LES ESCLAVES CHRÉTIENS

LIVRE II. — L'ÉGALITÉ CHRÉTIENNE.

CHAPITRE III. — LES ESCLAVES MARTYRS.

 

 

I

Ainsi s'ouvrait — dit M. Renan après avoir raconté la persécution de l'an 64 — ce poème extraordinaire du martyre chrétien, cette épopée de l'amphithéâtre qui va durer deux cent cinquante ans, et d'où sortiront l'ennoblissement de la femme, la réhabilitation de l'esclave[1]. Répandre son sang en témoignage de sa foi, c'était, pour ce dernier, affirmer bien éloquemment sa liberté ; souffrir le martyre en même temps que les hommes libres, que son propre maître, c'était devenir leur égal. Si, pendant les périodes de calme et de prospérité, quelques différences extérieures subsistaient dans les familles chrétiennes entre les esclaves et les maîtres, elles disparaissent quand les uns et les autres étaient jetés dans la même prison, répondaient ensemble à leur juge, souffraient et mouraient ensemble.

L'Église persécutée appelait au combat tous les fidèles sans distinction d'âge, de sexe, de condition. Si mourir pour la vertu, pour la liberté, pour soi-même, dit Clément d'Alexandrie, est beau et honorable à l'homme, il en est de même pour la femme, De telles morts ne sont pas le privilège des hommes, mais dé tous les bons. Que le vieillard donc et le jeune homme, que la femme et l'esclave vivent fidèles aux commandements, et, s'il le faut, meurent, c'est-à-dire par la mort conquièrent la vie[2]. Plus tard, quand l'Église put se croire à l'abri des persécutions sanglantes, elle portait un fier regard sur cette arène où ses enfants de toute condition avaient souffert ensemble. Célébrant le martyr Agricola immolé pour la foi quelques instants après son esclave Vital : L'esclave est parti le premier, dit saint Ambroise, afin de préparer les lieux ; le maître a suivi... L'un a commencé, l'autre a consommé l'œuvre... Ils ont lutté l'un envers l'autre de bienfaits, après avoir mérité de devenir égaux ; le maître a envoyé l'esclave devant lui au martyre, l'esclave a tiré son maître après lui. Aucune condition n'est donc un obstacle à la vertu[3]. Il y a des combats, dit de même saint Jean Chrysostome, pour lesquels des conditions d'âge, de sexe, de dignité, sont requises ; les esclaves, les femmes, les vieillards, les adolescents, en sont exclus ; ici, toute condition, tout âge, tout sexe sont appelés, une grande liberté est donnée à tous, afin que tous apprennent combien est libéral et fort celui qui a institué ce combat[4]. Donc, par le martyre, tous les rangs étaient mêlés, ou, si leur différence était rappelée, ce n'était ni par les riches ni par l'Église : la délicatesse de pauvres gens sans patrimoine, d'esclaves sans famille, mettait quelquefois sur leurs lèvres un langage exquis : Nous pauvres, disaient-ils, bien que nous soyons martyrs comme vous, la raison nous ordonne de vous laisser la première place, parce que, pour l'amour de Dieu et du Christ, vous avez quitté plus que nous, vous avez dû fouler aux pieds votre réputation parmi les hommes, vos grands biens, et votre amour pour vos enfants[5].

L'Église n'acceptait pas les réserves de cette adorable humilité. Quand la mort avait couronné un soldat du Christ, elle inscrivait indifféremment sur ses diptyques, comme martyr vindicatus (nous dirions aujourd'hui comme saint canonisé), le chrétien de naissance libre et le chrétien de condition servile. L'arcosolium qui renfermait, dans les catacombes, le corps de l'un ou de l'autre, était entouré des mêmes honneurs et voyait, au jour des natalitia du martyr, la même foule s'agenouiller alentour pour prier et participer au sacrifice. Ce culte rendu à des esclaves morts était pour les païens un sujet d'étonnement. Les chrétiens, dit le sophiste Eunape, honorent comme des dieux des hommes punis du dernier supplice ; ils se prosternent dans la poussière et l'ordure devant leurs sépulcres. Ils nomment martyrs, diacres, arbitres des prières, des esclaves infidèles, qui ont reçu le fouet, qui ont porté sur leurs corps les cicatrices des châtiments causés par leurs crimes et les traces de leur scélératesse[6].

Il est impossible de citer les noms de tous les esclaves honorés d'un culte public et mentionnés dans les documents des premiers siècles. Aux époques de persécution, l'indifférence des païens pour la religion des esclaves cessait subitement ; non-seulement on punissait ceux qui se déclaraient chrétiens, mais encore, au moins pendant la persécution de Dioclétien, on obligeait tous les esclaves à offrir des sacrifices et des libations aux dieux, comme preuve de leur attachement à la religion officielle[7]. Il y eut des esclaves martyrs de toutes les conditions, puisque dans l'esclavage même la différence des conditions existait. Ici, un esclave puissant, qui gouvernait comme intendant, des domaines immenses, se sent touché de la grâce, et est rapporté mort pour le Christ dans le palais où tous avaient longtemps tremblé devant lui. Là, des esclaves autrefois les favoris de leurs maîtres, sont jetés en prison dès que leur conversion au christianisme est connue. Ailleurs, un vieil esclave respecté pour son âge et sa vertu, et qu'entouraient trois générations d'enfants, traîné à la mort comme chrétien, exhale sur la croix un dernier reste de vie. Pour avoir refusé de sacrifier, un autre est tué par son maître d'un coup d'épieu, comme une bête fauve. Une famille d'esclaves, composée du père, de la mère et des enfants, est immolée tout entière par la fureur d'un païen pour avoir généreusement confessé la foi[8]. Les plus faibles sont admirables. Une jeune mère esclave accouche en prison de son premier-né, et, à peine remise des douleurs de l'enfantement, lutte pour le Christ dans l'amphithéâtre. Une servante est enfermée par sa maîtresse dans une chambre pour y mourir de faim, parce qu'elle avait été surprise fréquentant les églises. Trois esclaves converties en même temps que leur maîtresse sont, sur leur refus de sacrifier, brûlées vives dans le tombeau où elles l'ont transportée après son martyre. Des vierges esclaves sont dénoncées comme chrétiennes par les résistances de leur pudeur et payent du même supplice leur honneur et leur foi[9]. Tous les actes, toutes les situations, tous les degrés de la servitude sont ici représentés. J'aimerais à dérouler, strophe par strophe, ce poème de l'esclave martyr. Il abonde en scènes touchantes, en épisodes grandioses. C'est un chant de victoire. La civilisation antique croyait avoir tué l'homme dans l'esclave ; elle voit l'homme abattu se relever sous l'action de la grâce divine. Les païens entendent ceux qu'ils avaient l'habitude d'appeler des corps, cellis servilibus extracta corpora[10], leur crier cette grande parole répétée plus tard par un Père de l'Église : Nous sommes des âmes, nos animœ sumus[11]. Ils n'y comprennent rien. Une jeune esclave chrétienne, nommée Marie, est dénoncée par son maître comme adorant le Christ. Pourquoi, étant esclave, ne suis-tu pas la religion de ton maître ? lui demande naïvement le juge[12]. Telle était l'idée que le paganisme se faisait de la conscience des esclaves. Eux martyrs, c'était une révélation inattendue, presque effrayante. On ne pouvait entendre sans stupéfaction le non possumus de l'apôtre répété par des lèvres qui jusque-là n'avaient pas eu le pouvoir de dire non[13]. Le monde païen se sentait menacé par cette révolte pacifique : il tremblait devant l'arme invisible que. l'esclave venait de saisir.

En mourant ainsi, l'esclave conquérait non-seulement la liberté morale, mais encore la vraie égalité. Les documents les plus authentiques de l'histoire des premiers siècles permettent de juger des sentiments qui animaient les uns vis-à-vis des autres les hommes libres et les esclaves quand le martyre les rapprochait. Devant la douleur, ce témoin de la vérité[14], on voit céder les dernières résistances de l'orgueil, toutes les apparences s'évanouissent, le fond de l'âme chrétienne se montre à nu : un sentiment d'absolue fraternité rapproche, serre, pour ainsi dire, tous les rangs.

Un des récits les plus anciens de l'époque des persécutions est la célèbre lettre sur les martyrs de 177 écrite par les Églises de Lyon et de Vienne à celles d'Asie et de Phrygie[15], ou, pour traduire littéralement la suscription, par les esclaves du Christ qui habitent Vienne et Lyon dans les Gaules aux frères établis en Asie et en Phrygie. Récit naïf, ému, enthousiaste, véritable chronique d'une chrétienté gallo-romaine au ne siècle. L'esclavage y joue un double rôle fort curieux à étudier. On y voit des accusations terribles portées contre les chrétiens de Lyon par leurs esclaves païens ; indice remarquable du respect des premiers chrétiens pour la conscience de ceux qui leur étaient soumis : ceux-ci répètent contre leurs maîtres d'étranges calomnies alors répandues dans le monde païen, pas un ne songe à leur reprocher d'avoir essayé de l'amener par contrainte à la religion du Christ. Le contraste est frappant entre ces esclaves païens empressés à perdre leurs maîtres[16], et une jeune esclave, chrétienne, Blandine, dont la figure se détache avec un éclat singulier au milieu du groupe de martyrs lyonnais qui entoure l'évêque Pothin et le décurion Épagathus. Par elle, dit la lettre, le Christ a voulu montrer que ce qui est vil, sans forme et sans honneur auprès des hommes, est le plus honoré auprès de Dieu. Quand l'esclave Blandine fut amenée devant le juge, tous les chrétiens tremblèrent, et même celle qui, dans l'ordre temporel, avait été sa maîtresse, et, en ce moment, combattait courageusement à côté d'elle avec les autres martyrs, fut prise de peur, craignant que l'esclave, à cause de la faiblesse de son corps, ne pût faire entendre une confession libre (liberam confessionem) ; mais Blandine fut tellement affermie par la force de son âme, que les tortionnaires, après avoir, depuis la première aube jusqu'au soir, épuisé sur elle tous les genres de tourments, durent s'arrêter brisés de fatigue, se confessant vaincus, n'ayant plus de nouveaux tourments à lui appliquer, et admirant cette fille qui, tout le corps déchiré et percé, respirait encore... Elle, la bienheureuse, comme un généreux athlète, reprenait des forces et renaissait à la vie en confessant le Christ. Elle trouvait la guérison, le repos, l'oubli de toutes les souffrances, dans ces paroles qu'elle répétait tour à tour : Je suis chrétienne, et : Il ne se commet rien de mal parmi nous.

Je continue d'emprunter à cette pathétique relation ce qui a trait à Blandine. Elle fut condamnée à être exposée aux bêtes. Attachée à un poteau, les bras étendus en croix, elle priait Dieu avec un grand contentement. Sa vue remplissait de courage l'âme des assistants ; ils contemplaient en la personne de leur sœur l'image de celui qui fut crucifié pour le salut de tous. Épargnée par les bêtes, Blandine fut réservée pour mourir la dernière. Demeurée seule, après que tous ses compagnons eurent été immolés, la bienheureuse était comme une noble mère qui, ayant poussé ses fils au combat, les ayant envoyés vainqueurs devant elle, reporte son regard en arrière, et contemple la suite des luttes où ils ont vaincu. Elle avait hâte d'aller les rejoindre. Joyeuse et transportée à la pensée de mourir, elle semblait une fiancée qui marche vers le banquet nuptial, non une condamnée aux bêtes... On l'enferma dans un filet, et on l'exposa à un taureau. Celui-ci la jeta en l'air à plusieurs reprises ; elle ne sentait point la souffrance, espérant, possédant déjà les biens auxquels s'attachait sa foi, et causant familièrement avec le Christ dans la prière. Enfin, elle fut égorgée comme une victime. Les païens avouaient n'avoir jamais vu une femme qui ait supporté d'aussi nombreux et d'aussi grands tourments.

Un document postérieur à celui qui vient d'être analysé, mais d'une authenticité non moins certaine, va montrer sous un jour encore plus touchant cette fraternité nouvelle créée par le martyre. Les Actes de sainte Perpétue et de sainte Félicité sont plus qu'une relation contemporaine, plus qu'un récit de première main ; ce sont des Mémoires écrits dans la prison même, à la veille du supplice, par Perpétue et son frère Saturus, et continués par un témoin de leur martyre. On les voit se passant la plume l'un à l'autre, racontant l'un après l'autre les faits auxquels ils ont pris part ou les visions dont ils ont été favorisés ; c'est comme un chant alterné, dont chaque strophe serait répétée par une voix différente ; puis, quand les chants ont cessé, je veux dire quand les martyrs ont péri, un chrétien anonyme vient ramasser la plume tombée de leurs mains, et achever le récit en racontant leur supplice. Il faut lire dans le texte ces pages gracieuses, naturelles, sublimes, d'une pure et classique beauté, qui peuvent soutenir la comparaison avec ce que le génie grec a produit de plus parfait. J'en détacherai seulement les épisodes qui ont un lien étroit avec le sujet de ce chapitre.

Vers l'année 202, plusieurs chrétiens furent arrêtés à Tuburbium, en Afrique, et transportés à Carthage. Parmi eux était une dame noble, ou du moins appartenant à la haute bourgeoisie, au monde instruit et élégant[17], Vibia Perpetua, son frère Saturus, deux autres chrétiens nommés Saturninus et Secundulus, et deux esclaves, probablement mariés ensemble, Révocatus et Félicité. Les deux jeunes femmes, la matrone et l'esclave, se trouvaient rapprochées naturellement : l'une, Perpétue, était mère depuis peu de temps et avait un enfant à la mamelle ; l'autre, Félicité, était grosse et sur le point d'accoucher. Quand le jour du supplice eut été fixé, Félicité devint triste : elle craignait de n'être pas comprise au nombre des martyrs. Sa tristesse était partagée par tous ses compagnons, qui se désolaient à l'idée de la laisser après eux. Les martyrs se mirent en prières : Félicité se sentit prise des douleurs de l'enfantement. Comme elle poussait des cris au milieu de son travail, un valet de prison lui dit : Si tu gémis ainsi, que feras-tu donc quand tu seras exposée aux bêtes ? Elle lui fit cette réponse célèbre : En ce moment, c'est moi qui souffre mes douleurs, mais alors il y en aura un autre en moi qui souffrira pour moi, puisque moi je souffrirai pour lui. Elle mit au monde une fille ; une sœur, disent les Actes, c'est-à-dire une chrétienne, l'adopta.

La veille du jour où ils devaient être livrés aux bêtes, les condamnés furent réunis pour ce qu'on appelait le repas libre, sorte d'orgie dernière que la pitié antique permettait à ceux qui, le lendemain, devaient quitter la vie. Ils en firent, disent leurs Actes, une agape ; agape où, comme toujours, l'esclave eut sa place à côté des personnes libres. C'est pendant ce repas que Saturus adressa à la foule curieuse des païens cette parole terrible, où éclate l'âpre génie d'un compatriote de Tertullien : Regardez bien nos visages, afin de nous reconnaître au jour du Jugement.

Le moment du combat arrivé, les esclaves et les personnes libres qui devaient mourir ensemble affirmèrent énergiquement leur liberté. L'usage voulait que les condamnés aux bêtes fussent exposés dans l'amphithéâtre, portant, les hommes, le costume des prêtres de Saturne, les femmes, les bandelettes des initiées aux mystères de Cérès. D'une commune voix, Saturninus, Saturus, Révocatus, Perpétue et Félicité refusèrent de revêtir cet injurieux déguisement. Nous sommes venus ici de notre plein gré, dirent-ils, et par un acte de notre liberté ; nous avons résolu que nous ne ferions pas ce que vous demandez, et vous-mêmes en avez pris l'engagement. Pendant que Perpétue s'avançait, le visage calme, les yeux brillants, avec la démarche d'une matrone, et que Félicité, encore catéchumène, était remplie d'une joie silencieuse à la pensée du baptême de sang qu'elle allait recevoir, les hommes, l'esclave Révocatus à leur tête (les Actes le nomment le premier), ne craignaient pas de menacer le peuple, et, passant devant le proconsul Hilarion, le citaient au tribunal de Dieu. Le peuple exaspéré ordonna qu'ils fussent battus de verges. C'est ainsi que, au jour du supplice, l'esclave prenait les allures de l'homme libre, le bourreau traitait l'homme libre en esclave.

Les condamnés furent exposés aux bêtes. On excita contre Perpétue et Félicité une vache furieuse. Perpétue, saisie la première par l'animal, est lancée en l'air et retombe lourdement sur le sol. Revenue à elle, elle s'aperçoit que sa robe est déchirée, et, comme Polyxène rajustant ses vêtements pour tomber avec décence[18], elle répare avec soin ce désordre, plus soucieuse, disent les Actes, de la pudeur que de la douleur ; puis, par une sorte de coquetterie héroïque, elle renoue sur son front ses longs cheveux qui s'étaient déroulés dans sa chute : car il ne convenait pas qu'une martyre souffrit les cheveux épars et entrât dans sa gloire avec l'appareil du deuil. Ainsi parée, elle se relève, et aperçoit Félicité gisant à terre, à demi brisée ; elle court à celle-ci, lui tend la main, l'aide à se mettre debout, et, ne quittant pas sa main, s'avance avec elle à la vue de tout le peuple transporté d'admiration et de pitié. Ces deux femmes intrépides, la matrone et l'esclave, marchèrent ainsi à la mort comme deux sœurs.

On croirait, en lisant ce récit, contempler un bas-relief antique, ou plutôt on a sous les yeux le symbole idéal de la fraternité et du martyre effaçant les distances sociales, unissant les cœurs, et, par les âmes transfigurées, donnant aux corps mêmes ces admirables attitudes que le ciseau serait impuissant à reproduire, et que le divin Artiste a pu seul inspirer.

On comprend qu'après de telles scènes, dont la relation était lue avec avidité dans tout le monde chrétien, les fidèles éprouvassent une certaine répugnance à répondre à la question des magistrats leur demandant, selon l'usage, s'ils étaient libres ou esclaves. Cette distinction, si importante encore aux yeux de la loi, semblait, à l'époque des persécutions, dans. la ferveur qui remplissait alors les âmes, une chose indifférente ou même odieuse. On répondait à peine, et comme malgré soi, à la question posée. La vierge Théodora est conduite devant le tribunal du préfet Eustathius. De quelle condition es-tu ?Je suis chrétienne. — Es-tu libre ou esclave ?Je te l'ai déjà dit, je suis chrétienne : par sa venue le Christ m'a rendue libre ; du reste, je suis née de parents nobles[19]. Avec quel sentiment exquis ce membre de phrase est rejeté au dernier plan ! Pendant que le langage des fidèles d'un rang distingué s'imprégnait de ces nuances délicates, celui de l'esclave chrétien acquérait de la fermeté, un accent libre et fier : il se sentait l'égal de tous. On vient d'entendre parler Félicité dans sa prison, et Révocatus dans l'amphithéâtre. D'autres, de condition semblable, portèrent devant les magistrats une âme aussi haute. Dans leurs paroles, dans leur attitude, éclate ce que les Actes des martyrs appellent la liberté chrétienne[20]. Qui es-tu ? demande le préfet de Rome à un esclave de la maison de César, Evelpistus, traduit devant lui en même temps que le philosophe saint Justin. — Esclave de César, répond-il, mais chrétien, ayant reçu du Christ la liberté, et, par sa grâce, ayant la même espérance que ceux-ci[21]. Après la condamnation du prêtre Pamphile de Césarée, sous Dioclétien, un de ses esclaves, nourri par lui dans les lettres et la philosophie, éleva hardiment la voix au milieu de la foule, et demanda que l'on accordât au moins aux corps des martyrs une sépulture honorable ; puis il se confessa chrétien[22]. L'esclave osant interpeller un magistrat, élever la voix dans le forum, faire acte de vie publique, quelle nouveauté !

Celui, dit saint Ambroise, que l'on ne peut ni contraindre à faire ce qu'il ne veut pas, ni empêcher de faire de qu'il veut, celui-là n'est plus esclave[23].

 

II

En relevant ainsi l'esclave, le christianisme lui avait appris à défendre au prix de sa vie non-seulement la liberté de sa conscience, mais encore une liberté plus fragile, plus exposée à l'outrage, sa chasteté. Avant d'esquisser ce délicat épisode de l'histoire des esclaves chrétiens, j'emprunterai aux Actes des martyrs un récit qui en sera comme l'introduction naturelle, en montrant l'esclave se dégageant par le repentir de la situation immorale qui trop souvent lui était faite.

La fin du IIIe siècle ou le commencement du IVe[24] vit la conversion d'une noble romaine, Aglaé, fille de l'illustre Acacius, qui avait été proconsul. Trois fois elle avait donné des jeux au peuple romain. Elle avait sous ses ordres soixante-treize procuratores chargés d'administrer ses domaines, et à la tête desquels était un chef nommé Boniface. Celui-ci était esclave, sans doute l'un de ces esclaves riches et puissants que les inscriptions nous montrent possédant eux-mêmes des esclaves, élevant des tombeaux, consacrant des statues, bâtissant des temples à leurs frais, se faisant accompagner en voyage d'une suite nombreuse[25]. Débauché, mais généreux, charitable pour les pauvres, hospitalier, il avait touché le cœur de sa maîtresse, qui vivait avec lui dans une liaison coupable, comme tant de grandes dames de cette époque[26]. Aglaé était chrétienne : la paix dont jouissait l'Église au commencement du règne de Dioclétien avait sans doute amolli son âme, que ne tenait pas en éveil la menace de la persécution. Elle rougissait cependant de ses désordres, et son cœur était travaillé par la grâce. Un jour, la grâce fut plus forte que la passion, et, faisant venir son amant, elle lui dit : Boniface, mon frère (elle n'ose plus lui donner un autre nom, et lui parle comme les chrétiens, libres ou esclaves, se parlaient entre eux), tu sais quelle vie nous menons, oublieux des jugements de Dieu... J'ai entendu dire que si quelqu'un honore les saints martyrs, il aura part à leur récompense... En ce moment, beaucoup de chrétiens souffrent en Orient[27]... Va, apporte-moi de leurs reliques, afin que nous les honorions, que nous leur bâtissions des oratoires, et que nous devenions dignes de leur protection. L'esclave fit ses préparatifs de départ, et, au moment de prendre congé de sa maîtresse, il lui dit gaiement : Madame, si je puis trouver des reliques de martyrs, je vous les apporterai ; mais si, par hasard, on vous rapportait les miennes, les recevriez-vous comme celles d'un martyr ? Aglaé prit pour une indiscrète saillie ces paroles de son esclave ; elle se trompait : dans le sourire qui les accompagnait il y avait un pressentiment, un adieu, une résolution généreuse. La mission qu'avait reçue Boniface l'avait transformé. Devenu sobre, grave, il priait Dieu pendant la route, pensant aux martyrs, rêvant à son propre martyre. Arrivé à Tarse, il apprit que plusieurs chrétiens étaient sur le point d'expirer dans les tourments : il courut au lieu du supplice, brava le juge, et mérita de partager leur couronne. Quand ses compagnons, qui' le cherchaient, et qui, ne comprenant pas le changement qui s'était opéré en lui, le croyaient attardé dans quelque lieu de plaisir, apprirent ce qui était arrivé, ils demeurèrent stupéfaits ; puis, ayant pu obtenir des bourreaux le corps mutilé du martyr, ils ne demandèrent pas d'autres reliques, et se remirent en route chargés de ce précieux fardeau. A Rome, les restes de Boniface furent reçus avec les plus grands honneurs. Aglaé, de femme mondaine devenue austère pénitente, fit bâtir un oratoire en l'honneur du martyr, affranchit tous ses esclaves et passa le reste de ses jours dans la retraite.

Je ne connais rien de plus beau que cette pieuse et romanesque histoire. Il y a un relief singulier dans cette figure d'Aglaé, type sans doute de plus d'une Romaine de cette époque, convertie au christianisme, baptisée, pleine de dévotion pour les martyrs, mais non domptée, emportée par des passions ardentes, et cependant demeurée par le cœur si près de Dieu, que la mort de celui qu'elle aimait, la vue de son corps brisé par le martyre, suffit à faire d'elle une sainte. Elle rappelle ces grandes dames du XVIIe siècle, faibles, coupables, passionnées, mais chez lesquelles la foi vivait toujours : un coup de la grâce, une déception du cœur, une perte soudaine, suffisaient à les arracher au monde pour les jeter dans toutes les horreurs de la pénitence. Boniface n'est pas moins vivant. Lui aussi, même aux jours de ces désordres, il est plus près de Dieu qu'il ne croit. Les vertus qu'il a conservées, charité, hospitalité, le tiennent élevé, par une partie de lui-même, au-dessus de la fange où son cœur et ses sens demeurent plongés. En cet homme,.qu'un caprice du sort jeta dans la servitude, il y a l'étoffe d'un héros, d'un saint. Les vertus que, esclave, il pratique, sont les vertus par excellence de l'homme libre : usant des facilités que lui :tonne la faveur d'Aglaé, il traite les pauvres en grand seigneur. Dans le caractère de cet esclave il y a des traits qui font penser au chevalier chrétien du moyen âge. Les vieux preux allaient laver leurs péchés dans les héroïques aventures de la croisade, et chercher le pardon de leurs faiblesses près du tombeau du Christ. Boniface court, au péril de sa vie, recueillir les reliques des chrétiens martyrisés ; il part, ayant fait en lui-même le vœu secret de mêler son sang au leur. Dans ses dernières paroles à Aglaé il y a comme un parfum de chevalerie : il prend congé d'elle avec je ne sais quelle grâce élégante et rêveuse qui nous rejette bien loin de l'esclave. C'est ainsi que le martyre offrait à celui-ci, bien souvent plongé dans le vice plus encore par sa condition que par sa volonté, un moyen de se relever, de laver ses fautes dans son sang et, par un mouvement impétueux et sublime, de passer, en un jour, de la servitude sur les autels.

Pendant les siècles païens comme dans ceux qui suivirent le triomphe du christianisme, l'immorale faveur dont jouissait Boniface fut sans doute offerte, dans plus d'une riche maison, à des esclaves chrétiens. La terrible loi de l'an 326, qui condamne la maîtresse à la peine capitale et envoie son complice sur le bûcher, montre la profondeur du mal, demeuré impuni jusque-là. Les Pères de l'Église sont unanimes à le combattre. Ils prêchent aux esclaves la résistance aux passions impudiques de leurs maîtres. Saint Ambroise consacre un traité entier à vanter la chasteté de Joseph esclave, à flétrir la maîtresse qui ne sait pas se gouverner elle-même, qui est indigne de son nom, qui n'a pas les mœurs d'une maîtresse et se plaît à allumer les désirs d'un esclave ; il lui oppose la grandeur morale de l'homme qui, vendu, n'a pas l'âme d'un esclave ; aimé, ne donne pas son amour ; supplié, ne cède point ; pris de force, échappe par la fuite[28]. De même saint Jean Chrysostome : Joseph était esclave, mais il n'était pas l'esclave des hommes : aussi, dans la servitude, était-il le plus libre de tous les libres. C'est pourquoi il n'obéit pas à sa maîtresse, qui voulait le faire céder, esclave, à ses désirs. Elle était libre, oui, mais en même temps plus abaissée que tous les esclaves, cette femme qui provoquait ainsi son esclave ; mais lui était libre, et elle ne put lui faire faire ce qu'il ne voulait pas. Ce n'était pas de la servitude, cela, mais la suprême liberté : et en quoi la servitude fit-elle en Joseph obstacle à la liberté ? Écoutez, esclaves et libres : qui servit, celui qui fut prié, ou celle qui pria ? celle qui supplia, ou celui qui méprisa la suppliante ? C'est qu'il y a des limites posées par Dieu à l'obéissance des esclaves : des lois qu'il ne leur est pas permis de transgresser ont marqué le point jusqu'où ils peuvent obéir. Quand le maître n'ordonne rien qui déplaise à Dieu, alors il faut le servir et accomplir ses ordres ; plus loin, non : c'est en cela que l'esclave devient libre[29].

C'était quelquefois par le sang que l'esclave ainsi poursuivi, l'agneau du Christ, comme dit saint Jean Chrysostome[30], devait acheter cette liberté. Les mœurs antiques considéraient la pudeur de l'esclave comme étant la propriété du maître. Si, au commencement du Ive siècle, une loi intervint t pour arrêter les débordements des matrones éprises de leurs serviteurs, à aucune époque les relations des maîtres avec les femmes esclaves ne furent l'objet d'une répression pénale. Cette lacune de la législation des empereurs même chrétiens est souvent signalée par les Pères de l'Église. Non-seulement à l'époque où écrivait Sénèque les vierges les plus pures, si elles étaient esclaves, pouvaient être contraintes à subir les derniers outrages, invitas pati stuprum[31], mais en pleine civilisation chrétienne, au Ve siècle, on voyait encore, dit Salvien, des femmes, malgré leur horreur pour le vice, forcées de servir la passion de maîtres impurs, et le honteux caprice de celui qui commandait devenant une nécessité pour celles qui devaient obéir[32]. Plus d'une de ces malheureuses, en cédant à la violence, put redire sans doute les paroles adressées à son juge par la vierge Théodora : Dieu voit nos cœurs, et considère en nous une seule chose, la ferme volonté de demeurer chastes. Si donc tu me contrains à subir un outrage, je ne commettrai point de faute volontaire, je souffrirai violence... Je suis prête à livrer mon corps, sur lequel pouvoir t'a été donné, mais Dieu seul a pouvoir sur mon âme[33]. Plus d'une put se répéter encore, en pleurant, des consolations semblables à celles que saint Augustin adressait en 409 aux vierges d'Italie et d'Espagne outragées par les barbares : Quand l'âme n'a point consenti, le corps demeure pur ; le crime est pour celui qui agit, non pour celui qui souffre ; la chasteté de l'âme a un tel pouvoir que, si elle reste inviolée, elle conserve la pureté du corps, même s'il a subi violence[34]. Mais de telles paroles s'appliquaient à la seule violence matérielle, contre laquelle la faiblesse n'a pas de recours ; à la violence morale, à l'ordre impérieux, à la menace du maître, la conscience, la loi de Dieu, l'enseignement de l'Église ordonnaient à l'esclave de résister jusqu'à la mort : la chasteté devait être défendue par tous les moyens, excepté, dit saint Augustin, le mensonge ou l'apostasie[35].

Les esclaves eurent souvent ce courage. A côté des martyrs de la foi il y eut les martyrs de la chasteté. L'esclave redevint ainsi, par la pudeur, l'égal de la personne libre (ingenuus pudor[36]). En ce point encore, le pouvoir de dire non, negandi potestatem, lui fut rendu. L'esclave qui refusait de suivre la religion de son maître disait par cet acte : Mon âme m'appartient ; l'esclave qui refusait de se prêter à la passion de son maître ajoutait : Mon corps aussi m'appartient. Âme et corps, l'esclave se reprenait ainsi tout entier, par cette force de résistance que le christianisme lui inspirait.

L'histoire nous a conservé le nom de quelques courageuses esclaves qui, pour avoir refusé de servir à la débauche de leurs maîtres, furent mises à mort ou dénoncées par eux. Se refuser, en pareil cas, c'était déjà, pour l'esclave, se dénoncer soi-même. Les païens connaissaient l'horreur des chrétiens pour le vice, et, dans l'état où étaient tombées les mœurs, ils savaient que des chrétiens seuls étaient capables de défendre intrépidement leur vertu. Le juge Gaius disait à la courtisane Afra, convertie au christianisme : Le Christ ne te trouve pas digne de lui : une courtisane ne saurait porter le nom de chrétienne[37]. Ce païen ignorait les grâces accordées au repentir, mais il rendait instinctivement hommage à la pureté chrétienne. Un homme de basse condition ayant un jour refusé de se prêter au caprice amoureux d'une femme de naissance noble, le gouverneur de la Pannonie, après avoir entendu raconter le fait, se dit à lui-même : Celui-là est certainement un chrétien, et le condamna à mort[38]. Jugeant ainsi les chrétiens, il était naturel que les maîtres païens devinassent de suite la religion de l'esclave dont la vertu leur résistait. Souvent celle-ci n'attendait pas qu'on la devinât ; à une honteuse proposition elle répondait simplement : Je ne puis pas, je suis chrétienne. Telle fut la réponse de sainte Dula aux obsessions de son maitre. Elle était, disent ses Actes, l'esclave d'un païen de Nicomédie : il voulut faire d'elle sa maîtresse. Elle résista, disant que la loi du Christ défend l'impureté. Quand il apprit qu'elle était chrétienne, il la fit mourir ; elle périt martyre de la foi et de la chasteté, pro fide et castitate occisa est[39]. Palladius raconte la mort semblable de l'esclave Potamienne, martyrisée dans les dernières années du me siècle. Elle était très-belle, dit-il, et avait pour maître un homme violent et débauché. Malgré ses prières et ses promesses, il ne réussit pas à la séduire. Il la dénonça alors comme chrétienne. Elle fut amenée devant le tribunal du préfet d'Alexandrie. Ici se passa une scène curieuse. Le préfet, se tournant vers elle, lui dit : Va donc et consens aux désirs de ton maître ; si tu résistes, je te ferai jeter dans une chaudière de poix bouillante. — C'est une honte, lui répondit la vierge esclave, qu'il se trouve un juge assez inique pour commander à une femme d'obéir au caprice et à la débauche d'un maître. Une telle réponse méritait la mort : Potamienne obtint d'être plongée dans la chaudière sans avoir été dépouillée de ses vêtements[40]. Voilà comment la pudeur chrétienne relevait l'esclave. Quand une religion pouvait mettre dans la bouche d'une fille sans défense de telles paroles, il faut reconnaître que l'apparence seule de l'esclavage subsistait encore : sa vraie force était brisée.

 

 

 



[1] Renan, l'Antéchrist, p. 175.

[2] Clément d'Alexandrie, Stromata, IV, 8.

[3] S. Ambroise, De exhortatione virginitatis, 1.

[4] S. Jean Chrysostome, De Macchab. Homilia I, 2 ; cf. Homilia In S. Ignatium, 1. — L'orateur fait allusion, au commencement de ce passage, aux jeux olympiques, où, au IVe siècle encore, un héraut criait à haute voix : Quelqu'un récuse-t-il ce combattant comme esclave ? Id., in Ép. ad Hebr. Homil. XVII, 5.

[5] Origène, Exhortatio ad martyrium, 15.

[6] Eunape, Vita Ædesii.

[7] Eusèbe, De martyr. Palestinœ, 9.

[8] S. Boniface, S. Théodule, S. Ischyrion, S. Hespérus et Ste Zoé. — Acta SS., Maii, t. I, p. 181 ; t. III, p. 280 ; Tertullien, Ad nat., I, 4 ; Eusèbe, Hist. ecclés., VI (lettre de S. Denys d'Alexandrie) ; VIII, 21 ; De mart. Palestinœ, 11.

[9] Ste Félicité, Ste Matrona, Ste Digna, Eunomia et Eutropia, Ste Dula, Ste Potamienne. — Ruinart, Acta sincera, p. 77, 502 ; Acta SS., Martii, t. II, p. 390 ; t. III, p. 552 ; Palladius, Hist. Lausiaca, 3.

[10] Valère Maxime, VII, VI, 1.

[11] S. Ambroise, De Isaac et anima, VIII, 79.

[12] Acta S. Maria, ap. Baluze, Miscellanea.

[13] Sénèque, de Benef., III, 19.

[14] S. Cyprien, De idolorum vanitate, 15.

[15] Lettre des Églises de Lyon et de Vienne, dans Eusèbe, Hist. ecclés., V, 1 et sq.

[16] Quelque temps après, S. Epipode et S. Alexandre furent encore, à Lyon, dénoncés par leurs esclaves. Passio SS. Epipodii et Alexandri, ap. Ruinart, Acta sincera, p. 63. — Autres exemples d'attachement des esclaves au paganisme : sous Commode, le sénateur chrétien Apollonius est dénoncé par un esclave : Eusèbe, Hist. ecclés., V, 21 ; saint Basile montre en Cappadoce, pendant la dernière persécution, les esclaves insultant leurs maîtres chrétiens : Éloge de S. Gordius ; le concile d'Elvire, de la même époque, nous apprend que souvent les maîtres n'osaient pas renverser les idoles qui étaient dans leurs maisons, de peur d'irriter leurs esclaves (vim servorum metuunt) : Concilium Eliberitanum, canon XLI, apud Hardouin, t. I, p. 254.

[17] Honeste nata, liberaliter instituta  matronaliter nupta. Passio SS. martyrum Perpetuæ et Felicitatis, 2, apud Ruinart, Acta sincera, p. 85-96.

[18] Euripide, Hécube, 569.

[19] Passio SS. Didymi et Theodorœ, ap. Acta SS., Aprilis, t. III, p. 579.

[20] Christiana libertate prorumpens, etc. Acta SS. Saturi, Dativi, etc., 7, apud Ruinart, Acta sincera, p. 412.

[21] Acta S. Justini, 3, ap. Ruinart, p. 44.

[22] Eusèbe, De mart. Palest., 11.

[23] S. Ambroise, Ép. 37.

[24] Vita S. Bonifacii, apud Acta SS., Maii, t. III, p. 280 et sq. Les Bollandistes indiquent pour ces faits l'an 290 ; Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. V. p. 173 (éd. de Paris), préfère 306.

[25] Orelli, 895, 2820, 2821, 2822, 2823, 2826, 2828 ; Henzen, 6651, etc.

[26] Tertullien, Ad uxorem, II, 8. — Il est probable que soit Boniface, soit Aglaé, étaient mariés : autrement une décision du pape Calliste, rapportée au IXe livre des Philosophumena, leur eût permis de contracter ensemble un mariage nul aux yeux de la loi romaine, mais valable à ceux de l'Église. Voir le chapitre suivant, § 2.

[27] Il s'agit ici (si l'on admet la date de 290) d'une persécution locale, antérieure à la persécution générale de 303.

[28] S. Ambroise, De Joseph patriarcha, V, 23, 25.

[29] S. Jean Chrysostome, In I Cor. Homilia XIX, 4, 5. Cf. Expos. in Psalm. XLIII.

[30] In I Thess. Homil. IV, 5.

[31] Sénèque, Controv., V, 33.

[32] Salvien, De Gub. Dei, VII, 4 ; cf. ibid. 5. Voir S. Jérôme, Ép. 73, ad Oceanum.

[33] Passio SS. Dydimi et Theodorœ, ap. Acta SS., Aprilis, t. III, p. 579. — Corneille a traduit admirablement ce passage, Théodore, acte III, scène I.

[34] S. Augustin, Ép. 111 ; cf. De mendacio, 19.

[35] S. Augustin, De mendacio, 7, 10. — Pouvait-on la défendre en se donnant volontairement la mort ! Non, en règle générale, dit saint Augustin : il reconnaît cependant qu'une inspiration céleste, un ordre direct de Dieu, peut justifier un tel acte (De civ. Dei, I). Tel est le célèbre exemple des saintes Domnini, Bernices et Prodosces, qui, pour échapper aux soldats qui les poursuivaient, se précipitèrent dans un fleuve (Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 12 ; S. Jean Chrysostome, Hom. in laudem earum), semblables à ces femmes de Sicile que Cicéron nous montre se jetant dans des puits pour se soustraire à la brutalité de Verrès (Cicéron, De provinciis consul., 3). Telle encore sainte Pélagie qui, pour fuir la licence des soldats, se précipita du toit de sa maison (S. Ambroise, Ép. 37 ; S. Jean Chrysostome, Hom. in laud. ips.). Telle enfin cette femme d'un préfet de Rome, poursuivie par la passion criminelle de Maxence, qui, Lucrèce chrétienne, se poignarda au moment d'être emmenée de force chez lui (Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 14). Il est probable que plus d'une esclave chrétienne recourut à ce moyen extrême de sauver sa pudeur ; mais l'histoire ecclésiastique n'en a pas gardé le souvenir.

[36] Catulle, LXI, 81.

[37] Passio S. Afrae, ap. Ruinart, Acta sincera, p. 501.

[38] Acta S. Sireni, ap. Acta SS., Februarii, t. III, p. 71.

[39] Acta S. Dulœ, ap. Acta SS., Martii, t. III, p. 552.

[40] Palladius, Hist. Laus., 3.