prendre point au sérieux et ne le point traiter en César. Aussi Julien ne se trompe-t-il peut-être pas en attribuant à Constance un propos à la fois maladroit et blessant. Ce n'est pas un empereur que j'envoie aux Gaulois, aurait dit celui-ci, mais un mannequin chargé de porter aux Gaulois l'effigie impériale[126].

 

III. — La première campagne.

Au point de vue politique et administratif, la Gaule était alors très morcelée. Aux quatre grandes divisions établies depuis les Antonins, l'Aquitaine, la Lyonnaise, la Belgique et la Narbonnaise, avaient succédé quinze provinces. Ammien Marcellin les énumère, en caractérisant d'un mot leurs principales cités[127] :

Vient d'abord, à partir de l'occident, la Seconde Germanie, défendue par Cologne et Tongres, villes grandes et riches. Puis la Première Germanie, avec Mayence, Worms, Spire, Strasbourg, célèbre par les défaites des Barbares. Après elle, la Première Belgique, dont les principales villes sont Metz et Trèves, résidence des princes. Contiguë à cette province est la Seconde Belgique, où se trouvent Amiens, ville éminente entre toutes, Châlons et Reims. En Séquanie, nous voyons Besançon et Augst, les plus importantes des villes de cette province. Lyon est l'ornement de la Première Lyonnaise, avec Châlon, Sens, Bourges, et la grandeur ancienne des murs d'Autun. La Seconde Lyonnaise nous montre Rouen, Tours, Mediolanum[128] et Troyes. Les Alpes Grées et Pennines ont, pour ne pas parler de lieux plus obscurs, Avenche, ville déserte aujourd'hui, mais non sans importance jadis, comme en témoignent ses édifices à demi ruinés... Dans l'Aquitaine, que bordent les montagnes des Pyrénées et les plages de l'Océan, la première province est l'Aquitanique, remarquable par la grandeur de ses cités : omettant beaucoup d'entre elles, nous citerons comme les plus importantes Bordeaux, Saintes et Poitiers. En Novempopulanie, on distingue Auch et Bazas. En Narbonnaise, Nîmes, Narbonne et Toulouse tiennent le premier rang. La Viennoise est fière de la beauté de ses villes, Vienne et Arles d'abord, auxquelles il faut ajouter Marseille, que nous apprenons par l'histoire avoir été jadis l'utile alliée des Romains en des temps périlleux : dans le voisinage sont Salluves[129], Nice et Antibes[130].

Comme on le voit, beaucoup des grandes villes d'aujourd'hui l'étaient déjà au IVe siècle. Un petit nombre d'autres, considérables à cette époque, ont perdu toute importance, comme Augst en Séquanie, ou comme Mediolanum dans la Seconde Lyonnaise, maintenant simple village. On remarquait déjà, dès le temps d'Ammien Marcellin, des villes déchues, dont la grandeur ne se mesurait plus qu'à l'étendue de leurs rues désertes et au nombre de leurs édifices ruinés. Le IVe siècle, cependant, vit encore naître des cités florissantes ; mais, en y regardant de près, on reconnaît que la Gaule a déjà pris un aspect très différent de celui qu'elle avait au ne ou même au ne siècle. C'était alors le temps des villes ouvertes, pleines de grands et beaux monuments, sans remparts arrêtant leur expansion et gênant le regard. Rares étaient les fortifications anciennes, comme celles d'Autun. C'est seulement vers la fin du IIIe siècle[131] que, averties par les invasions, parfois déjà ravagées, les villes s'entourent de remparts, se resserrent entre des fossés, se rétrécissent pour être plus facilement défendues, et prennent déjà l'aspect qu'auront les cités du moyen âge. On sacrifie à la construction hâtive de leurs murailles les temples, les tombeaux, les statues des époques plus heureuses, dont on voit les débris encastrés dans les fondements des remparts. Les ports mêmes, comme à Bordeaux, sont parfois reportés à l'intérieur des terres, afin de profiter des défenses de la ville : une porte, sous laquelle passeront les navires, ferme l'entrée des bassins, et met la flottille militaire ou les bâtiments de commerce à l'abri d'un coup de main. Ces murs du IVe siècle ne sont pas bâtis selon les anciennes règles de la fortification romaine : ce sont des rectangles, flanqués de nombreuses tours, et puissants surtout par leur masse. Bouclées dans cette étroite ceinture, les villes deviennent très petites. Besançon, an temps de Julien, est beaucoup moins beau et moins grand qu'autrefois[132]. Le nouveau Bordeaux est de même trois fois moins vaste que l'ancien[133]. Les enceintes urbaines les plus étendues ne contiendront guère, désormais, plus de quinze à vingt mille âmes[134]. Ainsi, remplaçant les grandes villes, éparses et sans entraves, de l'âge précédent, se créent de nouvelles demeures, tristes et mesquines, mais solides et sûres, qui permettront de vivre à travers les six siècles d'invasion jusqu'au réveil de l'ère romane[135].

Cet état nouveau amène un changement dans la vie sociale. Ayant perdu ses grands espaces, ses rues inondées d'air et de soleil, ses libres débouchés vers la campagne, la ville a moins d'attrait pour l'aristocratie. Celle-ci envoie ses enfants étudier aux grandes écoles de Bordeaux, d'Autun et de Trèves, et y former, autour de la chaire des jurisconsultes et des rhéteurs, ces essaims de joyeuse jeunesse dont parle avec complaisance un universitaire d'alors[136]. Là se transmettront encore pendant un siècle la tradition du beau latin[137], l'habitude de la parole publique, et la science du droit[138]. Mais les pères, eux, se retirent peu à peu de la cité. Les nobles qui, depuis la conquête romaine, s'étaient faits citadins, reviennent, comme par un retour d'atavisme que rien ne contrarie plus, aux mœurs des anciens Gaulois. Le charme qui les retenait à la ville s'étant amoindri, la campagne les reprend. Les plus illustres et les plus riches des Gallo-Romains étaient avant tout des propriétaires terriens. On a gardé le souvenir de l'un d'eux qui, dans les guerres civiles du me siècle, arma deux mille de ses paysans. Beaucoup de nos villages modernes sont nés de leurs villæ. Celles-ci, peuplées de fermiers, de serfs, de colons, d'artisans de tous les métiers, se développaient autour de la maison seigneuriale. Il y avait peu de chose à faire pour que l'habitation de plaisance, où jadis le propriétaire, à la façon de Pline le jeune et de ses amis, venait passer quelques semaines ou quelques mois durant la belle saison, devint la demeure principale, ou même unique, dans laquelle s'écoulerait sa vie. Le luxe des maisons de campagne n'était pas moins grand en Gaule qu'en Italie. Bas-reliefs, statues des dieux, bustes d'empereurs, sculptés sur place ou importés, remplissaient leurs salons et leurs galeries, dont les murailles revêtues de stuc s'égayaient de ces décorations dans le goût pompéien, qui se perpétuèrent en s'alourdissant jusqu'à la fin de l'Empire[139]. Décrivant sa villa de Lucomiacus, près de Saint-Émilion, Ausone dira qu'il y vit dans un palais rival de ceux de Rome[140]. Quelquefois les constructions, tant accessoires que principales, manoir du maître, logements des serviteurs, bains, écuries, portiques, couvraient plusieurs hectares[141]. Tous les agréments de la vie, comme tous les raffinements de l'art, s'y trouvaient ressemblés. On comprend que les Gaulois opulents et lettrés, entre leurs collections et leurs livres, leurs équipages de course, de chasse et de pêche[142], parmi les soins multiples de l'administration d'un grand domaine, et les relations mondaines d'un voisinage où leurs pareils devenaient de plus en plus nombreux, aient pu sans regret, Au IVe siècle, échanger l'existence désormais étroite et attristée des villes contre la vie de château, dont les écrits d'Ausone et de Sidoine Apollinaire nous ont laissé la séduisante image.

Ce n'est pas sans dessein que j'emploie ici le mot château. Il est vrai dans sa double acception, demeure vaste et magnifique, et demeure fortifiée. Au IVe siècle, si l'émigration des grands à la campagne contribue de plus en plus à donner à leurs maisons rurales ce premier caractère, l'insécurité de la campagne elle-même amène à leur ajouter le second. Cette insécurité tient à des causes diverses : les incursions des Barbares qui, franchissant la frontière, portent leurs ravages dans l'intérieur du pays, et le développement du brigandage, amené par la misère qui en résulte ou par les exactions du fisc. Cette misère, le désespoir des contribuables trop pressurés, avaient produit, à la fin du siècle précédent, la révolte des Bagaudes : la révolte a été écrasée[143], mais il y a toujours des Bagaudes, c'est-à-dire des paysans insoumis, pâtres armés, colons déserteurs de la glèbe, débiteurs exaspérés, qui marchent isolés ou en bandes, semant partout la terreur. Pour se protéger, les campagnes imitent les villes, et se couvrent de remparts. Il est impossible de fortifier le domaine entier avec ses vastes champs et les chaumières éparses de ceux qui le cultivent. On fortifiera la maison seigneuriale, non seulement pour défendre le maître et sa famille, mais encore pour offrir dans son enceinte un refuge aux familles des paysans.

Négliger cette précaution était s'exposer à une ruine presque certaine. La magnifique villa récemment découverte aux environs de Toulouse, dans laquelle, outre de nombreux morceaux de sculpture religieuse et profane, on n'a pas trouvé moins de soixante et onze bustes en marbre, a été détruite dans une invasion de Barbares[144]. D'autres, que des propriétaires prévoyants avaient entourées de fossés et de murailles, ont traversé intactes l'époque des invasions. Il en est qui sont devenues le noyau de cités nouvelles. Telle fut la villa construite près de Bordeaux, sous Constantin, par le préfet du prétoire Pontius Paulinus. Elle occupait un promontoire isolé, dominant le confluent de la Gironde et de la Garonne. Des remparts élevés, des tours qui traversaient les nues et que ni les machines ni les béliers ne pourront jamais ébranler[145], y abritaient non seulement le palais et les jardins, les thermes et les viviers, mais encore des magasins abondamment pourvus de vivres[146]. La villa portait dès lors le nom germanique de Burgus, forteresse, et deviendra au moyen âge la ville de Bourg[147]. Bien d'autres habitations durent sans doute aux défenses dont elles étaient munies une sécurité au moins relative. Une mosaïque trouvée en Numidie, où des causes analogues obligeaient peut-être aux mêmes précautions, représente une villa d'importance moyenne : l'édifice principal se compose de deux grands pavillons carrés, surmontés d'une sorte de coupole, et percés au centre d'une porte monumentale. Près de cette porte se dresse une tour à trois étages[148] : cette tour, d'où l'on interroge l'horizon, mais où l'on peut aussi se réfugier en cas d'alerte, n'est-elle qu'un simple belvédère ? ou n'annonce-t-elle pas déjà le donjon des temps féodaux ?

La Gaule prend ainsi, peu à peu, l'aspect d'un camp retranché. Le noble a sa maison forte et sa tour, la ville a ses remparts, tout gros village, vicus, se met sur la défensive. C'est encore, par une sorte d'atavisme, un retour à l'oppidum gaulois, à ces lieux forts où se concentraient les populations indigènes, et d'où elles bravèrent souvent les armes de Rome. Maintenant, on les rétablit pour abriter les trésors de la civilisation romaine contre la barbarie du dedans et du dehors. Ce que l'initiative privée on locale a fait ainsi un peu au hasard, une stratégie plus savante le complète par de nombreux postes militaires. Constance Chlore s'efforce à la fois d'assurer la défense des côtes, d'établir des communications régulières entre la Gaule et la Bretagne, de relever d'anciennes places fortes et d'en créer de nouvelles. Il répare les murs d'Autun, à moitié détruits en 269[149], fonde Boulogne et Coutances, fortifie Harfleur, restaure des voies militaires, crée des forteresses ou des camps à Paris, à Avenche, et en divers lieux de l'intérieur[150]. De son règne ou de ceux de ses successeurs datent apparemment plusieurs des camps de César, dont les retranchements encore visibles perpétuent au milieu de nos campagnes le souvenir de la domination romaine[151].

Aux changements que la nécessité de se défendre contre des dangers nouveaux amena dans la vie sociale et même dans l'aspect extérieur de la Gaule, correspond une modification profonde dans l'administration militaire du pays.

Jusqu'au iv siècle, l'organisation militaire en vigueur sous Auguste avait à peu près persisté. L'intérieur de la Gaule ne contenait presque pas de soldats romains. Les légions destinées à la couvrir étaient échelonnées sur toute la ligne du Rhin. Cent mille hommes environ, composés pour moitié de légionnaires, pour moitié de soldats appartenant aux cohortes ou aux ailes auxiliaires, s'y trouvaient massés. Non seulement ils opposaient aux envahisseurs germains une barrière presque impénétrable, mais encore ils devenaient le noyau d'une belliqueuse population de frontière. Comme les légionnaires romains changeaient peu de garnison, et que toute la carrière d'un soldat s'écoulait le plus souvent dans le même campement, il arrivait d'habitude que les vétérans, leur temps de service accompli, s'établissaient avec leurs femmes dans le voisinage des lieux où ils avaient toujours vécu. Ces familles, d'origine militaire, devenaient à leur tour la pépinière des légions, et formaient une réserve presque héréditaire de traditions soldatesques et d'esprit patriotique.

Les troubles civils et les longues guerres intestines de la dernière moitié du IIIe siècle entamèrent ce bel ordre. L'empire gallo-romain, fondé par Posthume et ses successeurs, et détruit d'une manière si impolitique par Aurélien, ne put crouler sans entraîner avec lui une partie de l'ancien système de défense[152]. Par la brèche ouverte se précipitèrent les Barbares. On a vu comment l'instinct de la préservation immédiate fit reporter dans l'intérieur de la Gaule et disperser en une multitude de lieux tous les moyens de résistance. La barrière brisée sur le Rhin fut relevée par morceaux autour des villes, des bourgs, des villages, des grands domaines. Mais à tant de points fortifiés ne pouvaient suffire les milices locales. Le Ir siècle vit placer des garnisons régulières dans les provinces gauloises, qui, aux beaux temps de l'Empire, ne contenaient pas trois mille soldats. On avait renoncé à les protéger en bloc, et l'on se voyait contraint de les défendre en détail. Puisque l'invasion passait maintenant, il fallait se mettre en mesure de lui opposer partout quelque digue. De là l'état nouveau que reflète la Notitia Dignitatum, mais qui remonte certainement à une époque antérieure à celle où fut rédigé ce document, et, selon toute vraisemblance, à un temps voisin du moment qui nous occupe[153]. La Gaule est alors partagée en nombreux commandements militaires, comprenant. un plus grand nombre de subdivisions. Fantassins et cavaliers des légions et des troupes auxiliaires sont répartis entre toutes les grandes villes. Il y a presque autant de villes de garnison dans la Gaule du IVe siècle que dans la France de nos jours. A vrai dire, c'est déjà le système moderne ; l'organisation militaire de notre pays, à cette époque, ressemble plus à ce qu'elle est à l'heure présente qu'à ce qu'elle était au temps d'Auguste et de Trajan[154]. Quant à l'organisation de ses forces navales, au Ir siècle, elle n'offre d'analogie ni avec les temps anciens ni avec l'époque moderne ; aux deux flottes, dites de Bretagne[155] et de Germanie[156], qui avaient leur port d'attache, l'une près de Boulogne, l'autre près de l'embouchure du Rhin, s'ajoutent, dans le nouveau système de défense do la Gaule, plusieurs flottilles destinées aux cours d'eau de l'intérieur, le Rhône, la Saône, la Seine[157], ou même aux lacs[158].

Quand Julien, — après avoir franchi les Alpes par une température de décembre si exceptionnellement douce, qu'on se serait cru au printemps[159], — mit le pied sur le sol gaulois, il arrivait dans un pays affaibli par des révoltes, des usurpations, les répressions qui avaient suivi, et surtout désolé par les Barbares. Ceux-ci occupaient, dit-il, une partie des Gaules, poussant leur pointe jusqu'à trois cents stades en avant de la rive du Rhin. Leurs bandes campaient dans les champs ravagés, autour des villes en ruine. Les villes démantelées par eux pouvaient s'élever à quarante-cinq[160], sans compter les tours et les forteresses[161]. Même des cités placées en dehors de la zone envahie se dépeuplaient, la peur en chassant les habitants[162]. Libanius prétend que certaines villes étaient réduites à un si petit nombre de citoyens, qu'on labourait et qu'on ensemençait leurs places publiques[163]. Cependant le pays, on l'a vu, n'était pas privé de tout moyen de défense. Il était même assez fortifié et garni d'assez de troupes pour arrêter à chaque pas l'envahisseur. La manière dont le jeune César y fut reçu montre que les Gallo-Romains n'attendaient qu'un chef digne de ce nom pour se rallier autour de lui[164].

La première ville où Julien ait fait son entrée est Vienne, autrefois l'une des métropoles de la Narbonnaise, devenue, lors de la réorganisation provinciale de 297, la ville éponyme de l'un de deux grands diocèses entre lesquels fut alors divisée administrativement la Gaule, et le chef-lieu de la province qui portait son nom. Peu de villes paraissent avoir été plus vivantes. Les historiens, les poètes, les empereurs mêmes semblent épuiser toutes les épithètes pour la louer : c'est Vienne la Belle[165], l'antique et noble cité[166], l'opulente[167], l'abondante en vignes[168], la très ornée et très vaillante[169]. Assise, comme Lyon, au bord du Rhône, qui était l'une des principales voies commerciales du monde romain, elle ressemble beaucoup, pour l'activité et la richesse, à cette métropole des Gaules. Vienne a, comme Lyon, de puissantes corporations, parmi lesquelles celle des bateliers et celle des négociants en vin tiennent le premier rang. Elle semble avoir été le siège d'un des bureaux de la douane ; elle est souvent la résidence du commandant de la flotte du Rhône. Ses magistrats municipaux sont nombreux : duumvirs chargés de la justice, duumvirs préposés aux finances de la ville, triumvirs administrant son domaine, édiles, questeurs[170]. La vie de l'esprit y est active : on y reçoit de Rome les livres nouveaux : Martial était joyeux d'apprendre que ses poésies faisaient les délices des Viennois[171]. Mais si l'on goûtait, à Vienne, ces lectures profanes, il s'y trouva aussi de bonne heure un groupe chrétien plein de zèle et de courage, auquel ne manqua même pas la gloire du martyre ; l'un des monuments les plus authentiques et les plus vénérables de l'antiquité ecclésiastique est la lettre écrite en commun pendant la persécution de Marc Aurèle par les fidèles de Lyon et de Vienne à ceux d'Asie et de Phrygie[172]. Au milieu du IVe siècle, le christianisme parait avoir été déjà la religion dominante dans la population viennoise[173] : il s'y montre assez puissant pour que ceux-là mêmes qui lui étaient secrètement contraires se croient quelquefois obligés d'en affecter les sentiments[174]. Mais le paganisme y avait été autrefois très prospère. Les inscriptions nous font voir tous les dieux du Panthéon romain adorés dans Vienne[175], et avec eux les divinités étrangères, Isis[176], Cybèle[177], Mithra[178], et les divinités indigènes, Vienne elle-même, déesse topique, le dieu Sucellus[179], les Matres[180]. On trouve à Vienne des flammes et une flaminique d'Auguste[181], des flammes de Mars[182], des flammes de la Jeunesse[183], des pontifes[184], des augures[185], des sévirs augustaux[186]. On ne peut dire ce qui restait de ce clergé païen sous Constance ; mais les partisans de l'ancien culte, bien que maintenant en minorité, étaient probablement nombreux encore dans la capitale de la Viennoise. Un propos, rapporté par Ammien Marcellin, montrera qu'ils n'avaient point abandonné l'espoir de rendre la prééminence à leurs dieux humiliés.

Julien fut accueilli à Vienne comme un sauveur. Les habitants de la ville et des environs l'attendaient en dehors des portes. Les magistrats, les fonctionnaires de tout ordre se tenaient à leur tête[187]. Probablement, comme lors de l'entrée de Constantin à Autun, en 311, les corporations industrielles et ouvrières, les associations de toute sorte, étaient là aussi, avec leurs étendards, qui, au Iva siècle, figuraient dans toutes les fêtes[188]. Mais on ne voyait plus, comme on les avait encore aperçues alors, les statues des dieux portées en procession au-devant du prince[189]. Les lois de Constance, comme les sentiments de la majorité de la population viennoise, se seraient opposés à toute démonstration païenne. Dès que parut, au loin, le cortège impérial, une grande acclamation s'éleva. Salut, clément et heureux empereur ! criait-on de toutes parts[190]. Pendant que le César parcourait avec sa suite les rues pavoisées[191], les regards du peuple ne pouvaient se détacher de lui. Quand une couronne de fleurs, suspendue au milieu des guirlandes en travers d'une rue, rompit ses liens et lui tomba sur la tête, les applaudissements éclatèrent[192]. Tous, dit Ammien, contemplaient d'un œil avide la pompe royale entourant non plus un usurpateur, mais un prince légitime[193]. On est toujours surpris quand on aperçoit, dans le monde romain, quelque chose ressemblant au sentiment légitimiste. Cependant la réflexion d'Ammien parait exprimer autre chose que la fatigue ou l'indignation du peuple des Gaules pressuré pendant trois ans par l'usurpateur Magnence. Il semble qu'un attachement profond et déjà traditionnel unit la nation à la famille de Constantin. Il y avait soixante-trois ans que cette famille régnait sur la Gaule, puisque Constance Chlore y avait été envoyé par Dioclétien avec le titre de César en 292. Sauf le second Constance, qui n'y fit que de courtes apparitions, chacun de ses membres y avait longtemps résidé, l'avait comblée de faveurs et défendue avec succès. Aussi la sympathie publique allait-elle spontanément au jeune prince en qui revivaient Constance Chlore, Constantin et Constant. II semblait porter dans ses mains le remède à tous les maux[194]. C'était le Génie de l'Empire qui apparaissait sous ses traits aux Viennois charmés[195].

Pour quelques-uns d'entre eux, c'était autre chose encore, s'il faut prendre pour authentique un propos rapporté par Ammien Marcellin, auquel nous avons déjà fait allusion. L'historien raconte qu'une vieille femme aveugle, entendant le bruit du cortège et les acclamations de la foule, demanda quel personnage faisait son entrée dans la ville. Julien César, répondit-on. C'est lui qui restaurera les temples des dieux, s'écria l'aveugle[196]. N'y a-t-il là qu'un mot forgé après coup, comme tant de mots historiques ? Ou serait-ce la parole en l'air d'une vieille femme qui se serait trouvée vraie par hasard ? Ou doit-on croire que quelques-uns au moins, parmi les païens des Gaules, avaient été avertis par leurs coreligionnaires orientaux des vrais sentiments de Julien ? Cette dernière hypothèse n'est pas impossible, si l'on se rappelle que Vienne, comme Lyon, recevait par le Rhône non seulement des marchandises, mais les communications de toute sorte importées d'Orient, et que de l'Asie, à toute époque, bien des idées, bien des opinions, bien des rumeurs pénétrèrent par cette voie jusqu'au cœur de la Gaule.

Julien passa la moitié de l'année 356 à Vienne, où il prit pour la première fois les insignes du consulat[197]. Son hiver fut laborieux[198]. Improvisé souverain et général, Julien avait tout à apprendre. Il voulut étudier l'un après l'autre les exercices militaires, et jusqu'à ceux que, pour assouplir les soldats romains, on leur faisait exécuter en cadence aux sons de la flûte. Comme il dansait ainsi la pyrrhique : Ô Platon, Platon ! s'écria-t-il, souriant et soupirant à la fois[199]. Mais le disciple de Platon était résolu à faire son devoir. Il se proposait l'exemple de Marc Aurèle[200], qui sut travailler sans relâche à son perfectionnement moral tout en gouvernant son Empire et en guerroyant contre les Barbares. Julien dut sentir s'éveiller en lui l'instinct militaire, que n'eut jamais Marc Aurèle. Ammien nous dit que, pendant ses premiers mois de séjour en Gaule, poussé par sa vigueur native, il ne rêvait que le bruit des combats et le massacre des Barbares[201]. Son regard politique portait plus loin : se traçant des plans de gouvernement, il recherchait d'avance les moyens, si le sort des armes était favorable, de rétablir la prospérité de la Gaule ou, selon l'expression de l'historien, de réunir les fragments de la province brisée[202].

Pendant son séjour à Vienne, Julien se trouva indirectement mêlé à la politique générale de Constance, dans ce qu'elle pouvait avoir pour lui de plus compromettant ou de plus odieux. Mais il la subit sans doute plus qu'il ne s'y associa, et l'on peut croire que son nom figura au bas des actes qui devaient porter les signatures réunies de l'Auguste et du César, sans qu'il ait même été consulté. Il n'en est pas moins piquant de voir Julien contresigner la loi rendue par Constance en avril 356 pour interdire, une fois de plus, le culte païen, et contenant cette sanction, heureusement fort atténuée dans la pratique : Nous ordonnons que la peine capitale soit appliquée à tous ceux qui seraient convaincus d'avoir sacrifié ou d'avoir adoré des idoles[203]. Mais Constance, nous l'avons déjà dit, à son désir d'abattre le paganisme joignait un désir non moins ardent de faire triompher l'hérésie arienne. La Gaule avait été en grande partie préservée de celle-ci. Cependant les ariens y suppléaient au nombre par l'audace. A leur tête était l'évêque d'Arles, Saturnin, l'intime ami des deux principaux champions de l'arianisme en Occident, les illyriens Ursace et Valens. Les orthodoxes, de leur côté, venaient de faire une précieuse recrue en la personne d'Hilaire de Poitiers. Né dans cette ville, de bonne bourgeoisie, Hilaire était monté du paganisme au christianisme par un chemin inverse de celui qui fit descendre Julien du christianisme au paganisme, mais assez semblable à la voie que suivit, au ne siècle, saint Justin, que suivra tout à l'heure saint Augustin : la philosophie l'avait conduit à Dieu, l'étude lui avait mis entre les mains les livres de l'Ancien Testament, et la lumière entrevue dans ceux-ci était devenue tout à fait évidente et victorieuse après la lecture de l'Évangile[204]. Philosophe, orateur, poète, il était converti depuis peu d'années, quand, le siège épiscopal de sa ville natale étant devenu vacant, le suffrage populaire l'y porta, encore laïque. Hilaire, à peine devenu évêque, adressa à Constance une requête hardie, protestant contre la faveur accordée aux ariens et demandant la liberté pour les catholiques[205]. Il revendiqua plus hardiment encore cette liberté au concile de Béziers, tenu dans les premiers mois de 356[206] sous la présidence du champion de l'arianisme, Saturnin d'Arles. Mais les ariens refusèrent de l'entendre ; ils le dénoncèrent à Constance, en réclamant son bannissement. Constance l'exila en Phrygie et frappa de la même peine Rhodan, évêque de Toulouse. On ne sait trop comment Julien se trouva mêlé à cette affaire. Il reçut probablement de Constance l'ordre de faire arrêter les deux évêques et de les faire embarquer pour leur lointaine destination. Peut-être même désapprouva-t-il ces rigueurs et eut-il la main forcée, soit par les réclamations insolentes des ariens, soit par l'injonction impatiente de l'empereur. Dans un écrit adressé de l'exil à Constance, Hilaire semble dire qu'en le bannissant on avait fait injure à Julien lui-même. J'ai, dit-il, un grave témoin à l'appui de ma plainte : c'est mon seigneur Julien, ton religieux César : lors de ma condamnation à l'exil, il a eu à souffrir des méchants plus d'affronts que moi d'injustices[207]. Ces lignes, assez difficiles à expliquer, montrent au moins que Julien était demeuré personnellement étranger aux querelles entre ariens et catholiques, et que rien ni dans sa conduite ni dans ses paroles ne l'avait encore rendu suspect à ceux-ci.

Cependant Julien eut bientôt autre chose à faire qu'à servir, à son corps défendant, la politique religieuse de Constance. Les Germains, qui n'avaient pas remué depuis son arrivée en Gaule (du moins les historiens ne signalent aucune incursion de Barbares dans les premiers mois de 356), recommençaient leurs attaques. Julien apprit, au mois de juin, qu'ils avaient failli prendre Autun. La prise d'Autun eût été un désastre, car cette ville renfermait plusieurs manufactures d'armes[208], qui formaient un véritable arsenal. Mais ses moyens de défense étaient faibles. Bien que ses murailles eussent été réparées par Constance Chlore, leur vétusté, dit Ammien, les rendait presque inutiles[209]. Amollie par le séjour des villes, la petite garnison d'Autun, qui occupait les vastes casernes construites pour être le quartier d'hiver des légions[210], ne savait plus se battre[211]. Heureusement il y avait dans les environs de nombreux vétérans, soldats de réserve qui, en temps de guerre, pouvaient être rappelés à l'activité[212]. Ceux-ci prirent les armes, firent une résistance désespérée. Courant aux murailles, criant : Julien César ! ils renversèrent les assaillants déjà parvenus au haut de leurs échelles[213]. Excitée par leur exemple, la garnison reprit courage. Elle fit une sortie, et acheva la déroute des Barbares. Ceux-ci se hâtèrent de lever le siège. Ému du danger que venait de courir une ville classée jadis parmi les plus fortes et située presque au cœur des Gaules, Julien résolut de prendre sans plus tarder l'offensive. En vain son entourage essayait de le retenir, lui vantant les agréments de la vie de la cour, les charmes d'un repos prolongé au sein du luxe impérial[214] : Julien fit ses préparatifs[215], et, emmenant ce qu'il put rassembler de troupes, il se mit en route avec l'assurance d'un vieux général[216]. Il arriva, le 24 juin, à Autun[217].

Cette ville lettrée avait de quoi le retenir. Par ses rhéteurs, par ses étudiants, par ses écoles dont les bâtiments somptueux, entourés de portiques sous lesquels se déployait en couleurs la carte immense de l'orbis romanus[218], s'élevaient entre le Capitole et le temple d'Apollon[219], elle offrait au jeune César une lointaine image de sa chère Athènes. En d'autres moments, sans doute, il aurait eu plaisir à y demeurer. La pensée ne lui en vint même pas. Prenant seulement le temps de faire reposer ses soldats, il ne s'inquiéta que de la route la meilleure pour gagner Auxerre. La contrée aux environs d'Autun était, dès l'époque de Constantin, presque redevenue sauvage : les vignobles avaient dégénéré ; des fondrières et des marécages s'étaient formés ; on eût dit un vaste désert inculte, hérissé, muet, ténébreux[220]. Probablement les désastres des dernières années n'avaient fait qu'aggraver cet état. Aussi, pour déterminer la direction à suivre, fut-il nécessaire de réunir une sorte de conseil, où furent convoqués les gens du pays qui en connaissaient le mieux les chemins. Les avis furent différents : les uns proposèrent des routes plus sûres, mais plus longues ; d'autres rappelèrent que naguère un général, avec plusieurs milliers d'hommes des cohortes auxiliaires, avait suivi un chemin à travers bois, dangereux parce qu'à la faveur des ténèbres les surprises de l'ennemi y étaient faciles[221], mais beaucoup plus court. La volonté d'arriver vite, probablement aussi le désir d'imiter un acte d'audace[222], décidèrent Julien à imiter cet exemple. Il choisit parmi ses troupes un escadron de cataphractaires, — sans doute ces cavaliers à la souple armure de mailles de fer que Constance avait introduits dans l'armée romaine[223], — et un détachement de ballistarii, soldats d'infanterie légère[224]. L'expérience militaire d'Ammien lui fait critiquer ce choix et (pour des raisons qui nous échappent) juger peu sûre une escorte ainsi composée[225]. Julien parvint cependant sans encombre à Auxerre. Il prit à peine le temps de s'y reposer, et partit pour Troyes. En route, il fut attaqué par les Barbares. Il se tint d'abord sur la défensive, craignant, s'il faisait un mouvement en avant, de rencontrer des adversaires plus nombreux ; puis, s'enhardissant, il fit prendre à ses soldats des positions bien choisies, d'où ils se précipitèrent sur l'ennemi et firent quelques prisonniers ; mais la pesanteur de leurs armes ne leur permit pas de continuer la poursuite[226]. Ce premier succès donna confiance à Julien ; à travers mille difficultés, il parvint avec sa petite troupe jusque devant Troyes, investie par une multitude de Barbares. La panique y était si grande que, quand Julien parut à l'une des portes de la ville, on hésita d'abord à, lui ouvrir, croyant voir l'ennemi[227]. Sa présence avait suffi probablement à disperser sur ce point les bandes toujours mobiles des envahisseurs, car à peine s'arrêta-t-il à Troyes, dans sa hâte de se diriger vers Reims, où l'attendait le gros de l'armée romaine, concentrée sous le commandement de deux généraux, Marcel et Ursicin.

Ursicin était ce maître de la cavalerie qui, en 355, avait traîtreusement fait périr à Cologne le malheureux Silvain. Marcel venait d'être envoyé en Gaule pour lui succéder dans le commandement des troupes ; mais Ursicin devait demeurer avec elles jusqu'à la fin de la guerre. A en croire Julien, les deux généraux étaient chargés avant tout de le surveiller. Ils avaient l'ordre écrit d'avoir l'œil sur moi encore plus que sur l'ennemi[228]. Julien, de son côté, avait reçu pour mission moins de commander l'armée que d'obéir aux généraux qui la commandaient[229]. On craignait de moi quelque révolte, ajoute-t-il[230]. La vérité est que Constance pouvait encore avoir une autre crainte. Julien n'avait aucune expérience des choses militaires quand il fut envoyé en Gaule. Il ne savait même pas ce que sait le simple soldat. L'empereur était excusable de n'avoir pas deviné que celui qui hier encore était un étudiant d'Athènes se révélerait subitement homme de guerre. Qu'il ait voulu le mettre d'abord à l'école de généraux expérimentés, cela n'est pas pour surprendre, et le contraire eût indiqué de la part de Constance une insouciance singulière. Qu'il ait même remis à Julien des instructions minutieuses[231], qu'il l'ait traité un peu, selon l'expression d'Ammien Marcellin, en enfant et en écolier[232], l'âge du jeune César explique suffisamment ces précautions. Julien lui-même semble les avoir jugées utiles, car il raconte qu'avant de partir il supplia Constance de lui remettre des espèces de lois écrites, dont l'observation serait un gage de sa fidélité[233]. Une seule chose semble indiquer à son égard une défiance dépassant les limites de la prudence ordinaire et touchant à la mauvaise politique. Tous les moyens de s'attacher les soldats lui furent refusés ; il lui fut même interdit de leur faire les dons et les distributions en usage soit lors de l'avènement d'un nouveau prince, soit en récompense de leurs services ou en réjouissance d'une victoire[234].

Les deux généraux qui commandaient l'armée des Gaules n'aspiraient qu'au sommeil, dit Libanius[235]. Si cela est vrai[236], ils furent vite réveillés par Julien. Dès son arrivée, un conseil de guerre fut réuni. Bien que les instructions de Constance refusassent à Julien la responsabilité du commandement, il semble que son ascendant se soit imposé tout de suite. Ammien Marcellin, qui faisait partie de l'armée, raconte les faits comme si dès lors Julien avait tout dirigé. Le conseil de guerre décida de marcher vers le Rhin. L'objectif de la campagne était la délivrance de Cologne. Tout l'est de la Gaule se trouvait couvert de bandes de Germains. A Dieuze[237], l'armée romaine courut un grand péril. Elle marchait sans se garder assez ; les soldats, encouragés par la présence du nouveau César, montraient une ardeur inaccoutumée[238]. A la faveur du brouillard, les ennemis, défilant à travers bois, attaquèrent les derrières de l'armée et faillirent envelopper deux légions. Le bruit du combat fut entendu par les cohortes auxiliaires, qui rebroussèrent chemin, se portèrent en hâte vers l'arrière-garde et parvinrent à la dégager. Ce fut, dit Ammien, une leçon pour Julien : la marche de l'armée se fit désormais avec plus de lenteur et de prudence[239]. Cette marche eût pu être dangereuse, à travers une contrée remplie de villes et d'oppida plus ou moins fortifiés, sans la singulière répugnance des Germains, qui les empêchait d'en profiter. Fils des campagnes sans bornes et des forêts profondes, ils refusaient de s'enfermer dans les villes. Ces amas de pierres et de briques, ces mornes enceintes, ces rues sans horizon, leur faisaient peur. Ils se seraient trouvés là, disaient-ils, comme ensevelis dans des tombes, ou comme pris sous les mailles d'un filet [240]. Aussi demeuraient-ils campés aux environs des places dont ils s'étaient rendus maîtres, sans tirer parti de leurs tours ou de leurs murailles. C'est ainsi qu'il y avait des Alemans ou des Francs tout le long du Rhin, autour de Strasbourg[241], de Brumath[242], de Zabern[243], de Seltz[244], de Spire[245], de Worms[246], de Mayence[247], établis dans les campagnes, s'en appropriant les fruits, forçant les habitants à travailler pour eux, mais ne laissant pas une garnison dans les villes après les avoir pillées, et ne songeant même pas à garder les petits châteaux des montagnes. Cela explique comment Julien et ses troupes purent assez facilement s'ouvrir un passage à travers les Vosges[248], remporter un premier succès à Brumath, et, remontant de là vers Cologne, reprendre peu à peu toutes les villes que les Barbares n'essayaient pas de défendre. Les pertes des Germains ne furent pas très grandes, bien que Julien eût promis, dit-on, une récompense en argent à tout soldat qui apporterait une tête coupée[249] : on fit, dit Ammien, quelques prisonniers, on tua pendant le combat un certain nombre d'ennemis, mais la plupart échappèrent par la fuite[250].

Coblentz[251], qui avait eu de tout temps un poste fortifié[252], n'opposa pas de résistance. Entre cette place et Cologne, toutes les forteresses avaient été ruinées par les envahisseurs : il ne restait debout qu'une tour isolée[253], qui naturellement ne fut point défendue. On arriva sans obstacle à Cologne, dont les portes étaient ouvertes. Julien s'y établit, et travailla à relever de ses ruines la malheureuse cité, depuis dix mois tombée aux mains des Barbares[254]. Pendant son séjour à Cologne, un prince franc vint solliciter la paix[255] ; Julien consentit à traiter avec les chefs de quelques tribus, qui s'engagèrent à ne plus inquiéter les sujets de Rome[256]. Il s'occupa durant le même temps de deux villes voisines, dont l'une, qui avait été assaillie par l'ennemi, reçut une garnison, et dont l'autre, réduite à une extrême famine, fut ravitaillée[257].

On ne nous dit pas le nom de ces deux villes : la plus importante est peut-être Trèves, que Julien visita après avoir quitté Cologne[258]. Bien que le but en eût été glorieusement atteint, la campagne n'était pas finie. Constance, en vue probablement de seconder les opérations de Julien, était en ce moment en Rhétie, poursuivant de son côté les Barbares. Julien parait avoir alors remonté la rive droite du Rhin. Revenant de Trèves en pointe vers Strasbourg, dont il s'empara[259], il se porta rapidement dans la direction de Bâle, afin de contenir les Germains, que Constance pressait sur l'autre rive. Mais ceux-ci, se sentant pris entre l'Auguste et le César, se bornèrent à obstruer avec des troncs d'arbres abattus les chemins du pays envahi par Constance et refusèrent la bataille. Bientôt ils demandèrent à leur tour la paix, que Constance leur accorda[260]. N'ayant plus rien à faire de ce côté, Julien se dirigea vers Sens, où il prit ses quartiers d'hiver[261].

 

 

 



[1] Ammien Marcellin, XV, 1 ; cf. Zosime, II.

[2] Ammien Marcellin, XIV, 10 ; XV, 3, 6.

[3] Ammien Marcellin, XV, 3.

[4] Ammien Marcellin, XV, 3.

[5] Ammien Marcellin, XV, 7.

[6] Voir le propos jaloux d'Épictète, évêque de Centumcellæ, dans Théodoret, Hist. ecclés., II, 13.

[7] Saint Hilaire de Poitiers, Fragm. VI.

[8] Saint Athanase, Hist. arian. ad monach., 35.

[9] Ammien Marcellin, XV, 7.

[10] Ammien Marcellin, XV, 7.

[11] Ammien Marcellin, XV, 7.

[12] Saint Athanase, Hist. arian. ad monach., 35.

[13] Ammien Marcellin, XV, 7. — Sur l'entrevue de Libère à Milan avec Constance, son bannissement, son refus de tout subside, voir Sozomène, Hist. ecclés., IV, 11 ; Théodoret, Hist. ecclés., II, 13.

[14] Ammien Marcellin, XV, 4.

[15] Ammien Marcellin, XXX, 7, dit que les Alemans craignirent seulement Constant et Julien.

[16] Les contemporains sont unanimes sur ce point, à l'exception de Libanius, qui, par haine de Constance, loue le gouvernement de Magnence, Oratio X.

[17] Ammien Marcellin, XV, 4.

[18] Ammien Marcellin, XV, 5.

[19] Ammien Marcellin, XV, 5. — Julien (Orat. I, II, premier et second panégyrique de Constance, éd. Hertlein, p. 60 et 128) prétend qu'on revêtit Silvain d'une robe de femme, d'une étoffe de pourpre enlevée dans un gynécée. Nous dirons plus loin pour quels motifs le récit d'Ammien doit être préféré.

[20] Julien, loc. cit.

[21] Sur tout cet épisode, Julien mérite peu de confiance. On accordera malaisément avec le beau portrait qu'Ammien Marcellin trace de Silvain la conduite que lui attribue Julien, racontant qu'au lien de combattre les Barbares, il pillait les villes des Gaules pour en tirer l'argent qu'il don- nait ensuite comme rançon aux envahisseurs.

[22] Ammien Marcelllin, XV, 5.

[23] Ammien Marcelllin, XV, 5.

[24] Julien, loc. cit., dit que Silvain avait laissé l'enfant somme otage à l'empereur, qui ne le demandait pas. Ce qu'on connaît du caractère de Constance autorise plutôt à croire qu'il l'avait exigé.

[25] Ammien Marcellin, XV, 8.

[26] Zosime, III, 1.

[27] Ammien Marcellin, XVI, 3.

[28] Cf. Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, t. III, p. 406 et 451.

[29] Ammien Marcellin, XXI, 15 ; Julien, Oratio I, 12.

[30] Julien, Oratio I (premier panégyrique de Constance), 32 ; cf. Ammien Marcellin, XVI, 10.

[31] Ammien Marcellin, XXI, 16.

[32] Ammien Marcellin, XV, 8.

[33] Ammien Marcellin, XV, 8.

[34] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8.

[35] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 4 ; et Sozomène, Hist. ecclés., V, 2.

[36] Cette curieuse lettre, découverte dans un manuscrit du British Museum, a été publiée par Henning dans l'Hermas, 1875 ; elle porte le n° 78 dans l'édition d'Hertlein, p. 803.

[37] INTER FIDELES FIDELIS FVIT, INTER (paga) NOS PAGANA FVIT. Bulletino di archeologia cristiana, 1877, p. 118-124 et pl. IX ; 1879, p. 24 ; Atti della R. Accad. dei Lincei, 1878-1879, Transunti, p. 122.

[38] Julien, Ép. 78 (Henlein, p. 605).

[39] Cf. Zosime, III, 1.

[40] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 6 (Hertlein, p. 353).

[41] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 6.

[42] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 6.

[43] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 6.

[44] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 6.

[45] Ammien Marcellin, XV, 8.

[46] Julien, Orat. III (panégyrique d'Eusébie), 15.

[47] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 7.

[48] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 7.

[49] Ammien Marcellin, XV, 8.

[50] Julien, Oratio II (second panégyrique de Constance), 21.

[51] Julien, Orat. I (premier panégyrique de Constance), 28. — Cf. Themistius, Orat. III, IV ; Zosime, II.

[52] Ammien Marcellin, XV, 8.

[53] Au contraire, heurter le bouclier avec la lance était signe de deuil.

[54] Ammien Marcellin, XV, 8.

[55] Ammien Marcellin, XV, 8.

[56] Iliade, V, 83. C'est Ammien qui rapporte ce détail : il le tenait peut-être de Julien, ou plus probablement du chambellan Euthère.

[57] Julien, Oratio III (éloge de l'impératrice Eusébie), 16.

[58] Oratio III, 17 (Hertlein, p. 159).

[59] Ammien Marcellin, XV, 8.

[60] Cohen, Méd. imp., t. VI, pl. XII, n° 12. — Il s'agit ici des médailles frappées à Alexandrie, représentant les bustes accolés de Julien en Sérapis et (probablement) d'Hélène en Isis. Il n'y a pas, du reste, à en tirer un argument bien précis quant aux traits réels de l'un et de l'autre, car ces représentations sont de nature tout à fait idéale : Julien (beaucoup plus beau que sur ses portraits authentiques) porte sa barbe, tandis que ses médailles frappées partout ailleurs du vivant d'Hélène le montrent imberbe.

[61] Ammien Marcellin, XXI, 18.

[62] Julien, Orat. V, sur la Mère des dieux, 13 (Hertlein, p. 231).

[63] Julien, Ép. 21 (authenticité douteuse).

[64] Boissier, la Fin du paganisme, t. II, p. 248.

[65] Panégyrique, V, 14.

[66] Boissier, la Fin du paganisme, t. II, p. 252.

[67] Themistius, Orat. I, IV.

[68] Libanius, Orat. II.

[69] Julien, Orat. I, 5.

[70] Julien, Orat. I, 6.

[71] Julien, Orat. I, 7-9.

[72] Julien, Orat. I, 9.

[73] Julien, Oratio I, 11, 12.

[74] Ammien Marcellin, XXI, 16.

[75] Julien, Oratio I, 12, 13.

[76] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 3.

[77] Oratio I, 17 (Hertlein, p. 19).

[78] Panégyrique, V, 4.

[79] Ammien Marcellin, XV, 16.

[80] Oratio I, 18.

[81] Julien, Oratio I, 19.

[82] Julien, Oratio I, 20.

[83] Julien, Oratio I, 19.

[84] Julien, Oratio I, 22.

[85] Julien, Oratio I, 25.

[86] Pour la bataille de Singera, voir encore Libanius, Oratio II ; pour le siège de Nisibe, Théodoret, Hist. ecclés., II, 26 ; Vitæ Patricia, 1 ; Sozomène, Hist. ecclés., III, 15 (racontant la part prise par l'évêque saint Jacques à la défense de la ville). Le second panégyrique de Constance par Julien, écrit vers 360, raconte avec plus de détails que le premier le siège de Nisibe.

[87] Oratio I, 27, 28.

[88] Oratio I, 29-31.

[89] Oratio I, 31.

[90] Oratio I, 32.

[91] Julien, Oratio I, 33.

[92] Ammien Marcellin, XXI, 16.

[93] Orat. I, 6 (Hertlein, p. 8).

[94] Orat. I, 15 (Hertlein, p. 19).

[95] Orat. I, 13 (Hertlein, p. 16).

[96] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. II, p. 252.

[97] ... INSTINCTV DIVINITATIS, dit l'inscription de l'arc de triomphe élevé à Rome, par le sénat, en l'honneur de Constantin ; Corpus inscr. lat., t. IV, 1039.

[98] Panégyrique, IX, 2.

[99] Panégyrique, IX, 12.

[100] Panégyrique, IX, 13.

[101] Julien, Orat. III, 17 (Hertlein, p. 159).

[102] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8.

[103] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8.

[104] Voir cependant, plus bas, l'incident de Vienne.

[105] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8 (Hertlein, p. 357).

[106] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8 (Hertlein, p. 357).

[107] Eunape, Vita soph., Maximus.

[108] Eunape, Vita soph., Maximus.

[109] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8 (Henlein, p. 357).

[110] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8 (Henlein, p. 357).

[111] Julien, Oratio IV, 17 (Hertlein, p. 158).

[112] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 12.

[113] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 12.

[114] Il y avait, depuis Constantin, quatre préfets du prétoire, deux pour l'Orient et deux pour l'Occident. Les deux préfectures d'Occident étaient celle de l'Italie (comprenant l'Italie, l'Illyrie Occidentale et l'Afrique) et celle des Gaules (comprenant les Gaules, l'Espagne, la Mauritanie Tingitane).

[115] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13.

[116] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 12. Le texte n'est pas très clair.

[117] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 12.

[118] Ammien Marcellin, XV, 8.

[119] Ammien Marcellin, XV, 8.

[120] Julien, Épître au sénat et au peuple d'Athènes, 8 (Hertlein, p. 357).

[121] Libanius dit (Oratio IV) : avec moins de quatre cents hoplites. Enchérissant encore, dans l'Oratio X, il répète : trois cents hoplites des plus mauvais.

[122] Zosime (III, 3) dit, citant un passage inconnu d'un écrit de Julien, que ces trois cent soixante hommes ne savaient que faire des prières. — On remarquera qu'Amarnien Marcellin, pourtant très favorable à Julien, ne s'associe pas à ces plaintes.

[123] Lui-même le dit tout de suite après, en déclarant qu'il était moins envoyé pour commander à l'armée des Gaules que pour obéir à ses généraux, Épître au sénat et au peuple d'Athènes, 8 (Hertlein, p. 337).

[124] Ammien Marcellin, XV, 8 ; XVI, 3.

[125] Ammien Marcellin, XV, 8. Ces propos furent connus dans les cercles païens de l'Orient : Eunape (Vitæ soph., Maximus) dit qu'on envoya Julien dans les Gaules afin d'y périr dans sa royauté.

[126] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8 (Hertlein, p. 358).

[127] Sur les différences entre l'énumération d'Ammien Marcellin, la liste de Vérone, celle de Rufus, voir Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, t. III, p. 480-467.

[128] Vieil-Évreux ou Saint-Aubin.

[129] Aix ?

[130] Ammien Marcellin, XV, 11.

[131] A partir de l'an 300 (C. Jullian, Inscriptions romaines de Bordeaux, t. II, p. 298). Probablement un peu plus tôt (les Dernières persécutions du IIIe siècle, 2e éd., appendice II, p. 405). Ce mouvement est général, et s'étend à l'Italie, à la Mésie, à l'Asie Mineure aussi bien qu'à la Gaule (Duruy, Histoire des Romains, t. VI, p. 387, 444 ; Perrot, De Galatia provincia romana, p. 166).

[132] Julien, Ép. 37 (Hertlein, p. 535).

[133] Camille Jullian, Ausone et son temps, dans Revue historique, janvier 1892, p. 10.

[134] Voir le plan de Nantes (enceinte de l'an 300), dans Léon Maitre, Géographie historique et descriptive de la Loire-Inférieure, t. I ; cf. Revue historique, mars 1895, p. 348.

[135] Camille Jullian, Ausone et son temps ; dans Revue historique, janvier 1892, p. 11.

[136] Eumène, Oratio pro scholis instituendis.

[137] Voir, pour Bordeaux et l'Aquitaine, Sulpice Sévère, Dialog., I, 27.

[138] Fragment de droit anté-justinien (paraphrase des Commentaires de Gains),. découvert par M. Chatelain dans un palimpseste du séminaire d'Autun, œuvre de basse époque attribuée par Mommsen à un professeur de l'école de cette ville (Académie des inscriptions, 7 juillet 1899).

[139] Voir dans le Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1899, p. 231-238, la notice sur les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, et particulièrement sur la villa de Chiragem.

[140] Ausone, Ép. 10, ad Paulum.

[141] Bulletin de la Société des antiquaires de France, loc. cit.

[142] Voir le testament de Langres, dans Bull. di arch. crist., 1863, p. 95, 2e colonne, dernier paragraphe.

[143] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 36.

[144] Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1899, p, 234.

[145] Sidoine Apollinaire, Carmina, XXII, 118 et suiv.

[146] De même Ausone, dans ses villæ, conserve toujours des fruits pour deux ans ; Villulæ, in fine.

[147] Camille Jullian, Ausone et son temps, dans Revue historique, janvier 1892, p. 13.

[148] Voir Boissier, l'Afrique romaine, p. 157.

[149] Voir Eumène, Paneg. Flaviensium nomine Constantino Aug. dictus.

[150] Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, t. III, p. 470-471.

[151] Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, t. III, p. 408.

[152] Voir dans les Dernières persécutions du IIIe siècle, 2e éd., p. 387-407, l'appendice H, Note sur l'empire gallo-romain.

[153] On peut même le faire remonter à Constantin, car Aurelius Victor (De Cæsar., 41) dit que cet empereur changea tout l'ordre de la milice, et Zosime (II, 34) attribue (avec une injustice évidente) la ruine de l'Empire aux règlements militaires de Constantin.

[154] Comparez dans Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, t. III, la planche V, carte de l'emplacement des vingt-cinq légions dans l'Empire sous Auguste, et la planche XXI, Gaule militaire d'après la Notitia Dignitatum.

[155] Classis Britannica ; voir Desjardins, t. I, p. 364-365 et planche XV. Au temps de la Notitia Dignitatum, cette flotte prit le nom de Classis Samarica (de Samara, rivière de Somme) ; voir Ferrero, Nuove Iscrisione ed osservazioni intorno all' ordinamento armate nell' imperio romano, Turin, 1899, p. 77.

[156] Classis Germanica ; voir Ferrero, l'Ordinamento delle armate romane, p. 181-184.

[157] Præfectua classis fluminis Rhodanipræfectus classis Araricæpræfectus classis Anderitianorum (près Paris). Notitia Dignitatum, Occid.

[158] Præfectus classis Barcariorum (à Yverdun, sur le lac de Neuchâtel ; il y avait de même, pour défendre le nord de l'Italie, une flottille sur le lac de Côme).

[159] Libanius, Oratio X. — Dans son Oratio IV Libanius avait au contraire parlé de l'excessive rigueur de la saison.

[160] Libanius répète ce chiffre.

[161] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 9.

[162] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 9.

[163] Libanius, Oratio X.

[164] Libanius, dit, avec une exagération évidente, que les familles les plus illustres chez les Gaulois étaient réduites à l'esclavage. Oratio IV.

[165] Pulchra Vienna. Martial, Epigr., VII, LXXXVIII, 2.

[166] Tacite, Hist., I, 66.

[167] Ausone, De clar. urb., VIII, 3.

[168] Martial, XIII, CVII.

[169] Tables Claudiennes (discours prononcé par Glande en 48), dans Desjardins, Géogr. hist., t. III, pl. XIV, col. II, ligne 7.

[170] Allmer, Inscr. de Vienne, cité par Desjardins, Géogr. hist., t. III, p. 307,422-425.

[171] Martial, VII, LXXXVIII.

[172] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 1.

[173] Un évêque de Vienne, Verus, a pris part, en 314, au concile d'Arles ; Duchesne, Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, t. I, p. 146. Son prédécesseur, Martin, est marqué au 11 mai dans le Martyrologe hiéronymien (éd. De Rossi-Duchesne, p. 59). — Les inscriptions chrétiennes trouvées à Vienne sont nombreuses ; mais très peu paraissent antérieures au Ve siècle. L'une d'elles, cependant, porte le monogramme du Christ, de la forme dite constantinienne (Corpus inscr. lat., t. XII, 2106). Une autre (ibid., 2158), parlant d'un vieillard de quatre-vingt-dix ans et deux mois, mort in albis, rappelle peut-être la coutume de retarder le baptême jusqu'à la fin de la vie, trop répandue au IVe siècle. A signaler l'épitaphe (mais de basse époque) d'une femme louée pour avoir été pauperibus pia, mancipiis benigna. (Edmond Le Blant, Inscr. chrét. de la Gaule, t. II, n. 450, p. 122).

[174] Ammien Marcellin, XXI, 2.

[175] Voir au Corpus inscr. lat., t. XII, passim, inscriptions de Vienne en l'honneur de Jupiter, Junon, Mars, Apollon, Diane, Vénus, Pluton, Proserpine, Silvain.

[176] Inscription d'un anuboforus ; Corpus. inscr lat., t. XII, 1919.

[177] Dendrophores (C. I. L., 190) ; inscription taurobolique (C. I. L., 1827).

[178] C. I. L., 1811 ; bas-relief mithriaque, dans Cumont, Textes et monuments, t. II, p. 399-401 et fig. 320, 321.

[179] Corpus inscr. lat., t. XII, 1836.

[180] C. I. L., passim.

[181] C. I. L., 1868, 1904, 2249, 2349, 2600, 2608.

[182] C. I. L., 1899, 2236, 2430, 2458, 2536, 2600, 2613.           

[183] C. I. L., 1783, 1869,  1870, 1902, 1903, 1906, 2138.

[184] C. I. L., 1839, 1840, 1867, 2337, 2365, 2606, 2607, 2608, 2618.

[185] C. I. L., 1783, 1870, 2606, 2607, 2613.

[186] C. I. L., passim.

[187] Ammien Marcellin, XV, 8.

[188] Eumène, Paneg. Flaviensium nomine Constantino Aug. dictus.

[189] Eumène, Paneg. Flaviensium nomine Constantino Aug. dictus.

[190] Ammien Marcellin, XV, 8.

[191] Cf. Eumène, Paneg. Flaviensium nomine Constantino Aug. dictus.

[192] Libanius, Oratio X.

[193] Ammien Marcellin, XV, 8.

[194] Ammien Marcellin, XV, 8.

[195] Ammien Marcellin, XV, 8.

[196] Ammien Marcellin, XV, 8.

[197] Imp. Flavius Julius Constantinus Aug. VIII, Flavius Claudius Julianus Cæsar.

[198] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[199] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[200] Ammien Marcellin, XVI, 1.

[201] Ammien Marcellin, XVI, 1.

[202] Ammien Marcellin, XVI, 1. — Libanius, Oratio IV, dit de même qu'il passa l'hiver à délibérer.

[203] Code Théodosien, XVI, X, 6.

[204] Saint Hilaire de Poitiers, De Trinitate, I.

[205] Saint Hilaire de Poitiers, Ad Constantium Augustum, I.

[206] Sur la date du concile de Béziers, voir Tillemont, Mémoires, t. VI, p. 749, note V sur saint Hilaire.

[207] Saint Hilaire de Poitiers, Ad Constant. Aug., II, 2.

[208] Augustodorensis loricaria (fabrique de cuirasses) ; balistaria (fabrique de balistes) ; clibanaria (fabrique de cuirasses de fer) ; scutaria (fabrique de boucliers). Notitia Dignitatum, Occid. ; éd. Böcking, t. II, p. 43. Autres manufactures d'armes en Gaule : à Argenton, fabrique de toute espèce d'armes ; à Macon, fabrique de flèches ; à Reims, fabrique d'épées ; à Trèves, fabrique de balistes ; à Amiens, fabrique d'épées plates et de boucliers ; à Soissons, fabrique de (le mot manque). Ibid., p. 43-44.

[209] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[210] Eumène, Oratio pro scholis instaurandis.

[211] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[212] Tacite, Ann., I, 17, 26 ; Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. II, p. 448. — Voir dans les Analecta Bollandiana, t. IX, 1890, p. 117-134, l'histoire du vétéran Typasius (cf. la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 419).

[213] Ammien Marcellin, XVI, 2. — Libanius fait de cet épisode (Oratio X) un récit tout à fait fantaisiste.

[214] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[215] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[216] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[217] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[218] A l'imitation de la carte du portique d'Agrippa, à Rome (Pline, Nat. hist., III, 14).

[219] Eumène, Oratio pro scholis instaurandis.

[220] Eumène, Paneg. Flaviensium nomine Constantine Aug. dictus.

[221] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[222] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[223] C'était une troupe d'élite, la garde préférée de Constance. Comment concilier sa présence dans l'armée de Julien avec les plaintes de celui-ci ?

[224] Végèce, De re militari, II, 2. — Præfectus militum Balistariorum. Notitia dignitatum, Occid. ; Böcking, t. III, p. 117.

[225] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[226] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[227] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[228] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8.

[229] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8. — Les généraux étaient souverains, dit de même Libanius dans l'Oratio X.

[230] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 8.

[231] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 9.

[232] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[233] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 12.

[234] Ammien Marcellin, XVII, 9.

[235] Libanius, Oratio X.

[236] Socrate, Hist. ecclés., III, 1, dit à peu près la même chose.

[237] Decempagi.

[238] Ammien Marcellin, XVI, 3.

[239] Ammien Marcellin, XVI, 3.

[240] Ammien Marcellin, XVI, 3. — Sentiment commun à tous les Barbares ; Ammien dit de même des Huns, XXXI, 2.

[241] Argentoratum.

[242] Brocomagum.

[243] Tabernæ. — Ne pas confondre Tabernæ, Zabern, sur les bords du Rhin, avec Saverne dans les Vosges, Tres Tabernæ, dont Ammien parle ailleurs, XVI, 12.

[244] Saletio.

[245] Nemetæ.

[246] Vangiones.

[247] Mogontiacum.

[248] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes.

[249] Libanius, Oratio X. — Ce détail, s'il est vrai, indiquerait que Julien eut, plus que ne dit Ammien Marcellin, les moyens de récompenser les soldats.

[250] Ammien Marcellin, XVI, 2.

[251] Confluentes.

[252] Cet oppidum est appelé par Ammien Rigomagum. Au Ve siècle, il y a encore en ce lieu un castrum (Grégoire de Tours, Hist. Franc, VIII, 13).

[253] Ammien Marcellin, XVI, 3.

[254] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10.

[255] Libanius, Oratio X.

[256] Ammien Marcellin dit que ce fut un traité de paix. Libanius prétend qu'il y eut seulement une courte trêve.

[257] Libanius, Oratio X.

[258] Per Treveros. Ammien Marcellin, 3.

[259] Le récit un peu confus d'Ammien Marcellin (XVI, 2) pourrait faire croire que Strasbourg fut repris avant Cologne ; mais Julien dit clairement (Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10) que la prise de Cologne précéda celle de Strasbourg, qui ne peut avoir eu lieu, par conséquent, que dans cette seconde partie de la campagne... (Hertlein, p. 359).

[260] Anno nuper emenso Romanis per Transrhenana spatia fusius volitantibus, nec visus est quisquam laris sui defensor, nec obvius stetit : sed concaede arborum dense undique semitis clausis... nec resistere ansi nec apponere facem impetraverunt suppliciter obsecrantes... imperatore urgente per Reatias, Cæsare proximo nusquam elabi permittente. Ammien Marcellin, XVI, 12. — Voir, sur ce passage, Tillemont, Histoire des empereurs, t. IV, p. 684, note XXXVIII sur Constance, et Schiller, Geschichte der Römischen Kaiserzeit, t. II, p. 309.

[261] Apud Senonas oppidum tunc opportunum abscessit. Ammien Marcellin, XVI, 3.