MARIE STUART ET LE COMTE DE BOTHWELL

 

IX. — CHUTE DE MARIE STUART.

 

 

Supposons que Marie Stuart aimât le comte de Bothwell ; que pour s'assouvir, elle eût trompé, assassiné Darnley ; qu'une année durant, elle eût tourné la force et les calculs de son esprit vers l'union, objet de tous ses appétits ; que d'un autre côté, Bothwell eût accepté une passion tout au moins flatteuse pour son ambition et son orgueil. : il semble que la célébration du mariage préparé de si loin, dût amener chez l'un et l'autre une explosion de joie, ne fût-ce que la joie grossière de la libre possession, après une longue contrainte. Plus tard seraient venus les remords ; plus tard, l'expiation.

Les événements suivirent une marche contraire et bien peu naturelle dans l'hypothèse admise généralement. A l'instant où les époux devraient être au comble de leurs vœux, les scènes violentes éclatent. Jeudi — c'est-à-dire le 15 mai, jour du mariage —, Sa Majesté, dit du Croc[1], m'envoya quérir, où je m'apperceus, dit-il, d'une estrange façon entre elle et son mary ; ce qu'elle me voullut excuser, disant que si je la voyois triste, c'estoit parce qu'elle ne voulloit se réjouyr, comme elle dit ne le faire jamais, ne désirant que la mort. Hier, estant renfermez tous deux dedans un cabinet avec le comte de Bodwell, elle cria tout hault que on luy baillast un couteau pour se tuer. Ceulx qui estoient dedans la chambre l'entendirent ; ils pensent que si Dieu ne luy aide qu'elle se désespérera. Je l'ay conseillée et confortée de mieux que j'ai peu ces trois fois que je l'ai veu. D'après James Melvil, Arthur Erskine, capitaine des gardes, l'entendit menacer de se jeter à l'eau. Elle n'avait pas voulu quitter ses habits de veuve pour la célébration du mariage. L'altération subite de ses traits frappa tous les yeux. Drury écrit à Cecil (Berwick 20 mai 1567), que d'après plusieurs témoignages, jamais visage de femme ne changea si profondément et en si peu de temps, sans maladie. Elle ne souffrit ni fête au palais, ni divertissements extérieurs pour le peuple[2].

Le brutal époux qui s'était vanté qu'il l'aurait bon gré mal gré, continua de la tenir prisonnière. Il insultait à sa douleur ne lui voulant donner liberté de regarder une seule personne ni que personne la reguardât, et qu'il sçavoit bien qu'elle aymoit son plaisir et à passer son temps aultant que aulte du monde[3]. Telles étaient sa grossièreté et sa défiance, qu'il ne passait pas un jour sans lui faire répandre.des torrents de larmes. Ces défiances n'étaient pas jalousie d'amour, ni surtout jalousie fondée. Il craignait que des conseils contraires à ses intérêts ne parvinssent jusqu'à elle, et qu'elle ne lui échappât. Quant aux propos outrageants, dignes de la soldatesque du XVIe siècle, elle ne lui avait pas plus donné le droit de les proférer, qu'à l'époque où il l'appelait la hoore du cardinal Beaton[4] ; qu'on nous permette de ne pas traduire. Mais on nous répliquera qu'en 1567 il avait de bonnes raisons pour humilier Marie. Craignant sans doute qu'elle ne se dégoutât de lui aussi vite qu'elle s'était dégoûtée de Darnley, il torturait son cœur afin de l'occuper, et la rendait malheureuse pour l'empêcher d'être inconstante[5]. — Alors, tout savant qu'il fût en amour, Bothwell se trompait grièvement. Car n'était-ce pas précisément la méthode qu'avait suivie Darnley ? Bouderies, colères, violences, il n'avait pas ménagé à sa femme les leçons, ni les tortures du cœur. Même, n'avait-il pas raffiné l'art de se faire adorer, jusqu'à tuer Riccio devant celle dont il prétendait fixer la constance, jusqu'à mettre l'enfant en péril dans le sein de sa mère ? Cependant il n'avait pas pu empêcher le mobile objet de cette profonde tactique de se dégoûter de lui : on l'affirme du moins. Non ; Bothwell est une espèce de conquérant barbare. Ivre de succès et de convoitises, il piétine sur sa proie.

Arrachons-nous aux idées préconçues et plaçons-nous un moment dans le cours ordinaire des choses. Est-il possible qu'un amour, même criminel, parvenant à la sanction du mariage, se brise ainsi à l'instant même de la bénédiction nuptiale, et que, sans transition, un enfer anticipé lui succède ? Une telle révolution ne se conçoit pas. Admettons au contraire que Marie Stuart ne soit pas la complice de Bothwell, qu'elle subisse la loi du plus fort qui s'est jeté sur elle avec l'emportement de la bête ; son désespoir, la brutalité inouïe du mettre, tout s'explique. Si en peu d'heures, ses traits charmants se creusent d'atteintes plus profondes que celles de la maladie, c'est le vrai déchirement de l'Arne, et non la mauvaise conscience, qu'on lit sur cette figure décomposée. Il n'est pu impossible de soutenir qu'elle aurait dû résister, et lutter jusqu'à la mort plutôt que de céder. Peut-être une constance à toute épreuve eût-elle triomphé de ce mélange infâme de ruse et de violence. Mais l'infortunée reine, après tant de meurtres et de trahisons, et dans l'abandon où on la laissa, subit sa défaite. En se rendant, elle consulta peut-être moins sa gloire que sa faiblesse : soit. Être à bout de forces, après les épreuves les plus atroces, est un malheur ; ce ne saurait être un crime.

Ayant accepté sa destinée, elle s'efforça d'en tirer le meilleur parti possible — we maun must make the best of it. Il n'est pas besoin d'attribuer à aucune tendresse pour Bothwell, l'envoi de Chisholm évêque de Dumblane à la cour de France, et de sir Robert Melvil, frère de sir James, à celle d'Angleterre, avec mission l'un et l'autre d'obtenir que l'on reconnût Bothwell comme son mari. Bothwell écrivit à Charles IX, et l'assura de l'affection et bonne envie qu'il avait et aurait toute sa vie de lui faire humbles services[6]. Sa lettre à Elisabeth ne manqua pas non plus d'adresse et de dignité.

D'autre part, il essaya d'adoucir autour de lui les cœurs presbytériens par une manifestation plus chaude de sa foi religieuse. L'évêque des Orcades qui l'avait marié, annone en son nom à la congrégation, qu'il confessait avoir mal vécu, qu'il voulait maintenant se corriger et se conformer aux lois de l'Église[7]. Afin de joindre l'effet aux paroles, une proclamation royale rendue en Conseil privé (23 mai), rétablit dans toute sa rigueur la proclamation par laquelle Marie Stuart, lors de son arrivée en Écosse, avait dû interdire de rien changer à la forme religieuse en vigueur dans le royaume. On alla plus loin, et, signe frappant, à ce qu'il nous semble, de la prostration où la reine était tombée, le même acte supprima les lettres que Marie avait accordées postérieurement aux catholiques, portant permission de suivre leur religion[8]. Une chose singulière aussi, et bien propre à révéler l'état violent des esprits sur cette question, c'est que la signature, du catholique John Leslie, évêque de Ross, figure au bas d'une pièce si hostile au catholicisme.

Le Conseil privé reçut une nouvelle organisation, c'est-à-dire qu'on le distribua en sections qui devaient siéger à tour de rôle. Cela n'était pas nouveau dans l'histoire d'Écosse[9]. Bothwell, ajoute-t-on, aurait composé le Conseil de ses amis et de ses partisans ; il y aurait introduit l'archevêque de Saint-André, les lords Oliphant, Boyd, Herries et Fleming, les évêques de Galloway et de Ross, pour prendre place à côté des comtes d'Huntly et de Crawford[10]. Il serait plus exact de les appeler les amis de Marie Stuart. Mais l'éminent historien que nous combattons à regret, se trompe sur la plupart de ces noms. Sauf les lords Oliphant et Boyd, tous les autres personnages étaient dès longtemps membres du Conseil privé. Pour s'en convaincre, il suffit d'ouvrir Keith et de jeter les yeux sur les nombreux procès-verbaux des séances antérieures à cette époque, qu'il a publiés[11].

Enfin Bothwell, affectant de prendre au sérieux sa fonction suprême de gardien du bon ordre dans le royaume, la reine convoqua, le 28 mai, ses vassaux des comtés du 'midi pour le 15 juin, à Melrose. De là, Bothwell devait les conduire contre les brigands qui désolaient toujours le Liddisdale. Commue tous ceux qui vont au-devant de leur mauvaise destinée, le nouveau duc des Orcades fournissait bénévolement aux nobles un prétexte plausible de se réunir publiquement en armes.

En effet, le complot de l'aristocratie contre Marie Stuart, ce complot après avoir fait des progrès si terribles, marchait à pas de géant vers son dénouement final. Tenté plusieurs fois auparavant sous diverses formes, il datait en dernier lieu du bond de Craigmillar, lorsque, sur le refus de la reine de divorcer avec Darnley, ils avaient résolu de tuer le roi. En promettant à Bothwell la main de la veuve, ils l'avaient poussé en avant. Celui-ci, muni du bond, et persuadé que dès lors il n'avait rien à craindre des suites du crime, prit si peu de précaution pour le commettre, que non-seulement le cri public s'éleva bientôt contre lui, mais que de plus ses complices purent jeter le fardeau sur ses épaules et se préparer ainsi le rôle de justiciers. Ils tinrent Marie Stuart, abattue par la douleur et l'épouvante, dans l'ignorance de la réprobation qui frappait Bothwell, afin qu'elle continuât sa confiance à celui-ci et se compromit sans le savoir aux yeux des masses ; ils firent avorter toutes les recherches qu'ordonna la reine, puisqu'elles auraient eu pour effet de manifester leur propre culpabilité. Ils acquittèrent solennellement Bothwell et selon toutes les formes légales, quoique par un procès dérisoire au fond. Ils confirmèrent cette absolution par un vote en parlement. -Puis en signant le bond d'Anslie, à la fois sanction du verdict et chaleureuse autorisation d'épouser la reine, ils jetèrent l'aveugle ambitieux sur le chemin du rapt et du mariage. Quand Marie fut prisonnière du ravisseur à Dunbar et à Edimbourg, pas un d'eux n'éleva la voix, ni ne remua seulement le doigt en sa faveur. Ainsi abandonnée de tous, elle passa sous le joug ; et en devenant la femme de Bothwell, elle accepta sans le savoir la responsabilité de l'assassinat de Kirk-of-Field et le déshonneur. C'est là que les traîtres artisans de ces trames si vastes et si perfides l'attendaient. Maintenant ils n'avaient plus pour la précipiter du trône, qu'à prendre le prétexte de punir Bothwell et de venger celui qu'ils avaient étouffé de paire et de compagnie, quelques mois auparavant. Les meneurs à ce dernier moment du drame, on les confiait. Randolph a nommé Kirkcaldy de Grange et Maitland de Lethington ; et face à face, il a instruit leur procès[12].

Nous allons les voir à l'œuvre. Après ses deux lettres du 20 et du 24 avril à Bedford, le laird de Grange en avait écrit une troisième le 8 mai. La conspiration est bien claire. — La plupart de ceux de la noblesse qui, dit-il, ont par crainte, pour leur vie, accordé diverses choses également contraires à l'honneur et à la conscience[13], se sont réunis à Stirling et ont fait un bond de défense mutuelle en tout ce qui regardera la gloire de Dieu et le bien du pays. Ils se proposent trois objets : 1° la délivrance de la reine hors des mains de Bothwell ; 2° la sûreté du prince, afin d'empêcher le meurtrier du père de tuer aussi le fils ; lors du dernier voyage de la reine à Stirling, il a suborné des gens pour empoisonner lé prince ; 3° le châtiment des assassins du roi. Les seigneurs, réunis à Stirling sont les comtes d'Argyle, de Morton, d'Athol et de Mar. Ils ont chargé Kirkcaldy de solliciter de nouveau l'assistance d'Élisabeth, quoique du Croc leur offre au nom du roi de France les moyens d'anéantir la faction de Bothwell[14]. Enfin les quatre comtes sont assurés de l'adhésion des comtes de Glencairn, Cassilis, Églinton, Montrose, Caithness ; des lords Boyd, Ochiltrée, Ruthven, Drummond, Gray, Glaimmis, Innermeith, Lindsay, Hume et Herries[15] ; déjà ils prennent leurs mesures. — Ainsi voilà qui est constant : le 8 mai, c'est-à-dire une semaine avant le mariage de Marie Stuart avec Bothwell, et deux jours après que celui-ci l'avait ramenée de Dunbar au château d'Édimbourg, les nobles s'étaient associés pour la délivrer ; — et néanmoins, ils venaient de signer le bond d'Anslie, et immédiatement après la translation de la prisonnière à Édimbourg, au moment où Kirkcaldy écrivait, un autre bond pour le même objet, d'après le récit très-peu sûr à la vérité de James Melvil[16]. Certainement du moins, ils avaient gardé une immobilité absolue et laissé consommer sans obstacle, sans objection, l'union qu'ils avaient recommandée et contre laquelle ils se liguaient par avance. Pourrait-on souhaiter une preuve plus évidente qu'ils avaient tendu un piége à Bothwell et décidé l'immolation de la reine ! Ne sont-ils pas bien édifiants aussi dans leur ardeur de venger le roi qu'ils ont fait périr ? Quant au prince, ne l'ont-ils pas déjà ? N'est-il pas à Stirling même où ils se réunissent, et sous la garde exclusive du comte de Mar, l'un des leurs, à qui la mère l'a remis spontanément depuis deux mois ? Ces beaux sentiments ne sont que des prétextes, parce que des conspirateurs ne livrent pas crument au papier et au dehors le secret de leurs vrais desseins. Un drapeau est nécessaire[17].

Élisabeth fit un accueil assez sévère aux lettres de Kirkcaldy. Ce n'était pas la fille d'Henri VIII qui devait approuver le principe de l'insurrection des sujets contre le prince, même dans les États étrangers. Elle n'était pas sans craindre la contagion du mauvais exemple. Pourtant, elle se sentait trop ferme sur son trône, elle haïssait trop Marie Stuart, elle était trop résolue à se rendre maîtresse en Écosse et à exclure l'influence française, pour s'arrêter longtemps devant des scrupules théoriques. Quelques tergiversations la mirent en règle avec les principes ; et bientôt ses actions se conformèrent aux intérêts de sa politique et de ses passions. D'ailleurs près d'elle, siégeait un conseiller parfaitement décidé, Cecil, qui jamais n'avait perdu de vue le projet de renverser Marie. Tout récemment Murray en traversant l'Angleterre, l'avait mis au courant des dernières trames[18] ; et le ministre, sans s'inquiéter des hésitations ni des caprices de sa souveraine, certain qu'il était de lui faire partager ses vues en temps utile, marcha droit au but. Il prit sur-le-champ ses dispositions comme sa correspondance en fait foi. Bedford absent alors de Berwick, reçut l'ordre de, se rendre à son poste. J'apprends par vos dernières lettres, écrivit ce dernier à Cecil le 11 mai, que l'intention de Sa Majesté est que je retourne en hâte dans le nord, afin de soutenir ceux des lords d'Écosse qui sont unis ensemble pour résister à l'entreprise de Bothwell. Je serai à Berwick le plus tôt possible[19]. Le 12 mai, Cecil mandait à Norris, ambassadeur d'Angleterre en France : la reine d'Écosse sera, je pense, sollicitée d'épouser Bothwell. Les principaux de la noblesse s'y opposent et ils sont à Stirling avec le Prince[20]. Nous apercevons distinctement le jeu double de ces principaux de la noblesse. En Écosse, publiquement ils poussent de leur mieux au mariage. En Angleterre, secrètement ils disent qu'ils y sont contraires, qu'ils vont se soulever ; et Cecil ne balance pas à leur promettre son secours. En même temps on écrit à l'ambassadeur anglais en France, et celui-ci ne manquera pas de le répandre à la cour de Charles IX, que la noblesse écossaise voit de mauvais œil la recherche de Bothwell ; ainsi le consentement de Marie sera une faute personnelle, qu'elle aura voulue envers et contre tous.

A peine le mariage célébré, les conjurés répandirent le bruit que la religion était en danger. C'est alors que Bothwell fit rendre la proclamation du 23 mai, destructive des débris du catholicisme encore subsistants. Le peuple se rassure. Nouvelles calomnies : la reine veut renverser les lois ; rejeter les conseils et l'assistance de sa noblesse ; mener les choses à son caprice, au mépris de l'antique coutume ; elle néglige la santé, la conservation, la sûreté et le gouvernement de son fils. L'annonce d'une expédition dans le Liddisdale, n'est qu'un prétexte pour rassembler des forces et masquer ses desseins, etc. Une seconde proclamation royale, du 1er juin[21], dénonça énergiquement ces accusations mensongères et derechef calma les esprits.

Cependant Morton avait quitté Holyrood et s'était retiré à son château d'Aberdour dans le Fife[22], qui devait être le point de départ du mouvement insurrectionnel. Robert Melvil, ambassadeur de Marie près d'Élisabeth, pressait cette reine d'aider les seigneurs dont il s'était fait l'instrument[23]. On aura beau dire avec un parfait détachement de la morale historique, que cela prouve combien était général le sentiment qui les unissait contre Bothwell[24] ; la conduite de Robert Melvil était une indigne trahison contre celle qui avait mis sa confiance en lui. La conduite de James, son frère, fut également déshonorante. Pendant qu'il feignait la fidélité envers Marie Stuart, il accueillait les ouvertures secrètes des confédérés ; de séduit, devenu séducteur, il entreprenait de gagner sir James Balfour, ami jusque-là de Bothwell, et qui venait d'être nommé capitaine du château d'Édimbourg[25]. Son renom de dévouement à Marie Stuart lui ouvrait naturellement l'accès du château, et lui permettait d'y séjourner sans éveiller les soupçons. Il raconte dans ses mémoires avec une rare impudeur que cette négociation lui prit plusieurs jours. Il y employa le mensonge, en avertissant faussement Balfour que Bothwell allait le destituer ; la flatterie, en le priant d'être l'heureux instrument du salut de la reine et du prince, et l'auxiliaire des projets de la noblesse, qui étaient de couronner lé prince — le renversement de la mère était donc décidé dès la réunion de Stirling — ; l'aiguillon de la menace, sur ce qu'ayant été longtemps ami de Bothwell, il risquait d'être englobé avec celui-ci dans l'accusation d'assassinat du roi, Balfour se rendit à condition qu'on le maintiendrait dans son poste ; un bond de garantie fut signé par les chefs de la faction[26]. Ils ne marchandèrent pas, l'accession du commandant du château d'Édimbourg étant la condition indispensable du succès. Lethington demeurait toujours au palais pour empêcher les bons conseils de parvenir jusqu'à la reine, ou pour en détruire les effets. Cependant Bothwell éclairé peut-être par la haine, eut un jour une querelle violente avec lui et faillit le percer de Fa dague. Marie se jeta entre deux. Le lendemain, le secrétaire se réfugia chez son beau-frère, le comte d'Athol, chef de la ligue de Stirling.

La reine ignorait le complot qui gagnait autour d'elle, comme elle avait ignoré les complots précédents. Il est inconcevable qu'avec de l'esprit, elle eût si peu de pénétration ; après des leçons si terribles, si peu d'expérience ; et qu'elle ait toujours été prise au dépourvu par les hommes, qui avaient fait de ses six années de gouvernement, six années de martyre. Comment concilier cette placide ignorance du mal et du péril, avec le haïssable talent de criminelle consommée qu'on lui prête ? Se peut-il que celle qui aurait trompé Darnley avec un art si profond, pour l'amener au lieu où il devait être assassiné ; qui aurait manié ensuite avec tant de dextérité une situation compliquée, pour procurer l'acquittement de Bothwell et leur mariage projeté de si loin, se peut-il qu'avec une telle connaissance des affaires et de leurs ressorts les plus secrets, avec tant de hardiesse et de calcul, elle ne sût en aucun temps, rien voir, rien deviner, rien prévenir des menées de ses ennemis ? Un criminel est soupçonneux, sans cesse en quête des dangers qu'il croit courir, ayant la conscience de les avoir provoqués. Marie Stuart est aveugle, imperturbable dans sa bonne opinion d'autrui.

A défaut de sa prudence, la réunion de Stirling aurait éveillé, assure-t-on, sa verve caustique. Elle aurait dit qu'Athol n'était qu'un homme faible ; qu'elle saurait trouver le moyen de fermer la bouche à Argyle ; et que Morton qui venait à peine d'ôter ses bottes toutes souillées de la poussière de la route, serait renvoyé d'où il venait[27]. Eût-elle parlé de la sorte, le crime serait mince. Du moins aurait-il été juste à Tytler de compléter la citation et d'ajouter qu'elle exceptait le comte de Mar. Quant au comte de Mar, aurait-elle continué, j'attends de lui une ferme amitié ; il m'a assuré qu'il sera des miens fidèlement et toujours[28]. La voilà bien cette pauvre reine incorrigible. Impossible à elle de pressentir la trahison. Drury dans la même lettre, entretient Cecil du mauvais état persistant de la santé de la reine. Elle tombait dans des évanouissements fréquents et prolongés.

Parmi ces tortures physiques et morales, quoi de plus naturel que son cœur se tournât vers son fils, et qu'elle souhaitât le revoir ?

Elle informa le comte de Mar qu'elle projetait un voyage à Stirling. Il lui- répondit qu'il ne s'y prêterait qu'autant qu'elle ne serait pas accompagnée de plus de douze personnes. Cette précaution, concevable au reste puisque Marie dépendait alors de Bothwell, empêcha la mère de donner suite à son désir[29]. Peut-être Bothwell ne l'aurait-il pas permis. Est-ce là ce qui serait devenu dans les mémoires de James Melvil, la sommation du duc des Orcades au comte de Mar d'avoir à lui remettre l'enfant ; la réplique du comte qu'alors il fallait qu'on plaçât le prince dans la citadelle d'Édimbourg, sous la garde d'un homme sûr[30] ? Cet échange de défis vient fort à propos pour justifier la trahison de Melvil et la levée de boucliers de la noblesse ; tandis qu'au vrai, dans le court espace de temps que Bothwell passa sur le trône d'Écosse, rien d'historique n'établit qu'il ait voulu effectivement s'emparer du jeune prince. Il y avait une femme qui couvait des yeux le tendre rejeton, et qui pour avoir en sa puissance l'héritier des deux couronnes, épuisa pendant de longues années, les artifices de sa politique féline, c'est Élisabeth. Elle enjoignit immédiatement à Bedford d'entrer en négociations sur cette base mie les lords par l'intermédiaire de Kirkcaldy de Grange ; elle promettait de confier le prince à sa grand'mère, la comtesse de Lennox[31]. Mais ils n'eurent garde de donner dans le piége. Le prince une fois à l'étranger, où auraient-ils pris leur mandat pour exercer la régence et pour piller la royauté ? N'auraient-ils pas eu bientôt dans la reine d'Angleterre une maîtresse tyrannique ? D'ailleurs que seraient-ils devenus en Écosse devant le sentiment national exaspéré ? Trop habiles cependant pour opposer un refus catégorique, dont le premier effet eût été de les priver du concours d'Élisabeth, ils amusèrent cette princesse et entretinrent ses bonnes dispositions avec une science sans pareille.

En attendant qu'elle se décidât à les seconder, ils se flattèrent de brusquer le dénouement par un coup de surprise. Ils résolurent de devancer d'une semaine l'époque du 15 juin, pour laquelle la couronne avait convoqué ses vassaux, et d'enlever Bothwell et la reine dans la capitale. Ils devaient se trouver tous le 8 juin, près de Liberton, petite place à deux milles au sud d'Édimbourg. Mais Bothwell fut averti. Il quitta Holyrood dans la nuit du 6 juin, et emmena Marie Stuart huit milles plus loin au sud-est, au château fort de Borthwick. Ici ne méprisons pas un petit détail, quoique dans un autre sujet il ne méritât pas d'occuper la plume. Marie avant de partir, fit demander au maitre de sa garde robe différents ustensiles d'argent, plus, deux mille épingles[32]. Qu'elle ait eu l'esprit assez présent pour demander ces menus objets et le temps de les recevoir, cela donne lieu de penser que le départ ne fut pas très-précipité ; qu'à plus forte raison, Bothwell aurait eu grandement le temps de prendre avec lui le coffret de vermeil contenant les lettres de Marie Stuart, ces lettres si précieuses qu'il se réservait pour river à jamais la chaîne d'une femme volage, ces lettres qu'il lui importait plus encore de ne pas exposer à la malignité de ses ennemis. Ceux-ci racontèrent que pressé de fuir, le 6 juin, il avait oublié la cassette au château d'Édimbourg[33]. Mais Bothwell n'avait habité le château que cinq jours, du 6 au 11 mai ; ce dernier jour il était descendu avec la reine à Holyrood, qu'ils n'avaient plus quitté.

Il n'est pas aisé de croire qu'il eût abandonné dans un appartement vide un tel trésor, qu'un homme pouvait emporter sous son bras et, à ce qu'il semble, qu'il ne devait jamais perdre de vue L'y eût-il laissé alors, il ne l'aurait pas oublié le 6 juin, pas plus que le reste de ses objets précieux qu'il eut tout loisir de faire partir en avant. Le mémoire justificatif qu'il adressa au roi de Danemark, Frédéric II, le 5 janvier 1568, mentionne deux fois incidemment le navire sur lequel le comte rapporte avoir chargé en quittant l'Écosse, sa vaisselle d'argent, ses accoutrements, ses meubles et ses joyaux, qu'il avait emportés du château d'Édimbourg[34]. Puisque Bothwell put prendre avec lui tout ce qu'il possédait, il est impossible que la cassette, si les lettres existaient, fût le seul objet auquel il ne songeât pas.

Après avoir mis la reine en sûreté derrière les puissantes murailles de Borthwick, il se rendit à Melrose avec l'espoir d'y trouver une partie des vassaux de la couronne, dociles peut-être à la convocation du 28 mai. Mais on était encore loin du terme indiqué ; il attendit deux ou trois jours dans la solitude et revint à Borthwick de très-mauvaise humeur. Car il annonça qu'il allait congédier et disperser tous les domestiques français de la reine. Tandis qu'il perdait ainsi son temps et sa colère, ses ennemis agissaient. Ayant deux mille chevaux réunis, quoique le comte d'Athol et d'autres confédérés du nord fussent en retard, Morton et lord Hume résolurent un coup de main sur Borthwick, le soir du 10 juin. Dépourvus d'artillerie, ils employèrent la ruse. Quelques-uns de leurs hommes détachés en avant, se présentèrent au château, se disant amis et poursuivis par les lords ; ils demandaient un asile. Bothwell allait se mettre au lit. Devinant le piége et le danger, cet homme jusque-là si audacieux, prit tellement peur, qu'il ne songea qu'à sa propre sûreté et s'enfuit seul par une poterne avec le fils du laird de Crookston, seigneur du château. Il abandonna la reine, qui n'avait que sept ou huit personnes pour toute compagnie[35]. Marie Stuart possédait au plus haut degré le courage de l'instant présent. Comment douter, si elle avait aimé Bothwell, qu'elle n'eût partagé sa fuite et son péril ? Comment croire aussi que Bothwell se serait exposé à la laisser tomber au pouvoir des confédérés, événement qui ne pouvait pas manquer de le perdre, comme la suite le prouva bientôt, s'il n'avait pas eu lieu de croire qu'elle ne confondait pas sa cause avec la sienne ! Les ennemis cependant aperçurent les deux hommes ; ils leur donnèrent la chasse et capturèrent le jeune Crookston ; Bothwell leur échappa dans les ténèbres. L'occasion était belle pour s'emparer de la personne de Marie, ou la délivrer, comme ils disaient. Mais ils connaissaient la force des murailles et ignoraient celle de la garnison. Après avoir crié contre Bothwell les noms de traître, d'assassin, de boucher, auxquels ils mêlèrent de grossières injures contre la reine elle-même, ils s'éloignèrent et se replièrent sur Dunkeld, manoir de Morton. Marie, dès qu'elle fut délivrée, envoya le jeune laird de Reres à sir James Balfour, dont elle ne savait pas la trahison, avec ordre de tenir le château et de tirer sur les lords s'ils essayaient d'entrer dans la ville[36]. Pendant ce temps, le comte d'Huntly, les lords Boyd et Galloway, l'archevêque de Saint-André, les évêques de Galloway et de Ross, et l'abbé de Killwinning, que Marie Stuart avait laissés à Édimbourg avec la charge difficile d'y défendre ses intérêts, avaient sollicité du Croc de s'interposer dans la lutte qui éclatait. Il écrivit à la fois au comte de Morton, alors devant Borthwick, et à la reine. Son messager manqua le comte qui venait de s'éloigner de Borthwick ; mais il trouva la reine. Elle répondit sagement et vertueusement, le priant de travailler au nom du roi — de France — ; mais s'ils s'attaquaient à son mari, qu'elle ne voulait pojnt d'appoinctement[37]. Il est possible que les invectives vomies contre elle quelques moments auparavant par la troupe de lord Hume, eussent changé ses dispositions à l'égard de Bothwell, et lui eussent fait penser que dans le moment au moins leur cause était inséparable. Elle pria donc du Croc de s'aboucher avec les lords et de leur demander de sa part quelles étaient leurs intentions[38]. Cette conférence eut lieu le 12 à Edimbourg ; elle resta sans effet, les seigneurs ayant ajourné leur réponse à trois jours, au bout desquels tout était consommé.

Marie, après avoir expédié ses messages à Édimbourg, ne voulut pas rester dans le château de Borthwick. A minuit, elle prit des habits d'homme. Bottée, éperonnée, elle se fit descendre par une fenêtre. Elle trouva un cheval préparé on ne sait par quelles mains, qui attendait tout sellé. Elle le poussa devant elle au hasard et erra longtemps sans s'éloigner beaucoup. Elle n'était pas à plus de deux milles de Borthwick, lorsqu'elle rencontra Bothwell, qui la cherchait avec une escorte. Ils se rendirent ensemble à Dunbar. Nous ne sommes pas convaincus que Marie Stuart se fût échappée du manoir de Borthwick, avec l'intention de rejoindre son mari. Bothwell s'était enfui si précipitamment, que nous doutons qu'il leur ait été loisible de rien combiner pour l'évasion de la reine. Il aurait au moins chargé quelqu'un des siens de veiller sur elle et de la conduire en sûreté. Quant à elle, les mesures qu'elle prit, dès qu'elle fut restée seule, pour se mettre en rapport avec ses amis d'Édimbourg, sembleraient indiquer que, sans vouloir désavouer son mari, elle songeait à exercer une action indépendante et à se frayer la voie peut-être vers les Hamiltons.

Cependant Hume et Morton, après leur déconvenue de la nuit, se rabattirent sur Édimbourg. Leurs confédérés du nord, Athol, Mar, Glencairn, Kirkcaldy de Grange, Lindsay, Ruthven etc. arrivaient. Assurés déjà du capitaine du château et du prévôt de la ville, Simon Preston, ils s'approchèrent sans crainte. En vain le comte d'Huntly et ses amis essayèrent d'animer les habitants à la résistance, comme déjà ils les avaient appelés aux armes pour porter secours à la reine. Les magistrats, partisans de l'insurrection, paralysèrent chaque fois leurs efforts. On ferma simplement les portes sans les défendre. Les lords en enfoncèrent une et pénétrèrent dans la Canongate, tandis que les inutiles défenseurs de Marie se repliaient sur le château (11 juin). Sir James Balfour n'osant pas encore se déclarer publiquement, les reçut près de lui ; mais le silence de son artillerie faisait assez voir qu'il était avec les rebelles.

Le même jour les confédérés lancèrent un manifeste[39]. Ils commençaient en déplorant la captivité et l'esclavage de la reine, l'impunité de l'abominable meurtre du roi Henri, de bonne mémoire, la honte de l'Écosse parmi les autres nations, le désordre qui régnait dans le royaume ; ils déclaraient s'être assemblés pour délivrer la reine de la servitude, préserver la personne du jeune prince de tout danger, et punir le meurtre de son père. Ils sommaient tons nobles et bourgeois de se joindre à eux, sous peine d'être réputés auteurs du meurtre du roi, du rapt et de la détention de la reine, ennemis du prince, et punis de mort comme traîtres.

Le lendemain 12, la cité même leur fut ouverte. Ils se constituèrent en une sorte de conseil de gouvernement intitulé Conseil privé, et publièrent un nouveau manifeste encore plus énergique contre Bothwell[40]. Les termes méritent d'en être rapportés : Cedit jour, les lords du Conseil secret e de la noblesse, considérant que James comte de Bothwell, porta violemment la main sur la très-noble personne de notre souveraine, le 24 avril dernier, qu'il retint Son Altesse au château de Dunbar dont il avait la garde, et pendant un long espace de temps conduisit Sa Majesté environnée de soldats, et de tout ce qu'il avait d'amis et de parents, dans les places où il possédait entière autorité et pouvoir, Sa Grâce étant destituée de conseils et de serviteurs ; que pendant ce temps, ledit comte entraîna par des voies Illicites, notre dite souveraine à l'épouser, mariage en principe nul et de nul effet pour divers motifs connus aussi bien chez les autres nations et royaumes, que chez les habitants de ce pays, expressément contraire à la loi de Dieu et à la vraie religion professée dans le royaume, laquelle ils sont résolus de défendre jusqu'à leur dernier soupir ; considérant de plus, que lesdits lords et nobles sont informés avec certitude que ledit James, comte de Bothwell, pour parvenir à épouser notre dite souveraine, fut le principal auteur, inventeur et instrument du cruel et très-abominable meurtre, commis sur feu notre souverain lord, le roi Henri Stuart, de bonne mémoire ; la preuve, c'est que ledit James, comte de Bothwell, étant dans les liens du mariage avec une autre femme à l'époque de ce meurtre, a depuis, et surtout lorsqu'il tenait Sa Majesté la reine entre ses mains, requis et poursuivi injustement le divorce, de sorte que procès et jugement furent commencés, finis, et arrêt rendu en deux jours, ce qui confirme les informations données auxdits lords et nobles sur ledit comte de Bothwell[41] ; attendu, que peu satisfait d'avoir assassiné cruellement notre dit souverain, le roi Henri Stuart, d'avoir enlevé, emprisonné, entraîné Sa Majesté la reine à un mariage illégal, et de la tenir aujourd'hui en captivité ; il rassemble maintenant à la connaissance des lords et de la noblesse, des hommes auxquels il cherche à persuader de l'assister ; qu'il ne peut pas se proposer d'autre but que de commettre sur le fils le même meurtre que sur le père, crime auquel lesdits lords et nobles s'opposeront de toutes leurs forces, aussi bien qu'ils travailleront à délivrer la reine de son misérable esclavage : pour ces motifs, ordonnent.... Suivait la sommation à tout Écossais de se tenir prêt dans les trois heures après l'avertissement, à marcher avec les lords pour délivrer la reine de captivité et de prison, demander compte à Bothwell et à ses complices du meurtre du roi, du rapt et de la détention de la reine, et mettre ordre à la perverse entreprise que l'on savait qu'il méditait contre le prince. Quant aux complices et partisans du comte, et ceux qui ne, voudraient pas assister les lords, il leur était enjoint de vider Édimbourg dans les quatre heures, sous peine de châtiment de corps et de biens.

Cette pièce est remarquable à plus d'un titre. D'abord, ils n'articulent rien contre Marie Stuart. Ils constatent seulement la violence qu'elle a subie. Ms mots de prison, de servitude, d'esclavage sont les seuls qu'ils emploient pour caractériser sa situation vis-à-vis Bothwell. Nous savons que dès la lin d'avril, leur plan, bien loin de délivrer Marie était de la détrôner, et que leurs lettres et sollicitations à Cecil, l'enveloppaient dans les crimes passés et à venir de Bothwell. Ici les apparences de loyauté chevaleresque de leurs déclarations, outre qu'elles leur fournissaient un masque indispensable, devaient amener sous leurs drapeaux de nombreuses recrues enlevées à la cause de la reine, et jeter de l'hésitation chez les défenseurs de Marie Stuart. Un autre point à noter, c'est leur incroyable assurance. Qu'assassins de Darnley, et plus encore que Bothwell — car ils avaient tramé plusieurs complots pour le tuer, et Bothwell n'avait été que du dernier —, ils s'érigeassent ainsi en vengeurs de leur victime, de bonne mémoire, c'était sans doute une monstruosité morale ; cependant le public n'étant pas au courant des circonstances secrètes, ils pouvaient se flatter de l'abuser. Mais après l'acquittement du comte par eux-mêmes, après le bond d'Anslie, après leur immobilité tant que la reine n'étant pas mariée, il eût été possible et facile de la délivrer, flétrir à grands cris l'impunité de Bothwell, son divorce, le rapt, qualifier de déshonorant le mariage qu'ils avaient recommandé par écrit si fortement, n'était-ce pas le comble de l'effronterie ? Aussi, quoi qu'on en dise, les bourgeois d'Édimbourg furent-ils insensibles à leur éloquence. Si la cité leur vota deux cents arquebusiers, on sait que dans de pareilles circonstances, il suffit de la hardiesse du magistrat principal, comme était le prévôt. Quant à la population, elle resta, de l'aveu de Buchanan, tellement froide que les libérateurs se trouvèrent très-embarrassés[42]. Knox dit même qu'ils pensaient à se séparer et qu'ils auraient abandonné leur entreprise, si Marie Stuart et Bothwell avaient eu la patience de rester trois ou quatre jours à Dunbar[43]. Par malheur, Bothwell n'était pas plus capable de conduire une campagne militaire que les affaires politiques.

A la nouvelle de l'entrée des lords à Édimbourg, Marie Stuart et Bothwell avaient appelé près d'eux les vassaux de la couronne. Ceux-ci affluèrent des comtés de Lothian et de Merse ; en deux jours, ils formèrent une petite armée d'environ deux mille hommes. Bothwell, rempli de confiance, ne prit pas la peine de se renseigner sur l'état d'Édimbourg. Soit le désir de vaincre seul, avant l'arrivée des grands vassaux de l'ouest, afin de n'avoir à partager le gouvernement avec personne ; soit la crainte que Marie, une fois au milieu d'hommes dévoués, ne secouât le joug sous lequel il la tenait, le duc des Orcades précipita les affaires. Peut-être aussi, comptant sur la fidélité de sir James Balfour au château d'Édimbourg, il espérait qu'une pointe vigoureuse le rendrait maitre de la ville.

Le samedi 14 juin, à dix heures du matin, il sortit de Dunbar, la reine avec lui, traversa Hadington et passa la nuit à Selon. Pendant la journée, à la halte de Gladsmuir, lecture fut donnée, sur le front des troupes, d'une proclamation dans laquelle la reine et Bothwell dénonçaient la trahison des nobles rebelles, la fausseté de leurs assertions lorsqu'ils se donnaient pour les vengeurs du roi, les libérateurs de la reine, et qu'ils accusaient le duc des Orcades — Bothwell — de vouloir s'emparer de la personne du prince : Le duc, était-il dit, avait été absous par un jugement régulier que le parlement avait approuvé et auquel les chefs de l'insurrection actuelle avaient adhéré. Lui-même avait défié tout accusateur au combat. On ajoutait que le mariage de la reine s'était fait librement. Enfin, pour animer les soldats, on leur promettait la confiscation des rebelles[44]. Le lendemain 15 juin, Bothwell, poussant devant lui, délogea dès cinq heures du matin et marcha sur Édimbourg. Mais les nobles, encore plus diligents, car ils ne voulaient à aucun prix que l'étendard royal se déployât à la vue du château, avaient quitté cette ville vers deux heures après minuit, et s'étaient portés en avant jusqu'à Musselburg, sur le golfe du Forth. Ils s'y reposèrent, munis de tout ce qu'il fallait pour une expédition dans la saison brûlante, surtout de vin. Leur nombre était de deux mille six cents à trois mille, bien équipés et bien armés. On conne leur fameuse enseigne blanche où était figuré le cadavre du roi, étendu sous un arbre verdoyant. Près de lui, son fils, à genoux, tenait une légende avec ces mots : Ô Seigneur, juge et venge ma cause ! — Mais quoi ! n'est-il pas démontré que ces pieux tuteurs de l'orphelin étaient ceux-là mêmes qui l'avaient fait orphelin ?

L'armée royale n'avait guère dépassé son chiffre primitif ; elle ne compensait point la quantité par la qualité. Presque point de nobles, sauf les lords Ross et Borthwick[45] ; quelques lairds du pays, vassaux de Bothwell ; pas de soldats aguerris, excepté une petite troupe de cavalerie sous David Home de Wedderburn, et les deux cents arquebusiers de la garde, qui menaient avec eux trois fauconneaux ; le reste, campagnards accourus à la hâte, dépourvus d'armes presque autant que d'expérience ; un chef aveuglément impétueux, qui, après les avoir fatigués la veille par une longue marche sous un soleil insupportable, les avait remis en mouvement après quelques heures de sommeil, sans pourvoir à leurs besoins, tellement que la reine elle-même n'avait pas eu le temps de rien prendre[46]. Entre ces éléments tumultuaires, aucune cohésion. Beaucoup, dit Melvil, croyaient la reine d'intelligence avec les lords ; car ils savaient combien Bothwell la traitait mal, et quelles indignités il lui avait dites et faites depuis leur mariage. Il était si brutal et si soupçonneux, qu'il ne laissait pas passer un seul jour sans la rudoyer et sans lui faire répandre des larmes amères. Aussi une partie de ceux qui l'accompagnaient le détestaient, et les autres étaient persuadés qu'elle aspirait à se délivrer de lui.

Bothwell s'arrêta dans la position de Carberry-Hill, sur une colline à dix milles d'Edimbourg, et occupa le retranchement que les Anglais avaient construit en 1547, avant d'infliger aux Écossais l'affreux désastre de Pinkie. Les confédérés se postèrent sur une colline à une demi-lieue en face, séparée de la première par une plaine et un ruisseau. De part et d'autre on resta immobile, les nobles attendant que le soleil tournât pour l'avoir à dos, pendant qu'il donnerait dans les yeux de leurs adversaires ; la reine, que Fleming, Arbroath, Seton, arrivassent de Linlithgow avec la cavalerie d'élite qui lui manquait. En présence de l'ennemi, elle avait l'attitude intrépide et animée qui convenait à la fille des Stuarts et des Guises. Devant elle flottait l'étendard du lion rouge d'Écosse. Elle montait un cheval de guerre. On l'a dépeinte dédaigneusement habillée d'une cotte rouge qui ne lui venait qu'à mi-jambe, sorte de tenue inconvenante, conforme aux habitudes prétendues de sa vie. Mais un jeune officier anglais, porteur d'un message de Drury pour la reine, qu'il suivit ce jour-là, rapporta qu'elle était ajustée à la mode des femmes d'Édimbourg, une jupe rouge avec des manches rattachées par des aiguillettes, un tour de cou, un chapeau de velours noir et une mentonnière[47]. Cela est loin de la venimeuse description de Buchanan ; une jupe courte, pauvre et usée, dépassant à peine le genou.

Pendant que les deux partis s'observaient, du Croc essaya de mettre à profit cette espèce de trêve et d'interposer encore une fois le nom et l'autorité de Charles IX[48]. Il se rendit d'Édimbourg au camp des rebelles, vers trois heures de l'après-midi. Sur ses offres de médiation, ils répondirent qu'il 'n'y avait que deux moyens d'éviter l'effusion du sang : l'un, si la reine se voulloyt tirer à part de ce malheureux qui la tenoit ; alors ils iraient la reconnaître et servir à genoux, et lui demeureraient très-humbles et très-obéissants serviteurs et sujets ; l'autre, que Bothwell acceptât le combat contre ceux d'entre eux qui l'accuseraient d'être le meurtrier du roi, qu'il s'en trouverait jusqu'à quatre, dix et douze. Comme l'ambassadeur déclinait une telle commission, ils déclarèrent qu'ils aimeraient mieux être ensevelis tout vifs plutôt quo de laisser ignorer la vérité sur la mort du roi, et que s'ils n'en faisaient leur devoir, Dieu les punirait. Il fait beau voir si vertueux un Lethington, auteur principal de l'assassinat de Darnley, comme de l'assassinat de Riccio.

Après ces édifiantes protestations, ils parurent hésiter s'ils permettraient à du Croc de pousser jusqu'au camp de la reine. Mais Lethington leva cet obstacle par respect pour le roi de France, et à cause de leur désir de conserver l'alliance de ce royaume. L'ambassadeur fut donc escorté jusqu'aux avant-postes de l'autre armée. Admis en présence de Marie Stuart, il parla du chagrin que la situation présente causerait au roi et à la reine-mère, s'ils la connaissaient, de son entrevue avec les seigneurs, et la pria de considérer que c'étaient ses sujets, qu'ils se disoient tels, et très-humbles et affectionnés serviteurs. La réponse de Marie était toute tracée : ils le montraient fort mal, dit-elle, allant contre ce qu'ils avoient signés — le bond d'Anslie —, et que eux-mêmes l'avoyent mariée à celluy qu'ils avoyent justifiez du faict donc aujourd'hui ils le voulloient accuser ; que toutfois s'ils se voulloient recognoistre et demander pardon, elle estoyt prête de leur ouvrir les bras et de les embrasser. Bothwell survint alors. Il demanda d'une voix forte si c'était à lui qu'ils en voulaient. Ils assurent, répondit tout haut le médiateur, qu'ils sont les très-humbles sujets et serviteurs de la reine ; et, ajouta-t-il d'un ton plus bas, vos ennemis mortels. Bothwell, continuant à haute voix, dit qu'il n'avait jamais fait de déplaisir à un seul. Ils ne parlaient que par envie de sa grandeur ; mais la fortune était libre à qui la pouvait recevoir ; et il n'y en avait pas un d'entre eux qui ne voulût tenir sa place. Ensuite, avec des démonstrations affectueuses, il pria du Croc, afin de mettre la reine hors de la peine où il la voyait, et pour éviter l'effusion du sang, de porter son cartel aux autres ; il combattrait celui qui sortirait des rangs, pourvu qu'il fût homme de qualité. Sa cause était si juste, qu'il était assuré d'avoir Dieu pour lui. A ces mots, Marie, émue sans doute de cet appel au souverain juge et de la brusque image du danger de mort qu'allait courir celui qui, après tout, était son mari, déclara qu'elle ne le souffrirait pas et qu'elle épousait sa querelle.

Dès lors la conférence n'avait plus d'objet. Déjà l'on voyait l'ennemi se mettre en mouvement à travers la plaine. Bothwell invita du Croc à prendre place pour juger du beau passe-temps qu'il allait avoir et comme il verrait bien combattre. Du Croc ne put s'empêcher de louer l'attitude de Bothwell et des siens. Il prit congé de la reine avec extrême regret, la laissant la larme à l'œil. En repassant par l'autre armée, il dit aux nobles qu'il avait trouvé la reine pleine de bonté, et disposée, s'ils voulaient se reconnaître, à leur ouvrir les bras. Ils répliquèrent qu'ils ne parleraient jamais d'appointement, s'ils n'avaient celui qu'ils demandaient[49]. D'après un autre récit[50], Glencairn aurait dit qu'ils n'étaient pas venus pour solliciter leur pardon, mais plutôt pour l'accorder à ceux qui avaient fait l'offense ; et Morton, qu'ils étaient en armes non contre la reine, mais contre le duc des Orcades, le meurtrier du roi. Qu'il nous soit livré, ou que Sa Majesté l'éloigne de sa présence, et nous lui obéirons. L'ambassadeur se retira vers Édimbourg.

Il était cinq heures du soir. Les lords reprirent leur marche offensive. A cet aspect, l'armée royale commença de se troubler. L'immobilité de ce jour après la précipitation de la veille, les symptômes d'hésitation du chef, les pourparlers, avaient ébranlé des hommes qui souffraient en même temps de la chaleur et de la soif. La reine avait une bonne raison de traîner en longueur : elle voulait donner le temps d'arriver aux huit cents chevaux que ses amis, elle le savait, amenaient de Linlithgow, et dont la présence lui eût assuré la victoire. Mais, funeste effet de l'intervention de du Croc, comme on avait su par l'ambassadeur que les nobles étaient résolus de combattre le duc en quelque façon que ce fût[51], on se mit à dire que la querelle devait se vider en combat singulier. Bothwell et la reine y consentirent alors ; un défi fut adressé aux nobles et accepté, parce que de leur côté aussi l'armée était bien aise de n'en pas venir à l'effusion du sang[52]. Le laird de Tullibardine s'offrit, mais ne fut pas agréé, parce qu'il était d'une condition trop inférieure à celle de Bothwell. Celui-ci somma directement le comte de Morton de s'avancer et de décider la querelle par le combat main à main, entre les deux armées. Ici les lords, dans leurs narrations subséquentes, ont bruyamment accusé Bothwell de lâcheté ; c'était le cas de le mettre à l'épreuve. Mais il parait que Morton n'en était pas désireux. Comme ses amis le retenaient, en lui disant qu'il valait plus de cent Bothwell, le comte, facile à persuader, accepta pour champion Patrick, lord Lindsay de Byres. Il l'arma solennellement de son épée ; Lindsay, tombant à genoux, fit une prière pour que Dieu lui donnât la victoire sur le meurtrier du roi. De l'autre côté, Bothwell, après quelques objections sur la qualité de Lindsay, un simple lord, relevait le défi et prenait des dispositions pour le combat, lorsqu'un incident changea la scène. L'armée rebelle était divisée en trois corps, sous Morton, lord Hume et Kirkcaldy de Grange. Impatienté de consumer les heures dans l'inaction, Kirkcaldy, seul véritable soldat, se mit en devoir de tourner Bothwell avec de la cavalerie, pour lui couper la retraite sur Dunbar.

La reine l'aperçoit et soudainement prend la résolution d'en finir par un accord. Elle fait appeler Kirkcaldy ; celui-ci se rend près d'elle avec l'autorisation des lords. Feu sur lui ! commande Bothwell à l'un de ses arquebusiers ; mais Marie pousse un cri et dit au comte de ne pas lui faire un tel affront, que le capitaine est venu sur sa parole et doit s'en retourner en sûreté[53]. Grange déclare que le comte de Bothwell est soupçonné du meurtre du roi, que l'on désire que la reine l'éloigne de sa personne jusqu'à ce que l'on ait procédé à un jugement, qu'elle se transporte près des seigneurs pour se diriger d'après les conseils de sa noblesse ; qu'ils l'honoreront, la serviront et lui obéiront comme à leur souveraine[54]. Elle accepte, et Kirkcaldy va chercher la ratification solennelle des lords, qu'il rapporte bientôt. Bothwell raconte dans son premier mémoire au roi de Danemark, Frédéric II, qu'il fit d'inutiles efforts pour dissuader la 'reine de ce parti, et pour lui-ouvrir les yeux sur la trahison et la captivité qui l'attendaient inévitablement. Il la supplia de se retirer à Dunbar. Mais elle ne voulut, dit-il, entendre à aucune remontrance[55]. Ce n'est pas sans une certaine surprise que nous voyons ce dénouement prendre un caractère tout opposé sous la plume de M. Mignet[56]. Cette résolution que Bothwell s'évertue à combattre, Marie la prit pour sauver du moins celui qu'elle aimait. C'est à cette fin qu'elle fit appeler le laird de Grange et entama avec lui la négociation dont nous avons rendu compte. Telle n'est pas, il s'en faut, l'impression de Bothwell. Il semble que, plaidant sa cause auprès de Frédéric II, qui le tenait alors captif, son intérêt fût de se représenter comme aimé de sa femme et d'exagérer même les témoignages d'attachement qu'elle lui aurait donnés à l'instant de leur séparation. Loin de là, rien de plus froid et de plus sec que son récit : Après que le tout fust accordé et promis estre inviolablement tenu et gardé par les deux armées, en la présence de la noblesse et commune là présens, elle — Marie — me prya de m'en retourner à Dunbar avecques mon armée, là où de bref elle me viendroit trouver, ou, pour le moins, qu'elle me manderoit de ses nouvelles. Ainsi je partiz d'avecques elle, selon qu'elle m'en avoit requiz, m'asseurant sur la foy et promesse qu'ils luy avoyent données, tant par paroles que par lettres.... Le tout ainsi passé, je partiz d'avecques la Royne, et elle s'en alla devers eux[57]. Bothwell ne parait nullement soupçonner que Marie se soit dévouée alors pour le sauver. Qu'en le quittant, elle ne voulût pas le livrer, et qu'elle stipulât qu'il se retirerait librement, quoi de plus naturel ? Les nobles y accédèrent. Le capitaine d'Inch-Keith, présent dans l'armée royale, l'affirme : Monsieur le Duc — des Orcades, Bothwell — et le conseil des barons accordèrent et résolurent plustot ceste affaire — le traité — que de répandre du sang, pourveu que monsieur le Duc fust seur et sans estre poursuivy[58]. Cependant, comme ces derniers pourparlers venaient trop en longueur, les nobles firent mine de se disposer à l'attaque. Alors le laird de Grange prit Bothwell par la main et le pria de s'éloigner, avec promesse qu'on ne le poursuivrait pas[59]. La reine, continue le capitaine d'Inch-Keith, feit partir monsieur le Duc, avecque grande angoise et doulleur de son cousté ; et plus souventefois s'entrebessèrent au départir. Sur la fin, monsieur le Duc luy demanda si elle ne voulloit de sa part garder la promesse de fidélité que elle luy avoit faicte ; de quoy elle luy assura. Làdessus, lui bailla sa main ainsi que il départoit[60]. Bothwell prit le galop vers Dunbar avec une douzaine de cavaliers. Les nobles n'eurent garde de se mettre à sa poursuite. Pourquoi l'auraient-ils pris ? Pour le juger ? C'est-ce qu'ils eussent redouté le plus au monde, car il aurait dévoilé toutes leurs machinations. L'historien Camden, si bien instruit par les archives d'État que Cecil lui communiqua sans réserve, rapporte que tout en annonçant hautement l'intention de capturer Bothwell, les lords l'avertirent sous main de s'enfuir[61]. L'évêque de Ross, dans sa Défense de l'honneur de la reine Marie (1569), est encore plus formel[62]. Nous ne pensons pas qu'il faille prendre au pied de la lettre le tableau des adieux, tel que le capitaine d'Inch-Keith l'a tracé ; c'est-à-dire que, sans contester l'exactitude matérielle des choses, nous n'y verrions pas nécessairement la preuve de la tendresse de Marie pour le comte. Comment une séparation dans de pareilles circonstances n'émouvrait-elle pas deux époux, surtout une femme ? Comment refuserait-elle à son mari de lui garder la fidélité promise ? II faut pénétrer à travers ces apparences jusqu'au fait essentiel, qui est que Marie Stuart résolut spontanément de traiter avec les rebelles, de se rendre dans leur camp, et pour cela de quitter Bothwell, quoi que celui-ci pût dire et faire contre cette détermination. Cela ressemble-t-il à de l'amour passionné ? Murray fut-il fondé à dire, l'année suivante, devant les commissaires anglais d'York, qu'elle préféra l'impunité de Bothwell à son propre honneur en le faisant évader[63] ? Serait-ce un mouvement de peur qui aurait entraîné la reine ? Non ; tous les narrateurs louent le calme intrépide qu'elle déploya sur la colline de Carberry, colline si fatale deux fois, à son berceau et à son trône[64]. On peut même dire qu'elle méconnut son véritable intérêt, comme elle l'avait déjà méconnu tant de fois. Son intérêt, un mois auparavant, était de persister jusqu'à extinction dans son refus d'épouser Bothwell ; ici, de tâcher de le suivre jusqu'à l'asile de Dunbar et d'attendre les événements. Mais le sort en était jeté ; son mariage se rompit de fait, après avoir duré juste un mois, et son trône s'écroula au même instant.

Lorsque Bothwell eut gagné assez de terrain, le laird de Grange alla informer les nobles que la reine venait à eux. Puis il retourna de leur papi au devant d'elle : Laird de Grange, lui dit Marie, je me rends à vous sous les conditions que vous m'avez rapportées au nom des lords. Elle lui tendit la main ; le laird s'agenouilla, et après l'avoir baisée respectueusement, il prit son cheval par la bride et la conduisit au bas de la colline. Milords, dit-elle aux seigneurs qui s'étaient portés au devant d'elle, je viens à vous, non pas que j'aie craint pour ma vie, ni douté de la victoire, si les choses en étaient venues à l'extrémité. Mais j'ai horreur de l'effusion du sang chrétien, et surtout du sang de mes sujets. Voilà pourquoi je m'en remets à vous ; je veux désormais me gouverner par vos conseils. J'ai la confiance que vous respecterez en moi votre princesse naturelle et votre reine. — Madame, lui répond Morton avec un profond salut, c'est ici la place qui convient à votre grâce. Nous voulons vous honorer, vous servir et vous obéir aussi fidèlement que la noblesse de ce royaume le lit jamais pour aucun de vos ancêtres. Comme cette noblesse n'avait jamais fait que trahir et assassiner ses rois, le sort de Marie Stuart s'annonçait clairement dans ces paroles hypocrites.

En effet, à peine ont-ils ratifié de nouveau les engagements contractés par le laird de Grange en leur nom, qu'un coup de théâtre éclate. Parmi la foule des vainqueurs, on entend des cris : Au feu la prostituée ! au feu l'homicide ! brûlez-la ! Marie se tourne vers Morton : Que prétendez-vous ? lui dit-elle. Si c'est le sang de votre reine qu'il vous faut, prenez-le. Je suis ici pour vous l'offrir ; il n'est pas besoin de chercher d'autres moyens de vous venger. A peine a-t-elle parlé, que le comte s'assure de sa personne et la consigne sous bonne garde[65]. Elle était prisonnière.

La trahison ne pouvait pas être plus effrontée. Mais il fallut boire le calice jusqu'à la dernière goutte. Vers sept heures du soir, on se mit en marche pour Édimbourg. Devant la reine prirent place deux soldats porteurs de l'étendard où le père et le fils appelaient la vengeance céleste ; et par un raffinement de méchanceté bien digne de ces pervers, ces Lethington, ces Morton et autres assassins de Darnley, la bannière était tendue sur deux piques, de peur que l'infortunée pût distraire ses regards des affreux détails du crime. Ils écrivirent à Drury, en se moquant, qu'elle aurait bien voulu n'avoir jamais vu pareil tableau[66]. Elle s'évanouit, et on eut peine à l'empêcher de tomber de cheval. En même temps les injures atroces des soldats pleuvaient sur elle. Kirkcaldy de Grange, honteux, tira son épée contre les plus furibonds et leur imposa silence. Constatons-le bien. Entre l'engagement que les lords venaient de prendre et de ratifier à plusieurs reprises en moins de deux heures, de servir la reine et de lui obéir fidèlement, et la rupture subite de ce contrat, il n'était rien survenu qui fournit le plus léger prétexte de se dédire. Les paroles, les promesses de Morton vibraient encore, que déjà sa conduite et celle des siens les démentaient. Pendant qu'il avait le miel sur les lèvres, il apprêtait de ses mains les fers qu'il jeta tout à coup sur l'infortunée. Il se joua donc ce jour-là une abominable perfidie. Marie, venue volontairement au camp des seigneurs, fut à l'heure même et contre la foi jurée, assaillie d'outrages, condamnée à cheminer sous l'infamie, et pour ainsi dire sous la malédiction de son enfant. Ainsi Lethington ajoutera un nouveau mensonge à tant d'autres, quand il expliquera par les transports frénétiques de la reine durant cette marche le changement des lords envers elle.

En mesurant la profondeur du piège où elle était tombée, Marie laissa déborder son désespoir. Inondée de larmes et la tête perdue, tantôt elle s'arrêtait et protestait qu'elle ne ferait pas Un pas de plus avec des parjures et des traîtres qui avaient violé leurs promesses ; tantôt elle les menaçait du châtiment qu'ils méritaient trop bien. Elle s'indignait surtout de rencontrer parmi ses bourreaux Patrick Lindsay, avec qui elle avait passé fraternellement sa première enfance, car il était fils d'un de ses fidèles lords-gardiens. Elle l'appela, et lui prenant la main, elle s'écria : Par la main qui est sur la vôtre, j'aurai votre tête pour cela ! Sans doute il eût mieux valu qu'elle fit sur elle-même un suprême effort, et qu'elle refoulât au fond de son âme le paroxysme de douleur qui se déchaînait. Outre qu'il y allait de sa dignité de garder la possession d'elle-même, elle risquait d'empirer ses affaires, d'ôter des scrupules à ceux qui en auraient gardé, et de donner des armes aux autres pour la décrier davantage. L'astucieux Lethington en usa savamment. Comme il craignait surtout l'intervention de la France, il circonvint du Croc par des récits mensongers. Le facile ambassadeur écrivit à sa cour[67] qu'il aurait pensé que la reine, une fois entre les mains des lords, aurait usé de douceur et cherché les moyens de les contenter et pacifier. Au contraire, après qu'elle fut prise, elle ne parla tout le long du chemin que de les faire tous pendre et crucifier, et continue toujours ; qui augmante leur désespoir ; car ilz voient que s'ilz la mettent en liberté, elle ira incontinent trouver le Duc son mari, et ce sera à recommancer. Ainsi l'on renversait habilement les rôles ; c'était Marie qui n'avait pas voulu contenter les lords. Sa fureur les épouvanta et les contraignit malgré eux à la tenir en captivité[68] ; au fait, c'étaient eux qui avaient provoqué ses emportements par un manque de foi qui comptera parmi les plus scandaleux, à une époque si fertile en infamies de ce genre. Assurément aussi, le mot crucifier est une calomnie. Pourquoi Marie, qui ne crucifiait ni ne pendait personne, aurait-elle parlé d'un supplice absolument inusité en Écosse ? Ces inventions servaient à faire des lords les personnages intéressants, réduits à user à contre-cœur du droit de défense personnelle, victimes en un mot ; de qui ? de la femme inoffensive sur laquelle ils avaient accumulé tant d'injustes douleurs depuis six ans, et qui ne leur avait jamais rendu que le bien pour le mal.

Les indignes triomphateurs arrivèrent à Édimbourg vers neuf ou dix heures du soir, la bannière toujours en avant, les comtes de Morton et d'Athol de chaque côté de la captive, rendue presque méconnaissable par la douleur, les larmes et la poussière. La populace amassée vomissait les basses injures qu'elle réserve aux plus nobles causes. Au lieu de conduire Marie à son palais d'Holyrood, ils l'enfermèrent dans la maison du prévôt leur complice, sir Simon Preston, beau-frère de Lethington. C'était un édifice haut et solide, avec des tours et des créneaux, une porte fortifiée, prison très-capable de garder sa proie. On la sépara brutalement de celles de ses dames qui avaient eu le courage de la suivre. On dédaigna même de lui donner des vêtements de rechange et dé quoi baigner ses yeux brûlants[69] ; on lui servit seulement un souper auquel elle ne toucha pas, quoiqu'elle n'eût rien mangé depuis vingt-quatre heures. Le 16 juin, à l'aube, après une nuit d'angoisse, elle secoue son abattement et s'approche de la fenêtre. Elle conjure le peuple de la secourir. Au même moment ses regards rencontrent l'atroce peinture dont la vue a été, le jour précédent, l'une de ses tortures les plus cruelles. Un cri déchirant s'échappe de sa poitrine. Elle supplie la foule de la tuer ou de la délivrer des traîtres qui l'ont trompée et traitée avec tafia de barbarie. Elle demande que les états du royaume s'assemblent, qu'ils jugent entre elle et ses ennemis. Alors, à l'aspect de ses cheveux épars flottant sur ses épaules, des vêtements déchirés qui la couvrent à peine[70], les cœurs s'émeuvent ; des accents de colère contre les nobles grondent parmi les assistants. Déjà l'on parle de déployer l'étendard de laine bleue — the blue Blanket —, signe de ralliement des gens de métier aux jours d'insurrection, et sous lequel un serment traditionnel les obligeait d'accourir. La situation devient alarmante pour les rebelles, lorsqu'une nouvelle ruse de Lethington et un nouveau trait d'incorrigible bonne foi chez Marie Stuart leur rendent tous leurs avantages. Le secrétaire était dans la rue ; elle l'aperçoit, et le prie en l'honneur de Dieu[71], de venir lui parler. Elle ne pouvait pas avoir d'inspiration plus malheureuse. Le traître proteste que les lords sont ses amis, tout prêts à faire ce qu'elle désire ; mais elle les a effrayés par l'âpreté de ses paroles. Il suffirait qu'elle leur montrât maintenant des dispositions amicales et conciliantes. Marie, tombée sous le charme du magicien, s'apaise ; elle consent à voir Morton, Athol et les autres. Ils la réconfortent par de bonnes paroles, comme dit le capitaine d'Inch-Keith[72] ; ils lui Promettent de la ramener à Holyrood et de la réintégrer dans l'exercice du pouvoir. La reine alors congédie le peuple, et sa crédule longanimité fait retomber les bras qui se levaient en sa faveur.

Les confédérés prolongèrent jusqu'à la nuit l'étroite captivité de Marie chez le prévôt. Vers neuf heures, ils l'en firent sortir : mais avec quel cortège et dans quel appareil prirent-ils le chemin d'Holyrood ! Elle allait à pied, entre Morton et Athol, et les files serrées des soldats ; en avant, la bannière du meurtre et de la vengeance toujours exactement tendue par deux porteurs ; sur le pas des maisons de la Canongate, des mégères de la classe la plus vile l'accablant d'imprécations : Au feu ! Brûlez-la ! A l'eau ! Tel était le cri qui l'escortait vers la demeure royale. Marie Selon, Marie Livingston, dont le beau-père lord Sempil figurait parmi les rebelles, la consolaient du moins par leur noble fermeté à ne pas la quitter[73]. Elles partagèrent son supplice, elles la soutinrent sur cette voie douloureuse ; et aujourd'hui, devant nous, leur nom, resté sans tache, plaide pour celle qu'elles servirent si fidèlement. Elles avaient vécu ensemble de la même vie dès l'enfance, témoins de chacune de ses actions. Nous le demandons : est-ce une femme de débauche et de meurtre qui peut inspirer à de telles femmes l'amitié et la force morale capables d'affronter les opprobres avec elle et pour elle !

La veille, sous le coup de la première surprise, une sorte d'égarement l'avait saisie. Mais le second jour, maîtresse d'elle-même, elle répondait aux furies qui l'outrageaient : Je suis innocente ! Je n'ai rien fait qui mérite le blâme. Pourquoi me traite-t-on ainsi, moi votre princesse véritable, votre souveraine de naissance ? De perfides traîtres vous trompent. Bon peuple chrétien, prenez ma vie, ou délivrez-moi de leur cruauté. Son visage était intrépide sous les larmes ; ses gestes, ses paroles, son accent passionné, touchèrent encore le peuple[74] ; et de nouveau les symptômes d'agitation se manifestèrent. Mais les rebelles avaient arrêté leur plan. S'ils menaient la reine à Holyrood, c'est qu'un enlèvement mystérieux était bien plus facile à consommer dans la situation écartée du palais, que dans la maison du prévôt, au cœur et sous les yeux de la cité. D'abord ils se lièrent ensemble par un acte de confédération — A Band of Concurrence.

Cet acte[75] est un prodige de fausseté et d'impudeur. D'abord ils y dénoncent le meurtre de Darnley, lâchement et traitreusement assassiné dans sa demeure. Ils déplorent l'infamie qui a rejailli sur la nation, noblesse et peuple, de sorte qu'aucun Écossais, quelque innocent qu'il soit, n'ose plus montrer sa face à l'étranger ; et il faut convenir, disent-ils, que ce n'est pas sans quelque raison, puisque justice n'a pas été faite, ni ne doit se faire, quoique l'auteur du crime, Bothwell, soit bien connu ; et que sa conduite ultérieure le dénonce suffisamment, n'eût-on pas d'autre preuve. N'est-ce pas lui qui empêcha et retarda le jugement ?[76] Quand on demanda l'arrestation préalable des meurtriers jusqu'au jugement, cela ne fut pas accordé parce que lui, le principal d'entre eux y mit obstacle. Et avec quelle irrégularité fut conduit ce procès en vue de le purger et de l'acquitter de cet horrible forfait, c'est ce que personne n'ignore[77] ; on n'observa ni la marche usitée dans les procès de trahison, ni les formes ordinaires de la justice. Quelque justes demandes que le père elles amis de l'innocent prince assassiné contre tout droit[78], présentassent, on décida toujours le contraire. Le comte, au jour fixé pour le jugement, se fit escorter d'une troupe considérable d'hommes armés aussi bien que d'autres[79], de sorte que personne n'osa comparaître pour l'accuser. Après avoir commis ce cruel meurtre, après avoir étouffé et trompé la justice, il continua ses trames perverses[80], entassant méfait sur méfait, traîtreusement, sans crainte de Dieu, sans respect pour son souverain naturel, jusqu'à ce que par un coup prémédité, il intercepta Sa Majesté à main armée, prit et ravit sa très-noble personne et l'emmena au château de Dunbar, où il la retint prisonnière et captive.

En même temps, il obtint une double sentence de divorce entre lui et sa femme légitime, en se fondant sur sa propre turpitude[81] ; et pour rendre plus valable son prétendu mariage qui s'ensuivit bientôt après, il divorça simultanément par-devant les commissaires ordinaires[82], et selon les formes el les règles de l'Église romaine. Il montrait par là qu'il n'était d'aucune des deux religions ; et son mariage illégal, accompli aussitôt après, suivant l'un et l'autre rite, le manifesta et l'attesta encore[83]. Cela fait, marchant toujours d'une iniquité à l'autre, selon sa cruelle et ambitieuse nature trop connue, il ne voulut pas souffrir qu'aucun noble approchât de Sa Majesté pour lui parler ou s'acquitter de son office, tant il était Soupçonneux, autrement que par lui et en sa présence, tandis que des gardes armés veillaient sans relâche aux portes de la chambre royale : alors nous — trop tard, il est vrai —, nous commençâmes à considérer la situation, et à nous préoccuper de nous-mêmes, mais surtout de la conservation des jours du prince orphelin, le fils unique et légitime héritier de notre souveraine, à regarder le honteux esclavage et la captivité de Son Altesse sous le joug du comte ; de plus, nous fûmes frappés du grand danger que courait le prince, alors que le meurtrier de son père, le ravisseur de Sa Majesté la reine sa mère, était en possession des principales forces du royaume, maître d'une garde militaire. Avec quelle facilité ne pourrait-il pas à l'improviste accabler et détruire cet innocent enfant, comme il avait fait le père ; et ainsi par tyrannie et cruauté, usurper finalement la couronne royale et le gouvernement suprême de ce royaume ! Enfin, dans la crainte et au nom de Dieu, animés de l'obéissance due à notre souveraine, mus et contraints par tous ces justes motifs, nous avons pris les armes pour venger cet horrible et cruel meurtre sur le comte de Bothwell, sur ses autres auteurs et inventeurs, pour délivrer notre souveraine de ses mains, aussi bien que de l'ignominie, de la honte et de la calomnie auxquelles son esclavage avec lui l'expose, à cause de ce mariage illégal ; pour préserver la vie de notre prince naturel, et enfin garantir la justice également à tous les sujets du royaume[84]. —Suivait la formule de confédération : les signataires s'obligeaient de poursuivre jusqu'au bout, aux dépens de leur vie et de leurs biens, l'entreprise qu'ils résumaient ainsi en finissant : punir les auteurs du meurtre du roi et du rapt de la reine, dissoudre et annuler le mariage contracté illégalement[85], relever la souveraine de l'esclavage, de la captivité et de l'ignominie qu'elle subissait par le fait du comte, mettre en sûreté la personne de l'innocent prince, la tirer de l'imminent danger où elle se trouvait ; restaurer la justice et en assurer l'égale administration à tous les sujets.

Ils promettaient de tenir leurs engagements loyalement, comme ils auraient à en répondre devant le Dieu tout-puissant, sur leur honneur, foi et fidélité, aussi vrai qu'ils étaient gentilshommes, et dévoués à l'honneur de la patrie, etc.

En vérité, ces gens sont les Titans de la fourbe. Ils ont projeté une première fois l'assassinat de Darnley en 1565. Ils renouvellent à Craigmillar en novembre 1566, le pacte homicide ; ils ne s'emploient pour le rappel de Morton en décembre suivant, qu'après avoir exigé et obtenu son adhésion au complot. Après le crime, ils font avorter les recherches ; le jour du jugement de Bothwell, ils chevauchent à ses côtés, dans la ville remplie de leurs clients en armes, et procurent son acquittement. Quelques jours après, ils se déclarent par écrit résolus de combattre jusqu'à extinction, quiconque oserait. ternir l'innocence du comte ; avec les mêmes démonstrations de dévouement accompagnées d'imprécations contre eux-mêmes, s'ils se démentaient jamais, ils le recommandent pour mari à la souveraine, dont ils ont brisé l'Arne et le ressort par deux horribles meurtres en deux ans. Le rapt de Foulbriggs, la captivité de la reine à Dunbar, le divorce les trouvent impassibles : car ces violences et ce scandale étaient les conséquences naturelles du bond d'Anslie. Nul d'entre eux ne pouvait ignorer que pour devenir l'époux de Marie Stuart, il fallait d'abord que Bothwell rompit le lien légitime qui l'unissait à Jane Gordon. Quand le malheureux mariage du 15 mai a rivé la chaîne de Marie Stuart et qu'il n'y a plus à en revenir, alors ils se lèvent pour la délivrer, disent-ils ; les voilà qui font un bond pour arracher du joug de Bothwell la reine qu'ils tiennent dans leurs mains, prisonnière ; ils fulminent contre le meurtre de Darnley qu'ils ont commis, contre l'acquittement de Bothwell qu'ils ont prononcé, contre le mariage qu'ils ont imposé et qu'ils qualifient aujourd'hui de servitude déshonorante pour la reine, contre l'impiété du comte, qu'ils accusent faussement d'avoir célébré cette union par-devant les deux Églises : en un mot, tout ce qu'ils ont voulu ; tout ce qu'ils ont fait, tout ce qu'ils ont préparé de leurs propres mains et de longue date, ils le rejettent avec l'accent de la vertu indignée, sur l'homme aveugle qui a été leur instrument et leur dupe. Lethington devient l'ange du châtiment. Randolph pourtant n'en croira rien ; nous, non plus. Car nous relirons son apostrophe à ce traître et à Kirkcaldy de Grange[86].

Du moins dans ce bond du 16 juin, Marie Stuart n'est pas accusée ; elle a été enlevée de vive force, retenue prisonnière, contrainte de subir l'affront de ce mariage, et quoique mariée, environnée de gardes par un tyran soupçonneux. Point d'allusion à sa passion prétendue pour Bothwell, ni à cet exécrable projet de livrer son, enfant à l'assassin du père. En résumé les nobles sont purement les vengeurs de l'innocence, les fidèles sujets qui arrachent leur reine à un esclavage intolérable ; impatients de se remettre sous son obéissance, et de témoigner aussi leur crainte de Dieu.

Alors qu'ont-ils donc fait la veille, lorsque Marie est venue vers eux spontanément ? car elle aurait pu tenter au moins la fuite sur Dunbar. Pourquoi les insultes, l'arrestation qui démentirent si brusquement leurs solennelles promesses ? Pourquoi l'atroce appareil du retour à Édimbourg, et la rigueur de la captivité chez le prévôt ? C'est que tout cela n'était pas autre chose que l'exécution de leur complot contre la royauté.

Après le bond de confédération, ils dressèrent une autre pièce dans laquelle ils jetaient le masque. C'était le warrant ou ordre d'emprisonnement de la reine à Lochleven. Ils récapitulaient d'abord les événements depuis la mort du roi, le mariage impie et honteux de la reine ; ils ajoutaient qu'ayant fait connaître à la reine le misérable état du royaume, le danger de son fils, la nécessité de punir les assassins, ils avaient rencontré de sa part une répugnance intraitable ; qu'elle soutenait donc Bothwell et ses complices ; que si elle conservait son État, elle suivrait sa passion désordonnée et conduirait le royaume à la ruine. En conséquence, ils avaient décidé que la personne de Sa Majesté serait séquestrée de toute relation avec le comte de Bothwell, et avec quiconque pourrait tenter de le faire échapper, au juste châtiment de ses crimes. Ils ordonnaient à Patrick lord Lindsay de Byres, à William lord Ruthven, à William Douglas de Lochleven de la conduire au château de Lochleven, la place la plus convenable et la plus commode, de l'y enfermer, de ne pas permettre qu'elle eût des intelligences avec qui que ce fût, si ce n'est en leur présence ou par leur commandement, ou de la part des députés du conseil d'Édimbourg[87].

Les signataires de cet ordre étaient Athol, Glencairn, Morton Mar, Graham, Sanquhar, Symryle, W. Ochiltrée[88]. Parmi eux Glencairn et Morton avaient signé le bond du souper d'Anslie ; William Ruthven de même.

Qui s'attendrait aux motifs du warrant après avoir lu ceux du bond, deux actes rédigés le mie soir ! Quelle audacieuse contradiction ! C'est sans doute que si l'un dis deux avait pour objet de légitimer devant le public la confédération contre Bothwell, l'autre devait fournir contre Marie le prétexte du dénouement final de la tragédie.

Sur-le-champ, la même nuit, 16-17 juin, Ruthven et Lindsay pénétrèrent dans la chambre o4 la captive reposait. Ils la contraignirent de se lever ; on jeta sur elle à la hâte un manteau de cheval et un capuchon d'étoffe grossière. Entraînée de force, elle fut mise à cheval et conduite sous bonne escorte au bord du Forth. Une barque la transporta de l'autre côté. En quelques heures, le sinistre cortège parvint jusqu'au lac, au milieu duquel s'élevait sur une île le château de Lochleven. Bientôt les portes de la prison s'ouvrirent et se refermèrent sur Marie. Les vieux complots des grands étaient enfin exécutés. Selon leur plan de juin 1565, le roi était mort, et la reine confinée dans la forteresse, que dès ce temps Murray lui destinait. Elle était là sous la garde d'une ennemie, Marguerite Erskine, sœur du comte de Mar. Cette dernière, déjà séduite et rendue mère du comte de Murray par Jacques V, avait épousé Robert Douglas, laird de Lochleven, cousin du comte de Morton. Elle en avait eu trois fils dont l'aîné William Douglas possédait Lochleven, et sept filles ; l'une était femme 'de Lindsay. Bien loin de rougir de sa tante première, Marguerite Douglas affectait de se regarder comme la véritable épouse de Jacquets V, et son fils James comme le légitime héritier du trône. A ses yeux, Marie de Lorraine et Marie Stuart avaient usurpé ses droits et ceux de son sang. Ainsi chez elle, la haine de la maîtresse abandonnée et l'ambition aigrie de la mère, répondaient d'une âme inaccessible à la pitié en recevant sa prisonnière, elle osa se vanter que le lord James était le véritable représentant de Jacques V : Il est trop honnête lui-même pour le dire, répondit Marie d'un ton calme[89].

Durant ces tristes journées ; qu'étaient devenus les amis de Marie Stuart, qui avaient commencé de se rassembler dans l'ouest ? L'évènement de Carberry-Hill, avait déconcerté leurs mesures. Cependant quelques révélations les ayant informés du départ de la reine pour Lochleven, les lords Seton, Yester et Borthwick, accompagnés de David Home de Wedderburn et d'une troupe d'hommes résolus, se lancèrent au galop vers ce château. Mais leurs ennemis avaient trop d'avance.

A peine sous les verrous, la captive écrivit à Kirkcaldy de Grange et lui reprocha en termes amers de l'avoir attirée au piége que lui tendaient des traîtres. Déjà Kirkcaldy, soit un reste de pudeur, soit la crainte de la tournure que les événements menaçaient de prendre le 16 juin, s'était plaint aux lords de la tache qu'ils imprimaient à son honneur, en retenant prisonnière celle à laquelle il avait promis de leur part obéissance et respect comme à leur souveraine. Leur réponse avait été, que la nuit même (du 15 au 16) ils avaient intercepté une lettre écrite par la reine à Bothwell, où elle l'appelait son cher cœur et lui annonçait l'intention de le rejoindre le plus tôt possible. Elle l'avait donnée, disaient-ils, à l'un de ses gardes, avec promesse de récompense, s'il la portait à Dunbar ; mais il avait remis cette missive à ses chefs. Ils ajoutèrent, et ceci était leur vrai motif, que dans cette affaire il y allait de leur vie et de leurs biens, qu'il leur fallait donc s'assurer de la personne de la reine ; plus tard, quand on aurait constaté qu'elle abandonnait et haïssait le comte de Bothwell, alors il serait temps de reprendre ce chapitre[90]. Là-dessus Kirkcaldy, la conscience tranquillisée — il n'était pas exigeant —, répondit à celle qui invoquait sa loyauté, que sur ses reproches, les lords lui avaient montré une lettre qu'elle envoyait au comte de Bothwell, portant promesse, entre autres belles et consolantes paroles, de ne jamais l'abandonner, ni ne l'oublier ; alors, supposé que Sa Majesté eût écrit dans de tels termes, ce qu'il avait peine à croire, cela lui avait fermé la bouche.

Ce récit est de James Melvil. M. Mignet en l'analysant, a dit : A en croire Melvil, ils avaient eu communication d'une lettre écrite par elle à Bothwell[91]. On s'attendrait que l'historien, partant d'une formule dubitative, se demandera si Melvil est réellement croyable ; et qu'il soumettra la narration à un examen critique, d'autant plus que d'autres historiens, même très-contraires à Marie, l'ont répudiée. Mais non, il n'éprouve ni scrupule, ni hésitation ; et quelques lignes plus bas, le témoignage de Melvil est par lui admis de plain-pied aux honneurs de la certitude. L'examen qu'il n'a pas jugé à propos de faire, nous allons l'essayer.

D'abord, il est très-curieux que les lords justifient leur manquement de foi de la soirée du 15 par une lettre qu'ils auraient saisie dans la nuit du 15 au 16, tout comme ils justifieront l'enlèvement de Marie Stuart dans la nuit du 16 au 17, et sa relégation à Lochleven, par les lettres de la cassette de vermeil qu'ils raconteront avoir saisie le 20. Ensuite, comment admettre que Marie Stuart, à peine dans la maison du prévôt, ait trouvé les moyens d'écrire cette lettre, lorsqu'on l'avait scellée dans une réclusion absolue, et qu'on négligea de la pourvoir de vêtements de rechange, et même de lui donner de l'eau ? Le soldat qui aurait livré l'écrit aux nobles, ne fut ni interrogé, ni produit, ni seulement nommé. Kirkcaldy, puisque son honneur était chatouilleux à ses heures, n'aurait-il pas exigé qu'une telle lettre fût rendue publique ? Les lords n'avaient-ils pas intérêt à la divulguer, lorsque précisément leur warrant contre Marie Stuart, n'avait pas d'autre fondement que le refus obstiné de cette princesse de se séparer de Bothwell ? Refus de se séparer ! mais qu'avait-elle donc fait en le quittant malgré lui à Carberry-Hill ? Lorsqu'au mois de juillet, arriva en Écosse l'ambassadeur anglais Throckmorton, muni d'instructions à demi favorables à la captive, Morton qui lui résista vivement, ne se prévalut pas de cette lettre. Jamais il n'en fut question dans les conférences d'York et de Londres. Et cependant quel précieux appoint, après la trouvaille de la cassette de vermeil ! Buchanan l'omet dalla son histoire. Même silence de la part de Knox. Hume la suspecte. Robertson la discute et la rejette formellement[92]. Tytler la dédaigne. Seul, M. Mignet l'admet sans balancer et sans avertir, comme un point qui n'aurait jamais donné lieu à difficulté. Cette imposture, que les nobles laisse, eut tomber dédaigneusement Après s'en être servie quelques heures, il la recueille ; elle refleurit en ses pages pour motiver et légitimer l'incarcération de Marie Stuart. Cette lettre el les menaces de la reine rendirent les lords sans merci en les laissant sans espérance. Ils se décidèrent à l'enfermer et à la détrôner[93]. La faiblesse démontrée des prémisses détruit la force de la conclusion. Et pour tout résumer, les outrages de la soirée du 15 juin n'étaient-ils pas déjà le détrônement ?

On nous opposera une dépêche de du Croc à Catherine de Médicis[94], qui sans confirmer directement l'assertion des lords semblerait l'autoriser. L'ambassadeur français rapporte que le soir (du 16) il se promena trois heures arec Lethington : Et il me dict que la Royne d'Ecosse l'ayoit appelé à sa fenestre[95]... pour lui remonstrer le tort qu'il luy faisoit de la vouloir séparer de son mari, avec lequel elle pensoit vivre et mourir avec le plus grand çontantement du monde. — Il luy respondit qu'il s'en falloit tant qu'ilz luy pensassent faire desplaisir de la départir d'avec celuy dict son mary, que, au contraire c'estoit le plus grand bien et honneur qu'ilz luy sauroient faire, espérant par là son repos et contantement.... La fin de leurs propos fut que, estant réduite en l'extrémité nù elle este, elle ne demandoit sinon qu'ilz les missent tous deux dans un navire pour les envoyer là où la fortune les conduiroit. Il me dict qu'il vouldroit qu'ilz y fussent, pourveu que ce ne fût point en France. Je lui dictz au contraire que je vouldrois qu'ilz y fussent, et le Roy en jugerait comma le faites le mérite, car la malheureux faicts sont trop prouvés. Voilà un témoignage accablant peur la pauvre reine en apparence seulement.

Est-ce ici du Croc qui parle de ce qu'il a vu de ses yeux, entendu de ses oreilles ? Non c'est Lethington, maitre de débiter à son auditeur toutes les fables, qu'il juge opportun de mettre en circulation dans l'intérêt de son parti. Lethington est le meneur de cette révolution aristocratique ; nous n'avons pas besoin de le prouver de nouveau, ni de redire l'amère philippique de Randolph. Il veut abuser du Croc, et par lui, la cotir de France, où d'ailleurs l'ambassade anglaise préparait le terrain. Les lords ont besoin d'un prétexte pour colorer l'indignité de leur trahison envers Marie Stuart. Impossible d'accuser de tyrannie politique ou d'intolérance religieuse la plus douce des souveraines ; l'évidence matérielle crierait trop haut contre une telle fausseté. Que faire ? Employer les imputations de nature intime, toujours si difficiles à repousser ; attaquer les sentiments supposés du cœur ; arguer des apparences qu'avec un art consommé, on a su rendre contraires à une femme accablée et malheureusement plus spirituelle que sagace ; si les preuves manquent, en fabriquer. On me parle encore ni d'adultère, ni d'assassinat ; l'attachement passionné a Bothwell époux suffit pour le moment[96].

Marie Stuart a donné une tout autre version de son entrevue use je secrétaire. Ses instructions du 29 septembre 1568 à ses commissaires aux conférences d'York, portent qu'elle réclama pour juger entre elle et les lords, la noblesse réunie et les États du royaume ; qu'elle chargea Lethington de porter cette demande aux lords qui la rejetèrent[97]. C'est ce que ses commissaires déclarèrent en effet le 16 octobre suivant, en réplique à Murray[98] ; Leslie le répète dans son éloquente et véridique Défense de l'honneur de la reine[99]. Et cette affirmation faite le front levé, on ne voit pas que Murray, Lethington y aient répondu. Au reste, faut-il apporter la preuve matérielle que Lethington mentait devant du Croc ? Le même entretien et la même dépêche renferment un mensonge énorme du secrétaire. Du Croc lui faisant observer que la détention de la reine après l'arrestation était une plus grosse affaire que l'arrestation même, parce que les lords, s'ils ne se trouvaient pas les plus forts demanderaient sans doute le secours des Anglais, et qu'alors il ne fallait pas douter que le roi de France ne prit le parti de la reine J'Écosse, Lethington se récria : il me jura sur son Dieu que, jusque icy, ilz n'avoient aucune intelligence avec la Royne d'Angleterre ni aultre prince estranger, et n'en demandoient point, pourveu que le Roy ne se déclare point pour la Royne d'Escosse, s'assurant assez de leurs forces pour exécuter leur entreprise, et qu'ilz seroient contrains de s'en ayder si cela advenoit ; mais surtout ilz désiroient que le Roy voulût prendre le Prince et ce royaume en sa protection et garde. — Je lui dictz que malaisément le Roy accepteroit cela contre le gré de la Royne, et qu'il aymeroit mieux laisser executer ceste querelle, pourveu qu'ilz ne se aydent de la Royne d'Angleterre ni d'autres étrangers[100].

Le mensonge de Lethington, qui ne l'a reconnu du premier coup ? Jurer sur son Dieu qu'ils n'ont aucune intelligence avec la reine d'Angleterre, et n'en demandent point ! mais que font-ils depuis bientôt dix ans, qu'ils conspirent avec Élisabeth et Cecil contre Marie Stuart ? Quelle est la machination qui n'a pas eu son levier en Angleterre ? Quand ils ont eu le dessous, n'est-ce pas en touchant le sol anglais qu'ils ont chaque fois recouvré leurs forces ? Pour ne pas sortir des faits du moment, n'est-ce pas après que Murray eut traversé l'Angleterre, se rendant en France, que le comte de Bedford reçut de son gouvernement l'ordre de courir sur-le-champ à la frontière du nord, et de se mettre en mesure de soutenir les seigneurs d'Écosse, ligués pour s'opposer à l'entreprise de Bothwell[101] ? Et les trois lettres de Kirkcaldy de Grange à Bedford, les 20 et 26 avril, le 8 mai, dont le refrain est de réclamer l'appui de l'Angleterre dans le soulèvement qu'ils préparent ? Et la lettre de Robert Melvil à Cecil le 7 mai, avec les mêmes sollicitations[102] ? Tout le temps que Murray séjourna en France, les lords confédérés correspondirent avec lui par l'intermédiaire de Cecil et de Norris[103]. Et ce fut le gouvernement anglais qui lui fournit les moyens de quitter la France presque furtivement, pour revenir prendre eu Écosse la régence que ses amis, les lords et Cecil, lui avaient apprêtée. Est-il donc un mensonge plus effronté que celui de Lethington ? Sachant très-bien que la cour de France ne désirait qu'un prétexte plausible de ne pas agir, il en tirait dextrement une promesse de non-intervention, ce qui suffisait, comme il le dit fort bien, pour exécuter leur entreprise. Mais afin de dégoûter plus sûrement le roi de toute velléité d'action, il fallait décrier de plus en plus la prisonnière ; dépeindre chez elle un amour effréné pour Bothwell ; par cet amour, l'inscrire au nombre des complices de l'assassinat de Darnley ; mentir sur ce qu'elle avait dit dans la maison du prévôt. Comment du Croc qui avait montré auparavant de la sagacité, donna-t-il dans le piège ?

Comment épousa-t-il les discours du fourbe, au point de souhaiter que Marie et Bothwell abordassent en France sur te vaisseau fantastique où les embarquait l'imagination inventive du secrétaire ? Comment va-t-il dire d'après tout cela, que les malheureux faits sont trop prouvés ? Nous confesserons que l'infortunée reine avait, sans le savoir, tourné les apparences contre elle. Peut-être aussi du Croc fut-il plus particulièrement accessible aux artifices de Lethington, à cause de la mauvaise humeur qu'avait pu causer à un homme de bon sens comme lui, l'espèce d'aveuglement qui parut entraîner Marie Stuart après la mort de Darnley. Cet aveuglement, effet de l'incapacité politique, pouvait être imputé à l'égarement du cœur. L'immoralité générale du siècle nuisit à Marie Stuart. Elle, qui pour la douceur du caractère et la pureté des mœurs n'était pas plus de son siècle que de son pays, fut jugée à la même mesure que tant d'autres princes et personnages du temps ; et parce qu'en général cette époque de dépravation et de fureurs religieuses, ne regardait guère à un meurtre, on ne s'étonna pas que la reine d'Écosse se fût débarrassée d'un mari qui l'avait tant offensée. Quoi qu'il en soit des circonstances qui trompèrent du Croc, puisqu'il devait laisser échapper de telles paroles, félicitons nous du moins qu'elles sortent du déluge de faussetés, où l'autre l'avait noyé trois heures durant. Narrateur abusé, tout pétri des mains de Lethington, il regorge de sec impostures.

Sur le continent, Catherine de Médicis était l'ennemie persévérante de sa bru, quoiqu'elle ne fût nullement encline à regretter Darnley. Elle avait trouvé que c'était grand heur pour la reine sa fille d'en être défaite[104]. Charles IX aimait sa belle-sœur. Mais l'agitation de son propre royaume à l'approche de la seconde guerre de religion, sa jeunesse et son inexpérimenté le retenaient sous la tutelle de la reine mère et du connétable de Montmorency, qui ne souhaitaient que du mal à la maison de Lorraine. Les dépêches de du Croc étaient aussi de nature à déconcerter son bon vouloir[105]. La politique française prit donc son parti du renversement de Marie Stuart, par le vain espoir que cette révolution se passerait en famille, comme s'il était possible que la réforme d'Écosse en détrônant une princesse catholique, ne cherchât pas l'appui de la réforme d'Angleterre ; comme si la politique antérieure des lords confédérés, n'avait pas déterminé forcément leur politique future. Pour achever ce rôle de dupe, Catherine de Médicis dès qu'elle apprit les événements de Carberry-Hill, envoya en toute Me un courrier à Lyon, afin d'appeler le comte de Murray près d'elle, et de le renvoyer en Écosse prendre la direction des affaires[106]. Elle croyait le gagner par cet empressement et primer la reine d'Angleterre dans la faveur du comte 1 Cela montre la profonde ignorance où l'on était des affaires d'Écosse, et le pauvre rôle qu'on allait y jouer.

Maintenant, avant de' suivre Bothwell dans ses dernières aventures et dans sa captivité chez les Danois, nous croyons devoir nous attacher à Marie Stuart, jusqu'au moment où la faction triomphante arrachera définitivement la couronne à la mère, pour la transporter sur la tète du fils ; dernière phase du vieux complot de l'aristocratie contre l'héritière des Stuarts. Ce sera encore l'histoire de Bothwell et de sa funeste étoile.

Le 17 juin, pendant que la forteresse de Lochleven recevait leur victime, les lords feignirent un grand zèle contre les assassins et firent arrêter quelques malheureux que l'on tortura. L'un d'eux, le capitaine William Blacater, envoyé à l'échafaud, protesta de son innocence jusqu'au dernier moment ; un autre, le capitaine Cullen, saisi bruyamment et dont on se vanta d'avoir tiré tous les détails du complot, disparut sans qu'on en entendît plus parler[107]. Le 18, on fit main basse sur les bijoux, l'argenterie et tous les objets précieux de Marie Stuart[108] ; le comte de Glencairn suivi seulement de ses domestiques saccagea la chapelle d'Holyrood. Morton et ses amis s'intitulèrent les lords du Conseil privé. Cependant ils étaient inquiets, Buchanan l'avoue. La majorité de la noblesse s'indignait qu'un si petit nombre de seigneurs se fût arrogé le droit de disposer du royaume et eût commis l'attentat énorme d'emprisonner la reine. Les masses qu'on nous décrit toujours si animées contre Marie Stuart, éprouvaient plutôt des sentiments de commisération et de sympathie. D'autre part, les nobles opposants se réunissaient au château d'Hamilton ; si formidable fut leur nombre, que ceux d'Édimbourg leur envoyèrent avec des lettres gracieuses un appel à la concorde, et les prièrent de venir délibérer ensemble sur les moyens d'établir les affaires.

Un premier refus ne les découragea pas. Comme l'Église réformée tenait alors une de ses assemblées générales à Édimbourg, on leur adressa par elle un appel encore plus pressant, le 26 juin. Ils ne donnèrent pas davantage dans la pieuse embûche, et déclarèrent qu'ils ne se croiraient ni libres, ni en sûreté au milieu des hommes armés qui remplissaient la capitale[109]. Les nobles fidèles à la reine étaient les comtes d'Huntly, d'Argyle, de Caithness, de Crawford, de Rothes et de Menteith ; les lords Boyd, Drummond, Herries, Cathcart, Yester, Fleming, Livingston, Seton, Glammis, Ogilvie, Gray, Oliphant, Methuen, Innermeith, Somerville ; les commendataires d'Arbroath, de Rilwinning, Dumfernling, Newbottle, Holyrood et Saint-Colm[110]. Joignons-y John Hamilton, archevêque de Saint-André, et ce qui restait de catholiques. Le duc de Châtelleraut était alors en France. Que manquait-il à un parti si considérable pour prendre sa revanche ? L'appui de la France et un chef. Malheureusement l'archevêque de Saint-André qui s'était mis à leur tête était dénué de talents ; et comme il ne sut pas diriger la diversité des esprits et des intérêts particuliers, tout se passa en mouvements stériles.

Chez les rebelles, au contraire, étaient les hommes de tête et d'action.

C'est pendant ces négociations avec le parti de la reine que les lords du Conseil arrêtaient, le 20 juin, George Dalgleish, valet de chambre de Bothwell. Les comtes de Morton et d'Athol, le prévôt de Dundee et Kirkcaldy de Grange l'examinèrent le 26 du même mois. Ils lui firent raconter le complot de son maître contre Darnley, la part que lui-même y avait prise, et le pendirent avec trois autres le 3 janvier 1568. Ce fut huit mois après le supplice, le 16 septembre 1569, alors que le malheureux n'était plus là pour nier ou pour avouer, que Morton déclara avoir saisi entre ses bras la cassette de vermeil renfermant les lettres de Marie Stuart à Bothwell. Nous ne voulons pas traiter à nouveau cette question[111] ; nous rappellerons seulement que l'interrogatoire du 26 juin subsiste[112], et que, ni de près, ni de loin, ni en quelque façon que ce soit, directe ou détournée, il ne présente la plus légère allusion à la capture du 20 ; silence inconcevable, lorsqu'une fortune inouïe leur livrait tout à coup les pièces les plus propres à justifier l'insurrection qui les embarrassait même dans le succès, et à décider en leur faveur l'opinion publique hésitante ou indignée contre eux. Remarquons aussi avec Tytler[113] combien il est extraordinaire que Drury dont les lettres informaient Cecil jour par jour, et avec les plus minutieux détails, de tout ce qui se passait, ne dise nulle part un seul mot d'une découverte qui les aurait mis au comble de la joie.

Le 23 juin, on vit arriver un envoyé français, Nicolas de Neuville, sieur de Villeroy. Sa mission était antérieure à la révolution du 15. Ses instructions émanées de Catherine de Médicis respiraient une haine sourde contre Marie Stuart, qu'elles sacrifiaient à peu près sans ambages. Il y était dit que l'entreprise des seigneurs était sous main assistée des Anglais : Qu'il pourroit estre, comme Dieu est juste, que leurdicte entreprise viendroit à quelque effect dont le fondement ne seroyt pas blasmé ne improuvé de tout le monde, puisqu'elle est couverte de la cause du filz ; qu'ils auraient alors leur principal recours aux Anglais, dont la charité serait la ruine de l'Écosse, et l'on continuait : le roy veult que ledict sieur du Croc saiche que le désir et intention principale de Sa Majesté est de conserver le royaume d'Escosse à sa dévotion, sans permettre que soubz prétexte de tant de folies qui se présentent, il se retire et aliène en autre dévotion que la sienne, comme il est certain qu'il seroyt pour faire envers lesdicts Anglois, que lesdicts seigneurs chercheroient comme protecteurs en l'affaire qui se présente, s'ilz voyoient n'avoir aucune assurance du costé du Roy. Mais il aurait fallu que Villeroy apportât en Écosse autre chose que des paroles. Espérer qu'avec les caresses d'un langage équivoque, on détacherait les nobles de la clientèle anglaise où ils puisaient leur sève et leur audace, était une illusion puérile. Villeroy l'éprouva sur-le-champ ; les lords du Conseil ne lui permirent pas de visiter la reine dans sa prison ; et, dès le 26, sans avoir remis ses dépêches, il repartait piteusement pour la France, où il fut assez mal reçu. Du Croc le suivit de près ; il rentra le 12 juillet à Paris, si boutonné, dit l'ambassadeur espagnol, qu'on n'en pouvait pas tirer une parole, preuve certaine que les affaires d'Écosse n'allaient pas au gré des Français[114].

Abandonner ainsi le terrain c'était le livrer à l'influence que l'on redoutait, celle de l'Angleterre. Riant sans doute en eux-mêmes de la naïve confiance de du Croc dans leur serment qu'ils n'avaient aucune intelligence avec la reine d'Angleterre, ils écrivirent à celle-ci le 20 juin que leur prise d'armes n'avait pas eu d'autre motif que de punir les assassins du roi ; qu'aussitôt la vengeance accomplie, ils remettraient leur souveraine en liberté. Quant à couronner le jeune prince, ils n'en avaient jamais eu l'idée — nous voyons qu'ils mentaient avec la même aisance aux Anglais qu'aux Français —. Ils finissaient par une demande d'argent, avec protestation qu'ils étaient prêts à rejeter les offres de la France et à se laisser guider en tout par l'Angleterre[115]. Leur lettre trouva Élisabeth dans sa perplexité habituelle, la joie pour l'humiliation de Marie Stuart, la colère contre l'attentat commis par des sujets sur les droits des couronnes. Ballottée d'une passion à l'autre, mais tout fiel envers sa cousine et menée par son ministre, qui ne connaissait pas plus les hésitations de conscience, que celles d'orthodoxie politique, elle allait comme précédemment faire la leçon aux deux partis, et finalement céder à l'impulsion de sa haine et de son ambition.

Son premier mouvement fut mauvais Elle expédia en Écosse Robert Melvil, l'ambassadeur qui représentait en apparence Marie Stuart auprès d'elle, en réalité les traîtres parmi lesquels il s'était rangé secrètement, lorsqu'il avait secondé les appels réitérés de Kirkcaldy de Grange au gouvernement anglais. Devenu depuis lors leur intermédiaire à la cour de Londres, il sollicitait des subsides pour eux ; il en vint bientôt à proposer en leur nom à Élisabeth d'obliger Marie d'abdiquer en faveur de son fils. Il les informa de l'intention d'Élisabeth d'aider leur honorable entreprise, et de son acquiescement au plan d'abdication pourvu que Marie descendit volontairement du trône[116]. Ainsi, quoiqu'Il fût porteur d'une courte lettre de consolation pour la captive de Lochleven, sa mission véritable était d'encourager les rebelles. Aussitôt à Édimbourg il rendit compte à Cecil de l'état du royaume[117]. J'ai, dit-il, fait connaître la bonne disposition de Sa Majesté la reine — d'Angleterre — à aider les lords et à participer avec eux aux poursuites contre les meurtriers du roi, ainsi qu'à la sûreté du prince sous la garde du comte de Mar : de quoi les lords remercient très-humblement Son Altesse. Les points particuliers sur lesquels j'ai pris l'avis de Votre Honneur d'après les intentions de votre souveraine, ne sont pas encore décidés, parce que la plupart des nobles sont en ce moment dans leurs maisons où ils se reposent avec leurs amis. Après avoir indiqué que les Hamiltons et le comte d'Huntly leur donnent quelque inquiétude, il continue : Avant mon arrivée, les lords avaient rédigé diverses instructions pour moi, outre une lettre destinée à Sa Majesté — toujours Élisabeth —, et signée de leurs noms. Le contenu en était, qu'ayant eu par moi connaissance de la bonne disposition arrêtée de votre maîtresse et de son conseil à les assister dans leur nécessité extrême, eux à leur tour, manifesteraient en son temps leur bonne volonté de servir Sa Majesté de préférence à toute autre. En ce qui regarde leurs rapports avec la France, ils se sont conduits si prudemment, qu'ils ne lui ont donné aucun motif plausible de s'offenser, et que la reine votre souveraine en sera pleinement satisfaite.

Présentement, les lords n'ont besoin que d'argent ; car ils ont enrôlé des gens de guerre, et ils vont en appeler encore. On croit que les Hamiltons sont soutenus par les fonds de la reine — Marie —, et que la France leur procurera des ressources, parce qu'elle n'a plus l'espérance de s'attacher ceux des nobles qui sont de notre côté. Voilà pourquoi il est absolument indispensable, qu'il nous vienne au plus tôt de l'argent de la reine votre souveraine, par la voie de sir Nicolas Throckmorton, ou de quelque officier des frontières ; les exigences auxquelles ils auront à faire face, devant se présenter dans huit ou dix jours, circonstance dont je crois utile d'avertir Votre Honneur. Comment se fera mon voyage auprès de la reine — à Lochleven —, c'est ce qui n'est pas encore réglé, à cause de l'absence du plus-grand nombre des lords. Melvil ajoute que Lethington, accablé d'affaires, est heureux d'apprendre la sollicitude que Cecil apporte à ce que tout se fasse avec justice et modération. Et afin que la reine votre souveraine ait sujet d'être contente de l'entretien que vous avez eu avec moi, il fait grand cas de vos conseils sur différents points[118] : le mieux est toujours de poursuivre l'affaire dont nous sommes convenus d'abord et d'aller jusqu'au bout. Vous serez averti de tout en diligence. Pour le reste, reportez-vous à la lettre de milord de Lethington ; lui, de son côté, se repose sur le soin qu'il espère toujours que Votre Honneur prendra d'avancer leur honorable entreprise. Quant aux lords, ils s'entendront avec votre ambassadeur pour la garde du prince ; et d'après le désir de Son Altesse, ils le remettront entre les mains de Sa Majesté, si par la suite, ils jugent possible de l'envoyer au dehors.

Lethington trouva le même jour quelques moments pour son ami, lord Cecil : Je vois, lui écrivit-il, d'après mes conversations avec M. Melvil depuis son retour, que vous continuez et votre constante amitié envers moi en particulier, et votre appui dans cette commune querelle qu'ont entreprise bon nombre de nos nobles, afin de recouvrer l'honneur presque perdu de ce pays, depuis le meurtre honteux qu'on y a commis et qui n'est pas encore vengé. Je loue Dieu de vos bonnes dispositions et je vous en remercie du fond du cœur. Je juge aussi par ses rapports, que Sa Majesté la reine votre maîtresse incline très-gracieusementis most gentky inclinedà reconnaître la justice de notre cause, et à l'avancer par sa protection ; de quoi, je suis bien sûr, qu'elle n'aura jamais à se repentir. Car, outre que la chose en elle-même est pieuse et digne de l'approbation de tous les princes chrétiens, j'ai la confiance que dans l'avenir, Sa Majesté ne trouvera jamais les nobles d'ici oublieux du secours qu'ils auront reçu d'elle pour aider à nos affaires[119].... S'il nous vient quelqu'un de la part de Sa Majesté, on lui en dira davantage et sur cette matière, et sur toutes les questions susceptibles de contenter votre souveraine[120]. Quant à notre cause je la crois, grâce à Dieu, bien en sûreté ; nous ne craignons aucun parti dans ce royaume, à moins qu'il ne soit soutenu des deniers de la reine — Marie Stuart —, ou de l'argent étranger. Afin d'y parer, nous avens levé plusieurs compagnies d'arquebusiers en contribuant tous ; mais les entretenir sera la grande difficulté. Lethington finit en affirmant que si Élisabeth leur accorde quelque argent, il ne met pas en doute que leur partie ne soit gagnée. Une somme moindre envoyée tout de suite, serait infiniment plus utile qu'une grosse somme qui se ferait attendre[121].

Quelles preuves surabondantes des étroites relations des lords confédérés avec Élisabeth et Cecil, de leur communauté de plans, de leur entente de vieille date. Ô profondeur et politique risible de la cour de France, qui abandonne Marie Stuart à ses geôliers, de peur que ceux-ci n'aient recours aux Anglais, et qu'alors le royaume d'Écosse cesse d'être à la dévotion de Charles IX !

Après s'être complu dans sa trahison, Robert Melvil se rendit à Lochleven, où il ne fut admis à voir la reine qu'en présence de Ruthven, Lindsay et William Douglas. Marie se plaignit amèrement qu'on l'empêchât de s'entretenir en particulier avec son serviteur[122]. Melvil lui fit une seconde visite, cette fois sans témoins. On espérait peut-être quelque épanchement, qu'il serait ensuite possible de retourner contre elle. Mais elle se contenta de demander des vêtements dont ses indignes persécuteurs la laissaient manquer, elle et ses dames. Robert lui remit seulement alors la lettre d'Élisabeth, laconique et insultante pour la prisonnière, gracieuse pour le messager, qu'elle qualifiait de fidèle serviteur de Marie[123].

Celui-ci n'avait été en Écosse que le précurseur d'un personnage plus imposant, sir Nicolas Throckmorton, un des ministres d'Élisabeth. Throckmorton, revêtu de pouvoirs solennels à la date du 30 juin 1567, emportait des instructions de deux sortes, relatives à la reine d'Écosse, et aux lords. Quant à la reine d'Écosse[124], il devait se rendre près d'elle, et lui exprimer le chagrin qu'avaient causé à la reine d'Angleterre, l'assassinat impuni de Darnley, la protection dont elle avait couvert Bothwell et ses complices, le divorce de celui-ci avec sa femme, et, reproche dont elle ne se laverait jamais, la soudaineté, l'empressement et la précipitation avec lesquels elle avait pris pour époux un homme déshonoré. Dès lors, Élisabeth percée jusqu'au fond du cœur, avait pris la résolution de ne plus se mêler de ses affaires, puisqu'à en juger par ses actions, la reine sa cousine avait pour toujours fait litière de son honneur. Mais les derniers événements, l'arrestation et l'emprisonnement d'une reine par ses sujets avaient changé les dispositions d'Élisabeth en des sentiments de pitié, et l'avaient déterminée à la mettre en liberté par tous les moyens possibles. L'ambassadeur devait s'entretenir avec elle sur l'état du royaume, sur la manière dont les choses étaient arrivées, sur ce qu'elle croyait que l'on pourrait entreprendre honorablement par les conseils ou par la force, afin de la délivrer et de rétablir la paix dans le royaume ; la reine d'Angleterre étant prête à faire en sa faveur, ce qu'elle ferait pour sa propre sœur ou même pour sa fille. Throckmorton ne devait pas non plus laisser ignorer à Marie les accusations que ses sujets élevaient contre elle. Il devait l'écouter dans ses réponses, ses demandes et sa défense ; lui conseiller la modération, l'oubli des offenses une fois replacée sur son trône, le châtiment des assassins de son mari quels qu'ils fussent, la concession de garanties raisonnables, telles que ses nobles et ses sujets les désireraient pour leur vie et leurs biens. Sur ce point, Élisabeth offrait son arbitrage.

En résumé, elle estimait qu'il y avait trois questions principales à régler ; 1° la délivrance de la reine et un bon accommodement avec ses sujets, par persuasion, traité ou force ; 2° la punition des meurtriers de Darnley ; 3° la sûreté du prince royal évidemment compromise, si les meurtriers du père restaient impunis. Or quel meilleur moyen de préserver l'enfant, que de l'envoyer en Angleterre, où il serait élevé par sa grand'mère — la comtesse de Lennox — ; outre sa sûreté personnelle, il pourrait par la suite, y trouver beaucoup d'autres bonnes choses, qui ne seraient pas d'une médiocre importance[125].

Avant toute démarche près de Marie, Throckmorton avait ordre de commencer par les lords. Cette autre partie de ses instructions[126] portait que sa souveraine, désirant connaître directement l'histoire des derniers troubles, l'avait chargé de visiter les lords et la reine ; ils devaient d'autant moins hésiter à le mettre en rapport avec cette princesse, qu'Élisabeth n'était pas guidée par d'autres motifs que ceux qui les avaient décidés eux-mêmes à former leur ligue, savoir la punition des meurtriers du roi, et la conservation de 'l'enfant royal. Ensuite, il proposerait les bons offices de son gouvernement pour ménager un accord entre eux et Marie Stuart. Élisabeth revendiquait d'ailleurs au profit de sa cousine le principe qu'une reine ne peut être ni détenue, ni privée de sa couronne par ses sujets ; qu'il n'appartient pas à des sujets de chercher à réformer le prince, autrement que par des avis et des conseils ; et s'ils ne sont pas écoutés, leur devoir est de s'en remettre à Dieu. Car le prince ne tient que de Dieu. Au reste, elle prétendait seulement sauvegarder le trône de la reine d'Écosse ; passé cela, on prendrait les meilleures mesures pour garantir la tranquillité publique et sévir contre les auteurs du crime qui avait souillé le royaume. Il va sans dire qu'il entrait dans le rôle de Throckmorton de les détourner de renouer l'alliance avec la France, en leur remémorant que l'expérience ancienne et récente était là pour en démontrer les conséquences fâcheuses : d'ailleurs les Écossais n'auraient-ils pas tout à craindre pour leur religion ? Quant aux demandes de secours qu'ils avaient adressées à la reine d'Angleterre, ils ne lui avaient jamais envoyé quelqu'un d'autorisé. Elle attendrait donc que son ambassadeur l'eût instruite de leur situation : alors elle leur donnerait une réponse définitive et raisonnable.

Ainsi la sévérité de ses doctrines sur l'inviolabilité de la puissance royale, ne l'entraînait pas jusqu'à décourager les rebelles. Un plan de réorganisation de l'Écosse fut par elle adjoint à ses doubles instructions : mise en liberté de la reine, procès de Bothwell, divorce avec lui, convocation d'un parlement, amnistie générale, partage de l'exercice de l'autorité entre la reine et la noblesse — réglé de telle sorte qu'il équivalait à la mise en tutelle de la royauté — ; on priera la reine d'Angleterre d'accepter le protectorat dudit parlement[127].

Ces arrangements quels qu'ils fussent, auraient sans doute mieux valu pour Marie Stuart que la captivité. Mais Élisabeth n'était pas sincère avec elle-même ; il s'en fallait bien qu'elle fût décidée à employer la force en faveur de sa parente. Il parait même qu'au moment où elle fit partir Throckmorton, elle penchait plutôt du côté des lords. Au moins c'est ce qui ressort d'une réponse de cet ambassadeur à une dépêche de Cecil qui lui était parvenue à Berwick, le 10 juillet, avant qu'il fût sorti du territoire anglais. Je suis fâché, disait-il, de voir que les dispositions de la reine envers les lords soient changées, à l'occasion de tout ce qui a été fait. Il est certain que ces lords peuvent être plus utiles à Sa Majesté que la reine sa cousine, et qu'ils sont des instruments plus propres à procurer quelque avantage et tranquillité à Sa Majesté et à son royaume, que la reine d'Écosse, dont la réputation est entachée[128].

On a rangé quelquefois Throckmorton parmi les amis de Marie Stuart ; il est facile ici de voir ce que l'on doit en penser. Il se contentera de s'acquitter extérieurement de la partie sympathique de sa mission. C'est qu'il faut distinguer en lui le porte-parole de la variable Élisabeth, et l'agent de l'immuable Cecil. De là, le rôle incertain et même ridicule qu'il va jouer. Le 11 juillet, il entrait en Écosse ; Lethington et James accourus au-devant de lui, le conduisirent à Fastcastle, chez lord Home. Là dans une conférence privée, il leur fit connaître ses instructions et demanda qu'on l'introduisît auprès de la reine. Mais il reconnut tout de suite qu'il avait affaire à des maîtres dans l'art subtil et audacieux, où ils s'étaient montrés si redoutables à l'infortunée Marie Stuart. Ils répondirent qu'ils savaient le mal et le bien que non-seulement la France, mais aussi l'Angleterre pouvaient leur faire ; qu'ils avaient appris par expérience que s'ils couraient la fortune de la reine — d'Angleterre —, elle ne manquerait pas de les laisser dans les ronces, comme elle avait toujours fait ; qu'ils ne voulaient donc pas s'attacher à aucun des deux royaumes, mais marcher entre l'un et l'autre d'un pas égal. Ils se plaignirent de la froideur avec laquelle leurs demandes de secours avaient été accueillies à Londres, et reçurent en branlant la tête, la promesse de Throckmorton au nom d'Élisabeth de leur donner une réponse raisonnable et définitive, dès qu'il se serait mis au courant de la situation. Ils feignaient d'avoir des offres avantageuses de la France : S'il y a, écrit Throckmorton en homme qui sait son monde, s'il y a quelque vérité dans la bouche de Lethington, du Croc est venu ici pour préparer l'arrivée de Rambouillet ou de quelque autre aussi qualifié, qui aura charge de les délivrer à jamais de leur reine ; on l'enfermerait le reste de ses jours en France, dans une abbaye. Un conseil national, choisi par les Français, gouvernerait le royaume.

Sur la question de permettre l'accès de Lochleven à l'ambassadeur anglais, ils s'y refusèrent, parce que ne l'ayant pas accordé aux ambassadeurs français, ils offenseraient la France, et que les Anglais ne manqueraient pas de se servir de cette faute pour le dommage des lords d'Écosse. A plus forte raison rejetèrent-ils la mise en liberté de la prisonnière, attendu que cette seule mesure préjugerait et trancherait le différend contre eux[129].

Que Lethington jonglât si fièrement avec Élisabeth et Charles IX, cela prouve qu'il n'ignorait pas que les démarches ostensibles d'Élisabeth n'étaient que de faux-semblants et qu'en aucun cas Cecil n'abandonnerait les confédérés. Sa manœuvre avait seulement pour but de faire comprendre que, les lords valaient la peine qu'on les achetât plus généreusement.

Le lendemain, ils quittèrent ensemble Fastcastle ; et une brillante escorte de quatre cents chevaux les conduisit à Édimbourg (12 juillet). Une fièvre de ferveur religieuse agitait alors cette ville. L'assemblée de l'Église presbytérienne du mois de juin s'était ajournée au 21 juillet ; et ce jour devait être précédé d'une semaine de jeûne solennel : excellent moyen pour les lords de temporiser avec l'ambassadeur anglais. Quand, le 13 juillet, il parla d'audience et d'affaires, on lui répondit que cela n'était pas possible en temps de jeûne. Lethington s'appuya aussi sur ce que la plupart des lords étaient encore absents, et persista plus que jamais à tenir les portes de Lochleven exactement fermées. Il lui garantit d'ailleurs que la reine était en bonne santé sous la garde de lord Lindsay et de Douglas de Lochleven, mais qu'elle s'obstinait dans son attachement à Bothwell ; qu'elle déclarait constamment vouloir vivre et mourir avec lui, dût-elle, si elle en avait le choix, abandonner couronne et royaume[130].

Fatale complication de misère ! On dit qu'elle croyait -ressentir les premiers symptômes d'une grossesse. Alors, de peur d'infliger à son enfant la tache de bâtardise, et d'accepter pour elle-même le reproche d'avoir forfait à son honneur, si elle reconnaissait la nullité de son mariage avec Bothwell, elle aurait déclaré qu'elle aimerait mieux mourir[131]. Robert Melvil qui la vit sans témoins le 15 juillet, rapporta ce refus ; il ajouta pourtant qu'elle consentait à confier le gouvernement du royaume au comte de Murray, seul ou assisté d'un conseil des lords. Il raconta aussi qu'elle l'avait prié de faire parvenir une lettre qu'elle destinait à Bothwell, et qu'irritée de son refus, elle la jeta au feu[132]. Avant d'accepter trop aisément ces divers points, surtout le dernier, réfléchissons que Robert Melvil la trahissait ; partant, que sa sincérité est suspecte, surtout après tant de mensonges entassés par lui et ses complices, et lorsqu'ils avaient un intérêt si pressant à refroidir Élisabeth et Throckmorton à l'endroit de leur prisonnière. Celle-ci remit à Melvil une lettre pour les lords.

Ils affirmèrent à Throckmorton sans lui montrer cette pièce[133], que la reine demandait, s'ils ne voulaient pas lui rendre la liberté, d'avoir au moins égard à sa santé et de la transférer à Stirling où elle aurait la consolation d'être avec son fils ; s'ils la tenaient toujours à Lochleven, de mettre près d'elle quelque autre dame — elle évitait de nommer lady Marguerite Douglas, dont la haine l'excédait —. Elle réclamait aussi divers arrangements intérieurs. Quant au gouvernement, elle indiquait l'alternative que nous avons mentionnée tout à l'heure. Elle exprimait enfin le désir de voir Throckmorton, et rappelait aux lords que s'ils ne la regardaient, ni ne la traitaient comme leur reine, ils devaient en user du moins avec elle comme avec la fille de leur souverain et la mère de leur prince.

On dédaigna sa requête et ses plaintes.

Cependant nobles, ministres presbytériens et fidèles commençaient d'affluer à Édimbourg : John Knox, réfugié en Angleterre depuis l'assassinat de Riccio dont il avait été complice, était rentré en maitre ; et lui qui des premiers, avait embouché la trompette contre le monstrueux gouvernement des femmes, qui de tout temps n'avait trouvé à mettre en comparaison avec sa douce reine que Jézabel et Hérodiade, donna carrière à ses invectives et à sa cruelle éloquence. Il s'était, avec son disciple John Craig, muni d'arguments puisés dans la Bible et dans l'histoire, sur le châtiment des mauvais princes[134]. Le 19 juillet, prenant texte du livre des Rois, il se déchaîna contre Marie Stuart et requit les plus extrêmes rigueurs, en brandissant sur l'Écosse les châtiments divins, si l'on épargnait la coupable[135]. Les fanatiques recueillaient avidement ces déclamations sanguinaires ; ils demandaient la mort de la reine et disaient partout qu'elle n'avait pas plus qu'un simple particulier, le droit de commettre un meurtre ou un adultère, qu'elle était comme chacun, justiciable des lois divines et humaines[136]. Ils ne souffriraient pas que personne, dans le royaume, ni au dehors, prétendit la préserver de la juste punition qu'elle avait encourue par des crimes si publics[137]. Buchanan, comme publiciste, secondait de toutes ses forces les prédicants. Les uns et les autres n'oubliaient qu'une chose : c'était de prouver la culpabilité de Marie Stuart. Throckmorton s'efforçait inutilement de les adoucir, tandis qu'il remontrait aux membres du Conseil privé le danger de telles excitations sur la multitude, qui pourrait tout à coup leur forcer la main.

Les lords du Conseil affectaient de ne parler de leur reine à l'ambassadeur anglais qu'avec respect, douceur et charité[138], manière de ne pas lui donner prise sur eux. Ils semblaient du reste partagés d'opinion sur ce qu'il y avait à faire. Selon Throckmorton[139], les uns inclinaient à restaurer Marie Stuart sur son trône, en prenant leurs sûretés tant pour eux-mêmes que pour la punition des assassins, en exigeant de plus le divorce avec Bothwell, l'établissement définitif de la religion réformée. C'était, dit-il, l'avis de Lethington et d'un très-petit nombre de personnages.

Un second parti — Athol, Morton —, aurait souhaité que la reine allât vivre pour toujours en France ou en Angleterre, après avoir abdiqué en faveur de son fils, et constitué un conseil national de gouvernement.

Un troisième groupe, réclamait la mise en jugement, la condamnation de la reine à la prison perpétuelle en Écosse, et le couronnement du prince.

Enfin venaient les impitoyables qui ne voyaient de sûreté pour eux que dans une exécution à mort, parce que la prison pouvait lâcher sa proie.

Nous ne croyons pas qu'au fond il y eût autant de dissidences qu'on en marquait devant l'ambassadeur. Lethington jouait la douceur, parce qu'il avait besoin d'Élisabeth et qu'il craignait de l'effaroucher par la rigueur du langage. Était-il sincère, lui qui énonçait comme condition essentielle, le châtiment des assassins de Darnley, châtiment dont il aurait senti les premiers coups. Nous rencontrerons plus loin un autre fait très-propre à nous faire lire au vrai dans sa pensée.

Tandis que ces apprêts de la réunion ecclésiastique passionnaient grands et petits, Throckmorton plus persévérant qu'heureux dans ses efforts, cherchait toujours avec qui négocier officiellement. Le 15 juillet, il avait remis aux lords une note portant demande d'être admis sans plus de délai près de la reine d'Écosse, dont il réclamait en même temps au nom de sa maîtresse la mise en liberté. Mais les jours s'écoulaient sans lui apporter de réponse. Morton qu'il saisit non sans peine le 20, lui dit que cette journée étant consacrée à la communion, aux sermons et à la prière publique, les lords ne pouvaient pas se dispenser d'y assister, ni s'occuper des affaires du monde ; car il leur fallait chercher d'abord les choses de Dieu, et prendre conseil de Celui qui pouvait le mieux les conduire[140]. — Toutefois le saint homme voulut bien promettre à son interlocuteur mystifié, qu'il aurait des nouvelles très-prochainement. En effet le même jour, à onze du soir, Lethington remit à l'ambassadeur un long mémoire justificatif de leurs faits et gestes.

L'adroit Écossais déclara dans la conversation, qu'il ne dépendait pas de lui d'accorder à Throckmorton ses deux demandes ; il s'étendit sur les dangers de la politique incertaine de la reine d'Angleterre qui pousserait l'Écosse dans les bras de la France, beaucoup plus que l'Écosse elle-même ne le souhaitait ; il dit avec une exagération de crainte et de douleur sur le triomphe imminent et irréparable de l'influence française, ce qu'il aurait dit identiquement à un ambassadeur de France, en transposant seulement les noms de souverains et de pays.

Le mémoire qu'il déposa entre les mains de Throckmorton, est la première accusation portée dans les règles par les lords contre Marie Stuart, et par-devant Élisabeth. A ce titre, il est de la plus grande importance ; et l'on ne s'étonnera pas que nous en fassions une étude approfondie. Véridique en effet, il condamne et accable l'accusée ; mensonger, il se retourne contre les accusateurs. Or le mensonge y est flagrant à toutes les lignes : le mensonge par insinuation, le mensonge qui se ménage en détournant le sens des faits, le mensonge qui les suppose hardiment, le mensonge qui à propos sait approprier à ses fins un lambeau de vérité, ou se cacher derrière elle ; le mensonge qui s'attendrit, celui qui s'indigne, en un mot un chef-d'œuvre de mensonge.

En commençant, Lethington s'excuse de ne pas donner de réponse catégorique sur les demandes de l'ambassadeur, parce qu'en ce moment les lords sont dispersés dans les différentes parties du royaume où les retiennent les intérêts de leur juste querelle[141]. Il s'étend sur leurs sentiments de reconnaissance pour la reine d'Angleterre, à laquelle ils sont tant obligés, qui a bien voulu agir envers eux avec tant d'amitié, et approuver les motifs de leur entreprise[142]. En elle, repose toute leur confiance ; et ils ne craignent pas de soumettre leurs actions à son jugement.

La narration obligée suit cet exorde insinuant. En premier lieu, disait-il, il ne fallait pas croire que les lords eussent agi ainsi avec leur souveraine pour leur plaisir, elle, la personne du monde qu'ils avaient le plus révérée et honorée du fond de leur cœur, dont ils avaient le plus ardemment souhaité la grandeur ; pour l'y élever, ils auraient mis leur vie en hasard[143]. Jamais ils n'avaient eu la pensée, au début de cette entreprise, de restreindre sa liberty et de s'en prendre à sa personne[144]. Les circonstances qui les avaient déterminés, étaient trop connues du monde, et de bien plus de gens qu'ils ne l'eussent souhaité ; car elles couvraient d'ignominie la nation entière, et touchaient à l'honneur de la reine elle-même, autant qu'à l'honneur de tous.

Lethington récapitulait en traits indignés, mais rapides — car il avait ses raisons d'être bref —, l'horrible meurtre du roi[145], la comédie dérisoire du jugement[146] ; et, s'interrompant pour déclarer que le témoignage des lords suspect, ils étaient convaincus que la conscience de la reine d'Angleterre n'avait pas manqué d'autres moyens de s'éclairer, il reprenait le rapt infâme commis sur la reine ; comment la terreur, la force[147] — et ils avaient tout lieu de la soupçonner —, quelque attentat encore plus extraordinaire et plus illégitime, l'avaient contrainte de partager le lit d'un homme marié, qui moins de trois mois auparavant, avait tué si cruellement son époux dans son lit ; le danger du jeune prince ; la captivité où le ravisseur tenait jour et nuit la reine, entourée de satellites et séparée entièrement de sa noblesse ; son intention de la faire boire à la même coupe que le premier mari, car il tenait en réserve sa première femme, avec laquelle il comptait s'asseoir un jour sur le trône[148]. C'était là certainement son but. Car quand on acquiert par des moyens pervers, on est condamné à les employer aussi pour conserver. Dans une telle situation, que devait faire la noblesse ? Fermer les yeux ? Hélas ! elle le fit trop longtemps, et son repentir en est bien amer[149]. Agir seulement par avertissements et conseils ? Mais avec ce tyran sanguinaire, qui eût parlé librement aurait bien fait de recommander son âme à Dieu, et aussi l'âme du Prince, et nous le croyons fermement, l'âme de la reine, notre souveraine ; il ne l'aurait pas laissée vivre six mois, comme on peut le conjecturer de ce qui arriva pendant le peu de temps qu'ils furent ensemble, et de son obstination à conserver son autre femme chez lui, dans sa maison[150].

Ils n'avaient donc pas d'autre ressource que celle de l'insurrection armée. Elle était dirigée uniquement contre la personne de Bothwell ; on se proposait de dissoudre la déshonorante et illicite cohabitation déguisée sous le dom-. de mariage, contraire aux lois divines et humaines, de purger ce pauvre royaume de son opprobre devant les nations, de venger le roi assassiné, et de protéger Son innocent rejeton : cela n'était possible que par la punition du comte de Bothwell ; et l'on ne pouvait s'emparer de sa personne que par la force des armes[151].

Qu'ils n'en voulussent qu'à Bothwell, continue Lethington, c'est ce qu'ils prouvèrent devant Borthwick, lorsque ayant appris qu'il s'était évadé, les nobles n'insistèrent pas, quoique rien ne Mt plus facile à prendre que ce château[152]. Ils retournèrent à Edimbourg, afin d'aviser à se saisir autrement du comte. Pendant ce temps, pour éviter le danger suspendu sur sa tète, et se couvrir de l'autorité de la reine en menant avec lui sa très-noble personne, il mit un grand nombre de sujets de la couronne sous les armes, dans l'intention de nous attaquer à Édimbourg et d'empêcher nos délibérations, dont il sentait tout le péril pour lui. Ce qui s'ensuivit, nous pensons que vous en avez eu connaissance suffisamment, et de quelle manière s'inquiétant fort peu ou pas du tout d'elle, il se sauva lui-même ; et elle vint avec nous à Edimbourg[153]. Comme notre entreprise était dirigée droit contre lui, nous nous mimes à agir auprès de Sa Majesté, afin de lui persuader au nom de son honneur, pour la sûreté de son fils, la décharge de sa conscience et la tranquillité de l'État, de consentir à se séparer de cet homme pervers, auquel aucun lien légitime ne l'attachait, et avec qui elle ne pouvait pas demeurer sans perdre l'honneur et risquer son royaume[154]. Nous y ajoutâmes toutes les bonnes remontrances que de bons sujets peuvent soumettre à leur prince en pareil cas : mais bien vainement ; car tout au contraire de notre attente, nous la trouvâmes si passionnée à le soutenir, lui et sa cause, qu'elle ne voulut pas supporter un mot de blâme contre lui, ni souffrir que l'on mit ses actes en question[155]. Bien loin de là, elle offrit d'abandonner ses États et tout, si on voulait lui permettre de le posséder encore, et cela avec un torrent de menaces contre ceux qui auraient trempé dans ces affaires[156].

L'âpreté de ses paroles rendit témoignage de l'emportement de sa passion ; de là pour nous un juste motif de penser que, sous l'empire de cette passion, aussi longtemps qu'il y aurait en Écosse des hommes prêts à prendre les armes à son commandement, elle ne manquerait pas de les mettre en campagne pour la défense de l'assassin, et qu'il faudrait s'attendre chaque jour à de cruels combats[157]. Quelles funestes conséquences pouvaient en résulter pour elle, pour son fils, pour nous et tout le royaume, nous vous laissons le soin d'en juger. Cependant nous pensions, et nous le pensons encore, car nous savons la grande sagesse dont Dieu l'a douée, qu'en peu de temps son esprit recouvrerait son assiette, que les yeux de son intelligence s'ouvriraient, qu'alors elle jugerait mieux d'elle-même et de l'état des choses, et qu'elle comprendrait que les lords, craignant la perte de son honneur et le bouleversement du royaume, avaient dû choisir de deux maux le moindre, c'est-à-dire la séquestrer momentanément, la priver de toute communication avec cet homme et sa faction, afin qu'on eût le loisir de respirer et de poursuivre le meurtre, bien certains qu'aussitôt qu'un juste jugement aurait manifesté la vérité, et que Bothwell aurait reçu la récompense due à l'action la plus abominable, elle ne refuserait pas d'approuver notre conduite comme ayant eu pour objet son honneur, bien plus que l'intérêt particulier d'aucun de nous[158]. Nous avons la conviction que si l'on examine et l'on pèse avec justice tous nos actes, du commencement à la fin de cette affaire, il en résultera manifestement qu'aucun prince chrétien n'aura sujet de nous condamner, mais qu'on pensera plutôt que nous avons mis l'honneur de la reine au-dessus de toute autre considération, sans nous inquiéter de ce qui pourrait advenir de nous et du jugement que le monde porterait sur nos actes. Et là-dessus, vous pouvez bien assurer Sa Majesté la reine, votre maîtresse, que dans la conduite de cette affaire nous avons toujours gardé une telle modération, que nous n'avons pas été, et nous n'irons pas plus loin, que la justice et les nécessités de la cause ne l'exigeront.

Que le lecteur, à son tour, juge plus impartial qu'Élisabeth, prononce sur tous ces faits altérés, travestis ou omis. N'est-il pas évident que ce n'est qu'à force d'insignes violences à la vérité, que l'on peut jeter sur Marie Stuart les apparences du crime ?

A la lecture, Throckmorton fut frappé des derniers mots, les nécessités de la cause. Il en demanda le sens ; sur quoi Lethington, branlant la tête, répondit : Vous estes ung renard[159]. Nous avions donc raison plus haut d'affirmer que le secrétaire prenait un masque, lorsqu'il se prétendait le chef du parti modéré, de ceux qui voulaient replacer Marie Stuart sur son trône. Le traître se réservait l'éventualité de l'assassinat, juridique ou non[160].

Deux jours auparavant, Throckmorton savait et écrivait à Élisabeth[161] que les lords hésitaient entre les quatre résolutions ; le 21, dans la dépêche où il lui rendait compte de son entrevue avec Lethington, il manda qu'il tenait de source certaine, que, nonobstant la douceur de langage adoptée par eux dans l'écrit qu'il lui envoyait, les lords avaient résolu de couronner le jeune prince du consentement de la reine, s'ils pouvaient l'obtenir. Dans ce cas, ils lui promettraient de ne toucher ni à son honneur, ni à sa vie, et de s'abstenir de toute poursuite judiciaire à son égard. Sinon, ils procéderaient contre elle publiquement, par la manifestation de toutes les preuves dont il leur serait possible de la charger. Quant au gouvernement, le prince une fois couronné, leur plan était de l'exercer en conseil sous son nom, et de ne pas permettre quels reine sortit de leurs mains et se retirât soit en Angleterre, soit en France. Il est à craindre, continuait l'ambassadeur, que les lords, quand ils auront été jusqu'à s'attaquer à l'honneur et à la dignité de leur souveraine, n'en viennent à croire que leur sûreté ne soit compromise aussi longtemps qu'elle vivra ; et qu'après l'avoir privée de son royaume, ils ne la privent encore de la vie[162]. Tel est le commentaire que suggèrent à Throckmorton les réserves de Lethington sur les nécessités de la cause, et la réplique cauteleuse du bénin secrétaire.

Les lords ont dit, et l'écho a répété d'après eux, que l'obstination de Marie Stuart à lier son sort avec celui de Bothwell les alarmant et les irritant à la fois, ils recoururent à la déposition, comme une ressource extrême et indispensable pour mettre la reine dans l'impossibilité future de leur nuire. Mais prévoyaient-ils cette obstination en 1561, quand ils lui préparaient déjà la captivité en Angleterre ? en 1565, quand ils lui destinaient déjà Lochleven comme prison ? en 1566, quand ils comptaient prendre sa vie avec celle de Riccio, et à tout le moins son trône ? Nous y revenons trop souvent peut-être à ce passé ; mais n'est-ce pas aussi qu'on l'a trop oublié ? La révolution de 1567 n'est pas un fait isolé et spontané dans l'histoire de ce règne, une explosion vengeresse ; elle est la consommation d'une trame aristocratique, ourdie dès le principe contre une douce jeune femme, sans autre motif que l'ambition perfide et implacable des conjurés. Lorsqu'en juin 1567, le traître Robert Melvil, encore en Angleterre, proposait de détrôner sa maîtresse[163], était-ce à cause du refus de Marie de séparer son sort de celui de Bothwell ? Sa lettre du 1er juillet à Cecil, où il dit qu'il faut continuer et achever l'affaire dont ils sont convenus antérieurement[164], ne nous dénonce-t-elle pas une vieille machination ? La lettre de Randolph à Kirkcaldy de Grange et à Lethington en 1570, ne vient-elle pas encore éclairer cette question et détruire la valeur du motif qu'on allégua contre Marie pour lui arracher sa couronne ?

Les lords jugèrent le moment arrivé de trancher le dénouement. L'heure était favorable. Ils n'avaient rien à craindre ni du côté des lords de la reine, ni du côté de l'Angleterre ou de la France. A la vérité les amis de Marie Stuart, l'archevêque de Saint-André, Argyle, Huntly, Arbroath, Calloway, Ross, Fleming, Herries, Skirling, Killwinning, et William Hamilton de Sanchir, avaient signé à Dumbarton, le 29 juin, un bond pour la mise en liberté de la reine[165]. Mais les effets n'avaient pas suivi les paroles, soit parce que, mal vus de l'Angleterre et abandonnés de la cour de France, toute pleine de bons procédés à l'endroit des confédérés qui se moquaient d'elle, ils s'intimidèrent ; soit parce que des calculs égoïstes égarèrent leurs chefs. Throckmorton dépeint leurs tendances et même leurs intrigues. C'est le comte d'Argyle qui rêverait de marier son frère à Marie Stuart, après le divorce de cette princesse avec Bothwell ; ce sont les Hamiltons qui auraient la même visée pour le lord d'Arbroath, l'un d'entre eux ; les mêmes ne seraient pas fâchés de la perte entière de la reine, parce qu'alors ils ne seraient plus séparés du trône que par un enfant en bas âge, ou encore ils redoutent, en poussant les lords à l'extrémité, que ceux-ci ne transportent le droit de succession au second fils du comte de Lennox[166]. On dit plus : ils auraient proposé aux lords de faire mourir la prisonnière, avec cette suggestion atroce que c'était la seule manière certaine de réconcilier tous les partis ; et l'on ajoute qu'ils cachaient ainsi la hideuse pensée de se débarrasser d'une femme qui, jeune encore, pouvait avoir d'autres enfants[167].

Quels étaient ici les auteurs de Throckmorton ? Lethington et le laird de Tullibardine. Ils lui affirmèrent avoir vu les envoyés de l'archevêque de Saint-André, de l'abbé de Killwinning et du comte d'Huntly ; mais ils n'en fournirent aucune autre preuve que leur parole. Ce n'est pas assez. Cependant, quoi qu'il en soit, et même en les déchargeant de cette accusation, les lords de la reine méritent le reproche de n'avoir pas agi[168]. Tout ce qu'ils firent fut de refuser de paraître à l'assemblée ecclésiastique, qui s'ouvrit le 21 juillet à Édimbourg.

Là, Knox et les ministres presbytériens resserrèrent les nœuds qui les unissaient aux confédérés ; ceux-ci promirent de procurer l'établissement de la religion du Christ, l'entière abolition du papisme, l'application du tiers du revenu des bénéfices au salaire des ministres, la restauration du patrimoine de l'Église, etc. Ils s'engagèrent aussi à punir sévèrement les crimes, vices et offenses contre la loi de Dieu ; à poursuivre tous ensemble et de toutes leurs forces la punition du meurtre du roi sur tous les coupables, quels qu'ils fussent ; car les plaies de Dieu ne disparaîtraient pas du pays ou de la ville où le sang innocent avait été répandu, tant qu'ils n'auraient pas été purifiés par le sang des coupables. A la tête des signataires figurèrent Morton, Glencairn, Mar, Hume, Ruthven, Lindsay, James Balfour, James Mackgill, Tullibardine, Maitland de Lethington, pleins d'ardeur pour s'engager et engager l'Église presbytérienne par l'appât des biens ecclésiastiques. Celle-ci en effet présenta une requête solennelle pour la punition sévère du meurtre du feu roi, conformément aux lois de Dieu, aux coutumes du royaume, au droit des gens, sans acception de personnes. Les nobles alors, satisfaits, se pressèrent moins de contenter les ministres sur la question du salaire : ce qui a fait dire à Knox : Comment ils tinrent leurs promesses, Dieu le sait[169]. Ils furent sans foi envers leur propre parti, comme envers leur souveraine.

Ainsi, les confédérés opposaient l'unité de vues et le zèle presbytérien à l'attitude timide et incertaine des Hamilton. La France, n'étant pas représentée en Écosse, avait quitté la place et la perdait. On contenait et l'on stimulait Élisabeth par le fantôme de l'influence française ; on lui laissait espérer qu'un jour le fils de Marie Stuart serait déposé entre ses mains. Mais un vice caché minait cette position si forte et pouvait tout compromettre : le manque d'argent commençait à se faire sentir. Élisabeth tenait toujours fermée la main qu'elle ne voulait ouvrir qu'à bon escient ; et le moment approchait où ils seraient hors d'état de solder plus longtemps leurs arquebusiers. Dès lors le fruit de tant de génie dans le crime leur échappait. En conséquence, ils résolurent de brusquer la solution et le renversement définitif de Marie Stuart.

Les comtes de Glencairn et de Mar, les lords Sempill et Ochiltrée, et le mettre de Graham, personnages dont l'absence prolongée avait servi de prétexte à Lethington, près l'envoyé anglais, pour ajourner toute négociation, arrivèrent à Édimbourg, le 23 juillet, en même temps que lord Lindsay, mandé exprès de Lochleven. Le même jour, il fut décidé en conseil que Lindsay et Robert Melvil se rendraient en présence de la reine, et qu'ils lui déclareraient que les lords, attendu sa mauvaise conduite, et dans le gouvernement du royaume et dans sa vie privée — dont ils s'abstiendraient de toucher les particularités, par respect pour son honneur —, ne pouvaient plus permettre que ses désordres missent davantage le royaume en péril, désordres tels, et si nombreux, qu'ils jugeaient impossible qu'elle conservât plus longtemps le gouvernement ; ils la requéraient donc, et lui conseillaient de se conformer avec calme, de consentir au couronnement du prince son fils, et d'autoriser la formation d'un conseil qui gouvernerait le royaume au nom du roi. A ces conditions, ils feraient tous leurs efforts pour lui conserver la vie et l'honneur, fort compromis l'un et l'autre dans le cas contraire[170].

Si elle refusait, dit Throckmorton, leur plan était de la resserrer beaucoup plus étroitement et de la séquestrer de toute société ; ensuite, d'en venir par la violence au couronnement du fils et au renversement de la mère ; enfin, de diriger contre elle trois chefs d'accusation : 1° tyrannie, pour infraction et violation des lois et décrets du royaume, tant les communes lois que les statuts ; 2° incontinence, tant avec Bothwell qu'avec d'autres, duquel crime ils disaient avoir des preuves suffisantes ; 3° assassinat de son mari, dont ils prétendaient avoir la preuve aussi certaine que possible, à la fois par des écrits de sa propre main tombés en leur possession, et par des témoignages certains[171].

De ces trois griefs, ils n'entreprirent jamais d'établir le premier ; jamais non plus l'incontinence avec d'autres, ignoble calomnie qui, à défaut des preuves suffisantes que nous en avons déjà données, jetterait les doutes les plus légitimes sur l'accusation d'incontinence avec Bothwell. Le troisième point est très-remarquable, comme première allusion aux lettres supposées de Marie Stuart. Nous avons déjà demandé comment cette capture, qu'on date du 20 juin, avait été tenue sous le boisseau, lorsqu'à la mettre en lumière on édifiait les cours d'Angleterre et de France, l'Europe tout entière, et l'on écrasait d'un seul coup Marie Stuart dans son ignominie ? Comment n'en avait-il pas été dit un mot dans le mémoire historique que Lethington avait remis à Throckmorton, le 20 juillet ? Pourquoi le secrétaire avait-il entassé dans ce factum contre Marie Stuart les impostures les plus palpables, lorsqu'il n'avait qu'à produire la vérité toute nue, les lettres, qui l'eussent dispensé de mentir si grossièrement ? L'abus qu'il fit alors du mensonge n'est-il pas une preuve suffisante qu'il n'avait pas de preuves vraies à donner, et que cette fameuse correspondance, il ne la possédait pas ? Pourquoi aussi cette façon modeste d'user de ces lettres, qu'on ne montre pas en juillet 1567, qui retomberont soudain dans leurs ténèbres, n'en ressortiront qu'un moment en décembre 1567, sans être publiées, qu'on ne se communiquera que sous le manteau de la cheminée, entre compères — qu'on nous pardonne la trivialité des expressions —, en septembre et octobre 1568, qui ne paraîtront jamais en originaux ; qu'on ne répandra par la presse, en compagnie de la Detectio, que déformées par une triple traduction (1571-2) à l'époque où Marie Stuart, condamnée à une captivité déjà rude, ne pourra plus se défendre ? Puisqu'on l'accusait de mauvaises mœurs et de meurtre, pourquoi donc ne pas lui signifier ses lettres, quand on là tenait si' près d'Édimbourg ? Elle avait demandé, le 16 juin, qu'un parlement national jugeât entre elle et les lords. Si elle était si téméraire et si effrontée que se sentant coupable, elle appelât le grand jour sur sa vie, pourquoi ne pas ouvrir et vider à la face de la nation la cassette accusatrice ? Murray, Morton, Lindsay déclareront plus tard, en Angleterre, que c'était par dévouement pour elle ; qu'ils respectaient la mère de leur souverain, celle dont ils avaient reçu les bienfaits ; qu'afin de couvrir sa honte et de lui sauver l'honneur, ils avaient mieux aimé se charger d'une partie de son fardeau devant le monde en laissant l'opinion en doute sur la justice de leur querelle[172]. Est-ce donc ménager l'honneur d'une femme que de crier aux quatre vents qu'elle est coupable de vice et de crime, et de se dérober en même temps au débat public qu'elle réclame. Non, si en juin-juillet 1567, on ne démasqua pas Marie Stuart, en produisant les écrits authentiques de sa main, c'est qu'on ne les avait pas. Si l'on n'en parle qu'à mots couverts, seulement vers le 24 juillet, c'est qu'alors seulement on commençait à les fabriquer. L'invention de la lettre de Bothwell, dans la nuit du 15 au 16 juin, n'avait pas laissé que d'être utile au moment même ; n'était-ce pas un encouragement à renouveler la fraude, mais en grand ?

Le lendemain du jour où ils avaient concerté leurs mesures irrévocables contre Marie Stuart, c'est-à-dire le 24 juillet, les lords accordèrent enfin à Throckmorton l'audience tant sollicitée par lui. Ils ne pouvaient pas montrer plus nettement le peu de cas qu'ils faisaient de sa mission officielle. Ils le reçurent au Tolbooth, écoutèrent son exposé ; quand il eut parlé, Lethington lui dit que les lords avaient déjà répondu, en partie, trois jours auparavant, et que pour le reste, ils le priaient de prendre patience jusqu'à ce qu'ils se fussent consultés ensemble. Le même soir, Lethington lui apporta une réponse écrite, mélange singulier de décision, d'astuce ironique et de cruauté mielleuse.

Nous avons entendu, disaient-ils, par la brève communication qu'il vous a plu de nous faire, au nom de Sa Majesté la reine, votre maîtresse, des matières sur lesquelles vous avez charge d'entretenir Son Altesse la reine, notre souveraine, qu'elles consistent en deux points principaux : le premier de lui mettre pleinement sous les yeux le bible de son mariage et de ses autres actions, qui ont mécontenté votre maîtresse. Mais comme ceci doit nécessairement la chagriner, vous lui apportez, d'autre part, de la pitié pour sa détresse, une sollicitude particulière à l'en tirer, c'est-à-dire dans l'état actuel, une consolation. Nous n'avons pas l'inhumanité de vouloir que Sa Majesté manque de consolations. Cependant la situation présente exige que l'on considère bien, comment, de quelle manière et par qui, on la consolera : sans cela, le bon office, qu'on aurait voulu lui rendre, pourrait porter préjudice à elle et à nous tous. Nous nous disposons à donner un bon avis à Sa Majesté[173] ; et quelques-uns s'en occupent en ce moment. Si elle veut y prêter l'oreille, ce sera pour le plus grand bien d'elle-même, du prince son fils, et de tout le royaume. Quoique nous soyons pleinement convaincus que vous, le ministre de votre reine, une fois en présence de la nôtre, vous ne ferez rien que d'honorable pour votre mat-tresse, et de conforme à votre mission pour notre sûreté ; cependant, nous avons de bons motifs, appuyés sur des considérations raisonnables dont nous devons nous préoccuper, pour supposer que, si elle recevait tout à coup des consolations de votre part, ou si elle concevait par voire langage quelque idée de ce genre en interprétant à son avantage la moindre de vos paroles, cela serait capable de l'empêcher de se décider à suivre nos conseils, tandis qu'autrement nous avons bon espoir qu'elle les adoptera dans leur plénitude. De la sorte, contrairement au désir de la reine, votre maîtresse, vous causeriez du mal à Son Altesse[174], du préjudice à notre cause, et vous n'obtiendriez aucune des choses qui, à notre connaissance, font l'objet de votre mission. Ainsi, nous vous prions non-seulement de prendre patience, mais nous désirons que votre maîtresse nous accorde le délai d'un peu de temps, qui sera employé à traiter avec Sa Majesté, à voir si par de bons avis nous pourrons l'amener à quelque condescendance[175], persuadés que Dieu y inclinera son cœur. Si nos efforts ont un heureux succès, comme nous l'espérons, ce sera le plus sûr pour Son Altesse et nous tous, et, nous n'en doutons pas, le plus satisfaisant pour la reine, votre maîtresse[176].

Pendant ces pourparlers oiseux de Throckmorton avec les lords, les pieux porteurs de bons conseils étaient à Lochleven et ils extorquaient à la prisonnière sa renonciation au trône. Le conseil en désignant le 23 juillet le doucereux Robert Melvil et le farouche Lindsay pour cette mission, avait dressé trois actes que Marie Stuart devait signer. Dans le premier, la reine déclarait que depuis son retour en Écosse, les soucis intolérables du gouvernement, les commotions et les troubles avaient consumé tellement ses forces de corps et d'esprit, qu'elle n'en pouvait plus soutenir le poids. D'autre part, Dieu lui avait fait la grâce de lui accorder un fils, son héritier légitime ; mais si elle venait à être retirée de ce monde pendant la minorité de cet enfant, il serait fort à craindre que son avènement au trône ne rencontrât de grandes résistances ; alors, considérant que rien sur la terre ne serait plus agréable et plus heureux pour nous, que de voir notre très-cher fils, de notre vivant, établi paisiblement dans la place et au rang dont il doit hériter selon ses droits, nous, portée d'affection maternelle envers notre fils unique, nous avons abdiqué et déposé, et par les présentes, librement et de notre propre mouvementfrelie, of our awin motive willabdiquons et déposons le gouvernement, etc. ... en faveur de notre très-cher fils.... Suivait l'ordre de publier cette déclaration dans tout le royaume, les comtes de Morton, d'Athol, de Mar, de Glencairn, de Menteith, le maitre de Graham, lord Hume, Adam, évêque des Orcades, les prévôts de Dundee et de Montrose étant chargés de pourvoir à la proclamation et au couronnement du jeune roi.

La deuxième pièce répétait les mêmes motifs en affirmant aussi le libre vouloir de Marie ; elle s'étendait sur l'affection de nature et tendre amitié que le comte de Murray avait toujours témoignés à la reine, ainsi que sur ses mérites, et l'instituait régent jusqu'à ce que le jeune roi eût achevé sa dix-septième année.

La troisième, pendant l'absence ou dans la prévision du refus ou du décès du comte, lui substituait un conseil composé du duc de Châtelleraut, des comtes de Lennox, d'Argyle, d'Athol, de Morton, de Glencairn et de Mar ; bien entendu que le comte de Murray en ferait partie, lors même qu'il refuserait la régence[177].

Nous n'avons pas besoin d'appeler l'attention du lecteur sur la phraséologie câline et menteuse de ces productions de la plume de Lethington.

Dès le matin du 24 juillet, Robert Melvil et Lindsay se rendirent d'Édimbourg à Lochleven. On avait cherché d'avance à terrifier Marie Stuart ; tantôt on la menaçait de la tour des Pictes — le donjon du château —, où elle mourrait dans une solitude absolue ; tantôt on devait l'étouffer entre deux matelas et la suspendre à l'une des colonnes de son lit pour simuler un suicide[178].

Robert Melvil fut d'abord introduit seul auprès d'elle, le renard avant le tigre. Il lui conseilla de signer certains actes que Lindsay allait lui présenter ; c'était, dit-il, le seul moyen de sauver sa vie, sans cela dans le péril le plus imminent. Les comtes de Mar, d'Athol, le secrétaire Lethington et le laird de Grange, qui avaient de l'attachement pour elle[179], et comme preuve il lui présenta de leur part un anneau orné d'une turquoise, se joignaient à lui pour l'exhorter à détourner de sa tête le danger qui la menaçait ; car, si elle osait rejeter la requête des membres du Conseil privé, ceux-ci avaient résolu, on le savait, de prendre sa vie soit en secret, soit par un procès dérisoire, dans lequel ils seraient ses juges. Après tout, de tels engagements imposés par la force ne la lieraient point. Marie, au lieu de plier devant cette sinistre perspective, opposa une résistance inattendue. Alors il tira du fourreau de son épée une lettre de Throckmorton qu'il dit y avoir cachée au risque de sa propre vie. L'ambassadeur anglais mandait que la reine d'Angleterre lui donnait l'avis fraternel de ne pas irriter ceux qui la tenaient en leur pouvoir, en leur refusant la seule concession capa] le de la sauver. D'ailleurs, tout ce qu'elle ferait en captivité serait de nul effet une fois qu'elle aurait recouvré sa liberté, et il rendrait témoignage devant la reine sa maîtresse et tous les princes de la contrainte exercée sur elle. Throckmorton croyait-il de bonne foi préserver la vie de Marie ? ou bien servait-il par un acte insidieux la politique secrète de son gouvernement ? Toujours est-il que ni les instructions, ni les lettres qu'il avait reçues d'Élisabeth, et on peut en juger encore par celle en date du 27 juillet reçut bientôt, ne l'autorisaient à faire parler ainsi sa souveraine. La courageuse captive ne fléchit pas encore : Plutôt la mort que l'abandon du trône, répondit-elle. Ce serait prendre part contre elle-même à la trahison de ses sujets, que d'accéder à la sommation illégale d'un petit nombre d'ambitieux, dont son peuple était loin de partager les désirs[180].

L'art subtil n'ayant pas réussi, la force brutale prit son tour. Lindsay entra d'un air arrogant, jeta les papiers sur la table et somma la reine de signer sans délai : Quoi ! dit-elle, mettrai-je la main à une fausseté manifeste ? Irai-je, pour satisfaire l'ambition de mes nobles, abandonner l'office que Dieu m'a donné, à mon fils, un enfant d'un an, incapable de gouverner, et cela pour que mon frère Murray soit roi sous son nom ? Lindsay, avec un rire insultant, lui signifia qu'il avait ordre de l'enfermer dans la tour, et qu'il lui conseillait de faire ce que l'on demandait d'elle ; sinon, il lui arriverait du pire et bientôt. Alors la femme fut vaincue : des torrents de larmes jaillirent de ses yeux, et d'une main tremblante elle apposa son nom au bas des trois actes sans vouloir les lire. Bientôt cependant, maîtresse d'elle-même, elle protesta que si elle recouvrait jamais sa liberté, elle ne se croirait pas engagée, car elle avait agi contre son gré. Elle écrivit aussi à Throckmorton, sans doute secrètement, qu'elle avait suivi son conseil, qu'elle le priait de révéler à sa très-chère sœur la reine d'Angleterre comment ses sujets l'avaient traitée, et qu'elle avait signé son abdication malgré elle[181].

Telle fut la scène de l'abdication extorquée à Marie Stuart. Elle eut lieu le 24 juillet 1567[182]. Le lendemain, Lindsay rapporta triomphalement les trophées de sa victoire. Mais une formalité manquait ; les instruments ne pouvaient être valables que revêtus du sceau privé de la reine. Or le gardien du sceau était Thomas Sinclair, un honnête homme. Le Conseil privé lui adressa un ordre au nom de la reine d'avoir à apposer le sceau privé de Sa Majesté à trois actes portant abdication de la reine, nomination du comte de Murray au titre de régent, et celle d'un conseil provisoire pour gouverner pendant l'intérim. Au bas de cet ordre figurait la signature de Marie. Comme il n'est question absolument que de trois pièces, bien connues, que la captive signa sous l'étreinte de Lindsay, il s'ensuit que cette quatrième signature sur l'ordre à Thomas Sinclair était contrefaite. Lindsay se chargea encore de l'expédition ; il se rendit à la tête d'une troupe armée chez Sinclair. Celui-ci déclara qu'aussi longtemps que la reine serait en prison, il ne scellerait aucune lettre extraordinaire. Alors Lindsay s'empara du sceau, et par la violence le força de l'apposer, pendant que Sinclair protestait qu'il agissait contre son gré et sous l'empire d'une force irrésistible[183]. Cet acte de brigandage, digne complément de celui de la veille, étant consommé, le Conseil privé, réuni au Tolbooth, en constata la réception, le 25 juillet. Ses registres portent qu'il fut donné lecture de l'acte d'abdication en présence des lords du Conseil, du reste de la noblesse, prélats, barons et commissaires des villes, qui l'accueillirent avec plaisir — glaidlie — et l'approuvèrent ; en preuve et témoignage de quoi, ils signèrent l'engagement suivant... Cette pièce, appelée le second Bond, partait de l'affirmation que la reine n'avait pas de plus ardent désir que de voir de son vivant le prince son fils établi sur le trône et couronné à sa place. Les signataires promettaient de se réunir à Stirling pour le couronnement, de soutenir et dg défendre le roi contre tout opposant[184].

On est confondu quand on regarde au bas du procès-verbal de cette séance du Conseil qui se targue de tant de signataires de tout rang, d'y lire seulement cinq noms, les deux comtes de Morton et d'Athol, les trois lords Hume, Sanquhair et Ruthven. Voilà ceux qui brisèrent le trône de Marie Stuart. A la vérité, Anderson publie la liste formidable de deux cent seize signataires ; mais il avertit que le protocole resta ouvert du 25 juillet au mois de décembre suivant, où le parlement se réunit. Cela signifie que dans le principe il n'y eut que les cinq membres du Conseil privé, qu'ils dressèrent le Bond avec l'intention de se procurer ensuite des adhérents par tous les moyens à leur disposition[185], et qu'ils mentirent dans la rédaction de leur procès-verbal en se vantant de l'affluence, de la satisfaction, de la signature des prélats, des barons et des nobles devant lesquels aurait été lu le jour même l'acte d'abdication.

Lethington fut chargé de porter officiellement les événements de Lochleven à la connaissance de Throckmorton. Naturellement, il débuta par l'imposture. Il lui dit sans rire : Les lords m'ont donné mission de vous informer de la résolution qu'il a plu à la reine ma souveraine, de prendre, de sa propre volonté. C'est-à-dire, que se trouvant à la fois dans un état de santé qui la rend incapable de prendre soin du gouvernement de ce royaume, et très-malheureuse dans la gestion des affaires, étant de plus très-désireuse de voir de son vivant son fils, le jeune prince, établi à sa place, elle a commandé par un écrit de sa main de procéder au couronnement de son fils, comme la chose à laquelle elle pût prendre le plus de plaisir. Il ajouta qu'en conséquence du désir de la reine le couronnement aurait lieu à Stirling et le pria d'y assister, comme représentant de la reine d'Angleterre[186]. Il essuya un refus positif. C'est après cette entrevue que Throckmorton écrivant à Cecil et à Leicester le même jour qu'à Élisabeth (26 juil.), leur dit ces paroles que nous avons déjà citées par avance au commencement de ce travail, et qu'on nous permettra de répéter : Il est à craindre que cette tragédie ne finisse dans la personne de la reine, après le couronnement du prince, de la même manière qu'elle a commencé avec l'Italien David et le mari de la reine. Peut-il exprimer plus clairement que, dans son opinion, ceux qui ont tué Riccio et Darnley, tueront aussi Marie Stuart ? Il ne croit donc pas que ce soit Marie qui ait tué Darnley. Ces meurtres implacables, il sait qu'ils sont l'œuvre de la faction qui vient de la renverser du trône, après s'être frayé la route de longue main par un double assassinat, selon lui prélude d'un troisième. Mandataire de Cecil, qui derrière le théâtre tenait les fils de ces affaires d'Écosse, il était en position de connaître de quel côté étaient les trames et les crimes ; écrivant à des hommes sans doute encore mieux instruits, il n'avait pas de raison d'être plus explicite. Ainsi la triste prophétie qui lui échappe, renferme la justification de la troisième victime[187].

Il ne se trompait pas sur les intentions de sa maîtresse. Elle lui signifia la défense formelle d'autoriser de sa présence le couronnement du jeune roi et la conduite des lords[188]. Elle lui exprima, outre le vif mécontentement que lui avaient causé les délais des Écossais avant de donner une réponse et leur refus de le laisser pénétrer à Lochleven, les soupçons qui s'étaient élevés dans son esprit sur leurs actes et leurs motifs : Vous leur déclarerez nettement que s'ils en viennent à dépouiller la reine, leur souveraine légitime, de sa royale dignité, nous savons bien où nous en viendrons, nous ; et nous avons de justes et sûrs motifs de croire que les autres princes de la chrétienté penseront de même ; nous prendrons ouvertement parti contre eux, et nous vengerons leur souveraine, de manière qu'ils servent d'exemple à la postérité. Ensuite elle soutenait que ni l'Écriture, ni les lois ne donnaient aux sujets le droit de juridiction sur le prince. Elle rappelait les services qu'elle leur avait rendus en divers temps, surtout à Morton ; et à propos des demandes d'argent dont ils la poursuivaient, elle déclarait qu'elle ne voulait prendre aucune part à ides choses que sa conscience réprouvait.

A la virilité extraordinaire de la plume, Elisabeth aurait dû allier ici la virilité de l'action. Une rapide incursion des troupes anglaises de Berwick, combinée avec les lords d'Hamilton, et la question était tranchée. Les confédérés, qui n'ignoraient pas ce que pesait la main d'Élisabeth, se seraient gardés assurément, malgré leurs forfanteries, de toute violence extrême envers Marie Stuart. La reine d'Angleterre sut bien se décider six ans plus tard à entrer en Écosse : à la vérité contre les amis de Marie. En 1567, blessée comme reine, et humiliée d'être jouée évidemment par les lords, elle exhala son dépit, mais n'alla pas plus loin, parce qu'elle ne pouvait pas donner de marques de courroux plus effectives, sans préserver le trône de sa cousine. Les rebelles le savaient bien : mieux qu'elle, ils savaient ce qu'elle ferait et ne ferait pas.

Ils annoncèrent que le couronnement du prince aurait lieu à Stirling, le 29 juillet, choisissant avec intention sans doute le deuxième anniversaire du mariage solennel de Marie Stuart et de Darnley. James Melvil alla, de leur part, inviter les nobles d'Hamilton à concourir avec eux à l'accomplissement des ordres de la reine. Les, plus jeunes des opposants lui répondirent qu'ils ne croyaient pas que la reine eût résigné le gouvernement ; l'avait-elle fait, ce ne pouvait être que pour sauver sa vie, et non pas volontairement. Mais l'archevêque de Saint-André voulut être politique. Il répondit à Melvil : Nous sommes obligés aux lords qui vous ont envoyé avec cette commission amicale et sage. D'après leur désir, nous sommes prêts à leur apporter notre concours, s'ils nous donnent des sûretés suffisantes de ce que vous nous avez dit en leur nom. Par là ils nous donneront sujet d'interpréter au mieux leurs actions passées et à venir. S'ils nous avaient informés de leur première entreprise pour punir le meurtre, nous nous serions joints à eux cordialement. Si nous nous sommes rassemblés ici, ce n'est pas afin de poursuivre ou d'attaquer aucun d'eux, mais pour nous mettre sur nos gardes, à cause de ce grand concours de nobles, de barons, de bourgeois et autres. N'étant pas au courant de leur entreprise, nous avons jugé à propos de nous réunir pour voir quel tour les choses prendraient.

Ce langage décèlerait assez clairement l'égoïsme des Hamiltons. Mais nous persistons à, douter qu'ils aient fait aux lords confédérés les ouvertures atroces que le laird de Tullibardine et Lethington confièrent à l'ambassadeur anglais[189]. Un indice que l'on ne comptait guère sur eux pour la spoliation de la reine, c'est que James Melvil, à son retour de ce voyage, vit la véracité de son rapport contestée par des gens de son propre parti ; il se plaint qu'on l'accusa d'avoir supposé le langage de l'archevêque. Les Hamiltons se contentèrent d'envoyer à Stirling Arthur Hamilton de Mureton, avec mission de réserver, par une protestation solennelle, les droits reconnus du duc de Châtelleraut et de sa maison à la succession éventuelle. Le même jour[190] (29 juillet), les cinq comtes de Morton, d'Athol, de Glencairn, de Mar et de Menteith, huit lords, dont lord Home, Lindsay, Ruthven, Sempill, Ochiltrée, un seul évêque, Adam évêque des Orcades, le même qui avait marié Marie Stuart à Bothwell, Tullibardine, Lethington, un certain nombre d'abbés commendataires — sécularisés, bien entendu —, et les maires ou commissaires de quelques villes, en tout trente-quatre personnages, se rendirent processionnellement à l'église haute de Stirling. Athol portait la couronne, Morton le sceptre, Glencairn l'épée ; le comte de Mar tenait dans ses bras l'enfant de treize mois qui détrônait sa mère. Après qu'on eut invoqué le Tout-Puissant, Lindsay et Ruthven s'avancèrent dans l'assemblée et déclarèrent que la reine leur avait, par lettres signées de sa main et sous son sceau privé, donné mission d'annoncer qu'elle résignait la couronne et le royaume en faveur de son fils. Ils affirmèrent avec serment devant Dieu et la congrégation qu'en abdiquant elle avait agi volontairement et sans contrainte[191]. On fit lecture des trois actes arrachés par la force à la captive de Lochleven. Alors, ici nous traduisons le procès-verbal que les lords dressèrent eux-mêmes, les comtes de Morton, d'Athol, de Glencairn, de Mar, de Menteith, le maitre de Graham, lord Hume, l'évêque des Orcades, au nom des trois états présentement réunis et assemblés, conformément à l'injonction et teneur de la première commission — l'acte d'abdication de Marie —, reçurent la renonciation et abdication en faveur dudit très-excellent prince. Morton prêta pour le jeune prince le serment, par lequel il s'engageait sur l'Évangile à remplir scrupuleusement les devoirs royaux, en particulier à maintenir la religion de Jésus-Christ telle qu'elle avait été reçue en Écosse, et à extirper l'hérésie, c'est-à-dire le catholicisme.

Après ce serment solennel, nous continuons le procès-verbal, les lords de la noblesse, de l'église, et les commissaires des villes, à titre d'états du royaume, par le ministère du révérend père Adam, évêque des Orcades, oignirent le très-excellent prince en finalité de roi de ce royaume, investirent et inaugurèrent Sa Grâce, placèrent dans ses mains l'épée et le sceptre, mirent la couronne royale. sur sa tête, avec tous les respects, cérémonies et formalités requises et usitées. Ce langage est curieux ; ce sont eux qui oignent Jacques VI, qui lui donnent l'investiture, c'est-à-dire que, renversant hardiment toutes les idées de l'époque, ils confèrent la royauté comme une délégation. Cela pourtant ne les empêcha pas de prêter foi et hommage au jeune souverain qu'ils venaient de créer.

Knox s'était opposé avec force, mais en vain, à la cérémonie du sacre, qu'il flétrissait de superstition judaïque. H fit le sermon du couronnement et prit pour texte dans le IIe livre des Rois l'avènement de Joas et la mort d'Athalie. Pendant qu'il lançait ses foudres contre la pauvre mère, l'enfant s'endormit d'un profond sommeil ; et enfin, le comte de Mar le rendit à son berceau.

Ne quittons pas cette étrange fête sans en prendre encore une fois les héros en flagrant délit de faux et de mensonge. Ils écrivent dans leur relation de la cérémonie que les comtes de Morton, d'Athol.... au nom des états présentement réunis et assemblés, conformément à l'injonction et à la teneur de la première commission, reçurent la renonciation, etc. — Or l'acte d'abdication ne parle pas des états du royaume ni de leur convocation. Ruthven et Lindsay reçoivent mission de se présenter devant ceux de la noblesse, du clergé, de la bourgeoisie et autres habitants du royaume, en aussi grand nombre qu'on en pourra réunir pour cet objet à Stirling ou ailleurs ; et là, de renoncer au nom de la reine, etc. Semblablement par les présentes, y est-il dit, nous donnons, confions et déléguons notre plein, libre et entier pouvoir à nos très-fidèles cousins, Jantes comte de Morton, John comte d'Athol, John comte de Mar, Alexandre comte de Gien-cairn, William comte de Menteith, John maître de Graham, Alexandre lord Hume, Adam, évêque des Orcades, les maires de Dundee et de Montrose, ou tel d'entre eux, pour recevoir ladite renonciation et résignation en faveur de notre dit fils, et pour ; en la recevant, l'instituer, te placer, l'inaugurer dans le royaume, etc. et en son nom faire et prêter devant lesdits de la noblesse, du clergé, de la bourgeoisie et autres sujets, le serment royal, etc.[192] On voit la supercherie. Les rédacteurs de l'acte de résignation y ont glissé la mention de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie ; et subrepticement dans leur procès-verbal du couronnement cela devient les trois états du royaume, convoqués par l'ordre exprès de la reine. Les trois états du royaume I Mais, d'après leur propre énumération, ces représentants prétendus des trois ordres n'étaient que trente-quatre, dont cinq comtes, huit lords, un seul évêque, lorsqu'il y avait dans le royaume plus de cent membres de la noblesse et de l'église ayant voix au paiement[193], sans compter les représentants. Les états ! Mais ils ne furent pas convoqués dans cette circonstance. L'histoire d'Écosse ne connaît pas d'assemblée d'états à la fin de juillet 1567. Il n'y a qu'un mensonge de plus chez les ennemis de Marie Stuart. Les états ! Mais la reine, tombée dans le piège de Carberry-Hill le 15 juin, ne les avait-elle pas réclamés pour juger entre elle et ses geôliers ? N'était-ce pas devant le tribunal de la nation qu'elle demandait que sa cause fût portée ? Les grands n'avaient eu garde d'affronter un tel procès. Et quand ils les ont refusés, ils n'hésitent pas à se vanter qu'ils possédaient leur présence et leur approbation le 29 juillet t Ils l'inscrivent triomphalement dans leurs fastes. Ne nous en plaignons pas. Aurait-il fallu tant mentir pour soutenir la vérité ? Et l'impossibilité continue où ils sont d'articuler un fait, une accusation qui ne soit pas un mensonge, n'est-elle pas la confirmation éclatante de l'innocence de leur victime !

Pendant ce temps, Marie Stuart était sérieusement malade de la fièvre que les atroces violences de Lochleven avaient allumée dans ses veines. Aussitôt après le couronnement, Lindsay, revenu en hâte au sinistre château, redoubla de rigueur. Il la resserra plus étroitement que jamais, et la confina dans une tour, ne laissant approcher d'elle que ses compagnes de captivité[194]. Et toujours le fantôme d'une fin tragique devant les yeux. Je crois bien, écrivait Throckmorton à Leicester (31 juillet), que j'ai préservé sa vie pour un temps ; mais pour combien de temps, je l'ignore. — Emu de pitié, il continuait : Il ne serait pas à propos que j'eusse maintenant une entrevue avec cette reine ; car mes paroles seraient moins pour la consoler que pour la chagriner, avec mes instructions qui sont trop sévères si l'on considère son malheur et l'épreuve où elle a été mise ; et d'autre part, des paroles sans effet ne sont pas des consolations[195]. Je lui ai suffisamment fait savoir que Sa Majesté la reine Élisabeth m'a envoyé ici pour l'aider par tous les moyens possibles ; et je suis bien sûr que la pauvre dame en est persuadée[196].

Elle l'avait sans doute espéré ; car on espère envers et contre tout. Un autre espoir, illusion non moins trompeuse, s'élevait aussi dans son cœur. Son frère, le comte de Murray, qui l'avait quittée le 9 avril, allait revenir du continent après quatre mois d'absence. Elle le verrait, elle le toucherait ; il lui rouvrirait peut-être sinon le chemin du trône, au moins celui de la liberté. Il n'avait pas oublié les bienfaits d'une sœur, qui lui avait tant donné, tant pardonné. Nouvelle et plus poignante déception ! Ce frère allait consommer son infortune. Mais nous ne suivrons pas Marie Stuart dans cette autre phase de son histoire. Nous avons poussé notre récit jusqu'au couronnement de Jacques VI, parce que d'une part ce fait marque le plein accomplissement de la conjuration de l'aristocratie écossaise contre la fille infortunée de Jacques V ; d'autre part, le prétexte de cette révolution fut le mariage de Marie Stuart avec Bothwell. La prétendue obstination de.son amour effréné pour ce grand coupable colora sa captivité de Lochleven et sa déchéance.

A présent, retournons à Bothwell. Suivons-le depuis sa fuite de Carberry-Hill jusqu'à sa mort dans un donjon de Danemark. La fatalité du prisonnier du roi Frédéric II, à laquelle les lords ont rivé par d'indestructibles attaches le sort de la prisonnière de Murray et d'Élisabeth, continuera de s'appesantir sur elle, et la tramera à la mort par un supplice de vingt ans. Cette fin de Bothwell nous fournira encore des lumières et des preuves en faveur de l'innocence de Marie Stuart.

 

 

 



[1] Lettre de du Croc à Catherine de Médicis, Édimbourg, 18 mai 1567, dans Labanoff, t. VII, p. 110. Du Croc était en Angleterre lors de la mort de Darnley. Il était revenu en Ecosse lorsque Marie était à Seton. Clairvoyant à l'égard de Bothwell, il avait refusé d'assister au mariage, malgré les sollicitations du comte. Moins clairvoyant à l'égard de Marie Stuart, il parait l'avoir jugée dès lors d'après Lethington qui la noircissait à dessein.

[2] Miss Strickland, t. V, p. 292-3. — Tout le cadeau de noces qu'elle fit à Bothwell consista en deux manteaux de peau de genette dont il se fit un manteau du soir. — Id. id., p. 294, d'après les registres du trésorier et de la garde-robe royale.

[3] Du Croc à Catherine de Médicis, 17 juin 1567, dans Teulet, p. 129. L'ambassadeur parle ici d'après Lethington, dont il faut toujours se défier. Il a menti et il mentira encore.

[4] Lettre de Randolph à Cecil, 30 mars 1565, citée par Chalmers, t. III, p. 21, note b. Le cardinal avait été assassiné en 1546, lorsque Marie Stuart n'avait que quatre ans. Il fallait une rare extravagance de la langue pour insulter ainsi à l'innocence d'une enfant. Chalmers conjecture quelque méprise chez Randolph.

[5] Mignet, t. I, 310.

[6] Lettre du 27 mai. — Teulet, Relations politiques de la France avec l'Espagne et avec l'Écosse au XVIe siècle, t. II, p. 298.

[7] Miss Strickland, t. V, p. 294, d'après une lettre de Drury à Cecil, 20 mai 1567.

[8] Keith, p. 571-2.

[9] Chalmers, t. I, p. 344.

[10] Mignet, t. I, p. 313.

[11] Keith, p. 333, 352, 359, note d, et 560, 117, Append., 130, append., 131, etc.

[12] Revoir, ch. VIII, la lettre de Randolph à ces deux hommes en 1570.

[13] Allusion vague à la prétendue contrainte exercée par Bothwell au souper d'Anslie ; plus tard, seulement, elle se personnifiera dans les deux cents arquebusiers.

[14] Mensonge, très-certainement. Du Croc, écrivant à Catherine de Médicis, le 18 mai, dépeint son embarras entre les deux partis, embarras où évidemment il ne serait pas s'il s'était décidé en faveur des nobles. La reine l'a prié, dit-il, d'aller les trouver pour leur parler au nom du Roy, et veoir si je y pourray faire quelque chose. S'il advient, j'y feray tout ce qu'il me sera possible, et, apprès, le meilleur est de me retirer, et, comme je vous ay mandé, les laisser jouer leur jeu. Il n'est point séant que je y sois au nom du Roy ; car si je favorise la Royne, l'on pensera en ce royaume et en Angleterre, que le Roy tient la main à tout ce qui se fait ; et si ce n'eust esté le commandement que Voz Majestez me feyrent, je fust party huit jours devant les nopces.... (Teulet, Relations polit. de la France, t. II, p. 298). Il est clair que ce n'est pas là le langage d'un homme qui aurait poursuivi les nobles de ses offres de service. Une autre lettre de du Croc à Charles IX, 17 juin, prouve avec une pleine évidence qu'il se tint dans une stricte neutralité. Labanoff, t. VII, p. 121.

[15] Tytler, t. V, p. 407-9 ; et Mignet, t. I, p. 315-6. Kirkcaldy ne parle pas ici de Maitland de Lethington, sans doute parce que le secrétaire n'avait pas été du conciliabule de Stirling. Il ne quitta pas la reine dont il partagea en apparence la captivité, du 24 avril au 12 mai. — Le nom d'Herries, ami de Marie Stuart, nous étonne dans cette liste de Kirkcaldy. Il y a là quelque légèreté du correspondant de Bedford. Est-ce par un doute de cette nature que M. Mignet, reproduisant au complet la liste du laird de Grange (t. I, p. 316), en a retranché le seul Herries, comme au bond d'Anslie ? Lord Boyd était si peu de ce complot, qu'il se rangea du côté de la reine, lors de la prise d'armes.

[16] Voyez ch. VIII. Il nous paraît évident que Melvil a transposé les faits ici comme à son ordinaire, et qu'il a voulu parler du bond d'Anslie, qui précéda l'enlèvement et qu'il n'a mentionné nulle part ailleurs.

[17] Keith cite, p. 394, note d, l'extrait suivant des Mémoires de Crawford : Les chefs de la faction étaient Morton, Mar, les lords Hume, Sempill et Lindsay, les barons de Tullibardine et de Grange, et le secrétaire Lethington. Mécontents du mariage de la reine et déconcertés, ils travaillèrent secrètement à former une faction avec d'autres, sous prétexte de délivrer la reine et de mettre Bothwell en jugement pour le meurtre dont on le soupçonnait. Mais leur intention était plutôt de s'affranchir eux-mêmes par soulèvement et rébellion, comme on l'entendra ci-après.

[18] Drury écrit à Cecil, le 20 mai 1567, que l'ambassadeur français a informé la reine d'Ecosse que son frère, le comte de Murray, qu'elle croyait sur le continent, était toujours en Angleterre, intriguant avec le Conseil de ce royaume, non pas pour son avantage à elle, et qu'il tenait sur elle des discours très-déplacés dans la bouche d'un sujet, à plus forte raison chez un homme si proche par les liens du sang. Miss Strickland, t. V, p. 295-6.

[19] Chalmers, t. III, p. 55, note z. Chalmers ajoute que les lettres de Cecil, conservées dans la Cabala, sont conçues dans le même sens. Cabalasive scrinia sacra est un recueil de lettres des personnages de ce temps.

[20] Chalmers, t. III, p. 242, note y.

[21] Keith, p. 296-7.

[22] Miss Strickland, t. V, p. 296, d'après une lettre de Drury à Cecil, 25 mai 1567.

[23] Tytler, t. V, p. 408-7, édition 1845, lettre de Robert Melvil à Cecil, 7 mai 1567. La France, dit Melvil, a offert aux seigneurs une compagnie d'hommes d'armes et des pensions ; mais les plus honnêtes d'entre eux ont pensé et on a décidé que l'on ne ferait rien qui pût offenser la reine d'Angleterre. — Nous avons déjà remarqué plus haut que le ton de la correspondance de du Croc avec sa cour, dans ce temps-là, prouve plutôt qu'il n'avait fait d'offres d'aucune sorte. C'est un mot d'ordre adopté pour stimuler les Anglais.

[24] Mignet, t. I, p. 316.

[25] Chalmers, t. III, p. 83.

[26] Chalmers, t. III, p. 445-6. Miss Strickland, t. V, p. 301, note 3. Ce bond rappelle d'abord l'enlèvement et la captivité de la reine, les moyens illégitimes que Bothwell employa pour l'amener au mariage. De là, la résolution de la noblesse de délivrer la reine de la servitude, de sauvegarder la liberté publique, les privilèges de la noblesse ; enfin la promesse de Balfour de les aider dans leurs entreprises décidées ou à décider. — C'est dans ces derniers mots qu'il faut chercher leurs intentions ; le reste n'est qu'un simulacre.

[27] Mignet, t. I, p. 319, d'après Tytler, et une lettre de Drury à Cecil, 20 Mai 1567.

[28] Miss Strickland, t. V, p. 299. Une circonstance propre à nous mettre en garde contre les plaisanteries que Marie aurait décochées à l'adresse des seigneurs, c'est qu'à ce moment même elle cherchait à les ramener près d'elle. Elle les avait priés de s'assembler quelque part où du Croc irait les trouver : S'il advient, j'y feray tout ce quit me sera possible écrit du Croc à Catherine de Médicis, le 18 mai 1567. Teulet, Relations politiques de la France et de l'Espagne arec l'Écosse, t. II, p. 297-8. C'est lord Boyd qu'elle avait envoyé à Stirling pour ces premiers pourparlers. Miss Strickland, t. V, p. 298.

[29] Miss Strickland, t. V, p. 299.

[30] Mignet, t. I, p. 319-320.

[31] Miss Strickland, t. V, p. 300, Lettre de Drury à Cecil, 5 juin 1567.

[32] Miss Strickland, t. V, p. 302, d'après les registres du trésorier.

[33] Goodall, t. II, p. 55, Memorandum de Buchanan.

[34] Teulet, Lettres se Marie Stuart, 182 et 186.

[35] Miss Strickland, t. V, p. 305 et suivantes, d'après une lettre de Drury à Cecil, 12 juin 1567.

[36] Miss Strickland, t. V, p. 306, d'après une lettre de Beton à son frère l'archevêque de Glasgow, Édimbourg, 17 juin 1587.

[37] Du Croc, annexe à sa dépêche du 17 juin 1567, à Charles IX, Labanoff, t. VII, p. 125-7.

[38] Lettre de James Beton dans miss Strickland, t. V, p. 306.

[39] Anderson, t. I, p. 128-131.

[40] Anderson, t. I, p. 131-4.

[41] L'argument n'est pas des plus probants. Le zèle entraîne aussi trop loin les lords, quand ils disent que le procès en divorce ne dura que deus jours. Il dura du 27 avril au 7 mai.

[42] Buchanan, Rer. Scot., liv. XVIII.

[43] History of the Reformation...., p. 445.

[44] Keith, p. 400.

[45] Relation du capitaine d'Inch-Keith, Teulet, p. 124. — Keith, p. 401, dit, d'après Calderwood, Seton, Tester et Borthwick. Mais le capitaine Inch-Keith était témoin oculaire.

[46] Récit du capitaine d'Inch-Keith, dans Teulet, p. 124.

[47] Drury à Cecil, 17 et 19 juin 1567, cité par miss Strickland, t. V, p. 322. Un dessin du temps, conservé au Paper office et fait probablement pour Cecil, représente cette scène. La reine porte un chapeau et un corsage noir, un tour de cou blanc, une cotte rouge et jaune (les couleurs d'Écosse). Derrière elle, une jeune dame, Marie Seton ; porte un chapeau semblable, un voile blanc, un corsage rouge et une cotte jaune. Chez toutes deux, la jupe descend amplement jusqu'aux pieds, qu'elle couvre en partie. Voyez Chalmers, t. I, p.354, et miss Strickland, t. V, p. 323.

[48] Lettre de du Croc à Charles II, Edimbourg, 17 juin 1567 ; Labanoff. t. VII, p. 112-124, et Teulet, Relations de la France et de l'Espagne avec l'Écosse, t. II, p. 312-320.

[49] Lettre de du Croc, Labanoff, t. VII, p. 120.

[50] Tiré d'une lettre de Scroope à Cecil, Carlisle, 17 juin 1567 ; de Drury à Cecil, Berwick, 18 et 19 juin 1587. Mignet, t. I, p. 328. — Keith, p. 401.

[51] Relation du capitaine d'Inch-Keith, Teulet, p. 121.

[52] Lettre de du Croc à Charles IX, 17 juin. — Labanoff, t. VII, p. 121-2. A partir du moment où du Croc se retire et cesse de parler comme témoin oculaire, les différents récits deviennent assez confus et obscurs, même celui du capitaine d'Inch-Keith, qui était présent de sa personne.

[53] Miss Strickland, t. V, p. 318, d'après Melvil.

[54] Goodall, Append., p. 164 : Réponse des commissaires de Marie Stuart, York, 16 octobre 1568, à un factum de Murray, du 10 octobre (également dans Goodall, p. 139, 144 et suivantes).

[55] Teulet, p. 176-7. Premier mémoire justificatif, 5 janvier 1568.

[56] Tome I, p. 331.

[57] Teulet, p. 177-8.

[58] Teulet, p. 123.

[59] Goodall, Append., p. 164. Réplique des commissaires de la reine d'Ecosse à la réponse du comte de Murray, 16 octobre 1568.

[60] Goodall, Append., p. 123.

[61] Camden, p. 117. Son récit confirme pleinement la réponse des commissaires de Marie, citée plus haut.

[62] Dans Anderson, t. I, p. 41, il apostrophe les ennemis de la reine : Dites, je vous prie, et parlons sérieusement, votre but principal, votre désir était-il d'appréhender au corps le comte de Bothwell ? Alors, expliquez-nous pourquoi vous l'avez laissé aller, quand vous pouviez l'avoir à votre plaisir. Grange, en allant trouver la reine de votre part, ne parla-t-il pas aussi au comte ? Ne le prit-il point par la main pour le faire partir, avec l'assurance et la déclaration que personne ne le poursuivrait ?

[63] Goodall, Append., p. 145 et 164-5.

[64] Le capitaine d'Inch-Keith dit que la reine désirait combattre (Teulet, p. 120, 122) ; mais il nous semble qu'il parle des dispositions de Marie le matin de ce jour, et au moment où du Croc arriva près d'elle. Alors elles changèrent, et Marie ne pensa plus qu'à éviter l'effusion du sang.

[65] Lettre de lord Scroope à Cecil, 17 juin 1567 ; miss Strickland, t. V, p. 324.

[66] Lettre de Drury à Cecil, 19 juin 1567. Miss Strickland, t. V, p. 325, rapporte qu'une description minutieuse de l'étendard pendant qu'on le préparait, et un dessin après l'achèvement, furent envoyés préalablement à Cecil par l'intermédiaire de Drury, preuve que le gouvernement anglais était tenu au courant, pas à pas, de tout ce qui se préparait pour la ruine de Marie.

[67] Lettre à Catherine de Médicis, Edimbourg, 17 juin 1561. Teulet, Relations..., t. II, p. 319.

[68] M. Mignet (t. I, p. 334) admet cette version. C'est seulement après les menaces à Lindsay, aux comtes d'Athol et de Morton, qu'il ajoute : aussi, dès ce moment, fut-elle véritablement captive entre les mains des lords. Mais, et les injures vomies contre elle, et son arrestation, et la bannière portée devant elle, toutes circonstances qui précédèrent ses menaces à Lindsay, cela n'est donc rien ? Comment se fait-il que le savant historien n'aperçoive jamais dans les faits que le côté favorable à sa thèse ?

[69] Miss Strickland, t. V, p. 328.

[70] Était-ce le cas de la comparer à une pauvre insensée, comme fait M. Mignet (t. I, p. 335) ?

[71] Lettre de du Croc à Charles IX, 17 juin 1567, Labanoff, t. VII, p. 123. Teulet, Relations..., t. II, p. 319.

[72] Teulet, p. 125.

[73] Il y en avait encore d'autres que du Croc ne nomme pas, sans doute Mme Courcelles, Jane Kennedy et Mlle Rallay que l'on retrouve à son service à Lochleven et en Angleterre. Jane Kennedy y était encore à Chartley en 1586 (Labanoff, t. VII, p. 252).

[74] Lettre de Drury à Cecil, juin 1567. Miss Strickland, t. V, p. 332-3.

[75] Voyez dans Keith, p. 404-6.

[76] Voyez ch. VI, p. 292-299, 304, 309-311, où la correspondance de Lennox et de Marie établit, avec la dernière évidence, que ce fut Lennox qui, après avoir demandé instamment que le procès eût lieu dans le plus bref délai, sollicita un ajournement à la dernière heure. Ici, les lords peuvent mentir hardiment parce que les lettres de Lennox n'ont pas été publiques.

[77] Ils le savaient mieux que personne, puisque c'étaient eux-mêmes qui avaient conduit le procès.

[78] Il est curieux de voir Lethington, Morton et autres s'indigner si vaillamment de leur propre crime.

[79] Ces hommes armés et autres, c'étaient Lethington, Morton, etc. Voyez plus haut, ch. VII, Jugement de Bothwell.

[80] C'est-à-dire son projet d'épouser la reine. — Morton, Lethington et leurs amis ne se souviennent plus du tout de leur bond du souper d'Anslie. Voyez ch. VIII.

[81] L'adultère commis par lui sous le toit conjugal.

[82] L'Eglise réformée.

[83] Grossier mensonge. Ce mariage fut célébré devant l'Eglise réformée, exclusivement. — Voyez ch. VII. — Comme il avait eu lieu à quatre heures du matin, presque sans témoins, les rédacteurs du bond du 16 juin, crurent apparemment pouvoir se donner carrière à ce sujet.

[84] Ils avaient, au bond d'Anslie, commencé par livrer la reine à Bothwell ; et tant que le mariage qu'ils avaient recommandé si chaleureusement n'avait pas été consommé, ils n'avaient pas bougé. Puis ils s'étaient soulevés afin de la délivrer, quand elle n'était plus à délivrer. Ils se vantent de lui obéir, alors qu'ils la tiennent, depuis la veille, dans la captivité la plus outrageante, et qu'ils vont la reléguer dans la captivité perpétuelle. Que d'hypocrisie !

[85] Une fois maîtres de la personne de la reine, ils ne s'inquiétèrent plus de rompre ce mariage. Que dis-je ? Ils s'opposèrent à un divorce en 1569.

[86] Voyez chapitre VIII.

[87] Mignet, t. I, p. 332-9.

[88] Mignet, t. I, p. 339. — Dans Keith, p. 403, les noms diffèrent un peu : Morton, Athol, Mar, Glencairn, Ruthven, Hume, Lindsay, Sempill. Miss Striktland a vu le warrant original à Dalmahoy-House, chez le comte de Morton (t. V, p. 334, note I) ; mais elle ne désigne aucun nom. — Chalmers (t. I, p. 357, note g), nomme Morton, Athol, Glencairn, Mar, Sempill, Ochiltrée et Graham (encore mineur). — Le lord Symryle de Mignet parait être Sempill, un des signataires du bond.

[89] Miss Strickland, t. V, p. 343.

[90] Keith, p. 403.

[91] Tome I, p. 336.

[92] Tome II, p. 154-5. Disert. crit. sur le meurtre du roi Henri.

[93] Mignet, t. I, p. 337.

[94] Édimbourg, 17 juin 1666. — Teulet, p. 127-130.

[95] Le matin du 16, quand elle était enfermée dans la maison du prévôt.

[96] Cette tactique est mise en œuvre par Cecil en même temps que par Lethington. Lettre de Cecil à Norris, ambassadeur anglais en France, 26 juin 1567 (Chalmers, t. III, p. 244, note s) : La meilleure partie de la noblesse s'est confédérée afin de poursuivre en justice la condamnation de Bothwell pour le meurtre du roi. Bothwell se défend par l'appui de la reine. Le 15 de ce mois, il se mit en campagne avec elle, mais si mal accompagné qu'il s'enfuit sans combattre et abandonna la reine sur le terrain. Celle-ci se rendant aux lords, refusa nettement de faire justice de Bothwell ; aussi l'ont-ils enfermée à Lochleven, jusqu'à ce qu'ils en aient fini avec lui.

[97] Goodall, Append., p. 343.

[98] Goodall, Append., p. 166.

[99] Anderson, t. I, p. 36.

[100] Teulet, p. 128.

[101] Cet ordre est du commencement de mai, antérieur au mariage, Chalmers, t. III, p. 55, note x.

[102] Pour ces diverses lettres, se reporter aux chapitres précédents, ou à l'ouvrage de M. Mignet, t. I, p. 314-6.

[103] Nous nous bornons à affirmer le fait que nous établirons plus amplement dans une étude spéciale sur Murray. — Voyez Chalmers, t. III, p. 245, note a. — Page 247-8 et note.

[104] Voyez l'intéressant ouvrage de M. Chéruel, Marie Stuart et Catherine de Médicis, p. 51.

[105] Longtemps après, Marie Stuart répondait de Chatsworth, 15 septembre 1578, à l'archevêque de Glasgow, qui probablement avait reçu des offres de service de du Croc et les avait déclinées : Je trouve fort bon ce que vous avez dit à du Crocq pour son voyage, car je ne m'y veulz, en façon que ce soit, fyer : la preuve, que j'en ay faite, m'ayant cousté trop cher, par le passé. Labanoff t. V, p. 61. Throckmorton écrit à Elisabeth, Edimbourg, 14 juillet 1567, qu'il pense que du Croc ne rapportera que des choses peu avantageuses pour la reine, si bien qu'on croit même que, lorsque du Croc sera arrivé près du roi son martre, ce prince aimera mieux satisfaire les lords que de complaire à la reine ; car la partie des lords est si bien liée, que la France fera plus de profit par leur moyen, que par aucune autre voie. Robertson, Pièce historique, n° XXII, t. II, p. 350.

[106] Lettre de don Frances de Alava à Philippe II, Paris 30 juin. 1567. Teulet, Relations politiques de la France et de l'Espagne avec l'Écosse, t. V, p. 27.

[107] Keith, p. 406-7 ; Tytler, t. V, p. 432, édition 1845 : Chalmers, t. I, p. 362.

[108] Une partie fut monnayée pour le service de Son Altesse la reine. Extrait de l'ordre même du Conseil privé, Keith, Préface, p. IX.

[109] Keith, p. 407-408, 582-577.

[110] Keith, p. 407, note a.

[111] Voyez ch. VI.

[112] Anderson, t. II, p. 173-177.

[113] Tome V, p. 430-1, édition 1845.

[114] Teulet, Lettres de Marie Stuart, p.130 et suivantes. — Chalmers, t. I, p. 371. — Teulet, Relations de la France et de l'Espagne arec l'Écosse, t. V, p. 28 ; Lettre de don Frances de Alava à Philippe II, Paris 13 juillet 1567.

[115] Tytler, t. V, p. 429, édition 1845.

[116] Tytler, t. V, p. 438, édition 1845.

[117] Lettre du 1er juillet 1567, Tytler, t. V, p. 438-440, édition 1845. Strickland, t. V, p. 349 et suivantes.

[118] Tytler conjecture avec vraisemblance qu'il s'agit de quelque moyen de forcer Marie Stuart à l'abdication.

[119] Chalmers, t. III, p. 566, note x.

[120] Allusion au désir d'Élisabeth qu'on lui remit le jeune prince.

[121] Miss Strickland, t. V. p. 351-2, d'après les Stevenson's Illustrations.

[122] Lettre de Melvil à Cecil, 8 juillet 1567. Voyez miss Strickland, t. V, p. 352.

[123] Miss Strickland, t. V, p. 352-3.

[124] Voyez Keith, p. 411-414.

[125] La sanction de ses droits à la succession d'Angleterre, qu'Élisabeth présente de loin comme un appât.

[126] Voyez Keith, p. 414-5.

[127] Keith, p. 416.

[128] Robertson, t. II, p. 340, Pièces historiques, n° XXII ; Lettre de Throckmorton à Cecil, Berwick, 11 juillet 1567.

[129] Lettre de Throckmorton à Cecil, Fastcastle, 12 juillet 1567. — Voyez Robertson, t. II, Pièces historiques, n° XXII, p. 341-344 ; miss Strickland, V, p. 353-5.

[130] Throckmorton à Élisabeth, Édimbourg 14 juillet 1567 ; dans Robertson, t. II, Pièces historiques, n° XXII, p. 345-9.

[131] Throckmorton ç Élisabeth, Édimbourg 18 juillet 1567, Robertson, loc. cit., p. 355-6. Throckmorton dit dans cette lettre, qu'il a conseillé à Marie Stuart de se prêter à ce qu'on exigeait d'elle relativement à Bothwell ; qu'elle lui a fait dire qu'elle n'y consentirait jamais, etc. — Il serait intéressant de savoir qui elle chargea de porter ces paroles. Si, par exemple, c'était, comme dit Tytler, Robert Melvil, celui-ci pourrait bien avoir altéré la réponse.

[132] Mignet, t. I, p. 352 et note 1.

[133] Throckmorton à Élisabeth, Édimbourg 18 juillet 1567, Robertson, t. II, p. 354-5.

[134] Throckmorton à Élisabeth, 18 juillet 1567, Robertson, t. II, p. 357.

[135] Throckmorton à Élisabeth, 19 juillet 1567, Keith, p. 422. — Throckmorton à Élisabeth, 21 juillet, Keith, Préface, p. XII.

[136] Throckmorton à Élisabeth, 18 juillet 1567, Robertson, t. II, p. 358.

[137] Throckmorton à Élisabeth, 19 juillet 1567, Keith, p. 420.

[138] Throckmorton à Élisabeth, 18 juillet 1567, Robertson, t. II, p. 357.

[139] Lettre à Élisabeth, 19 juillet 1567, Keith, p. 420-1.

[140] Throckmorton à Elisabeth, 21 juillet 1567, Keith, Préface, p. XI.

[141] Voyez ce document dans Keith, p. 417-420. Keith lui a donné dans son texte la date du 11 juillet 1567 ; mais il a établi dans sa préface, p. XI, notes b et c, quels date véritable est le 20 juillet. Cela ressort, du reste, évidemment de la lettre de Throckmorton à Elisabeth, 21 juillet 1567, citée au même endroit par le même auteur. On retrouvera dans ce mémoire des choses déjà énoncées par les lords dans d'autres pièces, par exemple dans le bond de la nuit du 16 au 17 juin.

[142] Lethington a juré à du Croc, le 16 juin, que les lords n'avaient aucune relation avec l'Angleterre.

[143] Et le complot de ce même Lethington, en 1561, pour la faire arrêter et détenir par les Anglais à son retour de France ? — Et le complot de 1565 pour lui ôter la couronne et l'enfermer à Lochleven ? Et le complot de 1566 pour la détrôner, la frapper ainsi que Riccio ?

[144] Et les lettres de Kirkcaldy de Grange, de Lethington, de Robert Melvil ? Et les termes de la négociation de James Melvil avec Balfour ? Et Randolph accusant Lethington en 1570 ? (Voyez chap. VIII.)

[145] Meurtre dont il était l'instigateur principal. Voyez chap. IV.

[146] Comédie dont il avait été l'acteur principal. Voyez chap. VII.

[147] Ici Lethington est dans la vérité ; nous nous sommes déjà servis de son récit, au chap. VIII. Mais il va s'embusquer derrière ces vérités pour mentir avec plus d'effet. Il juge à propos d'omettre la ratification solennelle du jugement par la noblesse assemblée en parlement, et le bond d'Anslie qui eut pour conséquences le rapt et le mariage. Nous n'avons pas besoin d'insister sur la rédaction de ce bond et sa très-fidèle exécution jusqu'au mariage inclusivement.

[148] Conte ridicule. Le système des nobles, comme des lettres supposées, est de représenter Marie Stuart amoureuse de Bothwell, Bothwell amoureux de sa première femme.

[149] Il serait superflu de démasquer ici l'hypocrisie une fois de plus.

[150] Larmes de crocodile. Nous avons vu que Bothwell avait cédé à lady Gordon la jouissance viagère de Nether-Hales (chap. VIII). Il fallait bien lui faire des conditions acceptables pour la décider au divorce. C'est terriblement détourner les faits de leur sens, que de voir là une preuve que Bothwell voulait la reprendre pour orner son front de la couronne, quand il aurait assassiné Marie. — Ces déclarations sur la cruelle tyrannie de Bothwell portent à faux ; car il ne fit périr personne pendant le temps qu'il eut le pouvoir. Il n'y avait pas un de ses ennemis qui n'eût plus de meurtres que lui sur la conscience. Nous ne savons pas ce qu'il aurait fait de Marie Stuart au bout de six mois ; mais on a lieu de croire qu'elle n'aurait pas duré deux mois avec les lords, comme nous le verrons bientôt, si elle eût refusé d'abdiquer.

[151] S'emparer de sa personne ! justement la seule chose qu'ils négligèrent à la journée de Carberry-Hill, le 15 juin. Pas un instant, ils ne se mirent sur ses traces.

[152] Ici, Keith remarque qu'il y a plus d'une manière de raconter l'histoire. En effet, s'ils ne prirent pas Borthwick, ce ne fut point par respect pour Marie Stuart qui s'y trouvait ; c'est qu'ils ne se crurent pas en état de te prendre. On vit par leur conduite à Carberry-Hill, que leur grand objet était la capture de la reine.

[153] Ce serait le cas de renouveler l'observation de 5eith. Il serait superflu d'ailleurs de prouver combien ce compte rendu de la journée du 13 juin est mensonger. Nous renvoyons le lecteur à notre récit. Remarquons, du reste, que Lethington esquive le détail de la capitulation, des engagements solennels pris par les lords, et du retour à Édimbourg. C'est comme Buchanan, quand il ne sait plus sur quoi mentir, il s'écrie : Qui ne sait comment les choses se passèrent alors ?...

[154] Disons encore que ce mariage était l'œuvre expresse des grands qui le flétrissent ici.

[155] Voilà le thème mensonger que Lethington avait employé le 16 juin avec du Croc.

[156] Keith remarque qu'il n'est plus question de la lettre de Marie à Bothwell, que les nobles auraient interceptée la nuit du 15 au 16 juin. N'aurait-elle pas valu ici plus que tous les raisonnements du monde ? Mais on l'avait supposée pour fournir à Kirkcaldy un prétexte de se dégager envers la prisonnière ; ensuite on avait abandonné cette invention avec le mépris qu'elle méritait. Cependant, ce n'était pas tout. Les lords n'avaient-ils pas saisi, le 20 juin, la cassette de vermeil contenant les lettres de Glasgow et de Stirling, les sonnets, la promesse de mariage de Marie à Bothwell ? Pourquoi donc n'employèrent-ils pas vis-à-vis le gouvernement anglais, ces pièces qui les auraient dispensés de s'avilir à tant d'impostures, qui auraient fourni si amplement à Elisabeth les lumières qu'elle demandait, comme condition du secours qu'elle devait leur accorder ? C'est évidemment que Morton n'avait rien saisi le 20 juin et que la prétendue correspondance n'était pas encore forgée.

[157] Elle n'avait pas voulu de combat à Carberry-Hill.

[158] Lethington oublie encore de dire qu'à Carberry-Hill, Marie s'est séparée volontairement de Bothwell, que les lords ne s'inquiétèrent pas un moment de le poursuivre. Nous verrons, au chapitre x, qu'ils le laissèrent paisible à Dunbar, qu'au bout d'un certain temps seulement, ils le sommèrent d'Edimbourg ; ce qui n'était pas autre chose, qu'un avertissement déguisé de pourvoir à sa sûreté personnelle.

[159] Ces mots sont en français dans la lettre de Throckmorton à Élisabeth, 21 juillet 1567. Keith, Préface, p. XII.

[160] Nous ne saurions donc, avec M. Mignet (t. I, p. 350), faire de Lethington le chef des plus modérés, des plus indulgents. M. Mignet n'a pas fait usage de la pièce que nous venons d'emprunter à Keith.

[161] Keith, p. 420-4.

[162] Keith, Préface, p. XII.

[163] Tytler, t. V, p. 438, édit. 1845.

[164] Tytler, t. V, p. 440. He — Lethington — does well like of your advice in divers heads ; always there is matter enough probable to proceed upon that matter we first agreed upon, and farther is thought expedient.

[165] Keith a donné ce bond, p. 436 ; il le place à la fin de juillet. Mais Tytler (t. V, p. 459, note 3, édit. 1845) dit que la véritable date, qu'on lit sur l'acte original, est le 29 juin.

[166] Lettre de Throckmorton à Élisabeth, 14 et 18 juillet 1567, Robertson, t. II, p. 352, 356, 357. — 19 juillet 1567, Keith. p. 423.

[167] Throckmorton à Élisabeth, 9 août 1567, dans Tytler, t. V, p. 456-9, édit. 1845.

[168] Nous verrons plus bas qu'ils diront ensuite que leurs ennemis les avaient menacés de faire mourir la reine s'ils bougeaient, et qu'ils les savaient capables de tenir parole.

[169] Keith, p. 581-4.

[170] Throckmorton à Élisabeth, 25 juillet 1567, Keith, p. 424.

[171] Throckmorton à Élisabeth, 25 juillet 1567, Keith, p. 425-6.

[172] Goodall, Append., p. 203-206, protestation du comte de Murray, à Westminster, 26 novembre 1568. Nous regrettons de ne pas pouvoir donner ici, in extenso, cette pièce, nec plus ultra de l'hypocrisie. Ce sera pour la vie du comte de Murray.

[173] Lui extorquer son abdication à force de menaces.

[174] C'est sans doute que la nécessité de la cause, alléguée dans le premier mémoire, exigerait qu'on se débarrassât de Marie Stuart. Quelle basse scélératesse dans la menace !

[175] A l'aide de la menace de mort, si elle refuse d'abdiquer.

[176] Voilà le langage qu'on tient aux complices dont on est assuré. Voyez la pièce dans Keith, p. 427.

[177] Voyez ces trois actes dans Keith, p. 430-433.

[178] Miss Strickland, t. V, p. 362.

[179] Nous savons ce que valait cet attachement, et celui de Robert Melvil.

[180] Miss Strickland, t. V, p. 366-7. Mémoires de James Melvil. Keith, p. 425, note b. — Goodall, Append., p. 168-7, 344, 362 ; Réponse des commissaires de Marie Stuart au comte de Murray, 16 octobre 1668. — Leslie's Negotiations, dans Anderson, t. III, p. 19-21.

[181] Miss Strickland, t. V, p. 367-8, d'après l'Innocence de la très-illustre, très-chaste et débonnaire princesse madame Marie, royne d'Ecosse, 1572 ; Collect. de Jebb, t. I. — Goodall et Leslie's Negotiations aux endroits déjà cités. Nous ne trouvons pas dans les sources du XVIe siècle différents traits du récit de M. Mignet (t. I, p. 354-5). Ainsi, à la fin de l'entrevue avec Mel vil seul, Marie passe par toutes les alternatives d'un généreux courage et d'un abattement craintif. — Les récits s'accordent à dire qu'elle avait nettement refusé à Melvil de céder. Il n'y avait donc chez elle ni abattement craintif, ni hésitation. Elle hésitait encore, continue M. Mignet, lorsque entra Lindsay avec les trois actes.... Il les plaça en silence devant la reine.... Marie Stuart, comme terrifiée par sa présence, prit la plume, etc. Lindsay ne garda pas le silence, car il proféra les menaces les plus redoutables. Il ne produisit pas non plus sur la victime cet effet terrifiant et foudroyant de son seul aspect. Le trait peut sembler dramatique ; il n'est pas exact. L'illustre historien s'appuie 1° sur Tytler, dont il traduit le récit ; mais Tytler ne dit rien du silence de Lindsay (t. V, p. 452, édit. 1845) ; 2° sur Spottiswood, auquel renvoie Tytler. Mais Spottiswood, cité par Keith (p. 425 note b), rapporte seulement que la reine réfléchit un instant ; et sans rien lire des écrits qu'on lui présentait, elle y mit sa signature, pendant que des larmes abondantes coulaient de ses yeux ; et c'est seulement pour la circonstance qu'elle signa sans vouloir lire que Keith cite Spottiswood.

[182] M. Mignet place l'abdication au 25 juillet (t. I, p. 354), d'après un extrait de la lettre de Throckmorton à Elisabeth, du 25juillet, dans Keith, p. 425 : The lord Lindsay departed this morning from this town to Lochleven. Mais il n'a pas remarqué que cette lettre a été commencée le 24, et que Throckmorton dit, dans les premières lignes, que les lords étant arrivés à Édimbourg le 23, décidèrent le jour même que Lindsay et Melvil partiraient aujourd'hui, 24 — should this day, being the 24.... repair to the queen.... — Le this morning qui survient un peu plus bas est donc le matin de ce même jour, 24 juillet. — Quelques pages plus loin (p. 440), Keith reproduit une proclamation du Conseil en date du 30 juillet annonçant que l'abdication a eu lieu le 24. — Enfin parmi les historiens, pas un n'adopte le 25 juillet.

[183] Miss Strickland, t. V, p. 369-370. Tytler, t. V, p. 452-3, édit. 1845. La protestation écrite de Th. Sinclair a été retrouvée en 1817.

[184] Keith, p. 434-5. — Anderson, t. II, p. 231-242.

[185] Keith, p. 434, note a. — Anderson, t. II, p. 240. Lors du couronnement de Jacques VI, qui eut lieu le 29 juillet, trente-quatre personnages seulement de tout ordre signeront au procès-verbal. — Keith, p. 437-8. Anderson, t. II, p. 244-5. Nous faisons ces observations afin de constater par une chaîne non interrompue l'esprit de fraude qui n'abandonne pas les lords un seul instant.

[186] Throckmorton à Élisabeth, 26 juillet 1567 ; miss Strickland, t. V, p. 370-1.

[187] Miss Strickland, loc. cit.

[188] Élisabeth à Throckmorton, 27 juillet 1567, Keith, p. 428-430.

[189] Il est juste de rapporter que dans la déclaration de trente-cinq comtes, lords, évêques et abbés de ce parti, faite à Dumbarton, le 12 septembre 1568, ils expliquent leur inaction, parce que la faction adverse tenait toutes les ressources militaires du royaume, et dans le cas on les nobles, partisans de Sa Majesté, auraient levé une armée pour la délivrer, on les avait menacés, et l'on s'était vanté, qu'on leur enverrait sa tête.... Pour sauver la vie de Son Altesse, ses partisans renoncèrent à prendre les armes coutre eux et maintinrent le pays dans une sorte de tranquillité ; mais ce ne fut pas sans une grande douleur... (Goodall, Append., p. 355). — Nous ne croyons pas que Morton eût osé répondre par l'assassinat de Marie Stuart à une intervention anglaise ; il en aurait été capable, s'il n'avait eu devant lui que les Hamiltons.

[190] Nous suivons le procès-verbal du couronnement, consigné dans le registre du Conseil privé, et reproduit par Keith, p. 437-9.

[191] Miss Strickland, t. VI, p. 7-3, d'après une lettre de Throckmorton à Élisabeth, 31 juillet 1567. Voyez aussi Chalmers, t. I, p. 389 ; Tytler, t. V, p. 464, édit. 1846. — Le procès-verbal du Conseil privé que nous suivons, met en scène Ruthven avec Lindsay, quoiqu'il soit certain que Ruthven n'était pas à Lochleven lors de l'abdication de Marie. — Ce mensonge monstrueux de la résignation spontanée de la reine, Murray, Morton, Lindsay, le répéteront avec la même audace, le 10 octobre 1668, en Angleterre, à York. Après avoir raconté, à leur manière, qu'épuisée et dégoûtée du gouvernement, elle ne voulut pas en porter le faix plus longtemps ; qu'elle abdiqua en faveur de son fils, et pourvut à la régence par actes signés de sa main, et sous son sceau privé — ils se garderont bien de dire quand et comment le sceau privé fut apposé), ils ajouteront : Et cela volontairement, sans qu'on ait employé ni contrainte ni violence, ni force pour la porter à cette résolution (Goodall, Append., p. 146). Comment peut-on placer la justice et la vérité chez un parti qui ne procède qu'à coups de faussetés ?

[192] Keith, p. 432.

[193] Keith (p. 439) relève la fraude des lords. Goodall, Append., p. 167. Le procès-verbal nomme cinq comtes. Mais ici encore il pourrait s'être trompé et avoir inscrit de trop le comte de Menteith. Le Diurnal of occurrents, chronique si précise, n'indique comme présents au couronnement que Morton, Athol, Mar, Glencairn, les lords Hume, Lindsay, Ruthven, Sanquhair, et, ajoute-t-il, certains autres petits barons.... et ce furent là tous les nobles qui assistèrent au couronnement ou y adhérèrent, une fort petite minorité du corps de la noblesse (miss Strickland, t. VI, p. 4, note 4). Avec cette affirmation formelle concorde la déclaration des commissaires de Marie Stuart à York, 16 octobre 1568, qu'il n'y avait que quatre comtes (Goodall, Append., p. 168).

[194] Throckmorton à Élisabeth, 31juillet 1567 ; à Cecil, 2 août 1567. — Miss Strickland. t. VI, p. 5-6.

[195] Following my instructions, which were to hard considering her calamity and temptation ; and on the other side, words without deeds be no comfort.

[196] Miss Strickland, t. VI, p. 5. Au sujet des instructions de Throckmorton, le lecteur se rappellera qu'il devait exprimer à Marie, au nom d'Elisabeth, d'abord le blâme pour sa conduite et son mariage avec Bothwell, ensuite les promesses de secours et de restauration.