I La liberté du travail, le libre accès de tous à la richesse, sont des conditions essentielles de l'existence des sociétés. Là où elles ne se rencontrent pas, tout languit, tout meurt, et la vie générale ne peut être entretenue que par des expédients aussi opposés à la morale qu'aux saines doctrines économiques. Au contraire. dans les sociétés où le travail est libre, où ses résultats ont à la portée de tous, il circule une sève abondante et sans cesse renouvelée. Un échange continuel d'efforts et de services rapproche les hommes oui luttent pour parvenir à la richesse et ceux qui l'ont obtenue déjà par leur propre labeur ou par celui de leurs ancêtres. Les uns travaillent pour accroître ou conserver ce qu'ils ont acquis ; les autres travaillent pour acquérir ; il se fait un mouvement ascendant qui ne cesse pas, qui entretient la vie, donne aux ressorts sociaux une élasticité merveilleuse, empêche qu'une classe se ferme jamais devant une autre, et que les hommes s'immobilisent soit dans la possession exclusive de la richesse, soit dans les privations d'une pauvreté sans espoir. Telle est la condition économique des sociétés modernes ; nous essaierions vainement d'en concevoir une autre. Le monde antique nous offre cependant, à certaines époques, le spectacle de sociétés fondées sur un principe opposé à celui-ci. Il est intéressant de les étudier de près, afin de mettre en lumière les plaies morales et les causes de dissolution plus ou moins prochaine, mais inévitable, qu'elles cachaient sous des apparences souvent brillantes. Au premier siècle de notre ère, la société romaine contenait deux classes d'hommes bien distinctes, les maîtres et les esclaves. Les premiers possédaient la richesse, le pouvoir, les honneurs : les seconds ne pouvaient avoir, pris en masse, aucune espérance d'y arriver. Les esclaves ne vendaient pas leur travail, ils étaient contraints de le donner gratuitement. Ils faisaient acquérir à autrui, ils n'acquéraient pas pour eux-mêmes. On les achetait, on les entretenait, on ne les payait pas. C'étaient des instruments de travail plutôt que des travailleurs. Varron les appelle des machines à voix humaine, instrumenti genus vocale[1]. Ils jouaient en effet dans l'industrie antique un rôle analogue à celui des machines dans, l'industrie moderne. Simples rouages, ils créaient la richesse sans en pouvoir retenir aucune portion à leur profit. Cette situation, renversement de toutes les lois économiques, était, au début de notre ère, celle de la moitié environ de la population dans l'Europe civilisée. La population romaine comprenait un troisième élément, qui, puissant pendant plusieurs siècles, avait, sous l'Empire, perdu toute influence sociale, politique, économique, vivait non de ce qu'il gagnait, mais de ce qu'on lui donnait, ne possédait rien, et cependant consommait sans produire, était presque nourri gratuitement par les riches et par l'État : c'était ce que nous appelons, dans notre langage moderne, le peuple, ce que la langue juridique de Rome appelait les humbles, les petits (humiles, humiliores, tenuiores, tenuissimi)[2]. Ces plébéiens pauvres, qu'il ne faut pas confondre avec les individus dénués de toute ressource, egentes[3], représentaient un quart environ de la population de Rome. Ils vivaient presque uniquement des largesse publiques et privées, publicis atque privatis largitionibus[4]. Ils travaillaient peu, le champ du travail se rétrécissant devant eux à mesure que le flot montant de l'esclavage les en chassait. Ainsi, un peuple de riches qui faisait travailler, un peuple d'esclaves qui travaillait pour lui et non pour soi, et un peuple de mendiants qui ne pouvait pas travailler, tels sont, en négligeant les détails, les trois éléments dont la coexistence formait la population romaine proprement dite, et la population de toutes les grandes villes de province, dans les trois premiers siècles de l'empire. Un tel état de choses conduisait naturellement au socialisme. Impossible là où le travail est libre, il régnait en maître dans une société où le travail était imposé aux uns, refusé aux autres, où ceux-là travaillaient par contrainte, ceux-ci demeuraient oisifs malgré eux. Chez nous, l'ouvrier qui n'a que ses bras et son intelligence est déjà riche : il est maître de l'avenir. Le produit de son travail est pour lui. Aucune carrière ne lui est fermée : il voit s'ouvrir devant ses efforts des débouchés innombrables. Vertueux, laborieux, économe, il pourra vivre, il pourra faire vivre les siens, acquérir le nécessaire, conquérir le superflu. Il y a partout du travail pour lui, et par conséquent du pain. A Rome, sous l'empire, il n'y avait pas de place pour l'ouvrier libre. A l'aide de l'esclave, enchaîné au travail et l'accaparant presque tout entier, la classe des maîtres suffisait à ses besoins personnels, avait le monopole de l'industrie, et contribuait pour une part considérable à l'alimentation du commerce. Quiconque n'était ni riche ni esclave tombait presque nécessairement à la charge de l'État. Les classes populaires n'avaient donc pas de plus grand ennemi que l'esclavage. Par lui, elles étaient condamnées à une situation fausse, sans issue tant qu'il durerait, et qui viciait profondément la constitution intime de l'empire romain. J'ai prononcé le mot de socialisme : on verra dans quelles conditions et dans quelle mesure il y existait. Avant d'en tracer le tableau, il est nécessaire d'indiquer d'abord la place que l'esclavage, au plus haut degré de son développement, occupait sur la carte économique du monde romain, et les espaces immenses qu'il avait couverts de son flot envahisseur : il sera plus facile de déterminer ensuite les points rares et isolés sur lesquels le travail libre pouvait encore trouver un asile, et de faire comprendre comment les pouvoirs publics furent obligés.de construire, pour la multitude des prolétaires condamnés et bientôt accoutumés à une dégradante oisiveté, un abri ruineux, immoral, chancelant, dont le socialisme formait la base. Entre l'esclave antique et le serviteur moderne, il n'y a aucune ressemblance, mais toute la différence qui sépare l'homme libre qui s'appartient et loue son travail de l'homme qui ne s'appartient pas et n'a droit de stipuler aucun salaire en échange de ses services. Il n'y a de même aucun rapport entre le nombre et le rôle des esclaves dans les sociétés antiques et le nombre et le rôle des serviteurs dans les sociétés modernes. N'avoir que trois esclaves était considéré, à Rome et dans les villes de province, comme une marque de pauvreté[5]. N'en posséder qu'un était, non pas seulement aux premiers siècles de l'empire, mais encore à l'époque de saint Jean Chrysostome, l'indice de la plus extrême misère[6]. Un Romain qui n'avait pour patrimoine que quelques milliers de francs de capital y joignait ordinairement sept ou huit esclaves. Quand Horace s'asseyait devant sa table frugale, trois esclaves l'y servaient, et il en avait neuf dans son petit domaine de la Sabine[7]. Marcus Scaurus hérita d'un très-modeste patrimoine ; ce patrimoine se composait de trente-sept mille sesterces (7.400 francs) et de dix esclaves[8]. Telle était la proportion entre le nombre des esclaves et l'importance de la fortune en numéraire[9]. Apulée, dans son Apologie nous apprend que sa femme, qui possédait environ 800.000 francs en terres et en capitaux, avait donné à ses fils une partie de sa fortune territoriale et quatre cents esclaves[10] ; en prenant ces chiffres pour base et en supposant, ce qui ne ressort nullement du texte et ce qui est peu vraisemblable, qu'elle n'eût possédé d'autres esclaves que ceux-ci, il en résulterait qu'à un capital de 2.000 francs correspondait la possession d'un esclave : on voit que l'on pouvait être presque pauvre et en posséder plusieurs, et l'on comprend quelle prodigieuse quantité d'esclaves devait entrer dans la composition des grandes fortunes romaines. A la fin de la république et sous l'empire, il n'était pas rare de rencontrer de riches Romains en possédant plusieurs milliers. Sous Auguste, un simple affranchi, C. Cæcilius Isodorus, bien qu'il eût perdu une partie considérable de sa fortune pendant les guerres civiles, laissa encore en mourant quatre mille cent seize esclaves[11]. Dans les dernières années du IVe siècle, c'est-à-dire à une époque où les fortunes étaient bien amoindries et où la population servile avait considérablement diminué, saint Jean Chrysostome, s'adressant au peuple d'Antioche, pouvait, sans être accusé d'exagération, évaluer à mille ou deux mille le nombre moyen des esclaves possédés par les riches de son temps[12]. Qu'était-ce donc deux ou trois siècles plus tôt ? A la fin de la république, un des plus opulents citoyens de Rome, Marcus Crassus, avait coutume de dire : On ne mérite vraiment le nom de riche que si l'on est en état d'entretenir à ses frais une armée[13]. Cette définition convenait parfaitement aux grands possesseurs d'esclaves de cette époque : ils avaient sous leurs ordres de véritables armées. Un affranchi, Démétrius Pompéianus, se faisait, dit Sénèque, répéter chaque matin le nombre de ses esclaves, comme on fait à un imperator le dénombrement de ses soldats[14]. Ce mot de Sénèque semble avoir été mis en action par Pétrone quand il montre Trimalcion, lui aussi un affranchi, se faisant apporter le registre où est inscrit le chiffre des esclaves, mâles ou femelles, qui, la veille, sont nés sur ses terres, trente garçons, quarante filles[15]. On peut se représenter maintenant l'intérieur d'une de ces riches maisons romaines qui, si vastes qu'elles fussent, étaient souvent trop petites pour la multitude des esclaves qu'on y entassait[16]. De telles multitudes ne pouvaient demeurer improductives. Quelque grand que fût le nombre des esclaves de luxe, ceux-ci ne pouvaient être, cependant, qu'une minorité. L'immense majorité des esclaves travaillait et produisait. Par eux, dans une riche maison romaine, tous les métiers et tous les arts étaient représentés. Une maison un peu nombreuse était une véritable manufacture, où les esclaves créaient la plus grande partie des produits consommés par leurs maîtres et par eux-mêmes. Le grain était moulu et le pain cuit à la maison[17]. Les habits y étaient fabriqués[18]. On y filait le lin ou la laine, on l'y tissait[19], on l'y teignait, on y cousait et brodait l'étoffe, sous la direction de véritables contremaîtres, lanipens, chargés de distribuer à chacun sa tâche[20]. On avait des esclaves tailleurs, brodeurs, dégraisseurs, foulons, cardeurs de laine, cordonniers, chasseurs, pêcheurs, peintres, ciseleurs, mosaïstes, vitriers, menuisiers, charpentiers, architectes, médecins. Dans une familia urbana complète, on entretenait, outre ces ouvriers d'intérieur, des artisans nomades, artifices, qui étaient envoyés faire les travaux nécessaires dans les divers domaines du maître[21]. Les esclaves, dans les grandes maisons, étaient souvent divisés par décuries, appartenant chacune à un corps de métier et ayant à sa tète un décurion. De quelle décurie es-tu ? demande Trimalcion à un esclave. — De la quarantième. — Acheté, ou né dans la maison ? — Ni l'un ni l'autre, je vous ai été légué par testament. — Sers-moi vite, ou je te fais reléguer dans la décurie des valets de ferme[22]. Un tel dialogue n'est pas une création de la fantaisie de Pétrone ; il est rigoureusement historique. Les inscriptions[23] mentionnent fréquemment les décurions, esclaves eux-mêmes, qui présidaient à l'embrigadement des travailleurs, au classement des aptitudes, dans ces maisons romaines que l'on serait tenté d'appeler d'immenses phalanstères. L'orgueil, et aussi l'économie, d'un riche romain, c'était de n'avoir rien à acheter au dehors, rien à demander au commerce, de tirer tout de ses terres et du travail de ses esclaves. Il n'achète rien, disait avec admiration un convive de Trimalcion : tout ce qu'il consomme naît chez lui[24]. Et Trimalcion, offrant lui-même son vin à ses invités, leur disait, avec une arrogance de parvenu : Grâce aux dieux, rien de ce qui, chez moi, vous fait venir l'eau à la bouche, n'est acheté[25]. On voit déjà comment, par l'esclavage, se resserrait le champ du travail libre. Quiconque possède un petit patrimoine est possesseur d'esclaves, et quiconque possède un certain nombre d'esclaves réussit plus ou moins à se suffire à lui-même, sans rien demander au travail du dehors. Quelques-uns, les plus riches, échappent tout à fait à cette nécessité ; d'autres y sont assujettis, mais s'efforcent de s'en affranchir ; et l'on peut dire qu'à Rome toute fortune qui s'accroît, loin de répandre l'aisance auteur d'elle et de faire aller le commerce, arrive, au contraire, à stériliser davantage le champ du travail indépendant, à faire plus de vide dans l'air que respire l'ouvrier libre. Donc, par l'esclavage, les riches enlèvent au commerce, au travail libre, l'immense appoint de leurs besoins. Ils ne demandent, soit pour eux-mêmes, soit pour les innombrables serviteurs qu'ils entretiennent dans leurs maisons, rien ou presque rien au producteur libre. Est-ce tout ? Non : ils- rendent, de plus, presque impossible l'existence de ce producteur, en lui faisant eux-mêmes une concurrence écrasante. On comprend, en effet, que le travail de deux ou trois mille esclaves dépasse énormément les besoins d'un seul homme, ou même d'une seule famille, quelque exagérés que soient ces besoins. II faut donc« que le trop-plein de ce travail se verse au dehors. Tout grand possesseur d'esclaves est, qu'il le veuille ou non, un industriel et un commerçant. Je dis : qu'il veuille ou non. En effet, même les riches
romains qui ne songeaient pas à augmenter leur patrimoine par l'industrie ou
le commerce étaient, en quelque sorte, contraints de mettre de temps en temps
dans la circulation les trésors que le travail non interrompu de leurs
esclaves accumulait dans leurs maisons. Par exemple, ces légions d'esclaves
tisseurs, tailleurs, brodeurs, qui faisaient partie intégrante du mobilier
d'une maison bien montée, produisaient sans relâche : et un jour venait où,
les coffres et les armoires étant remplis de vêtements fabriqués, que rongeaient les mites et dont nul ne savait le nombre[26], il fallait bien
les vider. Un trait célèbre en fera juger. Vers la fin de la république, un
préteur, obligé de donner des jeux, avait un jour à vêtir une centaine de
figurants. Que fait-il ? va-t-il courir chez les marchands d'étoffes, frapper
à la porte des tailleurs ? Non, il va trouver un des plus riches citoyens de
Rome, Lucullus, et lui demande de quoi habiller sa troupe. Lucullus envoie de
suite à l'impresario cinq mille
chlamydes de pourpre[27]. C'était une
faible partie des vêtements fabriqués par le travail de ses esclaves, et qui
s'étaient accumulés dans ses armoires. Moins riches ou moins généreux que
Lucullus, certains possesseurs d'esclaves louaient à des directeurs de
théâtre ou même à des entrepreneurs de pompes funèbres les vêtements
fabriqués dans leurs maisons[28]. Les cinq mille
chlamydes de Lucullus auraient semblé, deux siècles phis tard, un don fort
ordinaire. Au IIe siècle de notre ère, il n'était pas rare qu'un Romain eût
en réserve dans sa maison plusieurs milliers de vêtements. Il est impossible, disait un contemporain de Marc
Aurèle, le philosophe Favorinus, que l'homme qui
veut avoir chez lui quinze mille chlamydes ne désire bientôt en avoir
davantage[29]. Un demi-siècle
plus tôt, Martial écrivait à un riche : Tes presses
à étoffe sont surchargées de robes brillantes, tes coffres sont remplis
d'habits de festin en quantités innombrables ; tu possèdes assez de toges
blanches pour vêtir toute une tribu[30], c'est-à-dire,
en prenant ce mot à la lettre, la trente-cinquième partie des citoyens de
Rome. Beaucoup de possesseurs d'esclaves ne se contentaient pas de vendre accidentellement les produits de leur manufacture domestique ; c'était dans un but de spéculation qu'ils faisaient fabriquer chez eux de quoi vêtir toute une tribu ; ils devenaient de véritables chefs d'industrie, fondaient au moyen de leurs esclaves d'immenses établissements, et réalisaient en les employant comme ouvriers des bénéfices énormes. Suétone cite un grammairien célèbre du Ier siècle qui, outre son école, dirigeait une manufacture de vêtements[31]. A Rome la division du travail, ou plutôt ce que nous appelons, en style barbare, la spécialité des carrières, était pour les riches chose inconnue ; tel Romain pouvait être à la fois soldat, jurisconsulte, homme d'État, philosophe, poète et agriculteur. Il n'était point de riche possesseur d'esclaves qui ne pût aisément joindre à ses occupations habituelles la direction de quelque manufacture. La seule administration de sa maison l'avait initié de bonne heure au maniement des affaires industrielles ; entre le bon paterfamilias, employant fructueusement les aptitudes de ses nombreux esclaves, et l'industriel proprement dit, il y avait si peu de différence que la distance de l'un à l'autre pouvait être franchie de plain-pied, sans noviciat. La transition était si peu sensible que, dans certains textes juridiques, il est souvent difficile de déterminer s'il s'agit d'esclaves employés dans l'atelier domestique ou dans l'atelier industriel proprement dit. Ainsi, quand un testateur a légué toutes ses provisions de bouche, il y a controverse entre plusieurs jurisconsultes sur le point de savoir si ce legs comprend non-seulement les provisions préparées pour l'usage personnel du d'aître, de ses amis, de ses clients, des esclaves qu'il a autour de lui, quos circa se habet, mais encore celles destinées à ses tisserands et tisserandes[32]. S'agit-il là d'un atelier organisé dans la maison ou d'un véritable tissage monté dans un but spécialement industriel et commercial ? Il est difficile de le dire, tant, je le répète, la nuance était faible et la transition aisée de l'un à l'autre. Beaucoup de riches Romains se faisaient donc chefs d'industrie. A leur exemple, bien des pauvres gens convertissaient leur petit capital en esclaves, qu'ils faisaient travailler sous leurs yeux. Grande et petite industrie s'alimentaient ainsi par l'esclavage ; la vaste manufacture, l'étroit atelier, étaient remplis de travailleurs achetés. Avec le bas prix des esclaves de rebut que l'on consacrait à cet usage, avec le peu de frais que demandait leur entretien, avec le pouvoir absolu des propriétaires, maîtres d'exiger d'eux tout ce que les forces humaines peuvent donner, monter des manufactures à l'aide d'esclaves devenait une excellente spéculation. On achetait un ouvrier 450 ou 500 francs, une ouvrière 150 ou 200 francs[33]. On nourrissait chacun d'eux, sinon avec les olives tombées, comme le recommande Caton[34] ; au moins avec une pitance composée presque exclusivement de farine, d'huile, de sel, d'un peu de vin, rarement de légumes, jamais de viande, et qui ne devait pas coûter au maître plus de 100 ou 150 francs par an[35]. On leur faisait faire un dur apprentissage, où les coups, les blessures même, ne leur étaient pas ménagés par l'instructeur[36] ; puis, quand ils avaient appris leur métier, on les faisait travailler le jour, on les faisait travailler la nuit, réveillant par le fouet le malheureux qui fléchissait sous sa tâche et se laissait aller au sommeil[37]. On se rappelait que les esclaves, en vieillissant, perdent leur valeur, et l'on ne tenait pas à les voir vieillir. On voulait tirer d'eux, dit M. Wallon, non-seulement le prix d'achat, mais encore, dans un temps donné, l'amortissement du capital, puisque le produit de l'esclave est de la nature des rentes viagères, et que le capital placé sur la tête de l'esclave s'éteint avec lui[38]. Traités de la sorte, des ouvriers esclaves devaient sembler beaucoup plus avantageux que n'eussent été des ouvriers libres, qui auraient, en louant leur travail, fait leurs conditions, exigé un salaire rémunérateur, une nourriture suffisante, des ménagements et des égards. Le travail des esclaves employés dans les manufactures romaines était, ait moins en apparence, plus lucratif et moins coûteux que n'aurait été celui de personnes libres. Il n'y avait point de contestations, points de grèves possibles : l'esclave n'avait .qu'une manière de se mettre en grève, s'enfuir, au risque d'ameuter derrière lui d'ignobles chasseurs d'hommes que l'on appelait les fugitivarii[39]. La fuite de l'esclave était considérée comme un délit. Par une amère ironie, contre laquelle protestait, non sans courage, le bon sens de Plaute[40], l'esclave qui s'enfuyait était censé se voler lui-même à son maître[41], et ce vol était puni non-seulement par le fouet, les chaînes, la prison, le travail des mines, mais encore, jusqu'à Constantin, par le supplice de la marque[42]. Le bourreau domestique veillait, un fer rouge à la main, à la porte des manufactures romaines. Par ce procédé, beaucoup de questions qui sont une menace perpétuelle pour l'industrie moderne se trouvaient simplifiées, ou plutôt abolies : mais l'industrie exercée de la sorte était un bagne, et, à ce travail forcé, à ce travail qui broyait l'homme pour lui faire rendre, en sueur et en sang, tout l'or qu'il avait coûté, et l'intérêt usuraire de cet or, quelle concurrence pouvait faire le travail libre ? Aucune. Sans doute les lois romaines et les inscriptions mentionnent, même avant le IVe siècle, d'assez nombreuses corporations d'hommes libres voués à l'exercice des métiers. Ces corporations étaient établies non-seulement à Rome, mais dans les villes de province ; elles se composaient en partie d'ingénus, en plus grande partie d'affranchis, qui, devenus libres, exerçaient pour leur propre compte le métier appris dans la servitude. Mais, ingénus ou affranchis, les artisans nommés dans les inscriptions étaient pour la plupart des chefs d'atelier, des patrons, non des ouvriers. Et dans ces ateliers, de même que dans les manufactures des grands capitalistes de Rome, c'étaient presque uniquement des esclaves qui travaillaient (on verra plus loin à quel titre et dans quelles conditions les hommes libres y entraient quelquefois). Un assez grand nombre d'inscriptions montrent des chefs d'atelier élevant un tombeau à eux-mêmes, à leurs affranchis et affranchies, quelquefois à leurs alumni ; il est probable que ces affranchis et ces alumni sont les anciens ouvriers du patron, qui, après avoir, de son vivant, travaillé dans son atelier, ont reçu de lui la liberté testamentaire[43]. Quelques espèces rapportées par les jurisconsultes des IIe et IIIe siècles montreront que, dans les ateliers de cette époque, c'étaient bien des esclaves qui remplissaient le rôle d'ouvriers. Les esclaves, selon Paul et Pomponius, étaient considérés comme faisant partie du mobilier de la boutique ou du cabaret où ils servaient[44] : il en était de même de l'atelier. Si un boulanger, dit Paul, lègue son mobilier de boulangerie, les esclaves pistores sont compris dans ce legs[45] ; c'étaient donc des esclaves, et non des boudines libres, qui travaillaient habituellement sous les ordres du maître boulanger. Un pêcheur léguait son mobilier de pèche ; les esclaves pêcheurs, dit Marcien, sont légués par cette disposition[46]. Un père lègue à son fils la fabrique ou la boutique dans laquelle il travaillait ou vendait la pourpre ; les esclaves qui y sont employés font partie du legs, dit Ulpien[47]. Les potiers avaient aussi pour ouvriers des esclaves ; un texte de Javolenus, qui cite lui-même Labéon et Trébatius, en fait foi[48]. On pourrait multiplier ces exemples, que le Digeste offre en grand nombre. Quand donc un homme libre, habile dans un art ou dans un métier, voulait s'établir à son compte, il ne s'occupait pas de recruter des ouvriers, il achetait un ou plusieurs esclaves. Souvent il donnait mandat de les acheter à un artisan expérimenté, qu'il chargeait également de leur apprentissage[49]. Il s'associait quelquefois avec un tiers, afin de posséder en commun les esclaves dont leur industrie avait besoin[50]. S'il ne pouvait les acheter, il les prenait à loyer ; donner à loyer des esclaves était encore une industrie[51]. Certaines gens s'établissaient loueurs d'esclaves, comme on se, fait loueur de chevaux et de bêtes de somme[52]. On louait des esclaves de toute sorte : le petit bourgeois qui voulait donner un festin prenait à loyer un esclave cuisinier pour le préparer, un esclave servant pour offrir les mets aux convives, une danseuse esclave pour les égayer[53]. Le marchand en détail ou le cabaretier louait des esclaves pour desservir sa boutique[54]. L'entrepreneur de transports donnait à loyer des esclaves muletiers au même titre que des voitures et des mules[55]. L'entrepreneur de maçonnerie prenait à loyer des hommes de peine et des manœuvres[56]. Dans ce cas, les esclaves loués recevaient ordinairement le nom d'ouvriers, operarii ; on a l'inscription d'un tombeau élevé à un compagnon de travail par Alypius et Symbolus, ouvriers de M. Albius Pollio, esclaves de Caius Domitius[57]. Les plus riches citoyens de Rome ne dédaignaient pas d'augmenter leur fortune en louant leurs esclaves. Ils louaient aux malades leurs esclaves médecins, aux petits commerçants leurs esclaves comptables, aux maîtres boulangers leurs esclaves pistores, aux voluptueux leurs esclaves de luxe et de plaisir. Quelques-uns entretenaient des troupes d'histrions qu'ils donnaient à loyer[58]. Plusieurs entreprenaient en grand l'exploitation des esclaves à louer. Crassus, raconte Plutarque, avait cinq cents esclaves constructeurs et architectes. Il s'était rendu acquéreur dans Rome de vastes terrains achetés à très-bon marché. Voici comment il s'y était pris. A Rome, dit Plutarque, les incendies sont très-fréquents, parce que les maisons sont extrêmement pressées les unes contre les autres, et, comme on est obligé, faute de place, de construire des maisons très-élevées, il arrive souvent que leur trop grande hauteur les entraîne et qu'elles s'écroulent[59]. Crassus se faisait avertir de tout accident de ce genre : quand une maison avait brûlé ou était tombée, il courait offrir au propriétaire un très-bas prix du terrain couvert de ruines. On lui vendait ce terrain pour presque rien ; c'était au lendemain des proscriptions de Sylla, l'avenir était incertain, les vies menacées, peu de gens étaient tentés de lui faire concurrence. La sécurité revenue, quand on commençait à respirer, Crassus mettait en vente les immenses terrains dont il était devenu propriétaire. Il se gardait bien d'y bâtir : L'homme qui fait bâtir, disait-il, court à sa ruine et est son pire ennemi. Mais il louait ses cinq cents esclaves constructeurs et architectes aux citoyens moins prudents auxquels il avait vendu des terrains. Il réalisait ainsi d'immenses bénéfices. Bien qu'il possédât, dit Plutarque, de nombreuses mines d'argent et d'immenses domaines, cela n'était rien en comparaison du profit qu'il tirait de ses esclaves. Quelquefois de riches propriétaires entretenaient dans leurs domaines ruraux, en plus grand nombre que ne l'exigeait l'exploitation de ceux-ci, des esclaves exerçant divers métiers, depuis la médecine ou la construction jusqu'à la fabrication des étoffés : c'était comme un village industriel qu'ils établissaient sur leurs terres, et dont ils donnaient à loyer les habitants aux petits cultivateurs voisins[60]. Souvent encore les maîtres louaient, non plus le travail de leurs esclaves, mais celui de leurs affranchis. En effet, il n'était pas rare qu'un esclave fût affranchi sous la condition d'exercer, en tout ou en partie, son métier ou son art au profit du maître devenu son patron. On affranchissait, dit le jurisconsulte Julien, son esclave pantomime : on pouvait le faire sous la condition qu'il donnerait, soit chez son ancien maitre, soit chez les amis de celui-ci, tel nombre de représentations ; mais si le maître, ajoute le jurisconsulte, n'était pas ou n'était plus dans une situation de fortune lui permettant de se donner ou d'offrir à ses amis le luxe d'un pantomime, il pouvait louer les operœ qu'il avait stipulées de celui-ci. De même pour les esclaves médecins. On pouvait, en les affranchissant, stipuler d'eux des services, tel nombre de visites, par exemple, telles ou telles opérations ; mais, comme on n'était pas toujours malade, comme on pouvait n'avoir jamais besoin d'être opéré, on était libre de louer à autrui les soins médicaux que l'on avait stipulés de son affranchi. Et de même, continue Julien, pour toutes les autres professions[61]. On voit à quelles spéculations variées pouvait se prêter l'esclavage, sous la direction d'un homme habile, connaissant par expérience tout ce qu'il est possible de tirer des forces et de l'intelligence humaines : et l'on comprend comment, par le moyen des esclaves, le fruit du travail industriel était tout entier entre les mains de ceux qui les possédaient. L'esclavage exerçait sur le commerce et sur toutes les professions lucratives la même influence que sur l'industrie. Non-seulement le grand commerce était devenu le monopole des riches possesseurs d'esclaves, mais le petit commerce, le commerce de détail, le commerce des denrées, était, pour une part considérable, accaparé par eux[62]. Cet homme qui débitait de l'huile ou du vin sur le comptoir de marbre d'une taberna, cette femme qui, au coin d'une rue, proposait des légumes aux passants, ce barbier, ce colporteur, ce capitaine d'un navire marchand, ce chef d'un important comptoir, ce banquier assis devant sa table sur le forum, ce changeur sous l'œil duquel s'étalaient des tas d'or, cet usurier qui prêtait à gros intérêts aux pauvres gens, cet homme d'affaires qui vendait aux naïfs sa science et ses conseils, tous ces gens remuants, empressés, âpres au gain, qui les uns amassaient obole après obole de petits profits, qui les autres concevaient et exécutaient d'audacieuses spéculations, n'avaient souvent, de libre que l'apparence : beaucoup d'entre eux étaient des esclaves qui travaillaient pour le compte de leurs maîtres. Entrez dans cette taberna : derrière le comptoir s'ouvre un corridor, et ce corridor communique avec la maison du maître[63], qui y fait vendre par un esclave institor[64], aidé de jeunes serviteurs et de jeunes servantes[65], les denrées que ses esclaves villici ont le matin apportées de sa ferme suburbaine. Le majestueux banquier du forum, le brillant changeur, le malin usurier, c'est peut-être l'esclave mensœ prœpositus, l'esclave argentarius, l'esclave pignorius[66]. Interrogez cet homme qui, assis à quelque coin bien achalandé, vend le pain en détail aux ménagères romaines : c'est l'esclave du pistor[67]. L'agile colporteur qui étonne de son babil les habitants de ce petit village perdu dans un coin de l'Apennin, c'est l'esclave circitor[68]. Le loquace barbier qui, en vous rasant, en vous coupant les cheveux, en vous rognant les ongles, vous racontera les bruits de Rome et de l'univers, ce qu'a dit Néron à souper, nu quel a été le dernier mot de Thraséas mourant, c'est l'esclave tonsor. Dans ce cabinet rempli d'instruments et de remèdes, instructam et ornatam medicinœ causa tabernam, un médecin donne des consultations : il a été placé là par son maître, au profit duquel il guérit[69] Voici un rusé marchand d'esclaves, habile à acheter, à dresser et à revendre la marchandise humaine : c'est lui-même un esclave : il appartient à quelque spéculateur qui a voulu, à l'exemple du vieux Caton, s'associer à ses serviteurs pour ce honteux commerce[70]. Ce prudent armateur, ou ce capitaine si absolu à son bord, auquel obéissent en tremblant vingt matelots, souvent esclaves eux-mêmes[71], c'est l'esclave exercitor, l'esclave magister navis[72]. Allez demander à cet employé studieux, à ce caissier grave, intègre, exact jusqu'à la minutie, qui il est : Je suis, vous répondra-t-il, l'esclave ratiocinator. Et, si voyageant dans les provinces, vous y rencontrez quelque capitaliste de bonne mine et de belles façons, prêtant à la petite semaine et faisant en même temps sur le marché bien achalandé d'Arles le commerce des denrées et des huiles[73] ne vous hâtez pas de voir en lui un homme libre : c'est peut-être un de ces esclaves que de riches propriétaires entretenaient hors de Rome, soit comme représentants de leurs intérêts, soit comme commis-voyageurs[74]. On voyait ainsi des esclaves à la tête des plus importantes entreprises commerciales, de celles mêmes que les forces d'une seule personne ne suffisaient pas à fonder, et qui ne pouvaient s'établir qu'avec le secours multiple de l'association. Ulpien nous montre plusieurs associés s'entendant pour préposer, comme directeur de la maison ou de l'affaire montée en commun, l'esclave, sans doute fort, intelligent et fart habile, de l'un d'entre eux[75]. C'est ainsi que non-seulement le commerce, mais encore toute spéculation, tout profit quelconque, étaient entre les mains d'esclaves négociants, negotiatores[76], qui acquéraient pour leurs maîtres[77], mais dont les faits et gestes donnaient ouverture contre le maître à l'actio institoria, à l'actio exercitoria, à l'actio quod jussu, à l'actio de peculio[78]. De tels esclaves étaient dressés aux affaires avec le soin le plus minutieux. Ainsi, chez Crassus, le maître des cinq cents constructeurs et architectes, il y avait encore, raconte Plutarque, de nombreux et d'excellents lecteurs, écrivains, banquiers, intendants, hommes d'affaires, et Crassus était toujours au milieu d'eux, les inspectant sans cesse, leur donnant des leçons, et professant que le devoir du maître, c'est d'examiner ses esclaves, de les instruire, de les dresser à être les organes vivants de sa fortune, des hommes capables de diriger toutes choses pourvu que leur maître ne cesse de les diriger eux-mêmes[79]. C'est ainsi que les possesseurs d'esclaves étaient parvenus à ramener à eux et à détenir toutes les sources de la richesse. Ils étaient maîtres de la grande industrie, du grand et du petit commerce, de la vente des denrées, d'une foulé d'infimes métiers, et, à côté de cela, de ce qu'on est convenu d'appeler plus particulièrement les affaires, affaires de banque, de placements, de crédit. Ils avaient attiré tout cela à eux, ils avaient poursuivi jusque dans ses derniers retranchements le travail libre, ils n'avaient pas fait grâce au plus petit gain. lis occupaient, selon une expression romaine, tous les chemins de l'argent, omnes vias pecuniæ. Ce maître et l'esclave, voilà les deux extrémités entre lesquelles avait fini par se trouver resserrée, comme dans un étau, toute activité individuelle et commerciale. Or Rome, sous l'empire, comptait un million et demi d'habitants[80]. Parmi eux, il y avait trois ou quatre cent mille prolétaires ; comment vivraient-ils ? II Quelques-uns, formant une sorte de classe intermédiaire, de très-petite bourgeoisie, trouvaient leurs moyens d'existence dans divers emplois religieux, administratifs ou financiers. Les uns devenaient sacristains ou huissiers des temples (œditui, apparitores), ministres des pontifes ou des prêtres (calatores). D'autres entraient dans les collèges des victimarii, ou s'engageaient parmi ces troupes de musiciens des deux sexes (tibicines, fidicines, cymbalistriæ) qui rehaussaient la pompe des cérémonies religieuses. Ces bas employés des cultes étaient souvent des affranchis[81] Quelquefois même leur office était rempli par des esclaves publics[82], au grand détriment des hommes libres, condamnés à rencontrer partout cette redoutable concurrence. Parmi les emplois accessibles aux membres de la plebs, les plus recherchés étaient ceux qui les attachaient à la personne d'un haut magistrat, en qualité de hérauts, d'huissiers, de licteurs, de crieurs publics, de scribes (nomenclatores, designatores, viatores, accensi, limocincti, lictores, prœcones, scribœ). Ces charges étaient vénales, et faiblement rétribuées par le trésor public[83]. Pour vivre, leurs titulaires s'efforçaient souvent de cumuler plusieurs d'entre elles, ou d'y joindre un commerce[84]. Quelques-uns, attachés à la personne d'un fonctionnaire peu scrupuleux, suppléaient à la modicité de leur traitement en se faisant les instruments et les associés des malversations de leur patron : un scribe de Verrés pouvait devenir riche et même chevalier romain[85]. Mais la plupart de ces employés demeuraient pauvres et méprisés. Homme d'origine libre, dit Valère Maxime parlant d'un viator, il s'était déshonoré en acceptant cet emploi servile[86]. Cicéron fait un crime à Verrès d'avoir fait entrer un crieur public (prœco) dans le sénat d'une petite ville de Sicile[87]. On se fait crieur, dit-il, quand on n'a reçu en héritage que la liberté ; et il trace un injurieux parallèle entre le témoignage d'un homme honorable, honestus, et de celui qui, pour de l'argent, a prostitué sa voix dans le métier de prœco[88]. Les scribes eux-mêmes, nombreux, puissants, remuants, que Cicéron se crut souvent obligé de flatter[89], occupent, en réalité, un rang tout à fait infime. Chez les Grecs, dit Cornélius Nepos, ils étaient tenus en honneur, mais à Rome on les considère comme ce qu'ils sont en effet, des mercenaires[90]. Parlant d'un d'entre eux, Cicéron l'appelle un homme de rien, hominem tenuem scribam œdilitium[91] : on sait quelle était dans la langue juridique de Rome la force de ce mot tenuis. La plebs fournissait les employés inférieurs du trésor public, des institutions alimentaires, des administrations financières ; ceux, par exemple, qui travaillaient dans les bureaux des publicains, des douaniers, des percepteurs chargés de lever, à Rome et dans les provinces, les taxes sur les successions, sur les ventes d'esclaves, sur les affranchissements. Ces employés avaient, dans la plupart des administrations, à lutter contre la concurrence des esclaves. Cicéron nous dit qu'à Syracuse les registres de la douane étaient tenus par un esclave[92]. Il parle en termes généraux des esclaves employés par les publicains[93] : il montre ceux-ci ayant en Asie de nombreux esclaves occupés aux salines, qui leur étaient affermées, aux champs, où ils levaient les dîmes, dans les ports, où ils administraient les douanes[94]. Les inscriptions sont d'accord avec ces textes : elles mentionnent les esclaves d'une compagnie qui avait pris à ferme l'impôt sur les affranchissements, les esclaves publics employés par les percepteurs de l'impôt sur les ventes d'esclaves et sur les successions et occupant divers postes des administrations alimentaires[95]. Quelque multipliés que fussent les cadres de l'administration romaine, un nombre relativement petit de gens du peuple y pouvait trouver place. Pour devenir licteur, crieur public, scribe, etc., il fallait dépenser une certaine somme, decuriam emere[96]. Pour entrer dans les bureaux de quelque administration, il fallait (au moins pendant les trois premiers siècles de l'empire) lutter contre la concurrence envahissante de l'esclavage. Que devenaient ceux qui n'avaient ni assez d'argent ni assez de crédit pour remplir l'une ou l'autre de ces conditions et auxquels le travail échappait de toutes parts ? Les plus industrieux, les plus souples, les moins honnêtes
sans doute, à côté de tant de carrières qui leur étaient fermées par
l'esclavage, parvenaient à s'en créer d'autres, des carrières interlopes,
détournées, souvent inavouables : pareils à ces eaux dont un obstacle vient
tout à coup arrêter le cours naturel, et qui réussissent, en profitant des
moindres fissures, à se creuser des lits souterrains, à se créer des passages
cachés, à s'ouvrir des canaux inattendus, au risque d'ébranler le sol
qu'elles traversent. M. de Champagny a très-bien peint, en lui assignant sa
véritable cause, la multiplication à l'infini, dans la société romaine, de ces situations intermédiaires qui ne sont pas le
travail, et qui ne sont pas la fortune... On
se faisait histrion, prêtre d'Isis, prêtresse d'Adonis, devin, astrologue,
gladiateur, laniste, cocher ou palefrenier du cirque, danseur, danseuse,
bouffon. On se faisait, à des degrés divers, leno, lena,
hétaïre, meretrix, scortum, tout cela plutôt que de travailler
: hommes, femmes, enfants, encombraient à l'envi ces carrières, plus lucratives
et même plus honorées que le travail. On se faisait même mendiant, quoique la
mendicité fût un peu moins honorée et un peu moins lucrative. On se faisait
surtout parasite, et le parasitisme était, à Rome, une profession presque
officiellement constituée[97]. En un mot, la
plupart des professions utiles étant fermées, on se précipitait dans cette
multitude de situations inutiles ou immorales que le luxe engendre dans une
société corrompue. Cela maintenait, à la surface du monde romain, une
apparence de travail libre, pareille à cette végétation malsaine, mais
brillante, qui s'élève quelquefois à la surface d'un marais. Le véritable travail libre était-il, cependant, absolument étouffé ? Non : il en restait encore un germe obscur, languissant, méprisé, qui ne périt jamais tout entier, comme s'il eût attendu le jour où le christianisme devait l'échauffer et le faire éclore. Quelques hommes libres, trop fiers pour vivre comme vivaient, nous le verrons tout à l'heure, les milliers de prolétaires que l'État nourrissait gratuitement, ou trop chargés de famille pour se contenter des distributions intermittentes qui alimentaient la plèbe de Rome, s'engageaient, comme ouvriers, dans les ateliers déjà remplis d'esclaves[98]. Ils partageaient alors le sort de ces derniers, ne se distinguant d'eux que par le faible salaire qu'ils recevaient[99]. On confondait les uns et les autres dans le même mépris. Claude, offrant comme grand pontife un sacrifice expiatoire, ordonne de faire retirer la foule des ouvriers et des esclaves, summota operariorum servorumque turba[100]. Entre ces hommes libres et les esclaves avec lesquels ils vivaient, auxquels ils étaient assimilés, s'établissait quelquefois une fraternité touchante ; on en trouve une preuve dans ces collèges funéraires de pauvres et d'esclaves[101], si redoutés à la fin de la république[102], trop méprisés plus tard pour être craints[103], mais dans le sein desquels se refugièrent bien des sentiments nobles et délicats, et qui offrent une lointaine image de la charité chrétienne. L'Église semble l'avoir compris ainsi, car lorsque, au IIIe siècle, elle fut contrainte de prendre la forme d'une corporation légale, elle adopta sans répugnance celle de ces humbles collegia tenuiorum[104]. Et ce n'était pas seulement dans le sein du collège funéraire, mais jusque dans l'atelier, que la communauté de souffrances unissait entre eux les esclaves et les ouvriers ; une inscription nous montre que, dans les ateliers des cardeurs de laine, il y avait un mélange d'esclaves et d'hommes libres, et que ces derniers ne craignaient pas de se dire publiquement les sodales de leurs compagnons de condition servile[105]. Mais ces hommes libres qui se mêlaient volontairement aux esclaves étaient bien peu nombreux, comparés à l'immense multitude d'oisifs que l'État nourrissait. Les prolétaires romains, sous l'empire, n'étaient pas assez fiers pour rougir de l'aumône distribuée au nom de l'État et devenue pour eux un des privilèges du citoyen ; ils étaient trop orgueilleux pour s'abaisser au travail des mains, qu'ils appelaient un travail servile. D'un autre côté, le célibat, cette plaie de la société romaine, s'était étendu des familles riches aux familles populaires, et les prolétaires n'avaient plus d'enfants : ou, s'ils se mariaient, l'avortement, qui à Rome, malgré les lois, n'était jamais puni[106], et l'exposition des enfants, qui fut longtemps permise et toujours tolérée[107], simplifiaient souvent pour eux les charges de la paternité. On le voit, ni la fierté, ni le sentiment courageux des devoirs de la famille, ne devaient pousser beaucoup d'hommes du peuple à se mêler, en qualité d'ouvriers, aux esclaves qui remplissaient les grandes et les petites manufactures ; et jusqu'à ce que le christianisme, en réhabilitant le travail manuel, en encourageant et en purifiant le mariage, eût modifié cette situation antinaturelle et antisociale, l'homme libre, à part de rares exceptions, demeura dans Rome éloigné du travail. Le plus grand nombre des prolétaires vivait donc sans travailler. Telle est la conclusion logique à laquelle tout ce qui précède nous conduit. Le peuple romain, qui n'avait plus de part au gouvernement, composé presque d'affranchis, ou de gens sans industrie, qui vivaient aux dépens du trésor public[108], était nourri par l'État, les empereurs et les riches. Les distributions de blé faites à la plebs romaine au nom de l'État furent d'abord intermittentes. Elles devinrent régulières en vertu d'une loi de l'an 123 avant Jésus-Christ. Le blé n'était pas, à cette époque, livré gratuitement, mais à moitié prix. L'an 58 avant notre ère, les distributions devinrent gratuites. Sous Pompée, le nombre des participants s'éleva à 320.000. Jules César le réduisit à 150 ou 170.000. L'an 5 avant Jésus-Christ, il atteignit de nouveau 320.000. Il fut, en l'an 2, ramené à 200.000. De Trajan à Marc-Aurèle, il parait être remonté à 300.000. Sous Septime Sévère, il n'était plus que de 155.000. En 270, sous Aurélien, les distributions, mensuelles jusque-là (Auguste avait tenté vainement de les réduire à trois par année), devinrent journalières, et changèrent de nature : au lieu de 5 modii de blé par mois, chaque accipiens reçut par jour deux livres de pain de fine fleur de farine. Dès le temps de Cicéron, le cinquième des vectigatia, ou revenus indirects du trésor public, était absorbé par les distributions gratuites faites dans la seule ville de Rome[109]. A ces distributions régulières il faut ajouter les largitiones extraordinaires, très-fréquentes sous les empereurs : augmentation de la ration de blé ou de pain à laquelle avaient droit les prolétaires, distributions supplémentaires de vin, d'huile, de viandes, mise en vente par l'État, à bas prix, de blé ou d'autres denrées. M. de Champagny estime que, au IIe siècle, les prolétaires admis aux distributions publiques (et sous ce nom nous comprenons les hommes, les femmes et les enfants) recevaient, par an et par tête, en blé seulement, la valeur de 240 sesterces, ou 60 francs[110] : cette valeur devait être considérablement augmentée par les distributions d'autres denrées, pour lesquelles tout élément de calcul fait défaut. Ajoutez à ces rentes en nature les rentes en argent : d'abord les legs faits par certains empereurs au peuple romain, 300 sesterces par tête que lui laisse César, 25 millions de sesterces à partager que lui attribue le testament de Tibère ; puis les distributions, congiaria, que, de temps en temps, dans les circonstances solennelles, lui font les empereurs. Auguste, en neuf congiaria, lui donne par tête 2.825 sesterces (705 francs) ; Tibère, en trois fois, 888 sesterces (222 francs) ; Caligula, en deux fois, 600 sesterces (150 francs) ; Claude, en trois fois, la même somme ; Néron, également en trois distributions, 1.000 sesterces (250 francs) ; Domitien, aussi en trois congiaria, la même somme ; Nerva, en une fois, 300 sesterces (75 francs) ; Trajan, en trois fois, 2,600 sesterces (650 francs) ; Adrien, en sept fois, 4.000 sesterces (1.000 francs) ; Antonin, en neuf fois, 3.200 sesterces (800 francs) ; Mare-Aurèle, en sept fois, 5.000 sesterces (1.250 francs)[111]. J'arrête ici cette énumération, qu'il serait facile de continuer pour le siècle suivant[112]. Ces profusions, que la politique imposait aux empereurs les plus prévoyants, à un financier comme Adrien, à un sage comme Antonin, à un philosophe comme Marc-Aurèle, allaient trouver tous les oisifs inscrits sur le livre des largesses publiques, sans distinction entre le prolétaire honnête et le voleur, l'adultère, le parjure[113]. Ce n'était pas une faveur, c'était un droit, ou plutôt, dans la situation économique que j'ai décrite, une nécessité. Joignez aux distributions ordinaires et aux congiaria officiels les dons de toute nature qui, à chaque instant, pleuvaient sur la foule oisive. Riches, triomphateurs, empereurs, tout le monde l'invite à diner. Arrius a perdu son père : plusieurs milliers d'hommes festinent à ses frais en l'honneur du mort[114]. Revenu victorieux d'Asie, Lucullus distribue au peuple plus de cent mille tonneaux de vin grec[115]. César donne quatre repas au peuple romain. L'un d'eux est préparé ostensiblement par ses propres esclaves : l'empressement de la plèbe sera plus grand, tout le monde voudra goûter de la cuisine d'un patricien[116]. Un vivier rempli de murènes est acheté par César, qui veut servir à la foule des poissons délicats dans le repas qu'il lui offre après avoir été nommé dictateur[117]. Ce jour-là, chaque convive reçoit une amphore de Falerne et un baril de vin de Chio. Dans le festin public qu'il donne lors de son troisième consulat, César fait servir aux assistants quatre vins différents, du Falerne, du Chio, du Lesbos, du Mamertinum[118]. Tibère, après avoir triomphé de la Germanie, fait dresser mille tables et convie le peuple à s'y asseoir[119]. Il n'est point de nouveauté qu'on n'invente pour lui faire la cour. La politique des Césars côtoie sans cesse le socialisme ; elle se tient sur la limite qui sépare la révolution violente d'un régime doux, énervant, abrutissant, condamné, pour durer, à donner chaque jour une satisfaction plus complète aux appétits populaires. Célius, Dolabella, avaient essayé de faire passer une loi accordant aux locataires remise entière de leurs loyers[120] César ne peut sanctionner une semblable mesure ; mais il se charge de payer pendant une année tous les loyers inférieurs à 2.000 sesterces (500 fr.) à Rome et à 500 sesterces (125 fr.) dans le reste de l'Italie[121]. Toute la politique impériale est ici en germe : pas de spoliations violentes qui seraient la destruction de toute société : on se laisse glisser dans un socialisme mitigé, qui n'épuise, en apparence, que les finances du prince ou de l'État. - Auguste et ses successeurs pratiquent ouvertement cette politique et s'efforcent d'y rallier tous les riches citoyens de Rome. On les invite à ouvrir leurs trésors ; il faut que Rome s'embellisse à leurs frais ; les fonds de l'État ne suffisent pas, le domaine privé du prince n'est pas sans limites, les fortunes particulières sont appelées à concourir à l'amusement du peuple romain. Celui-ci construit des monuments nouveaux, celui-là répare les anciens, de toutes parts s'élèvent des temples, des bains, des théâtres, des portiques[122]. Il faut un beau décor à la fête continuelle que les empereurs vont donner au peuple-roi. Je ne puis citer toutes les bassesses, toutes les extravagances des particuliers et des princes, inquiets de plaire à ce grand enfant, à ce redoutable client, le peuple oisif, ennuyé, plein d'appétits. C'est le gendre d'Auguste, Agrippa, ouvrant dans Rome cent soixante-dix thermes, où la plèbe se baignera gratis pendant le temps de son édilité[123]. C'est le même Agrippa se chargeant, pendant une année, de faire faire au peuple la barbe à ses frais. C'est lui encore distribuant à la foule des bons qu'elle échangera contre de l'argent, des étoffes, des meubles. Ce genre de libéralité, inventé peut-être par Agrippa, fut imité par les empereurs. Pendant des jeux donnés par Caligula, les missilia pleuvent de même sur les spectateurs, à chacun desquels est distribuée de plus une corbeille pleine de vivres. Le même Caligula s'amuse, pendant plusieurs jours de suite, à jeter de l'argent à la populace du haut de la basilique Julia[124] ; ce jeu fut plus tard reproduit par Élagabale. Dans une fête qui dure plusieurs jours, Néron fait jeter au peuple assemblé dans le cirque des missilia, sur lesquels sont inscrits les objets les plus variés, des oiseaux, des viandes, des bons de blé, des vêtements, de l'or, de l'argent, des bijoux, des tableaux, des esclaves, des animaux domestiques, des lions et des tigres apprivoisés ; les gros lots sont des navires, des maisons et des champs[125]. Une semblable loterie fut une des fêtes offertes par Titus au peuple romain pendant les cent jours de réjouissances qui célébrèrent la dédicace du Colisée[126]. A la suite d'un repas donné au sénat, aux chevaliers et à la plèbe, et auquel, en maîtres de maison bien élevés, ont assisté l'empereur et l'impératrice, Domitien fait également jeter dans la foule des billets de loterie ; les acclamations éclatent : Vivent le maître et la maîtresse ! s'écrie le peuple enivré, Domino et Dominæ feliciter[127]. Ainsi, de fête en fête, de surprise en surprise, s'écoule la vie du prolétaire romain. Il quitte, le matin, la modeste chambre qu'il loue, au jour ou au mois, à l'étage supérieur de quelque haute maison de la Suburre, s'il n'est pas logé gratuitement par un opulent ou généreux patron[128] ; il va ensuite, de palais en palais, présenter sa sportula, qu'on lui rend pleine de vivres et d'argent[129] ; il va, quand l'heure est venue, porter sa tessera au distributeur du froment public ; quelque riche, auquel il est attaché comme client, l'invite à l'un de ces repas par lesquels on célèbre toutes les circonstances tristes ou joyeuses, anniversaire d'une mort, d'une naissance, funérailles, mariage, solennité d'une entrée en charge, inauguration d'un monument, etc. L'heure du bain est arrivée : il court aux thermes gratuits. Il va faire sa méridienne sous quelque portique de marbre exposé aux tièdes rayons du soleil couchant. Puis il finira sa journée au théâtre, au cirque, au Colisée, où quelques centaines de gladiateurs s'égorgeront, aux frais d'un riche, pour ses plaisirs. Il est le véritable roi de Rome. Quand il regagne, le soir, son petit logis, il peut se dire, plus heureux que Titus : Je n'ai pas perdu ma journée ; et il peut ajouter sans doute : Elle ne m'a rien coûté. Rome donne l'exemple de ce gaspillage insensé des deniers publics
et privés ; les villes de province l'imitent sur tous les points de l'empire.
Là aussi, les- décurions, les aspirants à l'édilité ou au duumvirat, les
magistrats en exercice, offrent à la foule des bains gratuits, des jeux, des
combats d'hommes ou de bêtes, des spectacles, des illuminations, des repas,
des distributions de deniers ou de sesterces, d'huile, de pain, de vin, de
viandes, de noix, de boissons sucrées et de friandises, et jusqu'à des
loteries[130].
Des citoyens généreux lèguent aux villes de quoi
donner des jeux, des représentations théâtrales, des chasses, des courses, ou
des sommes d'argent à distribuer par tête à chaque habitant, ou des fonds
pour offrir un banquet à tous les citoyens[131]. La moindre
fête est, comme à Rome, une occasion de libéralités. Ceux
qui prennent la robe virile, écrit Pline pendant son séjour en Bithynie,
ceux qui se marient, qui entrent dans l'exercice
d'une charge, ou consacrent quelque ouvrage public, ont coutume d'inviter
tout le sénat de la ville, et même un grand nombre de gens du peuple, et de
leur donner à chacun un ou deux deniers. Il y en a qui invitent à ces repas
jusqu'à mille hommes et plus[132]. Les
provinciaux riches (et sous l'empire il y
avait encore, dans les provinces, des fortunes énormes) emploient une
partie de leurs revenus en largesses publiques. C'est une émulation générale
: des dignitaires municipaux, quelquefois de modestes augustales, ou même de
simples affranchis, font paver des routes ou des places publiques à leurs
frais ; d'opulents magistrats construisent pour l'usage du peuple des
portiques ornés de colonnes, de marbres, de peintures ; d'autres bâtissent de
véritables places de marché, avec leurs boutiques couvertes et leurs tables
de pierre, élèvent des basiliques, des thermes, des temples, des théâtres,
des amphithéâtres, des tribunaux, des écoles de gladiateurs ou d'athlètes,
des murs, des portes, des arcs de triomphe, des statues, ou assurent
l'irrigation de leur ville[133] : contribuer à l'honneur et à l'ornement de la cité, comme
parlent les jurisconsultes, ou, selon le langage d'une inscription qui
rappelle un mot célèbre de Juvénal, subvenir aux
plaisirs et aux besoins de ses concitoyens[134], devient chaque
jour davantage le devoir des riches. Le peuple sait le rappeler à ceux qui
seraient tentés de l'oublier : petente populo,
postulante populo, disent certaines
inscriptions[135].
Mais, le plus souvent, les opulents provinciaux vont au-devant de ses désirs.
On voit, dans une petite cité de l'Italie, un dignitaire municipal fournir
aux habitants le blé gratuitement pendant l'année de sa charge[136]. Au IIe siècle,
le premier Hérode Atticus, qui avait donné dix millions de drachmes à la
ville de Troas, assure à chaque citoyen d'Athènes une rente de cent drachmes.
A ce jeu, on devenait aisément populaire ; mais, si riche que l'on fût, si
l'on ne possédait pas les trésors inépuisables des Attici, on s'y ruinait
souvent. Pline parle d'un certain Julius Piso qui avait presque épuisé sa
fortune en dons aux habitants d'Armisène[137]. On en arriva à
ce point, que les lois furent obligées d'assurer le sort des décurions que
leur munificence, conséquence obligée de leur charge, avait rendus pauvres[138]. Voilà le vrai socialisme. Si l'on n'arrache pas violemment aux riches leur fortune pour la partager avec les pauvres, on les contraint à la dépenser tout entière pour apaiser la multitude ignorante par des jeux, des monuments, des largesses, des festins[139]. Ces profusions vont toujours croissant. On a vu le nécessaire assuré aux prolétaires romains ; on vient de voir comment le superflu leur était offert de toutes parts ; un pas de plus, et ce superflu allait devenir pour eux, non plus une largesse accidentelle, mais un droit, le droit du citoyen romain. Outre le blé, l'huile, le lard, qu'ils recevaient à ce titre, Aurélien allait faire distribuer aux prolétaires de Rome une ration quotidienne de vin, quand un préfet du prétoire l'arrêta, en lui faisant entrevoir, comme conséquence, la nécessité d'ajouter un jour des distributions d'oies et de poulets[140]. La foule s'accommodait de cette vie oisive[141] : elle aimait cet air empesté, dit Tertullien, par l'haleine de tribus, de curies et de décuries entières sortant de table[142]. En se rendant aux distributions de blé leur tessera à la main, ou en allant porter chez les grands leur sportule, les citoyens romains regardaient d'un œil de pitié le malheureux esclave courbé, le front en sueur, sur sa tâche quotidienne. Ainsi nourrie, choyée, adulée, amusée, la plèbe romaine avait perdu toute fierté : c'était une bête à l'engrais : peu lui importait qui était son maître : sa voix s'était faussée, dit Tacite, à poursuivre de ses acclamations ceux qui triomphaient[143] : vide de soucis[144], elle ne distinguait plus entre un Trajan et un Néron : elle était à qui lui donnait sa pitance de chaque jour. On la gouvernait par le ventre : elle ne se plaignait pas, elle ne murmurait pas, elle ne s'indignait pas : elle restait calme devant le gouvernement d'un Caligula ou d'un Commode. Si elle rêvait quelquefois un nouveau César, c'est qu'à l'idée d'un changement de règne s'attachait celle d'une distribution extraordinaire d'argent ou de vivres[145]. Mais quand le César régnant multipliait suffisamment les congiaires, la plèbe n'avait aucun intérêt à le changer contre un autre ; elle le supportait, fût-il mauvais ; elle le souffrait, fût-il bon. Le ventre seul, chez elle, était révolutionnaire : on l'apaisait aisément. La bonne humeur populaire, quand on savait l'entretenir, demeurait inaltérable. Rien n'est folâtre, disait un empereur, comme le peuple romain quand il a bien dîné[146]. Les empereurs veillaient à ce que tous les. jours il dînât bien. C'était là le principal secret de leur politique intérieure, un de ces arcana imperii dont parle quelquefois Tacite. La comparaison se fait d'elle-même entre le césarisme antique, qui n'a duré qu'à la condition d'abaisser toute hauteur véritable et de flatter le peuple en satisfaisant ses caprices, et le césarisme moderne, son servile imitateur, Après cinq siècles de ce régime, le monde romain, malgré les forces de résurrection que le christianisme avait déposées en lui, ne sut pas résister aux Barbares. Grâce à Dieu, il existe entre la constitution économique des sociétés antiques et la nôtre une différence fondamentale. Le christianisme a détruit l'esclavage, et par là rendu au travail sa liberté et sa dignité. Mais le travail libre n'a pas d'ennemi plus redoutable que le césarisme — j'entends par ce mot le pouvoir un ou multiple qui n'a de racines que dans la faveur populaire et s'appuie sur elle seule pour gouverner —. Comme il s'adresse aux bas côtés de l'âme humaine, aux intérêts ou plutôt aux appétits de la foule, il tend, par son essence même, à ruiner la belle et grande notion du travail chrétien, à substituer au goût du labeur modeste, courageux, persévérant, à l'estime du salaire péniblement gagné, la poursuite fiévreuse de la richesse et de la jouissance, l'amour des gains subits et des fortunes improvisées : peu à peu il est conduit, pour colorer ce décevant horizon, à fausser les idées économiques, à faire entrevoir aux convoitises allumées une organisation nouvelle de la société, une répartition différente des biens de ce monde, une sorte de terre promise où l'État jouera le rôle de providence universelle, où sera supprimée cette loi de l'effort que Virgile, plus clairvoyant que son siècle, a chantée en vers admirables[147], et qui est la condition de tout progrès. Chaque pas fait dans cette voie rapprocherait le monde moderne de l'abîme dans lequel a sombré la civilisation antique. Ceux qui promettent au peuple des félicités infinies s'il veut abandonner le travail patient pour déclarer la guerre au capital, à la propriété, à tous les droits légitimes, le trompent en lui montrant leur idéal dans l'avenir : c'est dans le passé, à l'époque la plus abaissée de la civilisation romaine, qu'il faut le chercher. |
[1] Varron, de Re rustica, I, 17.
[2]
Ulpien, Paul, Marcien, Callistrate, au Digeste, IV, III, 11, § 1 ; XXXVI, X, 3, § 16 ; XLVII, XXII, 1, 3, § 3 ;
XLVIII, VIII, 3,
§ 2, XIX, 48, XXX, 3, § 4. Cf. Cicéron, In Catilinam,
IV, 7 ; Pro Murena, 43, 34 ; Pro Sextio, 48.
[3] Cicéron, Pro domo, 30, 33.
[4] Salluste, Catilina, 37.
[5]
Apulée, Apologie, éd. Nisard,
p. 212.
[6] S. Jean Chrysostome, Ad
Stagirium, III, 12. Cf. In Ép. Hebr., hom. XXVIII, 4.
[7] Horace, Sat., I, VI, 116 ; II, VIII, 18.
[8] Valère Maxime, Dict. fact. mir.,
IV, IV, 11.
[9] Il arrivait même quelquefois que les esclaves composaient la totalité de la fortune, qui ne comprenait ni terres ni capitaux : qui servos tantum habet in patrimanio suo. Ulpien, au Dig., V, II, 8, § 9.
[10] Apulée, Apol., éd. Nisard, p. 256.
[11] Pline, Hist. nat., XXXIII,
47.
[12] Jean Chrysostome, In Matth., homil. LXIII, 4.
[13] Plutarque, Marcus Crassus, 2 ; Pline, Hist. nat., XXXIII, 47 ; Cicéron, Paradoxa, VI, 1 ; de Officiis, I, 8.
[14] Sénèque, de Tranquillitate animæ, 9.
[15] Satyricon, 53.
[16] Sénèque, Consolatio ad Helviam, 40.
[17] Le jurisconsulte Paul compte parmi les impenses nécessaires la construction d'un pistrinum dans la maison. Paul, au Dig., XXV, I, 6.
[18] Pomponius, au Dig., XXIX, I, 31, § 1.
[19]
Titiæ textores meos omnes lego, dit un
testament commenté par Pomponius. Dig., XXX, I, 36. Cf.
Cicéron, Pro Plancio, 15.
[20] Orelli, Inscr. rom. select., 2974 ; Henzen, Suppl. ad Orelli, 6322 ; Bull. dell Inst. di Corr. archeol., 1873, p. 55. Un graffite de Pompéi donne le compte de la distribution d'un travail de tissage entre douze esclaves, dont un homme et onze femmes. Garrucci, Graffiti di Pompei, pl. XX, n° 1.
[21] Urbana familia, item artifices, quorum operæ cæteris quoque prædiis exhibebantur. Ulpien, au Dig., XXXIII, VII, 12, § 42.
[22] Satyricon, 47.
[23]
Dans le columbarium des esclaves et des
affranchis de Livie, je trouve : Decurio
cubicular., Mensor decurio, Strator decurio, Decurio medicus, Lector decurio,
Ostiarius decurio, Pedisequus decurio, Decurio a tabulis, Decurio femina,
Vernarum decurio. Orelli, 2973. Cf. supra
cubicularios, supra cocos, supra velarios, Or., 2727, 2827, 2967 ; supra lecticarios, decuriones domus, Henzen,
6323, 7357. Pedisequus decurio rappelle
ce texte du jurisconsulte Scævola, qui montre dans les maisons romaines les
esclaves inscrits nominativement et par catégories sur des registres : Pedisequas omnes quarum nomina in rationibus meis scripta
sunt, liberas esse volo. Dig., XL,
IV, 59.
[24] Satyricon, 38.
[25] Satyricon, 48.
[26] Lucien, Saturnales,
20, 21.
[27] Horace, I Ép., VI, 40, 44.
[28] Locaturum tam scenicam quam funebrem vestem. Ulpien, au Dig., VII, I, 15, § 5. Il s'agit, dans ce texte d'Ulpien, de quelqu'un à qui a été donné ou légué l'usufruit d'une certaine quantité de vêtements et qui les loue ; mais ces vêtements étaient vraisemblablement le produit du travail des esclaves du nu-propriétaire ou du testateur.
[29] Aulu-Gelle, Noct. attic., IX, 8.
[30] Martial, Epigr., II, 46. — Dans l'inventaire des richesses d'une courtisane au IIe siècle, je trouve : 275 coffres de vêtements de soie, 410 coffres de vêtements de lin, 160 coffres de robes brodées d'or, 159 coffres de robes brodées de pierres précieuses, 123 coffres de vêtements variés : Vita S. Eudocice, 8, ap. Acta Sanctorum, Martii, t. I, p. 116. La vie de Ste Eudoxie publiée par les Bollandistes est certainement apocryphe, c'est une amplification écrite au Ve ou VIe siècle (Voir Tougard, Quid ad profanos mores dignoscendos conferant Acla SS. Bolland., p. 1, 2). Mais il ne me parait point impossible que ce curieux inventaire ait été tiré d'un document authentique.
[31] Suétone, de Ill. Gramm., 23.
[32] Textorum et textricum cibaria. Ulpien, au Dig., XXXIII, IX, 3.
[33] Sous Auguste, un esclave mâle ordinaire se vendait 500 drachmes (Horace, II Sat., VII, 43) ; une drachme représentait à peu près 97 centimes de notre monnaie. Sous Domitien, une esclave femelle de qualités ordinaires valait 600 sesterces, 150 francs (Martial, VI Epigr., LXVI). Sous Septime Sévère, le prix moyen des esclaves, sans distinction de sexe, fut fixé légalement à 20 aurei ou solidi ; l'aureus ou solidus valait environ 22 fr. 10 cent. (Papinien, au Dig., IV, IV, 31 ; XL, IV, 47).
[34] Caton, de Re rustica, 58.
[35] M. Boissier, citant Sénèque, Ép. 80, d'après lequel on donnait aux esclaves, pour leur entretien, par mois, cinq boisseaux de blé et cinq deniers, remarque qu'en mettant le prix du boisseau à 4 sesterces, cela ne fait que 7 ou 8 francs par mois. La Religion romaine d'Auguste aux Antonins, t. II, p. 350.
[36] Il fallut déclarer responsable, en vertu de la loi Aquilia, l'instructeur qui, chargé d'apprendre un état à un esclave, l'aurait, par mesure disciplinaire blessé, éborgné ou tué : Si magister in disciplina vulneraverit servum vel occiderit..... qui eluscaverat discipulum in disciplina. Ulpien, au Dig., IX, II, 5, § 3.
[37] Sénèque, de Ira, III, 30.
[38] Wallon, Histoire de l'esclavage dans l'antiquité, t. I, p. 202.
[39] Florus, Epit. rer. rom., III, 19.
[40] Captivi, II, II, 9, 10.
[41] Sui furtum facere intelligitur. Africanus, au Dig., XLVII, II, 60. Cf. constitution de Dioclétien (anno 286), Code Just., VI, I, 1. Non-seulement l'esclave fugitif était puni, mais encore une action civile en dommages-intérêts était donnée contre l'homme libre qui s'était rendu complice de sa fuite. Ulpien, au Dig., IV, III, 7, § 7. On devenait complice de la fuite en donnant asile à l'esclave fugitif, à moins que l'ayant reçu par humanité ou miséricorde, on l'eût gardé avec soin chez soi pour le restituer à son maître. Ulpien, au Dig., XI, III.
[42] Voir de Rossi, Bullettino di Archeologia cristiana, 1863, p. 25 ; 1874, p. 60.
[43] Orelli, 7, 4147, 4148, 4155, 4168, 4218, 4252, 4253, 4258, 4264 ; Henzen, 5087, 5091. Cf. Tacite, Ann., XV, 34.
[44] Paul, Pomponius, au Dig., XXXIII, VII, 13, 15.
[45]
Paul, au Dig., XXXIII, VII, 18, § 1. Cf.
Code Theod., XIV, III, 7.
[46] Marcien, au Dig., XXXIII, VII, 17.
[47] Ulpien, au Dig., XXXIII, III, 91, § 2.
[48] Javolenus, au Dig., XXXIII, VII, 25, § 1.
[49] Paul, au Dig., XVII, I, 27, § 8. Inscriptions relatives à des esclaves apprentis, discentes : Orelli, 4293 ; Henzen, 6353.
[50] Voir au Digeste, XVII, II, de nombreux textes relatifs aux esclaves communs à deux maîtres ou associés. Cf. XXVIII, V, 7, 8 ; XXIX, II, 64, 66, 67. Voir un grand nombre d'inscriptions dans Orelli-Henzen. Le Pro Roscio fut prononcé à l'occasion d'un procès entre deux associés dans l'exploitation d'un même esclave. Il a trait à une forme particulière de société : un esclave est confié par son maître au célèbre comédien Roscius, afin que celui-ci l'instruise dans son art ; au lieu de payer l'apprentissage, il est convenu que, quand l'esclave pourra paraître sur le théâtre, le maître et l'éducateur partageront par moitié les bénéfices. (Cicéron, Pro Roscio comœdo, 10).
[51] Sur la locatio-conductio des esclaves, voir Dig., XIX, II, 42, 43, 60 ; V, 25 ; XXXII, III, 73.
[52] Mercedes servorum vel jumentorum... possunt locari. Ulpien, au Dig., XLII, V, 8, § 1.
[53] Plaute, Aulularia, Pseudolus, Mercator, Epidieus, etc. Ulpien, au Dig., XIII, VI, 5, § 7.
[54] Si hominem tibi locavero ut habeas in taberna... Paul, au Dig., XIX, II, 45, § 1.
[55] Labéon, au Dig., XIX, II, 60, § 7, 8.
[56] Ulpien, au Dig., XIII, VI, 5, § 7.
[57] Orelli, 5042.
[58] Ulpien, au Dig., XXXII, III, 73, § 3.
[59] Plutarque, Marcus Crassus, 2.
[60] Varron, De Re rustica, I, 16 ; Paul, au Dig., XXXIII, VII, 19.
[61] Julien, au Dig., XXXVIII, I, 25, 27.
[62] Les patrons avaient le droit d'interdire à leur affranchi d'exercer le même commerce qu'eux, quand la concurrence pouvait leur être nuisible. Scævola, au Dig., XXXVIII, I, 46.
[63] Dyer, Pompei, p. 322, 329, 444. Cf. Paul, au Dig., XXV, I, 6. Souvent une taberna était attachée aux exploitations rurales. Scævola, ibid., 38, § 5.
[64] Marcellus, au Dig., VII, VIII, 20. Cf. Scævola, ibid., XXXIII, VII, 7 ; un testateur lègue : Horreum vinarium, cum vino et vasis, et instrumento, et institoribus.
[65] Plerique pueros puellasque tabernis prœponunt. Gaius, au Dig., XIV, III, 8.
[66] Ulpien, au Dig., II, XIII, 4, § 3 ; XIV, III, 5, § 3.
[67] Ulpien, Dig., XIV, III, 5, § 9.
[68] Ulpien, Dig., XIV, III, 5, § 9.
[69] Cicéron, Pro Cluentio, 63.
[70] Plutarque, Cato major.
[71] Ulpien, au Dig., IV, IX, 7.
[72] Ulpien, Paul, au Dig., IX, IV, 19, § 2 ; XIV, I, passim.
[73] Africanus, au Dig., XII, I, 41. Habebat quis servum merci oleariæ præpositum Arelatæ, eumdem et mutuis pecuniis accipiendis : Ulpien, au Dig., XIV, III, § 13. Cf. Paul, ibid., V, 8.
[74] Ulpien, au Dig., XXVIII, V, 35, § 3.
[75] Ulpien, au Dig., XVII, II, 23, 24.
[76] Servis negotiatoribus... qui præpositi essent negotii exercendi causa, veluti qui ad emendum, locandum, conducendum præpositi essent. Marcien, au Dig., XXXII, III, 65. Cf. Henzen, 6051.
[77] Même lorsqu'ils étaient autorisés à faire en leur propre nom le commerce ou la banque, soit seuls, soit en société (Pomponius, Ulpien, au Dig., XVII, II, 13, 58, § 3), ils acquéraient encore pour leur maître, puisque celui-ci avait le domaine éminent de leur pécule, et ne leur en laissait la disposition qu'autant qu'il le voulait bien. Sénèque, de Benef., VII, 4.
[78] Dig., XIV, I, III ; XV, I, IV.
[79] Plutarque, Marcus Crassus, 2.
[80] Gibbon évalue la population romaine au IIIe siècle de l'ère chrétienne à un million deux cent mille habitants (Hist. de la décad. de l'Emp. rom., ch. XXXI) ; Marquardt (Handbuch rom. Altherthumer, III, p. 101) l'évalue à un million six cent trente mille. Voir G. Humbert, article Annona, dans le Dict. des ant. grecques et rom. de Daremberg et Saglio, p. 274-276.
[81] Une inscription trouvée en 1873 sur le Forum romain donne le nom des dix principaux dignitaires du collège des tibicines romani : tous sont des affranchis. Bull. dell Instit. di corr. archeol., 1873, p. 51. Cf. un grand nombre d'inscriptions dans Orelli-Henzen, et Tacite, Ann., XIII, 27.
[82] Orelli, 2468, 2469, 2470, 2853 ; Henzen, 6105, 6106, 6107, 6108, 6109.
[83] Cicéron, II Verr., III, 78.
[84] Orelli, 2176, 3197, 3212, 3216, 3254, 4921 ; Henzen, 6547, 6557.
[85] Cicéron, II Verr., II, 10 ; III, 80.
[86] Valère Max., IX, I, 8.
[87] Cicéron, II Verr., II, 49.
[88] Cicéron, Pro P. Quintio, 3, 31.
[89] Cicéron, Pro Murena, 20 ; Pro domo, 28 ; II Ver., III, 79.
[90] Cornelius Nepos, Eumène, 1.
[91] Cicéron, Pro Cluentio, 95.
[92] Cicéron, II Verr., II, 77.
[93] Cicéron, de Prov. consul., 5.
[94] Cicéron, Pro lege Manilia, 6.
[95] Orelli, 2852, 3336, 3337, 3339 ;
Henzen, 6553, 6644, 6645, 6847,6589.
[96] Cicéron, II Verr., III, 79
[97] De Champagny, Les Antonins, t. II, p. 110.
[98] Plaute, dit-on, se loua pour tourner la meule. Varron rapporte que, pendant qu'il exerçait cette profession, il composa trois de ses comédies. On comprend que, de tous les écrivains de l'antiquité romaine, Plaute soit celui qui a le mieux connu les esclaves, et qui, tout en peignant leurs vices avec la verve et la crudité habituelles de son langage, parle d'eux avec le plus de sympathie. Plaute tournant la meule était passé en proverbe : au IIIe et au IVe siècle, on donnait encore aux pistores le nom de familia Plautina. Minutius Félix, Octavius, 14 ; S. Jérôme, Ép. 27, 47.
[99] Il semble résulter d'un mot de Cicéron que, de son temps, le salaire d'un manœuvre ne dépassait pas 12 as, ou 80 cent., par jour, Pro Q. Roscio, 10.
[100] Suétone, Claudius, 22.
[101] Orelli, 2394, 2863 ; Henzen, 6076, 6086, 6361, 644.
[102] Cicéron, Post redit. in senatu
orat., Il ; Pro Sextio, 15 ; In Pisonem, 4.
[103] Marcien, au Dig., XLVII, XXII, 1, 3, § 3.
[104] Rome souterraine, par Northcote et Brownlow ; traduit de l'anglais par Paul Allard, 2e édit., p. 91, Paris, librairie académique Didier et Cie.
[105] Orelli, 4287.
[106] La première disposition légale punissant l'avortement est un rescrit de Septime Sévère et Antonin Caracalla. Marcien, au Dig., XLVII, XI, 4. La peine de la femme qui s'est fait avorter est l'exil temporaire. Ulpien, Trypho, au Dig., XLVIII, VIII, 8 ; XIX, 39. Celui qui a fourni le breuvage abortif est puni, selon sa condition, soit des mines, soit de la relégation avec confiscation partielle des biens, et même de mort si la femme a péri. Paul, au Dig., XLVIII, XIX, 38, § 5. En fait, ce crime n'était presque jamais poursuivi : Ovide, Amor., II, XIV ; Juvénal, II, 32 ; VI, 595 ; Tertullien, Apolog., 8 ; Aulu-Gelle, Noct. att., XII, 1 ; S. Ambroise, Hexam., V, 18.
[107] Paul assimile à l'infanticide l'abandon et l'exposition des enfants. Dig., XXV, III, 4. Le jurisconsulte Scævola en parle cependant comme d'une chose de tous les jours. Dig., XL, IV, 29. Cf. S. Justin, Apolog., I, 27 ; Clément d'Alexandrie, Pœdagog., III, 3, Juvénal, VI, 605 ; Tertullien, Apol., 9 ; Ad. nat., I, 15 ; Minutius Felix, Octav., 39, 31 ; Lactance, Div. Inst., V, 20.
[108] Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, 14.
[109] Cicéron, Pro Sextio, 22, 48.
[110] De Champagny, Les Antonins, t. III, p. 284.
[111] De Champagny, Les Antonins, t. III, p. 325, note.
[112] Voir le manuscrit de la Bibliothèque de Vienne sur les libéralités des empereurs publié par le P. Brottier dans son édition de Tacite, t. IV, p. 234 et suiv.
[113] Sénèque, De Benef., V, 10.
[114] Cicéron, In Vatinium, 13.
[115] Pline, Hist. nat., XIV, 14.
[116] Suétone, Cæsar, 26.
[117] Pline, Hist. nat., IX, 81 ; Varron, de Re rust., III, 17.
[118] Pline, Hist. nat., XIV, 17.
[119] Suétone, Tiberius, 20.
[120] Cæsar, de Bello civili, III, 21 ; Dion Cassius, Hist. rom., XLII, 22, 32.
[121] Suétone, Cæsar, 38.
[122] Suétone, Augustus, 29.
[123] Pline, Hist. nat., XXXVI, 45
[124] Suétone, Caligula, 18.
[125] Nero, 11.
[126] Dion Cassius, Hist. rom.,
LXVI, 25.
[127] Suétone, Domitianus, 5, 13.
[128] Ulpien, au Dig., IX, III, 5, § 1. Cf. Henzen, 7321.
[129] Juvénal, Sat., I, 95, 120, 128 ; Sénèque, de Brev. vitæ, 14 ; Lucien, Nigrinus, 22 ; Martial, Épigr., I, 60 ; III, 14, 249 ; X, 28, 70, 74, 75.
[130] J'ai noté dans le recueil d'Orelli-Henzen cent vingt-quatre inscriptions se rapportant à ces divers genres de libéralités.
[131] Paul, Gaius, au Dig., XXX, I, 122 ; XXXV, I, 17, § 3.
[132] Pline, Ép., X, 117 ; cf. VI, 1.
[133] Je m'abstiens de citer les innombrables inscriptions et les textes des jurisconsultes ayant trait à ces libéralités municipales : dans l'énumération que je donne, il n'y a pas un mot qui ne s'appuie sur plusieurs documents épigraphiques.
[134] Orelli, 2532. Cf. Dig., XXX, I, 122.
[135] Orelli, 1571 ; Henzen, 5320, 7083. Cf. Suétone, August., 42 ; Tiber., 37 ; Ammien Marcellin, Rer. gest., XXVII, 3.
[136] Orelli, 3848 : cf. Or., 80, 2172 ; Henzen, 5323, 6759.
[137] Pline, Ép., X, 111.
[138] Hermogène, au Dig., I, III, 8. Cf. pour les Augustales, Orelli, 3678 ; Corpus inscr. lat., t. II, 4514.
[139] Cicéron, Philipp., II, 45. Cf. Fronton, Principia historia, éd. Mai, p. 322.
[140] Vopiscus, Aurel., 47, 48.
[141] Cicéron, Pro Sextio, 48.
[142] Tertullien, Apolog., 39.
[143] Tacite, Hist., I, 90.
[144] Tacite, Hist., II, 90.
[145] Tertullien, Apolog., 35.
[146] Vopiscus, Aurelian., 47.
[147] Virgile, Géorgiques, I, 120-145