La crise
ministérielle. — Négociations en partie double. — Refus du duc
d'Audiffret-Pasquier. — Le nouveau Cabinet. M. Buffet. — La Déclaration du 12
Mars. — Le duc d'Audiffret-Pasquier président de la Chambre. — Du 12 Mars à
la prorogation. — La proposition Courcelle. — Les nouveaux ministres et la
Constitution. — Le cléricalisme. — La situation extérieure. — Gambetta
pendant les vacances. — Lois utiles ; vote de la proposition Courcelle. —
Déchéance de la seconde — Commission des Trente. — La liberté de l'enseignement
supérieur. — Première délibération sur le projet relatif aux pouvoirs publics
(21
Juin). — Troisième
délibération et première de la loi sénatoriale le 16 Juillet. — MM. Buffet et
Christophle. — L'élection de la Nièvre, 13-15 Juillet. — M. Buffet et
Gambetta. — Dernières délibérations sur les deux premières lois organiques. —
La prorogation. Le budget de 1876. — L'œuvre législative de la session d'été.
— Les dernières vacances de l'Assemblée. — Les réservistes et la situation de
l'armée en Septembre 1875. — Le Parlement hors session. — L'incident La
Roncière. — Dissentiments ministériels. — M. Thiers à Arcachon. — Le scrutin
de liste. — Le Conseil Supérieur de l'Instruction Publique. — Le ministère
des Affaires Etrangères. — La dernière session de l'Assemblée, 4 Novembre. —
Deuxième lecture de la loi électorale. — La loi des maires. — L'état de
siège. — La liberté de la presse. — Election des inamovibles. — Intolérance
et écrasement du Centre Droit. — Dernières lois votées par l'Assemblée. — Les
Bonapartistes à Belleville. — Violentes discussions à propos de la foi sur la
presse. — Allocution finale du président. — Jugement sur l'Assemblée
nationale. — Nouveaux dissentiments ministériels. — La candidature
officielle. — Élection des délégués, 16 Janvier. — Elections sénatoriales. —
Les partis avant les élections législatives. — Scrutin du 20 Février. —
Retraite de M. Buffet le 23. — Démission de M. de Meaux. — Jugement sur M.
Buffet.
Pour la
formation du ministère Buffet, comme pour celle du ministère de Cissey, nous
prendrons pour guide l'auteur des Souvenirs de la Présidence du Maréchal
de Mac-Mahon, M. Ernest Daudet. Le président de l'Assemblée nationale, appelé
dans les Vosges par une grave maladie de sa mère,' avait été désigné, en son
absence et sans avoir été consulté, pour la vice-présidence du Conseil et
pour la formation du Cabinet. Nous avons cité la note extraordinaire qui
avait été publiée par le Journal officiel du 26 Février. Pour un homme
aussi soucieux de la correction parlementaire que M. Buffet, la note du 26 et
l'initiative prise par le Maréchal étaient d'un mauvais augure elles
expliquent la réserve presque défiante qu'il montra ; pendant toute la durée
de la crise. Les Républicains, au contraire, qui savaient le plus grand gré
au président de l'Assemblée de la vigueur avec laquelle il avait dirigé les
débats, pendant le vote des lois constitutionnelles, accueillirent sans
défaveur le choix de M. Buffet et le 1er Mars, lors du renouvellement du
bureau, leurs suffrages contribuèrent à le reporter à la présidence de
l'Assemblée il obtint 479 voix. De retour à Paris ; le lendemain de ce vote,
il avait une première entrevue avec le Maréchal et se montrait fort hésitant.
Le 2 Mars, au soir ; il s'entretenait avec MM. de Broglie et Decazes,
d'Audiffret-Pasquier et Dufaure il cédait à leurs instances et, le lendemain
matin, il allait porter au Maréchal son acceptation résignée. Les
négociations s'engagèrent, aussitôt, en partie double, entre M. Buffet et
ceux qu'il voulait prendre pour collaborateurs, entre le Maréchal et ceux que
le Maréchal désirait voir entrer dans le futur Cabinet. Cette nouvelle
incorrection n'était pas faite, on le comprend, pour faciliter la tâche de M.
Buffet, ni pour lui donner la confiance, qui est un élément indispensable de
succès dans ces sortes de missions. M.
Buffet avait de prime abord accepté de conserver le duc Decazes aux Affaires
Etrangères, le général de Cissey à la Guerre et il voulait prendre pour
collègues aux Sceaux et à l'Instruction Publique deux des principaux artisans
des lois constitutionnelles, M. Dufaure et M. Wallon. Le Maréchal, contrairement
à toutes les règles parlementaires désirait, voir entrer dans le Cabinet l'un
des membres-de la Droite qui avaient voté contre les lois constitutionnelles
et il désignait, il imposait presque M. Audren de Kerdrel au choix de M.
Buffet. Il lui semblait que porté à la Présidence par tous les Conservateurs,
il ne pouvait les abandonner sans déshonneur. Ce sentiment de fidélité à ses
électeurs du 24 Mai était très honorable, mais parfaitement impolitique MM.
de Franclieu et du Temple figuraient également parmi les électeurs du
Maréchal au 24 Mai et le Maréchal eût été tout aussi fondé à demander leur
entrée dans le Cabinet, comme il l'eût été à refuser d'y accueillir M.
Dufaure et M. Léon Say, qui avaient, voté pour M. Thiers. Après avoir essayé
de faire comprendre au Maréchal les inconvénients de l'intervention du
sentiment dans la politique et l'impossibilité de faire admettre par M.
Dufaure une prétention aussi contraire aux lois parlementaires, M. Buffet,
pour ne pas contrister le Président de la République, se rendit à ses
raisons, se fit fort de les faire accepter à M. Dufaure, mais tint bon contre
M. de Kerdrel, se réservant de faire personnellement choix d'un autre membre
de la minorité anti-constitutionnelle. Il pressentit, en effet, M. de Meaux
qui acceptait le fait accompli et qui se fit encore moins prier pour accepter
un portefeuille. Les Gauches, consultées par M. Dufaure, passèrent
condamnation, quand elles surent que leur résistance pouvait empêcher la
constitution du Cabinet et l'arrivée aux affaires de deux membres du Centre
Gauche et d'un membre du Centre Droit libéral. Ces
premières difficultés résolues, et elles l'étaient vers le 6 Mars, restait à
pourvoir le ministère de l'Intérieur d'un titulaire qui fût accepté par le
Centre Droit, par le Centre Gauche et qui ne fût pas repoussé à priori par la
Droite et par la Gauche. M. Bocher, par son immense talent de parole, par sa
modération, par son désintéressement bien connu, remplissait toutes les
conditions nécessaires et d'instantes démarches furent faites auprès de lui
par de nombreux députés, par M. Buffet, par le Maréchal lui-même. Toutes
échouèrent, devant la volonté la mieux arrêtée de ne pas faire partie de la
combinaison, et M. Buffet, sur le conseil de MM. Decazes et Dufaure, se
tourna du côté de M. d'Audiffret-Pasquier, qui opposa d'abord le même refus
que M. Bocher. M. Buffet qui n'avait songé, dès la première heure, qu'à
prendre un portefeuille secondaire, comme l'Agriculture, avec la
vice-présidence du Conseil, crut que le refus de M. d'Audiffret-Pasquier,
après celui de M. Bocher, mettait fin à ses pourparlers et il manifesta au
Maréchal l'intention de lui rendre le mandat qu'il avait reçu. Le Maréchal,
qui tenait à son idée première, ne voulut pas rendre à M. Buffet sa parole et
il entreprit personnellement de vaincre les résistances de M.
d'Audiffret-Pasquier. Il le vit à Paris, à l'Elysée, il lui offrit
l'Intérieur et, s'il ne réussit pas à lui arracher une acceptation, il
l'ébranla assez fortement pour que le lendemain le duc, cédant aux instances
de ses amis politiques, déclarât à M. Buffet qu'il consentirait à se charger
de l'Intérieur. Le Maréchal, immédiatement informé, manifesta la plus vive
satisfaction et la nouvelle se répandit le 8 Mars au soir, dans le monde
parlementaire, à Versailles, à Paris, dans toute la France, que le Cabinet
était enfin constitué. La nécessité d'une entente préalable entre tous les
ministres, pour la rédaction du programme à soumettre à l'Assemblée,
empêchait seule la publication des décrets de nomination à l'Officiel
du 9 Mars. Or, le 9 Mars, non seulement l'Officiel était muet, comme
on s'y attendait, mais, à la surprise de tous, M. Buffet remontait au
fauteuil et reprenait la direction des débats parlementaires. Que s'était-il
donc passé, le 8 Mars au soir ? Les
démarches du Maréchal, faites concurremment avec celles de M. Buffet, avaient
eu un résultat trop facile à prévoir elles avaient amené une inextricable
confusion et entraîné l'avortement de la combinaison arrêtée la veille.
L'intervention des Bonapartistes qui considéraient M. d'Audiffret-Pasquier
comme un adversaire personnel, la sourde hostilité.de M. Buffet qui redoutait
de voir auprès de lui, dans le même Cabinet, deux personnalités aussi
marquantes que MM. Dufaure et d'Audiffret-Pasquier, et surtout l'intention
bien arrêtée de M. Buffet de faire du parti bonapartiste « l'avant-garde
du parti conservateur » avaient déterminé le Maréchal, adroitement
circonvenu, à offrir au duc d'Audiffret un autre portefeuille que celui de
l'Intérieur. Une
courte et assez vive explication eut lieu entre le duc et le Président de la
République. « Monsieur
le Duc, dit celui-ci, j'ai dû modifier la combinaison que nous avions arrêtée
hier ensemble. On m'a fait de justes observations. On m'a exposé les
inconvénients qui pourraient résulter de votre présence au ministère de
l'Intérieur et j'ai résolu d'y mettre M. Buffet. Aussi je vous offre un
dédommagement l'Instruction Publique. » Il faut
se rappeler les hésitations de langage du Maréchal, sa timidité encore
augmentée par la fausse position où il s'était laissé placer, son inaptitude
absolue à toute conversation politique et, d'un autre côté, la vivacité du
duc, son éloquence à la fois grave et brillante, son amour-propre si
gratuitement froissé, pour saisir tout l'intérêt de ce court dialogue. A
l'attaque pénible, embarrassée du Maréchal, il répond par ce coup droit « Maréchal,
permettez-moi de vous dire qu'en voilà assez. On est venu me chercher hier on
m'a supplié d'accepter le ministère de l'Intérieur on m'a dit que si je refusais,
je ferais manquer toutes les combinaisons. Je me suis véritablement sacrifié.
Et aujourd'hui, quand, pour des causes que j'ignore, on change d'avis, on
m'offre un dédommagement, on fait de moi un quémandeur de portefeuilles Je ne
saurais accepter une telle situation et je refuse d'entrer dans un ministère
où je n'aurais pas l'Intérieur et où M. Wallon n'aurait pas l'Instruction
Publique. » Au
sortir de la Présidence, le duc d'Audiffret fait connaitre au groupe
Wallon-dé Lavergne les causes de son refus les Gauches, déjà informées par M.
Léon Say, que le Maréchal avait reçu avant le duc, manifestent la plus vive
irritation elles veulent se déclarer en permanence, jusqu'à ce que le Maréchal
ait choisi un Cabinet pris dans la majorité constitutionnelle. Le Maréchal
songe si peu à une solution parlementaire qu'il a fait appel à M. Paul
Andral, vice-président du Conseil d'État, à M. Renouard, procureur général à
la Cour de Cassation et qu'il les a chargés de constituer un Cabinet
d'affaires. MM. Andral et Renouard rendent-au Maréchal le double service de
se refuser à ce qu'il leur demande et de lui démontrer les dangers de cette
solution MM. Decazes et Bocher interviennent auprès de M. Buffet, qui se
prête à renouer les négociations et le Journal officiel du 11 Mars
annonce la Constitution du Cabinet Buffet. Le
Cabinet du 11 Mars comprenait, outre M. Buffet l'Intérieur, le duc Decazes
aux Affaires Etrangères, M. Dufaure à la Justice, M. Léon Say aux Finances,
M. Wallon à l'Instruction Publique, le général de Cissey à la Guerre,
l'amiral de Montaignac à la Marine, M. de Meaux à l'Agriculture et au
Commerce, M. Caillaux aux Travaux Publics. Deux sous-secrétaires d'État
étaient nommés à la Justice, M. Bardoux, aux Finances, M. Louis Passy et,
quelques jours après la constitution du Cabinet, M. Cornelis, de Witt fut
appelé au sous-secrétariat d'État de l'Intérieur. A l'Instruction Publique on
rétablit le secrétariat général en faveur d'un membre de l'Institut, collègue
et camarade du nouveau ministre, M. Jourdain. Jamais
un chef de parti, jamais un ministre, porté au pouvoir par la désignation de
près de 500 membres de t'Assemblée, ne s'est montré politiquement aussi
inférieur à sa tâche que M. Buffet. Jamais plus belle situation ne fut plus
gratuitement et plus légèrement compromise. D'une indiscutable compétence en
matière de finances, d'une honnêteté qui était dès lors et qui est restée
proverbiale, de convictions catholiques aussi ardentes que désintéressées, M.
Buffet s'est montré le plus borné, le plus insuffisant des hommes d'Etat. Ce
n'est pas seulement la raideur de son caractère et la froideur de son accueil
qui a éloigné de lui toutes les sympathies, c'est sa conception même du
système gouvernemental à appliquer, qui l'a classé, à tout jamais, parmi les
plus imprévoyants et les plus aveugles des ministres, parmi les moins faits
pour comprendre et pour diriger les hommes. Il avait eu un éclair de
clairvoyance, le jour où il avait fait voter les lois constitutionnelles ;
cet éclair fut suivi d'une nuit profonde. Frappé de cécité, à partir du 11
Mars 1878, le vice-président du Conseil ne retrouva la claire vue des choses
que onze mois plus tard, quand il écrivit à un ami qui lui avait offert une
candidature de consolation dans le midi de la France « Il suffira que je
me présente pour qu'une circonscription, excellente au point de vue
conservateur, devienne exécrable, par le seul fait que je m'y présenterai. »
Que n'a-t-il eu, un an plus tôt, cette conscience de son impopularité, de sa
maladresse et, pour tout dire, de son inaptitude foncière à l'action
gouvernementale ? Cette grande et austère figure de parlementaire intègre ne
se serait pas diminuée comme à plaisir. Dans un
article du l~ Octobre 1875, intitulé Du dogmatisme politique, le
publiciste qui signe Valbert a la Revue des Deux-Mondes (M. Cherbuliez) a tracé de M. Buffet un bien
piquant portrait. Il le montre prisonnier de sa conscience, beaucoup trop
préoccupé de sa dignité personnelle, accréditant par son silence têtu les
calomnies de ses adversaires, dont il se soucie aussi peu que des éloges de ses
amis, commettant maladresse sur maladresse, et les commettant sciemment, avec
préméditation. Toutes ses fautes étaient voulues et doctrinales. Il avait
contribué au vote des lois constitutionnelles et par suite à la fondation de
la République mais cette République, dont il était un des parrains, il la
subissait avec la résignation d'un bon chrétien, comme un malheur inévitable.
On lui a prêté un très joli mot et qui peint admirablement la force
d'inertie, l'obstination invincible qu'il a opposées à toutes les demandes de
changements dans le personnel administratif : « Je ne céderai sur
rien, je ne transigerai sur rien et, quand mes 86 préfets viendraient à
mourir, je n'en changerais pas un. Tout au plus, ferais-je une ou deux
mutations. » La
constitution du ministère Buffet produisit dans le pays, parmi les hommes
modérés de tous les partis, auxquels on avait si souvent fait appel, comme
une impression de soulagement et, dans l'Assemblée, parmi les 500 membres qui
avaient voté sans arrière-pensée les lois constitutionnelles, un immense
espoir. Il suffisait de pratiquer, dans le pays, une politique de détente,
pour mériter sa confiance et obtenir ses suffrages il suffisait, dans
l'Assemblée, de s'appuyer sur les 500 membres qui ne demandaient qu'à
soutenir le Cabinet, pour obtenir d'eux les lois organiques complémentaires,
une loi électorale, une loi sur la presse, sérieusement répressive sans
cesser d'être libérale. Au lieu de suivre cette grande voie, au lieu
d'adopter cette ligne de conduite toute droite, M. Buffet se perdit, dès le
premier pas, dans les sentiers où s'était égaré le duc de Broglie, il adopta
une ligne de conduite tortueuse, il replongea du premier coup la France,
amoureuse de clarté et de netteté, en pleine équivoque, et, pour tout dire,
il fut le représentant de l'esprit du 24 Mai contre l'esprit du 25 Février. En face
d'une Assemblée hésitante, divisée, qui ne pouvait plus vivre et qui ne
savait pas mourir, mais qui s'était ressaisie, un seul jour, pour faire un
grand acte de patriotisme et de raison, il fallait renoncer aux faux-fuyants,
aux ambiguïtés, aux illusions d'une prétendue union conservatrice, impossible
a ressusciter. La Constitution, toute la Constitution, rien que la
Constitution. M. d'Audiffret-Pasquier. M. Bocher avaient assez de franchise,
de loyauté et aussi d'ouverture d'esprit, pour adopter ce programme si
simple, si modeste, si pratique et dont le succès était assuré. M. Buffet en
prit justement le contre-pied et l'on vit ce spectacle inattendu d'un
vice-président du Conseil, porté au pouvoir pour avoir fait voter les lois
constitutionnelles, rudoyant tous les amis de la Constitution et ménageant
tous ses adversaires, ne faisant cas que des suffrages qui lui étaient donnés
par ses anciens alliés, repoussant, comme des propositions malhonnêtes, les
avances qui lui étaient faites par les hommes les plus modérés du Centre
Gauche. Au 10
Mars, le Centre Droit a eu cette mauvaise fortune d'être représenté au
Gouvernement par celui de ses chefs qui était le moins capable d'opérer le
rapprochement entre tous les hommes modérés des deux C'entres, le moins
capable aussi de sauver, comme parti, cette importante fraction.de
l'Assemblée. M. Buffet allait la conduire, en premier lieu, aux élections
d'inamovibles, puis aux élections sénatoriales, puis aux élections
législatives. Condamné par l'Assemblée elle-même en Décembre, par le suffrage
restreint en Janvier, le Centre Droit recevra le coup décisif du suffrage universel
en Février. Il mourra, politiquement parlant, en même temps que M. Buffet et
pour les mêmes causes. La
Décoration, qui fut lue le 12 Mars, et que t'Assommée stupéfaite accueillit
avec une remarquable froideur, insistait sur le respect dû aux lois
constitutionnelles et se terminait par une demande de concours et de
confiance. C'était bien le moins, qu'un Cabinet constitué après le vote de
ces lois s'engageât les faire obéir, et qu'un Cabinet parlementaire
sollicitât t'appui du Parlement. On accorde tant de crédit aux pouvoirs
nouveaux que l'on se serait contenté de ces assurances un peu banales, si
elles n'avaient été contredites, infirmées, par des passages tristement
significatifs. Nous ne parlons pas de la phrase sur les passions subversives
qui i était de style, depuis le 24 Mai 1873, mais de celle ou le Cabinet
promettait son plus énergique appui aux fonctionnaires les plus compromis de
l'ordre moral. Le Cabinet exceptait évidemment les Bonapartistes, dont ses
prédécesseurs avaient peuplé l'administration et les préfectures, de ceux
auxquels serait imposé te respect de la Constitution du 15 Février. Il comptait
pourtant parmi ses membres, et non parmi les moindres, le Garde des Sceaux et
le ministre des Finances, M. Dufaure et M. Léon Say, et ceux-ci connaissaient
mieux que personne les sentiments qui animaient le groupe de la Gauche à qui
l'on devait, sans contestation, la fin du gâchis que le vote du 20 Novembre 1873
avait inauguré. Le Centre Gauche, au lendemain du 10 Mars, avait placé à sa
tête le plus chaud partisan des lois constitutionnelles. M. Laboulaye, en
prenant possession de la présidence, déclarait que son groupe soutiendrait le
Cabinet, a la condition que l'on en finirait avec les lois d'exception et que
l'administration se montrerait sincèrement républicaine. Le Centre Gauche
trouva l'écho de ses propres pensées dans l'allocution chaude, cordiale,
accueillie avec acclamations, que prononça M. d'Audiffret-Pasquier, dans la
séance du 16 Mars. La veille, l'éloquent orateur du Centre Droit avait été
porté à la présidence par 418 voix contre 133 bulletins blancs. Ce que
l'Assemblée applaudit dans ses paroles, c'était, moins l'allusion au second
Empire et l'invocation a la liberté, que le concours apporté à la
Constitution et l'indépendance de caractère qui s'était fièrement révélée
pendant la crise ministérielle. C'était aussi le ton de bonne compagnie et de
bonne humeur, qui contrastaient heureusement avec les airs grognons, l'aspect
maussade et l'aigreur de M Buffet. Durant
les huit jours qui s'écoutèrent entre la lecture de la Déclaration et la
prorogation, du 12 au 19 Mars, le Cabinet s'abstint, comme à dessein,
d'intervenir dans les discussions politiques. Le 17 Mars, l'Assemblée eut à
se prononcer sur une demande de crédit supplémentaire de 7.530.277,29. Cette
demande impliquait la solution d'une question très controversée, celle des
pensions civiles qui avaient été accordées depuis le 4 Septembre 1870, en
dehors des conditions d'âge et de durée fixées par la loi, à des
fonctionnaires jeunes encore, parfaitement valides et qui combattaient
énergiquement le Gouvernement qui les pensionnait. Un amendement de M.
Guichard, invitant le Gouvernement à réviser les pensions dans le délai de
six mois, fut repoussé à la majorité de 2 voix, par 306 suffrages contre 304.
Un autre amendement, presque identique, de M. Tirard, invitant le
Gouvernement à soumettre à un nouvel examen les pensions contestées, réunit
une majorité de 13 voix, 322 contre 307. Après ce vote, les crédits furent
accordés. L'Assemblée concilia ainsi le respect des engagements pris par
l'Etat et les sentiments d'équité qui étaient blessés par te scandale de
pensions civiles accordées à la faveur et non pas aux services ou aux
infirmités. Le 18
Mars, sur un rapport de M. de Pressensé, l'Assemblée décida qu'elle se
prorogerait du dimanche 21 Mars au lundi 11 Mai. Ce vote fut rendu à la
majorité de 402 voix contre 2S4, après quelques explications fournies par le
Garde des Sceaux. M. Dufaure croyait, avec toute la Gauche, que la session
d'été suffirait à l'épuisement de l'ordre du jour et à la discussion des lois
constitutionnelles complémentaires. Cette conviction détermina, le même jour,
la prise en considération d'une proposition de M. Courcelle. Cet obscur
député de la Droite avait demandé, un an auparavant, qu'il fût sursis à toute
élection partielle tant que durerait l'Assemblée nationale. La perspective,
en Mars 1875, d'une très prochaine séparation, fit prendre en considération
sans scrutin et renvoyer aux bureaux la proposition Courcelle. MM. Henri
Brisson et Raoul Duval l'avaient combattue, mais M. Alfred Giraud et quelques
députés républicains, comme M. Vautrain, l'avaient soutenue. M. Gambetta
avait vainement tenté d'obtenir du Cabinet l'indication d'une date ferme les
ministres étaient restés muets. Le 19 Mars ; l'Assemblée nommait une
Commission de permanence, où l'on comptait, pour la première fois, 14
Républicains sur 20 membres et, le lendemain, elle se prorogeait pour laisser
aux ministres le temps de s'installer. Presque
tous trouvèrent, pendant ces vacances de sept semaines, l'occasion d'affirmer
les principes nouveaux qui devaient diriger l'administration. M. Dufaure,
dans une circulaire aux procureurs généraux, en date du 30 Mars, renouvela
les excellentes recommandations qu'il avait adressées aux magistrats, le la
Juin 1871, et prescrivit surtout aux juges de paix d'éviter toute
intervention dans les luttes politiques. M. de Cissey, dans une circulaire
confidentielle que le 7'oHes fit connaître, adressa les mêmes instructions
aux états-majors de l'armée, où les Bonapartistes étaient restés nombreux et
influents. M. Wallon, dans son discours aux membres des Sociétés savantes des
départements, réunis à la Sorbonne, prononça les paroles que l'on était en
droit d'attendre de l'un des auteurs de la Constitution. Il n'est pas jusqu'à
M. de Meaux, un converti de la veille, qui ne se soit déclaré, au banquet de
la Chambre de commerce de Saint-Etienne, le respectueux observateur des lois
organiques. Seul,
M. Buffet, au milieu de tous ses collègues qui partaient t ou qui agissaient,
restait muet et inerte muet en présence de ceux de ses préfets qui
relevaient, comme des infractions à la loi, les allocutions républicaines des
présidents des Conseils généraux, très modérés pourtant, de l'Allier, de
l'Eure-et-Loir, de la Haute-Loire et de la Haute-Savoie inerte en face
d'autres préfets qui omettaient, à dessein, l'en-tête République Française
sur les actes officiels. Pour les populations, qui constataient cette
impunité des fonctionnaires administratifs, trahissant le régime dont ils
étaient les agents les plus élevés, rien n'était changé depuis le 24 Mai pour
celles qui subissaient les provocations de préfets s comme M. Ducros ou M.
Doncieux, dans le Rhône et dans Vaucluse, la situation avait plutôt empiré.
La nomination comme maires ou comme adjoints de quelques Républicains très
modérés, que l'influence de M. Dufaure ou celle de M. Léon Say réussissait à
arracher à M. Buffet, ne suffisait pas à modifier l'allure générale d'une
politique, tour à tour tracassière et violente, toujours défiante et
soupçonneuse. Un
autre caractère de cette politique, à l'intérieur, c'était le cléricalisme,
et M. Buffet, sans aller aussi loin que les catholiques comme M. Chesnelong,
dans la négation des principes du droit et des libertés modernes, considérait
ceux qui professaient ces principes comme les plus sûrs alliés de son
Gouvernement. L'Assemblée générale des Comités catholiques de France, réunie
à ce moment, sous la présidence de M. Chesnelong, députe des Basses-Pyrénées,
ambassadeur des Neuf au comte de Chambord, proclamait, que ses sentiments,
sur la valeur intrinsèque des libertés modernes, étaient pleinement, d'accord
avec les déclarations de l'Encyclique de 1864 et du Syllabus. « Et
en particulier, pour ce qui est de la presse, ajoutaient les catholiques,
nous pensons que la liberté également laissée à l'erreur et à la vérité, au
mal et au bien, constitue un régime funeste à la liberté religieuse et à la
société civile. » Que
cette théorie de la liberté de la vérité de la « liberté du bien t ait pu
être professée par des catholiques, ce n'est pas ta ce qui peut surprendre.
L'étonnement naît de la grossièreté du paradoxe, de l'entorse donnée au bon
sens et de ['abus des mots, détournés de leur acception. Quand une autorité,
prétendue infaillible, affirme que ceci est vrai et que cela est erroné, que
ceci est bien et que cela est mal, elle supprime la liberté de l'erreur et la
liberté du mal et le régime qu'elle impose est celui de la plus intolérable
tyrannie Ces
doctrines d'un petit groupe de catholiques militants n'étaient certes pas
celles de la majorité de l'Assemblée, plus cléricale que religieuse, ni
celles des Cabinets qui se sont succédé au pouvoir, du 24 Mai 1873 au 10 Mars
1876. Mais l'étranger pouvait croire qu'elles étaient en faveur dans les
milieux officiels ; l'ennemi héréditaire affirmait que notre Gouvernement
s'en inspirait, et tous les dangers extérieurs que nous avons courus, pendant
ces trois années, ont procédé de cette fausse opinion que l'on avait de nous.
Jamais ce danger n'a été aussi imminent qu'au printemps de 1870 ; les
articles du Times, surtout celui du 6 Mai, venant après ceux de la
/~< et des organes officieux de la Chancellerie allemande ; ont produit en
France un émoi universel et profond. Le péril était conjuré, quand
l'Assemblée reprit ses séances, le 11 Mai, au lendemain de l'entrevue de
Guillaume Ier et d'Alexandre II à Berlin. Ce péril n'eût pas été a craindre,
avec un Gouvernement moins soumis aux influences cléricales que celui du Maréchal,
avec un ministre plus dégagé de ces mêmes influences que le duc Decazes. Les
transes patriotiques qu'il eut à subir marquèrent, pour notre ministre des
Affaires Etrangères, la fin de ces vacances dont le début avait été signalé
par un important mouvement diplomatique. M. de Jarnac, emporté en trois jours
par une pleurésie, eut pour successeur le marquis d'Harcourt à Londres. M.
Melchior de Vogué passa de Constantinople à Vienne et M. de Bourgoing fut
envoyé à Constantinople. Le changement ministériel du 10 Mars n'eut
d'influence ni sur notre politique extérieure, ni sur le choix de nos
ambassadeurs auprès des grandes puissances le duc Decazes, comme M. Thiers,
estimait qu'il convenait de faire représenter une Démocratie par ceux que
leur origine, leur éducation et leurs goûts éloignaient le plus de ce régime. Nous
citerons encore ici, pour être complets, deux faits d'importance très inégale
et qui frappèrent aussi très inégalement l'opinion. Le roi d'Espagne,
Alphonse XII, avait envoyé au Président de la République un don de joyeux
avènement. Son ambassadeur à Paris, M. de Molins, avait remis au Maréchal de
Mac-Mahon la Toison d'Or, le 1er Avril. Ce bon procédé indiquait que l'on
n'avait pas gardé rancune, au-delà des Pyrénées, des facilités
d'approvisionnement et d'organisation que les Carlistes avaient trouvées dans
nos départements du Sud-Ouest. Le 14 Avril, la France entière apprenait, avec
une tristesse poignante, la douloureuse catastrophe du Zénith. Parti
de Paris, le Zénith s'était élevé a près de 10.000 mètres et était
retombé à Ciron, dans l'Indre. Des trois aéronautes qui le montaient, un
seul, Gaston Tissandier, put être rappelé à la vie. On sut de lui, qu'au
cours d'une descente, rapide jusqu'au vertige, il avait vaguement ouvert les
yeux et entrevu ses deux malheureux compagnons la face noircie, la bouche
ensanglantée. Ces deux martyrs de la science étaient Crocé Spinelli et Sivel. Les
séances de l'Assemblée allaient se rouvrir, te 11 Mai, en présence d'une
majorité compacte, formée de la Droite modérée, de tout le Centre Droit et de
toutes les Gauches, exception faite d'une demi-douzaine de doctrinaires de
l'Extrême Gauche. Après
le vote des lois organiques, Gambetta, qui avait su maintenir le parti
républicain uni pour la résistance, uni pour l'action, s'était dit qu'il ne
suffisait pas de le discipliner, qu'il fallait aussi faire son éducation et
il avait saisi toutes les occasions d'affirmer et d'exposer la politique
nouvelle. Sur la tombe de Quinet, le 29 Mars, il indiquait quelle méthode de
Gouvernement convenait à la Démocratie, puisqu'elle était devenue par
l'alliance de la bourgeoisie et du prolétariat, la majorité, c'est-à-dire le
Gouvernement lui-même. Or, un Gouvernement n'obéit pas aux mêmes règles
qu'une Opposition il a d'autres devoirs, d'autres responsabilités et le grand
serviteur de la République, auquel les suprêmes honneurs étaient rendus le 29
Mars, l'eût bien compris sur le fond des choses, entre les Républicains de
l'ancienne et ceux de la jeune École, l'accord était indestructible. Quelques
jours après, Gambetta, parlant devant ses électeurs de Belleville, faisait
entendre d'aussi sages conseils à la fraction la plus ardente, la plus
avancée et trop souvent aussi la moins raisonnable du parti républicain. Il
soutint cette opinion, qui peut sembler paradoxale, que le Sénat, tel qu'on
l'avait organisé, était un pouvoir essentiellement démocratique par son
origine, par ses tendances, par son avenir. Il fit valoir que le Sénat était
constitué par les représentants les plus directs du suffrage universel dans
le département, l'arrondissement, le canton et la commune, et que
l'intervention de l'esprit communal, dans les affaires politiques, était un
gage d'ordre, de paix et de progrès démocratique. Gambetta
voyait un immense avantage à ce que les élections municipales devinssent des
élections politiques, à ce que chaque candidat, au moment du scrutin, fût
appelé a faire connaître son opinion sur le choix éventuel d'un délégué
sénatorial. C'était une illusion de se figurer que, dans les trois quarts des
communes, les choix seraient déterminés par d'autres considérations que les
considérations locales. Ce n'en était pas une, de prédire que la réunion, au
chef-lieu, de tous les délégués des communes, serait avantageuse à la
Démocratie, qu'il se ferait là, à chaque élection, un travail d'éducation
amicale et mutuelle. Gambetta était fort bien inspiré quand il appelait le
Sénat le Grand Conseil des Communes françaises. Il discernait
merveilleusement, tout en étant plutôt autoritaire et centralisateur,
l'importance que la Troisième République devait rendre à la vie et aux
institutions provinciales. Il ne l'était pas moins bien, quand il conseillait
à la Démocratie « d'apprendre à se gouverner elle-même, à gouverner ses
propres impatiences, âne vouloir rien obtenir que du temps et des progrès de
la raison publique ». Ces sages conseils, cette élaboration d'un programme si
plein de modération et de bon sens, allaient à fortifier la majorité
nouvelle, à lui obtenir l'adhésion raisonnée, réfléchie de tous les
Républicains. Cette
majorité M. Buffet, sans parti pris, mais obéissant aux tendances naturelles
de son esprit, va faire effort pour la disloquer et pour reconstituer celle
du 20 Novembre et du 24 Mai 1873 il n'y réussira que trop et son ministère
rappellera les plus mauvais jours du ministère de Cissey et des deux
ministères de Broglie il sera le ministère de l'équivoque et de la division «
entre les hommes modérés de tous les partis ». En
dehors des longues séances que l'Assemblée consacra, pendant le mois de Mai,
à des lois utiles comme celle qui concernait l'élévation du maximum des
dépôts dans les caisses d'épargne et celle qui réduisait d'un quart la peine
des condamnés consentant à subir le régime cellulaire, la politique
n'intervint que dans la discussion de la proposition Courcelle et dans la
formation de la nouvelle Commission des Trente. Le
rapport de M. Clapier, sur la proposition Courcelle, concluant à la
suspension des élections partielles jusqu'aux prochaines élections générales,
impliquait, par conséquent, la proximité de celles-ci. Les Gauches
manœuvrèrent mal, sans accord, sans entente préalable et contribuèrent à
sanctionner la moins démocratique des mesures. Il n'est jamais bon, pour un
Gouvernement, de supprimer les scrutins et de perdre tout contact avec les
électeurs on risque de marcher au rebours de l'opinion et le Cabinet n'évita
pas ce danger. M. Wolowski avait déposé et soutenu un amendement dont
l'adoption eut hâté la fin des travaux de t'Assemblée. La convocation des
collèges électoraux, y était-il dit, sera suspendue jusqu'au 1er Août
prochain. Si, avant ce terme, t'Assemblée n'a pas fixé à une date antérieure
au 31 Décembre 187o l'époque des élections générâtes, les convocations
retardées auront immédiatement lieu. L'adoption de cet amendement fut
empêchée par la présentation tardive d'un amendement beaucoup plus radical de
M. Lepère. Le député de l'Yonne voulait que l'Assemblée décidât qu'il ne
serait plus procédé à aucune élection partielle, parce qu'elle était « résolue
à terminer ses travaux dans le cours de la session actuelle ». On sait
combien l'Assemblée avait l'oreille sensible et comme ce glas sonnait
lugubrement pour la Droite. Elle rejeta le premier paragraphe de l'amendement
Wolowski par 448 voix contre 174 et donna 345 voix contre 279 à l'article de
la Commission, qui lui permettait, de prolonger indéfiniment ses travaux. Cinq
jours après ce vote, M. Dufaure déposait, au nom du Gouvernement, les deux
projets de loi complémentaires de la Constitution une loi sur les pouvoirs
publics et une loi sénatoriale. A quelle Commission fallait-il renvoyer ces
projets ? Membre de la minorité, dans l'ancienne Commission des Trente, le
Garde des Sceaux ne pouvait pas prononcer sa dépossession. M. Luro se chargea
de ce soin, dans un très bon discours, où il démontra, qu'en dehors de ses
atermoiements systématiques, l'ancienne Commission avait personnifié la
politique de combat. La nouvelle ne devait-elle pas personnifier une
politique de conciliation et d'apaisement ? Ces raisons, exposées avec
une remarquable modération, décidèrent l'Assemblée l'ancienne Commission fut
dessaisie par 320 voix contre 301. Son président, M. Batbie, avec une
mauvaise humeur mal dissimulée ; commenta le vote de l'Assemblée, attaqua son
collègue et compatriote, M. Luro, qui, disait-il, l'avait provoqué, et
prétendit faire accepter par l'Assemblée la démission collective des Trente,
sans les avoir consultés. M. Laboulaye protesta contre cette prétention, au
nom de la minorité de la Commission il fut soutenu par le président de
l'Assemblée, et, le lendemain, les Trente remettaient leurs démissions
individuelles. Il fallut nommer en séance publique, au scrutin de liste, une
nouvelle Commission des Trente, à laquelle durent être renvoyés les deux
projets de M. Dufaure et la loi électorale, qui avait déjà subi l'épreuve
d'une lecture. Ces nominations curent lieu le 25 et le 26 Mai et elles
consacrèrent le triomphe des Gauches, unies au groupe Wallon-Lavergne et à
quelques membres du Centre Droit libéral. Le Centre droit proprement dit se
désagrégeait par ses deux extrémités et formait un nouveau groupe, présidé
par M. de Clercq, à tendances réactionnaires et cléricales, qui représentait
fort exactement la politique personnelle de M. Buffet, et inclinait vers la
Droite royaliste et les Bonapartistes, beaucoup plus que vers le groupe
Lavergne et le Centre Gauche. Le 23 Mai MM. Duclerc, Laboulaye, de Lavergne,
Delorme, Cézanne, Krantz, Humbert, Ricard, Bethmont, J. Ferry, Picard, Voisin
et Beau furent élus, en séance publique et au scrutin de liste, membres de la
Commission des Trente. Le lendemain ce fut le tour de MM. Waddington, Le Royer,
le comte Rampon, Baze, Christophle, Schérer, Albert Grévy, Luro, J. Simon,
Vacherot, Cazot et de Marcère. La Commission comprenait 23 membres, après les
deux premiers tours de scrutin, et pas un membre du Centre Droit n'y avait
trouvé place. La majorité relative suffisait au troisième tour ; les Gauches
ne voulurent pas pousser leur succès jusqu'au bout elles portèrent leurs voix
sur MM. Delsol, de Sugny, Sacase, Adnet et Adrien Léon qui furent élus. A peine
constituée, la Commission mit à sa tête M. Léonce de Lavergne, juste hommage
rendu à la sincère conversion et au ferme libéralisme de ce galant homme. « Nous
avons été conduits, dit judicieusement M. de Lavergne, en prenant possession
de la présidence, nous avons été conduits, par un concours de circonstances
impérieuses : à donner au Gouvernement la forme républicaine. Montrons, par
la sagesse et la fermeté de nos décisions, que nous savons dominer nos
divisions, pour maintenir au dedans l'ordre et la liberté, comme pour
conserver la paix au dehors. » Toute la Commission s'inspirant du même
esprit que M. de Lavergne, ses travaux furent rapides et ses résolutions
nettes. Les Trente de 1875 firent heureusement oublier leurs prédécesseurs de
1873 et de 1872. Les
Gauches avaient décidément la majorité pour elles le 1er Juin, au
renouvellement trimestriel du Bureau, elles firent passer à la présidence M.
d'Audiffret-Pasquier, par 431 voix, et à la vice-présidence MM. Martel,
Duclerc, de Kerdrel et Ricard, qui préluda par cette élection à sa courte et
brillante carrière politique. Le duc d'Audiffret-Pasquier interprétait exactement
les sentiments de la majorité qui l'avait porté au fauteuil, quand il disait,
le 7 Juin, dans son allocution émue sur la mort de M. de Rémusat « L'Empire
lui fit l'honneur de le proscrire. » Les acclamations de la Gauche
soulignèrent et accentuèrent cette parole vengeresse. L'ancienne
majorité ne se reformait que sur les questions religieuses, ou plutôt sur
celles ou l'Eglise avait un intérêt enjeu, comme la loi sur la liberté de
l'enseignement supérieur. L'épiscopat et le parti clérical, composé surtout
de laïques, n'avaient obtenu de privilèges, le 15 Mars 18o0, qu'en matière
d'enseignement secondaire et d'enseignement primaire restait à détruire le
monopole universitaire en matière d'enseignement supérieur. L'Assemblée la
plus cléricale qu'ait eue la France pouvait seule y parvenir et elle y fut
aidée par les libéraux de l'Ecole de M. Laboulaye. Avant de reconnaître que
l'on avait introduit dans la loi « des dispositions qui en avaient fait
disparaître l'apparence même de la liberté, » M. Laboulaye poussa de
toutes ses forces, de toute son éloquence, au transfert du monopole
universitaire aux mains du parti clérical. Depuis le o Juin jusqu'au 12
Juillet, date de l'adoption de la loi, il fut presque toujours, avec les
libéraux de sa nuance, du côté de Dupanloup et des plus acharnés
réactionnaires ses repentirs ne pouvaient arrêter le mouvement et, quand il
s'unissait à MM. Jules Simon et Jules Ferry, à M. Henri Brisson pour défendre
la Révolution française, l'Etat laïque, la collation des grades, il était
battu avec eux par une majorité compacte. Le passage à une seconde
délibération fut voté sans scrutin le 11 Juin, et la loi fut adoptée
définitivement, en troisième délibération, le 12 Juillet, par 316 voix contre
2G6 60 membres chi Centre Gauche s'étaient séparés de la Gauche, pour assurer
le succès de la proposition bien défigurée du comte Jaubert. Les
droits de l'Etat, pendant les trois délibérations, auraient pu et dû être
affirmes par les deux ministres de l'Instruction Publique, M. de Cumont et M.
Wallon on ne s'étonnera pas qu'ils aient été sacrifiés par le premier on
aurait voulu que le second montrât moins de mollesse à les défendre. En quoi
consistait cette loi, dont le vote parut à la Droite une compensation plus
que suffisante des défaites politiques qu'elle n'en était plus à compter ? Le
titre 1er, relatif aux cours et aux établissements libres d'enseignement
supérieur, stipulait, dans son article 1°' la liberté de cet enseignement et
l'accordait a. tout Français âgé de vingt-cinq ans et aux associations
formées légalement dans un dessein d'enseignement supérieur. L'enseignement
de la médecine et de la pharmacie restait soumis aux conditions requises pour
r l'exercice des professions de médecin et de pharmacien, et les cours isolés
aux prescriptions des lois sur les réunions publiques. Les établissements
d'enseignement supérieur doivent être administrés par trois personnes au
moins la liste de leurs professeurs, les programmes de leurs cours doivent
être communiqués, suivant le département, au recteur ou à l'inspecteur de
l'Académie. Des conférences spéciales peuvent être annexées aux cours, sans
qu'il soit besoin d'autorisation préalable. Ces établissements prennent le
nom de Facultés libres, s'ils comptent autant de docteurs que les Facultés de
l'Etat qui comptent le moins de chaires, et le nom d'Universités libres,
quand ils réunissent trois Facultés. L'article 6 imposait aux Facultés libres
comme possession de matériel d'enseignement, de laboratoires, de lits
d'hôpital, de jardins botaniques, des obligations dont il est difficile de contrôler
l'observation. Elles sont ouvertes aux délégués du ministre de l'Instruction
Publique ; mais ces délégués ne peuvent constater qu'une chose à savoir que
l'enseignement n'est pas contraire à la morale, à la Constitution ou aux
lois. Le constateraient-ils qu'aucune sanction ne suivrait cette
constatation. On ne fermera jamais une Faculté libre des lettres, parce que
le professeur d'histoire aura attaqué avec la dernière violence la
Constitution de 1875, ni une Faculté libre de droit, parce qu'un professeur
de Code civil se sera élevé avec passion contre la loi de M. Naquet. Ces
attaques ne seraient pas réprimées dans une Faculté de l'Etat à plus forte
raison dans une Faculté libre. Le
titre II, concernant les associations fondées dans un dessein d'enseignement
supérieur, déclarait, dans l'article 10, que l'article 291 du Code pénal
n'était pas applicable à ces sortes d'associations ; elles peuvent, comme les
établissements d'enseignement supérieur, être reconnues d'utilité publique,
acquérir, contracter, recevoir des dons et des legs. Le
titre III, relatif à la collation des grades, établit un jury spécial, formé
de professeurs ou agrégés des Facultés de l'Etat et des Facultés libres la
présidence appartenant à un membre de l'enseignement public. Le
titre IV concerne les pénalités qui sont l'amende, la suspension du cours ou
de l'établissement pour trois mois, la fermeture du cours ou de
l'établissement, la citation devant le Conseil départemental de l'Instruction
Publique. Ce titre est un arsenal d'armes répressives qui n'ont jamais servi. Une
disposition transitoire, mise là pour sauvegarder, en apparence, les droits
de l'État, disait que le Gouvernement présenterait, dans le délai d'un an, un
projet de loi ayant pour objet d'introduire, dans l'enseignement supérieur de
l'État, les améliorations nécessaires. Nous verrons, en temps et lieu,
quelles améliorations furent reconnues nécessaires par M. Wallon. Telle
fut cette loi de l'enseignement supérieur libre, modifiée très peu de temps
après sa promulgation, dans son titre IH, relatif aux jurys mixtes, qui en
était, en effet, la partie la plus contestable. M. Challemel-Lacour l'avait
exactement caractérisée, dans la session de Décembre 1874 comme la loi du 15
Mars 1850, elle fut une loi de division et ses résultats ne la recommandent
pas plus que la loi de 1850. Les ennemis de l'enseignement laïque ne sont pas
parvenus à faire une science, ou une médecine, ou une pharmacie cléricale ils
sont parvenus à enseigner le droit, l'histoire, les lettres, contrairement
aux idées de la société laïque, contre laquelle ils sont à l'état
d'insurrection permanente. Ils ont réussi à détacher du parti libéral la
bourgeoisie éclairée et a la jeter dans les rangs de ceux qui subordonnent la
science à la foi et les libertés modernes au Syllabus. Le 21
Juin s'ouvrit la première délibération sur le projet de loi organique relatif
aux rapports des pouvoirs publics. Le projet, attaqué par Louis Blanc et par
Madier de Montjau, fut défendu avec une rare maladresse par le président du
Conseil. Las de la longue contrainte qu'il s'était imposée depuis trois mois,
M. Buffet interpella la Gauche, qui ne demandait qu'à le soutenir,
s'interpella lui-même, prodigua les éloges à l'administration décriée que lui
avaient léguée MM. de Broglie et de Fourtou et ; par cette provocation
inattendue, trahit un véritable trouble intellectuel. La Gauche subit ces
attaques avec une admirable impassibilité, et M. Laboulaye, rapporteur du
projet, fit valoir une fois de plus tous les sacrifices que la Gauche avait
consentis, pour amener la reconnaissance de la République en France, toutes
les erreurs politiques, comme le droit de révision, accordé aux deux
Assemblées et laissé à l'initiative du pouvoir exécutif, sans consulter la
nation, qu'elle avait sciemment consacrées par son vote. Pourquoi s'y
était-elle résignée ? C'est qu'elle voulait rendre à la France sa
souveraineté et lui permettre de se prononcer. « Nous nous sommes dit Faisons
abnégation de nous-mêmes, la Constitution sera ce que la France la fera. Une
Constitution n'est qu'un outil entre les mains d'une nation. Si la France est
républicaine, cette Constitution nous donnera la République si la France ne
veut pas de la République, la meilleure des Constitutions n'y fera rien.
Cette réponse directe à MM. Louis Blanc et Madier de Montjau en était une
indirecte et non moins décisive à M. Buffet elle lui montrait où étaient ses
vrais amis. Il en eut une nouvelle preuve dans cette même séance M. du Temple
attaqua M. Buffet et le Maréchal avec tant d'acrimonie qu'il fallut le
rappeler deux fois à l'ordre et lui retirer la parole, après un vote de
l'Assemblée. Dans l'émotion qui suivit cet incident, le passage à la deuxième
délibération du projet de loi fut voté sans scrutin, le 23 Juin. La
seconde délibération eut lieu quinze jours plus tard. A M. Marcon, qui avait
demandé la permanence des Assemblées, M. Buffet répondit par un discours
correct, conciliant, où il se maintint sur le terrain de la discussion
constitutionnelle théorique, sans faire la moindre incursion sur le terrain
politique. Aussi, l'amendement Marcon fut-il repoussé, par 588 voix contre
24. Un député de l'Extrême Droite fut plus heureux que le député de l'Extrême
Gauche. M. de Belcastel avait proposé cet amendement : « Le
dimanche qui suivra la rentrée, des prières publiques seront adressées à
Dieu, dans les églises et dans les temples, pour appeler son secours sur les
travaux des Assemblées. » M. Laboulaye fit judicieusement observer que
c'était aux futures Assemblées à régler, comme elles l'entendraient, leurs
rapports avec Dieu. Mais la Droite tenait à se prémunir contre l'indifférence
possible des futures Assemblées cent abstentions lui permirent de faire
passer l'amendement par 328 voix contre 246. Cette étrange disposition
disparaîtra de la loi constitutionnelle, par le fait d'Assemblées qui auront
justement reçu le secours d'en haut, réclamé par M. de Belcastel. Un autre
amendement de M. de la Rochefoucauld-Bisaccia, donnant au Maréchal seul le
droit de déclarer la guerre, fut repoussé par 428 voix contre 163 et, après
deux déclarations, l'une de M. de Kerdrel qui acceptait le fait accompli,
l'autre de M. de la Rochefoucauld qui le repoussait, le passage à la
troisième délibération fut voté par 826 voix contre 93. La
troisième délibération s'ouvrit le 16 Juillet, le même jour que la première
délibération sur la loi sénatoriale, et ne fut qu'une simple formalité. La
loi sur les pouvoirs publics fut adoptée définitivement, par 820 voix contre
84, et l'on passa sans scrutin à la seconde délibération de la loi
sénatoriale. Celle-ci avait pour rapporteur M. Christophle, qui soutint le
poids de la discussion en deuxième lecture, dans les séances du 23, du 24, du
26 et du 27 Juillet. M. Buffet, qui avait jeté le masque constitutionnel,
depuis le 18 Juillet, au cours d'une séance sur laquelle nous reviendrons,
s'en prit au rapporteur lui-même et à tout le Centre Gauche, qu'il s'efforça
de rejeter en dehors d'une majorité où il faisait place aux Bonapartistes. Le
président du Conseil voulait faire apporter aux droits des candidats, dans
les réunions pour l'élection des sénateurs, les restrictions les moins
justifiées. Le rapporteur opposa aux opinions du ministre de 1875 les
opinions du candidat de 1868 et termina par ces mots, d'une malice cruelle :
« Je connais trop la rare ténacité de M. le ministre de l'Intérieur dans
ses vues, pour n'être pas sûr de le retrouver pour allié, le jour où il
descendra du pouvoir. » M. Buffet, blême de fureur, riposta, dans un de
ces accès de colère, moins pardonnables chez le chef d'un Gouvernement que
chez tout autre : « Je n'étais pas votre allié avant d'être au
pouvoir, je ne le serai pas quand je l'aurai quitté. » Un bel éloge de
M. Dufaure n'effaçait pas, dans l'esprit des membres du Centre Gauche, si
modérés et si conciliants, l'effet produit par ces maladroites paroles. Il
fallait que le Garde des Sceaux montât chaque jour à la tribune, après le
ministre de l'Intérieur, qu'il reprit en sous-œuvre les questions déjà
traitées, qu'avec son bon sens vigoureux et sa loyauté constitutionnelle il
réparât les plus grosses maladresses de son collègue. L'Assemblée passa sans
scrutin à la troisième délibération, le 27 Juillet et, le 2 Août, au vote définitif.
La loi d'organisation sénatoriale fut adoptée par 533 voix contre 72[1]. C'est le rapporteur de cette
loi, M. Christophle, qui a le mieux fait comprendre, dans sa profession de
foi du 20 Février 1876, aux électeurs de Domfront, le vice d'une situation
que l'humeur chagrine et les défiances politiques de M. Buffet avaient créée.
« Le mal dont nous avons souffert, disait-il, n'a guère eu d'autre cause
qu'une classification arbitraire et imprudente des partis. Ceux qui voulaient
détruire l'œuvre du 25 Février se sont intitulés Conservateurs on a appelé
Révolutionnaires ceux qui voulaient en faire l'épreuve sincère et loyale. »
M. Christophle augurait, le 20 Février 1876, que cette équivoque, source
funeste de confusions, entretenues avec une perfidie passionnée, allait
bientôt cesser. Elle avait commencé dès le premier jour du ministère Buffet,
elle avait éclaté à tous les yeux le lo Juillet et elle était t'œuvre voulue,
préméditée, exclusive de M. Buffet. Le 13
Juillet, sur un nouveau rapport de M. Savary, l'élection de la Nièvre avait
été enfin abordée. La Commission proposait l'invalidation, à l'unanimité
moins une voix elle fut votée par 330 voix contre 310, à la suite d'une
vigoureuse attaque de M. Goblet et d'une défense très modérée de M. Ph. de
Bourgoing. Après l'invalidation, M. Raoul Duval interpelle le Gouvernement
sur la conduite qu'il tiendra envers les Bonapartistes. M. Buffet répond
qu'il fera respecter la loi par tous les partis et M. Dufaure déclare que le
Gouvernement se rallie à l'ordre du jour pur et simple. M. Rouher demande la
parole contre l'ordre du jour pur et simple et la séance est renvoyée au
lendemain. Le
lendemain, 14 Juillet, le discours de M. Rouher tint toute la séance.
L'orateur bonapartiste ne parvint pas à détruire la démonstration accablante
de M. Savary dans son rapport, de M. Léon Renault dans sa déposition, de M.
Imgarde de Leffenberg, procureur général, dans son ordonnance de non-lieu ni
surtout à établir sa véracité, quand il avait nié, en pleine Assemblée,
l'existence du Comité central de l'appel au peuple, Comité qu'il présidait.
Le faux fuyant auquel eut recours l'ex-vice-Empereur, en déclarant que son
démenti ne portait pas sur l'existence du Comité, mais sur son rayonnement,
ne trompa personne. M. Rouher avait une façon d'être véridique qui ne faisait
tort qu'à lui-même en 1875 sous l'Empire, on sait où ce système de
restrictions mentales conduisit la France. Le 15 Juillet M. Savary fit à M.
Rouher une réponse écrasante et M. Haentjens répliqua, sans conviction comme
sans vigueur, à M. Savary. C'est alors qu'intervint M. Buffet et cette
intervention eut pour résultat de transformer ces trois journées en un
véritable succès parlementaire pour les Bonapartistes. Ils étaient convaincus
de conspiration contre l'ordre de choses établi ils avaient des complices
dans l'administration, dans l'armée, dans la police et le président du
Conseil d'un Cabinet républicain les conviait à se substituer, dans la
majorité, aux Républicains les plus avérés et aussi les plus modérés :
ils n'y manquèrent pas et le 15 Juillet, qui devait voir leur écrasement, vit
leur triomphe. Il est vrai que cette même journée classa définitivement M.
Buffet au nombre des ennemis implacables de la République ce fut une
compensation. Une grande clarté plana désormais sur une situation que le
président du Conseil avait obscurcie à dessein. M.
Buffet était monté à la tribune, après M. Haentjens, sous prétexte de
défendre le préfet de police, M. Léon Renault, que le précédent orateur
n'avait pas ménagé. Avec une impertinence que le duc de Broglie lui eût
enviée, il déclara qu'il attendrait d'être rendu aux loisirs de la vie
privée, pour lire les deux volumes de l'enquête parlementaire. Il avait
pourtant jeté les yeux sur la déposition du préfet de police, que ces deux
volumes reproduisaient avec beaucoup d'autres, et il lut un passage où M. Léon
Renault, comme c'était son devoir, indiquait le double périt que courait la
Constitution, aux prises avec le Bonapartisme à l'intérieur, avec ta
Démagogie révolutionnaire à l'extérieur et M. L. Renault citait les villes
d'Europe où les démagogues se livraient à leurs déclamations habituelles
Londres, Bruxelles, Genève. Après avoir indiqué cette ville M. Buffet prononça
ces mots, en se tournant du côté de la Gauche : « Et je pourrais
ajouter, plus près encore. » Pour
comprendre la portée et la perfidie de ces paroles, il faut se rappeler que
la ville de Lyon subissait la tyrannie tracassière et policière, aussi
odieuse aux Conservateurs qu'aux Républicains, du proconsul Ducros, le plus
étonnant des préfets que l'ordre moral ait inventés, imposés aux populations
et soutenus envers et contre tous. Il faut se rappeler que M. Ducros, au lieu
de faire de l'administration, faisait de la police et qu'il en faisait avec
des agents décriés, un Coco, un Bouvier dans lesquels il avait une aveugle
confiance. Un procès, intenté à une association électorale, la Permanence,
n'avait pu l'être qu'avec de fausses lettres de MM. Gambetta, Spuller, Jules
Simon qui avaient été fabriquées par Bouvier et qui lui valurent une
condamnation à trois ans de prison. Evidemment M. Buffet accordait la même
confiance que M. Ducros, le préfet-type, aux renseignements provenant de
cette source suspecte et, comme pour souligner son accusation, il termina son
discours par cette péroraison : « Les périls ne viennent pas d'un
seul côté, il y a un autre côté, dont on n'a pas parlé dans cette discussion
et d'où peut venir, c'est ma conviction profonde, appuyée sur un examen
approfondi et complet de cette situation, un péril plus grave encore. »
L'autre côté, c'était évidemment le côté gauche de l'Assemblée ; le péril
plus grave, il résultait évidemment des prétendues relations de M. Gambetta
avec la Permanence, inventées par Bouvier et admises par MM. Ducros et
Buffet. La
rupture solennelle du ministre de l'Intérieur avec la Gauche produisit un «
mouvement prolongé » dans l'Assemblée tout le monde sentait que le brillant
orateur de la Démocratie, traité de démagogue, allait porter a l'imprudent
ministre quelques-uns de ces coups dont un homme politique ne se relève
jamais. Sans doute Gambetta aurait pu rester immobile et muet sur son banc.
M. Dufaure était monté à la tribune après M. Buffet et, défendant M. Imgarde
de Leffenberg, comme M. Buffet avait défendu M. Léon Renault, mais par
d'autres moyens, il avait ramené l'attention de l'Assemblée sur le vrai
péril, sur le périt bonapartiste. La Gauche l'avait salué d'applaudissements
unanimes, mais elle attendait qu'une main hardie vint déchirer les voiles.
Jamais M. Gambetta ne fut mieux inspiré que dans sa réponse a. M. Buffet,
jamais il ne fut plus digne des sympathies et des suffrages de la France,
amoureuse de clarté et de loyauté, que dans la séance où sa parole vengeresse
fit entendre de si dures vérités aux Bonapartistes et à leur protégé du 24
Mai 1873, devenu leur protecteur da 13 Juillet 1875. « La
déclaration du Gouvernement ne nous semble ni satisfaisante ni complète... Il
n'est personne ici qui ignore qu'il y a un parti, le parti du 24 Mai, qui a
gangrené la France de Bonapartistes... L'apologie (des
Bonapartistes) a
trouvé un orateur il s'appelle M. Buffet. Eh bien, je dis que l'heure est
venue d'en finir avec les hésitations, les équivoques, les malentendus... Je
dis que nous avons accumulé les concessions... Il ne faut pas qu'à l'abri de
ces concessions, d'autres viennent se glisser dans la place, pour servir les intérêts
de la faction détestée dont l'horreur et le dégoût avaient un jour réuni tous
les bons citoyens dans cette Assemblée... Devant une coalition aussi
honteuse, toutes les équivoques doivent disparaître et chacun doit reprendre
son rôle. Ce Gouvernement, au nom duquel vous avez le droit d'exiger le
respect et l'obéissance de tous, savez-vous ce qu'il exige de vous, de nous tous
? Il exige qu'à côté de l'obéissance que nous vous donnons, vous nous donniez
la protection et la sécurité pour la France... Le ministre de l'Intérieur
s'est empressé de se tourner de notre côté et de chercher à établir une
confusion contre laquelle je viens protester... M. le préfet de police s'est
expliqué sur le parti révolutionnaire. Eh bien, je n'ai qu'un mot à dire nous
n'en sommes pas... Tous mes amis qui siègent sur les bancs de la Gauche sont
les seuls défenseurs de la Constitution républicaine. Les responsables, ce
sont ceux qui ont voulu gouverner la France avec le concours, avec le
contingent des hommes néfastes qui avaient perdu la France. Le pays ne
chargera qu'une tête de cette responsabilité M. de Broglie et ceux qui lui
ont succédé. » Pendant
cet admirable discours si modéré au fond, sous l'apparente violence de la
forme, et si gouvernemental, puisque la Constitution était défendue, puisque
seuls ceux qui l'appliquaient si mal étaient attaqués, M. Buffet avait
interrompu plusieurs fois, pour affirmer qu'il n'avait pas voulu designer la
Gauche, en prononçant les six mots désormais fameux : « Et plus
près de nous encore. » Si ces six mots ne désignaient pas la Gauche, ils
n'avaient pas de sens et on ne pouvait admettre qu'ils eussent échappé à un
orateur aussi maitre de sa parole que M. Buffet. Cette maîtrise de la parole
et cette possession de soi-même, il les manifesta surabondamment, dans la réplique
très habile qu'il fit à M. Gambetta mais il justifia, en même temps, toutes
les incurables défiances de la Gauche à l'endroit de l'héritier, du
continuateur, du restaurateur de la politique du 24 Mai. Il commença par un
éclatant hommage rendu à M. Dufaure. S'il est une chose qui m'étonne, dit-il,
avec une modestie qui n'était pas feinte, c'est qu'il ne soit pas au-dessus
de moi. Il affirma l'étroite solidarité qui unissait tous les membres du
Cabinet et répéta que la Déclaration du 12 Mars était t'œuvre collective de
tous ses collègues. Il fit des avances significatives à M. de Kerdrel et aux
membres de la Droite, qui avaient voté le passage à la troisième délibération
de la loi sur les pouvoirs publics. Puis, reprenant le ton raide et
provoquant qui lui était habituel, il présenta de nouveau la défense des
fonctionnaires de t'ordre administratif, considérant comme le plus grand
service rendu à la cause conservatrice, la résistance absolue, inflexible,
opposée par lui à ceux qui voulaient lui faire sacrifier l'administration.
D'ailleurs, on lui avait dénoncé comme Bonapartistes des fonctionnaires qui
tenaient leur investiture du 4 Septembre. En terminant, M. Buffet, qui savait
bien que la Gauche, crainte de pis, ne voterait pas contre un Cabinet qui
comptait parmi ses membres MM. Dufaure, Léon Say, Wallon, défiait M. Gambetta
d'apporter un ordre du jour de défiance. M.
Gambetta ne donna pas dans ce piège grossier. Il répondit qu'il ne mêlerait
pas les questions il rappela l'attention de la Chambre sur les Bonapartistes,
seuls en cause, il reprocha au ministre de n'avoir pas lu les pièces de
l'enquête et lui demanda, sans obtenir de réponse, contre qui, sinon contre les
Républicains, il voulait exercer et pratiquer sa politique de résistance. L'ordre
du jour pur et simple, que le Garde des Sceaux avait accepté l'avant-veille,
ne pouvait plus être appuyé par le Gouvernement, après la lutte entre M.
Buffet et M. Gambetta il ne réunit que 264 voix de la Gauche contre 392 un
ordre du jour de confiance, présenté par M. Baragnon accepté par le
Gouvernement et personnellement par M. Dufaure, réunit 444 voix contre 2.
Tous les Bonapartistes avaient voté pour la majorité du 23 Février était
dissoute. Après ces trois journées de discussion politique vinrent les
séances consacrées aux dernières délibérations sur les lois constitutionnelles
complémentaires, et l'Assemblée eut à se prononcer sur la durée de ses
vacances, qui impliquait la date de sa séparation. Dès le 16 Juillet, un
obscur député, M. Malartre, qui s'était réservé la spécialité de proposer des
vacances et de longues vacances, avait demandé que la prorogation fût fixée
immédiatement après le vote du budget de 1876 et s'étendît jusqu'au 30
Novembre. Si l'Assemblée ne reprenait ses séances que le 1' Décembre, il ne
lui serait pas possible d'expédier, dans le courant du dernier mois de 1875,
les lois urgentes, y compris la loi électorale, qui n'avait subi qu'une
première lecture, et sa dissolution se trouverait ajournée au printemps de
1876. Le Gouvernement ne se prêta pas à un retard aussi long, pour la mise en
œuvre de.la Constitution du 25 Février. M. Dufaure s'engagea publiquement, le
22 Juillet, à fixer, dès la rentrée, la date des élections générales, si
cette rentrée avait lieu le S Novembre. M. Dufaure, qui ne cherchait pas la
même majorité que M. Buffet, avait l'oreille de la Gauche sa proposition fut
acceptée et la prorogation fut fixée du 4 Août au 4 Novembre, par 445 voix
contre 145. Le 29 Juillet fut nommée la Commission de permanence, qui ne
compta que 10 Républicains sur 25 membres. C'était encore là un des résultats
du changement qui s'était accompli le 15 Juillet. La
discussion du budget de 1876 fut un peu brusquée, au milieu de ces
discussions politiques et du vote des lois nécessaires avant la prorogation.
Mais, sous l'Assemblée nationale, la Commission du budget était si bien
composée et si laborieuse que le vote en séance publique, à la différence de
ce qui s'est passé depuis, n'était plus qu'une formalité. Les grandes
discussions s'établissaient, d'ailleurs, sur les impôts nouveaux, beaucoup
plus que sur le budget lui-même. Celui de 1876 avait été préparé par M.
Mathieu Bodet, prédécesseur de M. Léon Say au ministère des Finances. Il
prévoyait 2.616.602.924 francs de dépenses, soit 32.180.093 francs de plus
qu'au budget de 1875, s'appliquant surtout à la dette publique et à la
guerre, avec une insuffisance de 88.402.047 francs, vu les prévisions de
recettes. Pour trouver ces 88 millions et demi, M. Mathieu Bodet diminuait
d'abord de 21 millions l'évasion par la fraude des revenus de l'Etat. Restait
à trouver 67.402.047 francs : il proposait72.140.485 fr. d'impôts nouveaux
sur la contribution mobilière, les douanes, les contributions indirectes et
l'enregistrement. Son projet ne vint pas en discussion, mais ses propositions
furent acceptées en majeure partie par l'Assemblée. Le 11
Mai 1875 M. Léon Say présenta un nouveau projet de budget ; il
demandait2.569.296.715 francs ; soit, en apparence, 47.306.209 francs de
moins que M. Mathieu Bodet mais en réalité 35.643.884 francs de plus, parce
qu'il se proposait de ne rembourser à la Banque de France que 156.900.000
francs au lieu de 207.700.000 francs, chiffre de M. Mathieu Bodet. Aussi ne
demandait-il à l'Assemblée que 62 millions de taxes nouvelles. Son budget se
soldait avec un excédent de 4.112.870 francs. M. Wolowski rapporteur général
de la Commission du budget, et la majorité de cette Commission furent en
parfait accord avec le ministre des Finances. L'auteur de la Gestion conservatrice
et la Gestion républicaine jusqu'aux conventions, M. Amagat, leur
reproche d'avoir pratiqué ensemble la politique qui consistait à emprunter à
la Banque de France pour la rembourser d'avoir diminué systématiquement les
évaluations de recettes de l'exercice 1876, pour être en droit de diminuer
d'autant le chiffre de l'amortissement. La critique de M. Amagat était fondée
sur un point les évaluations de recettes furent minorées mais pouvait-on
prévoir, le 11 Mai 1875, que les recettes dépasseraient les évaluations de
près de 100 millions ? On ne connaissait alors que les résultats de
l'exercice 1874, qui accusaient encore un déficit de 75 millions. Nous avons
dit de quel poids la guerre de 1870-1871 et la Commune avaient pesé sur la
France, augmenté sa dette et atteint ses ressources. En 1872, malgré la
création de 400 millions d'impôts nouveaux, le déficit avait été de 425
millions en 1873, il était réduit à 288 en 1874 il n'était plus que de 75
millions et en 1875, la première année ascendante, l'excédent montait à 73
millions, pour s'élever a98.291.105.28 en 1876. Une politique financière qui
donne de pareils résultats, quelles que soient les critiques de détail
qu'elle peut soulever, mérite d'être hautement approuvée, et M. Léon Say, qui
fut ministre des Finances sous M. Thiers et sous le Maréchal de Mac-Mahon, a
droit, avec ses collaborateurs de la Commission du budget, à des éloges sans
restriction. Il avait fallu pratiquer des économies sévères, sur tous ceux
des services qui n'intéressaient pas la défense nationale, pour arriver à ces
excédents c'est l'abandon de cette politique qui les a fait disparaître. La
mention de la loi de Finances de 1876 ne saurait nous dispenser d'indiquer et
d'apprécier, d'un mot, un grand nombre d'autres lois, dont le vote des lois
politiques ne peut effacer le souvenir, et qui toutes furent discutées avec
le sérieux qu'elles méritaient. Nous
avons rappelé la loi sur le régime cellulaire et sur les prisons
départementales, loi moralisatrice par excellence, mais qui eût nécessite une
dépense de cent millions pour être appliquée sans retard. La discussion de la
loi sur les nouvelles voies ferrées mit aux prises les grandes et les petites
Compagnies, toujours rivales, et les intérêts électoraux non moins opposés.
Le ministre des Travaux Publics, M. Caillaux, défendit énergiquement les
Intérêts des grandes Compagnies qui furent généralement mises en possession
des lignes dites d'intérêt local, concédées directement par les départements,
en vertu d'un article mal interprété de la loi Waddington, et qui auraient
constitué un septième réseau, soustrait à la tutelle de l'Etat,
nu-propriétaire de la totalité des chemins de fer français. Cette interminable
discussion fut à peine interrompue par le vif et unanime mouvement de charité
que provoqua, dans le courant de Juin, l'épouvantable inondation de la
Garonne, du Tarn et de l'Adour. L'Assemblée vola 100.000 francs pour les
inondés, le 24 Juin, et deux millions le 26. La souscription ouverte par la
duchesse de Magenta produisit une somme considérable et qui permit la
réparation des pertes matérielles ; mais plus de 1.000 personnes avaient
péri. D'autres
lois, non moins importantes, furent votées à la fin de la session d'été la
loi sur le traitement des instituteurs et institutrices la loi sur
l'établissement de la Grande Ceinture autour de Paris ; celle qui stipulait
une Convention avec la Compagnie des Messageries maritimes pour les
transports postaux et enfin celle qui modifiait un des points les plus
contestés de la loi 'Waddington. La loi sur les traitements des instituteurs
et institutrices, connue sous le nom de son auteur, M. Maurice, imposa au
budget une surcharge de 1.200.000 francs, sans augmenter dans une proportion
sensible les dérisoires traitements de l'enseignement primaire. Les
Messageries maritimes durent étendre leur service postal à la Méditerranée, à
l'Atlantique et aux mers de l'Indochine. La construction de la Grande
Ceinture fut confiée à un Syndicat formé par le Nord, l'Est, le
Paris-Lyon-Méditerranée et l'Orléans. Enfin le droit de vérifier les
élections aux Conseils généraux, que la loi Waddington avait accordé aux
assemblées départementales, fut transporté au Conseil d'Etat dont
l'indépendance ne pouvait être mise en doute. Le 4
Août, après une laborieuse session, commençaient les dernières vacances de
l'Assemblée élue le 8 Février. Le Gouvernement n'avait pas à craindre,
pendant ces trois mois, l'éventualité d'élections républicaines, grâce au
vote de la proposition Courcelle il avait à redouter les surprises
désagréables que lui réservaient ses récents alliés du parti de l'appel au
peuple, ou les adhésions que ses amis de la première heure, convertis par
l'évidence, pouvaient donner aux lois constitutionnelles et à la République.
Quand nous parlons du Gouvernement, c'est au seul ministre de l'Intérieur que
nous faisons allusion, la plupart de ses collègues ne pouvant voir qu'avec
satisfaction le progrès des idées constitutionnelles. Pendant le mois d'Août,
la session des Conseils généraux fut marquée par l'élection à la présidence
de Républicains très modérés, dans les départements des Hautes-Pyrénées, de
la Gironde, du -Loir-et-Cher et de la Haute-Marne. Dans la Dordogne, l'ancien
ministre des Finances du 24 Mai, M. Magne, n'hésita pas à parler du respect
que tous les bons citoyens devaient aux lois constitutionnelles et courage
plus méritoire, à rappeler la sagesse du Gouvernement de M. Thiers, qu'il
représenta comme le type du Conservateur libéra). M. de Broglie, dans l'Eure,
avait la rancune plus tenace et déclarait que personne n'avait sauvé la
France ni libéré le territoire. Au mois
de Septembre eut lieu, du 2 au 30, une intéressante expérience militaire. Les
hommes de la classe 1867, qui finissaient leur temps de réserve et étaient
sur le point d'entrer dans la territoriale, durent répondre à un appel, le
premier qui ait été adressé à cette catégorie de disponibles. Pendant
vingt-huit jours 60.000 hommes purent s'exercer ; sans que cette levée
extraordinaire excitât, dans la presse allemande, si chatouilleuse cinq mois
auparavant, le moindre commentaire malveillant. Les Allemands, toujours
exactement renseignés, savaient d'ailleurs fort bien tout ce qui manquait
encore à notre armée, pour être au niveau de la leur. Ils savaient que notre
Etat-major et notre Intendance avaient échappé à la réforme législative que
le général de Cissey, un brave soldat, n'avait ni la main assez ferme, ni des
convictions assez fortes pour triompher de la routine et de la nonchalance
que nos compagnies étaient de plus en plus maigres, en dépit de la loi des
cadres ; que les bureaux et l'Ultramontanisme avaient toujours la même
persistante et déplorable influence et que leur idéal militaire était
l'assistance solennelle des soldats aux offices. Seules la loi de
recrutement, la loi d'organisation et la loi des cadres, en multipliant le
nombre des officiers instruits, avaient réalisé un sérieux progrès. C'est
en Septembre que le « Parlement hors session » eut le plus
d'activité, que les principaux leaders de chaque parti firent connaître dans
des discours très retentissants, en ce grand silence des vacances, les vues,
les doctrines de leurs groupes ou leurs visées et espérances personnelles. M.
Naquet, un dissident de l'Extrême Gauche, qui n'avait pas voté la Constitution,
M. Naquet, le futur théoricien du Boulangisme, exposa le programme des
Républicains intransigeants, programme à la fois politique, social,
économique et religieux, qui comportait une Assemblée unique, un Chef de
l'exécutif toujours révocable, le rachat par l'Etat des monopoles banque de
France, mines et chemins de fer, l'impôt sur le revenu, la séparation des
Eglises et de l'Etat et le divorce. Ce programme rouge, dont aucun article
n'aurait réuni, nous ne disons pas la majorité, mais une minorité
respectable, ni dans l'Assemblée, ni dans le pays, avait le très grave défaut
d'être inapplicable d'abord et ensuite de justifier les hésitations de
Constitutionnels, comme MM. de Broglie et Buffet, à s'engager franchement
dans les voies nouvelles. M. de Broglie y faisait bien un premier et un tout
petit pas, en consentant à reconnaître les talents et les services de M.
Thiers ; M. Léonce de Lavergne y faisait de grandes enjambées, en acceptant
résolument le suffrage universel M. Buffet n'osait pas même se mettre en
route, ou, s'il s'y mettait, comme le 19 Septembre, à Dompaire, c'était pour
rétrograder aussitôt, pour refuser de s'engager dans une politique qui, «
sans être encore la politique révolutionnaire, frayerait la voie à celle-ci
et lui servirait de préparation et de transition ». Les actes
du vice-président du Conseil valaient parfois mieux que ses paroles la
solidarité du Cabinet, qu'il avait affirmée, n'était pas toujours un vain mot
et elle s'exerça, de la plus heureuse manière, dans une affaire qui, tout en
concernant le ministre de la Marine, se rattachait à la politique générale.
Dans un banquet bonapartiste donné à Evreux, le 6 Septembre, M. Raoul Duval
s'était livré à une attaque sans mesure contre la Constitution. Cette
diatribe aurait passé inaperçue, comme tant d'autres, si un officier générât
en activité de service, le vice-amiral La Roncière-le Noury, commandant en
chef l'escadre de la Méditerranée, n'eût envoyé, à titre de conseiller
général de l'Eure, son adhésion chaleureuse à M. Raoul Duval et affirmé, dans
une lettre rendue publique, que « la formule de son Gouvernement
interdisait à la France de reprendre sa place dans le concert européen ».
La lettre était du 7 Septembre. Le 9, l'amiral La Roncière-le Noury, déchu de
son commandement, était remplacé par le vice-amiral Rose. Personne, en dehors
des Bonapartistes, n'osa prendre sa défense et, à un comice agricole, tenu
dans le même département de l'Eure, le sous-secrétaire d'Etat aux Finances,
M. Louis Passy, répondit victorieusement à l'amiral révoqué que la France avait
reconquis les sympathies de l'Europe et qu'elle était invitée, en ce moment
même, à prendre sa part du règlement pacifique de la question d'Orient. « Ces
sympathies ne valent-elles pas mieux qu'une alliance secrète et trompeuse,
qui vous laisse isolé devant l'Europe coalisée ou indifférente ? M. Louis
Passy aurait pu ajouter que le vote d'une Constitution républicaine, le 25
Février1873, n'avait pas fait obstacle, trois mois plus tard, à
l'intervention en notre faveur des deux plus grandes Monarchies du monde,
l'Angleterre et la Russie. La
dernière et la plus remarquée des manifestations du Parlement hors session
fut le discours que M. Léon Say adressa aux maires du canton de l'Isle-Adam,
qu'il avait réunis dans un banquet, au château de Stors. Après le toast t
loyal au Président de la République, le ministre des Finances s'était
félicité que l'ancienne majorité se fût dissoute, qu'une nouvelle majorité se
fût formée, et il avait appelé à soutenir le Maréchal « les hommes modérés,
qui n'ont pas été dégoûtés de la liberté par les crimes que l'on a commis en
son nom, qui ont foi dans le Gouvernement du pays par le pays, qui
représentent, en un mot, l'idée moderne ». Ces affirmations libérales ne
pouvaient être accueillies par l'autoritaire qu'était M. Buffet et il refusa
d'abord de laisser insérer dans le Journal officiel le discours de M.
Léon Say. Lorsqu'il s'y résigna, après des pourparlers qui faillirent amener
la dislocation du Cabinet, il fit suivre les paroles de son collègue d'une
lettre explicative, ou celui-ci, tout en revendiquant l'entière
responsabilité de son langage et de ses doctrines, déclinait celle des
conséquences que les journaux des différents partis avaient cru pouvoir en
tirer. Pour mieux faire équilibre, M. Buffet inséra, dans le même Journal
officiel, un toast de M. Caillaux, qui en était resté à la pure doctrine
du Septennat personnel. Ces
dissentiments prouvaient à l'évidence que le Cabinet manquait d'homogénéité.
M. Buffet ne se résignait à faire une concession à MM. Dufaure, Léon Say,
Wallon, Decazes et même de Meaux, qui fut très correct dans cette
administration divisée, que lorsque la résistance lui était impossible,
lorsque les journaux mêmes de son parti, comme le Journal de Paris,
désapprouvaient son attitude. C'est ainsi qu'il dut, le 6 Octobre, déplacer
le préfet de Lyon, M. Ducros. Cette fois encore, il ne céda qu'à moitié et de
mauvaise grâce il rétablit, au profit du préfet disgracié, mais resté digne
de toute sa confiance personnelle, le poste inutile de directeur de l'Algérie
au ministère de l'Intérieur. Quelques jours après, il était forcé de révoquer
un autre de ces fonctionnaires, 'qu'il couvrait de sa protection obstinée. M.
Rouher, conseiller général de la Corse, avait présidé, à Ajaccio, une réunion
bonapartiste et, s'abritant sous la clause de la révision, avait dirigé
contre la Constitution des critiques aussi vives que légales. Le maire
d'Ajaccio, M. Forcioli, fut révoqué, pour avoir assisté a. ce meeting en
costume de réserviste. Le
ministre de la Guerre, qui ne voûtait pas voir les réservistes dans les
réunions publiques, tolérait parfaitement les tournées de conférences que
faisaient certains capitaines-députés, comme M. de Mun, et dont le principal
résultat était d'introduire dans l'armée un catholicisme militant et
intolérant avec le mépris de la souveraineté nationale. Les doctrines de M.
de Mun, à ce point de vue, ne différaient pas de celles du R. P. Sambin qui
disait, au Congres catholique de Poitiers : « L'origine du mal social
est dans la perturbation de la notion du droit. Cette perturbation provient
de la proclamation de la souveraineté directe, inaliénable, de la nation.
D'après ces principes, le pouvoir ne descend plus de Dieu, sa source
première, mais du Peuple qui le délègue à ses gouvernants. La loi n'est plus,
en conséquence, que l'expression de la volonté générale. » Cette
excellente définition de la loi n'est, pour le R. P. Sambin et pour toute
l'École ultramontaine, que la plus condamnable des hérésies. Les
deux grands orateurs et les deux grands hommes d'Etat du parti républicain se
firent entendre les derniers dans cette consultation politique, que la
France, incertaine de l'avenir, écoutait avidement, M. Thiers à Arcachon et
M. Gambetta dans une lettre adressée à des électeurs lyonnais. M. Thiers,
après une allusion transparente a l'exclusivisme du ministre de l'Intérieur,
qui n'admettait, au service de la République, « que ceux qui n'ont
jamais voulu d'elle et qui n'en veulent même pas aujourd'hui, » donnait
la définition du vrai Conservateur et montrait quelles transformations
s'étaient opérées dans l'esprit public européen il prouvait que « tout
le monde était l'allié de tout le monde, pour le maintien du repos des
nations ». M. Gambetta justifiait la politique de conciliation et de prudence
suivie par les Républicains qualifiés de Radicaux, qui avaient accepté pour
guides des hommes comme MM. Thiers, Casimir-Périer et Léonce de Lavergne,
écartait du programme des futures Assemblées toute révision constitutionnelle,
n'assignait pour but à leurs efforts que la réorganisation financière,
l'achèvement de l'organisation militaire et, comme nouveautés, que
['établissement d'un impôt sur le revenu et d'un système d'éducation
nationale. Ce programme ne se ressentait des anciennes alliances que par le
vague des indications relatives aces deux derniers points et par la demande,
assez inopportune en ce moment, d'une amnistie en faveur des adhérents de la
Commune. Pendant
que tous les hommes politiques exposaient leurs vues, leurs espérances d'avenir,
le ministère était travaillé par de sourdes dissensions. Le Journal des
Débats, l'organe autorisé du ministre des Finances, reconnaissait qu'il
n'y aurait jamais, dans la Chambre actuelle, de majorité pour fonder une
politique ministérielle. M. Buffet ne cherchait, en effet, qu'une question
sur laquelle il pût jouer l'existence du Cabinet dont il était le chef et le
dissolvant. Il avait cru l'avoir trouvée dès le mois de Juin toutes les
Gauches s'étaient engagées sur le scrutin de liste et en sa faveur M. Buffet,
fort incorrectement, avait fait annoncer par l'Agence Havas que
le Maréchal et le Gouvernement tenaient pour le scrutin d'arrondissement.
Dans la séance qui fut tenue le 16 Octobre, par la Commission de permanence,
le ministre de l'Intérieur annonça qu'il demanderait, dès la rentrée, la mise
à l'ordre du jour de la loi électorale et qu'il se retirerait si le scrutin
de liste était voté. La
tactique était habile, puisque MM. Thiers et Dufaure, dans l'exposé des
motifs de leur projet de Constitution, déposé les 19 et 20 Mai 1873, avaient
fait valoir les meilleurs arguments en faveur du scrutin d'arrondissement
mais, de la part de M. Buffet, cette préférence, très légitime du reste,
Annoncée si longtemps à l'avance, n'indiquait que le désir de diviser les
Gauches et de faire une majorité en dehors d'elles. Le vice-président du
Conseil n'attendait pas la rentrée pour commencer l'attaque. Les Conservateurs
dont il était le chef ignoraient encore, comme les Républicains, d'ailleurs,
que les grandes victoires républicaines devaient toujours être assurées par
le scrutin uninominal, les grandes victoires de la réaction par le scrutin
plurinominal. La fin
des vacances parlementaires fut signalée, à l'intérieur, par l'ouverture du
Conseil Supérieur de l'Instruction Publique que M. Wallon avait fixée au 26
Octobre, afin d'être libre pour les travaux de l'Assemblée. Dans son discours
d'inauguration, le ministre présenta une défense timide de l'enseignement
supérieur public et annonça que, pour le mettre en mesure de lutter contre
l'enseignement supérieur libre, il songeait à revenir à l'institution des
agrégés de Facultés des lettres et de Facultés des sciences. Quelques jours
après, un décret du 2 Novembre instituait trente-six places d'agrégés près
des Facultés des lettres et des Facultés des sciences et un arrêté
ministériel fixait la composition des jurys et les programmes très larges des
concours. Les Facultés libres se contentaient de confier l'enseignement à des
docteurs les Facultés de l'Etat ne le confieraient qu'a des docteurs, qui
seraient de plus agrégés. Les
concours institués par M. Wallon n'eurent pas lieu, faute de concurrents
c'était une illusion de croire que l'on pouvait relever le niveau de
l'enseignement supérieur publie, en instituant un examen de plus. Une mesure
plus efficace fut la création de chaires nouvelles à Marseille, Clermont,
Poitiers, Grenoble et Caen, d'une Faculté de Droit à Lyon et d'une Faculté de
Médecine à Lille. Mais ces créations, décidées au hasard, quand les
municipalités s'engageaient à en faire les frais, n'indiquaient pas une
conception très nette de la fonction et du rôle de l'enseignement supérieur
dans une Démocratie, non plus qu'une idée très arrêtée de la lutte qu'il y
avait à soutenir contre les nouvelles Facultés libres. Était-il prudent de
disséminer ses efforts, de disperser ses ressources, quand les Facultés
libres concentraient les uns et les autres à Paris, à Lyon, à Lille et à
Angers ? Non
content d'user des facilités que la loi sur l'enseignement supérieur lui
avait données, le clergé songeait à pousser plus loin ses avantages, et
l'évêque d'Angers, l'un des plus ardents fondateurs d'Université catholique,
se plaignait que la liberté lui eût été mesurée avec une parcimonie
affligeante pour beaucoup de bons esprits. « C'est à l'avenir, ajoutait-il, à
combler les lacunes du présent. Obligé, par ses fonctions officielles, à une
certaine réserve, l'évêque d'Angers se gardait bien de laisser entrevoir le
but qu'il poursuivait. Les laïques étaient tenus à moins de ménagements et M.
Aubineau écrivait dans l'Univers : « Nourri par
l'Université, nous connaissons à fond sa perversité. Le seul souhait que nous
puissions faire à son sujet, c'est que ses maisons soient à jamais détruites
et que ses chaires s'effondrent, sous le mépris et le dégoût publics. » Les
attaques de cette violence ne sont pas dangereuses les insinuations formulées
tout bas, les calomnies murmurées à l'oreille le sont bien davantage et,
contre ces dernières, l'Université ne s'est peut-être pas suffisamment
défendue. La diminution de ses effectifs, non pas dans l'enseignement
supérieur, où elle ne redoute aucune concurrence, mais dans l'enseignement
secondaire, prouve l'inefficacité du dédain transcendant qu'elle s'est
contentée d'opposer à des ennemis aussi acharnés que dépourvus de scrupules. A
l'extérieur, durant ces trois mois, notre diplomatie n'était pas restée
inactive. Au mois d'Août, le Président de la République avait rendu une
sentence arbitrale favorable au Portugal, au sujet des prétentions de cette
puissance et de l'Angleterre sur un territoire de la côte africaine. La
France, après l'insurrection de l'Herzégovine et de la Bosnie, s'était jointe
aux puissances signataires du traité de Paris pour faire accepter a la Porte
une médiation qui ne fut pas repoussée, le Sultan, s'étant engagé a suivre
les conseils des puissances, « dans les limites de sa propre dignité ».
Le 20 Octobre eut lieu à Milan une entrevue de l'Empereur Guillaume et du Roi
d'Italie tout rapprochement entre les deux États était de nature à inquiéter la
France mais l'absence du Chancelier allemand enlevait l'entrevue des
souverains presque toute portée politique. La visite de Guillaume, de pure
courtoisie, pouvait tout au plus passer pour un encouragement à l'unité
italienne qui était bien faite et faite contre nous. Le
ministre des Affaires étrangères, le duc Decazes, qui se rangeait, à cette
époque, du côté des partisans sincères de la Constitution à l'intérieur,
portait a l'extérieur le poids de ses anciennes alliances avec les
Légitimistes et les Ultramontains. Lui aussi, d'ailleurs, avait oublié ses
promesses d'antan. L'ancien rapporteur du budget de 1872, pour les Affaires
Etrangères, qui s'était énergiquement prononcé pour la réforme diplomatique
et consulaire, pour la non-distinction des affaires politiques et commerciales,
ne fit aucune réforme, pendant les quatre années de son séjour au Quai
d'Orsay. Comme M. Buffet avec les préfets et les maires, il se fit un point
d'honneur de maintenir les agents les plus compromis et de leur accorder des
avancements scandaleux. M.
Spuller dira, en 1877, dans son rapport sur le budget des Affaires Etrangères
de 1878 : « C'est mal servir la France que de bouder ou même de
décrier la République... Aucun Gouvernement sérieux ne saurait accepter
d'être desservi par ceux qu'il emploie. Ces vérités de sens commun sont à
l'usage de tout le monde et, pour un fonctionnaire public, ce n'est pas
seulement offenser la raison, c'est manquer à l'honneur, que de les
méconnaître dans ses actes et dans sa conduite. » Ces vérités, le due
Decazes ne les a peut-être pas méconnues : il a sciemment toléré que ses
subordonnés les méconnussent. La
dernière session de l'Assemblée nationale s'ouvrit dans les plus étranges
conditions le ministère était divisé et la majorité du 25 Février était
dissoute. Les Gauches avaient songé à adresser une interpellation sur la
politique générale, dès la rentrée elles y avaient renoncé, dans la crainte
de perdre les seuls ministres constitutionnels que renfermât le Cabinet, de
faire éclore, à la vieille des élections, quelque ministère à poigne, qui
aurait ressuscité la candidature officielle et mené toutes les réactions à
l'assaut de la République. Sans la prudence des Gauches, le coup d'autorité,
constitutionnel et légal, hâtons-nous de le dire, du 16 Mai 1877, eut été
tenté dix-huit mois plus tôt et eut peut-être réussi. D'ailleurs, il n'était
pas besoin d'interpeller le vice-président du Conseil il ne perdait pas une
occasion, bonne ou mauvaise, de s'interpeller lui-même et de provoquer un
jugement sur son inexplicable politique. Dès le 4 Novembre, il demandait que
la loi électorale fat mise a l'ordre du jour la Gauche accorda sans
opposition cette mise a l'ordre du jour, le vote de la loi ne pouvant que
hâter l'heure de la dissolution elle désirait seulement, et elle obtint
satisfaction, que la loi sur la nomination des maires et la loi sur la -levée
de l'état de siège vinssent en discussion entre la seconde et la troisième
lectures de la loi électorale. La
première lecture de la loi électorale avait eu lieu au mois de Juin 1874 La
discussion s'était engagée, à cette époque, sur le rapport présenté au nom de
l'ancienne Commission des Trente que présidait M. Batbie. La nouvelle
Commission avait désigné deux rapporteurs, MM. de Marcère et Ricard, et porté
tout son effort sur un seul point le maintien du scrutin de liste. Tous les
Républicains, sauf MM. Dufaure et Léon Say, votaient pour le scrutin de liste
tous les Réactionnaires, sauf une poignée de Bonapartistes, votaient pour le
scrutin d'arrondissement. La controverse entre les deux scrutins remplissait
les journaux, depuis plus de six mois. A la veille de la discussion, M.
Bardoux, sous-secrétaire d'Etat de la Justice, avait donné sa démission, afin
de réserver sa liberté et de voter pour la liste. Le Centre Gauche lui avait
témoigné sa confiance et sa gratitude en le portant, à l'unanimité, à la
présidence du groupe. La
deuxième délibération commença le 8 Novembre elle continua le 10 et le C'est
le 10 que l'article qui traitait du vote uninominal ou plurinominal, vint en
discussion. Le premier jour, M. Lefèvre-Pontalis défendit le scrutin
d'arrondissement, en reprochant au scrutin de liste de favoriser l'élection
d'une foule d'inconnus, sous l'égide d'un seul' candidat ayant quelque
prestige. Il appelait ce candidat, avec beaucoup de justesse, le candidat
remorqueur. M. Luro aurait préféré la liste parce que, dans les circonstances
ou allait se produire l'élection, elle permettait l'alliance de tous les
Constitutionnels, qui se feraient de mutuelles concessions. Le 11 Novembre le
rapporteur, M. Ricard, défendit la liste, comme M. Luro l'avait fait la
veille, en essayant de prouver qu'elle serait plus favorable aux modérés que
le vote sur un seul nom. C'est M. Dufaure qui, le premier, mit la question
sur son vrai terrain et présenta une apologie décisive du scrutin
d'arrondissement il le défendit pour lui-même, parce que l'électeur
connaissait mieux le candidat, dans le vote à l'arrondissement que dans le
vote au département, sans s'inquiéter de l'inégalité des circonscriptions
électorales, ni de la séparation des villes et des campagnes mieux fondues
ensemble, dans le vote par département, puisque 130 arrondissements sont
purement urbains. Aux yeux de M. Dufaure, malgré ces inconvénients, le
scrutin d'arrondissement est préférable parce que, dans une circonscription
d'étendue modérée, l'électeur peut se mettre en relations avec le candidat,
le suivre au loin dans sa conduite politique, dans ses votes et se prononcer,
en connaissance de cause, pour l'élection d'abord, pour la réélection ou pour
l'éviction, à la fin de la législature. M.
Dufaure, dans ce très solide plaidoyer avait évité la question politique elle
reparut avec M. Gambetta qui n'opposa, aux arguments de fait du Garde des
Sceaux, que des raisons politiques et qui conclut par une apostrophe des plus
vives au parti sans nom, au parti qui ne pouvait plus se dire ni orléaniste
ni légitimiste et qui marchait sous les ordres de M. Buffet, comme il eût
marché sous les ordres de n'importe quel chef de Gouvernement, autoritaire et
clérical. « La
vérité vraie, dit M. Gambetta, c'est que ce corps d'armée (le Centre
Droit) sera écrasé
au scrutin d'arrondissement, entre les deux Écoles qui se divisent le
suffrage universel. Ils auront beau conserver les fonctionnaires de l'Empire,
ces fonctionnaires n'opéreront pas pour eux. Dans certains bourgs pourris,
quelques-uns pourront encore se faire élire, mais le flot aura passé sur le
parti et il ne reviendra pas. » On ne
pouvait prédire plus juste. Déjà l'Orléanisme n'était plus une opinion
politique, mais un état d'esprit, un état d'âme, comme on dirait aujourd'hui,
sans correspondance avec l'âme de la Démocratie. L'attaque dirigée par
Gambetta contre le Centre Droit n'était pas habile, a-t-on prétendu, et elle
lui fit perdre sa cause, puisque le scrutin de liste fut battu par 357 voix
contre 326. L'amendement Lefevre-Pontalis, établissant le scrutin
d'arrondissement fut, en effet, adopté. Le ministre de l'Intérieur, en
s'abstenant de prendre part à la bataille, s'était montré plus politique que
l'éloquent orateur de la Gauche. Le 26
Novembre, Gambetta s'efforça, dans un discours patriotique, qui se terminait
par ce cri éloquent Regardez à la trouée des Vosges d'effacer l'impression
produite par son discours du 11 Novembre il était trop tard. La séparation
entre les Gauches et le Centre Droit libéral était irrévocable. M. Buffet
prit soin, dans un discours aussi modéré que pouvait l'être la parole de ce
parlementaire morose et autoritaire, d'empêcher tout rapprochement
l'amendement Jozon, qui proposait, à titre de transaction, le vote au scrutin
de liste pour cinq noms, fut repoussé par 388 voix contre 302 et, quatre
jours plus tard, le 30 Novembre, la loi électorale fut définitivement adoptée[2]. Le
maintien de la loi des maires du 20 Janvier 1874, le maintien partiel de
l'état de siège et l'adoption d'une loi sur la presse, parfaitement vaine
contre les attaques à la Constitution parce qu'elles étaient déférées au
jury, parfaitement efficace contre les délits moindres parce qu'ils étaient
déférés à la police correctionnelle, furent les premières conséquences du
renouement de la coalition du 24 Mai 1873. Mais cette coalition avait des
parties faibles. Bonapartistes, Légitimistes et Orléanistes étaient bien
d'accord contre la République, mais chacun de ces groupes détestait les
groupes voisins, au moins autant que la République, et d'habités manœuvriers
parlementaires, comme la Gauche en comptait beaucoup, pouvaient exploiter
cette situation, ces haines si l'on veut, contre celle des fractions de
l'Assemblée qui semblait devoir prendre une prépondérance marquée sur toutes
les autres. C'est le Centre Droit qui paraissait le plus menaçant et le plus
assuré de la victoire, à la veille de l'élection par l'Assemblée de 73
sénateurs inamovibles. Les Gauches avaient fait aux Droites des propositions
fort acceptables elles voulaient que les inamovibles fussent choisis
exclusivement parmi les députés qui avaient voté les lois constitutionnelles.
Ce n'était, en vérité, pas trop exiger. Avec ce système, les Bonapartistes et
les Légitimistes auraient été éliminés d'avance, ainsi qu'une demi-douzaine
de Républicains intransigeants. Chaque groupe aurait présenté ses candidats
et du premier coup l'élection se fut faite. Son résultat était fatal 40 ou 4S
membres de la Droite, du Centre Droit proprement dit et du Centre Droit
libéral ou du groupe Lavergne auraient été élus, avec 30 ou 35 membres de la
Gauche. Le Centre Droit n'ayant pas accepté cet arrangement, qui lui faisait
pourtant la part assez belle, chacun reprit sa liberté d'action et dressa sa
liste en parfaite indépendance. Le
Centre Droit réclamait pour la Droite et pour lui 62 sièges il en abandonnait
13 aux Gauches ou au groupe Wallon. Après neuf tours de scrutin, il en eut 3,
la Droite 2, les Légitimistes -10 et les Gauches 60. Que s'était-il donc
passé ? Le 9
Décembre, avait eu lieu le premier tour de scrutin ; deux membres seulement
avaient été élus le duc d'Audiffret-Pasquier, que la correction de son
attitude présidentielle avait fait inscrire sur les deux listes, et M.
Martel, de la Gauche. Après ces deux élus, venaient huit membres de la
Gauche, puis le ministre de l'Intérieur, classé le onzième, et, tout à fait à
la fin de la liste, le duc de Broglie, classé le quatre-vingt-cinquième. Les
Gauches avaient voté avec discipline, mais les Droites, obéissant à des
sympathies ou à des antipathies personnelles, avaient pratiqué sur leur liste
de nombreuses ratures. Les Gauches, avant le scrutin, avaient donné pleins
pouvoirs à six de leurs membres MM. Gambetta, Jules Simon, Lepère, Ricard,
Jules Ferry et Bardoux, pour dresser une liste que tous devraient accepter
les yeux fermés. Ces six directeurs s'abouchèrent avec M. Raoul Duval qui,
pour faire échec au Centre Droit, promit le concours et les voix de son
groupe. Mais cet appoint ne suffisait pas, le groupe Wallon-Lavergne s'étant
laissé envahir par des membres du Centre Droit, de l'École de M.
Lefèvre-Pontalis, et votant avec les Droites. Il fallait s'adresser, comme on
l'avait fait avec succès contre M. de Broglie, aux Chevau-Légers. Une réunion
des six directeurs de la Gauche eut lieu, dans la nuit du 9 au 10 Décembre,
chez M. Jules Simon, dans son petit appartement de la Place de la Madeleine.
M. de la Rochette, un intime du comte de Chambord, y assistait il promit sa
voix et celles des Légitimistes d'Extrême Droite, si l'on assurait à ces
Légitimistes 13 sièges sénatoriaux. Le marché fut conclu. Les six grands
électeurs de la Gauche effacèrent immédiatement 15 noms de Républicains et
les remplacèrent par 13 noms de Légitimistes. Dans les scrutins qu'eurent
lieu, les 10, 11, 13, 14. et 16 Décembre, 68 élections furent faites. Tous
les élus étaient des coalisés du 10 Décembre, à trois exceptions près MM.
Wallon, de Cissey et Dupanloup furent élus le 17 et le 18 ; MM. de Montaignac
et de Malleville complétèrent la liste des 75 inamovibles, le 21 Décembre. Si
la discipline avait été observée aussi fidèlement, dans les trois derniers
scrutins que dans les précédents, MM. de Cissey, Dupanloup et de Montaignac
n'auraient certainement pas été élus. Mais M. Ricard et les membres du Centre
Gauche, craignant de trop triompher, avaient repris leur liberté d'action et
fait a la Droite la portion congrue. Tous
les candidats de la Gauche étaient admirablement choisis, tous faisaient
honneur à leur parti, quelques-uns faisaient honneur à la France. il faut que
l'union ait été bien étroite entre les coalisés, pour que certains noms aient
pu triompher des rancunes, de l'exclusivisme étroit et surtout du
cléricalisme. « Littré est sénateur écrivait G. Sand à Flaubert, le 19
Décembre1873 c'est à n'y pas croire, quand on sait ce qu'est la Chambre. Il
faut tout de même la féliciter, pour cet essai de respect d'elle-même. » On a
dit que la coalition des Gauches et des Légitimistes était immorale elle ne
l'était pas plus qu'aucune autre coalition politique et il était de bonne
guerre de retourner contre le Centre Droit les armes qu'il avait si souvent
employées contre ses adversaires. Le Centre Droit fut le grand vaincu de ces
scrutins sénatoriaux, comme il devait être, deux mois plus tard, le grand
vaincu des scrutins populaires il avait mérité sa défaite et personne ne le
plaignit. Les
élections d'inamovibles avaient été précédées du vote sur le maintien de la
loi du 30 Janvier 1874, qui laissait en fonctions, pour présider aux
opérations électorales, 3.000 maires et 4.500 adjoints, pris en dehors des
Conseils municipaux et choisis presque tous, cela va sans dire, dans le
personnel bonapartiste. D'autres discussions intéressantes précédèrent ou
accompagnèrent ces interminables scrutins. Les valeurs mobilières des
sociétés en nom collectif furent exemptées de l'impôt 3 p. 100. L'exercice
fut abrogé et l'on rendit aux bouilleurs de cru le droit de fabriquer 40
litres d'alcool. Le 17 Décembre l'Assemblée consentit, sur la demande du duc
Decazes, et pour ne pas isoler la France des autres puissances, à reconnaître
la réforme judiciaire égyptienne. Nous venions d'éprouver en Egypte, juste à
ce moment, un échec commercial et politique des plus graves. L'Angleterre
avait acquis du Khédive, pour cent millions, 177.000 actions du canal de Suez
; il ne restait aux mains des autres porteurs que 223.000 actions. Cette
opération commerciale présageait-elle une opération politique, funeste aux
puissances maritimes et, entre toutes, à la France ? On pouvait le redouter. Une
poursuite en Cour d'assises pour délit de presse, suivie d'un acquittement
retentissant, fut le prélude de la discussion de la loi sur la presse. Dans
une réunion de Bonapartistes triés sur le volet, qui s'était tenue à Belleville,
M. Paul de Cassagnac avait dirige contre la Constitution les attaques les
plus violentes ; contre la République toutes les injures dont son vocabulaire
abonde. Traduit devant le jury de la Seine, en même temps que le Pays
et le Gaulois qui avaient reproduit son discours, il fut acquitté et
aucune mesure administrative ne fut prise contre les journaux que le jury
avait également renvoyés indemnes. Cette indulgence du Gouvernement
s'explique il s'agissait de Bonapartistes. La choquante inégalité du
traitement appliqué aux journalistes, suivant la juridiction qui prononce,
s'explique et se justifie beaucoup moins. La loi
sur la presse, que M. Dufaure avait déposée sur le bureau de l'Assemblée, le 12
Novembre, punissait les attaques dirigées « contre le Gouvernement
établi par les lois constitutionnelles », Gouvernement désigné avec
cette imprécision enfantine. Le jury avait connaissance de ces attaques on
lui déférait aussi les crimes et les délits de presse, moins toutefois les
plus nombreux qui sont la diffamation, l'outrage, les injures, les offenses envers
les deux Chambres ou envers le Président de la République, les fausses
nouvelles, la provocation a des actes coupables et l'apologie des faits
délictueux. L'interdiction de vente sur la voie publique, l'arme favorite des
préfets du 24 Mai, disparut de la loi Dufaure, mais ces préfets surent
tourner la loi, en n'accordant le droit de vente qu'à ceux qui vendaient des
journaux agréables, en le retirant à ceux qui en vendaient d'autres. Sous la
législation antérieure à celle du 29 Décembre, date de l'adoption de la
nouvelle loi, en deux ans et demi, avec l'état de siège dans la moitié des
départements français, 28 journaux avaient été supprimés, 20 suspendus, 163
interdits sur la voie publique. Du 24
au 29 Décembre la discussion de la loi sur la presse fut la dernière des
grandes discussions politiques qu'ait entendues l'Assemblée Nationale. On put
revoir, comme en abrégé, pendant quelques jours, toute l'histoire antérieure
de l'Assemblée, depuis le 24 Mai : la coalition réactionnaire renouée,
le ministère divisé, le vice-président du Conseil se complaisant en pleine
équivoque et le Maréchal, compromis par son ministre de l'Intérieur, au
mépris de toutes les règles parlementaires, exposé gratuitement à la même
impopularité que M. Buffet. A
l'ouverture de la discussion, le rapporteur de la loi sur la presse, M.
Albert Grévy, au nom de la majorité de la Commission, qui comptait 11
Républicains sur 15 membres ; demanda la disjonction du projet sur la presse
et du projet sur le maintien de l'état de siège. Il était assez naturel, a la
veille des élections, de faire disparaître les derniers vestiges de la guerre
et des troubles civils ; il était plus indiqué encore de ne pas avoir l'air
de considérer l'état de siège, que le Gouvernement maintenait dans 4
départements, Seine, Seine-et-Oise, Rhône et Bouches-du-Rhône, comme le
régime naturel d'une Démocratie pacifique et comme le correctif nécessaire
d'une liberté de la presse pourtant assez étroitement limitée. M.
Buffet s'opposa à la disjonction et demanda l'urgence dans un discours où,
avec force équivoque, il annonçait sa future politique électorale et où il se
cachait lui aussi, comme l'avait fait M. de Cissey, derrière l'épée du
Maréchal. M. Laboulaye, en quelques mots très justes et très modérés, s'éleva
contre cette incorrection parlementaire, contre cotte violation de toutes les
règles constitutionnelles. Le lendemain, comme au temps du duc de Broglie,
une lettre du Maréchal à M. Buffet le félicitait d'avoir si nettement défini
les vrais Conservateurs auxquels le Gouvernement faisait appel Trois
jours après, le 27 Décembre, M. Dufaure prenait la parole dans ta discussion
de l'article 1er du titre 1er. Son intervention ramenait immédiatement la
clarté dans le débat : ses fermes et loyales déclarations ramenaient aussi la
confiance dans l'esprit des membres de la Gauche, parce qu'elles étaient en
contradiction absolue avec celles de M. Buffet. M. Ernest Picard ayant
demandé à M. Buffet s'il souscrivait à ces déclarations, le ministre de
l'Intérieur garda un silence significatif. Il
était dit que l'Assemblée ne se séparerait pas, sans avoir donné une dernière
fois à la France le spectacle des violentes passions qui l'agitaient. Un
député bonapartiste du Lot ayant accusé M. Jules Favre de mensonge, pour
avoir dit, après Ferrières, que la Prusse exigeait l'Alsace, la Lorraine et
un certain nombre de milliards, l'ancien vice-président du Gouvernement de la
Défense Nationale refit avec l'éloquence superbe, avec l'amer et transcendant
dédain qui étaient devenus comme sa seconde manière oratoire, tout le procès
de l'Empire, toute l'histoire du siège et marqua les Bonapartistes au fer
rouge. Leurs cris, leurs insultes interrompirent cent fois, mais n'arrêtèrent
pas cette ardente philippique. Le vieux lion, déjà mortellement atteint,
poussa un dernier et formidable rugissement. Le 29
Décembre la loi fut adoptée, telle que l'avait proposée M. Dufaure, avec un
amendement de M. de Janzé, supprimant l'interdiction administrative de vente
des journaux sur la voie publique. Après
la fixation de l'élection des délègues sénatoriaux au 16 Janvier, de
l'élection des sénateurs au 30 Janvier et de l'élection des députés au 20
Février, l'Assemblée avait épuisé l'ordre du jour qu'elle s'était assigné et,
le 31 Décembre, à 6 heures du soir, au milieu d'un silence solennel, le duc
d'Audiffret-Pasquier prononçait ces ultima verba : « Messieurs,
après une législature qui a duré cinq années. vous êtes arrivés au terme que
vous avez fixé à vos travaux. Vous allez rendre au pays le mandat qu'il vous
avait confié, dans des circonstances qui en grandissaient le péril et
l'honneur. « A
peine réunis, aux douleurs de l'invasion venait se joindre l'odieux spectacle
d'une insurrection sans exemple. Avec notre héroïque armée, vous avez vaincu
la Commune vous avez fait la paix, payé notre rançon. Dans une guerre
follement entreprise la victoire nous avait trahis. Mais, au lendemain de nos
désastres, l'étranger pouvait apprécier ce qu'il restait encore de ressources
et de crédit à ce pays honnête et laborieux. « A
ce moment vous avez abordé la seconde partie de votre tâche, réorganisé votre
administration intérieure, décidé vos institutions politiques. « Chacun
de vous avait apporté dans cette enceinte ses convictions, ses souvenirs, ses
espérances. Elles ont toutes été dominées par une seule et unique pensée
l'amour du pays. De là est sortie la Constitution du 2S Février, œuvre
incomplète peut-être, mais en dehors de laquelle vous deviez craindre que le
pays ne se trouvât de nouveau exposé au despotisme et à l'anarchie. « Cette
œuvre, vous la confiez aujourd'hui à la loyauté du Maréchal de Mac-Mahon, au
patriotisme des Assemblées futures, à la sagesse de ce pays qui, pendant cinq
ans, vous a si noblement secondés. « Jamais
autorité ne fut plus respectée que la vôtre, jamais volonté mieux obéie.
Admirable réponse faite à l'avance à ceux qui oseraient prétendre, dans
l'avenir, que la France n'est pas digne de la liberté. Partez
donc avec confiance, Messieurs, allez vous soumettre à son jugement. Ne
craignez pas qu'elle vous reproche les concessions que vous avez faites à sa
paix et à son repos, car il est deux choses que vous lui remettez intactes
son drapeau et ses libertés. » Cette
allocution eût été parfaite, elle eût mérité les applaudissements et les
acclamations qui l'accueillirent, sans une déplorable et inexplicable
omission celle du nom de M. Thiers. Le Président de l'Assemblée nationale n'a
pu s'empêcher, de redevenir, pour un instant, le 31 Décembre 1875, l'un des
coalisés du 24 Mai 1873, qui avaient montré tant d'acharnement et de violence
contre le premier Président de la République. Ainsi
finissait l'Assemblée de Versailles, où le cléricalisme avait trouvé son
expression complète et définitive ; sous.la Présidence de M. Thiers, comme
sous celle du Maréchal, elle avait été foncièrement cléricale c'est la
persistance de ce sentiment qui a fait l'unité de son histoire, qui lui a
donné une originalité particulière, entre toutes les Assemblées qu'a eues
notre pays. Au point de vue politique nous n'avons pas à revenir sur son œuvre
elle léguait une Constitution à la France, un peu malgré elle, et la majorité
qui avait fait la Constitution du 25 Février n'avait pas survécu à ce grand
acte de raison. Du 2S Février au 31 Décembre187 5 il n'y eut rien de changé
en France il n'y eut qu'une Constitution de plus et si la France, qui avait
pris au sérieux l'acte du 25 Février, n'y avait mis bon ordre, cette
Constitution n'aurait pas même vécu la courte durée que l'on avait assignée à
son fonctionnement. C'est
le Centre Droit, c'est le duc de Broglie, c'est M. Buffet qui doivent être
rendus définitivement responsables de l'avortement de la politique libérale,
de la stérilité des dernières semaines d'existence de l'Assemblée, de
l'insuccès définitif du groupe et de ses chefs devant le suffrage universel
et aussi du succès, devant les mêmes juges, des nuances avancées de l'opinion
républicaine ou de l'opinion bonapartiste. Que n'ont-ils imité la conduite si
sage et si tolérante, la politique si large et si conciliante du Centre
Gauche, que M. Lanfrey résuma dans un remarquable Manifeste ? M. Lanfrey
parlait au nom du groupe dont il était le président ; mais pas un membre de
la Gauche, pas un membre de l'Extrême Gauche ne s'inscrivit en faux contre
ses paroles, qui sont la plus éloquente et la plus sanglante critique que
l'on ait jamais faite de la politique ondoyante des Constitutionnels malgré
eux. Ceux-ci, après le 24 Mai, avaient érigé l'impuissance en système de
Gouvernement, l'élevant à la hauteur d'un dogme, et s'étaient montrés aussi
violents dans la victoire que leurs adversaires s'étaient montrés modérés
dans la défaite. Ils n'avaient apporté au pouvoir que des vues et des
passions de parti, pendant que leurs adversaires parlaient et agissaient,
dans l'Opposition, en · hommes de Gouvernement. Ils avaient revendiqué le
titre de Conservateurs, quand leurs adversaires, sans réclamer ce titre,
agissaient et parlaient seuls en véritables Conservateurs. Ils avaient
préféré leur parti à leur patrie, leur coterie à la France. Ayant perdu
l'occasion, en 1873, de fonder la République conservatrice avec M. Thiers,
ils l'avaient perdue encore une fois, en 1875, quand ils pouvaient la fonder
avec le Maréchal de Mac-Mahon. Ils avaient, en effet, affiché l'étrange prétention
de soutenir la Constitution, avec le concours exclusif de ses ennemis et
défié les Républicains de former une majorité sans eux. Ce défi, les
Républicains ne l'avaient pas relevé dans l'Assemblée ils allaient le relever
devant la nation qu'ils n'avaient jamais traitée en suspecte. Le 31
Décembre 1878, la politique de l'équivoque, la politique de coalition des
dépits et des rancunes, la politique de défiance envers la nation, la
politique de l'ordre moral, en un mot, avait cessé en même temps que
l'Assemblée du 8 Février. Elle ne gardait plus qu'un représentant, un seul,
qui figurait à la tête du ministère, à peu près isolé, même dans ce
ministère, comme figé dans un conservatisme étroit, alliant, à un degré
incroyable, à la plus scrupuleuse honnêteté politique, l'inintelligence absolue
des nécessités de la situation et des besoins de son temps. La
dernière réunion de l'Assemblée nationale s'était tenue dans la fameuse salle
de théâtre du château de Versailles, que tout le monde a vue et connaît bien,
que connaissent mieux encore ceux qui ont lu, dans les Notes et Souvenirs
de M. Ludovic Halévy, le récit de la représentation de gala offerte au roi
d'Espagne, le 20 Août 1864. C'est dans cette salle en style rococo,
construite sous Louis XV, pour le mariage de Marie-Antoinette, c'est dans la
galerie des tombeaux jalonnée de blanches statues, c'est dans la cour de
marbre, que Louis XIV a si souvent traversée, c'est dans les autres grandes
cours herbeuses de l'immense palais que se sont jouées les destinées de la
France, du 20 Mars 1871 au 31 décembre 1875. Que d'événements entre ces deux
dates D'abord les heures d'angoisse patriotique, entre l'ennemi intérieur et
l'ennemi extérieur plus tard, les grandes luttes entre Thiers et la coalition
monarchique en dernier lieu le compte des bulletins qui allaient fonder la
République et l'impatience fiévreuse des uns et la stupeur désolée des
autres. Ceux qui les ont vécues, ces heures terribles, ne sauraient s'y
reporter sans retrouver les sentiments d'espoir ou de crainte qui les
agitèrent alors. Après avoir assisté, impuissants et navrés, aux désastres de
la patrie, ils croyaient qu'elle allait se relever par !e travail, par
l'ordre dans la liberté, par le self government, sous la direction
d'un grand citoyen, et ils se trouvaient en présence de 350 ducs, hobereaux
de Province, esprits façonnés par l'Eglise, partisans de tous les régimes
déchus, qui ne songeaient qu'à relever un trône, qu'à entrer en conflit
contre la majorité des Français, au risque de provoquer une nouvelle guerre
civile. Non, les hommes de notre génération n'oublieront jamais les journées
décisives de l'Assemblée de Versailles, ni les émotions qu'ils éprouvèrent,
douloureuses en Mai 1873, triomphantes en Janvier et en Février 1878, quand
le succès parut assuré, quand ce succès vint de ceux dont on l'attendait le
moins, ni surtout l'impression d'apaisement et de confiance qui se répandit
partout, quand se termina l'existence d'une Assemblée si honnête en somme, si
remarquable par le talent de ses membres, ayant un si haut sentiment de sa
dignité, de ses devoirs et de ses droits, uni à une telle haine de la
Démocratie, que la Démocratie pouvait tout redouter d'elle. Il nous
reste à raconter les cinq dernières semaines du ministère Buffet, qui furent
aussi le terme de la carrière de cet homme d'État, comme chef de
Gouvernement. M. Buffet qui, par son énergie têtue, son esprit de résistance,
eût été un excellent premier ministre pour un tyran, avait une aversion
insurmontable pour le système de Gouvernement qu'il présidait. Plein de
déférence et d'admiration pour le vieux parlementaire qu'était M. Dufaure, il
subissait avec impatience le franc parler et les vives échappées de son
collègue des Finances, M. Léon Say. Candidat aux élections sénatoriales, dans
le département de Seine-et-Oise, M. Léon Say n'avait naturellement pas
communiqué au Conseil des ministres son programme électoral. M. Buffet,
trouvant sans doute qu'il importait à la solidarité du ministère que les
opinions de chacun de ses membres fussent soumises au contreseing du ministre
de l'Intérieur, n'avait pas dissimulé les inquiétudes que lui causaient la
profession de foi et les doctrines de M. Léon Say. Le 7 Janvier le Figaro,
organe officieux de la vice-présidence du Conseil, avait accusé M. Léon Say
de faire alliance avec des Radicaux avérés. Or, M. Léon Say se présentait aux
élections sénatoriales en compagnie de MM. Feray et Gilbert-Boucher, qui
appartenaient au Centre Gauche le plus timide, et qui, dans leur profession
de foi, dénoncée comme révolutionnaire, se proposaient « d'adhérer sans
réserve à la Constitution ; de regarder la clause de révision comme une porte
ouverte aux améliorations du régime républicain et non comme un moyen de le
renverser de faire tous leurs efforts pour préserver leur pays d'une
Révolution, quelle qu'elle fût ». Considérer les trois honorables
candidats comme des Radicaux, c'était vraiment trop compter sur la crédulité
de ses lecteurs. Pendant que le Figaro lançait cette accusation
burlesque, le Maréchal, absolument étranger aux nuances politiques et croyant
que l'un des membres de son Cabinet versait dans le Radicalisme, invitait M.
Léon Say à retirer sa candidature. A cette mise en demeure, le ministre des
Finances répondit en rédigeant sa démission, et MM. Dufaure, Decazes, Wallon,
Caillaux et Léon Renault, préfet de police, annoncèrent l'intention de suivre
M. Léon Say dans sa retraite. Le
Maréchal eût vu sans regret s'éloigner les ministres. La perspective du
départ de M. Léon Renault, qui lui avait rendu de signalés services, au temps
de la conspiration du Comité central de l'appel au peuple, lui sembla plus
inquiétante il fut résolu que rien ne serait changé t la composition du
Cabinet et, le 13 Janvier, le 7oM ?'Ha~ des Débats annonçait, avec une
satisfaction visible, que M. Léon Say maintenait sa candidature et retirait
sa démission. Il fallait à M. Buffet une satisfaction platonique elle lui fut
donnée le même jour par le Maréchal, sous forme d'une proclamation aux
Français, où le Président de la République rééditait les discours du ministre
et ses déclarations habituelles, aussi vagues que monotones, contre les
doctrines « subversives » et les programmes « révolutionnaires ».
Il n'y avait de subversif du bon sens que la gageure qui réunissait dans le
même Cabinet des hommes aussi dissemblables, de révolutionnaire que les
interventions perpétuelles du Chef de l'État dans la politique courante, qui
rappelaient les plus mauvaises habitudes du pouvoir personnel. Si MM.
Dufaure, Léon Say et Wallon restaient dans le Cabinet, c'était uniquement
pour empêcher, dans leurs départements ministériels, la pratique de la
candidature officielle, que M. Buffet avait restaurée dans le sien. Par son
ordre, les préfets avaient laissé entendre aux maires, avant les élections
des délégués sénatoriaux, que s'ils n'étaient pas élus délégués, ils
perdraient infailliblement la confiance du Gouvernement. Par son ordre
encore, le Bulletin Français, journal officiel du soir, avait publié le
fameux rapport de M. Boreau-Lajanadie, œuvre de polémique violente et perfide
contre le Gouvernement de la Défense nationale, et avait offert aux électeurs
ce document, aussi passionné qu'indigeste, pour la somme de cinq francs le
mille. Personnellement, M. Buffet s'était transporté, le 20 Janvier, devant
la Commission de permanence, qui ne comptait pourtant qu'une douzaine de
Républicains et, aux craintes exprimées sur le caractère de l'intervention
administrative, il avait répondu sèchement que depuis la dissolution de
l'Assemblée et, avant la constitution des deux Chambres, il ne se considérait
pas comme responsable devant la Délégation d'une Assemblée défunte. Il n'y
avait plus qu'à attendre les élections. Les collègues de M. Buffet les
avaient préparées par des circulaires d'une correction irréprochable. M.
Dufaure, dès le 11 Janvier, avait engagé ses Parquets à ne pas multiplier les
procès en matière de presse. Peu de temps après, il avait interdit à ses
juges de paix toute ingérence politique. MM. Léon Say, Wallon et de Meaux
avaient envoyé aux fonctionnaires placés sous leurs ordres des instructions
conçues dans le même esprit. Il eut
été vain, après le 16 Janvier, de chercher à pressentir l'opinion des 43000
délégués sénatoriaux qui devaient se prononcer, le 30 Janvier, entre des
candidats se rattachant à trois groupes différents 1° les Bonapartistes et la
Droite ordinairement alliés ; 2° les Républicains des trois Gauches ; 3° les
Constitutionnels purs. Le 30 Janvier, sur 221 nominations faites en France et
en Algérie, on compta 92 Républicains, 79 Conservateurs, réactionnaires et
cléricaux, 40 Bonapartistes et 17 Constitutionnels libéraux du Centre Droit.
Paris avait élu MM. de Freycinet, Hérold, Tolain, Victor Hugo et Peyrat. La
Charente-Inférieure avait préféré un Bonapartiste à M. Dufaure, et les Vosges
un Républicain à M. Buffet. En somme, dans le Sénat constitué par les
scrutins de Décembre et par ceux du 30 Janvier, il n'y avait pas de majorité
bien nette, puisque l'on y trouvait en face de 151 Conservateurs dont 21
Constitutionnels, 149 Républicains et le Français, se plaçant au point
de vue de M. Buffet, pouvait dire: « Rien n'est perdu, mais rien n'est sauvé. » L'union
des Gauches, si complète à l'Assemblée, se maintint devant les électeurs. Le
programme accepté par la quasi-unanimité des Républicains comportait une
politique libérale, l'élimination des fonctionnaires notoirement hostiles aux
institutions et la restitution aux Communes du choix de leurs municipalités.
Cette politique de modération, de bon sens et de concorde fut développée dans
toutes les parties de la France, à Lyon, à Bordeaux, à Lille et à Avignon par
Gambetta, à Paris, contre quelques Intransigeants, par le représentant
autorisé de toutes les Gauches et par ses lieutenants MM. Spuller, Tirard,
Bamberger, Deschanel. Les Conservateurs n'opposaient à ces professions de foi
si sages qu'un programme négatif, où ils inscrivaient avant tout leur dévouement
au Maréchal et où ils n'offraient au pays, comme perspective d'avenir, qu'une
promesse de révision. Des
mesures comme celle que prit M. Buffet, à la veille du scrutin, n'étaient
faites ni pour éclairer la nation sur la politique ministérielle, ni pour
augmenter les chances des Conservateurs. M. Léon Renault avait accepté la
candidature dans l'arrondissement de Corbeil. Il s'exprima ainsi, dans sa
profession de foi, qui aurait pu servir de modèle à tous les Constitutionnels
sincères : « Étranger à l'esprit de parti, soucieux, au même degré,
des intérêts de l'ordre et de la liberté que je n'ai jamais séparés,
regardant la Dictature comme également haïssable, sous quelque nom qu'elle se
déguise, qu'elle s'appelle césarienne ou révolutionnaire passionné seulement
pour le bien et l'honneur de notre patrie, j'ai accepté et soutiendrai sans
arrière-pensée les institutions républicaines, que l'Assemblée nationale a
fondées et dont elle a fait le régime légal du pays. » Mis en demeure
d'opter entre sa candidature et ses fonctions, M. Léon Renault donna sa
démission et fut élu le 20 Février, à une forte majorité, contre le prince de
Wagram. Si M.
Buffet et le Centre Droit avaient choisi, comme plateforme électorale, celle
de Léon Renault, la défense de l'ordre, de la liberté et des institutions
légalement votées, ils n'auraient pas éprouvé au scrutin la plus écrasante
défaite dont l'histoire fasse mention. Candidat dans 4 collèges, M. Buffet
fut battu partout et son parti, la Droite, sur 530 sièges à pourvoir, n'en
conquit que 48, pendant que les Légitimistes en obtenaient 20, les
Constitutionnels 20, les Bonapartistes 50 et les Républicains 300. En trois
années d'ordre moral et de combat brutal ou perfide contre la Démocratie,
contre la France ; après qu'il avait pu disposer de tous les maires comme
agents électoraux, supprimer les journaux opposants par l'état de siège, ou
les ruiner par mesure administrative après qu'il avait pu pratiquer la
candidature officielle, avec moins d'adresse mais avec autant de cynisme que
l'Empire, le Gouvernement du 24 Mai 1873, car c'est bien lui qui était encore
aux affaires le 20 Février 1876, réussissait a obtenir 45 sièges sur 530, 95
si l'on ajoute à ses gains ceux de ses alliés du parti bonapartiste, « cette
avant-garde du grand parti conservateur ». Et c'est en s'appuyant sur cette
dérisoire minorité, que le 24 Mai avait prétendu rétablir la Monarchie, qu'il
avait ensuite voulu <t faire marcher x la France et qu'il allait essayer,
à un an de là, d'entraver l'application régulière d'une Constitution à
laquelle, contraint et forcé, il avait apporté des suffrages aussi tardifs
que suspects. Semblable à ces planètes, qui envoient encore des rayons alors
qu'elles ont disparu en réalité, la politique du 24 Mai se survit dans ses
effets, après le 16 Mai 1874, après le 10 Mars 1875 sans cesse condamnée par
le pays, dans les élections partielles comme dans les élections générales,
elle reparaît sans cesse. Sa détestable influence ne cessera que le jour où
le soldat, dont elle a fait le mandataire de toutes les rancunes
monarchiques, descendra volontairement du pouvoir. M.
Buffet n'attendit pas les résultats du second tour de scrutin pour s'avouer
vaincu le 23 Février, une note du Journal officiel annonçait que le
ministre de l'Intérieur et le ministre de l'Agriculture et du Commerce, M. de
Meaux, étaient démissionnaires. M. de Meaux resta chargé de l'expédition des
affaires jusqu'à la nomination de son successeur, mais M. Buffet disparut
définitivement dès le 23 l'intérim de son ministère fut confié au Garde des
Sceaux, M. Dufaure. Quelques jours après, des amis politiques offraient à M.
Buffet un collège sûr dans la Gironde, où il aurait pu poser une candidature
de revanche. Il déclina leurs offres par une lettre bien curieuse. « Les
Conservateurs, disait-il, sont sûrs de la victoire ils raisonnent d'après
l'état actuel de la circonscription, mais ils ne se doutent pas de ce qu'elle
deviendrait si j'acceptais leur proposition... Le résultat que j'obtiendrais
peut-être serait de rendre mauvaise une circonscription conservatrice
aujourd'hui. » Jamais homme politique tombé du pouvoir ne s'est mieux
rendu compte de son impopularité, jamais ministre plus aveugle aux affaires
n'a retrouvé plus de clairvoyance, plus d'acuité de vision après les avoir
quittées. Quand l'on fait un retour sur son passage au ministère, sur cette direction du Gouvernement pendant onze mois ; l'on se demande si, tout compte fait, elle n'a pas été plus utile que nuisible aux institutions libérales et à la République. Plus franchement autoritaire, plus hardiment réactionnaire que le duc de Broglie et que M. de Fourtou, M. Buffet a eu un mérite il a combattu les Républicains, tous les Républicains, aussi bien M. Thiers et M. Christophle que M. Naquet, à visage découvert. Avec lui, la France savait quel adversaire elle avait en face d'elle et quel Gouvernement il lui eût imposée, si la lutte était restée indécise. Elle se rua sur lui d'un tel élan, d'un choc si brutal, qu'il fut porté à terre il ne s'en est pas relevé. |