JULIEN L'APOSTAT

TOME PREMIER. — LA SOCIÉTÉ AU IVe SIÈCLE. - LA JEUNESSE DE JULIEN - JULIEN CÉSAR.

LIVRE II. — LA SOCIÉTÉ AU MILIEU DU IVe SIÈCLE.

CHAPITRE PREMIER. — LE CLERGÉ CHRÉTIEN.

 

 

I. — Situation sociale et politique des évêques.

Malgré le coup terrible que lui avait porté la conversion de Constantin, la société païenne demeurait, au milieu du IVe siècle, presque entièrement semblable en apparence à, ce qu'elle fut aux siècles précédents. Mais elle n'était plus seule, et une autre société, toujours grandissante, apparaissait auprès d'elle. J'ai dit quelles forces conservait la société païenne. Il reste à montrer l'organisation de la société chrétienne, les éléments de la civilisation nouvelle juxtaposée au monde antique, et destinée à vivre longtemps encore à côté de lui avant de l'absorber.

Le premier de ces éléments est le clergé.

Rien ne se ressemblait moins qu'un évêque ou un prêtre chrétien et un ministre des dieux. Le pontife des divinités officielles, le desservant des temples consacrés aux dieux de la Grèce et de Rome, n'est prêtre que dans les actes du culte et dans l'enceinte du sanctuaire. Partout ailleurs il est citoyen actif, membre de l'aristocratie à Rome, de la haute bourgeoisie dans les villes, revêtu des magistratures politiques ou municipales, siégeant ici parmi les sénateurs, là parmi les décurions. A l'origine, il en avait été autrement chez les adeptes des divinités étrangères. Leurs prêtres furent d'abord des étrangers comme elles, croyants sincères ou charlatans, qui vivaient en dehors de la société régulière, occupés seulement à remplir les fonctions du culte, à étonner les imaginations et à, dominer les consciences. Mais à mesure que les religions orientales conquirent à Rome droit de cité, les grades élevés et les hauts sacerdoces furent peu à peu envahis par de vrais Romains, bientôt par des membres dévots de l'aristocratie, qui ne laissèrent plus aux ministres indigènes que les fonctions inférieures et les rites répugnants. Bien que ces nobles adorateurs de Cybèle, d'Isis ou de Mithra affectassent quelquefois d'exalter leurs dignités sacerdotales au-dessus de leurs titres politiques[1], ils n'en vivaient pas moins de la vie publique, cumulant les magistratures et les sacerdoces. Tout autre est le prêtre chrétien. Sans se désintéresser de la chose publique, il reste étranger à ses ambitions et à ses sollicitudes. Avocat ou juge comme Philogone[2], gouverneur de province comme Ambroise[3], ou préteur comme Nectaire[4], dès que l'acclamation des fidèles ou le choix d'un concile aura imposé à ses épaules la charge épiscopale, il abandonnera aussitôt ses dignités temporelles pour appartenir sans réserve au gouvernement de son Église. On cite, dans les premiers siècles, un seul ecclésiastique qui ait été à la fois évêque et magistrat ; mais c'était un hérésiarque, Paul de Samosate[5]. Si un évêque est obligé de donner son attention aux affaires temporelles de ses diocésains[6] et même de conna1tre, en certaines circonstances, de causes civiles ou de délits[7], c'est à titre d'évêque qu'il le fait, non comme investi d'une fonction étrangère à sa charge ecclésiastique et distincte d'elle. Les lois de l'Église lui interdisent d'accepter aucune fonction séculière[8], et les lois de l'État l'en dispensent[9]. L'évêque, le prêtre, s'il veut demeurer digne de sa vocation, est prédicateur, théologien, aumônier. Il vit à part, ou plutôt au-dessus, de ce qui excite les désirs et motive les actions du reste des hommes. Les soucis mêmes de la famille et ses affections exclusives seront peu à peu écartés de lui. De cette solitude intérieure, de cette tension de tout son être vers un seul but, il tire une force morale, un pouvoir de persuasion, sur lesquels l'habitude nous laisse indifférents, mais qui, dans une société moins accoutumée à leurs effets, devaient avoir une efficacité extraordinaire.

L'évêque s'opposait ainsi au pontife païen, le prêtre au ministre des dieux, non par quelque ressemblance accidentelle, mais au contraire par la différence de leur caractère et de leurs fonctions. J'ai montré, dans un précédent chapitre, que l'un des principaux remparts du paganisme en Occident était la partie païenne de l'aristocratie, demeurée en possession des honneurs et des émoluments très lucratifs des sacerdoces idolâtriques, et régnant par eux sur tout un monde de clients. Mais si elle restait dominante dans les contrées où les sièges épiscopaux étaient rares, comme la Gaule et l'Italie du Nord, son influence se trouvait contrebalancée, parfois même presque neutralisée dans celles où ils existaient en grand nombre. L'évêque apparaît ainsi, au IVe siècle, comme le seul homme capable de tenir tête, en Occident, au patricien idolâtre et de lutter d'influence avec lui. En Orient, où il n'existe pas d'aristocratie au sens politique de ce mot, et où les évêchés sont très multipliés, l'évêque a un rôle plus considérable et plus facile. Les pasteurs du peuple chrétien y forment la véritable aristocratie spirituelle et même temporelle. Isolés, ils sont déjà de grands personnages ; réunis, ils constituent une force organisée, sans égale dans le monde romain. En Occident, l'influence du sénat romain balancera encore celle des conciles ; en Orient, ils domineront sans contrepoids. Les synodes des évêques de chaque province, dont les conciles de Nicée et d'Antioche ordonnent la réunion deux fois par an[10], effaceront par la grandeur des objets mis en délibération et par la fréquence des sessions l'éclat tout extérieur des assemblées provinciales, qui se tiennent, en certaines contrées, tous les ans, ailleurs tous les cinq ans[11], et se passent le plus souvent en congratulations et en jeux. Cela est plus vrai encore des synodes ou conciles composés quelquefois de plusieurs centaines d'évêques et si fréquents, sous le règne de Constance, qu'il n'est presque pas d'année qui n'en ait vu un ou plusieurs[12] : ils auraient eu pour l'expansion du christianisme une puissance irrésistible, si les affaires de l'arianisme n'avaient presque toujours motivé leurs réunions et si la subtilité ou la violence des hérétiques ne les avait dominés trop souvent.

Ce qui faisait la force du clergé catholique, c'était moins encore le groupement accidentel des assemblées conciliaires que le lien permanent de la hiérarchie. Le ministre du Dieu de l'Évangile n'est pas seul : des clercs inférieurs aux diacres, de ceux-ci aux prêtres, des prêtres aux évêques, des évêques aux métropolitains, des métropolitains au successeur de saint Pierre, assis sur le premier des sièges apostoliques, une chaîne ininterrompue relie ensemble tous les membres du corps ecclésiastique. Rien de tel dans le clergé païen. Les grands collèges sacerdotaux de Rome n'avaient d'influence qu'en Italie : le pontifex maximus lui-même, bien qu'investi en théorie d'un pouvoir sur tous les ministres des dieux, ne l'exerçait qu'en de très rares occasions. Pour apercevoir dans le sacerdoce païen une apparence d'organisation, il faut regarder en Asie, au commencement du Iv° siècle : afin de mieux lutter contre l'Église, Maximin avait essayé de la copier et de constituer sur le modèle de la hiérarchie chrétienne le clergé idolâtre de ses provinces[13] ; mais cette création tout artificielle ne survécut pas à son auteur. Dans quelques années un semblable essai, fait par Julien, n'aura pas plus de durée : l'échec de ces deux tentatives tournera tout à la gloire et à l'originalité de l'institution chrétienne, en montrant que, même aidés de la toute puissance impériale, les règlements sont impuissants en ces matières, parce qu'ils ne sauraient transformer ni les institutions ni les hommes.

Pour comprendre l'autorité possédée, au IVe siècle, par le clergé chrétien, non seulement sur le peuple des fidèles, mais même sur le monde profane, il suffit de voir les rapports établis entre les évêques et les magistrats. Ces rapports étaient fréquents. Les lois de l'Église faisaient une obligation à l'évêque de prêter son appui aux faibles. Elles lui donnaient particulièrement pour clients les veuves et les orphelins. La correspondance d'évêques d'une époque un peu postérieure les montre exécutant à la lettre ces recommandations d'un concile tenu à Sardique en 343[14]. Nous voyons saint Basile, saint Grégoire de Nazianze recourir soit au préfet de la province, soit au préfet du prétoire, en faveur de veuves embarrassées pour le règlement de leurs affaires ou pressées par des créanciers[15]. Les canons du même concile étendaient plus encore la mission de l'évêque, en lui faisant un devoir de s'interposer toutes les fois qu'une injustice ou une misère imméritée lui seraient connues. Un condamné, même à des peines aussi graves que l'exil ou la déportation, réclame-t-il assistance de l'Église ? L'évêque doit demander sa grâce[16]. D'une manière générale, il est le protecteur de tous les opprimés. On voit des évêques intercéder pour des citoyens rebelles[17], pour une ville qu'il est question de rayer de l'album des cités[18] ; prêcher la modération à des collecteurs ou à des répartiteurs de l'impôt[19] ; demander des remises d'amendes[20] ; recommander à de hauts fonctionnaires des chrétiens et parfois même d'anciens préfets tombés dans la misère, engagés dans des procès ou menacés d'injustes poursuites[21] ; protester contre le morcellement d'une province, qui rendra plus pesant aux pauvres le fardeau de l'impôt[22].

Une seule fois l'ingérence de l'évêque créa un grave conflit. Conformément aux canons, saint Basile résista au gouverneur du Pont, et s'exposa même à d'atroces calomnies, pour défendre la liberté d'une veuve qu'un assesseur du magistrat voulait épouser malgré elle, et qui avait imploré le secours de l'évêque. Ici le débat fut vif, et le gouverneur se fût peut-être laissé entraîner par la colère à de regrettables violences, sans un soulèvement du peuple, qui adorait Basile[23]. C'est à peu près le seul exemple qui ait été conservé d'une dissidence entre les deux pouvoirs amenée par l'intervention épiscopale. On pourrait presque s'en étonner. Il est surtout des cas où, suivant les idées modernes, qui rendent l'État et ses représentants si jaloux de leurs prérogatives, il semble que le conflit eût souvent dû naître. C'est quand La juridiction ordinaire et la juridiction épiscopale se trouvaient en présence et comme en rivalité dans une même affaire. Par deux lois rendues en 321 et en 331, Constantin permit à tout plaideur de recourir à l'évêque, même sans le consentement de son adversaire, et le procès fût-il déjà commencé devant le juge civil, et il obligea ce dernier à rendre exécutoires les sentences du tribunal ecclésiastique[24]. C'est que les prêtres de Dieu sont au-dessus de tous les magistrats, dit Eusèbe en commentant ces dispositions[25]. On ne voit pas que ces derniers aient protesté, ou aient tenté par des subterfuges de retenir les affaires qui leur échappaient. Sur un autre point, ils paraissent s'être résignés aussi facilement. Constantin, tout en ne permettant pas aux évêques de connaître des délits en général, les laissait juger celui qui avaient été commis contre la religion. Un curieux tableau, tracé par saint Grégoire de Nazianze, montre son père, devenu, vers 329, évêque de cette ville, dans l'exercice de ses fonctions de juge. Il s'y montrait très débonnaire. Prenant des airs terribles, le vieil évêque menaçait les délinquants de la roue et du fouet ; puis, s'adoucissant tout à coup, se contentait de leur faire infliger, comme à des enfants, une correction manuelle[26]. A son tour, et d'un ton plus sérieux, le célèbre docteur expose dans une lettre les principes qu'il suit lui-même en ces matières. Toutes les fois, dit-il, qu'une accusation est portée devant moi, je l'examine, même si l'inculpé est un de mes meilleurs amis ou appartient à la plus haute noblesse ; car rien n'est supérieur à la loi de Dieu et de son Église[27]. Une autre lettre le montre jugeant un de ses diacres, coupable de voies de fait[28]. Cette juridiction spéciale eût facilement donné ouverture à conflit. On était dans une région indécise, dont les limites pouvaient être, en certaines circonstances, assez difficiles à marquer. Des voleurs ont dérobé dans l'église de Césarée les vêtements destinés aux pauvres. L'autorité civile les a mis en prison. Saint Basile écrit au geôlier de les remettre entre ses mains, car l'évêque seul est compétent pour connaître des péchés commis dans l'église, et cela ne concerne pas les juges. L'évêque s'efforce d'améliorer les pécheurs au lieu de les punir : il espère qu'ils sortiront meilleurs de son audience. Car ce que ne font pas les châtiments corporels infligés par les tribunaux, nous savons que souvent l'accomplit la crainte des terribles jugements de Dieu. Si le geôlier a des doutes, qu'il en réfère au comte, à la justice de qui Basile s'en rapporte[29]. On ne sait quelle suite eut l'affaire, mais comme aucun autre n'en parle, tout porte à croire que la prétention de l'évêque ne fut pas combattue, et que la prison s'ouvrit pour laisser sortir les prévenus réclamés par sa miséricorde.

En montrant aux chefs de l'Église une telle déférence, les fonctionnaires ne faisaient que suivre les exemples donnés par Constantin. Quand il avait à transmettre à des évêques une invitation ou un bienfait, il leur écrivait souvent lui-même[30], et ses lettres étaient conçues, comme le dit Eusèbe, dans les termes les plus honorables et les plus respectueux[31]. S'il n'entrait pas avec eux en correspondance directe, il tenait au moins à ce que les magistrats allassent en personne leur communiquer ses intentions. C'est ainsi qu'il charge le proconsul d'Afrique de se rendre auprès de l'évêque Cécilien pour lui annoncer la mesure par laquelle son clergé est exempté des charges municipales[32]. Aussi, un magistrat, même païen — et jusqu'à la fin du IVe siècle les magistrats païens furent nombreux —, se sent-il mal à l'aise si un évêque, pour une cause quelconque, est traduit devant lui. On raconte que le gouverneur de Cordoue, demeuré fidèle au culte des dieux, eut à juger, en 357, l'évêque d'Illiberis. Les ennemis de l'évêque le sommèrent de le bannir, conformément à des instructions de Constance. Le gouverneur répondit qu'il n'osait bannir un évêque, et qu'il ne donnerait pas l'ordre d'exil avant que le prélat eût été canoniquement déposé[33]. Cette réponse était conforme à une loi de 355, défendant d'accuser un évêque devant les juges civils avant que son procès ait été instruit par les autres évêques de la province[34].

Plusieurs exemples nous montrent des évêques entretenant avec des magistrats païens des relations courtoises et même amicales[35]. Avec les magistrats chrétiens, elles avaient un caractère plus marqué de confiance et de tendresse : l'autorité particulière que le prélat tenait de son caractère sacré s'y faisait aisément sentir. L'évêque était par le rang l'égal des plus hauts fonctionnaires ; mais il ne craignait pas de leur parler en maitre, ou plutôt en père, s'ils appartenaient à la grande famille des fidèles. Dès le lendemain de la conversion de Constantin, le concile d'Arles (314) déclare sans ambages que les magistrats chrétiens doivent être subordonnés aux évêques dans toutes les choses qui regardent la foi et les mœurs. Le fidèle appelé à un emploi public ou même au gouvernement d'une province devra, dit le septième canon, demander des lettres de communion à l'évêque de son lieu d'origine et les présenter à celui de sa nouvelle résidence, qui prendra soin de lui et pourra, s'il fait quelque chose de contraire à la discipline, le retrancher de la communion. Saint Grégoire de Nazianze se souviendra sans doute de ce canon de 314, quand, usant de son autorité épiscopale, il réprimandera un magistrat chrétien qui n'observait pas les jeûnes prescrits par l'Église et donnait des jeux où la pudeur était offensée[36]. Avec la même autorité, il dira à un autre magistrat chrétien, tenté de vengeance : La loi du Christ t'a soumis à mon commandement et à mon trône. C'est avec le Christ que tu dois gouverner. De lui tu as reçu le glaive, moins pour frapper que pour effrayer. Aussi, vois à le lui rendre un jour innocent et pur, comme il te l'a donné[37]. Et à un troisième, chargé de lever l'impôt : Toi qui as la charge de répartir entre nous tous le tribut, fais-le avec justice. Sous les yeux du Christ, tu inscris chacun, sous ses yeux tu fixes l'impôt, et quand tu marques chaque tète de contribuable, c'est avec le Verbe divin que tu comptes. Le fardeau de l'impôt est assez lourd pour des hommes libres ; n'ajoute rien à son poids et n'aggrave pas ce châtiment du péché originel... Dieu nous a placé dans ce rang sublime afin que nous puissions vous avertir, ô vous qui gérez les magistratures ![38]

Le ton s'élevait encore, quand, au lieu d'avertir, l'évêque était obligé de résister. A vrai dire, ces paroles de résistance n'étaient pas nouvelles. Si rien, dans les siècles précédents, ne rappelle les discours adressés par des chefs d'Église à des magistrats baptisés ou catéchumènes, bien des pages, au contraire, dans les écrits des apologistes et dans les Actes des martyrs, montrent les dépositaires de l'autorité ecclésiastique répétant en face des préfets ou des empereurs le Non possumus des apôtres. Quelque chose est changé, cependant : au IVe siècle — sauf pendant la courte tempête du règne de Julien —, c'est à des empereurs chrétiens ou à leurs représentants que des évêques, et à leur suite les prêtres et les fidèles, sont plus d'une fois obligés de refuser l'obéissance. On ne parle pas à un Constance ou même à un Valens comme on parlait à un Dèce ou à un Galère. Lisez la lettre d'Osius à Constance, qui le pressait de souscrire la condamnation de saint Athanase. L'évêque s'adresse à un prince persécuteur, mais à un prince chrétien. Le cri est plus perçant, comme pour pénétrer plus profondément dans une conscience qui n'est pas tout à fait fermée ; mais surtout le langage est celui de l'autorité, d'une autorité qui sera comprise même si elle est rejetée. J'ai confessé Jésus-Christ dans la persécution que Maximien, ton aïeul, excita contre l'Église, écrit le vieil évêque. Si tu veux la renouveler, tu me trouveras prêt à tout souffrir, plutôt que de trahir la vérité... Ne t'engage pas davantage, je t'en conjure. Souviens-toi que tu es un homme mortel. Crains le jour du jugement. Dispose-toi à y paraître pur et irrépréhensible. Ne t'ingère point dans les affaires ecclésiastiques. Ne nous prescris rien là-dessus. Apprends plutôt de nous ce que tu dois croire. Dieu t'a donné le gouvernement de l'Empire et à nous celui de l'Église. Quiconque ose attenter à ton autorité s'oppose à l'ordre de Dieu. Prends garde de même de te rendre coupable d'un grand crime en usurpant l'autorité de l'Église. Il nous est ordonné de rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. Il ne nous est pas permis de nous attribuer l'autorité impériale. Tu n'as aussi aucun pouvoir dans le ministère des choses saintes. Voilà ce que j'ai cru devoir t'écrire, dans le désir que j'ai de ton salut[39]. Quelquefois, cependant, le ton monte plus haut encore, comme dans le livre ou plutôt l'invective contre Constance, écrit en 360 par saint Hilaire de Poitiers. L'hérésie arienne, au service de laquelle l'empereur a mis toute son autorité, a fait des progrès effrayants. Osius, dont on vient de lire une admirable lettre, est tombé à son tour. L'évêque gallo-romain, qui avait épuisé jusqu'à cette heure tous les efforts de la modération, s'était prêté à toutes les transactions permises et à tous les compromis légitimes, éclate enfin : sa douceur se change en une sainte colère, et, de l'exil, il jette au monde chrétien ce puissant pamphlet contre l'Antéchrist Constance[40], dont le style, dit Tillemont, n'est propre qu'à un homme qui a le martyre dans le cœur[41]. A ceux qui s'étonneraient de la force des paroles, de l'audace des défis, de l'intrépidité de la résistance à un souverain tout-puissant, on pourrait répondre le mot prononcé par saint Basile dans une autre et plus récente phase de la persécution arienne. Personne jusqu'à ce jour, lui dit le préfet du prétoire, ne m'a encore parlé avec une semblable liberté. — Sans doute, répond Basile, tu n'as jamais rencontré un évêque[42].

Constance eut l'occasion d'en rencontrer. Jamais, peut-être, autant qu'au concile tenu à Milan en 365, le caractère épiscopal ne se posa dans sa pleine indépendance en face des volontés arbitraires du souverain. Quand Lucifer de Cagliari et Eusèbe de Verceil eurent, par d'habiles arguments, réduit au silence les évêques ariens, accusateurs ecclésiastiques d'Athanase, Constance se leva : C'est moi, maintenant, qui me fais son accusateur, dit-il. Peu importe, lui répondirent les deux prélats : il ne s'agit pas d'une affaire civile, où l'empereur doive être cru à cause de sa qualité, mais du jugement d'un évêque, où il faut garder une entière égalité entre l'accusateur et raccusé. L'empereur ne peut accuser Athanase de faits dont il n'a pas été lui-même témoin, et dont il ne parle que sur le témoignage d'autrui : les règles de la justice doivent être les mêmes pour tous, quel que soit leur rang[43]. Et comme Constance insistait, voulant contraindre tous les prélats orthodoxes, présents au concile, à souscrire la condamnation de l'intrépide défenseur de la foi de Nicée, ils lui répondirent d'une voix unanime que la sentence serait contraire aux canons de l'Église. Ma volonté aussi est un canon, répliqua l'empereur avec un geste menaçant, et mes évêques de Syrie me permettent de leur parler ainsi. C'est ce que ne permirent pas ses interlocuteurs occidentaux : avec une noble liberté ils exhortèrent le prince à craindre la majesté suprême, qui, lui ayant donné la couronne, pouvait la lui ôter, et à ne pas confondre la puissance impériale avec le gouvernement de l'Église. L'exil fut le châtiment de cette réponse[44] ; mais, une fois de plus, les limites respectives des deux pouvoirs, inconnues de l'antiquité païenne, pour qui leur distinction n'existait pas, furent marquées par la conscience chrétienne avec une inflexible droiture.

 

II. — Popularité des évêques.

Ce courage des prélats orthodoxes, contrastant avec la servilité des évêques de cour, donnait aux premiers une grande popularité parmi les chrétiens. Toute la population ouvrière d'Alexandrie reçoit en triomphe Athanase rappelé d'exil[45]. A Constantinople, le peuple se soulève pour rétablir sur son siège l'évêque Paul injustement chassé, et les persécuteurs sont obligés d'user de ruse pour s'emparer de sa personne et l'envoyer en exil à l'insu des fidèles[46]. A Milan, pendant le concile de 355, le peuple surveille de près les menées des ariens, est plusieurs fois sur le point de se révolter, veille toute une nuit dans l'église pour obtenir la liberté de Lucifer de Cagliari et montrer sa faveur aux évêques orthodoxes[47]. A Scythopolis, en Phénicie, Eusèbe de Verceil, exilé, est si aimé des habitants, qu'un jour, les ariens s'étant un peu relâchés de leur sévérité, le peuple le conduisit chez lui en triomphe et illumina tous les alentours de sa maison[48]. Pendant les persécutions ariennes, sous Constance, plus tard sous Valens, les évêques demeurés fidèles à la foi de Nicée eussent eu sous la main, dans beaucoup de villes, toute une armée populaire, s'ils avaient voulu opposer la violence à la violence. Ils honorèrent leur cause en se servant de cette popularité, non pour exciter, mais souvent pour apaiser les séditions.

Le genre de vie adopté par un grand nombre d'évêques devait accroître celle-ci. Sans doute il était difficile aux titulaires des grands sièges d'éviter toute apparence de faste. Le successeur de saint Pierre n'était pas seulement le premier personnage de l'Église, il paraissait aussi l'un des principaux de l'État. Constantin lui en avait comme assigné le rang, en lui donnant pour résidence la maison des Laterani, devenue l'un des palais impériaux[49]. Aussi tous les regards se portaient-ils sur lui, les uns avec admiration, d'autres avec envie. On connaît le mot d'un des chefs de l'aristocratie païenne : Faites-moi évêque de Rome, et je me ferai aussitôt chrétien[50]. L'annaliste païen Ammien Marcellin parle des grands revenus du siège de Rome, des beaux équipages et des riches vêtements du successeur des apôtres, de sa table qui l'emporte sur les tables royales[51]. Il est difficile de ne pas voir dans cette magnificence une nécessité de situation, quand même on y devrait parfois noter quelque excès. Mais la majorité des prélats vivait avec une grande modestie. Ammien Marcellin parle, en un langage ému qui a du prix dans sa bouche, de ces prélats de province que la parcimonie du boire et du manger, la pauvreté des vêtements, le front incliné vers la terre, désignent au Dieu éternel et à ses vrais adorateurs comme des hommes purs et saints[52]. Même l'évêque d'une grande ville, d'une capitale, tel que Grégoire de Nazianze, eût pu se reconnaître dans ce portrait : quand il occupera le siège de Constantinople, ses ennemis le railleront à cause de la modestie de sa table, de la simplicité de ses vêtements, de sa vie retirée[53]. D'autres, comme Eusèbe de Verceil[54] ou Basile de Césarée[55], se contentaient des habits les plus vils : Basile s'est dépouillé de ses biens, il ne possède que ses livres, et se nourrit de pain assaisonné d'herbes[56]. A Rinocorura, en Égypte, l'évêque Melanus fut surpris par des émissaires ariens chargés de l'arrêter, au moment où, vêtu d'un manteau retroussé à la ceinture et taché d'huile, il nettoyait les lampes de l'église : ils le prirent pour un serviteur, et leur erreur ne cessa pas quand, les ayant menés à la maison épiscopale, il leur apporta lui-même à manger : il fut obligé de se faire connaître[57]. Quelques-uns, pour vivre comme le peuple, n'ont pas eu à changer d'habitudes. On voit, au Je siècle, des ouvriers élevés à la dignité épiscopale. C'est le berger Spiridion, évêque en Chypre, qui, devenu pasteur des âmes, n'abandonne pas le soin de ses moutons[58]. C'est le tisserand Sévère que l'on va chercher dans l'atelier domestique pour faire de lui un évêque de Ravenne[59]. C'est un tisserand, Zénon, parent de trois martyrs du règne de Julien, qui tient à gagner sa vie en fabriquant de la toile, bien qu'évêque de la très riche Église de Majuma[60]. A leur exemple beaucoup de prêtres travaillent de leurs mains, les uns comme artisans, d'autres comme copistes[61]. Évêques et clergé rappellent ainsi saint Paul prêchant l'Évangile en faisant des tentes. Il était difficile que de tels prélats ne fussent point populaires. D'autres, de naissance plus relevée, le deviendront en se faisant peuple par la pauvreté volontaire, tout en restant grands seigneurs par l'abondance de leurs aumônes et la magnificence de leurs fondations charitables.

Ces fondations étaient considérables, et contribuaient d'autant plus à la popularité des évêques, que rien dans l'antiquité n'en avait donné le modèle. Sans doute les païens n'étaient pas étrangers à toute pensée de bienfaisance[62] : les œuvres alimentaires établies au profit des enfants pauvres par quelques empereurs, et par des particuliers à leur exemple, en sont la preuve. Mais il semble que, dans la société païenne, la bienfaisance se soit surtout mesurée à l'utilité : on venait au secours d'enfants sans ressources, destinés à être un jour des citoyens, plus volontiers qu'à celui des vieillards, des errants, des infirmes, de ceux que la maladie ou la misère irrémédiable avait frappés. Cela, bien entendu, est dit d'une manière générale, en tenant compte des exceptions. Mais la tendance incontestable était dans ce sens. La démonstration s'en trouve dans les efforts que fera Julien pour réagir et donner aux païens de son temps des habitudes de bienfaisance. Il s'indigne en les voyant laisser les malheureux sans asile. Nous invoquons Jupiter hospitalier, et nous sommes plus impitoyables que les Scythes ![63] s'écrie-t-il ; et ailleurs : L'indifférence de nos prêtres pour les indigents a suggéré aux impies Galiléens la pensée de pratiquer la bienfaisance[64]. Ils nourrissent tout ensemble leurs mendiants et les nôtres[65]. On ne peut montrer plus clairement une des différences entre les deux sociétés : dureté, chez l'une, pour ceux qui souffrent, et, chez l'autre, tendresse de cœur pour tous les malheureux. Pendant que les prêtres païens — qui, à vrai dire, n'étaient prêtres que par occasion, dans l'exercice de leurs fonctions rituelles, pour retourner, celles-ci achevées, à la vie commune — oubliaient les pauvres et les malades, les prêtres chrétiens, et en particulier les chefs des Églises, étendaient sur tous leur sollicitude, sans distinction de culte. De là non seulement la distribution d'abondantes aumônes, mais encore la construction d'établissements hospitaliers, dus quelquefois à des laïques charitables, plus souvent aux évêques. Ce sont des monuments d'un genre nouveau. Ils sont adaptés, non plus aux besoins ou aux plaisirs des heureux du monde, pour qui semble avoir été créée surtout l'architecture antique, mais à ceux des infirmes, des malades, des voyageurs, des orphelins, sans oublier les pénitents et les ascètes. Avec leurs bains, bien différents des thermes profanes, leurs jardins, leurs salles, leurs cellules, leurs portiques, ils forment, à l'intérieur ou plus souvent dans la banlieue des cités[66], comme d'autres villes[67] dont la grandeur étonne et parfois effraie les magistrats. Saint Basile — qui fonda des hôpitaux dans presque toutes les villes de son vaste diocèse[68] — sera obligé de se justifier près du gouverneur de Césarée d'avoir fait trop beau l'asile de Dieu et des pauvres. Quelqu'un osera-t-il prétendre que nous créons un péril en élevant à Dieu une demeure magnifique, et en construisant autour d'elle divers bâtiments, une maison convenable pour l'évêque, d'autres pour les serviteurs de Dieu ? en bâtissant des hospices pour les étrangers, soit qu'ils ne fassent que passer, soit que, malades, ils aient besoin de remèdes ? en leur assurant les soins nécessaires par des infirmiers, des médecins, des chevaux, des conducteurs ? A tout cela, il fallait ajouter les métiers indispensables à la vie, et toutes les inventions qui l'honorent et l'embellissent : de là, des ateliers pour le travail. C'est un ornement pour la contrée, une gloire pour celui qui la gouverne et sur lequel en rejaillit l'éclat[69].

Là même où l'évêque se trouvait, comme à Rome, obligé de frayer avec les hauts dignitaires et d'en imiter plus ou moins le genre de vie, sa popularité n'en était pas diminuée. On le voit par la carrière pleine de vicissitudes du pape Libère. L'aristocratie et le peuple semblent lutter d'affection pour lui. Quand Libère, disgracié pour avoir intrépidement défendu la foi de Nicée, reçut l'ordre de comparaître à Milan devant Constance, on le fit à grand'peine partir la nuit, car on craignait le grand amour que lui portait le peuple, dit Ammien Marcellin, populi metu qui ejus amore flagrabat[70]. Deux ans plus tard, en 357, Constance vint à Rome : les femmes les plus qualifiées, mêlées à une partie des sénateurs et à une grande foule de peuple, accoururent près de lui pour lui demander de mettre fin à l'exil de Libère[71]. Et quand l'empereur, à qui plaisaient les moyens compliqués et tortueux, eut posé à ce retour une condition étrange, le partage par Libère du pouvoir épiscopal avec l'antipape Félix, le peuple assemblé au cirque acclama Libère en criant : Un Dieu, un Christ, un évêque ![72] Peut-être est-ce la pensée de cet amour persistant des Romains qui rendit plus amère au pape la douleur de l'exil. Quoi qu'il en soit, son retour à Rome, acheté ou non par un acte de faiblesse sur lequel disputent encore les historiens, fut un triomphe, une vraie fête populaire[73]. Cette popularité, attestée par le nombre inusité d'épitaphes contemporaines de Libère où le nom de ce pape est cité à la place de ceux des consuls[74], se prolongea au delà de sa vie. Son éloge funèbre, retrouvé de nos jours, en porte la marque éclatante[75] : il y est question de démons chassés, de malades guéris par l'intercession de Libère et probablement à son tombeau[76].

Beaucoup moins populaires étaient les évêques ariens. Sans doute, parmi les prélats plus ou moins entraînés vers l'arianisme, il y eut en grand nombre des gens simples et droits, peu familiers avec les subtilités de la discussion théologique, et enclins à faire le sacrifice d'un mot ou d'une formule pour ce qu'ils croyaient le bien de la paix. Ceux-là furent souvent, dans l'administration de leurs Églises, des hommes irréprochables, et rachetèrent par leurs vertus une faiblesse passagère, que leur peuple avait à peine aperçue. Tout autres sont les chefs de l'arianisme. Possédés de l'esprit de domination, parfois même conduits par une ambition vulgaire, ils se proposent de concilier à leurs idées et à leurs personnes la faveur impériale. Souvent, ils se servent d'elle pour échanger leurs sièges contre d'autres plus importants et plus riches. Ces échanges, à peu près sans exemple en Occident, sont très nombreux en Orient, au bénéfice des ariens. L'un des plus fermes défenseurs de la foi de Nicée, le pape Jules Ier, le leur reproche dans une lettre[77], et Osius, au concile de Sardique, poursuit de mordantes paroles les évêques qui changent de ville : il les accuse à la fois d'avarice et d'orgueil, et fait remarquer qu'on n'en a pas encore vu échanger le siège d'une grande cité contre celui d'une plus petite[78]. Il semble qu'on lise dans ces paroles l'histoire d'Eusèbe de Nicomédie, qui de Béryte passa d'abord à Nicomédie, où il y avait depuis Dioclétien une résidence impériale, puis, s'élevant encore, finit ses jours sur le siège de Constantinople. Les chefs de l'arianisme sont avant tout des évêques de cour. Ils s'attachent à la personne du souverain et le suivent dans ses déplacements. Dans les rares occasions où l'empereur résidait en Occident, on avait vu quelques évêques de cette partie de l'Empire coupables de la même faiblesse : Gratus, évêque de Carthage, la reproche à plusieurs de ses collègues d'Afrique[79]. Mais elle est bien autrement fréquente en Orient. Sous Constance, les chefs de la faction arienne font pour ainsi dire partie de la cour. L'historien Sozomène raconte que Libère reçut la permission de revenir à Rome à condition qu'il serait en communion avec les évêques qui se trouvaient dans le cortège de l'empereur[80]. Ces courtisans ecclésiastiques attendaient tout de la bienveillance officielle. Macédonius, le compétiteur arien de Paul de Constantinople, est représenté par les historiens comme un homme du monde, apte aux affaires, accoutumé à traiter avec les grands[81] : il fait son entrée dans la ville, assis sur un char à côté du préfet, et celui-ci emploie des soldats à lui frayer un passage à travers la foule qui s'oppose à son installation[82]. Des scènes semblables, et plus violentes encore, se passeront à Alexandrie pour l'installation des deux intrus que l'on opposera successivement à saint Athanase[83]. Le peuple, attaché aux idées simples, aux formules nettes, aux définitions invariables, ne se sentait point en communion avec ces ambitieux, perpétuels inventeurs de professions de foi qui se corrigeaient et s'atténuaient les unes les autres. Il n'avait pas d'affection pour des évêques dont il ne se sentait pas aimé, qui tenaient souvent leur siège non de la voix populaire, mais de l'intrigue, de la faveur et même de la violence, qui ne résidaient guère[84], et avaient l'esprit appliqué à toute autre chose qu'au gouvernement de leur Église. Aussi l'histoire ne nous montre-t-elle presque jamais, entre les principaux tenants de l'arianisme et leur troupeau, cette union étroite, indissoluble, que l'on voit régner entre Libère et le peuple de Rome, Athanase et le peuple d'Alexandrie, Paul ou Grégoire et le peuple de Constantinople, Basile et celui de Césarée.

En dehors de circonstances personnelles comme celles-ci, la situation et l'influence des évêques dépendaient, naturellement, du siège qu'ils occupaient. Nous avons déjà dit que les sièges épiscopaux étaient très inégalement répartis. Tel évêque, dans les contrées où les cités étaient rares et la population clairsemée, avait un diocèse énorme ; tel autre, dans les pays où les villes étaient pressées et la population très dense, administrait un étroit district. On trouve en Afrique, en certaines parties de l'Asie romaine[85], en Égypte[86], ailleurs encore, des évêques ruraux, gouvernant de simples villages, ou même établis sur ces grands domaines (fundi) où vivait une nombreuse population de colons et d'ouvriers[87]. Ces petits prélats étaient presque aussi rustiques, parfois, que leurs ouailles, et devenaient facilement les dupes des hérétiques[88] ; aussi, dans l'intérêt de la dignité épiscopale, les conciles intervinrent de bonne heure pour limiter leurs pouvoirs et les placer sous la dépendance des évêques urbains[89]. Mais, parmi ces derniers mêmes, il y avait bien des degrés. La distance était immense de l'évêque d'une ville secondaire au métropolitain siégeant dans la capitale de la province[90], et surtout au titulaire d'un des grands sièges apostoliques, Antioche, Alexandrie, que les décisions conciliaires ont mis au-dessus des autres[91]. Quelquefois, cependant, la valeur personnelle de l'homme semblait la combler : le vieux Grégoire, évêque de Nazianze, était un personnage considérable, bien que Nazianze fût une très petite ville[92] ; son fils, titulaire du siège de Sasime, simple bourg de la Cappadoce[93], traitera d'égal à égal avec Basile, métropolitain de Césarée.

 

III. — Situation et privilèges du clergé.

Le personnel ecclésiastique groupé autour de l'évêque formait, au milieu de la population civile, une masse compacte, homogène, et comme un peuple à part. Les divers degrés de la hiérarchie cléricale correspondaient alors à des fonctions réellement exercées. On pourrait comparer le clergé de ce temps à une pyramide, assez étroite au sommet, très large à la base. Les prêtres, qui occupaient ce sommet, étaient peu nombreux : à Rome, au milieu du siècle, quarante-quatre seulement[94] ; à Alexandrie, soixante-dix ans plus tard, de vingt à vingt-cinq[95]. Moins nombreux encore étaient les diacres, puisque dans chaque ville, si grande qu'elle fût, ils ne dépassaient pas sept[96]. Les prêtres et les diacres forment l'aristocratie du clergé, l'entourage immédiat et le conseil permanent de l'évêque. Les premiers remplissent sous lui les plus hautes fonctions du ministère sacré, et sont à la tète des paroisses. L'office des seconds touche à la fois au temporel et au spirituel, car, en même temps qu'ils assistent les évêques et les prêtres dans les fonctions liturgiques, ils ont le soin des pauvres et administrent le patrimoine de l'Église. Comme celui-ci était devenu très considérable, longtemps même avant la fin des persécutions, l'influence des diacres avait crû à proportion dans la société chrétienne : aussi voit-on à Rome le premier d'entre eux ordinairement choisi pour succéder au pape[97], et les conciles obligés à plusieurs reprises de rappeler les diacres à la modestie[98]. Mais, en dépit de certaines rivalités, ces deux ordres, subordonnés l'un à l'autre, forment une même classe. Les prêtres sont supérieurs aux diacres, les prêtres et les diacres ensemble sont au-dessus du reste du clergé. Pendant les persécutions, si le siège épiscopal est vacant par l'exil ou la mort, ils se réunissent pour administrer leur Église, et correspondent même, à titre collectif, avec les Églises étrangères[99]. En permettant aux évêques ruraux, aux chorévèques, comme on les appelle, d'ordonner à leur gré des clercs inférieurs, un concile de 341 leur interdit d'ordonner des prêtres ou des diacres sans le consentement de l'évêque de la cité[100].

Bien qu'une ligne de démarcation fuit ainsi nettement tracée, les ordres inférieurs eux-mêmes étaient alors en plein exercice et en grand honneur. Immédiatement après les diacres venaient les auxiliaires que la multiplicité de leurs fonctions avait obligé de leur donner : les sous-diacres, en nombre égal à celui des diacres, et les acolytes, beaucoup plus nombreux[101]. A la suite sont nommés les autres clercs, exorcistes, lecteurs et portiers, qui dès le milieu du IIIe siècle étaient déjà cinquante-deux à Rome[102] : plus tard, dans les grandes Églises, les seuls lecteurs atteindront ou dépasseront la centaine[103]. Dans cet ordre entraient, fort jeunes, les aspirants à la carrière ecclésiastique. Il y avait à Rome un véritable séminaire de lecteurs, schola lectorum : beaucoup de grand personnages, évêques ou papes, y ont passé[104]. Au milieu du IIIe siècle, la charge de lecteur était considérée comme si honorable, qu'on y élevait quelquefois, en récompense de leur courage, les laïques qui avaient confessé la foi devant les juges[105] ; au milieu du IVe, elle était encore assez recherchée pour que des princes de la famille impériale ne dédaignassent pas d'en remplir les fonctions[106].

L'estime en laquelle l'Église tenait le travail manuel introduisait dans le clergé de plus modestes serviteurs. Les fossoyeurs, qui à Rome creusèrent les innombrables galeries des catacombes, et partout ont donné la sépulture aux fidèles morts dans le Christ, en font partie. On les voit nommés à la suite des diacres dans un document africain de 303[107]. Ailleurs ils sont rangés parmi les clercs inférieurs, entre les lecteurs et les portiers[108]. Au IVe siècle, dans les lois civiles on leur donne le nom générique de travailleurs[109], comme si leur office constituait le travail par excellence. Constantin, organisant les diverses corporations dans sa nouvelle capitale, institue à Constantinople un corps de fossoyeurs, auxquels sont accordés tous les privilèges du clergé, et qui sont au nombre de neuf cent cinquante[110]. Les auxiliaires que le développement des institutions hospitalières imposa à l'Église ne sont guère moins nombreux. Dans toutes les grandes villes se créèrent des associations d'infirmiers[111], dépendant de l'évêque, et qui lui furent parfois si passionnément attachés, qu'en cas de dissentiment entre lui et l'autorité civile on les vit troubler la paix publique et faire des émeutes[112]. C'est aussi par centaines qu'on les comptait[113]. Mais ces turbulents serviteurs n'étaient pas des clercs, bien que nourris et entretenus par l'Église.

D'elle et autour d'elle vivait toute une population religieuse, ascètes, vierges consacrées à Dieu, veuves et pauvres. En 251, les veuves et les pauvres assistés par l'Église de Rome étaient déjà au nombre de quinze cents[114]. Les pauvres, ces membres souffrants de Jésus-Christ, avaient leur place officielle et, selon le mot de Bossuet, leur éminente dignité dans l'Église. Ils y étaient immatriculés, c'est-à-dire que les vrais indigents, dignes par leur infortune, leur foi, leurs mœurs, d'être assistés par elle, avaient leurs noms inscrits sur ses registres. L'histoire de saint Laurent montre l'ordre avec lequel était tenue cette comptabilité, inconnue des âges antiques. Il faut lire cette histoire dans les vers de Prudence : elle y est racontée par un homme du IVe siècle et peinte avec les couleurs de ce temps. Les pauvres rassemblés par le diacre Laurent sont ceux qui étaient nourris par le trésor de l'Église, et que lui-même, comme administrateur, connaissait d'avance[115]. Aux pauvres il joint ce que le poète appelle dans un gracieux langage les perles du collier de l'Église, c'est-à-dire les veuves et les vierges consacrées à Dieu[116]. Mais, bien que Prudence nous montre les mendiants chrétiens répartis sur toutes les places de Rome[117], leur quartier général parait avoir été au Vatican, où ils formaient comme une garde d'honneur autour de la tombe et de la basilique de saint Pierre. Donnant des jeux en l'honneur de sa préture, le futur préfet de 365, Lampadius se fatigua des demandes indiscrètes de la foule assemblée sur les degrés du cirque : il fit venir des pauvres du Vatican, raconte Ammien Marcellin, et leur distribua les présents qui avaient été préparés pour les spectateurs[118]. Quand le sénateur Pammachius perdit sa femme Pauline, il donna un repas funéraire aux pauvres de Rome : c'est dans les nefs, dans les vestibules et sous les portiques de la basilique de saint Pierre que s'assirent les convives[119].

Telle était, à ses divers degrés, la population de clercs, de travailleurs, d'assistés et de pauvres, que chaque évêque avait dans sa dépendance. Elle s'élevait, dans les grandes Églises, à des chiffres énormes. A elle seule, elle paraissait un peuple entier, où toutes les classes se rencontraient, depuis la plus haute aristocratie cléricale jusqu'à la plus humble démocratie, reliée par la classe moyenne, que représentaient les clercs inférieurs.

L'Église exigeait de ceux-ci une vie grave, exempte de soins matériels trop absorbants[120], un extérieur digne, qui ne laissât place à aucun soupçon d'habitudes relâchées[121]. Ils menaient dans leurs maisons la vie commune, mais devaient se garder de toute dissipation : le séjour même des hôtelleries leur était interdit, si ce n'est en voyage[122]. La loi du célibat ne leur était pas imposée ; mais eux-mêmes n'étaient admis à la cléricature que s'ils n'avaient été mariés qu'une fois, n'avaient pas épousé une veuve, et ne s'étaient alliés qu'à une femme de condition honorable[123]. Plus strictes encore étaient, en matière de mariage, les règles imposées aux ecclésiastiques d'un ordre supérieur, évêques, prêtres et diacres. Le mot célèbre de Tertullien : fiunt, non nascuntur christiani, était encore, au IVe siècle, trop souvent vrai pour que le diaconat, le sacerdoce, l'épiscopat même n'ouvrissent pas leurs rangs à beaucoup d'hommes mariés. Si l'Église s'était privée d'admettre aux ordres sacrés les convertis qui se tournaient vers elle avec toute l'expérience, mais aussi avec toutes les charges et tous les engagements de l'âge mûr, elle aurait écarté du service divin de précieux auxiliaires. Le plus souvent, c'étaient des pères de famille, ces riches, ces juristes du forum, dont un concile de 343 prévoit l'ordination[124]. Tel, par exemple, l'ancien magistrat Grégoire, époux de la pieuse Nonna, qui, chrétien depuis peu d'années, fut appelé, vers l'âge de cinquante ans[125], au siège épiscopal de Nazianze. Dans des rangs plus humbles, où l'Église primitive alla souvent chercher ses ministres, parmi ces bons travailleurs qui étaient l'honneur et la force du peuple chrétien, les meilleurs, les plus honnêtes, les plus laborieux étaient mariés : comme le saint ouvrier Sévère, qui fut enlevé à l'atelier où il vivait en famille, pour devenir évêque de Ravenne, et le berger Spiridion, qu'on alla prendre au milieu de ses pâturages, entre sa femme et sa fille, pour l'asseoir sur le siège de Trimithonte. En jetant sur les épaules de tels hommes le fardeau sacerdotal ou épiscopal, l'Église ne leur demandait pas de rompre, en pleine maturité, parfois même dans la vieillesse, les liens doux et forts qui avaient jusque-là enchaîné leurs vies. Elle ne séparait pas les époux. Quelques statuts locaux leur imposaient la continence[126], et nul doute que cette pieuse pratique, adoptée dès les premiers temps de l'Église par des laïques qui se sentaient appelés à une vie plus parfaite que le commun des hommes, n'ait été fréquente aux foyers chrétiens où l'époux avait été jugé digne des ordres sacrés. Après avoir donné plusieurs enfants à son mari, sa femme devient sa sœur, et vit avec lui comme si elle était née du même père, ne se souvenant qu'il est son époux que quand elle regarde ses fils, aussi parfaitement sa sœur qu'elle le sera un jour, lorsque sera tombé le voile de chair qui divise et cache les âmes[127]. Ces paroles charmantes, écrites au commencement du IIIe siècle par Clément d'Alexandrie, s'appliquent à des laïques aussi bien qu'à des prêtres : mais nul doute que, dans la maison de ces derniers, le sacrifice réciproque dont, d'accord avec d'autres textes anciens[128] et avec plusieurs inscriptions[129], elles rappellent le souvenir n'ait été plus fréquent qu'ailleurs. La femme de Sévère, devenu avant 343 évêque de Ravenne, l'épouse de Paulin de Nole, promu au sacerdoce, ne sont plus pour eux que des sœurs[130]. Cependant l'Église universelle ne voulut pas encore, dans la première moitié du IVe siècle, faire de cette pratique une loi, laissant au temps, à la coutume, à des décisions postérieures, le soin de l'imposer peu à peu. On sait qu'au concile de Nicée la question fut agitée, et que sur les instances d'un confesseur de la foi, le vénérable Paphnuce, personnage austère, qui avait toujours gardé le célibat, mais en redoutait les dangers pour les autres, la réforme fut ajournée[131]. Dès cette époque, cependant, tout en s'abstenant d'inquiéter l'homme qui, déjà engagé dans le mariage, avait été appelé aux ordres sacrés, en respectant le fait accompli et les droits acquis, l'Église manifesta sa volonté d'avoir, un jour, un clergé célibataire : dans cette pensée d'avenir, elle interdit aux prêtres et aux diacres de se marier après leur ordination[132]. Telle était la discipline au milieu du IVe siècle. Il est facile de prévoir dans quel sens elle se développera, à mesure qu'il y aura plus de chrétiens nés, moins de chrétiens devenus, et que l'Église, ayant eu les moyens de former elle-même dès l'enfance ceux qu'elle destine aux ordres sacrés, n'aura plus besoin de les emprunter à tous les âges et à toutes les conditions de la vie. Avant la fin du IVe siècle, une décrétale du pape Sirice (385) exprimera dans toute sa rigueur la loi du célibat ecclésiastique[133], et ses prescriptions seront rigoureusement observées, an moins chez les chrétiens de l'Occident. Si quelqu'un, après cette date, est entré marié dans les ordres, on pourra écrire sur la tombe de sa femme ces mots d'une touchante épitaphe gallo-romaine : Elle vécut en respectant les droits du sacerdoce, et en ne gardant de l'épouse que le nom[134].

Plus encore que par la discipline, la population cléricale semblait séparée du reste des habitants de l'Empire par les immunités dont elle jouissait. A plusieurs reprises, les lois du IVe siècle[135] déclarent les divers ordres du clergé, y compris celui auquel un usage récent a donné le nom de travailleurs[136], exempts de toutes les charges honorables ou sordides. Dans l'Empire pliant sous le faix des impôts, une faveur aussi exorbitante eût dit, semble-t-il, attirer sur eux une grande impopularité. Mais cette faveur, examinée attentivement, est plus apparente que réelle. Une loi de 343 dispense les clercs du logement des gens de guerre ou de cour[137]. La même loi, et plusieurs autres, leur permettent de ne pas payer la patente commerciale, en supposant que par eux-mêmes ou par leurs préposés ils font un très petit commerce, dans le seul but de se sustenter ou de sustenter les pauvres[138]. Une loi de 353 les exempte des charrois et de toute espèce de corvée[139]. Plusieurs lois disent que les impositions nouvelles et extraordinaires ne les frapperont pas. Là se bornent leurs privilèges. Si des clercs font un commerce de quelque importance, ce qui n'était pas encore interdit par la discipline ecclésiastique[140], mais ce qui était mal vu des hommes religieux[141], ils sont immatriculés parmi les négociants et paient l'impôt des patentes[142]. S'ils sont propriétaires, ils doivent comme tous les citoyens l'impôt foncier, dont ne sont même pas exempts les biens des Églises[143]. Une seule de leurs immunités a, dans l'état économique du monde romain, une grande importance. Ils sont dispensés des obligations des curiales[144]. On sait la transformation opérée, bien avant le IVe siècle, dans la constitution des cités. Le décurionat n'est plus une dignité personnelle, conférée par un vote du sénat municipal, mais une condition sociale et civile, transmise héréditairement[145]. Les curiales, qui se composent maintenant de presque toute la bourgeoisie aisée, sont soumis à un grand nombre de charges, dont la plus lourde est la répartition et la levée des impôts dans chaque ville, sous leur responsabilité personnelle. Impopulaires s'ils réussissent, ruinés s'ils échouent dans cette tâche, enchaînés à la curie au point de ne pouvoir sans autorisation ni sortir de la ville ni vendre leurs propriétés[146], qui demeurent comme le gage de l'État devenu leur créancier perpétuel, les curiales sont, avec des honneurs mensongers, les plus malheureux des citoyens. Dès l'époque des Antonins, on les voit recourir à toutes les ruses pour échapper à leur condition[147]. Au IVe siècle, ils n'auront qu'une pensée, déserter la curie, dussent-ils fuir au désert, ou se cacher dans les mines, les fours à chaux, les huttes des pâtres, des colons et des esclaves. Dispenser de la curie tous les ecclésiastiques, c'est, dans l'état des mœurs et des esprits, leur octroyer un privilège énorme. Mais ce privilège est très atténué dans la pratique. Les lois qui le confèrent semblent presque une ironie, car d'autres lois, souvent renouvelées, veulent que ceux-là seulement soient admis aux ordres sacrés, qui n'appartiennent pas déjà à la classe des curiales, et qui n'ont pas une fortune suffisante pour lui appartenir un jour.

C'est ce que dit Constantin en 320 et 326[148]. Les gens de petite fortune (fortuna tenues) doivent seuls entrer dans le clergé, car il faut que les riches subviennent aux besoins du siècle, tandis que les pauvres seuls ont droit à être entretenus des richesses de l'Église. A ce plat langage de pressantes nécessités fiscales abaissent le restaurateur de la paix religieuse, le premier empereur chrétien ! Ainsi commenté, le privilège de ne pas faire partie de la curie est réduit, comme l'explique la loi de 320, à ne pas y ramener les curiales qui, avant la promulgation de cette loi, sont entrés dans l'état ecclésiastique. Pour le reste, c'est une application du principe dominant au IVe siècle, d'après lequel chacun doit vivre enfermé dans la corporation où le hasard de la naissance l'a placé, dès qu'elle touche de près ou de loin à un service public, et perd la faculté d'en sortir : on est boulanger[149] ou charcutier[150] à titre héréditaire, et l'on ne peut cesser de l'être même pour entrer dans les ordres sacrés. Quelquefois, cependant, la loi permet de suivre la vocation religieuse, en faisant à la corporation l'abandon de ses biens : cela n'est pas permis au boulanger, mais cela est permis au charcutier[151]. Cela finit par être permis au curiale. Constance comprit qu'on ne saurait, par cette seule raison qu'il était riche, écarter du clergé un homme désigné à tous les suffrages par son mérite et ses vertus. Il comprit aussi qu'il importait à l'éclat même de son règne, comme à la bonne administration de son Empire, de ne pas asseoir sur les sièges épiscopaux des candidats pris seulement dans les plus basses classes de la population et, selon l'expression de la loi de 326, tout à fait dénués de patrimoine[152]. Des bergers et des artisans étaient devenus de bons évêques, et même des saints, mais l'épiscopat ne pouvait se recruter tout entier parmi les artisans et les bergers. De là une loi de 361, qui essaie de concilier l'intérêt de la curie avec la liberté des choix ecclésiastiques. Pour les évêques, toute prohibition est levée : si un curiale est appelé à un siège épiscopal, il demeure affranchi de ses obligations envers la curie, sans être tenu en aucun cas de lui abandonner ses biens. Même faveur est faite aux prêtres, aux diacres et aux autres clercs qui auront été élus par le suffrage unanime de la population, avec l'approbation de la curie entière et du représentant de l'autorité impériale. Si cette approbation manque, le curiale appelé à l'un des ordres ecclésiastiques devra abandonner ses biens à ses enfants ou, à leur défaut, à ses parents les plus proches, afin de les mettre en état de le suppléer dans la cité. S'il n'a ni enfants ni parents au degré successible, il pourra conserver pour lui-même un tiers de son patrimoine, en faisant l'abandon des deux tiers à la curie. Quelques fonctionnaires, cependant, ne pourront dans aucun cas être admis à l'épiscopat ou à la cléricature : ce sont les magistrats municipaux et les administrateurs des greniers publics[153].

Cette loi est de la dernière année du règne de Constance : elle ne fait, en réalité, que réglementer un état de choses depuis longtemps établi par la coutume. Quand on y regarde de près, on s'aperçoit vite que les prohibitions de Constantin étaient presque partout tombées en désuétude. Entre 326, date de la seconde loi par laquelle il défend d'élever à l'épiscopat ou d'admettre aux ordres sacrés aucune personne assez riche pour prendre rang parmi les curiales, et 361, date de la loi de Constance que nous venons d'analyser, l'histoire montre un grand nombre d'évêques et de prêtres appartenant à la bourgeoisie aisée ou même à l'aristocratie. Le concile de Sardique, en 343, parait ignorer les lois de 320 et de 326, ou du moins n'en tient pas compte, car il déclare que, lorsqu'un homme riche est demandé pour évêque, on doit lui faire parcourir d'abord tous les degrés de la hiérarchie, depuis le lectorat jusqu'à la prêtrise[154]. Plus loin, le même concile fait allusion aux propriétés — parfois très considérables, dit-il, — possédées par des évêques en diverses villes[155]. Constance lui-même parait oublier la législation paternelle, quand il parle, dans la loi de 357, des clercs qui sont en même temps propriétaires ruraux[156], et les oblige à payer l'impôt foncier[157]. Quand tous les pouvoirs, ecclésiastique et impérial, considéraient ainsi, non seulement en fait, mais dans les actes officiels, les lois prohibitives de Constantin comme non avenues, on ne s'étonnera pas que le peuple chrétien et les Églises locales les aient généralement ignorées. Beaucoup des évêques consacrés après 326 et avant 361 sont gens de naissance et de fortune : Hilaire de Poitiers, Maximin de Trèves, le premier Grégoire de Nazianze, Basile d'Ancyre, Eusèbe d'Émèse, combien d'autres encore, sans doute, dont les antécédents ne nous sont pas connus ! Basile de Césarée, qui appartenait à l'une des plus opulentes familles de la Cappadoce, entre dans le clergé en 358[158]. On ne sait si les restrictions posées par Constance dans la loi de 361 produisirent tous leurs effets ; mais il est certain que la permission générale qu'elle accorde acheva de lever les derniers scrupules, là où ils existaient encore. L'orateur païen Libanius prétend que l'immunité accordée aux impies porta aux curies un coup funeste[159]. Les efforts que tenteront quelques empereurs[160] pour reprendre en bloc ou en détail les concessions arrachées à Constance par la force des choses resteront sans effet, car, pendant toute la seconde moitié du IVe siècle, l'histoire montre à chaque page des évêques ou des prêtres appartenant à la riche bourgeoisie des villes.

 

IV. — Les premiers établissements monastiques.

Le tableau de la société religieuse au milieu du IVe siècle ne serait pas complet, si l'on ne montrait la naissante institution monastique recueillant les hommes et les femmes qui se sentaient appelés à une perfection plus haute et à une vie plus retirée que les clercs eux-mêmes. Si lointaines que puissent être ses origines, c'est dans la période étudiée ici, entre la persécution de Dioclétien et celle de Julien, qu'elle s'établit partout en Orient, et fait une première apparition en Occident. La forme érémitique, adoptée par les anachorètes, cède bientôt à la forme cénobitique, ou plutôt l'une et l'autre se combinent en beaucoup de lieux, et des monastères, où les reclus vivent en commun, s'entourent d'une ceinture de cellules isolées, habitées par des solitaires. Peu à peu l'indépendance première, qui avait poussé au désert les Paul et les Antoine, se plie sous le joug de la règle, et l'on voit apparaître les grands abbés, comme les Pacôme, les Ammon, les Hilarion, régnant sur des milliers de moines.

Le mouvement commença en Égypte. La nature du sol, le caractère des habitants, les agitations religieuses du pays, en faisaient un cadre tout fait pour la première expansion monastique. Au nord, vers la Libye, au sud, dans la Thébaïde, à l'est, le long des rivages granitiques de la mer Rouge, l'Égypte offrait assez de déserts pour contenter les âmes les plus éprises de la solitude. Nulle part ailleurs on n'aurait pu se retirer si loin des grandes villes et si à l'écart du commerce des hommes. La sobriété prodigieuse et les austérités effrayantes qu'on raconte des premiers solitaires n'étaient pas pour effrayer ceux qui, d'Alexandrie ou de Thèbes, se précipitaient sur leurs traces : de tout temps le fellah a vécu de peu : les historiens de l'antiquité parlent avec admiration de l'impassibilité des Égyptiens, même au milieu des tortures[161], et Eusèbe la déclare inexplicable[162]. Si quelque motif humain se mêlait, chez plusieurs, à la ferveur religieuse, et se joignait à elle pour les entraîner vers les ermitages ou les monastères, on peut le trouver dans la haine des abus de la civilisation, et particulièrement des exigences du fisc[163], si dures partout au IVe siècle, et si détestées des habitants de l'Égypte : tel, qui eût expiré sous le bâton plutôt que de livrer aux collecteurs de l'impôt une partie de son bien[164], volontiers le distribuait intégralement aux pauvres avant d'aller demander la liberté et la paix à la solitude. Ajoutons qu'en Égypte surtout sévit, au milieu du siècle, la persécution arienne, acharnée après Athanase, en qui se personnifiait la foi de Nicée dont il était le plus intrépide champion : là était né l'arianisme, et là il déploya avec un acharnement sans exemple ses violences et ses fraudes : la vue de tels excès, la volonté de s'y soustraire, furent parmi les mobiles qui poussèrent de nombreux fidèles vers les moines, restés unanimes dans la défense de l'orthodoxie et demeurés les plus fidèles amis d'Athanase. Ainsi se formèrent, sous l'influence des sentiments les plus divers, et par un courant continu d'émigration au désert, ces grands établissements monastiques dont la croissance fut si rapide qu'à la fin du IVe siècle, au dire d'un contemporain, les sables de l'Égypte étaient aussi peuplés que ses villes[165].

Le temps se partageait dans les monastères entre la prière et le travail. Une légende pleine de poésie et de bon sens raconte comment saint Antoine fut appelé à introduire le travail manuel dans une vie primitivement vouée à la seule oraison. Il était dans le désert, et sentait son âme envahie par des langueurs et des troubles inconnus. Il s'en plaignit à Dieu. Une vision lui fut alors montrée : il lui sembla se voir lui-même, qui était assis et travaillait à faire une natte de feuilles de palmier, se relevait pour se mettre en prière, s'asseyait de nouveau pour travailler. L'ange (car c'en était un qui lui était apparu sous ses propres traits) lui dit alors : Fais ceci, et tu seras sauvé. A partir de ce moment, saint Antoine donna au travail manuel une part dans ses journées[166]. Quand il se fut enfoncé plus avant dans le désert, et retiré sur une haute montagne de la Thébaïde, il joignit le jardinage à la fabrication des nattes : on le vit défricher un petit champ pour y semer du blé, et cultiver un enclos de légumes[167]. C'est là qu'il reçut la visite du solitaire Macaire. Ils s'assirent tous deux, et se mirent à tresser des nattes. Voyant avec quelle assiduité Macaire travaillait, Antoine lui baisa les mains, en s'écriant : Il y a une grande vertu dans ces mains ![168] Ces souvenirs et ces paroles du patriarche des anachorètes, popularisés par les récits qu'on répétait dans les monastères et par la biographie d'Antoine qu'écrivit saint Athanase, contribuèrent à faire du travail manuel une des pratiques essentielles de la vie des religieux.

Le fondateur d'une des grandes agglomérations monastiques du ne siècle, saint Ammon, était d'une famille considérable. Marié, il vécut avec sa femme dans la continence. Quoique riche, il travaillait de ses mains, et passait les journées dans son jardin, occupé à la culture du baume. Après la mort de ses parents, il se sépara de sa femme, du consentement de celle-ci, qui se retira dans un monastère de vierges : lui-même se fixa sur la montagne de Nitrie, à seize lieues d'Alexandrie, aux confins de la Libye et de l'Égypte[169]. Quand il mourut, vers 340 ou 345[170], Nitrie était déjà une colonie de plusieurs milliers de moines : on en comptera cinq mille à la fin du IVe siècle[171]. Ils habitaient cinquante monastères, composés chacun de petites maisons, où demeuraient un ou plusieurs religieux : l'ensemble devait offrir l'aspect des béguinages flamands plutôt que celui des grandes constructions claustrales du moyen âge. Sur la montagne s'élevait l'église, desservie par huit prêtres, et dépendant de l'évêché d'Hermopolis. Auprès de l'église était l'hospice, ouvert aux pèlerins et aux voyageurs, qui avaient le droit d'y prolonger leur séjour pendant plusieurs mois et même plusieurs années, à condition d'y travailler : beaucoup, touchés de ce qu'ils voyaient et entendaient, embrassaient la vie monastique[172]. Enfin, les vallées environnant Nitrie étaient remplies d'ermitages, et portaient le nom de désert des cellules[173].

A l'autre extrémité de l'Égypte existait dans le même temps une colonie monastique d'une importance au moins égale. Sur les bords du Nil, dans le voisinage de le première cataracte, un ancien soldat, saint Pacôme, avait fondé, en 325 ou 330, un premier monastère : bientôt l'affluence des religieux l'obligea d'en établir huit autres[174], auxquels ses successeurs en ajouteront cinq[175] ; quatorze monastères de la congrégation de Tabenne s'élèveront ainsi en divers points de la Thébaïde. Ils avaient une organisation très différente des béguinages de Nitrie. Chaque monastère était divisé en plusieurs maisons ou familles, composées de religieux de même profession. La première famille était des cuisiniers, la seconde des infirmiers, la troisième des portiers ; il y avait des familles pour faire les nattes, le labourage, le jardinage, la boulangerie, la charpente, la serrurerie, la tannerie, le tissage, et tous les métiers nécessaires à la vie d'une grande agglomération d'hommes. Les monastères contenaient quelquefois ainsi de trente à quarante corporations différentes. Il ne faut pas oublier celle des écrivains, car dès lors les religieux avaient commencé à exercer ce métier de copistes, qui au moyen âge sauvera tant de chefs-d'œuvre de l'antiquité sacrée et profane[176]. Dans les monastères de Tabenne, les écrivains étaient surtout employés à multiplier les copies des saintes Écritures. Chaque religieux devait non seulement être en état de les lire, mais encore apprendre par cœur au moins le Nouveau Testament et le Psautier[177]. Sous une règle composée par saint Pacôme, et qui dirigeait minutieusement leurs actes[178], les moines vivaient ainsi dans le travail et la prière. Leur travail ininterrompu produisait plus que ne demandaient leurs besoins. En même temps, dans ces contrées reculées manquaient beaucoup d'objets que ne produisait pas l'industrie locale, et que les cénobites eussent été inhabiles à fabriquer eux-mêmes. De là un curieux échange entre la grande métropole égyptienne, Alexandrie, cet entrepôt de tout le commerce antique, et les monastères perdus au fond des Thébaïdes. Chacun d'eux avait son bateau, qui faisait le transit entre la capitale et le désert, s'arrêtant sur la route pour visiter les couvents échelonnés au bord du fleuve, portant vers les rives de la Méditerranée le trop-plein du travail monastique, rapportant aux cataractes du Nil les denrées reçues en échange et les bruits lointains de la civilisation[179]. Mais le fondateur n'avait pas entendu créer des colonies commerciales : il veillait à ce que l'esprit mercantile ne s'empara pas de ses moines. On le vit punir sévèrement un de ses économes, pour avoir vendu à un prix avantageux un lot de chaussures fabriquées dans le couvent[180].

La congrégation de Tabenne prospéra vite : à la fin du IVe siècle, elle comptait trois mille moines, au dire de Rufin, qui ne parait pas avoir visité tous les monastères[181]. Palladius, qui parcourut vers le même temps la Haute Thébaïde, donne le chiffre de sept mille[182]. Comme à Nitrie, l'hospitalité s'exerçait largement dans les monastères thébains. Chacun d'eux contenait une hôtellerie, où les voyageurs étaient reçus : on y admettait même les femmes, dans un logis séparé[183]. Des monastères de femmes s'établirent aussi en Thébaïde. On en conne au moins deux, fondés entre le quart et la moitié du IVe siècle[184]. Mais ils ne semblent pas s'être beaucoup multipliés, et peut-être n'étaient pas appelés à réussir : des anecdotes rapportées par Palladius semblent indiquer que la discipline conventuelle ne parvint pas à assouplir le caractère des rudes Égyptiennes qui étaient venues se mettre sous la règle de Tabenne[185]. L'influence de celle-ci fut plus efficace sur les paysans. Les campagnes de la Thébaïde étaient encore en grande partie païennes : elles le demeurèrent longtemps, puisque le temple d'Isis à Philé, protégé par le fanatisme de populations idolâtres, ne put être converti au culte du vrai Dieu avant le VIe siècle[186]. On raconte que, sur le conseil de l'évêque de Dendérah, Pacôme construisit à Tabenne, outre l'église monastique, une seconde église destinée aux bergers des environs. La curiosité les poussant, ceux-ci s'y assemblaient le samedi et le dimanche pour entendre la parole de Dieu. Comme il n'y avait pas encore de lecteur, Pacôme leur faisait lui-même la lecture des saints Livres. Il convertit plusieurs de ces idolâtres et les décida à demander le baptême[187].

De l'Égypte, la vie monastique se répandit dans tout l'Orient romain. Près d'Arsinoé (Suez), Sérapion commanda à plusieurs milliers de moines, qui louaient leurs bras pour la moisson, et transformaient leur salaire en aumônes[188]. Saint Hilarion fonda, vers 328, les premiers monastères de Palestine, et ce pays compta bientôt trois mille religieux[189]. La Syrie, la Mésopotamie, se couvrirent de couvents avant le milieu du iv siècle. C'est à ce moment (339) que saint Athanase, chassé par la persécution arienne, vint à Rome. Deux cénobites de Nitrie l'accompagnaient. Leur apparition, qui donnait corps à de vagues et lointains récits, frappa vivement le grand monde chrétien de l'Occident. La biographie d'Antoine, apportée par saint Athanase, y fut lue avec avidité[190]. De pieuses femmes de l'aristocratie se réunirent dans le palais d'une descendante de Marcellus, et, comme on l'a dit, le premier couvent de Rome naquit sous des lambris dorés[191]. Le second couvent de l'Italie fut peut-être celui qu'un évêque, confesseur comme Athanase de la foi de Nicée, Eusèbe de Verceil, établit à l'ombre de sa cathédrale[192]. Il semble que la vie monastique en Occident se soit toujours ressentie de cette double origine. Elle a quelque chose de calme et de tempéré : ses cadres, même les plus grandioses, sont, comme les paysages occidentaux, faits à la mesure de l'homme : ils n'ont rien de l'immensité du désert et des colossales fondations monastiques assises au milieu de ses sables comme des sphinx de granit. Corrigé et atténué par le climat moral — sans doute aussi par le climat physique[193] — de l'Occident, le germe monastique déposé à Rome par Athanase se développa avec une sage lenteur. Le progrès se fit par l'élite plutôt que par la masse. Les monastères de l'Égypte et de l'Asie avaient été tout de suite envahis par la foule : en Occident, elle semble avoir attendu que les savants, les riches et les nobles[194] lui aient montré le chemin. Aussi, même après avoir jeté de fortes racines, la vie monastique n'y absorba jamais qu'un nombre limité d'hommes, et l'État n'en prit pas d'ombrage. En Orient, au contraire, il ne tarda pas à s'effrayer pour le recrutement de ses légions et surtout pour le service de ses curies. De là, en Égypte, des mesures violentes[195], qui échoueront devant la fermeté de moines fidèles à leur vocation jusqu'au martyre, et contre le courant irrésistible qui longtemps encore portera grands et petits vers le désert.

 

 

 



[1] Corpus inscr. lat., t. VI, 1778, 1779.

[2] Saint Jean Chrysostome, De beato Philogonio, 2.

[3] Socrate, Hist. Ecclés., IV, 30 ; Sozomène, VI, 24 ; Théodoret, IV, 8 ; Rufin, II, 11.

[4] Socrate, V, 8 ; Sozomène, VII, 8 ; Théodoret, V, 8.

[5] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 80, 8.

[6] Concile de Sardique (348), canons 7-9.

[7] Voir les textes cités par Humbert, Episcopalis audientia, dans le Dict. des antiquités grecques et romaines, t. II, p. 897.

[8] Canons apostoliques, 81 et 83. — Le docteur Drey (Neue Untersuch. über die Konstit. und Kanon. des Apost., Tubingue, 1832, p. 246, 249, 411) pense que ces deux canons sont rédigés d'après ceux du concile de Chalcédoine, par conséquent postérieurs au milieu du Ve siècle ; mais Héfélé (Hist. des Conciles, trad. franç., t. I, p. 613, 642, 648) les croit plus anciens.

[9] Lettre de Constantin à Anulinus, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., X, 7.

[10] Concile de Nicée, canon 5 ; concile d'Antioche (341), canon 20.

[11] Beurlier, Essai sur le culte rendu aux empereurs romains, p. 108-111.

[12] Conciles ou synodes sous le règne de Constance : Constantinople, 338 ou 339 ; Alexandrie, 339 ; Rome, 341 ; Antioche, 341 ; Seringue, 343 ; Antioche, 344 ; Milan, 345 ; Cologne, Jérusalem, Alexandrie, Carthage, 346 ; Rome, Milan, 347 ; Sirmium, 349 ou 350 ; Sirmium, 351 ; Arles, 353 ; Milan, 355 ; Béziers, 356 ; Sirmium, 357 ; Séleucie, Rimini, 359 ; Constantinople, 360 ; Paris, 360 ou 361.

[13] Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 14 ; IX, 4 ; Lactance, De mort. pers., 36, 37.

[14] Concile de Sardique, canon 7.

[15] Saint Basile, Ép. 107-109 ; saint Grégoire de Nazianze, Ép. 207, 208.

[16] Concile de Sardique, canon 7-9.

[17] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVII.

[18] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 141, 142.

[19] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XIX ; Ép. 67 ; Poemata quæ spectant ad alios, II.

[20] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 198, 199.

[21] Saint Basile, Ép. 96, 107, 108, 109, 110, 111, 147, 148, 149, 180.

[22] Saint Basile, Ép. 389.

[23] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 56-57. — Voir Saint Basile, p. 108.

[24] Voir Code Théodosien, I, XXVII, 1, et les lois 1 et 17 de l'appendice au Code Théodosien publié par Sirmond, dont l'authenticité, longtemps contestée, est aujourd'hui reconnue (cf. sur ce point Humbert, Episcopalia audentia, dans Dict. des ant., t. II, p. 897).

[25] Eusèbe, De vita Constantini, IV, 17 ; cf. Sozomène, Hist. Ecclés., I, 9.

[26] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, 25.

[27] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 79.

[28] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 149.

[29] Saint Basile, Ép. 286. — Voir Saint Basile, deuxième partie, ch. IV : l'administration épiscopale.

[30] Eusèbe, Hist. Ecclés., X, 5, 8 ; De vita Constantini, III, 30-33.

[31] Eusèbe, De vita Constantini, III, 6.

[32] Eusèbe, Hist. Ecclés. X, 7.

[33] Faustin et Marcellin, Libellus precum, 10, dans Migne, Patr. lat., t. XIII, p. 90. — Que l'anecdote, souvent controversée, soit ou non exacte, le récit d'où elle est tirée a été rédigé vers 383 ou 884, et montre qu'à cette époque elle exprimait une situation admise de tous.

[34] Code Théodosien, XVI, II, 12.

[35] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 10, 198, 199, 200 ; Pœmata quæ spectant ad altos, VII.

[36] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 112, 113, 114.

[37] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVII, 8-10.

[38] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XIX, 12, 13, 18.

[39] Cité par saint Athanase, Hist. arian., 44.

[40] Saint Hilaire de Poitiers, Contra Constantium, dans Migne, Patrol. lat., t. X, p. 581 : At nunc pugnandum contra persecutorem fallacem, contra hostem blandientem, contra Constantium antichristum, etc.

[41] Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. VII, p. 453.

[42] Cité par saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 40-51. — Voir Saint Basile, p. 75-78.

[43] Saint Athanase, Hist. arian., 76.

[44] Saint Athanase, Hist. arian., 33 et 34.

[45] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XXI, 29.

[46] Socrate, II, 15, 16 ; Sozomène, III, 8, 9.

[47] Acta SS., mai, t. VI, p. 46.

[48] Baronius, Ann., ad ann. 346, § 98.

[49] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e édition, t. II, p. 233, note 7.

[50] Saint Jérôme, Ép. 38.

[51] Ammien Marcellin, XXVII, 3.

[52] Ammien Marcellin, XXVII, 3.

[53] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, XXVI, XXXVI, XLII.

[54] Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 630.

[55] Tillemont, Mémoires, t. IX, p. 36.

[56] Saint Basile, Ép. 177, 208, 341 ; saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 81.

[57] Sozomène, VI, 31.

[58] Socrate, I, 12 ; Sozomène, I, 11.

[59] Acta SS., février, t. I, p. 89.

[60] Sozomène, VII, 28.

[61] Saint Basile, Ép. 268, 319 ; Palladius, Hist. Laus., 113.

[62] Voir un excellent chapitre dans Egger, Mémoires d'histoire ancienne et de philologie, p. 351 et suiv.

[63] Julien, Fragment d'une lettre à un pontife, 3.

[64] Julien, Fragment d'une lettre à un pontife, 14.

[65] Ép. 49, à Arsace, pontife de Galatie.

[66] De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 463.

[67] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 68.

[68] Saint Basile, Ép. 142, 148.

[69] Saint Basile, Ép. 94. — Peut-être les inquiétudes du gouverneur n'étaient-elles pas sans quelque motif. La nouvelle cité de Basile, dit le savant explorateur Ramsay, semble avoir causé la concentration graduelle de toute la population de Césarée autour du centre ecclésiastique et l'abandon de l'ancienne cité. La moderne Kaisari est distante d'un ou deux milles du site de la ville gréco-romaine. Ramsay, The Church and the roman Empire, p. 464. Voir Saint Basile, p. 110-112.

[70] Ammien Marcellin, XV, 7. — A propos d'un autre fait, Sozomène (IV, 15) emploie la même expression.

[71] Théodoret, Hist. ecclés., II, 14 ; Faustin et Marcellin, Libellus precum, 1.

[72] Théodoret, II, 14.

[73] Socrate, II, 37 ; Théodoret, II, 17 ; Sulpice Sévère, II, 39 ; saint Jérôme, Chron., olymp. 283.

[74] De Rossi, Bull. di arch. crist., 1883, p. 49, note 2 ; De Feis, dans Studi e Documenti di storia e diritto, 1894, p. 393.

[75] Bull. di arch. crist., 1883, p. 5-59 ; 1890, p. 123-139 ; Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 210.

[76] Voir les vers 47-51 de l'éloge funèbre. — Je dois dire que tous les critiques ne s'accordent pas avec M. de Rossi pour reconnaître Libère dans le personnage auquel se rapporte cet inscription métrique. Funk a proposé Martin V. Friedrich a donné la préférence à Jules Ier. M. de Rossi a réfuté ces hypothèses dans le Bullettino di arch. crist. de 1889. M. Mommsen a proposé l'antipape Félix. Cette hypothèse nouvelle a contre elle un argument topographique : l'inscription sur laquelle on dispute a été lue (au VIIe siècle) sur la voie Salaria, où Libère avait son tombeau, et non sur la voie de Porto, où mourut Félix, ou sur la voie Aurelia, où le Liber Pontificalis place sa sépulture.

[77] Citée par saint Athanase, Apol. contra Arianos, 23.

[78] Concile de Sardique, canon 1.

[79] Concile de Sardique, canon 7.

[80] Sozomène, VII, 11. — De même le symbole présenté au concile de Séleucie en 359 avait été auparavant rédigé à Sirmium et signé de tous les évêques présents à la cour. Saint Hilaire, Fragm. XV.

[81] Socrate, II, 8 ; Sozomène, III, 3.

[82] Socrate, II, 16.

[83] Saint Athanase, Ép. encycl. ad episc., 3 ; Apol. ad Const., 27 ; De fuga, 6 ; Théodoret, II, 14.

[84] Le LVIIIe des canons dits apostoliques, dirigé contre les évêques ou les prêtres qui négligent leur peuple et ne résident pas, parait avoir été composé vers le milieu du IVe siècle. Cf. Héfélé, Hist. des Conciles, trad. franç., t. I, p. 635.

[85] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 8.

[86] Actes de saint Pierre d'Alexandrie, dans Migne, Patr. græc., LXVIII, p. 455 ; saint Athanase, Apol. contra Arianos, 85.

[87] Saint Augustin, Gesta primæ cogn., 181, 182.

[88] Cf. Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 43, 8, 9.

[89] Concile d'Ancyre, canon 13 ; concile de Néocésarée, canon 14 ; concile d'Antioche, canon 10 ; concile de Sardique, canon 8 ; concile de Laodicée, canon 57.

[90] Concile de Nicée, canons 4, 7 ; concile d'Antioche, canons 9, 11, 13, 14, 16, 19, 20 ; concile de Sardique, canons 6, 9, 14 ; concile de Laodicée, canon 12.

[91] Concile de Nicée, canon 6.

[92] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII.

[93] Saint Grégoire de Nazianze, Carmina de se ipso, XI, 439-445.

[94] Lettre du pape Corneille, dans Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 43, 11.

[95] Dix-sept prêtres d'Alexandrie signèrent en 320 avec l'évêque Alexandre la déposition de leur collègue Arius et de onze autres prêtres ou diacres (Migne, Patr. græc., t. XVIII, p. 577-581).

[96] Concile de Néocésarée, canon 15. Cependant à Alexandrie, par exception, on en comptait plus de vingt.

[97] Euloge d'Alexandrie, cité par Photius, Bibl., cod. 172, 280. — Cf. De Rossi, Bull. di arch. crist., 1886, p. 9 ; et les Dernières persécutions du IIIe siècle, 2e éd., p. 92, note 1.

[98] Concile d'Arles, canon 18 ; concile de Nicée, canon 18. — Cf. saint Jérôme, Ép. 146 (alias 85) à Evangelus.

[99] Saint Cyprien, Ép. 2 (8 de l'édition Hartel).

[100] Concile d'Antioche, canon 10.

[101] A Rome, en 251, sept sous-diacres et quarante-deux acolytes. Lettre du pape Corneille, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 43, 11.

[102] Hist. Ecclés., VI, 43, 11.

[103] Constitutum Silvestri (cité par Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 334) ; Victor de Vite, Hist. pers. Vand., III, 34.

[104] De Rossi, Bull. di arch. crist., 1883, p. 17-19.

[105] Saint Cyprien, Ép. 33 (Hertel, 38).

[106] Les deux neveux de Constance, Gallus et Julien. Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 23 ; Théodoret, Hist. Ecclés., III, 1 ; Socrate, III, 1 ; Sozomène, V, 2.

[107] Gesta purgationis Cæciliani, dans Migne, Patr. lat., t. III, p. 731.

[108] Voir les textes cités par M. de Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 535 et suiv.

[109] Laborantes, κοπιάται. Lois de 357, de 360, au Code Théodosien, XIII, I, 1 ; XVI, II, 15, et épitaphes citées par M. de Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 534.

[110] Justinien, Nov. XLIII et XLIX.

[111] Parabolani.

[112] Code Théodosien, XVI, II, 42, 43.

[113] Code Théodosien, XVI, II, 42, 43.

[114] Lettre du pape Corneille, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 43, II. — Les vierges et les veuves consacrées à Dieu sont spécialement protégées par les lois : loi de 354, Code Théodosien, IX, XXV, 1. Cf. De Rossi, Bull. di arch. crist., 1883, p. 73 et suiv.

[115] Prudence, Peri Steph., II, 158-160.

[116] Prudence, Peri Steph., 297-308.

[117] Prudence, Peri Steph., 157.

[118] Ammien Marcellin, XXVII, 3.

[119] Saint Paulin de Nole, Ép. 13 ; saint Jérôme, Ép. 26.

[120] Canons apostoliques, 20.

[121] Canons apostoliques, 42, 48.

[122] Canons apostoliques, 54 ; concile de Laodicée, 24.

[123] Canons apostoliques, 17, 18.

[124] Concile de Sardique, canon 10.

[125] Tillemont, Mémoires, t. IX, p. 815-318.

[126] Concile d'Illiberis, canon 38 ; deuxième concile de Carthage, canon 2. Ces deux conciles étendent même cette obligation à ceux des clercs inférieurs qui sont spécialement employés au service de l'autel (qui in ministerio positi sunt, qui sacramentis divinis deserviunt).

[127] Clément d'Alexandrie, Stromates, VI, 12.

[128] Tertullien, Ad uxorem, I, 5, 6.

[129] De Rossi, Roma sotterranea, t. I, pl. XXXI, 13 ; Bull. di arch., 1879, p. 107.

[130] Uxor in sororem versa ; de conjuge soror Paulini facta. Chronique d'Idace, citée par De Rossi, Bull. di arch. crist., 1879, p. 108.

[131] Socrate, I, Il ; Sozomène ; I, 23 ; Gélase de Cyzique, Hist. conc. Nic., II, 22. Voir la note de M. de Broglie, L'Église et l'Empire romain, t. II, p. 480-484, et Héfélé, Histoire des conciles, § 43 (trad. franc., t. I, p. 422-426).

[132] Concile de Néocésarée, canon 1 ; concile d'Ancyre, canon 10 ; Canons apostoliques, 27. — Le mariage ne sera interdit aux sous-diacres que beaucoup plus tard, en 442, par saint Léon le Grand.

[133] Jaffé, Regesta Romanorum Pontificum, n° 255.

[134] Jura sacerdotii servans, nomenque jugalis. Edmond Le Blant, Inscript. chrét. de la Gaule, n° 597, t. II, p. 418.

[135] Rescrit à Anulinus, proconsul d'Afrique, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., X, 7 ; lois de 818 (Code Théodosien, XVI, II, 1), 319 (ibid., 2), 320 (ibid., 7), 348 (ibid., 8), 349 (ibid., 9), 353 (ibid., 10), 354 (ibid., 11), 357 (ibid., 14), etc.

[136] Quos copiatas recens usus instituit nuncupari. Loi de 380 (Code Théodosien, XVI, II, 15).

[137] Code Théodosien, XVI, II, 8.

[138] Code Théodosien, XVI, II, 8, et lois de 353, 357, 380 (Code Théodosien, XVI, II, 10, 14, 15).

[139] Code Théodosien, XVI, II, 10.

[140] Lois de 343, 357 (Code Théodosien, XVI, II, 8, 14).

[141] Concile d'Illiberis, canon 19.

[142] Saint Jérôme, Ép. 2 ; Sulpice Sévère, Hist. sacra, II.

[143] Loi de 360 (Code Théodosien, XVI, II, 15, § 1).

[144] Code Théodosien, XVI, II, 15, §2.

[145] Lois de 330, 949, 354 (Code Théodosien, XVI, II, 7, 9, 11).

[146] Digeste, L, II, 1 ; Code Théodosien, XII, I, 2, 143, 144 ; Code Justinien, X, XXXI, 16.

[147] Rescrit d'Antonin le Pieux, Digeste, L, VI, 5, § 9 ; cf. Pline, Ép., X, 114.

[148] Code Théodosien, XVI, II, 3, 6.

[149] Code Théodosien, XIV, III, 11.

[150] Code Théodosien, XIV, IV, 8, § 1.

[151] Code Théodosien, XIV, IV, 8, § 1.

[152]...Catholicæ legis antistites et clerici, qui in totum nihil possident, et patrimonio inutiles sunt.... Code Théodosien, XVI, II, 11.

[153] Code Théodosien, XII, I, 49.

[154] Concile de Sardique, canon 10.

[155] Concile de Sardique, canon 12.

[156] Possessores provinciales.

[157] Code Théodosien, XVI, II, 15, § 2.

[158] Tillemont, Mémoires, t. IX, p. 29.

[159] Libanius, Oratio X.

[160] Lois de 362, 370, 371, 372 ; Code Théodosien, XII, I, 50 ; XVI, II, 17, 19, 21, 22.

[161] Élien, Var. Hist., VII, 18 ; Ammien Marcellin, XXII, 16.

[162] Eusèbe, De mart. Pal., II, 8.

[163] Ammien Marcellin, XXII, 16.

[164] Ammien Marcellin, XXII, 16 ; Palladius, Hist. Laus., 63. — Cf. Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 107-108.

[165] Rufin, Vitæ Patrum, II, 7.

[166] Saint Athanase, Vita S. Materna.

[167] Saint Athanase, Vita S. Materna.

[168] Rufin, Vitæ Patrum, V, 7.

[169] Sozomène, I, 14 ; Palladius, Hist. Laus., 8.

[170] Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 158.

[171] Palladius, Hist. Laus., 7.

[172] Sozomène, VI, 31 ; Rufin, Vitæ Patr., II, 21, 22 ; Palladius, Hist. Laus., 7 ; saint Jérôme, Ép. 108.

[173] Palladius, Hist. Laus., 7. — Voir une description très vivante de Nitrie et du désert des Cellules dans Amédée Thierry, Saint Jérôme, t. I, p. 292 et suiv.

[174] Voir Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 690.

[175] Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 493.

[176] Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 179-180.

[177] Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 181.

[178] Sozomène, III, 14 ; saint Jérôme, Ép. 108 (alias 27) ; Acta SS., mai, t. III, p. 34.

[179] Acta SS., mai, t. III, p. 50.

[180] Acta SS., mai, t. III, p. 58. — Cf. Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 205 et 887.

[181] Rufin, Vitæ Patrum, II, 3.

[182] Palladius, Hist. Laus., 38. — C'est aussi le chiffre de Sozomène, Hist. Ecclés., III, 14.

[183] Voir Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 189.

[184] Palladius, Hist. Laus., 39 ; Vitæ Patrum, III, 34.

[185] Palladius, Hist. Laus., 40-42.

[186] Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. X (1833), p. 188 et suiv. ; Revue archéologique, t. XXIV (1872), p. 343.

[187] Acta SS., mai, t. III, p. 30 ; Vitæ Patrum, I, 26.

[188] Vitæ Patrum, II, 18 ; Sozomène, VI, 28.

[189] Saint Jérôme, Vita S. Hilarionis.

[190] Socrate, Hist. Ecclés., IV, 23 ; saint Jérôme, Ép. 98.

[191] Amédée Thierry, Saint Jérôme, t. I, p. 30.

[192] Saint Ambroise, Ép. 25.

[193] Même en Asie, dans les contrées moins chaudes, comme la Galatie et la Cappadoce, les monastères s'établirent seulement dans les villes. Sozomène, Hist. Ecclés., VI, 34.

[194] Saint Jérôme, Ép. 66 (alias 26).

[195] Palladius, Hist. Laus., 7. — Loi de 873, au Code Théodosien, XII, I, 63.