§ 1. — De l'édit de Milan à la mort de Licinius. Proclamer, au sortir d'une violente crise religieuse, la liberté de conscience et promettre aux divers cultes un traitement égal, est chose relativement facile : mais il n'est pas toujours aussi aisé de concilier avec les faits ces principes nouveaux et de les acclimater aux mœurs publiques. Ce n'est pas une société abstraite qui est invitée à les accepter, mais un organisme vivant, ayant des habitudes séculaires, des préjugés enracinés, des traditions et des passions. Chez les tenants du culte qui jusqu'alors avait dominé seul il y aura des résistances, appuyées sur une longue possession d'état ; chez les adhérents de celui qui, persécuté naguère, vient de recevoir la liberté, l'impatience de dominer à leur tour se produira presque inévitablement, surtout s'ils se sentent assurés de la faveur du souverain. Le prince lui-même, à moins d'être tout à fait sceptique, aura ses préférences personnelles, qui lui rendront la neutralité difficile. Au milieu de ces obstacles divers, et souvent contrariée par eux, se développa l'œuvre de pacification religieuse inaugurée par l'édit de Milan. La constitution même du pouvoir impérial créait au vainqueur de Maxence une situation contradictoire. De sentiments et de croyance, Constantin était devenu chrétien, fort imparfait sans doute, mais sincère. Empereur, il gardait une attache forcée au paganisme. Il était de droit membre de tous les collèges sacerdotaux et souverain pontife. Cette dignité ne lui donnait pas seulement la présidence des pontifes de Vesta, pour laquelle il lui était facile de se faire suppléer[1] : elle lui conférait sur la religion romaine et sur les cultes étrangers qui en dépendaient un pouvoir presque absolu de direction et de surveillance, s'étendant à la fois aux rites et au personnel. Constantin n'eût pu répudier le suprême pontificat sans amoindrir aux yeux d'une grande partie de ses sujets le prestige de la souveraineté ; il lui eût d'ailleurs été impossible de l'abolir sans porter atteinte à la liberté des cultes qu'il venait de proclamer, ou de le laisser aux mains d'un particulier sans investir celui-ci d'une redoutable puissance et se créer presque sûrement un rival. Aussi un historien païen remarque-t-il que Constantin, même après s'être, en religion, détourné de la droite voie, eut soin de garder le titre et les honneurs de Pontifex maximus[2]. Ce titre se lit sur les inscriptions et sur les monnaies, à diverses époques de son règne. Tertullien semble pressentir cette anomalie d'un empereur demeurant le chef officiel du culte païen après l'avoir abandonné, quand il écrit : Il est impossible d'être à la fois César et chrétien[3]. Mais ce que la logique de l'intraitable Africain lui montrait de loin comme impossible, un génie plus souple essaiera de le réaliser. Constantin et ses successeurs, pendant plus d'un demi-siècle, pratiqueront cette espèce de dualisme. Pour apprécier la manière dont le problème fut résolu par le premier empereur chrétien, il faut se rappeler que de 313 à 324 celui-ci ne gouverna pas seul. En Orient son collègue Licinius, d'abord associé pleinement à sa politique religieuse, s'en détache peu à peu, au point de devenir le champion déclaré du paganisme. Cette situation imposa naturellement pendant dix ans à Constantin une réserve plus grande que lorsque, après 324, Licinius ayant été vaincu et tué, et la réaction païenne dont il s'était fait le chef se trouvant abattue avec lui, l'Orient et l'Occident n'eurent plus qu'un maître, libre de manifester ses sentiments avec une pleine indépendance. La conduite de Constantin vis-à-vis des païens et des chrétiens doit donc être examinée à part pour l'une et l'autre de ces périodes. Pendant la première, quatre actes législatifs, datés par lui de Rome, d'Aquilée et de Sardique, ont trait à la réglementation du culte païen. Ce sont d'abord, en 319, un rescrit et un édit contre les abus de l'art divinatoire. Ils ont pour objet d'interdire l'entrée des demeures privées aux haruspices et aux prêtres faisant métier de deviner l'avenir. L'exercice de l'haruspicine n'est permis que dans les temples, en public, selon les rites consacrés[4]. Deux rescrits de 321 complètent la pensée de l'empereur. Dans l'un, il menace de sévères châtiments ceux dont les prestiges magiques seraient dirigés contre la vie ou la pudeur, exceptant de cette menace les recettes innocentes qui auraient pour seul but de guérir les maladies ou de préserver les récoltes[5]. L'autre rescrit déclare que les haruspices doivent être consultés, conformément à l'ancienne coutume, quand la foudre est tombée sur le palais ou sur quelque édifice public, mais que leurs réponses, en ce cas, devront être transmises directement à l'empereur[6]. Rien, dans ces diverses ordonnances, ne porte atteinte à la liberté de l'idolâtrie, qu'elles consacrent, au contraire, en termes formels, reconnaissant l'exercice officiel de l'haruspicine aussi nettement qu'elles en punissent les manœuvres secrètes. On peut les rapprocher d'ordonnances semblables rendues par des princes païens. Si elles portent au paganisme un coup indirect, c'est en lui interdisant de conspirer dans l'ombre et le mystère, en l'obligeant à vivre au grand jour, et à communiquer même ses oracles au souverain ; mais, telles qu'elles sont, elles frappent seulement des abus, ne donnent aux partisans de l'ancien culte aucune cause légitime de plainte, et paraissent émaner du pontife non moins que de l'empereur. D'autres mesures de Constantin, à la même époque, rentrent aussi exactement dans l'esprit de l'édit de Milan, car elles ont pour objet de mettre les chrétiens sur un pied d'égalité avec les païens, conformément à cet édit, qui reconnaissait les mêmes droits aux divers cultes entre lesquels se partageaient les sujets de l'Empire. Tels sont les lois ou rescrits de 313, 319, 320, déclarant les prêtres catholiques exempts de toutes les charges municipales[7] ; exemption équitable, puisque les prêtres païens en jouissaient déjà[8], malheureusement à peu près détruite, au détriment des chrétiens, par une autre loi de 320 enjoignant de n'admettre aux ordres sacrés que les gens de petite fortune, de peur que l'entrée d'un trop grand nombre de riches dans le clergé ne dépeuple et n'appauvrisse les curies[9]. La permission, donnée en 321, de tester en faveur des églises catholiques[10] les égale seulement, à ce point de vue, aux temples, autorisés de tout temps à recevoir des dons et des legs[11]. Quand des basiliques chrétiennes s'élèvent, aux frais du trésor impérial, à Rome, en Italie, en Afrique, en Asie, quand leur dédicace est célébrée avec éclat, et que des revenus en terre leur sont assignés[12], Constantin ne fait autre chose que donner au culte catholique une splendeur équivalente à celle dont jouissait le culte païen : Zosime est injuste en lui reprochant d'avoir épuisé par des constructions inutiles les finances de l'État[13]. La loi de 321 qui ordonne aux juges, aux corporations et aux particuliers de chômer le dimanche[14] n'est pas, elle-même, une faveur spéciale aux chrétiens : elle place seulement leurs jours fériés au même rang que les feriæ païennes, pendant lesquelles devait cesser tout travail qui n'était pas indispensable[15]. Quant à la loi de 323, défendant de contraindre les chrétiens à faire acte de paganisme, elle n'a pas besoin d'être commentée[16] : elle montre quelle vigilance était encore nécessaire au législateur pour leur assurer la liberté de conscience promise à tous. On remarquera cependant une nuance curieuse. L'empereur interdit de forcer aux sacrifices les ecclésiastiques et les autres membres de la secte catholique ; c'est encore le style neutre du législateur ; puis, insistant, il menace de peines sévères ceux qui auront obligé aux rites d'une superstition étrangère les serviteurs de la loi très sainte ; c'est maintenant le langage du chrétien. Jusqu'ici, nous n'avions pu juger des sentiments personnels de Constantin. A quelques expressions près, la série de lois et d'ordonnances qui vient d'être rappelée eût pu émaner d'un souverain indifférent en matière religieuse, et seulement occupé à garantir à tous les cultes une situation égale. La loi de 323 ne s'écarte pas de ce but, mais découvre, par un brusque changement du style officiel, les préférences intimes du prince. Des faits beaucoup plus anciens les avaient déjà mises en lumière. Les panégyristes qui racontent l'entrée de Constantin à Rome après la bataille du pont Milvius parlent des spectacles auxquels il assista, mais ne font mention ni de sacrifices, ni même d'une visite au Capitole[17]. En 313, il néglige de célébrer les jeux séculaires, tout empreints de paganisme[18]. Quand une statue lui est érigée dans Rome, il veut que la lance placée dans sa main ait la forme d'une croix, et que l'inscription du piédestal attribue sa victoire à ce signe salutaire[19]. Dans les lois où il peut le faire sans blesser la liberté des consciences, il s'inspire visiblement de l'esprit chrétien. Celui-ci laissa probablement son empreinte sur un assez grand nombre d'actes législatifs ayant pour objet d'adoucir la condition des esclaves ou le régime des prisons, d'empêcher le meurtre ou l'abandon des nouveau-nés, de réprimer l'immoralité[20]. Il apparaît surtout avec évidence dans quelques lois. Telle est celle qui, très-peu de temps après la prise de Home, abolit le supplice de la croix, ainsi que la rupture des jambes, autre souvenir du Calvaire[21]. Telle encore la loi de 315, défendant de marquer les condamnés au visage, fait à la ressemblance de la beauté divine[22]. En 316, Constantin permet d'affranchir les esclaves dans les églises, en présence de prêtres[23] ; en 321, il assimile l'affranchissement ainsi conféré aux modes solennels, qui transmettaient le droit de cité romaine, et donne même aux clercs le pouvoir de faire de leurs esclaves des citoyens, quel que soit le mode employé[24]. Dès 320, il avait aboli les lois portées par Auguste contre le célibat[25]. Des deux grandes affaires religieuses qui agitèrent l'Église au quatrième siècle, l'une, celle des donatistes, est antérieure à la mort de Licinius. Plus encore que toutes les autres preuves que nous en avons données, elle révèle l'ardeur des sentiments chrétiens qui animaient Constantin dans cette première période de son règne. Quand le parti qui attaquait comme invalide l'ordination de Cécilien, évêque de Carthage, eut porté cette mauvaise cause devant l'empereur, celui-ci, dès 313, en renvoya l'examen à un synode convoqué à Rome. Il ne vous échappe pas, écrivit-il au pape Miltiade[26], que je porte un tel respect à la religieuse et légitime Église catholique, que je voudrais ne voir subsister entre vous ni schismes ni divisions. L'année suivante, saisi par les donatistes d'une imputation outrageante contre Félix d'Aptonge, consécrateur de Cécilien, il fit faire en Afrique (étrange renversement des situations) une enquête qui démontra, par le témoignage des magistrats en exercice lors de la persécution, que, loin de leur avoir jamais obéi, Félix était demeuré ferme dans sa foi : une sentence du proconsul d'Afrique déchargea alors sa mémoire du crime d'avoir brûlé les livres divins[27]. Quand, en 314, l'obstination des donatistes oblige l'empereur à convoquer un concile à Arles, les lettres écrites à cette occasion ne laissent aucun doute sur la religion qu'il professe. Dans celle qu'il adresse au vicaire d'Afrique, il se plaint des donatistes qui ne veulent considérer ni l'intérêt de leur propre salut, ni, ce qui est plus grave encore, le respect dû au Dieu tout-puissant, et donnent occasion de médire à ceux qui affranchissent encore leurs sens de la très sainte observance de cette religion[28]. Il ajoute ces mots, qui prouvent à la fois la sincérité de sa croyance et l'élément grossier d'intérêt personnel qui s'y mêle encore : Certain que vous êtes, vous aussi, un adorateur du Dieu suprême, je confesse à votre gravité que je ne me crois pas permis de tolérer ou de négliger ces scandales qui peuvent irriter la divinité, non seulement contre le genre humain, mais contre moi-même, puisque, par un acte de son bon plaisir céleste, elle m'a confié la terre entière à gouverner ; émue contre moi, elle pourra prendre quelque autre décision. Je ne pourrai donc être réellement et pleinement tranquille, et me promettre un bonheur complet de la bienveillance du Dieu tout-puissant, que lorsque je verrai tous les hommes, réunis dans un sentiment fraternel, rendre au Dieu très saint le culte régulier de la religion catholique'[29]. Sa lettre de la même année à Chrest, évêque de Syracuse, contient les mêmes plaintes contre les obstinés qui oublient et leur propre salut et la vénération due à la très sainte foi, et, se déchirant entre eux par une honteuse et détestable division, donnent occasion de railler à ceux dont les sentiments sont éloignés de la sainte religion[30]. L'appel des donatistes contre les décisions du concile lui inspire une autre lettre, adressée aux évêques qui y siégèrent, et dans laquelle se montre, plus ardente que jamais, l'expression de ses convictions chrétiennes. Ils demandent mon jugement, s'écrie-t-il, moi qui attends le jugement du Christ !... mais, je le dis en vérité, le jugement des prêtres doit être reçu comme ai Dieu en personne était assis sur leur tribunal pour juger. Car il ne leur est pas permis de penser et de juger autre chose que ce qu'ils ont appris par l'enseignement du Christ ![31] On sait les péripéties qui suivirent : les donatistes protestant contre les décisions épiscopales, et persistant à réclamer des juges civils ; Constantin consentant, par lassitude ou par faiblesse, à instruire de nouveau l'affaire ; l'innocence de Cécilien solennellement proclamée par une lettre impériale de 316 ; le prince se retournant alors contre les donatistes, confisquant leurs églises et bannissant leurs chefs. Quand, en 320, les bannis furent rappelés, Constantin annonce en termes touchants cette grâce aux évêques catholiques : J'ai connu que vous étiez des prêtres et des serviteurs du Dieu vivant, en ne vous entendant réclamer aucun châtiment contre des impies, des scélérats, des sacrilèges, des profanes, des hommes irréligieux, ingrats envers leur Dieu et ennemis de l'Église, mais plutôt en vous voyant implorer pour eux la miséricorde. C'est bien là véritablement connaître Dieu et obéir à son commandement ; c'est avoir la vraie science, car celui qui épargne les ennemis de l'Église dans le temps amasse pour l'éternité des châtiments sur leur tête[32]. Que ces diverses pièces aient été écrites de la main de Constantin, ou qu'elles aient été rédigées par son ordre et qu'on y puisse reconnaître quelquefois le style d'un secrétaire, il est impossible que la pensée intime du souverain ne s'y trouve pas. Un prince aussi actif, aussi personnel, aussi primesautier, si l'on peut dire, que Constantin ne se laisse point prêter par un subalterne des sentiments qu'il n'éprouverait pas. S'il croit utile de donner à ses idées une forme impersonnelle, il sait bien le faire, témoin l'édit de Milan adressé aux sectateurs des deux cultes, et laissé vague à dessein dans l'expression, de manière à être accepté de tous. Mais s'adressant aux chrétiens, c'est en chrétien qu'il parle ; il n'invoque plus, comme dans l'édit, une abstraite divinité, mais le Dieu vivant et le Christ lui-même ; il se préoccupe de la bonne renommée de l'Église, qu'il ne veut point laisser exposée aux railleries des païens ; le dossier du donatisme, dont les premières pièces furent écrites au lendemain de la défaite de Maxence, prouve jusqu'à l'évidence que, à cette date, la conversion de Constantin au christianisme était déjà un fait accompli[33]. On remarquera que, dans cette première période, n'apparaît point chez Constantin une hâte indiscrète à se mêler des affaires ecclésiastiques et à prendre le rôle d'évêque du dehors, comme il se définira plus tard. Sans doute, on éprouve quelque surprise à voir ce converti de la veille, qui n'est pas même catéchumène, convoquer des conciles, rendre des décisions dans des causes déjà jugées par eux ; mais ses propos et ses actes montrent qu'il n'agit ainsi que de guerre lasse, forcé, en quelque sorte, par les donatistes, qui, après avoir demandé à être jugés par des évêques, rejetaient les décisions conciliaires et réclamaient des juges civils. Les mesures de rigueur prises enfin contre eux ne sont que la conséquence de leur obstination à repousser la juridiction ecclésiastique pour contraindre le pouvoir impérial à se prononcer : elles n'en forment pas moins la première brèche inconsciemment ouverte dans l'édit de Milan, qui permettait à chacun d'adorer Dieu à sa guise. Mais la brèche, comme on l'a vu, fut en partie au moins refermée par le prompt rappel des bannis. § 2. — De la mort de Licinius à celle de Constantin (324-337). La bataille de Chrysopolis, qui mit fin au règne de Licinius, est du mois de septembre 323 ; sa mort, dont Constantin ne fut probablement pas innocent, est du mois de mars de l'année suivante. Entre ces dates se placent deux actes de Constantin, d'une grande importance pour l'histoire de sa politique religieuse et de ses idées personnelles. L'un est un édit de réparation, adressé aux évêques de Palestine, par lequel il rend leurs honneurs et leurs biens aux victimes de Licinius. L'autre est une proclamation à ses nouveaux sujets d'Orient, où il raconte à sa manière l'histoire de sa vie. Le préambule de l'édit proclame avec la plus grande énergie la vérité des croyances chrétiennes. Constantin y joint l'affirmation de sa propre mission providentielle. Jamais vainqueur n'en parut pénétré à ce point. C'est Dieu qui, me faisant partir de l'Océan britannique, des lieux où le soleil se plonge dans les eaux, a dissipé devant moi les nuages qui couvraient la terre, afin que le genre humain, instruit par mes efforts, fût appelé à l'observance de la loi sainte, et que la foi bienheureuse s'accrût sous la conduite d'un maître puissant[34]. Aussi Constantin entre-t-il en Orient plein de foi dans la grâce qui lui a confié ce saint ministère. Suivent les divers articles de l'édit, rappelant les exilés ou les condamnés, déchargeant des obligations de la curie (alors redoutées à l'égal d'une peine) ceux qui y ont été inscrits par haine de leur religion, rendant aux officiers et aux soldats chrétiens soit leurs grades, soit le droit à un congé honorable, restituant les biens confisqués aux propriétaires chrétiens ou aux héritiers des martyrs, appelant l'Église du lieu où ceux-ci ont souffert à leur succession s'ils n'ont pas laissé d'héritiers, faisant enfin rentrer dans le patrimoine corporatif de chaque Église ses immeubles attribués au fisc[35]. Ces détails montrent combien avait été violente la réaction païenne tentée par Licinius. L'édit de 323, destiné à en effacer les traces, est curieux à comparer avec celui de Milan : il entre dans plus de détail, prévoit plus de cas : on sent que la main qui l'a écrit est devenue tout à fait libre. Avec une liberté beaucoup plus extraordinaire, Constantin, dans sa proclamation aux Orientaux[36], raconte la persécution de Dioclétien, ses propres victoires, et trace le programme de sa politique. Sur la persécution, c'est vraiment un témoin qu'on écoute, puisqu'il en passa la plus grande partie à la cour de Nicomédie. Quand il rappelle l'atrocité des édits, le courage des martyrs, la nature même se troublant de leurs souffrances, on croirait entendre Eusèbe ; quand il montre le châtiment des persécuteurs, il semble qu'on lise Lactance : mais au mouvement de la pensée, au son à la fois pieux et dominateur du langage, à l'accent triomphal des paroles, on reconnaît Constantin seul : il n'est pas d'écrit de lui qui garde aussi évidente la marque de son authenticité. C'est à la fois un chant de victoire et un hymne de reconnaissance au Dieu dont Constantin, à la tête de ses armées, a porté le signe en tout lieu. Mais le nouveau succès qui rend le prince chrétien seul maître de l'Empire ne lui fait pas abandonner la tolérance religieuse. En deux endroits de sa proclamation, il en renouvelle l'engagement en termes formels. Dans le premier, Constantin s'adresse à Dieu même. Je veux, dit-il[37], que ton peuple vive en paix et en concorde, pour le commun avantage du genre humain. Que ceux qui sont encore impliqués dans l'erreur de la gentilité jouissent joyeusement de la même paix et du même repos que les fidèles. Cette reprise des bons rapports mutuels pourra beaucoup pour ramener les hommes dans la voie droite. Que personne, donc, ne fasse de mal à personne. Que chacun suive l'opinion qu'il préfère. Il faut que ceux qui pensent bien soient persuadés que ceux-là seuls vivront dans la justice et la pureté, que tu as toi-même appelés à l'observation de tes saintes lois. Quant à ceux qui s'y soustraient, qu'ils conservent, tant qu'ils voudront, les temples du mensonge. Nous, nous gardons la splendide demeure de la vérité, que tu nous as donnée lors de notre naissance (spirituelle). Et nous souhaitons aux autres de vivre heureux, par l'effet de l'union et de la concorde de tous. Le second passage, qui sert de conclusion à tout l'écrit,
dévoile jusqu'au fond la pensée de Constantin. Que
personne ne cherche querelle à un autre à cause de ses opinions. Mais que
chacun se serve de ce qu'il sait pour aider son prochain, et, si cela n'est
pas possible, le laisse en paix. Car autre chose est d'accepter volontairement
le combat pour une croyance immortelle, autre chose de l'imposer par la
violence et les supplices. J'ai parlé plus longuement que le dessein de ma
clémence ne l'exigeait, parce que je ne voulais rien dissimuler de ma foi, et
aussi parce que plusieurs, me dit-on, assurent que les rites et les
cérémonies de l'erreur, et toute la puissance des ténèbres, vont être
entièrement abolis. C'est ce que j'aurais certainement conseillé à tous les
hommes ; mais, pour leur malheur, l'obstination de l'erreur est encore trop
enracinée dans l'âme de quelques-uns[38]. Au lendemain de la victoire sur Licinius, Constantin rappelle ainsi les principes proclamés après la défaite de Maxence. Cependant le langage diffère, et le ton de l'édit et de la proclamation aux Orientaux ne ressemble aucunement à celui de l'édit de Milan. C'est qu'en 313 Constantin, d'une part, avait pour collègue et même pour collaborateur Licinius, demeuré païen ; d'autre part, il se sentait trop peu affermi encore par sa victoire récente pour laisser dans un acte officiel percer ses plus intimes sentiments. Comme l'ont montré d'autres pièces, contemporaines ou à peu près de l'édit de Milan, il était dès lors très attaché au christianisme : mais, s'il se laissait voir ainsi, en toute franchise, aux chrétiens, il n'eût point encore osé ou voulu s'adresser du même style à tous les habitants de l'Empire. Maintenant il parle dans un édit public le même langage que dans une lettre à un évêque ou à un concile. La neutralité officielle a disparu même de ses discours aux païens. Il leur dit que son plus grand désir serait de voir tous ses sujets embrasser le christianisme. S'il respecte la conscience des infidèles, c'est en déplorant leur obstination. Il les autorise à conserver leurs rites et leurs cérémonies, mais appelle ceux-ci les rites et les cérémonies de l'erreur, l'œuvre de la puissance des ténèbres. Il leur laisse le droit de fréquenter leurs temples, mais il oppose à ces temples du mensonge la splendide demeure de la vérité. Dans une autre pièce, qu'il est difficile de dater, mais qui se rapporte vraisemblablement à ce temps, les expressions de Constantin parlant du culte païen sont plus dures encore, et vont presque jusqu'à l'injure : mais la même promesse de liberté se retrouve. Il s'agit du discours à l'assemblée des saints[39], sorte de conférence ou de déclamation comme Constantin, au rapport d'Eusèbe, en récitait quelquefois[40]. Le langage plus âpre s'explique par ce fait, que le discours était destiné, comme son titre l'indique, à un auditoire chrétien, et probablement ecclésiastique : la conclusion libérale qui s'en dégage n'en a que plus de valeur. Même quand il parle de l'ancien culte avec une sorte de passion haineuse, Constantin s'engage à le laisser vivre. Il faut rechercher maintenant comment ces principes furent appliqués. Constantin a rappelé lui-même que les païens, après l'échec de Licinius, éprouvèrent de grandes craintes. Comme ils avaient, en Orient, fait cause commune avec celui-ci, ils s'attendaient à des représailles. Des mesures contraires à leur religion leur eussent paru naturelles, et presque légitimes. Constantin se borna aux plus indispensables. En Occident, où son autorité n'avait point été menacée, et où tout au plus pourrait-on signaler chez les païens quelques effervescences locales[41], il n'eut à faire aucun changement. En Orient, il effaça le caractère officiellement païen que Licinius avait donné ou rendu à toute l'administration, révoqua des fonctionnaires, et, là où il n'établit pas des magistrats chrétiens, commanda aux païens laissés en fonctions de s'abstenir de tout sacrifice public[42]. En même temps il remit en vigueur les ordonnances de 319 et de 321 sur la divination ; abrogées par son rival[43]. La seule mesure atteignant directement le culte païen fut une loi que cite Eusèbe. Constantin défendit en Orient d'élever de nouvelles idoles[44]. Probablement cette loi fut toute de circonstance, inspirée par les nécessités politiques du moment, et destinée à n'y pas survivre. L'examen des actes publics de Constantin durant la dernière période de son règne ne montre rien de changé, au fond, dans le système de tolérance adopté en 313. Les changements sont surtout dans la forme : Constantin fait de moins en moins violence à l'expression de son mépris pour l'ancien culte, de son attachement au nouveau. Mais il demeure officiellement le chef du paganisme. Des inscriptions de 328 lui donnent le titre de souverain pontife[45]. Une loi postérieure à lui, mais faisant allusion à des faits de 333, nous apprend qu'à cette époque on ne pouvait encore, à Rome, abattre un monument funéraire, même menacé de ruine, sans avoir préalablement présenté requête au collège des pontifes[46]. Des lois de 335 et de 337 confirment en Afrique les privilèges des flamines perpétuels et des sacerdotes municipaux[47]. Constantin ne fait aucune différence, dans le partage des magistratures et des faveurs, entre païens et chrétiens[48]. Probablement en Orient, son séjour préféré, ceux-ci forment la majorité autour de lui ; mais à Rome les inscriptions montrent un grand nombre de nobles investis sous son règne de consulats ou de préfectures, tout en demeurant quindécemvirs, pontifes, augures, initiés d'Hécate ou de Mithra[49]. On doit donc écarter, ou n'entendre que de quelques faits particuliers, les expressions trop générales d'écrivains chrétiens qui parlent de Constantin comme s'il avait déclaré la guerre aux temples et interdit les sacrifices[50]. Il interdit les sacrifices secrets ou mêlés de divination, probablement aussi les sacrifices offerts par les magistrats au nom de l'État : mais il ne toucha pas à la liberté des cultes. Il abusa quelquefois de son pouvoir pour enlever des édifices consacrés aux dieux des statues et des objets d'art, afin d'en orner Constantinople, devenue en 329 la seconde capitale de l'Empire[51] : mais ces blâmables caprices de souverain absolu ne sont pas de la persécution religieuse. S'il détruisit quelques temples en Égypte, en Phénicie, en Cilicie, c'est parce que ces sanctuaires dégénérés abritaient des scènes de révoltante immoralité[52] : il pouvait invoquer à l'appui de sa conduite l'exemple des gouvernements païens[53], et ses droits comme ses devoirs de souverain pontife. Les autres temples abattus ou fermés à cette époque le furent le plus souvent par l'initiative des villes elles-mêmes : on avait vu, sous Dioclétien, une cité de Phrygie tout entière chrétienne[54] : il n'est pas surprenant qu'il s'en soit rencontré de semblables en Orient au temps de Constantin[55]. Celui-ci encourageait, mais d'une manière indirecte, les mouvements de conversion en masse, qui se firent quelquefois sentir au sein de villes ou de bourgs : il leur accordait des dénominations honorifiques, le titre de cité, le droit de s'appeler Constancie ou Constantine[56]. Constantin maintint donc la tolérance religieuse durant les quatorze années où il régna seul. Il se montra bienveillant pour les personnes, sans distinction de culte. Mais il ne prit point la peine de dissimuler sa préférence pour la religion chrétienne, non plus que son aversion croissante du paganisme. Il observa l'édit de Milan dans la lettre, sinon toujours dans l'esprit. Ainsi se trouva-t-il conduit peu à peu à n'accorder au paganisme que le strict nécessaire, et à lui mesurer parcimonieusement l'air respirable. Une loi de 326[57], commandant aux gouverneurs des provinces de terminer tous les édifices publics commencés par leurs prédécesseurs, avant d'en entreprendre de nouveaux, excepte les temples, qu'il est permis de laisser inachevés[58]. Vers 327, répondant aux habitants de Spello, qui lui demandaient la permission d'élever à sa famille un temple qui serait le centre et l'occasion d'une nouvelle institution de jeux provinciaux, Constantin pose cette condition formelle que le temple sera un simple édifice commémoratif, et ne devra être souillé par les fraudes d'aucune contagieuse superstition[59], c'est-à-dire par aucun acte de paganisme. Le mépris de Constantin pour les dieux lui fait même oublier la réserve imposée à un souverain. Grand railleur de sa nature[60], non seulement, en 326, étant à Rome, il refuse de prendre part à la procession solennelle de l'ordre équestre montant sacrifier au Capitole, mais encore il s'en moque publiquement[61]. Malheureusement le temps approche où son zèle pour l'Église se montrera aussi indiscret que fut en cette circonstance sa haine du paganisme. Autant, avec quelques excès sans doute, mais vite réprimés par lui-même, Constantin avait utilement servi la cause de l'orthodoxie contre les donatistes, autant, dans la question autrement grave et capitale de l'arianisme, il en vint peu à peu à gâter ce qu'il y avait eu de salutaire tout d'abord dans son intervention. Celle-ci débute heureusement. Elle procède des sentiments montrés naguère dans l'affaire des donatistes. Sans comprendre probablement toute l'importance doctrinale du nouveau débat, Constantin est ému de trouver la division des esprits là où devraient seules se rencontrer l'unité de la foi et la simplicité de la croyance. Dans la lettre de 323 par laquelle il s'efforce de réconcilier Arius avec l'évêque d'Alexandrie, il y a comme un cri d'angoisse : Rendez-moi mes jours tranquilles et mes nuits sans inquiétude... Comment aurais-je l'esprit en repos tant que le peuple de Dieu, le peuple de mes frères dans le service de Dieu, est divisé par un injuste et profond dissentiment ?[62] Quand sur sa convocation s'ouvre le concile de Nicée, il adresse aux évêques un discours de bienvenue, se proclame leur frère dans le service de Dieu, et confesse que les divisions de l'Église lui ont paru plus terribles et plus redoutables qu'aucune guerre[63]. Après la décision du concile, il sévit contre Arius et ses livres[64], puis envoie aux Églises, et particulièrement à celle d'Alexandrie, une lettre enthousiaste et joyeuse[65]. Prenant ensuite congé des évêques, il leur recommande d'éviter les disputes, qui prêtent à rire à ceux qui guettent toujours pour la calomnier la loi divine. C'est à ceux-là, ajoute-t-il, qu'il faut penser, car nous pouvons les gagner, si tout ce qui se fait parmi nous demeure irréprochable[66]. Avec une sollicitude touchante, Constantin veille sur la foi qui est devenue la sienne comme on veillerait sur un trésor précieux et fragile. Il voudrait la voir maîtresse de l'Empire, et souffre jusqu'à l'impatience de tout ce qui compromet son bon renom ou retarde ses conquêtes. Mais bientôt le sentiment de sincère et naïve bonne volonté qui le faisait se proclamer lui-même l'évêque du dehors[67] l'entraînera, mal conseillé, à d'étranges abus. Docile aux flatteries intéressées d'Eusèbe de Nicomédie, on le verra pencher à son tour vers l'arianisme, ou au moins en favoriser les fauteurs, au risque de compromettre toute l'œuvre de Nicée. Dans l'ivresse du pouvoir absolu, il se croira tout permis, tranchera du dictateur religieux, enjoindra à Athanase de recevoir Arius, et le menacera de le déposer de sa charge épiscopale. Même alors, cependant, sa conscience et ses instincts de gouvernement se réveillaient : non seulement il ne mettra jamais cette menace à exécution, mais encore, écrivant au concile de Tyr, qui avait délibéré sous la pression astucieuse et violente des ennemis d'Athanase, il laissera une dernière fois échapper la plainte du fidèle scandalisé de voir la discorde là où devrait être l'union. Je ne comprends rien, dit-il, à toutes les choses que vous avez décidées dans votre assemblée au milieu de tant de troubles et d'orages. Je crains que la vérité ne disparaisse dans ces violences... Vous ne nierez point que je sois un fidèle serviteur de Dieu, puisque c'est grâce au culte que je lui rends que la paix règne sur la terre, et que son nom est béni même par les Barbares qui auparavant ignoraient la vérité. Ces Barbares devraient bien nous servir à nous de modèles, car, par la crainte qu'ils ont de notre pouvoir, ils observent la loi de Dieu, tandis que nous, qui professons plutôt que nous n'observons la sainte foi de l'Église, on dirait que nous ne faisons jamais que les choses qu'inspirent la haine et la discorde et qui tendent à la ruine du genre humain[68]. Ainsi parlait encore Constantin, avec un sincère accent de souffrance, un an avant sa mort, et peu de mois avant le baptême tardif qui l'introduira enfin au sein de cette Église par lui servie et tyrannisée tour à tour, mais toujours passionnément aimée. Un sens catholique très remarquable, et qui en une certaine mesure compensait ou corrigeait ses erreurs, lui faisait haïr dans l'Église jusqu'à l'ombre d'une division. L'unité, tel lui semblait en être le caractère divin. S'il oublia plus d'une fois la tolérance religieuse, ce fut à l'occasion de chrétiens jugés rebelles à cette unité. Respectant l'existence du culte païen, qu'il injurie parfois, qu'il gêne même dans certains de ses actes, mais dont il garantit au moins les libertés essentielles, il réserve ses rigueurs aux hérétiques ou à ceux qu'il estime tels. Il les poursuit moins encore pour exécuter à leur égard les décisions des conciles que pour se contenter soi-même et remplir la mission dont il se croit investi. De là, en plus de nombreuses mesures de détail, une loi générale de 331, interdisant les sectes de toute dénomination, proscrivant leurs livres, bannissant leurs chefs, confisquant leurs églises et défendant leurs assemblées[69]. Comment, cependant, Constantin put-il concilier une telle législation avec la liberté des cultes promise solennellement à plusieurs reprises ? Il n'en coûterait pas de reconnaître une contradiction ou un manque de parole chez un prince capricieux et absolu, qui, dans les dernières années de son règne, ne souffrait plus guère de frein à sa volonté. Cependant l'explication, croyons-nous, est plus simple. Quand on examine de près les actes et les paroles de Constantin, on reconnaît que la liberté religieuse devait seulement appartenir, dans sa pensée, au paganisme d'une part, à l'Église catholique de l'autre. Pesés un à un, les termes des édits de 313 et de 323 laissent peu de doute à ce sujet. Ce que Constantin avait voulu établir, ce n'était pas la liberté religieuse telle que l'entendent les modernes, c'était une sorte de modus vivendi entre deux puissances longtemps en guerre, le paganisme pris dans son ensemble et l'Église catholique, à ses yeux seule forme légitime du christianisme. Les diverses dénominations hérétiques restaient en dehors des promesses, ne pouvaient invoquer la tolérance officielle, et dépendaient du bon plaisir impérial. Constantin s'était interdit de fermer un temple, mais se croyait tout droit de confisquer ou de détruire, sans manquer à ses engagements, une chapelle de valentiniens, de marcionites, de cataphryges ou même de novatiens. § 3. — Constant et Constance. Que deviendra la politique religieuse inaugurée par Constantin ? et comment les relations entre le paganisme et le christianisme se poursuivront-elles sous ses successeurs ? Trois ans après la mort du premier empereur chrétien, la réponse à cette question n'était plus douteuse. Le système si simple en apparence, passablement ondoyant et contradictoire dans la pratique, accepté cependant de tous, grâce auquel il avait pu tenir pendant un quart de siècle la balance à peu près égale entre deux cultes rivaux, venait de recevoir une première atteinte. Que la superstition cesse, — dit une loi de 341, signée des deux Augustes Constant et Constance, — que la folie des sacrifices soit abolie ; car quiconque, contrairement à l'ordonnance de notre divin père, aura osé célébrer des sacrifices, en recevra le châtiment[70]. On a remarqué le soin avec lequel les deux empereurs invoquent à l'appui de ces mesures rigoureuses les intentions conformes de Constantin. Ils vont jusqu'à alléguer un acte formel de celui-ci. Les Codes n'en ont point gardé trace. Les pièces authentiques qui sont restées de Constantin annoncent toutes, comme on l'a vu, une politique différente. Faut-il croire que dans les dernières années de son règne Constantin l'avait répudiée, au point de proscrire le culte païen, malgré tant de promesses de le tolérer[71] ? Ou dans l'allusion faite par ses fils à une loi du grand empereur convient-il de voir le souvenir altéré, grossi, généralisé après coup des lois qu'il porta réellement contre la divination et les sacrifices secrets, ou des mesures transitoires qu'il prit en Orient après la défaite de Licinius[72] ? Probablement la réponse restera toujours incertaine : mais l'hypothèse que nous venons d'indiquer n'est point invraisemblable. Les enfants de Constantin semblent avoir été enclins à lui prêter leurs propres intentions. C'est ainsi que dans le louable but de préparer le retour d'Athanase exilé, Constantin le Jeune allégua sans preuve, et contre toute probabilité, une résolution que la mort seule aurait empêché son père d'accomplir[73]. La loi de Constant et de Constance ne pouvait manquer de
plaire à certains chrétiens. Même en Occident, où le paganisme avait encore
tant de racines, elle éveilla des espérances prématurées. L'accueil que lui
firent les esprits impatients semble prouver qu'elle inaugurait une politique
nouvelle, et marquait un pas décisif dans une voie où Constantin était à
peine entré. Dans son curieux livre, écrit-entre 343 et 350, Firmicus
Maternus acclame les deux empereurs comme les destructeurs des temples et des
dieux. Vos lois, leur dit-il, ont presque entièrement abattu le diable, et dissipé la
funeste contagion en éteignant l'idolâtrie[74]. Il les exhorte
à poursuivre leur œuvre, et à renverser par la violence ce qui reste de
l'ancien culte. On se figurerait difficilement un tel écrit adressé à
Constantin. Même dans l'Empire soumis à ses fils, il détonne singulièrement,
et son bruit tumultueux ne s'accorde pas avec le son que rendent les faits.
Un an après la loi qui inspirait à Firmicus Maternus de tels accents,
Constant en adressera une autre au préfet de Rome. Connaissant l'attaché-ment
des Occidentaux, sur lesquels il régnait, et surtout des Romains au
paganisme, il s'efforce de calmer leurs inquiétudes. Toute
superstition doit être renversée de fond en comble, écrit-il ; mais il
ajoute : Cependant nous voulons que les temples
situés aux environs de la ville soient conservés intacts et sans souillure,
parce qu'à plusieurs d'entre eux est attachée l'origine des jeux, des courses
et des combats qui font, de toute antiquité, la joie du peuple romain[75]. C'est à peine
si les Romains sentaient le besoin d'être rassurés : l'année même où cette
loi était promulguée, ils avaient un préfet païen, membre du collège des augures,
et très dévot à Hercule[76] : le consul de
l'année suivante se parera librement, des titres d'augure, de quindécemvir et
de pontife[77]. On peut continuer le parallèle entre les lois destinées à détruire l'idolâtrie et les faits qui la montrent en pleine vigueur. En 353, Constance, devenu seul maître de l'Empire par la mort de son frère, promulgue une nouvelle loi, injurieuse aux païens, qu'elle traite de perdus, et terrible dans sa sanction, qui est la peine de mort pour les adorateurs des idoles. Les temples devront être fermés, et les sacrifices interdits[78]. Cependant le préfet de Rome de cette année même, Orfitus, qui par une faveur exceptionnelle demeurera en charge pendant les cinq années suivantes, garde dans les inscriptions les titres de pontife du Soleil et de pontife de Vesta[79]. Le calendrier romain de 354 cite, comme encore observées, toutes les fêtes païennes, non seulement celles qui se passent en jeux ou en spectacles, mais encore celles qui consistent en pèlerinages, processions et sacrifices[80]. Une troisième loi, de 356, décrète de nouveau la peine de mort contre quiconque sera convaincu d'avoir participé à des sacrifices ou adoré des idoles[81]. L'année même qui suivit sa promulgation, Constance visite Rome, admire la beauté des temples, confirme aux Vestales leurs privilèges, au culte païen ses subsides accoutumés, et, remplissant à la lettre les fonctions de souverain pontife, nomme des membres de l'aristocratie romaine aux divers sacerdoces qui étaient comme héréditaires dans leurs familles[82]. La seule marque qu'il donna de ses croyances personnelles fut de faire enlever de la curie la statue de la Victoire, le jour où lui-même y prit séance[83]. Racontant ce voyage à Rome, un sénateur païen fera, quelques années plus tard, de l'auteur des lois de 341, de 353 et de 356 cet éloge inattendu : Il conserva l'ancien culte à l'Empire, bien qu'il suivit lui-même une autre religion[84]. Est-ce à dire que ces lois demeurèrent partout lettre morte ? Non sans doute, mais elles furent surtout appliquées là où l'opinion publique le rendit possible. Elles eurent, comme on l'a vu, peu d'effet immédiat en Occident. Dans l'Orient, la puissance du paganisme variait suivant les provinces et les villes, très grande ici, à peu près détruite ailleurs, et des lieux peuplés de fanatiques idolâtres étaient voisins d'autres où les chrétiens formaient la majorité, déjà presque la totalité des habitants. Dans ceux-ci, ni la fermeture des temples ni l'interdiction des sacrifices n'offrirent de difficultés : l'initiative populaire y avait parfois même devancé la loi. On vit, dans ces milieux favorables, des églises se construire, dès cette époque, avec les débris de sanctuaires païens[85]. On eut aussi le spectacle moins édifiant de courtisans gorgés des dépouilles des temples, selon le mot d'Ammien Marcellin[86]. Même là où ces abus se commirent, une partie au moins des lois prohibitives de l'idolâtrie ne fut pas exécutée. On ne cite pas un seul cas où la peine capitale ait été infligée à un païen surpris dans l'exercice de sa religion. L'oncle d'un des condisciples du célèbre rhéteur Libanius vivait plus en commerce avec les dieux qu'avec les hommes, selon l'expression de ce dernier : il ne cessa de leur rendre un culte, en dépit de la loi qui prononçait la peine de mort contre leurs adorateurs[87]. Mais dans les villes où le paganisme dominait, la loi ne fut pas plus exécutée contre les temples qu'elle ne l'était ailleurs contre les personnes. Sous Constance, Alexandrie est pleine de sanctuaires païens, où le culte n'a pas subi d'interruption[88] : beaucoup d'autres villes, même en Orient, gardent aussi leurs temples et leurs fêtes[89]. Constance poursuivit le paganisme d'une autre manière, et l'attaqua obliquement par diverses lois contre l'art divinatoire. Ces lois appartiennent à la fin de son règne, aux années 353 et 358. Elles emploient un langage vague à dessein, défendant sous les peines les plus sévères de consulter les mages, les Chaldéens, les devins, les augures et les haruspices[90]. On ne peut admettre que Constance ait voulu proscrire l'haruspicine officielle, reconnue par Constantin, moins encore détruire le collège des augures, composé des plus grands personnages de Rome, et que les inscriptions montrent encore en exercice jusqu'à la fin du siècle[91]. Il n'en veut évidemment qu'aux augures et aux haruspices privés, qui travaillaient dans l'ombre, sans surveillance ni sanction, et ne se distinguaient point des plus vulgaires devins. Mais il est difficile que la défaveur dont il semble entourer, sans réserve, quiconque se livre à la recherche de l'avenir n'ait point rejailli jusque sur les plus hauts représentants de la divination païenne. Ces lois furent probablement invoquées dans les nombreux procès de sorcellerie et de lèse-majesté qui ensanglantèrent la fin du règne de Constance. Un épisode de ces procès montre une fois de plus le caractère illusoire des pénalités prononcées contre un autre délit, celui de sacrifice. Le philosophe Démétrius Chytras était accusé d'avoir consulté en 359 un oracle sur les destinées de l'empereur. Pour sa défense, il déclara qu'il avait plusieurs fois offert des sacrifices, comme depuis l'enfance il avait coutume de le faire, mais pour apaiser les dieux, et nullement pour connaître l'avenir. Cette explication le fit acquitter[92]. Telle fut la politique de Constance à l'égard du paganisme. Répudiant la tolérance promise par Constantin, elle ne racheta même point par les résultats cet oubli des engagements. Impuissante et irritante, elle n'entama pas le paganisme là où il se sentait fort, précipita sa chute là seulement où il tombait de lui-même, sema dans les âmes païennes des germes de colère qui écloront sous Julien, et ainsi, dans l'ensemble, retarda plus qu'elle n'avança la ruine inévitable de l'ancien culte. La conduite de Constance à l'égard des chrétiens acheva de discréditer la cause qu'il avait voulu servir avec tant d'impétuosité. Les divisions entre enfants d'une même Église, dont s'était si souvent effrayé Constantin, et en qui il avait vu avec raison le plus grand obstacle à la conversion des idolâtres, s'envenimèrent sous lé règne et par le fait personnel de son successeur. Le moment vint où l'on ne put discerner à qui il faisait la guerre, des adorateurs des dieux ou des chrétiens restés fidèles aux définitions de Nicée. Dans aucun temple ses soldats ne commirent des excès pareils à ceux par lesquels ils ensanglantèrent les basiliques d'Alexandrie ou de Constantinople, pour en chasser les pasteurs orthodoxes et y installer des intrus. Si l'on crut revoir quelquefois des scènes empruntées aux pires époques de persécution, des catholiques, non des idolâtres, en furent victimes. Athanase dut fuir Alexandrie devant les sicaires de Constance comme jadis ses prédécesseurs Denys et Pierre devant les bourreaux de Dèce et de Maximin. Unanimes dans la résistance passive aux lois qui menaçaient l'ancien culte, les païens se fortifiaient dans leurs sentiments en voyant les luttes intestines de leurs vainqueurs. Ils sentaient que l'arianisme, soutenu par la puissance impériale, travaillait pour eux. On raconte qu'en 356 des troupes de païens enrôlés par les officiers de Constance envahirent une église d'Alexandrie, où la population orthodoxe était assemblée. Ils y commirent toute sorte de profanations, en s'écriant : Constance s'est fait hellène, et les ariens ont reconnu nos mystères[93]. C'était se tromper grossièrement sur les faits, car cette année 356 est celle même d'une des lois rendues par Constance contre l'idolâtrie. Mais c'était juger la situation avec le sûr instinct des foules, et, par une simple erreur de noms, annoncer le vengeur futur qui, assistant silencieusement à l'agonie de la chrétienté, attendait avec impatience l'heure de restaurer l'hellénisme. |
[1] Promagister du collège des pontifes : Corp. inscr. lat., t. VI, 1428, 1700, 2158 ; t. X, 1125.
[2] ZOZIME, IV, 36.
[3] TERTULLIEN, Apologétique, 21.
[4] Code Théodosien, IX, XVI, 1, 2.
[5] Code Théodosien, IX, XVI, 3.
[6] Code Théodosien, IX, XVI, 4.
[7] EUSÈBE, Hist. Eccl., X, 7 ; Code Théodosien, XVI, II, 1, 2, 7.
[8] CICÉRON, Acad., II, 39, 121 ; TITE-LIVE, IV, 51 ; PLUTARQUE, Numa, 14 ; DENYS D'HALICARNASSE, IV, 62, 71 ; AULU-GELLE, X, 13 ; Corp. inscr. lat., t. IX, 4206-4208 ; Lex coloniæ Genetivæ, 66, dans Ephem. epigr., t. III, p. 101.
[9] Code Théodosien, XVI, II, 3 ; cf. ibid., 6.
[10] Code Théodosien, XVI, II, 4.
[11] Digeste, XXXIII, I, 20 ; II, 16,17 ; XXXV, II, 1.
[12] EUSÈBE, Hist. Eccl., X, 2, 4 ; Liber Pontificalis, Silvester, passim.
[13] ZOZIME, II, 32.
[14] Code Justinien, III, XII, 2.
[15] CICÉRON, De leg., II, 12, 29. Cf. Dict. des ant. grecques et rom., t. II, p. 174, art. Dies.
[16] Code Théodosien, XVI, II, 5.
[17] TILLEMONT, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 140.
[18] ZOSIME, II, 7.
[19] EUSÈBE, Hist. Eccl., IX, 9, 10, 11 ; De vita Const., I, 40.
[20] Code Théodosien, II, XXV, 1 ; III, V, 3 ; IX, IX, 1 ; X, 1 ; XXIV, 1 ; Code Justinien, I, XIII, 1, 2 ; V, XXVII, 1, 5.
[21] AURELIUS VICTOR, De Cæsaribus, 41.
[22] Code Théodosien, IX, XL, 9.
[23] Code Justinien, I, XIII, 1.
[24] Code Justinien, I, XIII, 2.
[25] Code Théodosien, VIII, XVI, 1.
[26] EUSÈBE, Hist. Eccl., X.
[27] Gesta proconsularia quibus absolutus est Felix (à la suite du t. IX des Œuvres de saint Augustin, éd. Gaume, p. 1088).
[28] Lettre à Ablavius, Œuvres de saint Augustin, t. IX, p. 1090.
[29] Lettre à Ablavius, Œuvres de saint Augustin, t. IX, p. 1090.
[30] EUSÈBE, Hist. Eccl., X, 5.
[31] Lettre aux évêques (à la suite du t. IX des Œuvres de saint Augustin, éd. Gaume, p. 1096).
[32] Lettre aux évêques de Numidie (Œuvres de saint Augustin, éd. Gaume, t. IX, p. 1103).
[33] Voir DUCHESNE, le Dossier du Donatisme, dans Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'École française de Rome, 1890, p. 589-650. Cf. les observations de BOISSIER, Acad. des Inscriptions, 28 nov. 1890.
[34] EUSÈBE, De vita Const., II, 30.
[35] EUSÈBE, De vita Const., II, 30-41.
[36] EUSÈBE, De vita Const., II, 48-60.
[37] EUSÈBE, De vita Const., II, 56.
[38] EUSÈBE, De vita Const., II, 60.
[39] Oratio Constantini ad sanctorum cœtum ; MIGNE, Patr. Gr., t. XX, col. 1233-1315.
[40] EUSÈBE, De vita Const., IV, 17, 29.
[41] Code Théodosien, XVI, II, 3.
[42] EUSÈBE, De Vita Cont., II, 11.
[43] EUSÈBE, De Vita Cont., II, 15.
[44] EUSÈBE, De Vita Cont., II, 45.
[45] ECKHEL, Doctr. numm., t. VIII, p. 76 ; ORELLI, Inscr., 1080.
[46] Code Théodosien, IX, XVII, 2.
[47] Code Théodosien, XII, I, 21 ; V, 2.
[48] SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Oratio VI, 98.
[49] Corpus inscr. lat., t. VI, 1675, 1690-1694 ; t. X, 5061. Cf. TILLEMONT, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 183, 218.
[50] EUSÈBE, De vita Const., II, 45 ; IV, 23, 25 ; SOCRATE, I, 18 ; SOZOMÈNE, I, 8 ; THÉODORET, I, 1 ; III, 21 ; OROSE, VII, 28 ; SAINT JÉRÔME, Chron., olymp. 278.
[51] EUSÈBE, De laud. Const., 8 ; SOCRATE, Hist. Eccl., I, 16, 17 ; SOZOMÈNE, II, 5 ; ZOSIME, II, 32.
[52] EUSÈBE, De vita Const., III, 55, 57 ; Præp. evang., IV, 16 ; SOCRATE, Hist. Eccl., I, 18 ; SOZOMÈNE, I, 8 ; V, 10.
[53] TITE-LIVE, Hist., XXXIX, 8-19 ; JOSÈPHE, Ant.
jud., XVIII, 3.
[54] EUSÈBE, Hist. Eccl., VIII, 10.
[55] SOZOMÈNE, Hist. Eccl., II, 5 ; V, 4.
[56] EUSÈBE, De vita Const., IV, 38 ; 39 ; SOZOMÈNE, V, 3.
[57] Code Théodosien, XV, I, 3.
[58] Tel me parait au moins le sens de cette loi, souvent controversé. Voir Revue des questions historiques, oct. 1894, p. 362.
[59] ORELLI-HENZEN, 5580.
[60] AURELIUS VICTOR, Épitomé, 41.
[61] AURELIUS VICTOR, Épitomé, 41 ; ZOSIME, II, 29.
[62]
SOCRATE, Hist.
Eccl., I, 7.
[63] EUSÈBE, De vita Cont., III, 12 ; SOZOMÈNE, Hist. Eccl., I, 17.
[64]
SOCRATE, Hist.
Eccl., I, 9 ; SOZOMÈNE, I, 30.
[65] SOCRATE, I, 9.
[66] EUSÈBE, De vita Cont., III, 20.
[67] EUSÈBE, De vita Cont., III, 24.
[68] SOCRATE, I, 31 ; SOZOMÈNE, II, 18.
[69] EUSÈBE, De vita Const., III, 64-65 ; SOZOMÈNE, Hist. Eccl., II, 33.
[70] Code Théodosien, XVI, X, 9.
[71] Voir dans ce sens TILLEMONT, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 202 ; CHASTEL, Hist. de la destruction du paganisme en Orient, p. 74 ; SCHULMAN, Geschichte des Untergangs des griechich-römischen Heidenthums, t. I, p. 69.
[72] Dans ce sens, LA BASTIE, Mém. sur le souverain pontificat des empereurs romains, dans Mém. de l'Acad. des Inscriptions, t. XV, 143, p. 100 ; BEUGNOT, Hist. de la destr. du paganisme en Occident, t. I, p. 100. ; A. DE BROGLIE, l'Église et l'Empire romain au IVe siècle, t. I, p. 402 et suivantes.
[73] SAINT ATHANASE, Apologie.
[74] FIRMICUS MATERNUS, De errore prof. relig., 21.
[75] Code Théodosien, XVI, X, 3.
[76] WILMANNS, Exempta inscr. lat., 1230 a b c ; Bull. della comm. archeol. com. di Roma, 1889, p. 42.
[77] WILMANNS, 1228.
[78] Code Théodosien, XVI, X, 4.
[79] Corp. inscr. lat., t. VI, 1739-1742.
[80] Corp. inscr. lat., t. I, p. 234 et suivantes.
[81] Code Théodosien, XVI, X, 6.
[82] SYMMAQUE, Ep., X, 3 ; cf. AMMIEN MARCELLIN, XVI, 20. — La même année 357, on voit à Rome un personnage clarissime présider aux initiations mithriaques. Corp. inscr. lat., t. VI, 749.
[83] SAINT AMBROISE, Ep. 18
[84] SYMMAQUE, Ep., X, 3.
[85] SOZOMÈNE, Hist. Eccl., III, 37.
[86] AMMIEN MARCELLIN, XXII, 4. Sur les dons faits aux églises ariennes aux dépens des temples, voir SAINT HILAIRE, Ad Constant. imp.
[87] LIBANIUS, éd. REISKE, t. II, p. 11.
[88] LIBANIUS, Pro templis, édit. REISKE, t. II, p. 181 ; THEMISTIUS, Oratio IV ; Vetus orbis descriptio, éd. GODEFROY, p. 17. — Voir cependant SOZOMÈNE, IV, 10.
[89] EUNAPE, Prohæresius ; Vetus orbis descr., p. 45.
[90] Code Théodosien, IX, XVI, 4, 5, 6.
[91] Corp. inscr. lat., t. VI, 503, 508, 511, 1778.
[92] AMMIEN MARCELLIN, XIX, 12.
[93] SAINT ATHANASE, Ad solit.