Le
procès Fieschi se déroulait devant la Cour des pairs, pendant la crise
ministérielle, sans qu'il fût possible au parquet d'y compromettre les
républicains ou les légitimistes, et se terminait le 15 lévrier par un arrêt
qui condamnait Fieschi, Pepin et Morey à la peine capitale ; un troisième
complice, Boireau, à vingt ans de détention. L'exécution eut lieu le 19
février. Le 1er
mars le Moniteur annonça la constitution du nouveau cabinet. Thiers,
président du Conseil, ministre des affaires étrangères Sauzet, de la justice
; Montalivet, de l'intérieur ; Passy, du commerce ; Pelet de la Lozère, de
l'instruction publique ; d'Argout, des finances Duperré, de la marine, et
Maison, de la guerre. C'était un ministère tiers-parti. Thiers
arrivé au pouvoir grâce à une infime minorité dans une question non
politique, ne pouvait avoir une attitude bien nette. Après avoir soumis aux
Chambres une loi importante sur les chemins vicinaux, il réussit à faire
ajourner la réduction de la rente et obtint, sans difficulté, un vote de
Confiance sur une demande de fonds secrets. Le 15 avril s'ouvrit un débat sur
la loi douanière dans lequel le président du Conseil se déclara très partisan
du système protecteur, et le budget fut arrêté à la somme de 1.012.166.000
francs, sans 'autre incident qu'une vive discussion sur l'article relatif aux
monuments de Paris. Avant de se séparer, la Chambre vota la suppression des
loteries. C'est
en 1836 (17
février) que
Cracovie, dernier refuge de la nationalité polonaise, fut occupée par
l'Autriche, la Prusse et la Russie en exécution des clauses de Müntz-Graetz,
mais en violation des traités de 1815. Thiers laissa passer sans protestation
cette atteinte aux traités ; il ne songeait alors qu'à ménager un mariage
princier au duc d'Orléans. C'est dans ce but que le prince et son frère, le
duc de Nemours, parcoururent successivement l'Allemagne, l'Autriche, puis
l'Italie, d'où ils furent rappelés par l'annonce d'un nouvel attentat contre
la vie du roi. Alibaud qui venait de tirer deux
coups de feu sur Louis-Philippe, n'avait pas de complices. Son projet
remontait au mois de juin 1832 ; il voulait tuer le roi parce qu'il le
regardait comme l'ennemi du peuple. Jugé par la Cour des pairs, il est
condamné et exécuté le 11 juillet. Quelques jours après le Tribunal
correctionnel infligeait da sévères condamnations à Auguste Blanqui, Lisbonne
et Barbès, membres d'une Société des Familles, aux tendances socialistes. Malgré
la rigueur des Lois de septembre, la presse avait conservé son indépendance
et son franc parler, qui allait quelquefois jusqu'à l'injure. Émile de
Girardin avait conçu le projet d'un journal à bon marché et exposé ce projet
dans un prospectus que le journal le Bon-Sens critiqua sans la moindre
courtoisie. De Girardin répondit par une assignation en police
correctionnelle. C'est alors que le National intervint en blâmant à la fois
le recours aux tribunaux et la menace faite par le rédacteur de la Presse de
publier la biographie de tous les journalistes. C'est à la suite de ces
dissidences qu'eut lieu le duel funeste que M. de Girardin eut le malheur de
qualifier de « bonne fortune », et qui coûta la vie à Armand
Carrel. Mourant à la fleur de l'âge, après avoir rendu à la cause libérale
les services les plus signalés, il laissait dans la presse démocratique une
place qui ne fut pas remplie (23 juillet). Quatre
jours après revenait l'anniversaire de ces trois journées où il avait joué le
premier rôle, et qui ne fut célébré que par l'inauguration de
l'Arc-de-Triomphe de l'Étoile. L'érection de l'Obélisque de Louqsor est de la
même année (25 octobre). Le
cabinet du 22 février se retira par suite d'un désaccord avec Louis-Philippe
sur la question espagnole (25 août). Le 6 septembre le Moniteur annonçait la
constitution d'un ministère nouveau dont les membres étaient tous, sauf
Guizot, plus dévoués au roi qu'attachés aux prérogatives parlementaires. Molé
prenait la présidence du Conseil et les affaires étrangères ; Persil, la
justice ; de Gasparin, l'intérieur ; Guizot, l'instruction publique ; le
général Bernard, la guerre ; Duchâtel, les finances, et Martin du Nord, le
commerce. La
nouvelle administration prépara des lois sur le régime des prisons, sur la
contrefaçon des livres français à l'étranger, sur la propriété littéraire ;
elle obtint du roi l'élargissement de soixante-deux condamnés politiques, y
compris les quatre ministres de Charles X. Leur mise en liberté coïncida
presque avec la mort de leur ancien maître qui expira à Goritz, le 6
novembre, dans sa quatre-vingtième année. Le
nouveau ministère était à peine installé qu'une insurrection militaire
éclatait à Strasbourg. Après les tentatives faites par les légitimistes et
les républicains, le parti bonapartiste entrait en scène à son tour. Le 30
juillet 1830, la petite manifestation de l'Hôtel-de-Ville avait complètement
échoué. Après cet incident oublié, Louis-Philippe, en s'entourant des
notabilités du premier empire, avait empêché le parti de se reconstituer ;
mais depuis la mort du duc de Reichstadt, le fils de l'ancien roi de
Hollande, Louis Napoléon, était devenu l'héritier impérial ; il habitait avec
sa mère le château d'Arenenberg, entretenant des relations avec les réfugiés
italiens, polonais et surtout avec les républicains français qui croyaient
alors à l'alliance de l'empire et de la liberté. Le prince encourageait cette
illusion dans ses Rêveries politiques, dans ses Considérations
politiques et militaires sur la Suisse. Durant un séjour à Bade, en 1836,
il vit plusieurs officiers français, entre autres le colonel Vaudrey du 4e
d'artillerie, en garnison à Strasbourg, qu'il rattacha à sa cause et qu'il
entraîna dans ses projets. Son plan était d'enlever Strasbourg et de se
porter sur Paris à marches forcées. On sait comment il échoua : le lieutenant
Pleigner et le lieutenant-colonel Tallandier empêchent le 46e d'infanterie de
prêter son concours à l'insurrection ; ils arrêtent le prince, les officiers
qui l'entourent et le colonel Vaudrey. À la même époque, une insurrection
militaire, toute républicaine celle-ci, échouait à Vendôme. Le
gouvernement avait fait transférer le prince Napoléon de Strasbourg à Paris,
où le préfet de police lui annonça qu'il allait être embarqué pour les
États-Unis. Le
procès de ses complices commença le 18 janvier 1837 devant la Cour d'assises
de Colmar : tous furent acquittés ; ce résultat, dont le ministère fut
atterré, ne surprit personne. Dupin l'avait annoncé dans la discussion de
l'adresse ; déplorant qu'on eut enlevé le prince à
ses juges ; il avait ajouté qu'en procédant ainsi on avait rendu le procès
impossible. La session où fut discutée cette adresse s'était ouverte le 27
décembre ; le roi, en arrivant au Palais-Bourbon, avait été accueilli par des
acclamations plus vives que d'habitude, c'est qu'il venait d'échapper à une
nouvelle tentative d'assassinat, celle de Meunier, qui avait tiré un coup de
pistolet sur la voiture royale sans atteindre personne. » Eh bien, ils ont
encore tiré sur moi, dit Louis-Philippe à Dupin en pénétrant dans la Chambre
; non, sire, répondit le président, ils ont tiré sur eux. » Condamné à mort,
Meunier vit sa peine commuée par la clémence royale. L'incident
le plus intéressant de la discussion de l'adresse fut la lutte oratoire entre
Thiers et Molé au sujet de la quadruple alliance : Thiers réclamait
l'exécution du traité, Molé refusait d'intervenir, et la Chambre lui donnait
gain de cause. La
France gardait ses ressources et le sang de ses enfants pour sa propre cause,
comme le disait Louis-Philippe dans le discours du trône, et les événements
dont l'Algérie était alors le théâtre justifiaient cette politique. La
situation, après cent combats héroïques, après d'inutiles essais de
colonisation, y semblait très compromise à la fin de 1856. L'administration
faible et hésitante de Drouet d'Erlon, nommé gouverneur-général en 1854,
avait inspiré une confiance illimitée aux beys hostiles à la France, et parmi
eux, à Abd-el-Kader, bey de Mascara. Ce chef habile, brave, fanatique, après
une feinte soumission, en février 1854, excita secrètement les Arabes à
continuer la lutte, et le 28 juin, il infligea un sérieux échec au général
Trézel, sur les bords de la Macta. Le général Clausel, successeur de Drouet
d'Erlon (juillet
1855), sema la
division parmi les tribus arabes, soumit les Hadjoutes, fit pénétrer des
troupes dans Blidah et se mit à la tête de l'armée qui devait attaquer
Abdel-Kader dans Mascara ; elle pénétra dans cette ville le 6 décembre.
Clausei s'empara ensuite de Tlemcen (15 janvier 1856), infligea de nouveaux échecs à
l'émir et rentra dans Oran. Ces avantages furent compromis par le rappel, en
France, d'une partie du corps expéditionnaire. Chaque succès était suivi
d'une réduction de l'effectif, chaque revers de l'envoi de nouvelles forces. Pour
consolider notre situation à l'est d'Alger, Clausel méditait une expédition
contre Constantine. Le 15 novembre, il quittait Bône avec sept mille hommes,
mettait trois jours à passer la Seybouse et arrivait sous les murs de
Constantine, après mille souffrances, le 21 novembre. Le 22 novembre on
s'empare du plateau de Koudiat-asi : de ce point et
des hauteurs de Mansourah on canonne la ville pendant toute une journée ;
dans la nuit du 25 au 24 on tente une attaque qui échoue, et la retraite est
ordonnée. Protégée par le commandant Changarnier, elle s'accomplit
péniblement jusqu'à Guelma, où l'armée arriva le 28, après avoir perdu un dixième
de son effectif. La nouvelle de ce désastre, qui fit une vive impression en
France, ramena l'attention sur notre colonie et fit préparer avec plus de
soin l'expédition de l'année suivante. Le
ministère Molé répondit au coup de main de Strasbourg par la présentation de
la loi de disjonction. En cas de crimes ou délits politiques commis par des militaires
et des civils, elle envoyait les uns devant les conseils de guerre, les
autres devant les tribunaux ordinaires ; un second projet désignait l'île
Bourbon comme lieu de déportation ; un troisième édictait la peine de la
réclusion pour non révélation des complots formés contre la vie du roi. En
même temps qu'il sollicitait ces lois répressives, le cabinet demandait aux
Chambres de constituer le château de Rambouillet et quelques autres domaines
de l'État en apanage pour le duc de Nemours, et d'accorder un million pour la
dot de la reine des Belges. Lois répressives et lois pécuniaires provoquèrent
un mécontentement général. De Cormenin se fit encore l'organe de ce sentiment
dans ses Lettres d'un jacobin. Timon évaluait alors le domaine privé à
113.708.165 francs. Son pamphlet se terminait par ces mots : N'est-il pas
évident, de toute évidence, qu'une auguste princesse prodigieusement riche de
son patrimoine, dira son héritier l'un des plus jeunes fils du roi qui
renoncera alors à sa part dans le domaine privé, ou bien elle divisera entre
ses neveux son immense fortune, dont le duc de Nemours aura sa portion, en
sorte que dans l'une et l'autre des hypothèses que nous venons de poser, le
prince pour lequel on demande à la nation de si douloureux sacrifices, aura
de 25 à 50 millions de capitaux, et le Parlement qui doit avant tout défendre
les deniers des contribuables ne rougirait pas de leur imposer le fardeau
d'un demi-million de rente annuelle ? Non, quels que soient la lâcheté et le
servilisme du temps où nous vivons, non cela n'est pas possible ! Avant
d'aborder la loi de disjonction, la Chambre régla les attributions des
conseils municipaux, modifia la loi sur la garde nationale et la loi sur les
caisses, d'épargne. La loi de disjonction, combattue par Dupin, défendue par
Lamartine, Martin du Nord et Persil, fut repoussée par 211 voix contre 200. Guizot
essaya de reconstituer le cabinet du 11 octobre avec l'appui de Thiers :
celui-ci refusa ; le roi repoussa la liste dressée par Guizot et la liste
dressée par Thiers, et chargea son homme de prédilection, Molé, de composer
un nouveau ministère, dont les doctrinaires seraient exclus. Le 16 avril, le
Moniteur annonça les nominations suivantes : Barthe, à la justice ; Montalivet,
à l'intérieur ; Salvandy, à l'instruction publique ; Lacave-Laplagne, aux
finances ; Martin du Nord et Rosamel conservèrent leurs portefeuilles. La
Chambre accorda au nouveau ministère un supplément de dotation pour le prince
d'Orléans, à l'occasion de son mariage, et un douaire de 500.000 francs à la
reine des Belges. Dans la discussion sur les fonds secrets, elle n'accorda sa
confiance à Molé qu'après un long débat, qui révéla l'insuffisance oratoire
du président du Conseil et le doctrinarisme exclusif de Guizot. Pour
gagner l'opinion, Molé fit rendre une ordonnance royale d'amnistie (8 mai). Quelques jours après cette
mesure de bonne politique, la princesse Hélène de Mecklembourg Schwerin
arrivait en France. Son mariage, avec le duc d'Orléans, fut célébré le 50 mai
à Fontainebleau ; les fêtes qui le suivirent furent signalées par
l'inauguration du Musée de Versailles, œuvre 'personnelle et glorieuse de
Louis-Philippe, et par la catastrophe du Champ-de-Mars, qui rappela le
mariage de Louis XVI et de Marie Antoinette, et fit naître de sinistres
pressentiments, trop tôt réalisés. Le
mariage du duc d'Orléans s'était fait sous les auspices du roi de Prusse,
oncle de la princesse. L’empereur d'Autriche s'était montré moins bien
disposé en faveur des d'Orléans et leur avait refusé une archiduchesse.
L'heureuse issue des négociations, que Molé avait suivies à Berlin pour faire
réussir cette union, fortifia sa position à la Cour, mais ne lui donna pas
une voix de plus dans le Parlement. La
discussion du budget arrêté, pour 1856, il 1.053.340.078 francs en recettes,
et à 1.037.288.050 fr. en dépenses, fut mêlée aux débats relatifs à
l'établissement de grandes lignes de chemins de fer. Avant l'année 1836,
époque où le Gouvernement eut un plan arrêté, le premier chemin °de fer
français, de Saint-Étienne à Andrézieux, avait été inauguré en 1828 ; ii ne
servait qu'au transport du charbon et des marchandises. En 1852, on établit
une nouvelle ligne pour le transport des voyageurs à Montbrison. En 1855, le
chemin de fer 'de Lyon à Saint-Étienne, commencé en 1826, était terminé et
mis en communication avec celui de Saint-Étienne à la Loire ; enfin,
Saint-Étienne fut rattaché à Roanne par le chemin de fer de la Loire. Ces
lignes décuplèrent la valeur des mines de houille et de charbon et donnèrent
un puissant essor à la prospérité industrielle et commerciale du département
de la Loire. Saint-Étienne devint en quelques années une ville de premier
ordre. En 1857 ces résultats crevaient déjà les t'eut.
Au début de la session Molé avait demandé un crédit considérable pour les
travaux publics. Le 6 mai, il présenta six projets de loi pour l'exécution de
six chemins de fer : de Paris à Rouen ; de Paris à Orléans ; de Mulhouse à
Thann ; du Gard ; de Lyon à Marseille et de Paris à la frontière belge.
L'exécution de ces lignes par l'État ayant soulevé de graves objections, on
ajourna les grandes lignes, et on vota seulement quelques chemins sans
subvention : Alais à Beaucaire ; Alais à la Grand'Combe
; Bordeaux à la Teste ; Epinal au canal du Centre et Mulhouse à Thann. La
Chambre se sépara le 15 juillet ; elle ne devait plus se réunir. Le 14
octobre une ordonnance prononça sa dissolution. Les
élections de 1837 furent précédées d'un glorieux' succès remporté en Algérie.
Bugeaud, envoyé à Oran pour maintenir les populations de l'ouest, avait eu,
le 29 mai, sur la Tafna, une entrevue avec Abd-el-Kader qui aboutit au traité
de la Tafna : par cette regrettable convention, la France ne se réservait,
dans la province d'Oran, que Mostaganem et Arzew ; dans celle d'Alger, que
cette ville, le Sahel, la Mitidja, Blidah et Coleah. L'émir qui devait
administrer tout le reste devenait le bey le plus puissant de l'Algérie. On
s'acheminait ainsi à l'occupation restreinte projetée par Louis-Philippe et
par Bugeaud. Tranquille à l'Ouest, le général Damrémont dut s'occuper
d'Achmet Bey et préparer une nouvelle expédition contre Constantine. Il
réunit 10.000 hommes à Guelma, tous les corps d'élite, et dès le 9 août
s'établit, avec son avant-garde, sur le plateau de Medjez-el-Amnar. L'armée ne fut en état d'agir que le 9 septembre.
Valée commandait l'artillerie ; Fleury, le génie ; Nemours et Trezel, une brigade ; Huilières, les deux autres. Le 6
octobre on était sous les murs de Constantine. La ville était défendue par
soixante canons et une forte garnison ; Achmet Bey tenait la campagne avec
9000 cavaliers. Les 8, 9, 10 et 11 octobre on bombarda la place ; le 13
l'assaut fut ordonné par le général Valée qui venait de remplacer Damrémont
frappé d'un boulet en pleine poitrine. La ville fut prise après un combat
acharné où le colonel Lamoricière, les chefs de bataillon Vieux et de Sérigny
se couvrirent de gloire. Le 11 novembre, le général Valée fut nommé maréchal
de France, et le 1er décembre suivant, gouverneur général de l'Algérie. Molé
espérait que le corps électoral serait empressé de faire son cadeau de noces
à Louis-Philippe et lui enverrait une majorité plus compacte que celle que la
défection des doctrinaires venait de désorganiser. Les élections eurent lieu
le 4 novembre : cette fois, légitimistes.et républicains prirent une part
active à la lutte ; un certain nombre de membres du centre gauche en furent
écartés par une ordonnance royale qui les comprit dans 'une fournée de
cinquante-six pairs nouveaux. La scission entre l'opposition dynastique et
l'opposition radicale fut encore plus favorable au gouvernement sinon au
ministère ; sur 439 députés 310 furent réélus. Molé fut forcé de se montrer
conciliant : l'adresse fut adoptée à une grande majorité, et les fonds
secrets, par 249 voix contre 155. Le centre gauche avec Thiers, les
doctrinaires eux-mêmes, mais avec plus de réserve, appuyaient le cabinet. La
nouvelle Chambre se montra encore moins favorable que sa devancière à
l'exécution des chemins de fer par l'État. Le 26 avril François Arago soumit
à la Chambre un rapport qui concluait au rejet du projet gouvernemental :
l'Assemblée adopta ces conclusions et accepta les offres de deux compagnies
qui s'engageaient à exécuter les lignes de Paris à Rouen et de Lille à
Dunkerque. La session fut close le 12 juillet. Six semaines auparavant la
Cour d'assises avait condamné le corroyeur Hubert à la déportation, Mlle
Laure Grouvelle et Steuble à cinq années d'emprisonnement pour complot contre
la vie du roi. Pendant cette session peu remplie, un autre événement avait
attiré l'attention : Talleyrand expira le 18 mai ; quelques instants avant sa
mort il signa une rétractation des Erreurs de sa vie que le clergé lui
avait arrachée. Le 24
août, la duchesse d'Orléans accoucha d'un fils qui reçut les noms de
Philippe-Albert, comte de Paris. La même
année, le pape Grégoire XVI ayant obtenu du nouvel empereur d'Autriche,
Ferdinand, le retrait des troupes qui occupaient les États-Romains,
l'occupation française à Ancône prit fin (25 octobre 1858). Cet abandon, accompli sans
qu'on eût exigé aucune réforme du souverain pontife, mécontenta l'opinion et
décida le Gouvernement à montrer quelque fermeté en face du Mexique et de la
République Argentine. Saint-Jean d'Ulloa fut prise
le 27 novembre 1838 ; l’île Martin Garcia, le 11 octobre. Rappelons encore
l'envoi d'un corps de troupes sur la frontière suisse pour forcer la diète à
expulser du territoire de la Confédération le prince Napoléon. L'année
1858 peu remplie, au point de vue parlementaire, fut fertile en scandales
judiciaires : le général Brossard, à la suite d'un procès où Bugeaud lui-même
fut compromis, fut condamné, pour concussion, à six mois de prison et 800
francs d'amende ; les actes immoraux et les trafics de l'ancien préfet de
police Gisquet, furent énergiquement flétris par le procureur général
Plougoulm ; des employés de la Préfecture de la Seine, convaincus d'avoir
reçu des pots de vin, furent condamnés sévèrement. Les
vacances parlementaires avaient servi à nouer la coalition destinée à
renverser le ministère. Duvergier de Hauranne, très conservateur, mais encore
plus parlementaire, et l'un des hommes qui ont le mieux compris les
institutions de l'Angleterre, écrivit une brochure remarquable : Des
principes du gouvernement représentatif et de leur application. Cette
publication eut un grand retentissement ; elle provoqua une polémique ardente
qui ne fit qu'animer l'opinion publique. Guizot, dans la Revue française,
avait d'avance tracé le programme de la coalition en y conviant outre le
centre droit, le centre gauche (Thiers), l'extrême gauche (Garnier-Pagès) et l'extrême droite (Berryer). Le cabinet du 15 avril n'était
pas de taille à résister à ce déploiement de forces : on lui reprochait, avec
raison, sa faiblesse, son indécision et surtout le rôle prépondérant qu'il
laissait au roi dans la direction des affaires. La
session de 1838-1839 s'ouvrit le 17 décembre 1838. A la Chambre des députés,
Dupin ne fut élu président qu'au troisième tour, par 183 voix contre 178 à
Passy ; à la Chambre des pairs, dans la discussion de l'adresse, Montalembert
accusa le Gouvernement de ne pas prêter au roi Léopold un concours effectif ;
Cousin signala les prétentions abusives du clergé ; Pelet, de la Lozère,
blâma l'expulsion du prince Napoléon, et de Broglie qualifia durement
l'évacuation d'Ancône ; l'adresse fut pourtant votée à une grande majorité. La
Commission, chargée de rédiger l'adresse à la Chambre des députés, comptait
cinq membres de la coalition : Thiers, Duvergier de Hauranne, Étienne,
Mathieu de la Redorte et Passy ; elle rédigea une
réponse au discours du trône qui se terminait ainsi : une administration
ferme et habile s'appuyant sur les sentiments généreux, faisant respecter au
dehors la dignité du trône, en le couvrant au dedans de sa responsabilité, est
le gage du concours que la Chambre a tant à cœur de prêter à la Couronne. C'était
là une adresse d'opposition : c'était le premier échec infligé, par le
Parlement, à la politique personnelle de Louis-Philippe. Liadières
qualifia la phrase que nous venons de citer de respectueusement violente et
d'académiquement révolutionnaire. Guizot qui lui succéda à la tribune,
s'attaque personnellement à Molé et termine son discours par les mots de
Tacite : Omnia serviliter
pro dominatione. Ce n'est pas des courtisans
que Tacite parlait, s'écrie 11Iolé, c'était des ambitieux. L'effet de cette
riposte heureuse fut fugitif ; les coups étaient portés : Molé eut beau
déployer un talent oratoire qu'on ne lui soupçonnait pas, il n'obtint au vote
final qu'une majorité de 13 voix : 221 contre 208 (20 janvier), et une ordonnance du 2 février
prononça la dissolution de la Chambre. Convoqués
deux fois, à dix-huit mois d'intervalle, les électeurs allaient avoir encore
à se prononcer sur les prérogatives royales, sur la prétention de
Louis-Philippe de toucher à tout, de se mêler de tout, avec ou sans la
connivence de ses ministres. « Le roi règne et gouverne », telle
était la maxime de Louis-Philippe, et à cet égard son accord avec Molé était
complet. Quelques jours après le vote de l'adresse les ministres avaient donné leur démission, mais Soult n'ayant pu constituer un cabinet, le roi s'empressa de les rappeler. Ils présidèrent aux élections qui eurent lieu le 2 mars et mirent en usage tous les moyens d'intimidation et de corruption. Deux partis seulement se trouvaient en présence, les ministériels et les coalisés : ceux-ci firent passer 252 députés contre 207. Le ministère était vaincu. Louis-Philippe, au lieu de se soumettre franchement à la volonté du pays, si nettement exprimée, aima mieux constituer une administration intérimaire : de Montebello prenait les affaires étrangères ; de Gasparin, l'intérieur ; le général Cubières, la guerre ; le baron Tupinier, la marine ; Gauthier, les finances, et Parent, l'instruction publique (31 mars). Ce cabinet d'affaires dura jusqu'au 12 mai. La session s'était ouverte, pour la première fois, sans que le roi prononçât de discours ; le 4 avril, Passy, du centre gauche, fut élu président par 227 voix contre 193 à Odilon Barrot de la gauche dynastique. Après deux interpellations sur la crise ministérielle, les Chambres attendirent du bon plaisir de la Couronne la constitution d'un ministère définitif. Cette solution fut hâtée par une nouvelle insurrection. |