Les nouveaux
ministres. — Administration non homogène. — La Déclaration. — Interpellation
sur l'ajournement de la révision. — M. Goblet et l'extrême Gauche. — Désarroi
de l'Assemblée, esprit d'exclusivisme du Ministère. — Abus des prises en
considération. — Activité du Sénat. — L'élection des maires. — La mairie
centrale de Paris et M. Jules Hoche. — Les élections municipales
complémentaires. — Progrès de la pacification en Tunisie. — La responsabilité
ministérielle et M. Caillaux. — Interpellation sur les affaires algériennes à
la Chambre. — Réforme du Code d'instruction criminelle au Sénat. — La
question du divorce la Chambre. — Le régime des boissons et M. Léon Say. — La
réforme judiciaire l'élection des juges. — Vote de quelques lois d'affaires
(Juin-Août) et interpellations diverses à la Chambre. — L'indemnité aux
alfatiers de Saïda. — Le Protectorat tunisien. — L'interpellation Blancsubé.
— Discussion générale du budget de 1883. — L'Instruction Publique sous le
Ministère de Freycinet. — Historique de la loi du 28 Mars 1882. — Opposition
de la Droite. — Admission des ministres des cultes dans les locaux scolaires.
— Les devoirs envers Dieu et la patrie. — L'obligation et la laïcité devant
le Sénat renouvelé. — La loi du 28 Mars 1882. — L'enseignement secondaire
privé. — Les petits séminaires. — La seconde délibération. — Révision
nécessaire de la loi du 15 Mars 1850. — La réforme de renseignement
secondaire spécial. — Les interpellations sur les affaires d'Egypte. —
Indécisions du Président du Conseil. — Le mouvement « national » et Arabi. —
Avances timides au parti national. — Danger de l'intervention ottomane. — Le
Khédive menacé de déposition. — Attitude de M. de Freycinet le 11 Mai. —
Faiblesse du Khédive. — La France propose la réunion d'une Conférence. —
Attitude de M. de Freycinet le 1er Juin. — Massacre d'Alexandrie. 14 Juin. —
La France semble se préparer à l'intervention armée. — Bombardement
d'Alexandrie par les Anglais. — Attitude de M. de Freycinet le 18 Juillet. —
Le rapport de M. Schérer et l'opinion du Sénat sur M. de Freycinet. — Séance
du 26 Juillet il la Chambre. — Appréciation sur le Cabinet du 30 Janvier.
Pendant
la semaine qui avait précédé la chute de Gambetta, les intimes de l'Élysée
allaient répétant dans les couloirs de la Chambre, pour rassurer les
hésitants, que M. de Freycinet s'était engagé a accepter le pouvoir. La
rapidité avec laquelle fut constituée la nouvelle administration donna
créance à ce bruit la crise ne dura que trois jours et le 30 Janvier l'Officiel
publiait la liste des ministres et des sous-secrétaires d'Etat. M. de
Freycinet prenait, avec la Présidence du Conseil, les Affaires Etrangères. M.
Goblet, ancien sous-secrétaire d'Etat, recevait le portefeuille de
l'Intérieur, M. Léon Say celui des Finances, M. Humbert celui de la Justice
et des Cultes, M. Jules Ferry celui de l'Instruction Publique et des
Beaux-Arts, le général Billot celui de la Guerre, le vice-amiral
Jauréguiberry celui de la Marine et des Colonies, M. Varroy celui des Travaux
Publics, M. Tirard celui du Commerce et M. de Mahy celui de l'Agriculture. Un
seul membre du Cabinet Gambetta était conservé M. Cochery restait aux Postes
et Télégraphes. Quatre sous-secrétaires d'État furent d'abord nommés M.
Develle a l'Intérieur, M. Varambon à la Justice, M. Berlet aux Colonies et M.
Rousseau aux Travaux Publics. Quelques jours après la constitution du
Cabinet, M. Duvaux fut appelé au sous-secrétariat de l'Instruction Publique
et des Beaux-Arts. Sur 10 députés faisant partie du nouveau Cabinet, comme
ministres ou comme sous-secrétaires d'Etat, 4 seulement avaient fait partie
de la majorité des 268, le 2G Janvier les G autres, MM. Goblet, Develle,
Jules Ferry, Rousseau, Tirard et Cochery, avaient voté avec la minorité des
2)8. La première différence du Cabinet du 30 Janvier 1882 avec celui du ')4
Novembre était la suppression du ministère des Arts la seconde, de moindre
importance, était le rattachement des Cultes à la Justice, et la troisième
était le rattachement des Colonies à la Marine. Cette dernière mesure était
particulièrement malheureuse. Il
était difficile de former à la fois une réunion d'hommes plus compétents et
un assemblage plus incohérent que celui du 30 Janvier. M. de Freycinet, dont
Gambetta avait dit : « Comme caractère c'est une nolonté,
comme intelligence c'est un filtre, » était peut-être, dans tout le
Parlement, l'homme le moins capable d'exercer une sérieuse action sur ses
collègues, de fondre des éléments aussi disparates. Le nouveau Président du
Conseil s'était séparé de M. Jules Ferry, en Septembre 1880, sur l'exécution
des décrets Il n'était pas moins éloigné de M. Léon Say sur la question du
rachat des chemins de fer et sur la politique financière. M. Léon Say, avant
d'entrer dans la combinaison, avait formulé ainsi son programme ni émission
de 3 p. 100 amortissable, ni conversion de 8 p. 100, ni rachat de chemins de
fer. De plus M. Léon Say estimait qu'il fallait sensiblement ralentir
l'exécution des grands travaux qui figuraient au plan Freycinet or, ces
travaux allaient être augmentés : par l'exécution de 475 kilomètres de lignes
dites stratégiques. M. Goblet, le ministre de l'Intérieur, était un partisan
décidé de la séparation des Églises et de l'État dont M. Ferry était un
adversaire non moins résolu. De solidarité, d'homogénéité il n'en existait
pas l'ombre dans le Cabinet. Par la réunion des compétences éprouvées,
c'était bien le grand Ministère, mais le grand Ministère sans le grand homme.
C'est le 30 Janvier 1882 et non pas le 14 Novembre 1881 que M. Grévy aurait
pu prononcer le mot que nous avons rappelé. D'idées communes les hommes
intelligents, voire remarquables que nous venons d'énumérer, n'en avaient sur
rien, et leur chef avait moins d'opinions arrêtées que personne il n'apporta
ni doctrine ni système dans la direction du Cabinet ou dans celle de nos
relations extérieures. La
Déclaration refléta cet état d'esprit. M. de Freycinet affirmait sa pleine
déférence pour le Parlement, que M. Waldeck-Rousseau avait traité si rudement
dans sa première circulaire aux préfets. Il annonçait la préparation de lois
destinées à organiser la liberté d'association, tout en maintenant intacts
les droits essentiels de l'État. Ni ces lois ne furent préparées, ni les
droits de l'État, nous le verrons, ne furent sauvegardés. L'auteur de la
Déclaration disait sans ambages que les circonstances commandaient d'ajourner
la révision cet ajournement était ie seul résultat positif de la chute du
précédent Cabinet. Les successeurs de Gambetta proclamaient ensuite l'urgence
de la réforme judiciaire, de l'accroissement de la compétence des juges de
paix, de la diminution du chiffre maximum des magistrats, de la suppression
des tribunaux inoccupés, de l'organisation de troupes spéciales pour les
colonies et de l'établissement d'un bon système de recrutement. La
Déclaration se terminait par l'aphorisme connu, que les nations ne vivent pas
seulement de politique. Par sa naissance, par sa composition, par la
nécessité où il était de s'appuyer sur la fraction avancée de la Gauche, le
Cabinet du 30 Janvier dut vivre surtout de politique et d'une mauvaise
politique, faite de rancune contre le glorieux vaincu du 26 Janvier,
d'exclusion des membres de l'Union républicaine, de compromissions destinées
à maintenir une majorité sans consistance, d'absence de vues d'ensemble et
d'une large compréhension de la direction à imprimer aux services publics ou
à notre action extérieure. M. de Freycinet ne se retrouvait égal à lui-même
qu'à la tribune, lorsqu'il n'était pas trop gêné par ses alliances et dans
les questions de politique intérieure, car la série de ses discours sur la
politique étrangère en 1882 est un tissu de contradictions. Le 6
Février MM. Lockroy et Granet l'interpellent sur la non-exécution de la
résolution du 26 Janvier, par laquelle la Chambre avait, disaient-ils,
manifesté ses intentions révisionnistes. Le Président du Conseil établit une
distinction très juste entre les lois ordinaires et les lois
constitutionnelles. Les premières doivent être portées par le Gouvernement du
Palais Bourbon au Luxembourg ou du Luxembourg au Palais Bourbon. Les secondes
doivent être votées spontanément par chaque fraction du Parlement, et ce sont
ces votes spontanés qui amènent la réunion du Congrès. D'ailleurs, en
admettant que le Gouvernement consentit à porter au Luxembourg la résolution
du 26 Janvier, que dirait-il à la Haute Assemblée ? Quelle était l'opinion
exacte à la Chambre ? S'était-elle prononcée pour une révision partielle ou
pour une révision inimitée ? Son vote ne s'était-il pas compliqué d'une
question de confiance ? M. de Freycinet refit en somme le discours de M.
Gambetta, convainquit aisément ses auditeurs et obtint un ordre du jour
déclarant que la Chambre était, confiante dans les déclarations du
Gouvernement et dans sa volonté d'accomplir les réformes attendues < dont
fait partie la révision des lois constitutionnelles. Ce membre de phrase fut
la seule satisfaction, toute platonique, donnée aux partisans de la révision
et la révision fut enterrée pour longtemps. Le Cabinet obtint 271 voix contre
61 ; il y eut 127 abstentionnistes et parmi eux Gambetta et tout son
Cabinet. Le
premier contact du Cabinet avec la Chambre lui avait valu une victoire assez
médiocre, puisque la majorité n'avait pas réuni la moitié des membres de la
Chambre. Il dut des succès de meilleur aloi à M. Goblet, le nouveau ministre
de l'Intérieur. A ce moment de sa carrière politique, M. Goblet marchait
encore avec le gros du parti républicain qu'il devait plus tard devancer et
de si loin. MM. de Lanessan et Clémenceau se plaignaient de l'intervention
des troupes dans les grèves du Gard. Le ministre leur répondit que le
Gouvernement, par cette intervention, avait prévenu des troubles et des
atteintes à la liberté du travail, et opposa le système préventif au système
répressif. Cette réponse stéréotypée, qui sera régulièrement faite par les
ministres de l'Intérieur a toute question analogue, satisfit entièrement la
Chambre elle l'approuva par 296 voix contre 50. Plus complète encore fut
l'approbation, dans l'interpellation de M~ Freppel, a propos de l'expulsion
des Bénédictins de Solesmes la Chambre donna 406 voix au Ministère contre 71
aux interpellateurs. Dans
d'autres circonstances l'Assemblée, en plein désarroi depuis le ~6 Janvier,
se montrait animée de l'esprit d'exclusivisme le plus étroit et le plus
mesquin il suffisait d'appartenir à l'Union républicaine pour être écarté non
seulement du bureau, mais des Commissions les moins s importantes. Il
semblait à beaucoup de républicains, honnêtes mais effarés, que la nomination
à un poste quelconque d'un ami ou d'un partisan de M. Gambetta eût été comme
une approbation du pouvoir personnel. M. Boysset fut élu vice-président de la
Chambre contre M. Hérisson, et M. Martin-Nadaud questeur contre M. Noël
Parfait : MM. Hérisson et Noël Parfait étaient les candidats de l'Union
républicaine. Le Gouvernement n'avait pas de son rôle une conception plus
large que la majorité. M. de Miribel avait quitté le ministère de la Guerre
en même temps que le général Campenon, le 30 Janvier. M. Weiss fut remplacé
par M. Decrais a la direction politique des Affaires Étrangères ; M. Andrieux
fut envoyé en mission temporaire à Madrid, récompense de son zèle comme
rapporteur des Trente-Trois ; M. Roustan fut appelé de Tunis à New-York ; M.
Jaurès remplaça M. de Chaudordy à Saint-Pétersbourg. A Londres M.
Challemel-Lacour avait demandé son rappel il eut pour successeur M. Tissot M.
de Noailles fut nommé à Constantinople, M. de Bresson à Belgrade, M. Mariant
à Munich, M. de Montebello à Bruxelles et M. Cambon à Tunis. Ces choix
n'étaient pas tous mauvais, tant s'en faut ; quelques-uns avaient le défaut t
d'être dirigés contre M. Gambetta et inspirés par une politique de rancune,
que l'on devait moins attendre de M. de Freycinet que de tout autre. C'est le
même esprit de concession aux radicaux qui dicta la réponse faite le 23
Février à M. Clovis Hugues au sujet de l'expulsion d'un sujet russe, Pierre
Lavroff. M. de Freycinet invoqua, pour justifier l'expulsion, la loi de 1849
; mais il affaiblit singulièrement ses explications en annonçant la
présentation par le Garde des Sceaux d'un projet de loi modificatif de la loi
de 1849. Dès le lendemain, en effet, M. Humbert déposa le projet annoncé qui
n'apportait que d'insignifiantes restrictions au droit ministériel
d'expulsion des étrangers. Le
laisser-aller gouvernemental, la crainte de s'aliéner la Gauche radicale se
retrouvent encore dans l'attitude du Cabinet en face de M. Boysset. Le
vice-président de la Chambre avait déposé une proposition de dénonciation du
Concordat bien décidé à la combattre au fond, le Gouvernement la laissa
prendre en considération, le 7 Mars, sans réfléchir qu'il s'affaiblissait par
ces aveux d'impuissance, par ces concessions dont on ne devait lui savoir
aucun gré et qui l’obligeaient à des concessions nouvelles. Les
premiers rapports du Cabinet avec la Chambre avaient donc été marqués par des
exigences impolitiques de la Chambre, par une condescendance regrettable du
Cabinet. Les rapports avec le Sénat furent meilleurs, non pas que le Cabinet
se soit montré plus ferme, mais l’Assemblée se montra plus politique. Dès le
3 Février elle plaçait à sa tête M. Le Royer, par 168 voix sur 175 votants,
en remplacement de M. Léon Say, qui était devenu ministre des Finances. M. Le
Royer qui devait occuper le fauteuil pendant tant d'années et avec tant
d'autorité était, par la ferme modération de ses opinions, le véritable
représentant de la majorité républicaine du Sénat. La Haute Assemblée a été
présidée avec plus d'éclat elle ne l'a jamais été avec plus d'exactitude, de
conscience et de sûreté. Le 9
Février le Sénat rejette une proposition de M. Batbie sur la garantie des
droits des citoyens. M. Humbert démontra sans peine que la proposition, avec
des apparences impersonnelles, visait les membres des congrégations non
autorisées et revenait sur l'exécution des décrets de 1880. Le 24 Février,
c'était une loi votée par la Chambre que le Sénat repoussait par 158 voix
contre 93 la Chambre avait réduit à onze heures de trayait effectif la
journée des mineurs de seize ans et des femmes dans les manufactures, par
dérogation à la loi du 9 Septembre ')848 qui fixait cette journée à douze
heures. Enfin, montrant une activité très louable, dont le mérite revenait à
son Président, le Sénat adoptait le 28 Février une loi qui accordait aux
produits anglais le traitement de la nation la plus favorisée, à la suite de
la rupture des négociations commerciales avec l'Angleterre. Le 7 Mars il
adoptait une autre loi d'affaires très importante, celle qui réglait l'état
civil des indigènes musulmans en Algérie, et il entamait, quelques jours
après, la discussion de la loi sur l'enseignement primaire, obligatoire et
laïque. Pendant
qu'au Luxembourg on se livrait à ces sérieux travaux, la Chambre adoptait le
6 Mars l'inoffensive proposition Barodet, tendant à faire recenser et
analyser tous les programmes électoraux des 21 Août et 4 Septembre 1881. Elle
accordait beaucoup plus d'importance à ces discussions oiseuses qu'à celle de
la loi sur l'administration de l'armée qui fut votée presque sans débats le 16
Mars et publiée le 24 au Journal officiel. Ce n'est pas que la Chambre
se désintéressât des questions essentielles elle préférait les autres, celtes
ou elle pouvait faire publiquement étalage de sentiments démocratiques. Elle
se départit pourtant de sa rigueur doctrinale et de son exclusivisme, quand
elle fit entrer Gambetta dans la Commission chargée d'étudier la question du
recrutement et du service de trois ans. La Commission s'honora en plaçant à
sa tête le grand patriote, l'artisan passionné de notre relèvement. Au moment
où Gambetta prenait la présidence de cette importante Commission, on
apprenait les résultats officiels du recensement quinquennal qui avait eu
lieu le ')8 Décembre précédent. De L876 à 1881 la population française
n'avait augmenté que de4tS,398 habitants. Cette faible augmentation, 5 fois
plus petite que celle de l'Allemagne, 9 fois plus petite que celle de la
Russie, présageait une prochaine diminution et devait avoir sa répercussion
sur le recrutement militaire dont elle rendrait la charge plus lourde d'année
en année. Nous
n'avons plus à signaler, avant la séparation des Chambres qui eut lieu le 1er
Avril, que l'adoption de deux articles détachés de la loi organique
municipale, l'un relatif à l'élection des maires dans les chefs-lieux de
département, d'arrondissement et de canton, l'autre à l'adjonction des plus
imposés aux Conseils municipaux pour le vote des emprunts et des
contributions extraordinaires. Le Gouvernement avait eu l'idée de morceler la
loi organique municipale, dont l'élaboration était loin d'être achevée, et de
soumettre ces deux articles à l'examen du Parlement. M. Goblet fit preuve,
dans la discussion, de connaissances juridiques étendues et d'un talent de
tribune qui fut apprécié même au Sénat ; où les orateurs étaient nombreux.
L'adjonction des plus imposés aux Conseils municipaux avait été défendue au
Luxembourg par MM. Porriquet et Bocher ; le sénateur du Calvados,
profondément versé dans la connaissance des affaires et les traitant avec une
éloquence aussi précise que brillante, ne put sauver l'institution des plus
imposés ; personne en France, M. Bocher le remarquait, n'en demandait. t. la
suppression ; mais aussi elle ne se justifiait par aucune bonne raison, elle
était contraire à l'égalité, elle introduisait dans les Conseils municipaux
des éléments étrangers qui en modifiaient indument la majorité aussi fut-elle
supprimée, âpres un bon discours du ministre, par 167 voix contre 98. M.
Goblet fut plus gêné devant la Chambre, non pas que le principe de l'élection
des maires y fut contesté, mais il avait comme collègue, dans le Cabinet, un
sénateur de la Seine, M. de Freycinet, qui ne voulait pas rompre trop
ostensiblement avec lei majorité du Conseil municipal de Paris. Or, cette
majorité réclamait le rétablissement de la mairie centrale et ses
revendications avaient été portées à la tribune par M. Jules Roche, l'un des
membres les plus actifs du parti radical l'amendement de M. Jules Roche fut
rejeté par 276 voix contre H8. La loi
de Juillet 1876, après le vote de la Chambre et du Sénat, fut donc modifiée,
conformément aux propositions du Gouvernement ; de plus, un des articles de
la loi nouvelle décidait qu'il y aurait, avant l'élection des maires, des
élections complémentaires pour pourvoir aux vacances qui se seraient
produites dans les Conseils municipaux. Les élections municipales complémentaires
eurent lieu le 16 Avril et, quelques jours après, l'élection des maires dans
3.000 communes. Les républicains avaient voté avec tant de mollesse et ils
avaient été au scrutin si divisés que la majorité fut acquise aux
réactionnaires ou aux violents dans 350 ou 400 communes. L'élection des
maires par les Conseils municipaux dans les chefs-lieux de département,
d'arrondissement et de canton, tant redoutée de M. Thiers, de l'Ordre moral
et même des républicains timorés, s'accomplit en 1882, sans incidents qui
méritent d'être relevés. Elle a pu donner Heu depuis à des difficultés
d'ordre administratif ; elle n'a pas fait courir de dangers à l'unité
nationale. Il en fut de cette liberté nouvelle comme de toutes les autres
elle est entrée dans les mœurs et, dans les milieux les plus ardents, on la
pratique comme si on l'avait toujours possédée. Pendant les vacances du mois
d'Avril 1882 il y eut en Algérie des faits dé guerre qui eurent leur
contre-coup à la Chambre dès la rentrée, et en Tunisie des tentatives
sérieuses pour consolider le protectorat. Bien que nos colonnes fussent
toujours obligées de parcourir en de rapides incursions les différentes
parties de la Régence, la pacification faisait de réels progrès et M. Cambon
la favorisait par quelques mesures d'habité politique. L'attitude de
Taieb-bey, frère de Mohammed-es-Sadock, avait été si suspecte que M. Roustan
l'avait fait emprisonner. M. Cambon le réconcilia avec son frère et les
indigènes furent reconnaissants a notre Résident général de cet acte de
confiante générosité. L'agitation aurait, dès ce moment, à peu près disparu,
si elle n'avait été entretenue par les tribus en armes qui trouvaient un
refuge et un appui dans la Tripolitaine. A Paris, le Gouvernement central, en
vue d'étendre le protectorat, avait fait signer le 23 Avril un décret qui
ressemblait fort aux décrets de rattachement rendus pour l'Algérie. La
correspondance du Résident généra), au lieu d'être centralisée au quai
d'Orsay, était répartie entre les différents ministères, suivant les affaires
qu'elle traitait le ministre des Affaires Étrangères ne connaissait plus que
les affaires ayant un caractère international. La mesure pouvait se défendre
si elle était transitoire et, grâce à elle, le Résident général put traiter
avec le ministre de la Guerre de l'organisation d'une armée indigène, avec le
Garde des Sceaux de l'organisation de la justice, avec le ministre de
l'Instruction Publique de l'organisation d'un enseignement primaire supérieur
et professionnel. Ces institutions une fois créés, il y aurait tout avantage,
pour ne pas éparpiller la responsabilité, à faire dépendre le Résident
général de Tunisie, comme le Gouverneur général de l'Algérie, d'un seul
ministre. Cette responsabilité une fois bien fixée, il est conforme aux
règles parlementaires que le ministre ne s'en décharge pas sur son
subordonné, fut-il gouverneur ou résident, et qu'il paraisse et réponde seul
devant le Parlement. Cette
question de la responsabilité ministérielle fut soulevée à la Chambre, le 4
Mai, par M. Guichard. Le député de l'Yonne interrogea M. Humbert sur la suite
donnée au vote par lequel l'ancienne Chambre, le 28 Juillet 188t, avait
invité le Gouvernement à exercer des poursuites en responsabilité civile
contre M. Caillaux, ancien ministre du 16 Mai, qui avait outrepassé les crédits
accordés pour des réparations à exécuter au Louvre. Le Garde des Sceaux
répondit que, pour un délit, il ne savait devant quelle juridiction citer M.
Caillaux, le Sénat n'ayant de compétence que pour les crimes. La Chambre
invita le Gouvernement à combler la lacune de la législation au sujet de la
responsabilité ministérielle. Aucune suite ne devait être donnée à ce vote. Le même
jour (4
Mai) eut lieu
l'interpellation de MM. Tenot et Ballue sur les affaires algériennes, plus
critiques, à ce moment, que celles de Tunisie, puisque nos troupes, au nombre
de 300 hommes, avaient été attaquées près d'El-Frathis, dans la région
indécise qui s'étend entre le Sud-Oranais et le Maroc, et avaient perdu un
tiers de leur effectif et abandonné leur convoi. Le capitaine de Castries,
qui commandait le détachement attaqué, n'avait échappé à une destruction
totale qu'après une lutte héroïque contre 6 à 7.000 hommes. Le combat d'El-Frathis
était du 26 Avril. Vingt jours auparavant le Gouvernement était revenu sur un
décret du Cabinet précédent, daté du 26 Novembre. Par ce décret, le général
Campenon avait confié la direction des territoires de commandement, le Sahara
et le Tell, au seul commandant en chef du 19e corps. Le général Billot réunit
au contraire toute l'administration, celle des indigènes des territoires de
commandement comme celle des Européens, entre les mains du gouverneur général
civil, à charge pour lui de communiquer au général en chef la correspondance
relative aux territoires de commandement. Cette réforme maladroite du Cabinet
du 30 Janvier n'eut évidemment pas d'influence sur les événements du 26 Avril
elle indiquait seulement la méconnaissance par le ministre de la nécessité
d'un pouvoir centralisé en Algérie. L'interpellation,
du reste, ne porta pas sur ce point, mais sur le traité de 1845, qui n'avait
établi qu'une ligne de démarcation idéale entre la France algérienne et le
Maroc, et sur une convention conclue en 1882 entre la France et la monarchie
schérifienne, qui donnait à chaque Empire le droit de poursuivre les rebelles
sur le territoire de l'autre. Pourquoi, dit M. Ballue, n'avoir pas occupé
Figuig, le centre où se préparent toutes les incursions du Sud-Oranais ? Pour
des considérations purement militaires, répondit M. de Freycinet et la
Chambre, au lieu de lui accorder l'ordre du jour de confiance qu'il
sollicitait, vota à l'unanimité l'ordre du jour pur et simple dont il dut se
contenter. On voit que l'interpellation n'avait pas beaucoup éclairé la question
et qu'elle n'était pas de nature à commander une politique plus ferme, une
action plus énergique en Algérie. Il était un peu humiliant pour notre
orgueil national de voir une mission topographique de 300 hommes, exposée au
massacre de 6 à 7.000 bandits qui peuvent, leur coup fait, se retirer
impunément sur un territoire où nous avons le droit de les poursuivre. La
question de M. Guichard, celle de M. Tenot et l'interpellation de M. Ballue
n'avaient été qu'une sorte de lever de rideau, au début de cette session de
trois mois, si laborieuse et si mal remplie, au moins dans l'une des deux
Assemblées. Le Sénat, en effet, échappe à l'agitation fébrile qui s'est
emparée de la Chambre des députés. U discute longuement, avec sérieux et avec
compétence, la réforme du code d'instruction criminelle préparée par M.
Dufaure en 1878, déposée par M. Le Royer en 1879 et dont il est saisi par sa
Commission le 6 Mai 188~. L'autorisation donnée a l'avocat de conférer avec
l'inculpé, sauf le cas de mise au secret, et de requérir la communication des
pièces nécessaires à la défense ; la chambre du conseil du tribunal civil
érigée en juridiction d'appel connaissant des ordonnances du juge
d'instruction le droit maintenu aux officiers de police judiciaire de
pénétrer la nuit dans une maison habitée, en cas de flagrant délit, tels sont
les principaux points de la réforme. La demi-publicité de l'instruction, la
restriction apportée aux pouvoirs absolus du juge d'instruction constituaient
surtout des progrès très sérieux qui en appelaient d'autres et les rendaient
possibles. La réforme avait aussi le mérite de ne pas énerver la répression. Les
autres questions soumises au Sénat furent les suivantes au mois de Mai il
vota plusieurs traités de commerce le 6 Juillet il aborda, en première
délibération, la loi relative aux syndicats professionnels et, le 31 Juillet,
la même loi en seconde délibération. Nous aurons occasion de revenir sur son
vote du 25 Juillet relatif aux crédits égyptiens et de dire quelle attitude
il prit en face du Cabinet dont les velléités décentralisatrices,
l'indulgence pour le Conseil municipal de Paris, et surtout la politique
décousue avaient déjà provoqué ses patriotiques inquiétudes. Nous
revenons à la Chambre qui avait eu, elle aussi, une très belle et très
sérieuse discussion sur la grave question du divorce. La première
délibération commença le 8 Mai ; la seconde le 't2 Juin. Le succès de la
proposition, adoptée en première délibération par 327 voix contre 119, en
seconde par 336 voix contre 150 et attaquée avec beaucoup de force et de
convenance par M. Freppel fut dû, moins peut-être à l'obstination de M.
Naquet et à la science juridique de M. de Marcère, le rapporteur, qu'à
l'éloquence persuasive de M. Léon Renault. L'ancien député de Corbeil venait
d'être renvoyé à la Chambre par l'arrondissement de Grasse[1]. Nous ne
reviendrons pas sur la première délibération de la loi relative au séjour des
étrangers en France nous avons dit son peu d'importance. Nous mentionnerons
seulement l'adoption d'une proposition de M. Jean Casimir-Périer sur les
classes personnelles des préfets et sous-préfets, et la prise en
considération d'une proposition de M. Jules Roche sur la sécularisation des
biens des congrégations. On aurait servi une rente viagère aux religieux
dépossédés. Cette habitude des prises en considération étourdies que le
Gouvernement, par politique ou par négligence, s'abstenait de combattre,
faillit amener, le 22 Mai, la dislocation du Cabinet du 30 Janvier. Un député
du Rhône, M. Guyot, avait proposé de réformer le régime des boissons et de
substituer aux impôts qui pesaient sur elles une taxe très élevée sur
l'alcool. M. Léon Say combattit énergiquement la prise en considération à son
avis, elle compromettrait l'équilibre du budget et causerait dans le monde du
commerce l'agitation la plus dangereuse. Ces raisons laissèrent la Chambre
insensible, la prise en considération fut votée et M. Léon Say remit le soir
même sa démission au Président du Conseil. Il ne consentait a la retirer que
si la Chambre lui votait un ordre du jour de confiance et si la Commission
chargée d'étudier la proposition Guyot ne l'appliquait qu'au budget de 1884.
Le lendemain, la Chambre vota l'ordre du jour de confiance par 293 voix
contre 36 et la Commission promit, par l’organe de son rapporteur. M. Mir, de
faire traîner ses travaux en longueur. M. Clémenceau accabla de railleries
acerbes et méritées une majorité qui se déjugeait avec cette inconscience,
pour sauver un ministre compromis. La
majorité n'y regardait pas de si près. Le 30 Mai elle commençait la
discussion de la réforme de la magistrature, où elle allait faire preuve de
la même incohérence, de la même insouciance à l'égard de la stabilité
ministérielle. La Chambre était saisie, depuis le mois de Février, de deux
projets de réforme judiciaire l'un émanait de M. Martin-Feuillée, ancien
sous-secrétaire d'Etat de M. Cazot dans le Cabinet du 't4 Novembre, l'autre
de M. Humbert, Garde des Sceaux. Le projet de M. Martin-Feuillée étendait la
compétence civile et correctionnelle des juges de paix, créait des assises
correctionnelles et réduisait considérablement le nombre des cours et des
tribunaux. Trois mois étaient accordés au Gouvernement pour lui permettre
d'opérer la réforme qui comportait l'élimination de 400 conseillers et de 600
juges. L'inamovibilité était suspendue pendant ces trois mois. Beaucoup
plus timide, le projet de M. Humbert n'étendait la compétence des juges de
paix qu'en matière mobilière ; il ne supprimait que sept cours d'appel et les
tribunaux jugeant annuellement moins de 250 affaires, au nombre de 166.
L'inamovibilité était étendue aux magistrats algériens. La faculté de
déplacer les magistrats, après avis de la Cour suprême, était accordée au
Gouvernement. La
Commission adopta dans ses grandes lignes le projet du Garde des Sceaux, en
empruntant à celui de M. Martin-Feuillée les assises correctionnelles
d'arrondissement, en déclarant les magistrats de tout ordre amovibles et en
stipulant qu'une loi ultérieure fixerait leur mode de nomination. Dans la
discussion devant la Chambre, MM. Graux et Rivière défendirent le principe de
l'élection. M. Martin-Feuillée combattit le système de la Commission dont
l'adoption donnerait, suivant lui, une magistrature asservie au Gouvernement.
M. Humbert s'éleva non moins vivement contre le recrutement par l'élection que
la Commission faisait craindre pour un avenir prochain, si elle n'osait pas
en proposer l'établissement immédiat, et il essaya, en prouvant à la majorité
qu'elle était d'accord sur trois points la réduction du personnel, la
réduction du nombre des classes et la réforme du personnel- de la ramener au
système du Gouvernement. JI ajouta très sagement qu'à poursuivre des réformes
ultraradicales on passait à côté des réformes pratiques et possibles. Vains
efforts ! Un amendement de M. de Douville-Maillefeu ainsi conçu : « L'inamovibilité
est supprimée les juges de tout ordre sont élus par le suffrage universel »
fut d'abord mis aux voix. La première partie, relative à l’inamovibilité, fut
adoptée par 282 voix contre 193. M. Humbert remonte à la tribune pour
déclarer que si la seconde partie de l'amendement est adoptée, la réforme,
devenue difficile par le premier vote, sera rendue impossible la Chambre
enterra la réforme en votant le principe de l'élection par 278 voix contre
208. M. Humbert offrit sa démission au Président de la République, qui la
refusa, mais accorda au Garde des Sceaux un congé d'un mois. En son absence,
la Commission essaya vainement de trouver un système tenant compte des votes
émis par la Chambre. A son défaut, les groupes de la Gauche s'arrêtèrent à
une formule autorisant le Gouvernement à procéder aux modifications
nécessaires dans le personnel. Cette formule d'arbitraire indéfini, comme on
l'appela, combattue par MM. Varambon, Clémenceau et Ribot, qui rappelèrent
éloquemment la Chambre à la pudeur, fut repoussée par 2S8 voix contre 236, !e
1er Juillet. La Chambre avait perdu un grand mois a cette discussion, et elle
aboutissait une fois de plus au néant. Entre
temps, la Chambre des Députés, agitée et incohérente, mais laborieuse, avait
touché à mainte question intéressante, discuté des interpellations et pris en
considération des propositions combattues par le Gouvernement qui perdait
chaque jour un peu de son autorité. Le 6
Juin, elle clôt par l'ordre du jour pur et simple une interpellation de M. de
Lanessan, qui reprochait à la police et à M. Camescasse d'avoir réprimé trop
brutalement quelques désordres des étudiants au quartier latin. Le 12 Juin,
elle supprime, après un débat insignifiant, les livrets d'ouvriers. Le 20,
elle décide de consacrer à la création d'une caisse des invalides du travail
le produit de la vente des diamants de la couronne que le ministre des
Beaux-Arts réclamait pour les musées nationaux. Le même jour pour mettre fin
à des refus de serment qui entravaient le cours de la justice, elle efface de
la formule consacrée les mots « devant Dieu et devant les hommes, » mais
elle gâte son œuvre en adoptant, sur la proposition de M. Jules Roche et
malgré M. Varambon, un amendement interdisant les emblèmes religieux dans les
salles d'audience ou d'instruction. Une loi
plus utile, véritable mesure de salubrité publique, fut celle du 2j Juin,
adoptée ensuite par le Sénat et promulguée le 2 Août, qui permit de
poursuivre plus rapidement et d'atteindre plus efficacement les publications
pornographiques. Le
lendemain la Chambre abordait la proposition de M. de Janzé sur les agents
commissionnés des chemins de fer auxquels certaines garanties étaient
accordées. Le même jour elle votait la loi sur les enterrements civils,
assimilés aux enterrements religieux, complétée par un texte précis que
proposa le ministre de l'Intérieur et qui assurait, en tout état de cause, le
respect des dernières volontés du défunt. Le 29
Juin, la Chambre fit encore une manifestation platonique, en prenant en
considération une proposition qui tendait à retirer à l'église du Sacré-Cœur
le caractère d'utilité publique. M. Goblet fit inutilement remarquer à
l'Assemblée que s'il fallait indemniser les souscripteurs du monument de
Montmartre de toutes les sommes qu'ils y avaient dépensées, outre que l'on
ferait une brèche sérieuse au budget, on fournirait aces souscripteurs des
ressources pour des œuvres plus dangereuses que Ia basilique du « Vœu
national ». Au mois
de Juillet, en dehors de la politique extérieure qui occupa, nous le verrons,
un si grand nombre de séances, du 2 Mai au 29 Juillet, la Chambre se prononça
sur les indemnités à accorder aux victimes de Saïda, sur l'organisation du
protectorat en Tunisie et sur la mairie centrale de Paris cette dernière
question, soulevée par un député colonial, donna le spectacle, devenu banal,
d'une dislocation ministérielle et d'un replâtrage. Enfin, la discussion
générale du budget de 1883 s'ouvrit le 21 Juillet, huit jours avant la chute
du Ministère. L'insurrection
de Bou-Amema dans le Sud Oranais et le massacre des alfatiers espagnols à
Saïda avaient provoqué une demande d'indemnité de la part du Cabinet de
Madrid. Le Ministère du 14 Novembre avait lié les deux affaires d'indemnité
aux Espagnols victimes de Saïda et aux Français victimes des événements
carlistes et des événements cubains. M. de Freycinet prit l'initiative d'une
demande de crédit pour les Espagnols sans que l'Espagne eût rien promis la
Commission du budget ajourna sa réponse, jusqu'à ce que le Cabinet de Madrid
eût présenté, de son côté, une demande de crédit aux Cortès espagnoles. Quand
M. Battue interpella le 4 Juillet M. de Freycinet sur cette affaire, le
ministre répondit que sa demande de crédit d'un million s'appliquant
également aux alfatiers espagnols et français, la Chambre en la repoussant
porterait préjudice à nos nationaux que, du reste, on ne paierait les
Espagnols que lorsque le Cabinet de Madrid aurait satisfait aux réclamations
des Français. Dans ces conditions, la Chambre vota le crédit le 28 Juillet. Autant
M. de Freycinet s'était montré faible, et, il faut le dire, peu soucieux de
la dignité de la France dans cette négociation, autant il se montra timide
dans ses propositions pour r l'organisation du Protectorat tunisien. La
création des compagnies mixtes, d'un tribunal civil, d'une justice de paix,
d'une école primaire supérieure professionnelle eussent é)~' possibles, même
si le traité du Bardo n'eût pas existé. M. de Freycinet ne s'occupait ni de
la réforme financière, ni des capitulations qui étaient les seules questions
urgentes. La Commission de la Chambre, son rapporteur M. Antonin Dubost et la
Chambre elle-même, par l'organe de MM. Delafosse et Pelletan, le rappelèrent
rudement au ministre, tout en sanctionnant ses insuffisantes propositions. L'attitude
de M. de Freycinet, dans cette circonstance, était d'autant plus étrange
qu'un traité secret, signé avec Mohammed-es-Sadock, lui permettait de montrer
plus de hardiesse et de décision. La
question de la mairie centrale de Paris fut soulevée inopinément le 19
Juillet par M. Blancsubé. Ce député colonial rappela malicieusement à M. de
Freycinet que le 4 Mars précédent il avait promis à Paris un projet
d'organisation municipale, et il demanda où en était ce projet. Le ministre de
l'Intérieur, M. Goblet, fit une réponse très embarrassée qui ne pouvait
satisfaire personne et l'ordre du jour pur et simple, dont se contentait le
Gouvernement, fut rejeté par 241 voix contre 16t. Après ce vote, la défaite
du Gouvernement fut accentuée par l'adoption, à 256 voix contre 153, d'un
ordre du jour Devès et Casimir-Périer par lequel la Chambre se déclarait «
opposée à la création d'une mairie centrale à Paris ». Le Cabinet remit
sa démission au Président de la République. En
considération de la situation extérieure M. Grévy refusa de recevoir cette
démission et, le lendemain, se jouait une comédie qui ne trompait plus
personne M. Carnot demanda au Gouvernement s'il se sentait réellement
affaibli par le vote de la veille. Au nom du Gouvernement, M. Jules Ferry
répondit simplement que la démission n'avait pas encore été acceptée. Après
un échange d'explications ou de récriminations entre MM. Labuze, Jules Roche,
Devès, Tirard et Clémenceau l'ordre du jour pur et simple fut repoussé par
289 contre d87 et un ordre du jour de confiance, déposé par M. Gâtineau, le
sauveteur habituel du Cabinet, adopté par 269 voix contre 101, permit un
nouveau replâtrage. Ce fut le dernier MM. de Freycinet et Goblet sortirent
irrémédiablement affaiblis de ce débat. M. Floquet lui-même, partisan des
franchises municipales de Paris, se trouvant atteint, crut devoir donner sa
démission de préfet de la Seine, le 21 Juillet il la reprit le 24, sur
l'invitation formelle du Conseil municipal, qui se donnait en lui le maire
élu refusé par le Parlement. C'est
au milieu de ce gâchis parlementaire et gouvernemental que s'engageait le 2't
Juillet la discussion générale du budget de 1883. Au « budget démocratique D
de M. Allain-Targé, M. Léon Say avait eu la prétention d'opposer un budget de
vérité. » Ne voulant ni conversion, ni émission, ni rachat, il assurait sans
émission le paiement des travaux publics commencés, diminuait pour l'avenir
la part de l'État dans les travaux projetés du plan Freycinet et modifiait
les règles d'après lesquelles sont assis les budgets. L'évaluation des
recettes, au lieu de se faire sur l'avant-dernier exercice, se ferait sur le
dernier, en augmentant les chiffres d'une plus-value calculée sur la moyenne
de la plus-value des cinq dernières années. En somme M. Léon Say jetait un
cri d'alarme, il essayait d'arrêter la politique des folles dépenses et des
dégrèvements prématurés. Il rencontra des partisans décidés comme le
rapporteur général M. Ribot, et des adversaires non moins résolus comme M.
Wilson, président de la Commission du budget, comme M. Allain-Targé et
beaucoup d'autres républicains qui lui reprochaient d'établir à dessein un budget
de déficit, pour empêcher les réformes démocratiques auxquelles il était
hostile. Un amendement de M. Allain-Targé sur l'évaluation des recettes fut
rejeté par 322 voix contre 121 mais les événements qui suivirent enlevèrent
au budget de 1883 son principal défenseur, M. Léon Say, qui fut englobé dans
la chute du Cabinet de Freycinet. Il nous
reste, avant d'arriver i la politique extérieure du Cabinet de Freycinet, à
raconter l'histoire d'un ministère que nous avons à dessein laissé dans
l'ombre depuis le commencement de ce chapitre, l'histoire du ministère de
l'Instruction Publique. Replacé
à la tête de l'Instruction Publique et des Beaux-arts qu'il avait quittés
moins de trois mois auparavant, entouré des mêmes directeurs qu'il avait
choisis en 1879, M. Jules Ferry reprit hardiment et prudemment la tâche qu'il
avait commencée au lendemain de l'élection de M. Grévy. Dans la politique
générale du Cabinet du 30 Janvier, sa part de responsabilité et de fautes est
égale à celle de ses collègues dans l'administration spéciale de sou
département, où pas une faute ne fut commise, le mérite revient à lui seul.
Trois grands actes marquèrent cette administration la loi sur l'obligation de
l'enseignement primaire, la discussion devant la Chambre de la loi sur
l'enseignement secondaire privé et la réforme de l'enseignement secondaire
spécial. Nous les étudierons avec quelques détails, ne trouvant guère que
dans ces actes matière à éloges sous le second Ministère de Freycinet. La loi
sur l'obligation et la laïcité de l'enseignement primaire avait é~é présentée
par M. Jutes Ferry, sous le premier Ministère de Freycinet, le 20 Janvier
1880. Le principe de l'obligation, au moment de la présentation du projet de
loi, n'était plus guère contesté par personne, puisque M. Guizot lui-même,
l'illustre auteur de la loi de 183K, écrivait en 1872 : « La France
et son Gouvernement ont raison d'accueillir ce principe, en y attachant des
garanties efficaces pour le maintien de l'autorité paternelle et la liberté
des consciences et des familles. » Or, le projet de M. Ferry n'exigeant
que « les parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes, » comme
disait la loi de 1791, voûtait arracher à l'ignorance les illettrés qui
atteignaient encore la proportion de 10 p. 100, sans porter atteinte ni à la
liberté de conscience, ni à l'autorité paternelle, ni aux choix des familles
celles-ci restaient maîtresses de procurer à leurs enfants ce minimum
indispensable de connaissances par tous les moyens a leur convenance. C'est
la Commission de la Chambre des députés et son rapporteur, M. Faut Bert, qui
étendirent la loi sur l'obligation, en y introduisant le principe de la
laïcité, avec le plein assentiment du ministre et du Gouvernement. La loi nouvelle
faisait cesser la subordination de l'École à l'Église catholique, établie par
la loi du 18 mars 1850, par la circulaire du 8 mars 1855, œuvre de M.
Fortoul, et par les règlements départementaux astreignant les instituteurs
publics aux exercices religieux. Sur 'J369 communes, qui possédaient un
temple protestant, 348 seulement avaient une École protestante dans toutes
les autres les enfants des protestants recevaient un enseignement religieux
catholique. La liberté de conscience se trouvait établie par la séparation de
l'École et de l’Église, l'instituteur étant dispensé de donner l'enseignement
religieux, lequel était assuré, en dehors de l'Ecole, par le prêtre, le
pasteur ou le rabbin. La
Droite, par l'organe de MM. de la Bassetière, Villiers, Freppel et Ferdinand
Boyer, objectait que l'Ecole sans Dieu serait l'École contre Dieu. Avant de
livrer les dernières batailles pour le succès de la loi, au mois de Mars
1882, M. Ferry répondit, vingt fois à cette objection[2] et à celles que l'on faisait au
principe de l'obligation. Dans la séance de la Chambre du 20 Décembre 1880 il
s'était contenté de défendre l'obligation avec une rare vigueur de
raisonnement. Elle aura pour premier résultat d'entamer le chiffre énorme de
624.743 enfants qui ne reçoivent aucune espèce d'instruction elle réussira,
ce qui n'est pas moins important, u assurer la fréquentation scolaire elle se
transformera de contrainte légale en contrainte morale. Trois jours après,
dans la seconde délibération, M. Jules Ferry s'expliqua sur l'article 1er qui
excluait l'enseignement religieux des matières obligatoires pour les Écoles
publiques, mais le maintenait parmi les matières facultatives pour les Écoles
privées. La sécularisation de l'Ecole est la conséquence de la sécularisation
du pouvoir civil et de toutes les institutions sociales c'est la formule
vivante de 1789. Le ministre, dans les séances suivantes, montra beaucoup
plus de libéralisme et de tolérance que la majorité de la Commission et que
son rapporteur it admettait l'Introduction des ministres des cultes dans
l'Ecole publique, les dimanches et les jours de vacances, pour y donner
l'instruction religieuse, quand ces Écoles se trouvaient placées à plus de
deux kilomètres des édifices religieux. La loi,
portée au Sénat le 21 Janvier1881, ne fut rapportée que le 11 Mai suivant,
par M. Ribière et la discussion ne s'ouvrit que le 3 Juin. Dès le début la
Droite du Sénat, comme la Droite de la Chambre, voulut faire figurer
l'instruction morale et religieuse parmi les matières obligatoires de
l'enseignement et M. J. Ferry combattit longuement l'amendement que le duc de
Broglie et M. de Ravignan avaient déposé dans ce but. Il démontra que
l'instituteur pouvait être un professeur de morale, tout aussi bien que le
ministre du culte chargé de donner l'enseignement religieux et aussi un
professeur d'enseignement civique, sans intervenir dans les querelles de
partis ; que cet instituteur cessait tout simplement de devenir le répétiteur
contraint et forcé du catéchisme et de l'histoire sainte. Après le magistral
et très habile discours du Président du Conseil, l'amendement de Broglie fut
rejeté par 140 voix contre 122. Sur l'article 2 M. Lucien Brun et la Droite
demandèrent que les ministres du culte pussent donner l'enseignement
religieux dans les locaux scolaires, tous les jours, mais en dehors des
heures de classe. M. Jules Ferry n'accordait que le Dimanche et le Jeudi,
mais le Sénat vota l'amendement Lucien Brun par 139 voix contre 134. La
Droite l'emporta encore sur un détail de l'article 6 obligeant les enfants
qui reçoivent l'enseignement dans la famille à subir un examen chaque année
et les inscrivant d'office dans une École publique si les deux premiers
examens subis sont insuffisants. M. Paris remplaçait cette procédure par une
citation devant le juge de paix qui avait pouvoir d'appliquer des peines de
simple police et le Sénat lui donna raison par 142 voix contre 132. Par ce
vote il offrait un dernier refuge aux réfractaires de l'enseignement
primaire, » la peine de simple police ne devant pas empêcher les paysans
d'employer leurs enfants aux travaux des champs, au lieu de les envoyer à
l'École. La
seconde délibération s'ouvrit au Sénat le 1er Juillet et dura jusqu'au 12 les
mêmes luttes recommencèrent et M. Jules Simon réussit à faire prendre en
considération un amendement ainsi conçu « Les maîtres enseigneront à
leurs élèves leurs devoirs envers Dieu et envers la Patrie. » Le
remarquable discours que M. Jules Ferry prononça dans la séance du 4 Juillet
plein de verve, d'esprit et de haute tolérance fut très applaudi, mais
inefficace. La majorité, qui tenait absolument à « voter Dieu »,
adopta l'amendement par 139 voix contre 126. Sur l'article 16 M. Le Royer fit
substituer un examen, subi à l'âge de dix ans révolus, au certificat donné
aux enfants élevés dans la famille et la loi revint devant la Chambre le 19
Juillet, dix jours avant la séparation de l'Assemblée de 1877. Il était donc
nécessaire que la Chambre acceptât, les yeux fermés, les graves modifications
introduites dans son texte pour que la loi fut exécutoire avant les élections
générales. M. Paul Bert présenta son rapport le 23 Juillet : il concluait au
rejet pur et simple des modifications introduites dans les articles 1, 2 et
16 et la loi fut ajournée, à la grande satisfaction de la Droite. Devant les
comices, la Droite n'osa pas affirmer ses revendications en matière
d'enseignement et l'Assemblée nouvelle, renforcée de 63 républicains, se
prépara à faire entrer dans la pratique une loi qui répondait manifestement
aux désirs de l'immense majorité des électeurs elle ne put y parvenir
qu'après les élections sénatoriales du 8 Janvier et avec le concours de M.
Jules Ferry. C'est
devant le Sénat renouvelé que revint, au commencement de Mars 1882, la
discussion de la loi sur l'enseignement primaire ; elle ne pouvait plus
porter que sur des objections cent fois répétées. M. Jules Ferry y intervint
pourtant et fit, le 11 Mars, un bref discours en réponse à M. Corbon qui
avait critiqué les méthodes d'enseignement des Écoles congréganistes, aussi
bien que celles des Écoles publiques, et une longue réponse à M. Jules Simon
qui avait reproduit son amendement sur « Dieu et la patrie ».
L'adoption de cet amendement, dit le ministre, équivaudrait au rejet de la
loi et à l'ajournement de toutes les réformes scolaires il en demandait le
rejet, en se plaçant sur le terrain politique, et il l'obtint à la majorité
de 167 voix contre 123. Sur l'article 2, pour combattre l'amendement de MM.
Waddington et de Saint-Vallier, autorisant les ministres des cultes à donner
l'enseignement religieux dans les Écoles, le Dimanche, les jours de vacances
et une fois par semaine après la classe du soir, M. Ferry prit de même
position en homme politique et montra que l'obstruction de la Droite
sénatoriale, en irritant la Chambre, l'avait fait revenir même sur les
concessions du ministre. L'article 2 fut adopté, après rejet de l'amendement,
par 186 voix contre 128. Dès lors la Droite vaincue ne chercha plus qu'à
retarder le vote final par une véritable obstruction. Le 16, le 18, le 21
Mars le ministre protesta contre ce procédé ; le 22, il fit rejeter par 175
voix contre 102 un amendement de M. Delsol. La loi fut définitivement adoptée
par le Sénat le 23 Mars, signée par le Président de la République le 28, et,
le 29, promulguée au Journal officiel. « C'est
l'acte le plus grand, a dit M. Mundella, dans un discours aux instituteurs
anglais, j'allais dire la loi la plus prodigue, qu'il y ait jamais eu
dans l'histoire de l'éducation dans le monde entier. » C'est en même temps
l'acte le plus important et le plus honorable du Ministère du 30 Janvier 1882
et l'on peut se demander si M. Paul Bert, restant ministre de l'Instruction
Publique, aurait pu arracher un vote d'approbation aux préventions de la
Droite sénatoriale. C'est aussi le coup le plus fort qui ait été porté à la
toi du 15 Mars 1850 et s'il avait dépendu de M. Jules Ferry, la situation
privilégiée faite à l'enseignement congréganiste dans les Écoles secondaires,
par la même loi, aurait également fait place à un régime de liberté réglée
pour l'enseignement privé comme pour l'enseignement publie. La réforme de
renseignement secondaire privé, abordée de biais par l'article 7 de bruyante
mémoire, figurait, en effet, dans le programme du ministre. Pour
élever le niveau de l'enseignement secondaire privé, M. Jules Ferry voulait
exiger des maîtres de cet enseignement des diplômes universitaires et un
certificat d'aptitude pédagogique délivré par un jury spécial. En France, en
matière d'enseignement, la théorie de la liberté absolue est une chimère
l'État a le droit d'exercer un contrôle et d'exiger des garanties de moralité
et de capacité. Il les exige dans l'enseignement supérieur et dans
l'enseignement primaire. Pourquoi ne les exigerait-il pas aussi dans
l'enseignement secondaire ? Cet enseignement, où se forment les futures
classes dirigeantes de la France, serait-il moins important que les deux
autres ? Pourquoi les tenants de l'enseignement secondaire privé, surtout de
l'enseignement congréganiste, montrent-ils une si farouche susceptibilité,
dès que l'État veut réglementer en cette matière ? Dans la
séance de la Chambre des députés du 23 Mai 1882, M. Jules Ferry eut en face
de lui deux sortes de contradicteurs il dut répondre à la fois à des attaques
véhémentes formulées par M. de Mun de l'Extrême Droite et par M. de Lanessan
de l'Extrême Gauche. On accuse L'Université, disait le ministre, de vouloir
supprimer l'enseignement secondaire libre, laïque ou ecclésiastique : que
fera-t -elle de ses 73.000 élèves ? elle n'a ni les maîtres nécessaires
pour les instruire, ni les locaux suffisants pour tes recevoir. Aussi n'a-t-elle
pas la prétention de dépeupler tes établissements rivaux. En exigeant des
grades, elle sait bien qu'elle se prépare des concurrents ; elle leur permet
de faire des expériences que l'État enseignant ne saurait tenter. Quant aux
droits acquis, le ministre se montre une fois encore plus libéral que la
Commission ; il propose d'étendre les délais d'exécution de la loi, d'élargir
la période transitoire, mais il est l'adversaire inflexible du privilège
établi par la loi du 13 Mars 1850 en faveur d'une certaine classe de
citoyens. La
faculté donnée par cette loi d'ouvrir un établissement libre avec un seul
bachelier a multiplié les entreprises de baccalauréat le Gouvernement veut
chasser les marchands du temple. Pour y réussir, il exige de tous les
professeurs d'établissements libres le diplôme de bachelier. De plus il exige
du chef de l'établissement., de celui qui a sans doute la prétention d'être
un éducateur, une preuve d'aptitude pédagogique, et il le soumet à un examen
assez rudimentaire comprenant une composition française, une correction de
devoir et une leçon orale faites devant un jury d'Etat. Le jury se composera
de' fonctionnaires appartenant à l'enseignement supérieur, de représentants
de l'enseignement libre et de membres élus par le Conseil général. Nombre
de petits séminaires étaient devenus de véritables établissements
d'enseignement secondaire, échappant à tout contrôle de l'Etat, même à la
vague surveillance établie par l'article 70 de la loi de 1850 et à toutes
conditions de grade ou de stage. Aussi l'article 10 de la loi sur
l'enseignement secondaire privé appliquait-il les mêmes dispositions aux
établissements d'enseignement secondaire et aux Écoles secondaires
ecclésiastiques. Combattu par Mgr Freppel, l'article fut défendu par le
ministre de l'Instruction Publique. M. Jules Ferry montra très bien que
depuis la loi du to Mars 1850 le petit séminaire n'était plus du tout ce
qu'il était à l'origine, une École préparatoire au grand séminaire il était
devenu une École préparatoire de bacheliers. pour la société civile. Aussi le
ministre mettait-il l’évêque en demeure d'opter entre ces deux conditions ou
la situation d'Ecole préparant au clergé et à ce titre ne relevant que de
l'autorité diocésaine ou la situation de Collège libre et à ce titre soumis
aux mêmes règles que les établissements similaires. C'est aux évoques de
choisir entre un régime nouveau et le retour aux règles anciennes qui
imposaient la limitation du nombre des élèves dans les petits séminaires,
l'interdiction de l'externat et l'obligation de l'habit sacerdotal à quatorze
ans. Ni l'évêque d'Angers ni ses collègues ne firent l'option ; ils
préféraient cumuler un privilège avec la liberté. L'article 10 fut adopté par
364 voix contre 87 et fa Chambre décida, par 343 voix contre H8, de passer à
une seconde délibération. Un mois
plus tard, en seconde délibération, M. Maze proposa d'interdire
l'enseignement aux membres des congrégations non autorisées la proposition
fut repoussée, sur l'observation faite par M. Compayré, l'habile rapporteur
de la loi, que son adoption ferait croire que les décrets du 29 Mars étaient
restés sans effet. Plus radical que M. Maze, M. Madier de Montjau voulait
interdire l'enseignement à tous les membres du clergé, réguliers ou
séculiers. Le ministre combattit vigoureusement cette prétention et resta
fidèle aux doctrines qu'il avait toujours soutenues il faut lui en savoir
gré, les membres du Cabinet du 30 Janvier et surtout leur chef étant trop
portés à faire des concessions à l'Extrême Gauche dont l'appoint était
nécessaire à leur majorité. Notre politique est anti-cléricale, dit M. Jules
Ferry, elle ne sera jamais anti-religieuse. Si l'on ferme l'école au prêtre,
on sera conduit à lui fermer l'église et le confessionnal. D'ailleurs, ce ne
sont pas les prêtres fonctionnaires, curés ou vicaires, qui enseignent ce
sont des prêtres libres ou des laïques catholiques, et en bonne logique il
faudra interdire ceux-ci après ceux-là. « Je repousse cette politique,
dit M. Ferry, de toutes les forces de ma conscience républicaine, de toutes
les forces de mon âme libérale, de toute ma foi dans la vérité, dans la
raison et dans la justice. » La Chambre fit comme le ministre ; elle ne donna
que 109 voix a l'amendement. Un peu
améliorée en certaines de ses dispositions, la loi fut portée au Sénat qui « l'enterra
dans ses archives » : elle ne fut jamais votée. Il est regrettable
que pas un des Grands-Maitres qui se sont succédé depuis seize ans rue de
Grenelle, n'ait proposé au Parlement de revenir sur les dispositions de la
loi de 1850 qui concernent l'enseignement secondaire libre. Plus d'un
ministre de l'Instruction Publique aurait eu assez d'autorité sur l'une et
sur l'autre Chambre pour leur faire admettre des modifications qui n'auraient
certainement pas été contestées aussi vivement que l'ont été celles des lois
de 1880 et de 1882 sur l'enseignement supérieur et sur l'enseignement
primaire. De quoi
s'agit-il, en effet ? En premier lieu, de faire des petits séminaires qui
dépendent absolument de l'évoque diocésain des établissements à part, de les
distinguer nettement des autres institutions ecclésiastiques qui seraient
assimilées aux Écoles libres laïques. Ces petits séminaires ne devraient
recevoir que des internes se destinant au sacerdoce on ne devrait pouvoir y
établir ni classes primaires ou préparatoires, ni cours d'enseignement
moderne ; le seul enseignement à y donner est l'enseignement secondaire
classique, puisque c'est le seul dont aient besoin les aspirants au
sacerdoce. La surveillance de ces établissements devrait être rendue aux
inspecteurs d'académie qui seuls ont qualité et compétence pour l'exercer. Tous
les autres établissements secondaires libres, laïques ou ecclésiastiques,
seraient soumis aux mêmes prescriptions légales, à un régime analogue a celui
que la loi du 30 octobre 1886 a donné aux Écoles primaires privées. Des
mesures seraient prises pour qu'on ne rencontre plus, à côté d'un homme de
paille, ayant le titre et le stage exigés, un directeur effectif, non
diplômé, qui exerce l'autorité réelle. Les directeurs des institutions
privées, entièrement libres dans le choix des méthodes, des programmes et des
livres, seraient astreints à faire la déclaration légale, à produire leur
acte de naissance, leurs diplômes, un extrait de leur casier judiciaire,
l'indication des lieux où ils ont résidé et les professions qu'ils y ont
exercées pendant les dix années précédentes, le plan des locaux affectés à
l'établissement et, s'ils appartiennent a une association, une copie des
statuts de cette association. Ces formalités sont remplies par ceux qui
veulent ouvrir une École primaire privée, pourquoi ceux qui veulent ouvrir
une institution secondaire en seraient-ils dispensés ? De même aussi que dans
l'enseignement primaire privé, les professeurs et maîtres devraient justifier
des titres de capacité en rapport avec les emplois qu'ils occuperaient. L'exigence
des titres de capacité entraînerait l'abrogation de l'article 60, des
articles 62 et 63 de la loi du 18 Mars -1850, de l'article 6 de la loi du 21
juin 1865 qui permettent à ceux qui, sans être bacheliers, désirent diriger
un établissement secondaire libre, de solliciter un brevet de capacité
délivré par un jury spécial. Serait abrogé aussi le privilège accordé aux
ministres des différents cultes par le paragraphe 3, article 66, de la loi du
15 mars 1850 de donner l'instruction secondaire à quatre jeunes gens au plus
destinés aux carrières ecclésiastiques. Cette disposition autorise les plus
graves abus, parce qu'il est impossible de surveiller ces Ecoles clandestines
et de s'assurer que les enfants qui les fréquentent se destinent au
sacerdoce. Tant
que l'on n'aura pas apporté ces modifications à la loi du 18 Mars )850, on
n'aura pas « coupé dans la racine les germes du divorce intellectuel et
moral entre les masses populaires et les classes dirigeantes ; qui
menacerait, en se développant, de miner par la base l'établissement
républicain. » M.
Jules Ferry compléta l’œuvre de ses six mois de ministère par une réforme de
l'enseignement secondaire spécial, qui compléta, en la modifiant sur des
points importants, la réforme que Victor Duruy avait entreprise en 1865.
Comme ils. Duruy, M. J. Ferry estimait qu'une portion notable de la
population scolaire, qui n'a pas le loisir de suivre jusqu'au bout les études
classiques, qui n'aspire pas aux professions libérales, peut trouver dans un
enseignement spécial des leçons qui lui permettront plus tard de rendre
d'utiles services dans les carrières industrielles, commerciales et
agricoles. Cette population plus pressée trouvera au sortir des classes
primaires une année préparatoire, puis deux séries d'études superposées, un
cours moyen de trois ans, un cours supérieur de deux ans qui la conduiront à
un baccalauréat de l'enseignement spécial. Sans doute, dans le cours moyen et
dans le cours supérieur, on devait munir les élèves de notions pratiques et
immédiatement utilisables, mais on devait aussi leur donner un peu de cette
culture « désintéressée et supérieure qui est le but et l'honneur de
l'enseignement secondaire » en un mot, pour mieux distinguer l'enseignement
spécial de l'enseignement primaire supérieur, on le calquait trop sur
l'enseignement secondaire classique. Le Conseil supérieur avait exprimé le
vœu que l'enseignement spécial eût son personnel et ses établissements
distincts ce vœu ne s'est jamais réalisé. Cette
réforme très intéressante avait un grave défaut l'enseignement spécial, en
réalité, ne différait de l'enseignement classique qu'en un point on n'y
faisait ni grec ni latin. Mais la méthode était la même, la direction était
la même, l'examen final était le même. Pourquoi deux enseignements si
exactement semblables, s'ils ne s'adressent pas à la même population
d'élèves, si la clientèle du spécial n'est pas la clientèle du classique ? La
réforme de 1882 était certainement un progrès sur la réforme de 1865 mais on
avait perdu une fois de plus l'occasion de se prononcer sur des questions
primordiales et qui n'ont pas encore reçu de solution. L'enseignement
secondaire doit-il être un ou double ? La séparation entre les deux
clientèles doit-elle se faire au commencement des études secondaires ou être
retardée de deux ou trois ans et doit-elle se faire suivant les aptitudes et
non plus suivant les caprices individuels ? Toute
la politique extérieure du Cabinet du 30 Janvier se résume dans les
négociations relatives à la question d'Égypte ; ces négociations furent
ininterrompues du M Janvier au 29 Juillet et le ministre des Affaires
Étrangères eut maintes fois l'occasion de faire connaître son sentiment sur
l'Égypte et sur le rôle de la France dans la vallée du Nil. II fut, en effet,
interrogé ou interpellé par MM. Delafosse et Francis Charmes le 23 Février,
par M. Villeneuve le 11 Mai, par M. Delafosse pour la seconde fois le 1er'
Juin, par M. Casimir-Périer le 22 Juin, par M. Lockroy le 26 Juin, par le
même député le 6 Juillet. De plus, la Chambre eut à se prononcer les 18, 23
et 29 Juillet sur des demandes de crédits pour les affaires d'Egypte, et le
Sénat le 25 Juillet. Il était donc facile à M. de Freycinet, s'il avait eu
une politique égyptienne, de l'exposer dès le premier jour et de la suivre,
en lui faisant subir les modifications imposées par les événements, politique
de l'alliance à deux, ou de l'alliance à six, politique d'intervention ou de
non-intervention, politique favorable au parti national égyptien ou au
khédive. Malheureusement, du récit des événements et des réponses faites par
le ministre aux dates indiquées, ressortira la preuve manifeste que M. de Freycinet
n'eut pas de politique égyptienne, qu'il vécut au jour le jour, à l'extérieur
comme à l'intérieur, préparant par ses hésitations, par ses incertitudes, par
ses HO~M<es, comme disait Gambetta, la fin du condominium et presque la
ruine de notre influence en Égypte. C'est surtout dans la direction des
Affaires Étrangères que le Cabinet du 30 Janvier se distingua du Cabinet du
14 Novembre et c'est en Egypte que M. de Freycinet commit la faute
irréparable qu'aucun patriote ne saurait lui pardonner. Chérif-Pacha,
successeur de Riaz Pacha, n'avait pas tardé à reconnaître l'impossibilité de
concilier les prétentions parlementaires des notables, soutenus par le parti
militaire et par Arabi Bey, avec les exigences du contrôle européen. Les
notables réclament le vote du budget égyptien Chérif le leur refuse, mais
l'intervention menaçante d'Arabi l'oblige à donner sa démission. Il est
remplacé comme premier ministre par Mahmoud-Baroudi-Pacha et Arabi devient
lui-même ministre de la Guerre (2 Février). Mahmoud-Baroudi essaya de
donner à la Chambre le vote du budget, sans toucher aux conventions internationales
relatives au contrôle. M. de Blignières, 1e contrôleur français, jugeant que
cette révolution intérieure modifiait les conditions où devaient s'exercer
ses fonctions, donna sa démission le 6 Février et fut remplacé par M. Brédif.
Le contrôleur anglais fut maintenu et M. Gladstone déclara aux Communes que
le Gouvernement de la Reine ne pouvait que voir avec sympathie
l'établissement d'institutions libres en Égypte. De son côté la Porte
regardait avec condescendance les progrès du mouvement national. C'est
dans ces conditions que M. de Freycinet fut interpellé par M. Delafosse le 23
Février. M. Delafosse lui demanda quelle serait son attitude en face de la
Porte et en face de la révolution parlementaire égyptienne. Il répondit que
le Cabinet de Mahmoud-Baroudi ne présentait évidemment pas autant de
garanties de solidité et de régularité qu'un Cabinet français aussi
songeait-il, d'accord avec l'Angleterre, à avoir un échange de vues avec
l'Europe, au sujet de l'Égypte à pressentir les puissances au sujet d'une
solution qui d'ailleurs n'était pas immédiatement nécessaire. M. de Freycinet
ajouta qu'il avait donné à notre agent en Égypte l'ordre d'observer très
attentivement les faits et de défendre la situation prépondérante de la
France et de l'Angleterre, maintenue et reconnue par l'Europe. Quant au
mouvement égyptien, « par quelques côtés, il paraît être national. » Ainsi,
accord avec l'Angleterre, prépondérance anglo-française en Egypte, sans
exclure l'Europe, cette politique ressemblait fort à celle de Gambetta elle
n'en différait que par les avances encore timides faites au parti national
que Gambetta n'avait jamais pris au sérieux. M.
Francis Charmes monte à la tribune, après le ministre des Affaires
Étrangères, pour lui demander, non pas ce qu'il fera, mais ce qu'il ne fera
pas. Ce qu'il ne devait faire à aucun prix, d'après M. Charmes, c'était
d'encourager une intervention armée de la Turquie en Égypte, même avec une
escorte franco-anglaise. Une intervention turque en Egypte surexciterait le
fanatisme musulman et enflammerait tous les éléments d'incendie, répandus en
si grand nombre sur notre territoire, de la Tripolitaine au Maroc. Le
ministre ne répliqua pas et le débat prit tin sans ordre du jour. Arabi
ne fit plus parler de lui pendant plusieurs semaines ; mais le 'JO avril on
apprit qu'il avait découvert un prétendu complot, formé contre lui par les
officiers circassiens, jaloux des officiers indigènes auxquels Arabi
réservait grades et avancement. Le complot éventé, Arabi convoque une Cour
martiale qui s'entoure du plus grand secret et, au bout d'un mois, inflige
des peines sévères aux personnes arrêtées le 10 Avril, a. celles qui sont
restées libres et que l'on accuse de complicité et même à des Égyptiens
habitant l'étranger. La sentence est tellement inique que le Khédive refuse
de la ratifier et consulte la Porte sur la décision qu'il doit prendre. Avant
l'arrivée de la réponse attendue de Constantinople, les consuls de France et
d'Angleterre obtiennent du Khédive une commutation de peine. Les ministres et
Arabi essayent de faire revenir le Khédive sur sa décision, en appellent à
l'Assemblée des notables qu'ils convoquent proprio motu et annoncent
ouvertement leur intention de déposer Tewfik. M.
Villeneuve interroge, le 11 mai, M. de Freycinet sur cette situation la
réponse du ministre est d'un vague inquiétant. Il affirme que la France
conservera sa situation prépondérante, qu'elle agira d'accord avec
l'Angleterre et d'accord avec l'Europe mais il ne dit rien d'une intervention
française qui, dès lors, peut paraître nécessaire il ne dit rien surtout
d'une possibilité d'intervention turque. D'après le passé, d'après l'attitude
de M. de Freycinet en 1880, dans le conflit gréco-turc, on pouvait, on devait
croire qu'il était plus opposé que personne à cette intervention de la Porte
en Égypte. La
Porte jouait alors un jeu double avec l'Egypte l'ambassadeur d'Allemagne à
Constantinople lui ayant conseillé de ne rien tenter au Caire, sans s'être
entendue avec l'Angleterre et la France, elle laissa Arabi se proclamer le
défenseur du Sultan contre les étrangers.et en même temps elle encouragea le
Khédive à se défaire d'un Ministère rebelle. Le Khédive docile refusa de
recevoir les notables et rompit avec ses ministres. L'escadre anglo-française
avait l'ordre de se rendre à Alexandrie, quand Arabi et le Khédive, hésitants
et lâches, chacun de son côté, se réconcilièrent le 14 Mai, sur l’initiative
du consul général de France. En notifiant l'envoi de leur escadre, les deux
puissances avaient invité la Turquie à s'abstenir de toute démonstration
analogue. Dès le lendemain, la Turquie répondait en revendiquant non pas
seulement la suzeraineté, mais la souveraineté de l'Egypte, « partie
intégrante de l'Empire ottoman, et en notifiant aux ministres du Khédive
qu'elle considérait leurs actes comme inconstitutionnels. Arabi, comme s'il
avait été averti en secret que ces menaces n'étaient ni sincères ni
sérieuses, résistait aux consuls généraux qui l'engageaient à démissionner et
poussait activement les préparatifs de résistance à une intervention
étrangère. On voit
quelle faute les Anglo-Français avaient commise en engageant le Khédive à
céder il avait perdu toute autorité, Arabi était devenu plus arrogant que
jamais et l'on s'habituait peu à peu, en Egypte et en Europe, à la
perspective d'une intervention de la Porte. Une démarche maladroite de M.
Sienkiewicz et de Sir E.-B. Malet précipite les événements. Le 25 Mai,
appuyés par l'escadre combinée, ils demandent l'exil d'Arabi. L'agitateur
proteste contre l'immixtion des étrangers dans les affaires égyptiennes,
donne sa démission et fait appel à la Porte. Sa démission n'était qu'une
feinte le Khédive, menacé de déposition, cède au parti révolutionnaire (le 27), Arabi rentre triomphant au
ministère (le 28)
et Sir E.-B. Malet conseille au Khédive de s'adresser à la Porte, au nom de
laquelle Arabi prétendait agir, et de lui demander l'envoi en Egypte d'un
commissaire turc. Cette
fois les consuls n'avaient pas obéi a leurs inspirations personnelles, comme
ils l'avaient fait le 14 Mai. Leurs Gouvernements étaient avertis et
consentants, puisque dès le lendemain, le 29 Mai, les ambassadeurs de France
et d'Angleterre à Constantinople requéraient le sultan d'intervenir au Caire
par voie de représentation ; puisque la France proposait la réunion d'une
Conférence européenne pour une échange de vue sur les affaires d'Egypte, le
31 Mai, et que, le même jour, les ambassadeurs des grandes puissances à
Constantinople appuyaient la démarche faite le 29 par les représentants de la
France et de l'Angleterre. C'est en face de cette situation, si complètement
modifiée dans l'espace de quinze jours et un peu troublante pour ceux qui ne
regardent pas de très près aux affaires extérieures, que se trouvait la
Chambre des députés le 1er Juin. Elle était appelée à dire son sentiment sur
la politique du Gouvernement, qu'interpellait pour la seconde fois M.
Delafosse. Les erreurs et les maladresses de M. de Freycinet étaient
manifestes il avait été trop peu soucieux des intérêts français en Égypte,
aux yeux des partisans d'une politique plus active, comme Gambetta et ses
amis : il s'était trop avancé, aux yeux des partisans de l'abstention quand
même, comme M. Clémenceau et les membres de la Gauche radicale ; il avait
tour à tour écarté et réclamé l'intervention turque et enfin il s'était
mépris sur la nature, l'influence et l'autorité du parti national et d'Arabi. M.
Delafosse, qui ne voyait de solution aux difficultés que dans l'intervention
turque, reprocha à M. de Freycinet de l'avoir longtemps combattue, au point
de la rendre inefficace le jour où elle deviendrait nécessaire or, ce jour
était venu. Le ministre répondit qu'il avait vainement essayé du concert anglo-français
et du concert européen et il ajouta que jamais il ne consentirait à une
expédition militaire française. Cette déclaration fait bondir M. Gambetta à
la tribune il reproche au ministre de sacrifier la dignité de la France. M.
de Freycinet réplique qu'il ne consentira pas à une action isolée de la
France, mais qu'il acceptera sa part « des charges, des responsabilités et
des décisions, si la Conférence les lui impose. M. Ribot demande si l'on acceptera
tout de la Conférence, même l'abrogation des firmans de 1873 et de 1879. M.
de Freycinet répond que l'indépendance de l'Egypte sera sauvegardée. M.
Clémenceau, qui est venu à la séance avec l'intention de voter pour le
Gouvernement, ne peut le faire après ce qu'il a entendu il demande l'ordre du
jour pur et simple qui est rejeté par 299 voix contre 169. Un ordre du jour
de confiance, proposé par M. Sadi-Carnot, réunit 282 voix contre 67 ; 187
députés s'abstiennent d'approuver cette politique d'abdication et de
défaillance. Le mois
de Juin est rempli par les fastidieuses négociations relatives à la
Conférence, par les vaines discussions de Constantinople, par le dramatique
événement du -H Juin à Alexandrie, par les questions de MM. Tenot,
Casimir-Périer et Lockroy, les 12, 22 et 25 Juin à Paris. Le Ier
Juin, Paris et Londres invitent les Cabinets des grandes puissances à réunir
leurs ambassadeurs en Conférence à Constantinople, pour régler la question
Égyptienne. Tous les Cabinets acceptent, moins la Turquie elle notifie le 3
Juin aux puissances l'envoi en Égypte de Dervich Pacha qui a mission de
rétablir l'ordre et de raffermir le Khédive. Dervich arrive le 7 à
Alexandrie, gagne le Caire et, le 11, 300 Européens sont massacrés à
Alexandrie, dont 4 Français. L'escadre anglo-française, qui se trouvait en
rade, ne fit rien pour empêcher le massacre. Interrogé à la Chambre et au
Sénat M. de Freycinet, tout en déplorant l'accident, le réduisit aux
proportions d'une rixe entre nationalités ennemies. Le lendemain, )2 Juin, M.
Mancini révélait a la Chambre italienne que les Quatre ne voyaient pas sans
une certaine jalousie la prépondérance des Deux en Egypte. A Londres
l'opposition conservatrice revendiqua fièrement pour l'Angleterre la faculté
d'agir seule, au mieux de ses intérêts. En Egypte Arabi envoya des troupes a,
Alexandrie ; Dervich et Tewfik s'y transportèrent avec les consuls généraux
et les contrôleurs, sans parvenir à rassurer les Européens qui se réfugièrent
à bord des navires en rade. La
Turquie refusant de prendre part à la Conférence, les puissances passèrent
outre. Quelles instructions le représentant de la France à Constantinople ;
le marquis de Noailles, avait-il reçues ? M. Casimir-Perier le demanda le 22
Juin à M. de Freycinet qui répondit évasivement. M. de Noailles poursuivrait,
d'accord avec les puissances, le s<s<M~MO<Mt<e, et la France se
séparerait du concert européen, si sa dignité l'exigeait. Le lendemain 23
Juin, la Conférence tenait sa première réunion, pendant que la France et
l'Angleterre autorisaient leurs consuls généraux a quitter le Caire, où
depuis le 17 Juin Dervich avait installé un nouveau Ministère, préside pas
Ragheb Pacha, avec Arabi a la Guerre. Le 28, lord Dufferin proposait à la
Conférence de confier le rétablissement de l'ordre en Égypte à un corps de
troupes ottomanes, encadrées de troupes anglaises et françaises si la Turquie
n'agissait pas, l'Angleterre aviserait. La Turquie inquiète se montra
disposée à entrer en relations avec la Conférence mais, fidèle à sa politique
dilatoire, elle s'abstint de donner une réponse immédiate. Dans
les ports de la Méditerranée on armait fébrilement et M. de Freycinet,
interrogé sur ces armements, le 26 Juin et le 6 Juillet, répondait à M.
Lockroy que la France devait se préparer à toutes les éventualités. Le 8
Juillet, il déposait à la Chambre une demande d'ouverture de crédits destinés
à couvrir ces armements. Quel était leur but ? Jamais M. de Freycinet ne. fut
aussi obscur dans les explications qu'il donna à la Chambre. Il ne s'agissait
que de prendre « une mesure de précaution, de prudence, de prévoyance ».
D'ailleurs, le Parlement serait toujours consulté. Le
dénouement approche passons rapidement sur les derniers incidents de cette
triste histoire. Le H Juillet, un mois jour pour jour après le massacre
d'Alexandrie, la flotte anglaise, dont la flotte française vient de se
séparer, bombarde Alexandrie. Le 15, la Conférence invite la Turquie à
intervenir en Égypte le t7, elle est saisie par la France et par l'Angleterre
d'une demande tendant à assurer la protection du canal de Suez ; le 't9, la
Porte adhère à la Conférence et, le 26, elle accepte le principe de
l'intervention en Égypte il était trop tard l'Angleterre refusa, le 30
Juillet, d'évacuer l'Egypte pour faire place aux troupes turques. Ce sont les
tergiversations de M. Freycinet, dans la dernière et décisive quinzaine de
Juillet, qui l'avaient décidée à agir seule. Ces
tergiversations furent mises en relief par la discussion qui s'ouvrit à la
Chambre, le 18 Juillet, sur les crédits destinés aux affaires d'Égypte. Tous
les orateurs critiquèrent la conduite du ministre des Affaires Etrangères.
Celui-ci, sans se défendre pour le passé, affirma encore une fois qu'il ne
voulait pas engager l'avenir, qu'il ne demandait pas à la Chambre son
consentement pour une action quelconque. Il s'agissait tout uniment de mettre
la flotte en état. Personne ne pouvait se refuser à voter dans ces conditions
les crédits furent accordés par 424 voix contre 64 et soumis à la
ratification du Sénat. Le
rapporteur de la Commission sénatoriale, M. Schérer, concluait au vote des
crédits, mais dressait un réquisitoire véritable contre le Gouvernement,
contre le manque d'unité de sa conduite, contre l'absence d'une politique
intelligible, contre les tergiversations si funestes à la solidité de nos
relations étrangères et surtout contre une préoccupation exagérée de la
situation parlementaire. « Le plus sûr moyen de s'assurer une majorité,
disait M. Schérer, c'est encore la netteté des vues et l'autorité des
convictions. » Et il rappelait la célèbre parole de M. Brisson : « La
grande misère de notre temps est la crainte des responsabilités. » Il
aurait pu ajouter qu'on gouverne moins l'opinion en la suivant qu'en la
formant et qu'on ne la forme que par l'énergie des initiatives. Après
ce rapport, après les discours de MM. de Broglie et Waddington et le vote des
crédits par 205 voix contre 5, le Cabinet était frappé à mort il vécut encore
4 jours. Le
rapporteur du Sénat et M. Waddington, en manifestant le regret que M. de
Freycinet n'eût pas suivi la même ligne que M. Gambetta, s'étaient montrés
favorables à une politique d'action. Est-ce l'attitude du Sénat qui modifia
les dispositions de la Chambre et qui réveilla ses anciennes animosités
contre M. Gambetta et contre la politique d'aventure, comme disait M.
Gatineau ? La Commission de la Chambre, saisie d'une nouvelle demande de
crédit de 9 millions, pour l'envoi de 4.000 hommes de troupes de marine qui
devaient occuper exclusivement l'ancien isthme de Suez, rejette
successivement la non-intervention, l'intervention et les crédits. Dans le
débat qui s'ouvrit le 29, M. Achard, un député radical, et M. de Freycinet
furent les seuls à défendre les crédits. M. de Freycinet soutint cette thèse
que la protection du canal par la France n'avait rien d'inquiétant pour le
maintien de la paix et posa nettement la question de confiance. M. Laisant,
M. Langlois, M. Madier de Montjau attaquèrent les crédits pour les mêmes
motifs on ne savait ni d'où l'on partait, ni où on allait. M. Clemenceau
résuma ainsi son opinion : « Est-ce la paix ? Non, puisque l'on
envoie des troupes. Est-ce la guerre ? Non, puisqu'on ne se battra pas. »
Personne ne répondit à M. Clémenceau. Les urnes circulèrent et 417 voix
contre 75 renversèrent le Cabinet du 30 Janvier. La journée du 29 Juillet
était autrement humiliante que celle du 26 Janvier, la chute de M. de
Freycinet autrement profonde que celle de Gambetta. Nous
n'avons pas mentionné a sa date, le 2S Avril, un événement qui devait avoir
ultérieurement d'importantes conséquences, l'occupation de Hanoï par un corps
français. C'est que les ordres en vertu desquels cette occupation s'était
faite avaient été donnés par le Cabinet du 't4 Novembre. Ainsi
le grand Ministère, celui qui contenait tous les chefs de la République,
moins M. Gambetta celui sur la durée, sur la solidité et sur l'œuvre duquel
on avait fondé tant d'espoir, avait vécu moins de six mois et mal vécu. La
loi du 28 Mars 1882, si justement célébrée par M. Mundella, reste seule à son
actif. Toutes les autres réformes attendues, réclamées par la démocratie, il
les avait essayées et toutes avaient avorté. Sans doute, la Chambre est en
partie responsable de cet avortement, mais le Cabinet ne sut ni discipliner,
ni diriger la Chambre, et, dans le Cabinet, M. de Freycinet était
particulièrement impropre au vote de Président du Conseil. Sa merveilleuse
intelligence, sa prodigieuse habileté de parole, sa puissance de travail lui
ont permis de rendre en sous-ordre de signalés services son indifférence en
matière de politique pure, son scepticisme ont affaibli d'avance son
autorité, et, sans autorité, il est impossible d'agir sur le petit groupe de
collègues qui forment un Ministère, à plus forte raison sur les grandes
réunions d'hommes qui constituent une Assemblée. Tout le monde s'en rendait
bien compte, chacun voyait le défaut de la cuirasse et devinait que ce galant
homme, au caractère insaisissable, n'aurait de prise ni sur ses amis
politiques ni sur ses adversaires tout le monde aussi se laissait prendre à
cette aménité de manières, à cette voix blanche, à cette éloquence un peu
froide, mais aussi lucide que celle de Thiers. Le jour venu d'une crise, quand il fallait s'arrêter à un choix qui ne fût absolument antipathique à personne, qui ne mécontentât ni la Gauche ni la Droite, qui parût à tous la moins mauvaise des solutions, on pensait inévitablement à M. de Freycinet. Du moment où il prenait le pouvoir, il n'y avait plus de Gouvernement mais certains parlementaires s'accommodent assez bien de l'absence de Gouvernement. Et quand l'anarchie avait duré six mois ou un an, énervant à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ; quand des blessures cruelles avaient été faites au prestige de la France, quand son bon renom avait été compromis, les mêmes parlementaires qui avaient applaudi à l'avènement de M. de Freycinet, qui avaient tout obtenu de lui, oubliaient soudain leur rôle de protecteurs hautains, pour devenir les plus dédaigneux des adversaires, les plus déclarés des ennemis. Le 23 Septembre 1880, M. de Freycinet était descendu du pouvoir avec quelque dignité le 29 Juillet 1882, il en était renversé par la presque unanimité de la Chambre. Son second Ministère avait duré six mois. Quel acte, quelle œuvre le recommandent ? L'historien qui voudra faire l'apologie ou seulement l'histoire de cet homme politique devra passer rapidement sur les périodes où il a été aux affaires et insister sur celles où il est rentré dans le rang. Dès qu'il a repris sa place dans la majorité gouvernementale, il s'y montre d'une correction impeccable. |