MARIE STUART ET LE COMTE DE BOTHWELL

 

VII. — LE JUGEMENT DE BOTHWELL.

 

 

Marie Stuart apprit seulement le matin du 10 février (lundi) que le corps de son mari avait été retrouvé sans vie. Ainsi deux fois en moins d'un an l'assassinat avait frappé autour d'elle, avec les circonstances les plus horribles. Écrasée et anéantie, noyée de larmes, elle tomba dans une morne stupeur. Sa douleur fut silencieuse, comme après la mort de François II[1]. Personne alors n'en avait suspecté la sincérité : cette fois, on l'inscrit à sa charge. Coupable cependant de la mort de Darnley, elle aurait plutôt cru donner le change par des cris et des éclats. Qui ne comprendra, en se mettant un moment à la place de cette veuve infortunée de vingt-cinq ans, qu'elle soit restée comme atterrée sous des coups si tragiques ? Elle prit le deuil ; son lit fut tendu de noir ; sa chambre close hermétiquement n'était éclairée que par une lumière dans la ruelle du lit. C'est là que Bothwell vint prendre ses ordres et lui parla secrètement soubz la courtine ; pas si secrètement, puisque Paris, qui en dépose, ajoute qu'en même temps Mme de Briante donnait à déjeuner à la reine un œuf frais[2]. Mme de Briante était une personne très-estimée, ancienne gouvernante française de Marie. Marie Stuart, dit-on pour l'accuser, ne communiqua avec ses plus fidèles serviteurs que par l'entremise de Bothwell. Le meurtrier de Darnley fut seul admis auprès d'elle[3]. Elle ignorait qu'il fût l'un des auteurs du crime ; elle se souvenait de son courageux dévouement lors de l'assassinat de Riccio ; d'autre part, il était haut shériff du comté d'Édimbourg, donc principal officier royal dans la ville. C'était lui évidemment qui devait être délégué pour les premières recherches, et qui communiquait de droit avec la souveraine.

Ici, on le voir, se poursuit en termes rigoureux le réquisitoire qui n'épargne aucun des moments de la vie de Marie Stuart. Quelle fut l'attitude de Marie Stuart lorsqu'elle connut cette terrible nouvelle, qui remplit Édimbourg d'indignation et de défiance ? Elle en parut accablée et tomba dans un silencieux abattement. Elle ne fit rien paraître de cette activité, de cette colère, de cette résolution, de ce courage qu'elle avait montrés après le meurtre de Riccio[4]. — Elle fut indifférente et inactive[5]. C'est donc une présomption contre une femme qu'elle soit, à la nouvelle que son mari vient d'être assassiné, accablée et jetée dans un silencieux abattement ? De bonne foi, si elle avait eu la douleur éclatante, si elle avait percé l'air de ses cris, et s'était roulée en s'arrachant les cheveux, ne retournerait-on pas l'accusation, pour arguer contre elle d'une comédie de désespoir ? On oppose l'énergie qu'elle avait déployée lors du meurtre de Riccio. Mais combien la situation était différente ! C'était un premier coup, d'une horrible atrocité il est vrai, mais porté en face ; un péril précis, et non pas déguisé sous le stupéfiant mystère d'un crime anonyme, comme l'explosion de Kirk-of-Field. Elle savait à qui se prendre ; et la part même que Darnley y avait eue devant ses yeux, était de nature à donner à sa douleur le caractère de l'indignation. D'ailleurs on exagère beaucoup la virilité d'allure qu'aurait déployée en cette circonstance, celle qui, après tout et autant qu'il fut en elle, ne punit personne. On s'est habitué à la voir enivrée de colère et de vengeance, sous les fausses couleurs de la narration de Ruthven et de Morton, revue et corrigée, qu'on s'en souvienne, par lord Cecil. Qu'ensuite, l'attentat de février 1567, avec sa mise en scène si différente des meurtres ordinaires, tombant comme la foudre dont il avait le fracas, sur une jeune femme, malade depuis le voyage de Jedburgh, dévorée de chagrins cuisants, à qui son mari est arraché au moment où leur réconciliation semblait l'annonce de jours meilleurs, est-ce monstrueux qu'elle plie jusqu'à terre, et que le torrent de ses larmes s'échappe en silence ? La fille d'Henri VIII, peut-être — car qui répondra de ce qu'auraient fait dans une situation donnée ceux qui ne s'y sont pas trouvés — se serait relevée aussitôt, et brandissant la hache, aurait fauché les têtes. Tel n'était pas le caractère de Marie Stuart. Elle fut irréparablement brisée, quoiqu'elle ait parfois dans les mois suivants retrouvé des éclairs d'énergie.

Est-ce à dire pourtant qu'elle resta inactive à la mort de Darnley ? Nous ne disons pas indifférente ; car ce mot est hors de sens ; ou bien pourquoi ne pas rapporter tout de suite avec Buchanan, qu'après avoir appris la catastrophe, elle remit la tête sur l'oreiller et dormit la grasse matinée ? Non : elle se ranima pour ordonner sur-le-champ à son Conseil privé de se constituer en cour de justice. Qu'il fût presque tout composé de complices du meurtre, qu'il eût pour secrétaire et pour guide, Lethington l'un des principaux instigateurs[6], quel motif, quel prétexte d'incrimination cela fournit-il contre Marie Stuart ? Peut-elle être responsable de la scélératesse innée de l'aristocratie écossaise ? Elle ignorait cette complicité, comme celle de Bothwell. Devait-elle se passer de son Conseil ? Mais ne l'accuserait-on pas aussitôt d'avoir voulu se rendre plus libre de faire avorter les recherches ? Dès le mardi 11 février, lendemain de l'assassinat, le Conseil siégea au Tolbooth, prison de la ville, sous la présidence du comte d'Argyle, chef héréditaire de la justice — Justice générale —, et avec l'assistance de sir John Bellenden, clerc de justice. Immédiatement, il entama les informations ; et les traces en subsistent dans les archives, à la date du 11 lévrier, où on lit la déposition de deux femmes domiciliées dans le voisinage de Kirk-of-Field[7]. Sans doute M. Mignet n'a pas connu ce fait si important ; assurément il l'aurait mentionné. Le même jour, la reine écrivit au comte de Lennox pour l'appeler près d'elle, comme son second dans la recherche des coupables. Nous exposerons plus bas la correspondance qu'échangèrent le beau-père et la bru ; qu'il nous suffise de poser ici ce jalon de l'initiative de Marie. M. Mignet n'en a pas parlé davantage ; il fait commencer leur correspondance par Lennox, et le 20 février seulement[8]. Le même jour encore, c'est-à-dire 11 février, Marie Stuart écrivit, ou plutôt fit écrire deux lettres en France. à Catherine de Médicis et à l'archevêque de Glasgow.

Par la première, le Conseil privé selon sa coutume de correspondre avec la reine mère dans les circonstances graves, lui annonçait la terrible nouvelle. Lethington rapportait d'abord que le roi venait de périr d'une manière si étrange, que l'on n'avait jamais rien vu de pareil. Il décrivait les effets prodigieux de la poudre, la maison dispersée en poussière ; non-seulement le toit et les étages détruits, mais les murailles, les fondations mêmes, de sorte qu'il ne restait pas pierre sur pierre. Le Conseil concluait que les auteurs du crime se proposaient certainement de faire périr aussi la reine et les nombreux seigneurs qui l'avaient accompagnée chez le roi jusqu'à près de minuit ; et que c'était un heureux hasard que Sa Majesté n'eût point passé cette nuit-là dans la maison. Mais Dieu l'avait préservée pour tirer vengeance de cette action barbare ; et assurément il ne permettrait peint que de tels scélérats échappassent aux recherches que le Conseil avait déjà commencées[9].

Lethington qui appelait si vertueusement les châtiments célestes sur les assassins, comptait bien les détourner de sa propre tête et de leur tête, Bothwell excepté. Il y parvint pour quelques années. Les grands coupables envoyèrent les petits à la potence ; mais eux-mêmes, à la fin, payèrent leur dette. Leurs fureurs et la hache du bourreau s'abattirent sur ceux que le temps avait épargnés d'abord.

Le 10 février même, Marie Stuart reçut une lettre de Beaton, archevêque de Glasgow, son ambassadeur en France. Elle était datée de Paris 27 janvier 1567. L'archevêque venait d'être averti par l'ambassadeur d'Espagne qu'un attentat se tramait contre elle. Il n'en avait pas pu tirer plus de lumières. Catherine de Médicis à laquelle il avait porté ses inquiétudes, ou ne savait rien, ou n'avait pas voulu parler ; elle l'avait félicité du bon état des affaires d'Écosse et du pardon de Morton, Ruthven et Lindsay. L'archevêque terminait par des recommandations de vigilance[10]. Marie lui répondit le 11 février : elle le remerciait de son zèle et déplorait que l'avis fût arrivé trop tard. Le reste de sa lettre répète celle du Conseil à Catherine : que Dieu l'a préservée pour tirer une vengeance rigoureuse de ce forfait, si horrible et si étrange qu'elle ne croit pas qu'on ait jamais vu le pareil dans aucun autre pays ; de la maison, il n'est pas resté pierre sur pierre, et tout est en poussière ; la poudre a été employée ; l'on ne connaît pas encore les auteurs de ce crime ; avec la diligence du Conseil, Dieu ne permettra pas qu'ils restent cachés ; elle les punira de manière qu'ils servent d'exemple aux âges à venir ; cette entreprise était dirigée contre elle-même aussi bien que contre le roi, car elle avait couché une partie de la semaine dans la maison, et la plupart des nobles l'avaient accompagnée ce soir-là jusqu'au milieu de la nuit ; c'était un grand hasard qu'elle n'y eût pas passé la nuit entière, à cause du bal qui la rappelait à l'Abbaye, non pas hasard, reprend-elle ; mais inspiration de Dieu[11].

Nous ne comprenons pas pourquoi M. Mignet place cette réponse au surlendemain de la mort du roi[12], puisque la mort eut lieu le 10, vers trois heures du matin, et que la lettre de Marie est du 11 février. N'est-ce pas s'exposer à provoquer injustement contre la veuve le soupçon de froideur ? Pourquoi aussi affirmer qu'en écrivant, Marie cherchait à se concilier la favorable opinion de la cour de France ? Quoi donc ! pour le seul fait de répondre à son fidèle ambassadeur, elle sera taxée de manœuvre suspecte ? Et si elle n'avait pas répondu, ne serait-elle pas suspecte encore ? L'illustre écrivain a donné de cette pièce une analyse ironique et sévère. Il a mis en relief certaines formes un peu roides et appelées, où le cœur ne vibre pas. Mais l'identité manifeste de la teneur des deux lettres du Conseil et de la reine, donne lieu de penser avec miss Strickland, que l'une et l'autre étaient de la plume de Lethington, et que la pauvre souveraine, incapable encore d'écrire, y apposa seulement sa signature[13].

Tels sont les faits qui marquent le jour et le lendemain du meurtre de Darnley, 10 et 11 février : ordre au Conseil privé de s'établir au Tolbooth et de commencer les recherches ; audition des premiers témoins ; première lettre de Marie au comte de Lennox ; deux lettres à la cour de France. Quand M. Mignet inculpe l'inaction prétendue de Marie Stuart, il ne coupait probablement pas les premiers faits de l'instruction judiciaire ; ensuite il ne tient pas compte de la lettre à Lennox ; il recule d'un jour (du 11 au 12) celle à l'archevêque de Glasgow. Le vide s'opère ainsi dans ces deux journées du 10 et du 11, et l'altitude de la reine devient au moins singulière. Mais remettons les événements dans leur ordre véritable, alors on voit clairement que la veuve fit de son mieux dans sa situation.

Dès le 11, si l'on devait en croire Paris[14], tout le monde à la cour aurait lu sur le front des coupables. Mardy au matin, elle — la reine — se lève, et ledict Paris estant entré en sa chambre, la royne lui demanda : Paris, qu'as tu ?Hélas ! ce dit-il, Madame, je vois que chascun me regarde de costé !Ne te chaille, ce dit-elle, — tant que — je te feray bon visage, personne ne t'oseroyt dire mot. Un document beaucoup plus respectable et plus sûr dépeint très-différemment ce qui se passait à Holyrood. C'est le récit[15] que fit à son passage par Berwick, le 12 février, un gentilhomme français nommé Clernault, qui avait quitté Édimbourg la veille, avec mission de porter en France les deux lettres du Conseil et de la reine. Après avoir parlé de l'explosion et de la découverte des restes de Darnley, le narrateur ajoute : la chose estant rapportée ainsi à ceste pauvre princesse, chacun peuit penser en quelle peine et agonie où elle s'est trouvee[16], mesme que telle malaventure est advenue au temps que Sa Majesté et le roy estoient au meilleur mes-neige que l'on pouvoit désirer, de sorte que le dict sieur de Clernault, la laissee affligee autant que le peult astre, une des plus mal fortunees roynes de ce monde, on s'est bien apperçeu que telle malheureuze entreprise procédoit d'une mine soubz terre ; toutesfois elle na point encores este trouvee, encores moins scait-on qui en est lautheure. Voilà où l'on en était réellement le lendemain de l'assassinat.

Comme les opérations judiciaires du Tolbooth n'aboutissaient pas à de promptes découvertes, et pour cause, puisque ceux qui les dirigeaient avaient l'intérêt le plus pressant à étouffer la vérité, une proclamation fût lancée le 12 février par le Conseil au nom de la reine, portant promesse d'une somme de deux mille livres et d'une pension viagère à quiconque ferait connaître et livrerait à la justice les auteurs de ce forfait ; plus, un plein pardon, si le dénonciateur était parmi les coupables[17]. À ce propos, on lit dans M. Mignet : Après avoir cherché à se concilier la favorable opinion de la cour de France, elle se décida enfin, le mercredi 12 février, à promettre par une proclamation[18]... Pourquoi enfin ? quel est donc ce temps perdu, quand le Conseil est déjà à entendre des témoins, le lendemain du crime, et à publier cette proclamation le surlendemain ? S'il n'agit qu'en apparence, est-ce la faute de la reine ?

Ainsi qu'après la mort de Riccio, elle abandonna le palais ouvert d'Holyrood, et avec son enfant se transporta au château d'Édimbourg. Elle voulait porter le deuil de son second mari d'après le même cérémonial que pour le premier, le cérémonial des reines de France ; c'est-à-dire s'emprisonner six semaines dans une chambre entièrement tendue de noir, fermée à la lumière du soleil et seulement éclairée de quelques bougies[19]. Le même soir, 15 février, eurent lieu les funérailles de Darnley. On l'avait embaumé trois jours auparavant, précaution qu'on n'attendrait pas d'une femme qui aurait assassiné son mari. Darnley fut enterré presque mystérieusement dans la chapelle d'Holyrood, tels sont les mots rapides décochés contre la veuve[20]. Buchanan a écrit que, brusquement, sans aucune pompe funèbre, elle le fit enlever de nuit par des portefaix dans une méchante bière, et inhumer côte à côte de Riccio[21]. Il est vrai qu'on disposa le corps sans bruit dans le caveau sépulcral de la chapelle d'Holyrood, à côté de Jacques V, et non pas de David Riccio, qui rie reposa jamais parmi les sépultures royales, mais simplement dans le cimetière de l'abbaye d'Holyrood. Le lord de Traquair, parent de Darnley, sir John Bellenden clerc de justice, James Stuart d'Ochiltree, capitaine des gardes ; et d'autres gentilshommes y assistèrent. La plupart des lords du Conseil privé étaient protestants et avaient l'habitude d'enterrer leurs propres parents sans aucune solennité. Enfin, on aurait pu craindre en étalant les cérémonies catholiques, de provoquer chez les réformés quelqu'une de ces bourrasques de fanatisme, qui avaient fondu plus d'une fois sur la chapelle d'Holyrood. Ainsi, la simplicité des obsèques ne fut ni inconvenante, ni insultante pour le jeune roi[22].

En même temps la maison de Darnley fut dissoute ; la reine offrit à ceux des domestiques de son mari qui le voudraient, de les prendre à son service. Sandy — Alexandre — Durham accepta cette offre. Buchanan prétend qu'il avait été du complot ; qu'il avait, sous prétexte de maladie, évité de coucher à Kirk-of-Field la nuit du 9 au 10 février, et que Marie Stuart payait la dette criminelle qu'elle avait contractée envers lui. En réalité, elle ne savait qu'une chose, c'est qu'il avait été chambellan de son mari. Personne encore n'avait élevé la voix contre Durham. Mais ce qui est singulier, c'est qu'après qu'il eut été accusé d'avoir trempé dans l'assassinat, Murray le nomma maitre de sa maison, place beaucoup plus lucrative que la première, et que le régent Mar, oncle de Murray, le continua dans cette fonction[23]. Pourquoi donc accuser Marie Stuart et ne pas accuser Murray ?

D'autres serviteurs d'origine anglaise préférèrent rentrer dans leur patrie. Parmi eux était un courageux page, Anthony Standen, qui lors du meurtre de Riccio, avait paré le coup de poignard que Patrick Bellenden dirigeait contre la souveraine. Marie les recommanda par lettres aux autorités anglaises de Berwick, avec prière de leur accorder libre passage. Elle écrivit pour le même objet à sir Robert Melvil, son ambassadeur près d'Élisabeth. Là : encore, est-ce la conduite d'une coupable ? Drury arrêta et retint quatre mois à Berwick Anthony Standen et les autres, tâchant, mais en vain, de les faire parler contre la reine[24].

Le départ de quelques-uns des domestiques italiens, Joseph Riccio et Joseph Lutini, a fourni aussi matière à des interprétations fâcheuses pour Marie, quoique bien à tort. Joseph Riccio était venu en Écosse peu de temps après la mort de David, son frère, à la suite de l'envoyé français Castelnau. Marie, ne sachant à qui se fier pour sa correspondance étrangère, l'avait chargé de la même fonction de secrétaire que le malheureux David[25]. Mais c'était un personnage sans cervelle, ni probité, et fort indigne de la confiance de sa maîtresse. Au commencement de 1567, Lutini, désireux de retourner dans sa patrie, obtint de la reine son congé et une lettre de recommandation datée du 6 janvier pour les autorités de France et d'Angleterre[26]. A peine était-il parti ; que Joseph Riccio emprunta cent couronnes à un usurier, en lui assignant comme sûreté des effets et des chevaux, appartenant, disait-il à Lutini, et laissés par lui en Écosse pour cet objet. Mais on ne tarda pas à découvrir que le garant supposé n'avait laissé derrière lui qu'une note non acquittée de son tailleur. Le prêteur irrité appela et confondit Riccio devant la reine. Alors un soupçon se fit jour tout d'un coup dans l'esprit de cette princesse, à qui l'on avait dérobé récemment de riches bracelets. Elle demanda brusquement au secrétaire : Où sont mes bracelets ? Ne trouvant rien de mieux que de charger l'absent, il répondit : dans la bourse de Lutini, je pense, avec l'argent qu'il m'a emporté. Aussitôt la reine fit écrire par Lethington à Drury, le prévôt de Berwick, pour le prier de faire arrêter l'Italien partout où il serait et de le renvoyer immédiatement à Édimbourg[27]. La chose était facile ; Lutini était resté malade à Berwick. Riccio consterné d'une enquête qui allait le couvrir de honte et le perdre, écrivit, le 19 janvier, une lettre suppliante à son compatriote, le conjurant pour l'amour de Dieu et au nom de leur ancienne amitié, de ne pas le démentir, d'avouer qu'il se proposait d'aller chercher de l'argent sur le continent, qu'il avait en effet emporté celui de Riccio pour son voyage, mais avec intention de le rendre au retour : de cette façon, disait-il, vous serez excusé, et moi aussi. Drury savait trop bien son métier d'espion pour ne pas intercepter cette missive ; et comme, outre les détails que nous venons d'en tirer, elle portait qu'on avait articulé aussi contre Lutini l'accusation d'avoir fouillé dans les papiers de la reine, le prévôt affriandé s'empara de l'Italien et le garda prisonnier, espérant lui arracher quelques indiscrétions au désavantage de la reine d'Écosse. Il n'en fut rien toutefois, comme il l'avoue lui-même à Cecil. Pendant le voyage de Marie à Glasgow, l'affaire resta en suspens. Mais ensuite, sur de nouvelles instances de Lethington, quelques jours avant la mort de Darnley, Drury résolut d'obtempérer, à la grande terreur de Lutini, qui, n'ayant pas reçu la lettre de Joseph Riccio, ne savait qu'imaginer et voyait déjà les poignards aiguisés contre lui. Il faut convenir que l'explosion de Kirk-of-Field, survenue en ce moment, n'était pas de nature à dissiper ses terreurs. Un officier anglais le reconduisit à Édimbourg, après que Drury eut obtenu la promesse qu'il ne serait rien fait contre la personne ni contre la liberté de Lu-Uni, sa dette acquittée. La reine, incapable de s'occuper d'affaires, ne vit pas son ancien serviteur. Elle délégua Bothwell pour l'interroger. Il se justifia, paya son tailleur. Afin de le dédommager de ses angoisses, Marie lui fit remettre trente couronnes et lui proposa de rentrer dans la maison royale. Il déclina l'offre prudemment et quitta le pays sans délai, par Berwick et Londres. Quant à Riccio, un bref congé fut le prix mérité de sa friponnerie ; il ne fut pas moins que l'autre empressé de quitter l'Écosse[28].

Voilà comment ces deux hommes s'éloignèrent précipitamment du royaume après la mort de Darnley, sans que leur départ se lie à cette catastrophe, autrement que par l'épouvante très-concevable dont elle les frappa. Tytler a cru apercevoir ici de noirs mystères. Il a supposé que Joseph Riccio était du complot contre Darnley, qu'il en avait parlé à Lutini, et que la reine ayant soupçonné cette indiscrétion, avait voulu, afin d'en prévenir les suites, s'assurer de la personne de Lutin !, et alors en avait demandé l'extradition à Drury. L'historien avoue toutefois que ce n'est qu'une simple hypothèse de sa part, et qu'il y a peut-être une autre explication[29]. Mais comment n'a-t-il pas vu que le dénouement de cette affaire, racontée dans les quatre lettres qu'il reproduit ou analyse de Drury à Cecil, ruine sa conjecture, puisque Marie Stuart renvoie Lutini avec indemnité, sans l'avoir interrogé en personne, et qu'elle le laisse reprendre tranquillement le chemin de l'Angleterre. Bothwell non plus n'y met aucun obstacle, lui qui aurait eu le plus grand intérêt à empêcher Lutini de se livrer entre les mains des Anglais.

Ces détails ne sont pas oiseux. Ils tiennent au fond même du sujet. Car ils font voir de quelle façon et avec quelle opiniâtreté les choses ont été détournées de leur vrai sens, jusque dans leurs moindres circonstances, pour être travesties en témoignages accusateurs.

D'autres officiers de la maison de la reine sortirent également du pays, le plus grand nombre par l'Angleterre, où Marie savait pourtant que Drury et Cecil étaient à l'affût de tout ce qui pouvait lui nuire. Parmi eux, Bastien était muni de lettres de recommandation de la reine pour Elisabeth[30]. Si elle avait eu sujet de craindre les propos des émigrants, qui l'empêchait de les renvoyer directement par mer, au lieu, qu'on nous passe la trivialité de l'expression, de les mettre ainsi à la gueule du loup ? Il faudrait cependant juger ces affaires d'Écosse d'après les données ordinaires de la vie. Qu'y a-t-il d'extraordinaire que le roi étant mort, la reine fort pauvre d'ailleurs, licencie une partie de sa maison ? D'un autre côté, quand ces étrangers presque tous catholiques, haïs du peuple et des grands, virent après le meurtre de Riccio resté impuni, l'audace des assassins immoler le roi lui-même, ne durent-ils pas craindre aussi pour leur propre vie ? Et faut-il chercher absolument des raisons si profondes et si criminelles de leur empressement à se mettre en sûreté ?

Cependant les informations auxquelles le Conseil privé était censé se livrer, ne jetaient aucune lueur sur l'horrible drame. La proclamation du 12 février d'abord n'eut pas d'écho. Le 16 seulement, une affiche fut placardée à la porte du Tolbooth. L'auteur, disant avoir été guidé dans ses investigations par ceux-mêmes qui avaient commis le crime, dénonçait le comte de Bothwell, sir James Balfour, David Chambers[31], comme exécuteurs, et Black John Spence, comme conseiller principal du meurtre ; la reine étant consentante, à la persuasion du comte de Bothwell et par les sortilèges de lady Buccleuch[32]. — Marie Stuart pouvait à bon droit trouver ridicule qu'on la soumit aux maléfices d'une des dames de sa cour. Sans doute elle se souvenait, que lors de son second mariage, on avait imprimé que lady Lennox l'avait ensorcelée — du fond de la tour de Londres —. Néanmoins, dès le même jour, une proclamation royale invita l'auteur du placard à se faire connaître, avec garantie de la somme promise, pourvu qu'il établit son dire devant la reine et le Conseil. Trois jours après, le 19 février, le dénonciateur anonyme répliqua qu'il désirait que l'argent fût consigné entre les mains d'un homme impartial, qu'il se présenterait le dimanche suivant, qu'on devait arrêter le seigneur Francis, Bastien et Joseph[33], et qu'alors il déclarerait ce que chacun avait fait avec ses complices. Buchanan remarque gravement qu'il ne fut pas fait de réponse à cet écrit. Mais que pouvait répondre de plus Marie Stuart ? Par quel nouvel argument persuader cet homme, que les promesses les plus formelles n'avaient pas tiré de l'ombre où il se cachait ? Comment d'ailleurs prendre au sérieux ce fait d'ensorcellement et l'accusation contre Bastien Pages, Pages dont les noces avaient au vu et au su de tout le monde, rempli la journée et la nuit du fatal dimanche ? Ni lui, ni le seigneur Francis, ni Joseph Riccio, non plus que David Chambers, ne sont compromis, que dis-je ? nommés dans les dépositions des complices secondaires qui constituent le dossier du procès. On ne disait vrai qu'à l'endroit de Bothwell et de sir James Balfour. Mais la reine devait-elle croire que les affiches méritassent pins de crédit pour eux que pour elle-même et ses domestiques ? Voilà ce que M. Mignet appelle la voix publique qui éclate. Ce n'est pas ainsi que parle la voix publique ; c'est avec plus d'âme et d'indignation, et plus à découvert. Ces affiches seraient plutôt l'œuvre des conjurés principaux. Débarrassés de Darnley, ils avaient à faire un nouveau pas : c'était de concentrer sur Bothwell la responsabilité qu'ils avaient encourue tous, et de l'étendre jusque sur la reine, afin de la déshonorer devant l'opinion. Ils savaient combien les procédés vagues et mystérieux prennent d'empire sur l'imagination des masses, et ce qu'il y a de puissance dans les cris accusateurs qui troublent le silence des nuits. Pendant les ténèbres, des voix firent retentir les mêmes noms à travers les rues. Un troisième placard fut ainsi rédigé : Attendu qu'il a été publié le 12 du présent mois, que celui qui dénoncerait les assassins du roi, recevrait une somme de deux mille livres et une pension, moi, avec lord Bothwell, M. James Balfour, M. David Chambers, et Black John Spence, nous filmes les acteurs du meurtre. Demandez plutôt à M. Gilbert Balfour[34]. Est-ce sur des pièces de ce genre, que Marie Stuart pouvait ordonner l'arrestation d'un des premiers officiers de la couronne ? Y a-t-il de quoi se récrier que la reine ne prescrivit aucune recherche contre les complices subalternes et qu'elle garda le principal coupable à ses côtés[35] ? On oublie trop qu'elle avait investi le Conseil privé du soin des recherches, et que c'est à lui que la stérilité de celles-ci est imputable. Après tout, un souverain quel qu'il soit, surtout quand le souverain est une pauvre jeune veuve, foudroyée coup sur coup par les attentats les plus sauvages, ne peut pas faire les recherches à lui seul et ne saurait se passer d'intermédiaires. Ici les intermédiaires, les membres du Conseil, avaient trempé dans la conspiration. Leur intérêt était de ne rien découvrir et de tromper la reine. Malheureusement Marie Stuart manquait de sagacité ! Son regard s'arrêtait à la surface des choses. Celle qui n'avait rien su du vaste complot ourdi en Ecosse et en Angleterre contre Riccio, complot dont apparemment elle ne fit point partie, put fort bien ignorer que les nobles de son Conseil privé fussent des traîtres, et se reposer sur eux de bonne foi du soin de trouver les assassins.

Mais l'accusation continue. Loin d'agir, elle quitte la ville d'Édimbourg et part pour le château de lord Selon. Bothwell l'y suit et s'y établit avec elle sous la garde du capitaine Cullen, l'une de ses créatures dévouées, et dans la compagnie de Huntly, d'Argyle, de Lethington et de l'archevêque de Saint-André, ses fauteurs dans l'assassinat de Darnley. Et passa-t-elle son temps dans le deuil et l'affliction ? Non....[36] De l'ouvrage moderne, remontons à l'écrit ancien qui l'a inspiré, le journal de Murray. 12 février. Le corps du roi fut descendu et enseveli dans la chapelle, et elle — la reine — demeura avec Bothwell jusqu'au 21 du même mois. En ce même temps plusieurs placards furent affichés. Henri Killigrew vint de la part de Sa Majesté la reine — d'Angleterre.

21. Ils — la reine et Bothwell — allèrent ensemble à Seton et y passèrent leur temps gaiement jusqu'au 10 mars, ou du Croc, l'ambassadeur français, lui persuada — à la reine — de retourner à Édimbourg.

20 mars. Ils retournèrent à Édimbourg par le conseil de du Croc, et ils y restèrent jusqu'au 24 du même mois, travaillant de leur mieux à faire disparaître les placards ; mais de l'assassinat du roi, pas un mot. Pendant ce temps, mylord Régent[37] sollicitait la permission de partir.

24. Ils retournèrent de nouveau à Seton et y passèrent leur temps gaiement, fort bien consolés, jusqu'au 10 avril 1567.

Rétablissons la vérité : la douleur et la réclusion affectèrent tellement la santé toujours chancelante de Marie Stuart, que l'on craignit qu'elle retombât dans une de ses maladies dangereuses et prolongées, qui affligèrent presque toutes les années de sa vie. Le Conseil et ses médecins déclarèrent qu'elle devait changer d'air sans délai[38]. Elle se transporta le 16 février à Seton, à huit milles d'Édimbourg, chez l'un de ses lords les plus dévoués. Drury, outre qu'il donne à Cecil la date exacte de ce voyage tandis que celle du journal (le 21) est fautive comme d'habitude, dément par avance la calomnie d'elle et lui qui fait la trame de ce libelle méprisable. Car au lieu de représenter un tête-à-tête, il assigne pour compagnie à la reine, Argyle, Huntly, Bothwell — haut-shériff du comté, ce qu'il ne faut jamais oublier —, Arbroath, l'archevêque de Saint-André, les lords Fleming et Livingstone, le secrétaire d'État, en tout une centaine d'hommes[39]. M. Mignet ne pousse-t-il pas bien loin la facilité envers Buchanan, lorsque par ces mots du fragment cité plus haut, Bothwell l'y suit et s'y établit avec elle, il donne évidemment dans le système du tête-à-tête ? — Elle court, dit la Detectio, à Seton avec une très-petite compagnie, mais non pas des plus maussades. — On y emploiera les heures gaiement : Pourquoi, dit à son tour l'Actio, se retirer à Seton ? Pourquoi éviter l'affluence de la ville et l'œil du public ? Était-ce la honte de pleurer publiquement ? ou le désir de cacher sa joie ? ou bien voulait-elle se livrer tout entière à sa douleur dans l'isolement ? Non. Car à Seton elle jeta son masque de deuil ; chaque jour elle courait les champs avec ses bandits. Non-seulement elle revint à ses pratiques premières ; bien plus, elle affectait de rechercher les jeux des hommes, parmi les hommes, ouvertement : tant elle prenait plaisir à mépriser l'opinion et les discours de son pays. Cela va devenir plus précis. On m'a rapporté tout à l'heure, écrit Drury à Cecil (28 février 1567), que la reine alla mercredi soir chez lord Wharton, à sept milles d'ici, et qu'elle diva en route à un endroit appelé Tranent, propriété de lord Seton. Là Seton et Huntly parèrent par le dîner une partie que la reine et Bothwell leur avaient gagnée au tir. Le prévôt de Berwick n'affirme pas. Tytler, et après lui M. Mignet, auraient donc pu suspendre leur jugement et leur blâme[40]. Cela eût été d'autant plus sage qu'on a découvert une lettre subséquente de Drury, dans laquelle il déclare qu'il a été mal informé des faits et gestes de la reine d'Écosse et qu'elle n'a jamais bougé de Seton. Mais pourquoi Tytler, qui s'abreuve avec tant d'abandon aux sources de Drury, ne puise-t-il pas dans la même lettre du 28 février cette autre historiette : Le prévôt de Berwick est informé de divers côtés que lady Bothwell est extrêmement malade, et que sans doute elle n'en reviendra pas, car elle est merveilleusement enflée. — Autrement dit, elle est empoisonnée. — Juges rigoureux de Marie Stuart, ne lui imprimez pas la flétrissure d'un crime de plus ! Réfléchissez que lady Bothwell enterra encore deux maris, pendant les cinquante années qu'elle survécut au premier[41]. Nous avons déjà eu lieu de faire observer au sujet des correspondances anglaises que la critique historique ne saurait perdre ses droits, et que les faits ne doivent pas être considérés comme supérieurs à tout examen, parée qu'ils sont dans un papier signé de Drury ou du principal ministre d'Élisabeth. Le sage Keith est même d'avis que c'est une raison de douter. Mais il y a une autre leçon à tirer de ceci : c'est qu'il s'organisait à Édimbourg un cénacle de calomniateurs. Ils expédièrent d'abord leurs inventions à leurs amis d'Angleterre qui les payaient ; ils les reprirent ensuite pour leu r propre compte et les insérèrent dans leurs pamphlets.

A plus forte raison calomniaient-ils à Édimbourg. Les placards se succédaient. Tantôt le serrurier qui avaient fabriqué les fausses clefs annonçait qu'il se ferait connaître, pourvu qu'il fût assuré de la récompense promise dans la proclamation. Ce serrurier était un malavisé : parler ainsi, c'était assez pour provoquer la vengeance des assassins, pas assez pour obtenir la protection de la loi. U est plus vraisemblable que l'on parlait sous son nom. Tantôt on réunissait les initiales de Marie et celles de Bothwell, avec une épée et un maillet, instrument supposé du meurtre, Ou bien on écrivait : Adieu, gentil Henri ! Mais vengeance sur Marie ! Les ministres protestants suppliaient Dieu de révéler et de punir le crime ; ils exhortaient les fidèles à la prière et à la pénitence[42]. Telle avait été leur tactique lorsqu'il s'était agi de préparer le peuple à l'assassinat de Riccio, qui devait être suivi de la déposition de la reine. Les masses commençaient à s'émouvoir, associant peu à peu Marie à Bothwell dans leurs soupçons. Bothwell, comptant sur ses complices de la noblesse, paya d'audace. Un jour, à ce qu'on dit, il vint de Seton à Édimbourg avec cinquante chevaux et menaça de se laver les mains dans le sang des auteurs des affiches.

Telle était la situation troublée, confuse, hérissée de dangers dans laquelle on s'agitait sans faire un pas en avant. Que pouvait Marie Stuart ? Son frère le comte de Murray l'avait quittée la veille du crime et, malgré les messages réitérés de sa sœur dans l'angoisse, il temporisait chez lui pour laisser les événements mûrir. Son absence livrait le pouvoir à Bothwell, chef de la force militaire ; à Huntly, chancelier ; au comte d'Argyle, chef de la justice ; enfin à -Maitland de Lethington, l'artificieux secrétaire d'État, du cerveau duquel étaient sorties toutes ces combinaisons également subtiles et atroces.

Ces personnages puissants se jouaient d'elle, sans qu'elle pût deviner, encore moins rompre, les trames dont ils l'enveloppaient lentement. Du dehors, il ne lui vint ni lumière, ni appui. Élisabeth et Cecil depuis six ans ne travaillaient qu'à la perdre ; Catherine de Médicis se réjouissait intérieurement de ses malheurs.

Un autre ennemi, vieil ennemi, se montra : c'était le comte de Lennox. La correspondance qui s'engagea entre la bru et le beau-père, n'a pas été appréciée avec plus de justice que le reste. D'après M. Mignet[43], le père infortuné du roi mort, voyant que Marie Stuart restait inactive, la pressa dans les termes les plus pathétiques d'ordonner des recherches : Je suis contraint, lui écrivit-il le 20 février, par la nature et le devoir, de supplier Votre Majesté, pour la cause de Dieu, pour votre honneur, pour celui de votre royaume, d'assembler toute la noblesse et les États d'Écosse, afin qu'il soit donné bon ordre à la poursuite d'un pareil crime. Je ne doute pas, avec la grâce de Dieu tout-puissant, que l'Esprit Saint ne descende dans le cœur de Votre Majesté et de tous vos fidèles sujets et ne révèle les sanglants et cruels auteurs de cette mort. Je n'ai pas besoin de rappeler à Votre Majesté que la chose la touche de près, et je la prie de me pardonner si je l'en importune, étant le père de celui contre qui tout a été fait. Voilà qui est entendu : le père de Darnley, justement blessé de l'oubli injurieux qui pèse déjà sur son fils, rappelle avec un accent sévère la veuve à son devoir, et lui donne les conseils que Je cœur aurait dû lui inspirer. Mais avant de flétrir Marie d'un nouveau blâme, ne conviendrait-il pas de s'enquérir de ce qui avait pu se passer de l'un à l'autre, entre le 10 et le 20 février ? Cette lettre du 20 était-elle la première qu'ils échangeaient, et le beau rôle était-il du côté de Lennox ?

Le journal de Murray, contre le gré assurément de son auteur, vient en aide à Marie Stuart. Il porte à la date du 11 février, — le lendemain même du crime, — la reine écrivit à milord de Lennox pour lui promettre de faire justice. On sait de plus par une lettre de Drury qu'elle le priait instamment de se rendre près d'elle, pour l'aider de ses conseils dans la recherche et le châtiment des coupables. Que fit ce père, qui le 20 février semble parler d'un ton si élevé à une femme sans âme ? Il répondit au messager qu'il avait besoin de réfléchir ; le lendemain matin, il le renvoya en disant : La lettre de Sa Majesté ne demande pas de réponse[44]. Il parait pourtant qu'il changea d'opinion, et que s'il ne risqua point sa personne dans l'arène périlleuse d'Édimbourg, il écrivit à sa belle-fille puisqu'elle lui répondit. Et nous savons par le préambule de la lettre de Lennox du 20 février qu'elle lui répondit avec bienveillance. Cette lettre du comte, datée de Houston, et regardée ordinairement comme la première, fut donc en réalité la quatrième de leur correspondance. En voici le commencement : Plaise à Votre Majesté, j'ai reçu par le porteur, mon domestique, votre lettre si gracieuse et consolante, pour laquelle j'offre à Votre Altesse mes très-humbles remercîments ; et j'ai la confiance que je ne mériterai jamais de Votre Majesté d'autres sentiments que ceux qu'elle m'exprime dans ladite lettre. Puisqu'il plaît à Votre Majesté d'accepter et de prendre en bonne part mon simple avis et conseil, cela m'enhardit d'autant plus à persister en particulier sur le point suivant : les coupables restant inconnus, à mon grand chagrin, malgré la peine et le travail que je vois que Votre Majesté se donne pour porter devant la justice cette action cruelle, je suis contraint par la nature et le devoir de m'enhardir jusqu'à donner à Votre Majesté mon pauvre et simple avis sur le moyen de porter la lumière dans cette affaire : c'est de supplier très-humblement Votre Majesté, pour la cause de Dieu, etc.[45] Le reste suit comme dans l'extrait de M. Mignet, rapporté plus haut. Il n'était pas indifférent, pensons-nous, de mettre cette première partie de la lettre du comte de Lennox sous les yeux du lecteur. S'il ne voit que la seconde partie, celle que M. Mignet lui présente, il restera persuadé que Marie avait gardé le silence vis-à-vis son beau-père depuis la catastrophe, qu'elle ne s'était pas occupée de poursuivre les assassins, et que Lennox, perdant patience, avait pris sur lui de la réveiller de son indigne assoupissement. Au contraire, le texte pris dans son intégrité démontre que Marie Stuart agissait, que dès la première heure elle s'était mise en communication avec le père de son mari, qu'elle avait sollicité ses conseils et son aide, qu'il la remercie de la peine qu'elle se donne, que l'insensibilité et la glace se rencontrèrent chez le père et non chez la veuve. Et l'on ne peut pas dire qu'il se tint à l'écart parce qu'il partageait les soupçons universels contre Marie Stuart, attendu que sa réponse qu'il avait besoin de réfléchir et son lâche refus de venir à Édimbourg sont des premiers moments qui suivirent l'assassinat, et qu'alors nulle incrimination n'avait encore été répandue contre la reine. Dès le 21 février, elle lui répondit de Seton[46]. Nous prions encore le lecteur de ne pas se rebuter, si nous reproduisons certains documents au complet. N'est-ce pas le meilleur moyen de contrôler les faits et la manière dont ils ont été jugés ? Très-fidèle cousin et conseiller, nous vous saluons bien. Nous avons reçu votre lettre d'Houston, du 20 courant, dans laquelle vous nous remerciez de ce que nous prenons votre bon vouloir et vos conseils en si bonne part. En cela, nous avons fait ce qui était juste ; et lorsque nous vous témoignons tout le plaisir et bon vouloir possibles, nous ne faisons que remplir notre devoir et suivre l'impulsion des sentiments naturels. Vous pouvez en être assuré pour le présent et l'avenir, aussi longtemps que Dieu nous prêtera vie, comme vous y pouviez compter dès les premiers liens que nous formâmes avec vous. Pour ce qui est de la convocation de l'assemblée de la noblesse et des États que vous nous conseillez, afin de parvenir à faire justice du cruel meurtre du roi notre époux, c'est un parti qui nous parait très-convenable ; et même avant la réception de votre lettre, nous avions fait les proclamations pour la réunion d'un parlement[47] ; nous ne doutons pas que le plus grand nombre de nos sujets n'y assistent. Avant toute chose, on s'y occupera de l'objet qui nous tient tant au cœur, et il n'y aura rien que nous ne fassions pour tirer au clair ce crime odieux. Nous pour notre part, comme c'est notre devoir, et notre noblesse entière, nous dirigerons, je n'en doute pas, toutes les forces de notre esprit vers ce but ; et avec la grâce de Dieu, l'événement définitif en rendra témoignage devant le monde.

Ainsi Marie Stuart avait devancé les désirs de Lennox et déjà pris les mesures nécessaires pour la convocation d'un parlement. M. Mignet-apprécie cette lettre en deux mots : Marie répondit dès le lendemain d'une manière affectueuse et évasive au comte de Lennox[48]. Est-ce être évasif que de dire à un homme qu'on a fait précisément ce qu'il désirait, avant même qu'il l'eût demandé ?

Marie ayant déjà fait ce qu'il souhaitait, Lennox n'en voulut plus : il demanda la chose contraire. En conséquence, il supplia Sa Majesté de prendre encore son humble avis en bonne part, c'est qu'il y aurait bien du temps jusqu'à la réunion du parlement, que ce n'était pas une de ces questions à débattre en parlement, mais une affaire de tant de poids et d'importance qu'on devait la poursuivre en toute hâte et promptitude — plus tard, il dira de nouveau le contraire —. Son opinion c'est qu'il faudrait convoquer la noblesse sans délai, s'assurer de la personne de ceux qui ont été dénoncés dans les placards, inviter les auteurs des placards à se présenter ; et suivant qu'ils se présenteraient ou non, continuer ou abandonner le procès (lettre d'Houston, 26 février 1567). Marie Stuart lui répondit de Seton, le 1er mars, qu'il se trompait sur ses intentions, et qu'elle ne se proposait nullement de retarder le jugement du crime jusqu'à la session du parlement — il était convoqué pour les fêtes de Pâques, tombant le 30 mars —. Mais, puisque cette convocation était faite, elle ne pouvait pas, continuait-elle, en appelant en outre les nobles immédiatement auprès d'elle, leur imposer les charges d'un double déplacement[49]. Quant à sa demande qu'on mit eu arrestation ceux qui étaient désignés dans les affiches, il y avait tant d'affiches et si peu concordantes pour les noms, qu'elle ne savait d'après laquelle se guider ; mais si parmi les personnages mentionnés, il y en avait que le comte soupçonnât particulièrement, elle le priait de les lui désigner, elle procéderait contre eux selon les lois du royaume. Elle terminait en l'invitant à continuer de lui communiquer ses pensées sur ce qu'il conviendrait de faire[50]. D'après tout cela, il est donc entièrement faux que, son mari mort, elle soit demeurée inactive, qu'elle se soit livrée à des amusements indécents, et qu'elle ait blessé les justes susceptibilités de son beau-père.

Mais lui, Lennox, que fit-il ? Pendant dix-sept jours entiers, il resta vans répondre, non pas sans agir. Il se jeta dans les intrigues souterraines et se lia aux assassins véritables de son fils. Quel était son mobile ? On le verra, en juillet suivant, travailler à faire passer sur la tête de son second fils le titre d'héritier présomptif de la couronne, en prenant le pas sur les Hamiltons. Probablement cette idée avait germé déjà dans son esprit. Elle le poussait de toute nécessité du côté des ennemis de sa bru, de même qu'essayée une première fois au profit de Darnley, elle l'avait rangé avec son fils parmi ceux qui voulaient, en assassinant Riccio, assaillir le trône et la vie de Marie. Les grands, de leur côté, à la fois multipliant les affiches anonymes, et déroutant les recherches, reconnurent bientôt que la popularité de Marie Stuart décroissait, et ils prirent leurs dispositions en conséquence.

Murray, Morton, Lindsay de Byres, Caithness et d'autres, se réunirent secrètement à Dunkeld, chez le comte d'Athol, parent de Lennox[51], et tous ces assassins de Darnley délibérèrent sur les moyens de le venger. Une lettre de l'évêque de Mondovi, nonce du pape en France, à Cosme Pr, grand-duc de Toscane, analyse (Paris, 16 mars 1567) la situation de l'Écosse, d'après les récits du comte de Moretta et du père Edmond revenant de ce royaume. Les comtes de Murray, d'Athol, de Morton et d'autres seigneurs, est-il dit, sont ligués avec le comte de Lennox, sous prétexte de venger la mort du roi. Les comtes de Bothwell, d'Huntly et beaucoup d'autres se tiennent aux côtés de la reine pour le même objet, et un parti est suspect à l'autre. Le comte de Murray, quoique appelé par la reine, n'a pas voulu venir auprès d'elle ; d'où l'on juge que, visant à se rendre mettre du royaume, il voudrait profiter de l'occasion pour tuer le comte de Bothwell, homme valeureux, de beaucoup de crédit et tout à fait dans la confiance de la reine[52] ; par là, entreprendre plus aisément contre la vie de cette princesse ; ensuite arracher à la lâcheté — dapocaggine — du comte de Lennox qu'il lui cédât le gouvernement de la personne du prince, et conséquemment du royaume[53]. — Ces données fort justes confirment les nouvelles que Drury adressait de son côté à Cecil sur l'état des choses à la fin de février[54] ; elles démontrent clairement que le complot de l'aristocratie se poursuivait. Au conciliabule de Wittingham, ils avaient décidé la mort de Darnley ; à celui de Dunkeld, ils décidèrent la chute de Marie Stuart.

Marie Stuart revint de Seton à Édimbourg le 7 mars 1567, avec toute sa-tour pour recevoir l'ambassadeur anglais Henri Killigrew — le journal de Murray le fait arriver entre le 12 et le 21 février, et de plus suppose que la reine passa gaiement son temps à Seton du 21 février au 10 mars, sans interruption —. Il était porteur d'une lettre de condoléance d'Élisabeth. Dans cette missive en français, datée du 24 février, la reine d'Angleterre, après quelques regrets apprêtés polir Darnley, que pour la première fois elle appelait son cousin, faisait part à sa cousine des soupçons répandus sur elle. Son langage était dur et hautain, entremêlé de protestations hypocrites d'affection et d'incrédulité : on prétendait, disait-elle, qu'elle avait regardé entre ses doigts — laissé faire —, et qu'elle n'aurait garde de toucher à ceux qui lui avaient fait le plaisir de cette revanche. Venait à la fin le conseil de ne pas épargner même son plus proche, si elle le trouvait coupable[55]. Voulait-elle parler du comte de Murray ? Nous voyons par Camden et Buchanan qu'aussitôt après le meurtre le bruit se répandit en Angleterre que les coupables étaient Murray, Morton et leurs confédérés[56]. Marie Stuart donna audience à Killigrew, dans sa chambre de deuil au château d'Édimbourg, le 8 mars. Le lieu était si obscur, que l'on ne pouvait pas distinguer les traits de la reine ; mais ses paroles manifestaient assez sa douleur. Outre ces détails, la dépêche que Killigrew expédia le soir même à Cecil, contient ce fait curieux qu'avant son audience il dîna chez le comte de Murray — revenu à son intention —, en compagnie d'Huntly, d'Argyle, de Bothwell et de Lethington[57]. Quoi donc ! depuis trois semaines les placards accusent Bothwell, et voilà le comte de Murray qui le fait asseoir à sa table ! Mais les signataires et les adhérents du bond de Craigmillar n'avaient-ils pas promis de se soutenir les uns les autres ! Murray dégageait ostensiblement leur parole.

Sur le crime qui remuait toute l'Écosse, Killigrew se contente de dire qu'il trouve beaucoup de soupçons, pas de preuves, pas d'apparences d'arrestations. Il semble qu'à cette époque l'inquiétude commençait de gagner Marie Stuart. Sa sollicitude se porta sur son fils. Le 19 mars, elle chargea Argyle et Huntly de le conduire à Stirling, la tutélaire forteresse qui avait abrité ses premières années[58]. Le lendemain, le comte de Mar reçut le jeune prince qui devait rester sous sa garde jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Lord Erskine, père du comte de Mar, avait été l'un des fidèles lords-gardiens de Marie pendant son enfance ; le comte lui-même lui avait servi de précepteur. Il était oncle du comte de Murray, et protestant déclaré. Marie portait une vive amitié à la comtesse de Mar. Pouvait-elle confier le précieux dépôt à des mains plus indépendantes de Bothwell ? Et pourtant, cela n'empêchera pas ses ennemis de jurer qu'elle voulait livrer son fils à la merci de Bothwell, ni M. Mignet[59] de reproduire cette accusation insoutenable.

Le comte de Mar, que sa nouvelle fonction obligeait à ne pas s'éloigner de Stirling, reçut la capitainerie héréditaire de cette ville, et résigna le commandement du château d'Édimbourg qu'il s'était attribué indûment vers la fin de la régence de Marie de Lorraine. Marie le lui reprit, dit-on, pour le donner à Bothwell[60]. — Non pas. — Le Journal de Birrel énonce que, sur l'ordre de la reine, les commissaires du comte de Mar remirent le château d'Édimbourg à Cockburn de Skirling, le 21 mars. Ce fait est appuyé par la décharge que la reine donna au cocote de Mar ; par le reçu, conservé dans les comptes de la garde-robe, que Cockburn remit aux commissaires du comte, l'une et l'autre pièce, à cette même date, tandis qu'il ne subsiste dans les archives du temps aucun indice d'une nomination de Bothwell. Le nouveau commandant resta en fonctions jusqu'au 1er juin 1567, où sir James Balfour lui succéda[61]. Que, le 15 février, Marie ait accordé à Bothwell le rachat de la supériorité de Leith, donnée par elle en hypothèque à la ville d'Édimbourg dans un besoin d'argent, est-ce là une de ces faveurs énormes, qu'expliquerait seule la passion désordonnée de la souveraine qui accorde ? Le doute même est permis sur l'exécution définitive de cette opération, puisque six ans après, en novembre1573, Morton dressant la liste menteuse des grâces que Marie Stuart aurait prodiguées à son favori, se contente d'écrire : Il devait avoir — he should have had — la supériorité de Leith[62].

Au moment où Marie Stuart se décidait au sacrifice, si pénible pour une mère, d'éloigner d'elle le berceau de son enfant, le comte de Lennox, après seize jours de silence, reprenait sa correspondance avec elle. Mais entre le 1er mars, date de la dernière lettre qu'il avait reçue de Marie, et le 17, date de sa tardive réponse, il avait renoué ses vieilles trames. Ignorât-il que sa main cherchait les mains qui avaient étranglé son fils, il n'en est pas moins vrai que l'esprit d'intrigue l'entraînait à la plus révoltante des erreurs. Ne pouvait-il pas soupçonner les nobles qui dix-huit mois auparavant, en 1565, avaient dressé une embuscade pour le tuer avec Darnley, et déjà détrôner Marie ? En même temps, lui, toujours persécuté jusque-là par Élisabeth, l'invoquait. Il demanda le 9 mars à Cecil l'intervention de la reine d'Angleterre pour l'aider à punir l'assassinat de son fils[63]. Ces mesures prises, il écrivit à Marie sa troisième lettre, c'est-à-dire la troisième de celles que nous avons (Houston, 17 mars 1567). Il débute par des remerciements sur une grâce que celle qu'il trahissait venait de lui accorder relativement à la garde du Lennox, et il en sollicite l'extension. Ensuite abordant l'autre sujet, sur l'invitation que la reine lui avait adressée de lui désigner parmi les personnages nommés dans les affiches ceux qu'il croyait devoir être mis en jugement, il reproduisait ses conseils précédents de les arrêter tous, d'assembler promptement la noblesse, devant laquelle les auteurs des 'affiches seraient sommés de se présenter. Quant aux noms, il était bien étonné que la reine ne les eût pas entendu prononcer ; et il lui énumérait ceux que contenaient les deux premiers placards[64]. — Ce n'était pas la peine de prendre seize jours pour combiner une réponse de ce genre. A quoi ce père employait-il le temps, de n'être pas plus avancé au bout d'un mois que les placards, et de n'avoir absolument aucune lumière sur les auteurs du crime ? Buchanan a joint à la Detectio le texte de cette lettre[65], mais avec altération ; par exemple il supprime le commencement, où Lennox figure dans l'attitude d'un solliciteur à demi satisfait, rôle peu en harmonie avec celui de vengeur de la morale. Marie Stuart répondit d'Édimbourg (23 mars 1567) qu'elle avait prévenu ses désirs quant à la convocation de la noblesse, que l'assemblée devait s'ouvrir dans une semaine, que les personnes désignées par lui s'y trouveraient, qu'elles seraient mises en jugement selon les lois du royaume, et punies avec la dernière rigueur en cas de culpabilité. Elle réitérait à son beau-père la prière de venir de sa personne à Édimbourg afin d'assister au jugement et d'y travailler de son mieux. — Il va sans dire qu'il ne remua pas d'Houston, et qu'il continua de jouer dans le lointain l'amour paternel.

Catholique, il ne vint pas non plus assister à la messe de Requiem que Marie fit célébrer le 23 mars pour le repos de l'âme de leur mari et fils. Cinq jours après, le vendredi saint, elle se rendit à la chapelle d'Holyrood accompagnée de deux dames seulement, et demeura plongée dans la prière, silencieuse et solitaire, depuis onze heures du soir jusqu'à trois heures du matin. C'est Drury, un ennemi, qui mande à Cecil ces détails touchants[66]. Remarquons le choix du jour de cette pieuse veillée. Sont-ce là les traits d'une Médée ? Drury fait une triste peinture de l'état de la reine. Depuis la mort de son mari, elle était toujours mélancolique ou malade ; elle tombait dans de fréquents évanouissements. Ses ressources d'argent étaient épuisées ; à force d'emprunter, elle ne trouvait plus de préteurs. Voilà sous quel fardeau elle succombait à Édimbourg. Quel mensonge infâme que celui du Journal de Murray, que du 24 mars au 10 avril elle vécut avec Bothwell à Seton, gaiement et fort bien consolée !

Cependant Lennox ayant désigné nominativement dans sa lettre du 17 mars le comte de Bothwell, il fallait prendre un parti. Les conjurés de Dunkeld ne laissaient pas de relâche à l'imagination populaire. Un homme, protégé par une escorte, criait la nuit dans les rues : Vengeance sur ceux qui m'ont fait répandre le sang innocent ! Seigneur, ouvrez les cieux et faites descendre la vengeance sur ceux qui ont tué l'innocent ![67] Des caricatures sanglantes désignaient la reine. L'auteur présumé de l'une d'elles qui représentait Marie sous la forme d'une sirène, un certain James Murray, employé dans la maison royale, fut sommé le 14 mars de comparaître devant le Conseil privé. Il se cacha ; et les comtes d'Argyle, de Murray, de Bothwell, etc.[68], qui fulminaient contre lui, ne le trouvèrent pas[69]. Au conseil du 24, Bothwell se leva et déclara que son nom ayant été mêlé publiquement à cette odieuse accusation, il demandait un jugement et s'offrait à rester prisonnier jusqu'au jour qui serait fixé[70]. Le 28, dans une autre séance, à laquelle assistaient la reine, Huntly, Argyle, Bothwell, Caithness, les évêques de Ross et de Galloway, Lethington, le trésorier et le clerc de justice sir John Bellenden, le procès fut appointé au 12 avril et le comte de Lennox invité à venir de sa personne pour soutenir l'accusation[71]. Ne nous lassons pas de relever en passant cette nouvelle preuve des mensonges du Journal de Murray sur le séjour continu de Marie à Seton du 24 mars au 10 avril, puisqu'elle préside le Conseil privé, le 28 mars, à Édimbourg.

Elle le préside ; mais cela prouve-t-il qu'elle le dirige et que ses mains affaiblies, sa volonté brisée, conduisent les événements ? M. Mignet dit qu'elle se décide à sortir de sa dangereuse et humiliante position, qu'elle veut se couvrir d'un simulacre de justice et mettre son favori sous l'abri d'un acquittement[72]. Il est évident que Bothwell, quand il appelle ainsi sur sa tête le glaive de la justice, est en collusion avec quelqu'un. Mais avec qui ? C'est ce qu'un document judiciaire nous apprendrait, si tant d'autres faits ne nous l'avaient pas montré surabondamment. Ormiston déclara dans sa confession, en 1573, qu'à Pâques de 1567, c'est-à-dire au moment où nous sommes parvenus — Pâques étant le 30 mars —, il témoigna ses inquiétudes à Bothwell sur le toile général qui s'élevait contre lui : Je vais vous faire voir ce que j'ai pour moi, lui répondit le comte ; et il lui montra le bond signé d'Huntly, d'Argyle, de Lethington et de sir James Balfour[73]. C'est là, dans l'appui de l'aristocratie, et non dans la faveur de Marie Stuart, qu'il puisait son assurance. Cessons de dire Marie Stuart voulait, Marie Stuart ordonnait, etc.... Tout cela est un abus des mots et des apparences de la monarchie. Tombée dans le plus triste état de prostration physique et morale, elle était à la discrétion de traîtres ligués pour la perdre ; ils se jouaient par des simulacres de son désir sincère de punir les assassins, c'est-à-dire eux-mêmes ; sous main, ils attisaient savamment contre elle les passions du peuple qu'ils trompaient aussi.

A l'approche des nouvelles crises, Murray se déroba selon sa coutume. Il quitta l'Écosse, malgré les larmes et les sollicitations de sa sœur. Parti d'Édimbourg le 9 avril, il passa en France en traversant l'Angleterre[74]. Cecil, après avoir reçu sa visite, donna l'ordre significatif à Bedford de se rendre à Berwick, afin d'être en mesure de soutenir les lords[75].

Les préparatifs du jugement se continuaient. Le comte de Lennox reçut signification officielle de la délibération du Conseil privé, avec invitation de se rendre à Édimbourg et d'y soutenir l'accusation. Plus d'une fois Marie l'avait appelé près d'elle ; il resta immobile comme auparavant et ne dit mot. Maintenant il avait changé d'idée. Après s'être récrié contre tout retard, et avoir demandé à grands cris que le jugement fût rapproché et accéléré le plus possible, que l'on n'attendit point l'ouverture du parlement, il trouva tout à coup qu'il fallait différer. Quoiqu'il fût incontestable que sa belle-fille avait fait tout ce qu'il désirait, il sollicita Élisabeth de s'interposer et de demander un ajournement. Il aurait pu en écrire autant à Marie Stuart ; mais cela eût été un acte loyal, trop incompatible avec sa nature frauduleuse. Il attendit jusqu'au 11 avril, c'est-à-dire la veille du jugement, pour réclamer par lettre un délai qui lui permit de rassembler ses amis et des preuves à l'appui de l'accusation. Il voulait aussi que la reine lui donnât plein pouvoir d'arrêter tous les coupables qu'il découvrirait : exigence exorbitante, contraire aux lois de l'Écosse et que les grands n'eussent pas tolérée. Son langage était plus raisonnable lorsqu'il représentait que laisser les personnes suspectes libres, puissantes à la cour et auprès de Sa Majesté, c'était les encourager et décourager ceux qui auraient à faire quelque révélation[76]. Mais nous avons déjà expliqué quels motifs Marie Stuart avait de croire à l'innocence de Bothwell, homme jusque-là d'une fidélité éprouvée ; que d'ailleurs, elle était circonvenue par les complices de Bothwell, et que, malgré les proclamations royales, nul n'avait apporté de révélation. Ne peut-on pas admettre sa bonne foi dans l'erreur, quand Lennox contracte, de bonne foi sans doute, amitié avec les associés de Dunkeld, ceux qui, deux années durant, avaient conspiré contre la vie de son fils ? Si le 11 avril, deux mois après le crime, il n'avait recueilli aucune preuve, s'il en était toujours pour toute base et toute science, aux placards qui accusaient Bothwell et Marie Stuart ensorcelés, qu'avait-il donc fait ? Comment supposer qu'il emploierait plus fructueusement le délai qu'il réclamait Y A la vérité, d'anciennes lois avaient prescrit un intervalle de quarante jours entre la citation et le jugement. Peu à peu, la royauté avait réduit ce terme à quinze jours. Seulement, durant la minorité de Jacques V, le Conseil privé avait maintenu les quarante jours pour les cas de trahison (1515). Mais ce n'était pas une loi de l'État ; et le Conseil de 1567, en adoptant la limite de quinze jours qui resta définitivement en usage, ne fit que sanctionner la règle dominante. Au reste, le délai de quarante jours avait été institué jadis, expressément dans l'intérêt du défendeur. Si donc une des parties avait eu sujet de se plaindre, c'eût été l'accusé et non l'accusateur[77]. D'ailleurs dérogeât-on à la coutume, n'était-ce pas encore pour complaire à l'impatience de Lennox ? Supposons Marie Stuart accordant le délai en question ; qui nous garantit qu'on ne l'accuserait pas de froideur et d'intention de gagner du temps et d'étouffer la vérité ? Enfin, quel que fût l'accueil qu'elle eût réservé à la requête de Lennox, il est clair qu'elle ne pouvait plus en tenir compte, puisque cette lettre, envoyée de Stirling le 11 avril, ne lui parvint que le 12 au plus tôt, le matin même du jugement, trop tard pour rien contremander. Lennox n'avait qu'à s'y prendre de meilleure heure. Que n'osait-il payer de sa personne ?

Il en fut de même de la lettre qu'Élisabeth écrivit à sa cousine, d'après la demande du comte. La reine d'Angleterre y affectait ce ton de supériorité haineuse et vertueuse, qui caractérise ses rapports avec Marie Stuart. Elle la menaçait des soupçons qui tourneraient contre elle ; elle serait l'opprobre du vulgaire : et plutôt que cela vous avienne, je vous souhaiterois une sépulture honorable, qu'une vie maculée ; vous voyez, madame, continuait-elle avec un sang-froid merveilleux, que je vous traite comme ma fille[78]. Cette épître, datée de Westminster, 8 avril, fut apportée à Holyrood le matin du 12 avril, par le grand prévôt de Berwick, un des officiers de Drury. La manière dont les grands reçurent le messager est trop particulière, pour que nous ne donnions pas le récit que Drury en transmit à Cecil, d'après le rapport du prévôt[79] : Le prévôt arriva au palais le 12 à six heures du matin, et sur le champ fit ses diligences pour remettre à la reine la lettre dont il était porteur. Il se tint dans la cour un bon moment, s'adressant de son mieux aux personnes du service de la reine. Elles lui dirent qu'il était trop matin, que sa majesté dormait, et lui conseillèrent d'attendre qu'elle fût levée. Il s'en alla donc en ville, revint bientôt ; et comme elle n'était pas encore levée, il se promena jusque sur les neuf ou dix heures, que tous les lords et gentilshommes s'assemblèrent pour monter à cheval. Il crut le moment favorable et entra dans la cour, ainsi qu'il avait fait peu auparavant. Mais soit que l'on conjecturât, ou qu'il se fût ébruité que l'objet de la lettre était d'empêcher le jugement d'avoir lieu, on lui refusa le passage d'une façon très-discourtoise et même avec quelque violence. Voyant qu'on lui interdisait l'accès de la cour, quoique on ne le refusât à personne, il pria quelques gentilshommes en crédit de se charger de remettre fidèlement une lettre de Sa Majesté la reine d'Angleterre à la reine, leur souveraine ; mais aucun ne voulut s'y prêter. Sur ces entrefaites, survint le curé d'Oldhamstock, nommé Heyborne[80], qui lui dit de la part du comte du Bothwell, que le comte, informé qu'il était porteur de lettres pour la reine, lui conseillait de se retirer et de prendre du repos, ou de faire ses affaires ; car la reine était si tourmentée et si inquiète de l'affaire de ce jour, qu'il ne voyait pas qu'il y eût moyen d'exécuter sa commission avant la tin du procès. Là-dessus, le lord de Skirling vint lui demander si ses lettres étaient du Conseil ou de Sa Majesté elle-même. Le prévôt répondit qu'elles étaient de Sa Majesté seule. Vous serez, dit Skirling, bientôt dépêché ; et, rentrant à l'intérieur, il pria le curé de lui tenir compagnie. Celui-ci, tout en s'acquittant de ce soin, remarqua que le prévôt avait un Ecossais pour guide ; il en prit occasion de s'emporter et de menacer le guide de la potence pour avoir amené un de ces misérables Anglais qui venaient empêcher le jugement, et d'autres reproches encore plus rudes. En ce moment, Lethington sortit, Bothwell avec lui ; tous les lords et gentilshommes montèrent à cheval. Lethington s'approcha et demanda la lettre que le prévôt lui remit ; Bothwell et Lethington retournèrent chez la reine et restèrent au palais une demi-heure environ, la troupe des lords et des gentilshommes toujours à cheval, jusqu'à ce qu'ils ressortirent. Lethington fit mine de vouloir passer outre, sans mot dire ; mais le prévôt poussa vers lui et lui demanda si la reine avait lu la lettre, et quels ordres il plairait à Sa Majesté de lui donner en retour. Lethington répondit que la reine était encore endormie, qu'il ne lui avait pas remis la lettre et ne croyait pas que ce fût possible avant la fin du jugement. Sur quoi, il se mit en route pour le Tolbooth. Qui ne reconnaît une farce effrontée des deux acteurs principaux, Bothwell et Lethington ? Ils jugèrent à propos d'intercepter la lettre d'Élisabeth. Sans examiner la question de savoir si Marie Stuart aurait pu admettre l'ingérence d'une reine étrangère, et son ennemie, dans les affaires intérieures de son royaume, il est certain qu'elle n'eut pas connaissance de la lettre de sa cousine en temps utile. Combien donc n'est-il pas injuste de dire, en fermant les yeux sur les faits : Marie Stuart n'accéda ni à la juste requête de Lennox, ni au prévoyant conseil d'Élisabeth. Elle voulut que tout se passât comme Bothwell l'avait arrangé avec ses amis[81].

Pour en finir avec les lettres d'avertissement, il en vint une autre vers le même temps, mais celle-ci d'un ami dévoué, l'archevêque de Glasgow, ambassadeur de Marie en France. Le sincère prélat (Paris, 9 mars), ne veut pas dissimuler à sa souveraine que l'on parle très-mal de sa noblesse et de tous ses sujets, que la calomnie ne la respecte même pas, et lui impute tout ce qui s'est passé. Il la conjure de tirer une vengeance éclatante de ce crime ; sans cela, il vaudrait mieux qu'elle eût tout perdu, même la vie. Il faut qu'elle manifeste plus que jamais la vertu, la magnanimité et la constance que Dieu a mises en elle ; elle conservera la réputation de piété qu'elle a dès longtemps acquise. Mais cette réputation ne brillera dans toute sa pureté qu'autant qu'elle aura fait justice.... Qu'elle mette sa confiance en Dieu, qu'elle le prie fidèlement, le serve de tout son cœur ; elle puisera dans l'appui d'en haut des consolations qui lui donneront la force d'écarter ce qui peut lui nuire, et d'affermir le renom de vertu qu'elle a toujours possédé dans le monde. Il la supplie de chercher sa force là seulement ; alors le reste de ses désirs s'accompliront à sa satisfaction et à son honneur ; autrement ce ne sera, il le craint bien, que le commencement et le premier acte de la tragédie[82].

Cette lettre, empreinte d'une certaine sévérité, ne renferme aucune allusion, si légère qu'elle soit, à Bothwell. L'archevêque parait avoir deux préoccupations principales : la première, que la reine doit dissiper par le châtiment des coupables les calomnies dont elle est chargée sur le continent ; la seconde, qu'elle doit rester fidèle à Dieu, c'est-à-dire au catholicisme. Lorsqu'il adressa ces nobles conseils à sa souveraine, le comte de Moretta et le P. Edmond, de la société de Jésus, étaient revenus d'Écosse où ils avaient été témoins de la catastrophe du 10 février. Ils communiquèrent sans doute à l'archevêque les faits et les sentiments qui forment le fond de la lettre que le légat du pape à Paris envoya, quelques jours après (16 mars), au grand duc de Toscane. Le comte de Moretta et le P. Edmond parlaient de Bothwell sans la moindre insinuation fâcheuse pour Marie Stuart ; mais où ils blâmaient la pauvre princesse, c'était d'avoir, par son refus d'entrer dans la grande ligue catholique, laissé échapper l'occasion de se rendre maîtresse dans ses États et de rétablir le catholicisme ; et ils en auguraient la ruine de la reine et de son royaume[83]. Tel doit être le motif pour lequel l'archevêque appuie si fortement sur les exhortations religieuses et recommande à Marie la source unique où elle doit chercher espérance et force. Cela ne signifie pas du tout qu'il la soupçonne d'aucun crime. Il avait encore un autre motif d'inquiétude. Comme il remerciait, au nom de la reine, l'ambassadeur d'Espagne pour l'avis qu'il lui avait donné de la trahison qui se tramait en janvier, avis parvenu malheureusement trop tard à la cour d'Écosse, l'Espagnol répondit : Soit, il est arrivé trop tard ; eh bien ! dites à Sa Majesté que je tiens des mêmes sources qu'auparavant, qu'il se trame contre elle quelque entreprise encore plus grave, dont je veux l'avertir à temps. Mais il refusa toute explication[84]. Ce langage énigmatique à l'excès, une fois déjà trop bien justifié par l'événement, ne pouvait avoir d'autre effet que d'abattre encore plus l'énergie de Marie Stuart, et de la soumettre plus docile aux impulsions du Conseil et de Bothwell, dont les anciens services devaient lui inspirer confiance[85].

Et d'abord le procès de Bothwell suivit son cours (12 avril). D'après le messager anglais, dont nous avons rapporté tout à l'heure les mésaventures, Bothwell, la gaieté et l'insolence peintes sur les traits, se dirigea d'Holyrood au Tolbooth. Deux cents arquebusiers — les arquebusiers de la garde — l'escortaient ; quatre mille gentilshommes, sans compter ceux qui remplissaient les rues, lui faisaient cortège, ainsi qu'à Lethington, son parrain en quelque sorte dans cette scandaleuse journée. La foule des nobles accourus à Édimbourg n'étaient pas tous, tant s'en fallait, les vassaux de l'accusé. Ils étaient venus à l'appel des grands seigneurs, ses complices. On ajoute que le comte montait le cheval favori du roi ; que la reine, à l'une des fenêtres d'Holyrood, lui fit un aimable signe d'adieu, et qu'elle ne pût s'empêcher de lui envoyer un message pendant qu'il était devant ses juges[86] ; tout cela sur la foi d'une lettre de Drury à Cecil. Il se peut que Bothwell se soit attribué dans la circonstance le cheval du roi ; cela ne prouve pas que la reine y ait consenti. Quant aux deux autres détails, les prétendus jeux de Seton et le dîner de Tranent nous mettent en défiance. Fussent-ils vrais, ils démontreraient la crédulité plutôt que la culpabilité de Marie Stuart. Convaincue de l'innocence du comte, qu'attestaient encore l'empressement de la noblesse, et sans doute les artifices de Lethington, elle aura cru peut-être, quoiqu'à tort, pouvoir lui donner une marque d'intérêt.

Les gardes s'établirent à la porte du Tolbooth et ne laissèrent entrer que ceux dont on était sûr[87]. Les juges étaient le comte d'Argyle, lord haut justicier héréditaire d'Écosse, et l'un des conjurés contre Darnley ; lord Lindsay de Byres, Henri Balnaves, James Makgill, Pitcairn commendataire de Dunfermline ; les deux premiers, beaux-frères ; les trois autres, créatures de Murray[88]. Le jury se composait de quinze personnages de haut rang, les pairs de l'accusé, parmi lesquels lord John Hamilton, second fils du duc de Châtelleraut. Le comte de Morton, qui n'avait pas encore reparu en public depuis que Marie Stuart l'avait gracié, fit sa rentrée ce jour-là, et figura parmi les brillants cavaliers dont la présence aux côtés de Bothwell, disait assez haut qu'il était l'homme de l'aristocratie. Morton, à la vérité, refusa de prendre place parmi le jury, et préféra payer l'amende légale de cent livres d'Écosse, par ce motif que le roi était son parent, quoiqu'il eût bien oublié envers lui les égards que l'on doit aux liens du sang[89]. On donna lecture de l'accusation contre Bothwell, et l'on appela successivement les témoins et le comte de Lennox. Personne ne répondit. Lennox s'était mis en route pour Édimbourg à la tête de ses amis ; mais, le 11 avril, il aurait trouvé, dit-on, à Stirling l'ordre de n'amener que six personnes avec lui[90]. A la rigueur, ce n'eût pas été une innovation : car les nobles ayant pris la très-dangereuse habitude de se faire assister dans leurs procès par la foule de leurs clients, une loi de 1555 avait interdit au poursuivant de se présenter avec plus de quatre amis, et au défendeur avec plus de six[91]. Mais elle n'avait pas été observée[92] ; et il ne nous parait pas probable qu'on s'en soit préoccupé davantage dans cette circonstance. En effet, Lennox, en écrivant de Stirling à la reine, la veille du jugement, qu'il rompait son voyage commencé, n'allégua que deux motifs, la maladie et le défaut de temps pour rassembler ses amis[93] ; ce qui implique qu'on ne lui avait pas interdit de les réunir. En rebroussant chemin — sa conduite depuis deux mois montrait du reste qu'il n'avait jamais eu l'intention de se transporter à Holyrood —, il chargea deux de ses serviteurs, Robert Cunningham et Crawford, de le représenter, de déclarer en son lieu et place qu'il était absent à cause de la brièveté du délai[94], et, lui fait-on dire dans les pièces publiées par Buchanan avec la Detectio, à cause de la défense qui lui avait été signifiée d'amener ses amis[95] ; et de protester contre tout jugement qui absoudrait l'accusé. Le président répliqua par la lecture des lettres où le comte de Lennox avait demandé la plus grande promptitude dans le procès ; et, faisant droit à la demande de Bothwell et de ses avocats que la cause fût vidée sans plus de délai, il passa outre. Bothwell affirma qu'il n'était pas coupable ; personne n'apporta de preuves contre lui. En conséquence, le jury prononça l'acquittement à l'unanimité[96]. Sur-le-champ, le coryphée de l'aristocratie se redressa dans sa robe d'innocence, et défia au combat quiconque oserait prétendre qu'il avait eu part au meurtre du roi.

M. Mignet a raison de flétrir ce procès de dérisoire, et cette absolution de scandaleuse. Mais où nous persistons à différer de son sentiment, c'est quand il place les fils de cette vaste comédie dans les mains du seul couple, Marie Stuart et Bothwell. Quoi donc ! Argyle, Lethington, Morton et tant d'autres grands seigneurs, qui jouent le rôle essentiel et tranchent le dénouement, ne seraient que les timides instruments d'une femme à laquelle ils s'étaient toujours montrés, et se montrèrent bientôt, si hostiles et si terribles ? Et cette multitude de gentilshommes, c'est elle aussi qui d'un geste les appelle pour insulter de compagnie au mari qu'elle a tué ? Mais si elle exerce sur ses nobles une telle puissance, si elle est susceptible d'un tel empire sur elle-même et sur les autres, qu'on nous explique comment, deux mois après, ils la renverseront, rien qu'en y touchant. Redisons-le : tout ceci est une machine aristocratique. Un des assassins de Darnley, patronné par d'autres assassins, est conduit devant des juges, dont la plupart sont des assassins ou des ennemis de la victime : ils ont pris la précaution de remplir Édimbourg de leurs clients ; ils acquittent l'accusé, leur homme. Cela se passe en dehors et au-dessus de Marie Stuart.

N'oublions pas que ces véritables assassins de Darnley ont déjà combiné entre eux, à Dunkeld, un nouveau plan pour le venger. Voilà le péril renaissant, plus redoutable encore à Marie Stuart que le complot contre le roi, péril dont l'ambassadeur espagnol entrouvre trop discrètement, en ennemi plutôt qu'en ami, les sombres perspectives à l'archevêque de Glasgow. Les grands, une fois délivrés de Darnley, détournent calomnieusement par de secrètes manœuvres l'odieux du meurtre sur la reine innocente, afin de la dépopulariser. Ils absolvent le vulgaire ambitieux, leur dupe, que depuis deux mois ils accusent en dessous. Maintenant ils vont pousser dans ses bras, par un mariage déshonorant, la femme infortunée, dont tant d'atroces malheurs ont consumé l'énergie. Alors un dernier coup : et, Marie Stuart détrônée, ils atteindront leur but final, l'anéantissement de la royauté sous le règne d'un enfant en bas âge.

Ainsi, les circonstances du procès de Bothwell s'expliquent naturellement. Elles se lient étroitement au passé. Sans remonter au plan de 1561 pour détenir Marie Stuart en Angleterre, les grands n'ont-ils pas déjà comploté en 1565, à l'époque de son mariage avec Darnley, de la diffamer, de tuer l'époux et son père, de jeter l'épouse en prison ? N'est-ce pas également le trône et la vie de la reine, que leurs épées cherchaient à travers Riccio en 1566 ? Leurs calomnies n'attaquaient-elles pas déjà son honneur ? L'insensé Darnley, le misérable Lennox s'étaient joints à eux. La défection du premier ayant déjoué leurs vues, ils les reprirent, jetèrent leur ancien complice hors de leur chemin par le crime de Kirk-of-Field, et accomplirent, avec des moyens qui varièrent plus encore à la surface qu'au fond, leur complot immuable. Là est la logique des faits ; là est la vérité.

Lennox quitta l'Écosse le 17 avril, et chercha un refuge en Angleterre. Le parlement s'était ouvert au Tolbooth dès le 14. Le 16, eut lieu la séance royale : la reine s'y rendit précédée de Bothwell, à qui elle avait déféré l'honneur de porter devant elle la couronne et l'épée[97]. C'est beaucoup de choses. C'est aussi la continuation de cette fable à deux, découpée arbitrairement dans l'histoire générale du pays. En réalité, le duc de Châtelleraut et le comte de Lennox étant absents, le comte d'Argyle porta la couronne, Bothwell le sceptre, le comte de Crawford l'épée. Au retour, le comte de Huntly tenait la couronne, Argyle le sceptre et Bothwell l'épée[98]. Par quel motif légal aurait-on exclu Bothwell du rôle auquel l'appelaient ses dignités, dès que ses pairs l'avaient absous unanimement ? Et puis, la reine n'était pour rien dans ces dispositions de préséance, qui rassortissaient au roi d'armes. Que, si Bothwell n'avait pas figuré dans le cortège, probablement on en tirerait la conclusion que, malgré le verdict du noble jury, Marie Stuart n'avait pas osé le produire en public avec elle, tant sa conscience l'écrasait.

La session du parlement dura en tout cinq jours ; le dernier jour, 19 avril, des actes en grand nombre furent votés. D'abord sur la religion : déclaration que la reine, depuis son retour en Écosse, n'avait rien entrepris contre la religion, telle qu'elle l'avait trouvée établie publiquement et universellement ; abolition de toute loi canonique, civile ou municipale, punissant l'exercice de la religion réformée ; suppression de toute juridiction étrangère — quant aux protestants — ; ordre à tous les sujets de vivre ensemble en parfaite amitié, sous peine de châtiments sévères pour les contrevenants[99]. Buchanan affirme néanmoins que l'on ne put rien obtenir de la reine en faveur de la religion réformée. Robertson rend hommage à la vérité matérielle, mais il regarde cette concession de Marie Stuart comme un effet de l'ascendant de Bothwell, qui voulait se concilier la bienveillance des protestants. Selon l'historien, cet empire, que le comte exerçait sur elle, est d'autant plus frappant, qu'elle n'avait, dit-il, jamais renoncé au projet de rétablir sa religion dans ses États, qu'elle avait pris récemment de nouveaux engagements, tenté de nouvelles démarches qui manifestaient plus évidemment encore son intention à cet égard[100]. Cela est de pure invention. Qu'il nous suffise de renvoyer le lecteur aux plaintes du légat du pape sur ce que Marie Stuart a refusé d'entrer dans la grande ligue pour le rétablissement du catholicisme[101]. Marie, dès l'année 1561, avait déclaré qu'elle ne voulait rien entreprendre contre la religion de ses sujets, et qu'elle demandait à jouir pour sa propre conscience de la liberté qu'elle leur laissait. Robertson reconnaît, non sans peine, qu'elle pourvut plusieurs fois à l'entretien du clergé réformé. Tandis que, dans son récit proprement dit, il l'accuse d'une mesquine parcimonie ; dans ses notes, il convient qu'elle assigna une somme considérable.

M. Mignet reproduit[102], en l'accentuant, le blâme de Robertson : La catholique Marie, qu'aveuglait sa passion pour le protestant Bothwell, abolit, ce qu'elle n'avait jamais voulu faire jusque-là, les lois portées contre le parti réformé et assura des appointements aux ministres pauvres. L'acte auquel s'applique cet amer langage, accordait aux Écossais la liberté de religion et leur enjoignait de vivre tous en paix. Au fond il proclamait le grand principe, qui triompha en France par l'édit de Nantes en 1598. Pourquoi donc attacher l'idée d'aveuglement à la politique de tolérance qui partout ailleurs a fait la gloire de ceux qui l'ont professée, qui a rendu si grands les noms de l'Hospital et d'Henri IV ? L'aveuglement, en Écosse, eût été de porter des lois contre le parti réformé et de prétendre le contraindre à rentrer au giron de l'Église romaine. Il est étrange avec quelle facilité l'on renverse le caractère naturel des choses, dès qu'il s'agit de blâmer Marie Stuart. A l'erreur de principe, s'est ajoutée l'erreur de fait. Ce n'est pas dans le parlement d'avril 1567, ce fut dès le mois de décembre 1566, que la reine assigna des appointements aux ministres protestants[103].

Les trois États approuvèrent l'acquittement de Bothwell ; ils interdirent sous des peines rigoureuses l'usage des placards. Enfin ils confirmèrent les grâces que la couronne avait accordées en divers temps aux principaux de la noblesse. Chacun, dit M. Mignet[104], obtint le prix de sa connivence. Cinq des jurés obtinrent la confirmation des grâces qu'ils tenaient de la cour. Huntly consentant au divorce de sa sœur avec Bothwell, rentra dans ses biens confisqués depuis plusieurs années et non encore rendus. Ainsi présentés, les actes de ce parlement ont l'apparence d'une manœuvre de Bothwell, concentrant sur le cercle étroit de ses affidés les récompenses que prodiguait la main toujours ouverte de sa complice. Le partial Anderson n'admet dans ses collections, souvent infidèles parce qu'elles sont tronquées ou incomplètes, que les actes relatifs à Bothwell et au comte d'Huntly, les deux beaux-frères[105]. Mais si nous remontons, avec le consciencieux Keith, à la teneur des pièces authentiques, les choses changent de face ; et nous sommes témoins d'une curée générale des droits royaux par la noblesse. Ratification au comte de Mar du comté de Mar, de la capitainerie de Stirling, etc., etc. ; à Richard Maitland de Lethington — père du secrétaire —, de la baronnie de Blyth ; à sir Richard David Chalmers, de deux châteaux ; au comte de Bothwell, de la capitainerie du château de Dunbar avec les terres nécessaires pour l'entretien de la garnison, et généralement de toutes les terres et dignités qu'il possède ; à lord Robert Stuart, frère naturel de la reine et abbé d'Holyrood, pour lui et ses enfants, d'une somme que la reine lui a octroyée sur sa propre part des revenus de l'abbaye ; au comte de Murray, du comté de Murray et de Strathdee ; à John Chisholm, d'un domaine royal à Leith ; au comte d'Huntly de différentes terres ; au comte d'Herries, à John Sempill, à James Ogilvie, à Michel Balfour de Burley, aux comtes de Crawford, de Rothes, de Morton, d'Angus[106], de Caithness, à George Ramsay de Dalhousie, des domaines ou des charges dont ils jouissaient ; annulation de la confiscation prononcée contre feu George comte d'Huntly, en 1563. Marie Stuart avait, dès l'an 1565, délivré de sa prison l'aîné des fils survivants. Elle l'avait réintégré alors dans ses titres ; elle avait renouvelé le pardon et la restitution des biens par-devant le parlement le 7 mars 1566[107]. Treize jours plus tard, le 20 mars 1566, après l'assassinat de Riccio, elle l'avait nommé lord-chancelier à la place de Morton, révoqué. S'il fut compris dans l'acte du 19 avril 1567, c'est qu'il n'y avait pas de raison de l'exclure d'une pièce qui sanctionnait toutes les grâces que les familles nobles avaient obtenues précédemment de la reine. Buchanan veut[108] que ce soit seulement le 19 avril que le comte ait recouvré ses biens comme prix du prix du marché secret par lequel il aurait consenti au divorce qui devait rompre bientôt le mariage de sa sœur lady Jane Gordon avec Bothwell ; simple supposition[109]. Il y avait une autre raison ; c'est qu'il avait signé le bond contre la vie du roi et qu'il était du complot de l'aristocratie contre le prince, sinon contre la reine : il eut sa part des profits. Enfin le parlement cassa l'arrêt de confiscation dont avaient été frappés le comte de Sutherland, ainsi que plusieurs gentilshommes des Gordons enveloppés en 1562-3, dans la ruine du comte d'Huntly ; pour couronner l'œuvre, on releva David Balfour de Balbutheis de la condamnation qu'il avait encourue au parlement de 1546, comme assassin du cardinal Beaton[110].

Ou nous nous trompons fort, ou il était bon de connaître cette liste en entier. Si l'on y choisit seulement quelques noms pour taire les autres, le lecteur peut croire que c'est l'œuvre de la petite faction de Bothwell. Mais à voir l'ensemble formidable avec lequel les grands dépècent la couronne, on jugera différemment, et une fois de plus qu'ayant assassiné Darnley en commun, l'aristocratie se partage les premiers fruits de sa victoire homicide, prélude d'une révolution définitive amenée de loin. Marie Stuart est victime ; elle n'est pas plus complice qu'elle ne l'a été des complots tramés contre elle en 1561, 1565, 1586. Elle va succomber sous les mêmes ennemis que ses pères.

La session du parlement fut close le samedi 19 avril 1567, sur cette séance de ratification. Marie retourna le jour même à Seton. Les lords ne quittèrent pas encore Édimbourg ; les meneurs en effet voulaient presser l'exécution de leurs plans. Après avoir acquitté solennellement Bothwell, ils avaient à le conduire jusqu'à la couche royale, jusqu'au trône, objets de la convoitise de leur brutal et aveugle auxiliaire. Ni lui, ni eux ne perdirent de temps.

 

 

 



[1] Miss Strickland, t. III, chap. V, p. 138 et suivante ; t. V, p. 185-6.

[2] Paris, deuxième confession, Teulet, p. 102.

[3] Mignet, t. I, p. 280, d'après James Melvill et la Deuxième confession de Paris. Mais des deux textes il résulte uniquement que Bothwell entra seul en ce moment chez la reine, et qu'en sortant il dit à Melvill, qui attendait des nouvelles dans l'antichambre, qu'elle était affligée et calme. M. Mignet donne à ce fait un sens absolu qu'il n'a pas.

[4] Mignet, t. I, p. 280.

[5] Mignet, t. I, p. 440.

[6] Atterrée comme elle paraissait l'être, Marie Stuart laisse au Conseil privé, presque tout composé de complices du meurtre et ayant pour secrétaire et pour guide Lethington, qui en avait été l'un des principaux instigateurs, le soin d'instruire la cour de France de cette catastrophe. Mignet, t. I, p. 282.

[7] Miss Strickland, t. V, p. 188. — Nous avons parlé dans le chapitre précédent de cette double déposition (d'après miss Strickland, t. V, p. 1778). Nous ne la rappelons ici que pour la date. Si dès le 11, le Conseil procède à l'audition des témoins, il est probable qu'il y a été invité par la reine le 10, le jour même du crime.

[8] T. I, p. 286.

[9] Voyez la lettre dans miss Strickland, t. V, p. 187-8. We are after the inquest (nous sommes après l'enquête), disent les lords. Donc ce document à lui seul prouverait que Marie n'était pas restée inerte.

[10] Keith, Préface, p. VIII-IX.

[11] Keith, Préface, p. VII.

[12] T. I, p. 283. Dans cette lettre, écrite le surlendemain de la mort du roi à son ambassadeur auprès de Charles IX....

[13] Miss Strickland, t. V, p. 192, affirme que la lettre est signée et non pas écrite de la main de Marie, comme on l'avait supposé généralement. Était-il équitable à M. Mignet de passer sous silence la rédaction de la dépêche du Conseil, pour rejeter sur Marie Stuart seule la responsabilité de certaine phrase un peu sèche de la lettre à l'archevêque, comme l'événement horrible et étrange tel, qu'elle ne croit pas qu'il en soit jamais arrivé un pareil dans aucun pays. — The matter is horrible and so strange, as we beleive the like was never hard of in ony country. — Le Conseil écrit à Catherine de Médicis : In a manner so strange that no one ever heard of the like. — Nous pourrions étendre cette comparaison des termes d'un bout à l'autre. Nous affirmons que la lettre signée de la reine n'est qu'une variante de celle du Conseil. De même, la proclamation du Conseil (12 février), dont nous parlons plus bas, est conçue presque mot pour mot comme la lettre de la reine, quant à la mort du roi et la destruction de la maison : le tout est donc sorti de la plume du secrétaire d'État Lethington.

[14] Deuxième déposition, Teulet, p. 102. Nous prenons congé ici des Confessions de Paris.

Rappelons une dernière fois que la première n'incrimine en rien la reine, tandis que la seconde, faite le lendemain, accumule contre elle les accusations de toutes sortes que rien dans la première ne fait pressentir. Sauf cette pièce, dont nous avons exposé la frauduleuse origine, les contradictions et les impossibilités, sauf aussi la déposition de Nelson, que nous avons saisie en flagrant délit de mensonge, les déclarations des coupables suppliciés ne mettent pas Marie en cause ; et sur l'échafaud, ils ont rendu hommage à son innocence. Par quelle distraction M. Mignet range-t-il parmi les preuves de la complicité de Marie les déclarations que les auteurs subalternes de ce drame tragique firent devant la justice ou sur l'échafaud ? (T. I, p. 281.)

[15] Récit selon Chalmers ; lettre interceptée par les autorités anglaises, d'après miss Strickland, t. V, p. 186. La déclaration entière est dans Chalmers, t. II, p. 444-5, d'après le Paper-Office.

[16] Quand un témoin oculaire s'exprime ainsi, peut-on parler, d'après Buchanan, de l'indifférence de Marie ?

[17] Anderson, t. I, p. 36. — Keith, p. 318. — Miss Strickland, t. V, p. 188.

[18] T. I, p. 289.

[19] Miss Strickland, t. V, p. 203.

[20] Mignet, t. I, p. 280.

[21] Detectio, p. 7. — Le mardi, Marie avait voulu voir une dernière fois son mari, et longtemps l'avait contemplé avec des larmes muettes (miss Strickland, t. V, p. 189, d'après Adam Blackwood). Voici comment parle l'ignoble auteur de la Detectio : Mais ce fut un étrange exemple de cruauté, tel qu'on n'en avait jamais vu auparavant, qu'après avoir satisfait sou cœur par le meurtre, elle voulut repaire ses yeux du spectacle du cadavre. Elle considéra longtemps non-seulement avec calme, mais d'un œil ardent ce corps qui surpassait en beauté tous ceux de son temps. — Voyez aussi miss Strickland, t. IV, p. 333.

[22] Lesley, Defence..., p. 23-4, dans Anderson, t. I. — Keith, p. 388, note a. — Chalmers, t. II, p. 556 et note u. — Miss Strickland, t. V, p. 195-6.

Robertson, juste quelquefois, dit : Le corps fut déposé sans beaucoup d'appareil, mais avec décence, dans la sépulture des rois d'Ecosse. L. IV.

[23] Chalmers, t. II, p. 428, note 1. — Miss Strickland, t. V, p. 150 et note.

[24] Miss Strickland, t. V, p. 194-5, d'après la correspondance du Border.

[25] Miss Strickland, t. IV, p. 333.

[26] Sauf-conduit donné à Stirling. Labanoff, t. I, p. 392.

[27] Lettre de Marie Stuart à Drury. Édimbourg, 17 janvier 1567. Labanoff, t. I, p. 394.

[28] Voyez sur cette affaire, miss Strickland, t. V, p. 107-110, p. 194-5. Dans Tytler, t. V (édit. 1845), p. 374-5, et à la fin du volume, n° XVII, p. 509-513, la correspondance de Drury avec Cecil et la lettre de J. Riccio à Lutini.

[29] Tytler, t. V, p. 376, édit. 1845.

[30] Lettre de Drury à Cecil, 19 février 1567, dans misa Strickland, t. V, p. 204. Cette après-midi (19 février) arrivèrent ici (à Berwick) avec des lettres de recommandation de la reine pour leur passage en poste, N. Dolu, trésorier de ses revenus en France, des domestiques de la reine, huit autres encore, tous en costume de Highlanders, à l'exception d'un Écossais. Bastien a des lettres de la reine de ce pays pour Sa Majesté ma souveraine. Cette dernière phrase fixe très-utilement le sens de ces départs. Tytler ne l'a pas donnée ; par suite, M. Mignet l'a omise également (t. I, p. 287).

[31] M. Mignet traite Chambers d'affidé de Bothwell (t. I, p. 284). Il serait plus juste de dire ami dévoué de Marie Stuart. C'était un savant jurisconsulte qui, le premier, mit les lois d'Écosse en ordre en 1588, à la demande de Marie. Après la chute de cette princesse, il se retira en France, où il continua de la défendre et de lui dédier ses travaux, entre autres sa réfutation du pamphlet de Knox contre le Monstrueux gouvernement des femmes. (Miss Strickland, t. V, p. 196 et note.)

[32] La sœur de lady Reres, dont nous avons déjà parlé, toutes deux nièces du cardinal Beaton. — L'affiche a été conservée par Buchanan à la suite de la Detectio, Anderson, t. II, p. 56. M. Mignet ne rapporte (t. I, p. 283-4) que les trois premiers noms et néglige le reste, particulièrement la fin du placard, qui diminue tant l'autorité du commencement. Cette fin eût été utile à ses lecteurs, qui auraient mieux compris pourquoi la reine n'ordonna pas d'arrestations immédiates. Sérieusement, comment l'historien qui connaît le bond de Craigmillar, signé des plus grands seigneurs d'Écosse, peut-il faire fond sur une pièce qui désigne pour principal conseiller du meurtre, le très-obscur John Spence ?

[33] Francisco Busso, maître d'hôtel ; Bastien Pages ou Paiges, valet de chambre ; Joseph Riccio. Tytler ajoute un quatrième nom, Jean de Bourdeaux (t. VII, p. 87), qui n'est pas mentionné dans le texte de Buchanan.

[34] Gilbert Balfour, frère de sir James et de Robert Balfour, et alors au service de Bothwell.

[35] Mignet, t. I, p. 284.

[36] Mignet, t. I, p. 284. Nous ne voyons pas pour quel motif l'archevêque de Saint-André est enrôlé ici dans le complot. Il est vrai que Buchanan l'accuse, et que le comte de Lennox le fit mourir sous ce prétexte. Mais ce ne sont pas là des preuves ; et il nous semble qu'il n'y en a pas d'autres.

[37] Inadvertance de l'auteur du journal qui le composant en 1568, donne à Murray le titre sous lequel il régna en Écosse après le renversement de sa sœur. On voulait pourtant faire croire que ce journal avait été écrit à mesure des actions quotidiennes de Marie.

[38] Leslie, Defence... dans Anderson, t. I, p. 24.

[39] Chalmers, t. I, p. 322. — Miss Strickland, t. V, p. 203. Drury se trompe sur un point en disant qu'on l'informe que Marie doit être à Dunbar le 17.

[40] M. Mignet, t. I, p. 284 : Y passe-t-elle son temps dans le deuil et l'affliction ? Non. Voici ce que raconte de son séjour à Seton M. Fraser Tytler, dont les sentiments en quelque sorte héréditaires sont très-favorables à Marie, et qui est le plus récent et en beaucoup de points le mieux instruit des historiens de l'Écosse.... Suit l'anecdote du diner de Tranent.

[41] Sur ces faits, miss Strickland, t. V, p. 205. — Tytler, t. V, p. 390, éd. 1845.

[42] Lettre de Killigrew à Cecil, 8 mars 1567, dans Chalmers, t. I, p. 324-6.

[43] T. I, p. 286.

[44] Miss Strickland, t. V, p. 208, d'après une lettre de Drury è Cecil, 19 février 1567.

[45] Keith, p. 369-370.

[46] Keith, p. 370.

[47] En effet, dès le 17 février la reine avait ordonné de faire les proclamations d'usage pour la convocation d'un parlement. — Labanoff, t. II, p. 6.

[48] T. I, p. 286.

[49] Ce motif avait sa valeur, vu la pauvreté de la noblesse. Remarquons que l'action du Conseil privé, chargé de l'instruction, n'était pas pour cela suspendue ; et que si elle demeura stérile, cela tint 81 ce que les membres du Conseil étaient eux-mêmes les coupables.

[50] Keith, p. 311-2.

[51] Tytler, t. V, p. 391, édit. 1845. — Miss Strickland, t. V, p. 212, d'après une lettre de Drury à Cecil, 28 février 1567.

[52] Cet éloge du protestant Bothwell par le légat nous semble indiquer que le comte de Morena ne soupçonnait pas Bothwell, et que l'on partageait son sentiment à Paris, au milieu de mars.

[53] Labanoff, t. VII, p. 105-6.

[54] Goodall (t. I, p. 353) cite une lettre de Cecil à Norris, 5 mars, portant que les comtes d'Adgyle, de Morton, de Murray, de Caithness et de Glencairn, sont amis avec le comte de Lennox ; ils comptent être bientôt à Édimbourg, à ce qu'ils disent, pour rechercher les coupables.... Le public parle contre les comtes de Bothwell et d'Huntly qui restent avec la reine. Mais en quoi les accusations sont-elles vraies ? Je ne saurais prendre sur moi de me prononcer contre l'un ou l'autre..... — V. aussi Chalmers, t. III, p. 242, not. y.

[55] Labanoff, t. VII, p. 102-4.

[56] Camden, t. I, p. 110. — De même Buchanan, Detectio et Histoire.

[57] Lettre de Killigrew à Cecil, 8 mars 1567, dans Chalmers, t. I, p. 324, t. III, p. 328, not. u.

[58] Journal de Birrel, dans Chalmers t. I, p. 323. — Miss Strickland, t. V, p. 219-222.

[59] T. I, p. 297.

[60] Mignet, t. I, p. 290.

[61] Chalmers, t. I, p. 323. — T. III, p. 83-4, not. s, t. Du moins c'est le 1er juin que Cockburn fut nommé à la place de contrôleur.

[62] Chalmers, t. III, p. 82.

M. Mignet dit : Au lieu d'ordonner son arrestation (de Bothwell), comme le demandait, dans une troisième lettre, le comte de Lennox, elle le combla de nouvelles faveurs. Elle l'investit du commandement du château d'Édimbourg... Elle lui donna de plus le château de Blackness, l'Inch et la supériorité de Leith. (T. I, p. 290.) Pour le commandement du château d'Édimbourg, nous venons de voir que les pièces authentiques tendent à établir le contraire. Quant à la supériorité de Leith, il faut se reporter à la vraie date, le 15 février ; le diplôme est donc antérieur aux placards, dont le premier ne fut affiché que le 16. Ainsi ce n'est pas représenter la vraie physionomie des événements que de montrer Marie Stuart honorant Bothwell accusé, de marques de faveur, qu'elle lui donna dans le temps où personne encore ne l'accusait. A grouper les faits, le tableau peut être plus vif, mais il est moins fidèle. Pour faire la balance, disons que Marie Stuart, toujours généreuse et trop généreuse, admit à cette époque Morton en sa présence et lui rendit le château de Tantallon et d'autres domaines, que la couronne avait saisis sur ce traître (Tytler, t. V, p. 396, édit 1845).

[63] Miss Strickland, t. V, p. 225, d'après le State Paper-Office.

[64] Keith, p. 372-3.

[65] Anderson, t. II, p. 3. Anderson n'admet pas ce texte de Buchanan dans la série des lettres de Lennox, qu'il a imprimée, t. I, p. 40-9.

[66] Lettre du 29 mars 1567, Berwick. — Voir miss Strickland, t. V, p. 229.

[67] Drury à Cecil, 10 avril 1567, dans miss Strickland, t. V, p. 230.

[68] Anderson, t. I, p. 38.

[69] Mais il se retrouva pour l'insurrection de juin 1667 ; et lorsque la reine eut été mise à Lochleven, il fut nommé receveur des douanes le 12 août de la même année. Goodall, t. I, p. 350.

[70] Miss Strickland, p. 231-2, d'après Spotiswood.

[71] Anderson, t. I, p. 50-2.

[72] T. I, p. 291.

[73] Chalmers, t. II, p. 451-2. Miss Strickland, t. V, p. 232.

[74] Est-il équitable de dire avec M. Mignet qu'alors rien ne gêna plus la reine et son favori triomphant ? (t. I, p. 295.) Deux fois, le 9 février et le 9 avril, Murray s'éloigne, insensible aux instances de Marie pour le retenir.

[75] Chalmers, t. III, p. 55, note x, p. 240. Lettre de Bedford à Cecil, 11 mai 1567.

[76] Anderson, t. I, p. 52-4. Keith, p. 374-5.

[77] Goodall, t. I, p. 346-7. — Keith, p. 378, note a, est d'avis que quinze jours étaient le terme légal. Au parlement du 15 décembre 1567, tenu par le régent Murray et sa faction, on n'éleva pas d'autre récrimination, sinon qu'il n'y avait pas eu le délai de quinze jours pleins, prescrit par les lois et la coutume du royaume. — Acta parliamentorum, t. III, p. 7.

[78] Robertson, Pièces historiques, n° XIX. Cette lettre est en français.

[79] Lettre de Drury à Cédi, Berwick, 15 avril 1567, dans Chalmers, t. III, p. 69.

[80] Curé sécularisé.

[81] Mignet, t. I, p. 292.

[82] Keith, Préf., p. IX.

[83] Voyez cet extrait déjà cité dans notre 3e partie. — Labanoff, t. VII, p. 107.

[84] Ce paragraphe n'est pas dans l'extrait de Keith. Miss Strickland (t. V, p. 289) l'a emprunté aux Illustrations de Stevenson.

[85] Ce procédé étrange, de la part de l'ambassadeur espagnol, n'indiquerait-il pas un fond de mauvaise humeur contre Marie, humeur causée par le refus de la reine d'entrer dans la ligue catholique ?

[86] Mignet, t. I, p. 293. Tytler, t. V, p. 396 et 621, édition 1846. C'est un fragment d'une lettre de Drury, sans date, probablement avril : Lethington et d'autres dirent au sous-maréchal (ou grand prévôt de Berwick) que la reine dormait encore, et il l'aperçut regardant à une fenêtre. Un des domestiques français de Du Croc la lui montra ; la femme de Lethington (Marie Fleming) était à côté d'elle. Bothwell, monté à cheval, leva les yeux ; elle lui fit un signe de tête amical, en manière d'adieu. Tytler parait supposer que Marie reçut en effet de Lethington et Bothwell la lettre d'Élisabeth, et qu'elle fut de moitié dans la comédie inconvenante qu'ils jouèrent à l'égard du messager. Nous n'en croyons rien ; Marie Stuart possédait une courtoisie de manières dont elle ne se départait jamais ; cela est connu. Elle se serait bien gardée d'offenser grossièrement Élisabeth dans la personne de l'envoyé. D'ailleurs qu'y avait-il d'embarrassant à recevoir celui-ci, et à lui dire, au pis aller, que la lettre de sa maîtresse arrivait trop tard ? Le faible de Tytler est d'accepter aveuglément tout ce qui sort du State paper office. Cela passe dans sa narration sous cette forme, on remarqua.... on observa que.... Il devient ainsi plus sévère que le messager lui-même, qui, dans son rapport à Drury, ne s'en prend nullement à la reine d'Ecosse.

[87] Lettre de Drury à Cecil, citée plus haut, Chalmers, t. III, p. 72.

[88] Keith remarque (p. 375, note 6) que les quatre assesseurs du comte d'Argyle, qui prononcèrent l'acquittement de Bothwell, allèrent dans la suite en Angleterre accuser Marie Stuart d'avoir fait assassiner Darnley par Bothwell.

[89] Drury à Cecil, 16 avril 1567, dans Chalmers, t. III, p. 72.

[90] Id. ib., p. 73. C'est un des hommes de Lennox qui aurait dit cela.

[91] Goodall, t. I, p. 348-9.

[92] Par exemple, Argyle et Murray, quand ils avaient cité Bothwell en justice, en mai 1565, étaient entrés à Édimbourg à la tête de cinq mille hommes.

[93] Anderson, t. I, p. 52-3. — Keith, p. 374-5. Du 28 mars au 12 avril, il avait cependant une marge suffisante pour rassembler ses hommes. Au fond, qu'avait-il tant à craindre à Édimbourg, puisque la ville était pleine des conjurés de Dunkeld, ses secrets associés ?

[94] D'après la lettre déjà citée de Drury à Cecil, ils demandaient un nouveau délai de quarante jours.

[95] Telle est du moins la teneur des paroles attribuées à Cunningham dans les actes du procès. Mais ces actes ont été publiés par Buchanan dans la Detectio (Anderson, t. I, Préf. génér., p. X et note. — Tome II, p. 97-108. C'est là que Keith a puisé, p. 375-377). Il ne serait pas impossible que Lennox eût répandu faussement le bruit qu'il avait reçu défense d'amener ses amis, tandis que, par la violation la plus flagrante de la loi, Bothwell aurait eu le privilège de rester entouré des siens et de ceux des lords. — Ce qui nous suggère ce doute, c'est que Lennox ne dit pas un mot de cette circonstance dans si lettre du 11 avril. Au parlement de décembre 1567, dont nous avons parlé dans une note précédente, la faction de Murray fulminant contre la manière dont ce procès fut conduit (par elle-même), n'articule pas d'autre grief, sinon que le délai entre la citation et les débats ne fut pas tout à fait de quinze jours pleins. Quant à Lennox, aux termes de l'acte du parlement, il représenta que le temps était trop court pour réunir ses amis et se consulter avec eux ; et Cunningham l'excusa par les mêmes motifs (Acta Parliam., t. III, p. 7). — Aucune allusion à l'interdiction d'amener avec lui plus de six de ses amis. Il nous semble qu'on n'eût pas manqué de faire sonner ce dernier grief.

[96] Anderson, t. III, p. 109-114. — Keith, p. 375-7.

[97] Mignet, t. I, p. 295.

[98] Miss Strickland, t. V, p. 247, d'après la chronique ou Diurnal of occurrents. Déjà, lors de l'ouverture du parlement de 1566, le 7 mars, deux jours avant l'assassinat de Riccio, Bothwell avait porté le sceptre (Miss Strickland, t. IV, p. 271). C'était le droit de son rang, et à une époque de sa vie que Buchanan, lui-même, n'a pas entrepris de rendre suspecte.

[99] The acts of the parliaments of Scotland, t. II, p. 548-9.

[100] Robertson, Liv. IV, et note 1.

[101] Lettre déjà citée du légat du pape au grand duc de Toscane, mars 1567. Laban. t. VII, p. 105 et suivantes.

[102] Tome I, p. 296.

[103] Knox, p. 438-9. Keith, p. 560-571.

[104] Tome I, p. 295-6.

[105] Tome I, p. 117-126 et p. LXIV.

[106] Les ratifications relatives aux comtes d'Angus, de Morton et de Murray, ne remplissent pas moins de douze, neuf et sept colonnes grand in-fol, dans la collection des actes 'des parlements. Elles contiennent un luxe prodigieux de précautions, une énumération incroyable de droits de toute espèce, garantis à ces trois personnages. Murray était alors parti pour l'Angleterre et la France ; il faut qu'il ait laissé derrière lui le modèle tout préparé de l'acte. L'énormité de ces diplômes fait encore mieux ressortir que Murray et Morton étaient à la tête du mouvement, puisqu'ils en profitèrent si largement. Morton stipulait pour lui et pour son neveu, le comte d'Angus, dont il était l'héritier désigné.

[107] Miss Strickland, t. IV, p. 272.

[108] Detectio, p. 8.

[109] Sur l'autorité du journal de Murray, 5 avril 1567. La deuxième promesse de mariage, per verba de præsenti, fut adressée et écrite par milord d'Huntly qui, pour être relevé de sa forfaiture, avait obtenu une procuration signée de la main de sa sœur, alors femme de Bothwell, et là, on tint conseil pour faire absoudre Bothwell. Nous établirons, au chapitre suivant, que cette prétendue promesse est une fraude grossière de l'ennemi de la reine.

[110] Keith, p. 379-380. The acts of the parliaments of Scotland, t. II, p. 549 et suivantes.