HISTOIRE DE LOUIS-PHILIPPE

 

CHAPITRE XI. — LES LETTRES, LES SCIENCES ET LES ARTS DE 1830 À 1848.

 

 

Une histoire de Louis-Philippe serait incomplète sans un tableau des sciences, des lettres et des arts, durant la période comprise entre les révolutions de 1830 et de 1848. Il suffira, pour rester dans les limites imposées à la Bibliothèque utile, d'une énumération des écrivains, des savants et des artistes, d'une rapide indication de leurs œuvres et d'une brève notice sur quelques-uns d'entre eux.

 

1° LETTRES : Histoire. — Augustin Thierry (1795-1836), après quelques années passées à l'Université, s'adonna tout entier aux études historiques. Devenu aveugle, en 1826, il n'en continua pas moins durant trente ans encore ses lumineuses recherches sur nos origines nationales. Ses œuvres ont exercé une action décisive sur le développement de la science historique dans notre pays. Thierry publia, après 1830, ses Dix ans d'études historiques (1835), et les Récits des temps mérovingiens, son chef-d'œuvre (1840).

François Guizot (1787-1874), absorbé par la politique, ne fit paraître que la Vie de Washington en 1841. 11 fut admis à l'Académie des sciences morales et politiques en 1832, à celle des Inscriptions en 1835, et à l'Académie française en 1836.

Simonde de Sismondi (1778-1842) publia, en 1832, une Histoire de la renaissance de la liberté en Italie, fort hostile à la cour de Rome, et en 1841, le trente-unième et dernier volume de son Histoire des Français, dont un résumé en trois volumes parut en 1839. C'est une œuvre systématique, mais intéressante comme histoire de la nation, du peuple, que l'auteur oppose volontiers aux rois et au clergé.

Jules Michelet (1798-1874), l'historien idéaliste et symbolique, peint les faits d'un style vif, saisissant, quelquefois empreint d'une sorte de sensibilité maladive. Son Introduction à l'histoire universelle est de 1831 ; son Histoire romaine, de la même armée ; son Précis d'histoire moderne, de 1833 ; il commença, en 1835, son Histoire de France en seize volumes, qui ne fut achevée qu'en 1866, et en 1847, il donna le premier volume de l'Histoire de la Révolution française, complétée en 1835. Michelet, chef de la section historique aux Archives depuis 1830, entrait à l'Institut en 1838.

Lamartine (1790-1869) apporta quelquefois à l'histoire sa facilité d'assimilation et ses qualités de coloriste. L'Histoire des Girondins, le second de ses grands ouvrages en prose, est de 1847.

Louis Blanc, l'historien socialiste, consacra son Histoire de dix ans (1841) à la première période du règne de Louis-Philippe, et commença en 1847 la publication de sou Histoire de la Révolution française, apologie passionnée de Robespierre.

Henri Martin avait presque achevé, en 1848, sa grande Histoire de France, commencée en 1837 ; le dix-septième et dernier volume parut en 1831.

De Vaulabelle, l'éloquent historien des Deux restaurations, ne publia son premier volume qu'au déclin du règne (1847).

Mignet, né en 1796, comparable à Salluste, par la sobre énergie de son style et par son talent pour les portraits, était depuis longtemps célèbre quand il donna ses Négociations relatives à la succession d'Espagne, 1836-1842 ; ses Notices et Mémoires, 1844, et son Antonio Perez, 1845. Mignet est membre de l'Académie française et secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales.

Duruy (Victor) est l'auteur de l'Histoire des Romains et des peuples soumis à leur domination, 1843-1844, complétée depuis par de savantes recherches et restée le meilleur ouvrage de ce genre avec l'Histoire romaine de Michelet.

Sainte-Beuve (1804-1869), le critique illustre, célèbre par sa collaboration au Globe, aborda le genre historique dans son Histoire de Port-Royal, 1840-1848.

Thiers (1797-1877), que l'on a appelé l'historien des affaires sut arracher à la politique les loisirs nécessaires pour composer sa vaste Histoire du Consulat et de l'Empire, 1845-1865.

Prosper de Barante (1782-1866), admis à l'Académie en 1824, après son Histoire des ducs de Bourgogne, n'a publié dans cette période que ses Mélanges historiques et littéraires, 1836.

Chateaubriand (1768-1848), dégoûté des hommes et du siècle, publia, en 1831, ses Études historiques pleines de couleur et de vie ; en 1836, son Essai sur la littérature anglaise, et en 1844, sa Vie de Rancé ; les Mémoires d'outre-tombe, qui ne devaient voir le jour qu'après la mort de l'auteur, datent de cette époque.

Lacordaire (1802-1839) mérite une place parmi les historiens pour son Histoire de saint Dominique, 1840 ; de 1844 à 1847, il prononça les Éloges funèbres de Forbin-Janson, du général Drouot et d'O'Connell ; en 1834, il avait ouvert, avec un succès retentissant, les conférences de Notre-Dame.

Montalembert (1810-1861), l'un des fondateurs du catholicisme libéral, avec Lacordaire et Lamennais, préluda à l'Histoire des moines d'Occident, 1839, par celles de Sainte Élisabeth de Hongrie, 1836, et de Saint Anselme, 1844.

Philosophie. Économie politique et littérature. — Victor Cousin (1792-1867), chef de l'École éclectique, plus célèbre sous le gouvernement de Juillet comme professeur éloquent et comme ministre universitaire que comme écrivain, ne publia pendant cette période que les Ouvrages inédits d'Abélard et un Rapport sur la métaphysique d'Aristote, 1836-1837.

Charles de Rémusat, dans une vie remplie par la politique et la législation sut trouver des loisirs pour les lettres. Ses Essais de philosophie sont de 1842 ; son Abélard et son rapport sur la Philosophie allemande, de 1845 ; son Passé et Présent, de 1847.

Wilm donne, en 1846, une Histoire de la philosophie allemande.

Lamennais (1782-1834), tour à tour autoritaire et libéral, fonda, en 1830, le journal l'Avenir avec Lacordaire et Montalembert, fut censuré par Rome, fit sa soumission et donna dans les Paroles d'un croyant, 1838, cet évangile de la sédition, un éclatant démenti à sa soumission ; deux ans après, il publiait ses Esquisses d'une philosophie. Comme écrivain, Lamennais est de l'école de Pascal, de Rousseau, de Joseph de Maistre.

Rossi (1787-1848) donna en 1835-1836 son Cours de droit constitutionnel, et de 1840 à 1848 son Cours d'économie politique. Député du canton de Genève à la Diète, en 1832, professeur d'économie politique au Collège de France, 1833, et de droit constitutionnel à la Sorbonne, 1834, pair de France, en 1839, ambassadeur à Rome, en 1845, et ministre de Pie IX, en 1848, Rossi fut assassiné par un républicain fanatique.

Blanqui (1798-1834) était un disciple de J.-B. Say (1767-1832), son Cours fait au Conservatoire des arts-et-métiers, fut publié en 1837-1838 ; son Histoire de l'économie politique en Europe, de 1837 à 1842. Blanqui dirigea depuis 1830 l'École spéciale du commerce ; il fut député de Bordeaux, de 184G à 1848 ; c'est l'un des fondateurs du Journal des économistes et l'un des parrains de la liberté commerciale.

Jean Reynaud et Pierre Leroux commencent, en 1836, l'Encyclopédie nouvelle.

Alexis de Tocqueville (1805-1839) rapporta d'un voyage aux États-Unis, et publia en 1835, sa Démocratie en Amérique que Royer-Collard a pu appeler une continuation de Montesquieu ; l'Histoire philosophique du règne de Louis XV est de 1847.

Désiré Nisard, né en 1806, maître de conférences à l'École normale, à vingt-neuf ans, avait publié à vingt-huit ses Poètes latins de la décadence, 1834 ; ses Mélanges sont de 1838 ; son Précis de l'histoire de la littérature française, de 1840 ; son œuvre capitale, l'Histoire de la littérature française, commencée en 1845, s'acheva en 1861.

Saint Marc Girardin, critique aux Débats, puis professeur à la Sorbonne, en 1831, commença en 1843 la publication de son Cours de littérature dramatique professé avec éclat à la Sorbonne.

J.-J. Ampère (1800-1864), après son volume de Littérature et de voyages, 1833, donna en 1840 son Histoire de la littérature française avant le douzième siècle.

Henri Patin, maître de conférences à l'École normale à vingt-deux ans, suppléant de Villemain à la Sorbonne, en 1830, est surtout connu par un ouvrage resté classique : les Études sur les tragiques grecs, 1842-1843.

Alphonse Toussenel, né en 1805, est l'auteur des Juifs rois de l'époque, 1845, et du célèbre ouvrage l'Esprit des bêtes, 1847.

François Arago, l'illustre savant, a marqué sa place parmi les écrivains par son Astronomie populaire et ses Biographies scientifiques.

E. Burnouf publie, en 1844, l'Introduction à l’Histoire du boudhisme indien.

Villemain, après dix années de ces éloquentes leçons (1816-1824), qui furent, d'après le Globe, un des événements intellectuels les plus importants de l'Europe, devint sous Louis-Philippe pair de France, secrétaire perpétuel de l'Académie française et ministre. A partir de 1844, il consacra sa vie aux travaux de l'Académie. Ses Études de littérature ancienne et étrangère et ses Études d'histoire moderne sont de 1846.

Roman. — Victor Hugo, dont le nom domine et résume toute la littérature de notre siècle, écrivit Notre Darne de Paris, en 1831. Le retentissement de cette œuvre étouffa pendant quelques mois le tumulte politique.

Balzac. La plupart des œuvres de ce grand peintre de la société contemporaine réunies sous un titre expressif, la Comédie humaine, parurent dans cette période, les Scènes de la vie de province, en 1832, l'année même ou deux jeunes littérateurs, Escousse et Lebraz, découragés par un premier insuccès, se donnaient volontairement la mort ; Eugénie Grandet, le Père Goriot, la Recherche de l'absolu, César Birotteau, en 1839. Le style du fécond romancier, inégal, inquiet, aux lourdes périodes, est pourtant plein de force et de couleur.

Frédéric Soulié, aussi populaire en son temps qu'oublié de nos jours, est l'auteur des Deux cadavres, 1832 ; du Conseiller d'État ; du Vicomte de Béziers ; du Comte de Toulouse ; du Magnétiseur, 1839 ; des Mémoires du diable, 1837, etc.

Eugène Sue, le romancier socialiste a conservé quelques lecteurs. Notre génération connaît les Mystères de Paris, 1842 et le Juif errant, 1847. Atar Gull, 1832 ; la Salamandre, 1842 ; la Vigie de Koat-Ven, 1833 ; Mathilde, 1841 ; n'ont pas conservé la vogue qui accueillit leur publication en feuilleton.

George Sand. Presque rien n'a vieilli dans les œuvres d'Aurore Dupin, l'illustre descendante du maréchal de Saxe, qui a transmis à la postérité le nom immortel de George Sand. Née en 1804, élevée à Nohant dans ce Berry, auquel elle dut autant d'inspirations qu'à la lecture de Jean-Jacques, elle s'établissait à Paris en 1831, composait un premier roman en collaboration avec Jules Sandeau, et un second, Indiana (1832), qui préluda à ces œuvres multiples : études — Lettres d'un voyageur —, autobiographie — Histoire de ma vie —, philosophie — Spiridion, Les sept cordes de la lyre —, théâtre — le Marquis de Villemer —, et romans sans préoccupation sociale ou politique, écrits dans la meilleure langue française pure, éclatante, harmonieuse, qui ont surtout mis le sceau à sa gloire. La littérature du dix-neuvième siècle n'a rien produit de plus parfait que la Mare au diable, 1846, et la Petite Fadette, 1848, ces ravissantes idylles.

Au-dessous de George Sand on peut citer avec honneur Émile Souvestre pour ses Derniers Bretons ; Jules Sandeau pour son Docteur Herbeau, 1841, fort inférieur à Mademoiselle de la Seiglière, 1848 ; Dumas père (1805-1870) pour son inépuisable fécondité, sa bonne humeur communicative et le dramatique intérêt de ses longs récits : Impressions de voyage, 1845 ; le Comte de Monte-Cristo ; la Reine Margot ; la Dame de Montsoreau ; le Chevalier de Maison rouge, etc.

Prosper Mérimée (1805-1875) aussi ménager de son talent que Dumas en était prodigue, est un écrivain correct et vigoureux, particulièrement doué pour la peinture des situations violentes : la Double méprise est de 1838 ; Colomba, de 1840.

Stendhal (Henri Beyle) (1785-1842), que les naturalistes contemporains reconnaissent pour leur maître avec Balzac, fut un écrivain à l'esprit paradoxal, au style ingénieux et tourmenté. Dans le Rouge et noir, 1831, il produit l'intérêt par l'horreur. Consul à Trieste, puis à Civitta-Vecchia après 1830, Beyle étudia les mœurs italiennes du commencement de ce siècle et en présenta le tableau dans la Chartreuse de Parme, 1839.

Madame de Girardin (Delphine Gay - 1804-1835) montra dans plusieurs nouvelles de l'esprit d'observation, de la finesse et de l'élégance : le Lorgnon, 1831 ; le Marquis de Pontanges, 1835 ; la Canne de M. de Balzac, 1836. Le nom de Madame de Girardin, comme celui de sa mère — Sophie Gay —, appartient aussi à la poésie : ses chants sur la Mort de Napoléon, sur la Mort du général Foy, l'avaient fait surnommer la Muse de la patrie.

Le marquis de Custine, sous le titre : La Russie en 6839, publia, en 1843, un livre long et prétentieux, mais qui ne manquait ni d'esprit, ni d'agrément, ni d'observation.

Poésie. — Casimir Delavigne (1793-1843), après le grand succès de ses Messéniennes, odes patriotiques, inspirées par les récents désastres de la France, se consacra au théâtre. Ses meilleures pièces contemporaines du gouvernement de Juillet furent : Louis XI, 1832 ; les Enfants d'Édouard, 1835 ; Don Juan d'Autriche, 1835 ; Une famille au temps de Luther, 1836 ; la Popularité, 1838 ; la Fille du Cid, 1839 ; le Conseiller rapporteur, 1841, et l'opéra de Charles VI, 1846.

Lamartine (1790-1869) conquit irrévocablement le premier rang avec Jocelyn, 1835, la Chute d'un ange, 1838, et les Recueillements, 1839, dans lesquels il fit ses adieux à la poésie.

Alfred de Vigny (1799-1865), l'auteur déjà illustre des Poèmes antiques et modernes, 1822-1826, ne publia dans cette période que la traduction de deux drames de Shakespeare, des drames, des comédies et des romans — Cinq-Mars, Servitudes et grandeurs militaires.

Béranger (1780-1837), qui fut avec Lamennais, George Sand et Eugène Sue, une des quatre puissances sociales de ce temps, donna, en 1831, un recueil de ses Chansons anciennes et inédites et des Chansons nouvelles et dernières.

Barthélemy (1796-1867), le poète provençal dont le nom est inséparable de celui de Méry (1798.1866), publia, en collaboration avec son compatriote, un grand nombre de satires politiques presque toutes antérieures à 1830. A cette année appartient l'Insurrection, et à l'année 1833, la Némésis.

Reboul, de Nîmes (1796-1864), livra au public ses premières Poésies, en 1836, et son Dernier jour, en 1840.

Le Breton Brizeux (1806-1838) débuta, en 1831, par l'idylle de Marie ; il publia depuis les Ternaires, 1841, recueil lyrique refondu sous le titre de la Fleur d'or et les Bretons, 1845.

Alfred de Musset (1810-1837), talent soudain, capricieux, est l'égal de lord Byron par la verve, le rival de Lamartine et de Hugo par la forme enchanteresse : les Contes d'Espagne et d'Italie sont de 1830 ; les Poésies diverses, de 1831 ; le Spectacle dans un fauteuil, de 1833. Ses meilleures poésies paraissent dans la Revue des deux mondes, de 1833 à 1840. Son premier succès dramatique : Un caprice, fut représenté au Théâtre français en 1842.

Auguste Barbier, né en 1805, trouvait à vingt-six ans sa première et sa meilleure inspiration les Iambes, 1831 ; Il Pianto, 1832, et Lazare, 1833, ne furent pas trop indignes de cet éclatant début ; les Chants civils et religieux ; les Odelettes, 1841, et les Rimes héroïques n'ajoutèrent rien à la gloire de Barbier.

Victor de Laprade, né en 1812, préluda à la publication de Psyché, 1841, par les Parfums de la Madeleine, 1839, et la Colère de Jésus, 1840 ; ses Odes et Poèmes sont de 1844.

L'Albertus, 1832, et la Comédie de la mort, 1838, de Théophile Gauthier n'annonçaient pas encore l'auteur d'Émaux et Camées, 1832.

Le nom de Victor Hugo rappelle le grand mouvement romantique du début du siècle. Hugo dont l'influence est comparable à celle de Voltaire, fit triompher la jeune École sur la scène et dans les livres ; il contribua même à sa victoire dans les arts. A Hernani, 1830, succèdent Marion Delorme, 1831 ; Le roi s'amuse, 1832. ; Lucrèce Borgia, 1835 ; Ruy-Blas, 1838 ; les Burgraves, 1843 ; les Odes et Ballades et les Orientales précèdent les Feuilles d'automne, 1831 ; les Chants du crépuscule, 1835 ; les Voix intérieures, 1837 ; les Rayons et les Ombres, 1840. La révolution de Juillet avait inspiré au poète une belle ode sur les trois journées.

Théâtre. — La plupart des noms que nous venons de citer ne durent au théâtre qu'une partie de leur gloire. Scribe (1791-1861) — la Calomnie, le Verre d'eau —, conquit toute la sienne sur la scène ; il éleva presque le vaudeville au rang de la comédie. Dans un genre plus sévère, il faut indiquer Ponsard : sa tragédie de Lucrèce, 1845, fut le chant du cygne de l'école classique. La vieille tragédie avec ses trois unités n'ose plus reparaître que sous le patronage de Corneille, de Racine et de Voltaire, malgré le talent d'une incomparable actrice, Mlle Rachel. Toutes les œuvres à succès : Chatterton, 1835 ; Antony et Charles VII, 1831 ; Angèle, 1833 ; Caligula, 1838 ; le Léo Burckart de Gérard de Nerval, 1839 ; Un mariage sous Louis XV, Judith, 1845, Judith-Lorette, comme dit Sainte-Beuve, appartiennent à la nouvelle école, sans parler des comédies : Mademoiselle de Belle-Isle, 1840 ; les Demoiselles de Saint-Cyr, 1843 ; la Ciguë d'Émile Augier, 1844. Les représentations de l'École des journalistes de Mme de Girardin, et celles du drame de Vautrin, tiré par Balzac d'un de ses romans, furent interdites par l'autorité en 1840 ; elle laissa passer, en 1847, le drame patriotique d'Alexandre Dumas, le Chevalier de Maison Rouge, malgré le fameux chant populaire Mourir pour la patrie, qui retentira aussi souvent que la Marseillaise pendant les journées de février.

Presse. — La liberté de la presse fut une des gloires du gouvernement de Juillet, comme la liberté de la tribune et celle du barreau ; les lettres aussi y trouvèrent leur compte. Jules Janin dut toute sa réputation aux feuilletons des Débats. Le vicomte de Launay (Mme de Girardin) trouva sa véritable vocation dans les cinquante-sept Lettres parisiennes qu'il adressa à la Presse. Les journaux alors fort nombreux furent souvent rédigés avec un remarquable talent. Les Débats étaient favorables au gouvernement, le Constitutionnel et la Presse appartenaient à l'opposition, le National et la Tribune étaient les organes du parti républicain, l'Univers et l'Ami de la religion défendaient le catholicisme. Nous avons déjà cité le Globe et sa pléiade d'écrivains libéraux, sous la direction de Dubois.

 

2° SCIENCES. — Le débat zoologique entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, les auteurs de La variété de composition des animaux et des Principes philosophiques de l'unité de composition (1831) ; la mort de Champollion (4 mars) et de Cuvier (15 mai 1832) ; celle de Jacquard, en 1834 ; le voyage de Dumont d'Urville aux terres australes, avec les corvettes l'Astrolabe et la Zélée (1837-1840) ; l'invention de la photographie, par Daguerre, qui perfectionna les essais de Niepce remontant à 1814 (1839) ; la mort de Geoffroy Saint-Hilaire (19 juin 1844) ; la découverte de la planète Leverrier (juin-août 1846) : tels sont les grands événements scientifiques du règne de Louis-Philippe.

Georges Cuvier, âgé de soixante-et-un ans en 1830 (1769-1832), était membre de l'Institut depuis trente-quatre ans et illustre depuis le jour où sa fameuse loi de la corrélation des formes lui avait permis de décrire cent soixante espèces d'animaux aujourd'hui disparues. Plus tard, il avait donné à la zoologie une classification naturelle. Membre de l'Académie française, honneur qu'il justifia par un style clair, élevé et précis, de celle des sciences et de celle des inscriptions, Georges Cuvier fut élevé à la pairie par le gouvernement de Juillet, en 1831.

Son frère, Frédéric Cuvier (1775-1838), directeur de la ménagerie du Jardin des plantes, publia, avec Geoffroy Saint-Hilaire, l'Histoire naturelle des mammifères, 1818-1837, en soixante-dix volumes in-folio, et l'Histoire naturelle des cétacés, 1836.

Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), professeur de géologie au Muséum et à la Faculté des sciences jusqu'en 1840, époque où il devint aveugle, contribua autant que Cuvier au renouvellement des sciences naturelles ; il créa la théorie des analogues et fonda la tératologie ; c'est en 1830 qu'il défendit devant l'Académie des sciences et contre Cuvier l'unité de composition organique, la variabilité des espèces, la valeur des classifications et la théorie des causes finales. Ses réponses furent recueillies dans les Principes de philosophie zoologique. En 1835, il donna encore les Études progressives d'un naturaliste ; en 1838, des Notions de philosophie nouvelle et des Fragments biographiques.

Champollion (1790-1832) de retour de son voyage en Égypte, 1828-1829, fut admis à l'Académie des inscriptions, 1830. L'année suivante, une chaire d'archéologie lui était confiée. La Grammaire égyptienne, le Dictionnaire hiéroglyphique et les Lettres écrites d'Égypte et de Nubie ne furent publiées qu'après sa mort. C'est de son lit d'agonie et après dix années d'efforts infructueux, qu'il divulgua et fit écrire par son frère le secret des hiéroglyphes. L'interprétation de cette écriture mystérieuse révéla à l'Europe une Égypte ignorée.

Jacquard (1752-1814), le célèbre mécanicien, était fils d'ouvrier : dès 1806 il avait établi son métier qu'il refusa, par patriotisme, d'installer à Manchester. La ville de Lyon compte aujourd'hui plus de trente mille métiers Jacquard ; jamais statue ne fut plus méritée que celle qui a été élevée en 1840 au digne inventeur.

En 1840 Ruolz appliqua à l'argenture et à la dorure des métaux la galvanoplastie trouvée par Spencer en 1837.

Dumont d'Urville (1790-1842), qui trouva la mort dans la catastrophe du chemin de fer de Versailles, 8 mai 1842, reçut du gouvernement de juillet la mission de conduire Charles X en Angleterre, publia son Voyage de l'Astrolabe, en treize volumes, in-8° ; accomplit son troisième voyage de 1837 à 1840, découvrit les terres Louis-Philippe, Joinville, Rosamel, Adélaïde, étudia les races de la Polynésie et put commencer, avant de mourir, la publication de son Voyage au pôle sud et dans l'Océanie. Le grand navigateur ne put jamais forcer les portes de l'Institut. La Société de géographie, plus équitable, lui décerna la médaille d'or.

Bien d'autres voyages furent exécutés de 1830 à 1848. En 1840, deux officiers français, Galinier et Ferret, envoyés par le gouvernement en Abyssinie, dressèrent une excellente carte du pays ; en 1830, le capitaine Laplace exécutait son voyage de circumnavigation ; en 1846, les frères Antoine et Arnaud d'Abbadie, revinrent de leur exploration en Afrique parmi les Gallas et aux sources du Nil Blanc.

Les principaux promoteurs des sciences agricoles furent Mathieu de Dombasle (1777-1845) et de Gasparin (1783-1862).

Daguerre (1787-1851) n'était connu que comme peintre-décorateur et comme inventeur du diorama, quand il réussit à fixer l'image des objets sur des plaques métalliques par l'action de la lumière. Il était, depuis 1829, associé par un traité à Niepce, qui mourut en 1833, sans assister au succès de son invention. La photographie était découverte, les perfectionnements qu'elle a reçus n'ont rien enlevé à la gloire de ses inventeurs, ni à celle de Porta, de Wedgwood, de Humphry Davy qui avaient essayé de produire des images à l'aide de la lumière et de la chambre obscure, mais sans parvenir à les fixer. C'est en 1847 que Blanquart Evrard trouva la photographie sur papier.

En 1846, l'astronome Leverrier, en cherchant les raisons des perturbations de la planète Uranus, découvrit par le calcul l'existence et la position d'une nouvelle planète soupçonnée déjà par Lalande. Le 25 septembre la planète annoncée, le Neptune, fut vue à Berlin par l'astronome Galle.

Quelques jours après la communication de ce grand événement scientifique à l'Académie des sciences ; la même assemblée apprenait (5 octobre) la découverte du fulmi-coton ou coton poudre par un chimiste de Bâle, Schœnbein.

Dans les sciences physiques et chimiques bien d'autres découvertes appartiennent à la France : Becquerel affirma que la transmission de la chaleur est toujours accompagnée d'un développement d'électricité et détermina la manière dont la chaleur se répartit entre deux corps en frottement. Fourier essaya de calculer combien il a fallu de temps pour que le globe parvint de l'état d'incandescence, à sa solidité actuelle, en admettant l'hypothèse du feu central. Chevreul démontra qu'il existait une relation simple entre les éléments des combinaisons organiques. Boussingault enrichit de travaux importants la chimie appliquée à l'agriculture. Dumas et Payen étudièrent les opérations mystérieuses qui s'accomplissent sous l'influence de la vie. Thenard rendit d'immenses services à l'enseignement de la chimie. Balard trouva le moyen d'extraire directement de l'eau de mer le sulfate de soude. Flourens étudia le système nerveux de l'homme. Babinet perfectionna la machine pneumatique. Vicat se fit une réputation européenne par ses travaux sur les chaux et ciments. Biot et Gay-Lussac furent des physiciens éminents.

Deux grands chirurgiens moururent au début du règne de Louis-Philippe : Boyer (1757-1835) qui publia sur les leçons de Desault, son maître, un traité complet de chirurgie et fut un remarquable anatomiste ; et Dupuitrem (1775-1835) qui trouva plusieurs méthodes de nouvelles opérations. L'impulsion qu'ils imprimèrent aux sciences médicales fut continuée par Andral, Broussais, Velpeau, Lisfranc, Magendie. Raspail publia, en 1843, son Histoire naturelle de la santé et de la maladie, livre très remarquable, sorte de contrat social de la physiologie et de la thérapeutique ; il y attribue un grand rôle aux animaux parasites dans la formation des maladies.

 

3°. BEAUX-ARTS. Musique. — La Restauration avait diminué le budget et changé le nom du Conservatoire, transformé en École royale de musique. Le gouvernement de 1830 conserva Chérubini comme directeur jusqu'en 1842, époque de la nomination d'Auber. C'est Cherubini qui forma la Société des concerts, 1828. Sous l'administration d'Auber, on institua une quatrième classe de déclamation dramatique et une classe d'histoire et de littérature au point de vue de l'art et du théâtre.

L'Opéra fut abandonné en 1831 à une entreprise particulière et on renonça à l'usage de faire à vue les changements de décoration dans une même pièce.

L'Opéra-Comique qui ne fut longtemps qu'un perfectionnement du Théâtre de la Foire, prend à cette époque une grande importance musicale ; il quitte en 1840 le théâtre de la Place de la Bourse pour revenir à l'ancienne salle Favart qu'il occupe encore.

En 1830, Fétis publia ses Curiosités historiques de la musique ; deux ans après, Mme Fétis traduisît l'Histoire de la musique de l'anglais Cooke Stafford, 1832. Adrien de Lafage donna en 1844, une Histoire de la musique en français. Des méthodes de violon, de piano, d'harmonie, de cor, furent rédigées par Rode, Adam, Catel, Dauprat. Pendant que le Conservatoire formait d'illustres élèves : Nourrit père, Ponchard, Mesdames Branchu et Damoreau-Cinti, la révolution opérée dans la musique dramatique par Rossini portait ses fruits en France ; nos musiciens s'appropriaient les découvertes et les procédés du grand compositeur italien. Boïeldieu, Hérold — Zampa, 1831 ; le Pré aux clercs, 1832 —, Auber, Adolphe Adam, Halévy, Carafa se plaçaient à la tête de l'École française, et depuis 1830, la scène était occupée par Ambroise Thomas, Maillart, Félicien David, Bazin, etc. A la fin du règne de Louis-Philippe, la section de musique à l'Académie des beaux-arts comprenait six membres : Auber — la Muette de Portici —, Halévy — la Juive et la Reine de Chypre —, Carafa — Masaniello —, Spontini — la Vestale et Fernand Cortez —, Adam — le Chalet et le Postillon de Longjumeau —, et Onslow — Musique instrumentale — ; elle comptait parmi ses associés étrangers : Rossini — le Comte Ory et Guillaume Tell — et Meyerbeer — Robert-le-Diable et les Huguenots —. Ces noms et ces œuvres disent assez que cette période fut une des plus brillantes dans l'histoire de l'art musical.

D'autres compositeurs, sans être d'origine française, remportèrent sur des scènes françaises leurs plus grands succès : Donizetti fit représenter, en 1840, la Favorite et la Fille du régiment ; Bellini, la Somnambule et Norma, 1831 ; Verdi vint également demander à la France la consécration de sa renommée. Si l'on songe que ces compositeurs trouvaient pour interprêter leur pensée, des Rubini, des Lablache, des Tamburini, des Pasta, des Malibran, des Grisi, on estimera que cette époque fut l'âge d'or de la musique.

Sculpture. — L'avènement du gouvernement de Juillet, coïncide avec une révolution dans l'art qui rappelle la protestation de l'école romantique. La sculpture, elle aussi, s'élève contre l'antique ; elle proscrit l'expression de l'idée moderne par des compositions et des figures de convention. David d'Angers se mit à la tête de la nouvelle école et chercha à donner le type de l'art nouveau dans le fronton de Sainte-Geneviève (Panthéon). La tentative ne fut pas très heureuse, et les successeurs de David d'Angers : Lemaire, Duret, Dumont, Pradier — les Trois grâces, Phryné, Phidias, Prométhée —, Cortot, Etex, Barye, Foyatier, Petitot, Dantan, Seurre, Clésinger, Debay — Ève et ses deux enfants —, Cavelier, Rude, qui sculpta le bas-relief de la Marseillaise de l'Arc-de-l'Étoile, poursuivirent la recherche du beau et du vrai indépendamment de tout système.

Architecture. — L'architecture, comme la sculpture, s'était bornée sous l'Empire et la Restauration à copier l'antiquité. Sous le gouvernement de Louis-Phi lippe, sans répudier aucun style, on se contenta d'éviter les copies serviles et de restaurer avec goût.

La Colonne de Juillet, le Palais des Beaux-Arts (Duban), la fontaine de la place Louvois (Visconti), l'église Saint-Vincent-de-Paul (Hittorf) et Notre-Dame-de-Lorette (Lebas) sont les principaux monuments de cette époque. Lassus et Viollet-le-Duc restaurèrent la Sainte-Chapelle et Notre-Daine ; Duban, le château de Blois.

Alexandre de Laborde publia de 1818 à 1838 ses Monuments de la France classés chronologiquement, et Abel Hugo, sa France historique et monumentale, 1837-1838. Guizot, ministre de l'intérieur, avait nommé Vitet, le délicat critique d'art, inspecteur général des monuments historiques.

Peinture. — Ici encore nous retrouvons la grande querelle des classiques et des romantiques. Delaroche, 1797-1836 — Enfants d'Édouard, Mazarin mourant, Assassinat du duc de Guise — ; Marilhat, 1811-1847 — Vue de Balbek, Soleil couchant sur les grands pins de la villa Borghèse — ; Horace Vernet, 1789-1865, le peintre favori de la monarchie de Juillet ; Eugène Delacroix, 1799-1864 — Orphée, Attila, Entrée des Croisés à Constantinople — ; Decamps, 1805-1860 — Café turc, Halte de cavaliers arabes, La défaite des Cimbres — ; Ary Scheffer, 1785-1838 — Francesca de Rimini, Mignon, Saint-Augustin et Sainte-Monique — ; Flandrin, Meissonnier sont les chefs de l'École romantique, essentiellement coloriste ; Ingres, 178f-1867, élève de David et surtout de Raphaël est à la tête d'une école plus sévère qui recherche avant tout la pureté dans le dessin — Martyre de saint Symphorien, Stratonice, portraits de Bertin, de Molé —. Mais il ne faudrait pas trop insister sur cette classification, qui a quelque chose de factice ainsi Delaroche n'appartient précisément à aucune des deux écoles. Depuis 1830, le nombre des peintres de talent s'est multiplié dans notre pays, l'unité a manqué de plus en plus à la peinture française et les opinions y sont aujourd'hui plus divisées que jamais.

 

FIN DE L'OUVRAGE